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Instruction générale d'audience compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction générale d’audience > Audition experts psychiatres et questions
1. Liste témoins 2. Présentation parties 3. Audition juge d’instruction et questions 4. Audition experts psychiatres et questions 5. Audition témoins de contexte
 

5.4. Audition des experts psychiatres et questions

Le Greffier : La Cour.

Le Président : L’audience est reprise, vous pouvez vous asseoir, les accusés peuvent prendre place. Peut-on poursuivre ? Vous souhaitez prendre la parole ?

Me. GILLET : Oui, Monsieur le président, simplement pour vous demander si la Cour souhaite que je dépose l’original du rapport déposé par le Docteur le témoin 30 et Docteur DAYAN maintenant avant d’entendre les experts ou bien après avoir entendu les experts.

Le Président : Ce serait peut-être utile, oui.

Me. GILLET  : Vous l’avez en copie mais je vous ai déposé l’original.

Le Président : Il serait utile que les originaux soient déposés pour qu’ils puissent être joints au dossier en vertu du pouvoir discrétionnaire du président, les deux rapports. Est-ce que les autres parties ont copie de ce rapport ?

Me. GILLET : Copie avant, en sollicitant qu’il soit copié à l’adresse de chacune des parties au procès. Cela a été fait.

Le Président : Les parties l’ont reçue ?

Me. GILLET : Je pense que cela a été fait dès hier après-midi.

Le Président : Il n’y a pas d’opposition des parties à ce que les témoins CROCHELET et DELATTRE soient entendus ensemble ? Ils ont rédigé ensemble les rapports. Dans la mesure où ils vont devoir faire rapport sur quatre accusés alors que le témoin supplémentaire que vous avez demandé, Madame DAYAN, n’intervient que pour deux des accusés, je suggère qu’on commence d’abord avec les Docteurs CROCHELET et DELATTRE pour les deux premiers accusés et qu’ensuite s’adjoigne Madame DAYAN pour les deux autres.

Me. GILLET : C’est exactement ce que j’allais suggérer, je vous remercie.

Le Président : Les Docteurs CROCHELET et DELATTRE. Docteur, quels sont vos nom et prénom ?

Yves CROCHELET : CROCHELET Yves.

Le Président : Votre âge ?

Yves CROCHELET : 71 ans.

Le Président : