assises rwanda 2001
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compte rendu intégral du procès
Procès > Acte d’accusation, actes partie civile, actes défense > Actes défense > Défense C. Mukangango et J. Mukabutera
1. Défense V. Ntezimana 2. Défense A. Higaniro 3. Défense C. Mukangango et J. Mukabutera
 

4.3.3. Défense de Consolata MUKANGANGO et de Julienne MUKABUTERA

Le Président : La défense de Madame MUKANGANO, souhaite-elle également donner lecture d'un acte de défense ?

Me. WAHIS : Acte de défense commun.

Le Président : Acte de défense commun que vous lisez Maître WAHIS. Donc, pour les deux accusées Mesdames MUKANGANGO et MUKABUTERA.

Vous voulez bien en distribuer un exemplaire aux jurés et jurés suppléants. L'original ? Vous ne l'avez pas encore. L'original de l'acte de défense pourrait-il être déposé Maître WAHIS ? Il est signé ?

Vous avez la parole pour la lecture de cet acte de défense.

Me. WAHIS : Je vous remercie, Monsieur le président.

Mwamutseho, mugire a mahuro

Voilà, Mesdames et Messieurs les jurés un début de salutations qui vous serait adressé en Kinyarwanda. Ça ne vous dit pas grand-chose et c'est bien normal. Pourquoi devrait-on attendre de vous que vous ayez une connaissance pointue du Rwanda, de son histoire, de sa langue, de sa culture, de ses problèmes sociaux ethniques, de son génocide en 1994. Et pourtant la justice belge vous charge de démêler la vérité judiciaire de trois affaires en un seul procès. Concernant des faits qui se sont déroulés à plus de 6.000 kilomètres d'ici, il y a sept ans, dans un contexte de folie meurtrière que vous pouvez à peine imaginer. Procès extraordinaire, exceptionnel, grande première clament certains. Sans doute, y a-t-il de la grandeur de la Belgique, de se doter d'une loi qui lui permet de connaître de tous les crimes de génocide commis de part le monde et d'empêcher ainsi l'impunité qui souvent s'attache à de tels actes. Ce faisant, la Belgique se conforme aux conventions internationales et prend place, il faut pouvoir le dire, dans le peloton de tête des pays soucieux du respect des droits de l'homme.

Ce procès n'en demeure pas moins aussi le procès de tous les dangers. En effet, aussi brillants que soient les enquêteurs belges, comment vont-ils pouvoir mener au mieux une instruction difficile, à distance, à l'exception de trois commissions rogatoires très temporaires au Rwanda ? Comment vont-ils pouvoir apprécier comme il convient, la crédibilité des témoins qu'ils interrogent via des collègues rwandais et réagir à ces témoignages en prenant des initiatives et les mesures d'instruction nécessaires à la manifestation de la vérité. Tout ceci met en lumière les difficultés énormes d'une instruction de qualité à 6.000 kilomètres des lieux, par rapport à une mentalité et un contexte étranger aux enquêteurs ? Comment attendre, par ailleurs, d'un jury d'honnêtes citoyens belges qu'il puisse en quelques semaines, sans avoir même jamais mis le pied au Rwanda, percevoir comme il convient toutes les réalités, les enjeux, les difficultés et les pièges d'un procès de génocide ? Comment attendre de vous qu'en si peu de temps vous soyez suffisamment imprégnés de la mentalité rwandaise pour pouvoir, sans risque de vous tromper, déceler le vrai du faux ?

Combien de coopérants ou de missionnaires reconnaissent, que même après des années passées dans ce pays, cela reste un exercice extrêmement délicat. Plusieurs d'entre nous sont intervenus dans des procès de génocide au Rwanda, dans le cadre de l'action menée par Avocats Sans Frontières ; tous ceux-là, sans exception, peuvent vous dire combien, en entendant les victimes du génocide, en lisant leurs témoignages dans les dossiers, ils ont été bouleversés, atteints au plus profond d'eux-mêmes, pris de nausées devant l'horreur de ce qui s'est passé. Tous, nous avons, à un moment ou un autre, pleuré. Et vous aussi, cela vous arrivera. Lorsque vous verrez des images insoutenables, lorsque vous entendrez certains témoignages, lorsque vous écouterez la douleur de ceux qui ont été meurtris, avilis, blessés, laissés pour morts, qui ont vu leurs femmes, leurs maris, leurs enfants se faire tuer devant leurs yeux, sans pouvoir rien faire. A ces moments, vous serez submergés par leur souffrance, submergés aussi de compassion, vous n'aurez qu'une seule envie, de leur donner la main et de pleurer avec eux. Ce sentiment est juste mais il peut aussi être source d'un terrible danger, celui de vouloir faire, dans cette enceinte, le procès d'un génocide. Cette tentative sera d'autant plus forte qu'elle se développera au plus profond de vos sentiments, de vos émotions. Il ne peut être question de juger ici le génocide de 1994. Il vous est exclusivement confié de dire si, dans trois affaires bien précises, en fonction de tous les éléments qui auront été développés de part et d'autre, ces accusés sont ou non coupables des faits qui leur sont reprochés. Il vous faudra pour cela pouvoir faire abstraction de tout le poids que font peser sur ces trois affaires, les horreurs du génocide. Faire abstraction de toute la culpabilité ou la compassion qui peut en découler. Autant cet effort est difficile, autant il constitue le prix d'une justice sereine.

Les procès de génocide, auxquels nous avons participé, nous ont aussi appris combien la vérité est difficile à cerner au travers des témoignages des différents intervenants. Leur sens de la vérité dans le cadre de ce genre de procès est tout à fait déroutant pour nous. Bien plus que de contribuer à la manifestation de la vérité, il est souvent question de gagner contre quelqu'un d'autre, d'arriver à un résultat sans trop se préoccuper des entorses à la vérité. Beaucoup de personnes ont leur sens de la vérité occulté par tout ce qu'elles ont entendu, par la rumeur, à un point tel qu'en définitive elles diront avoir vu ce qu'elles ont bien souvent entendu, appris. Elles rapportent ce qu'on dit. Il y a tellement de comptes qu'on règle au travers de procès de génocide, de vieilles querelles, une revanche à prendre, ou tout simplement, c'est par exemple l'occasion de dépouiller quelqu'un de ses biens. Parfois aussi, il y a des attentes profondément déçues. On était sûr que telle personne allait pouvoir nous protéger et elle n'a pas pu empêcher le massacre des nôtres ; la blessure est si forte et le ressentiment est tel, à l'égard de cette personne, qu'il devient comme évident qu'elle devait être complice des tueurs. Et la rumeur aidant, elle se verra accuser de toutes sortes de crimes et de faits à peine imaginables.

Il vous appartiendra, Mesdames et Messieurs les jurés, de voir clair dans tout cela et de pouvoir démêler le vrai du faux. C'est un travail difficile, qui demandera beaucoup d'attention et surtout une prise de distance par rapport à ce qui sera dit par les témoins. Rassurez-vous, nous ferons le même travail. Il faudra vérifier la crédibilité des témoignages par des questions précises, de temps, de lieux, de circonstances. Par des recoupements avec d'autres témoignages, vous aurez peut-être parfois l'impression que les questions que nous posons portent trop sur les détails, surtout par rapport à tout ce que ces témoins auront vécu et enduré. La manifestation de la vérité est cependant à ce prix et c'est elle et elle seule la vérité qui doit primer sur toute autre considération.

Nous voudrions terminer cet acte de défense par un souhait. Nous voici tous embarqués pour un procès long et difficile. Puissions-nous, tout au long de ce procès, faire preuve de beaucoup de respect pour tous les intervenants qui vont s'y succéder. Que la douleur et la souffrance de tous puissent être véritablement écoutées, reçues, sans pour autant que nous y perdions notre esprit critique. Voilà notre souhait et en tout cas notre souci.

Le Président : Je vous remercie Maître WAHIS. Monsieur l'avocat général vous avez établi, et on a notifié aux accusés, des listes de témoins, et avec mon accord, ces témoins ont été cités ou convoqués, selon un horaire qui était pré-établi et qui est déjà, à l'instant même, dépassé, euh… sur plusieurs audiences. Est-ce qu'il y a des remarques à formuler sur les listes, notamment, qui ont été notifiées aux accusés ? Il y a eu deux notifications aux accusés, me semble-t-il ? La liste de Monsieur l'avocat général, et mardi ­ donc hier ­ dans le courant de la matinée, la liste des témoins qui avait été demandée, soit par la défense, soit par des parties civiles qui n'étaient pas reprises, dans les témoins cités par l'avocat général. Seuls les accusés reçoivent notification puisqu'il n'y a jamais de notification aux parties civiles devant la Cour d'assises et que la notification à l'avocat général c'est simplement la demande qui est faite par les parties par quelque courrier que ce soit. Euh… je vais demander à… donc, tous les témoins ont été notifiés, en tout cas, aux accusés, mêmes ceux qui n'étaient pas convoqués, ne sont pas prévus dans l'horaire. Donc, notamment, je me souviens Maître HIRSCH, par exemple, que vous aviez sollicité peut-être l'audition d'un médecin-psychiatre. Il est notifié donc si ce témoin arrivait même sans convocation, il est dénoncé et peut être entendu comme témoin.

Euh… bien, cet horaire évidemment comme je vous le dis est dépassé, je me réserve évidemment le droit de modifier cet horaire. Euh… il y aura nécessairement des modifications ­ certains des témoins ont déjà fait savoir qu'à la date où ils sont convoqués, ils ne sont pas disponibles, donc il faudra trouver une autre. Certains ne comparaîtront pas, parce qu’ils ne savent pas comparaître ­ parce qu'ils sont détenus, parce qu'ils ont des motifs professionnels, parce qu'ils ne veulent peut-être pas comparaître, nous verrons bien mais… donc, il y a une série de personnes qui ont déjà fait savoir qu'elles ne seraient pas là soit au moment qui était prévu dans l'horaire ­ le moment de la citation ou de la convocation qui leur a été adressée ­ soit qui ont fait savoir qu'elles ne viendraient pas du tout. Et donc, en fonction de ça, nous allons essayer de déplacer les gens, les mettre à des endroits où d'autres ne viendraient pas etc. On vérifiera aussi, au moment opportun, ce qu'il faut faire, lire des déclarations, ne pas les lire, faire venir le juge d'instruction, faire venir un enquêteur pour rapporter la teneur des déclarations. On verra à ce moment là ce qu'il conviendra de faire.

Bien. Euh… ce que la loi impose, c'est que le greffier donne lecture de la liste de ces témoins. Je signale aux personnes qui sont dans la salle et qui peut-être figurent sur ces listes de témoins, que la loi leur interdit d'assister au débat jusqu'au moment où leur témoignage sera reçu. Ce qui signifie que si elles sont présentes dans la salle d'audience, elles vont devoir se retirer et soit aller dans la salle des témoins jusqu'à leur déposition, mais elles ne vont pas rester ­ j'imagine ­ plusieurs jours dans cette salle. Donc, revenir au palais de justice au moment qui serait le plus proche de celui où leur témoignage devrait être reçu et se placer, à ce moment là, dans la salle des témoins. Y a-t-il des oppositions des parties à l'audition de l'un ou l'autre témoin ? Et notamment opposition des accusés à l'un ou l'autre des témoins qui figurent sur les listes qui leur ont été notifiées. Soit parce qu'il y aurait ou pas de notification, ce qui semble ne pas être le cas. Monsieur l'avocat général avait déjà dit que ce qui lui était écrit ou adressé par courrier, valait pour lui notification et les accusés ont en principe dû recevoir notification de tous les témoins. La première liste qu'avait établi Monsieur l'avocat général et ensuite notification de tous les témoins dénoncés, soit par les autres accusés, soit par les parties civiles.

Bien. Euh… Monsieur l'huissier d'audience, au fur et à mesure de l'arrivée des témoins, je vais vous demander de bien vouloir les conduire dans la salle qui leur est réservée et de veiller au respect de mes instructions qui sont les suivantes :

Vous voudrez veiller à séparer les témoins à charge des témoins à décharge, de séparer également les témoins à charge et les témoins à décharge des personnes qui seraient entendues en vertu de mon pouvoir discrétionnaire, si besoin, il faut empêcher les témoins de conférer entre eux du crime et de l'accusé ou des accusés avant leur déposition. Vous savez que les témoins ne peuvent sortir de la salle qui leur est réservée que pour faire leur déposition dès qu'un témoin se présente à l'entrée; vous aurez soin du conduire immédiatement dans cette salle de témoins. Ces instructions valent évidemment pour chacune des audiences au cours desquelles des témoins devraient être entendus.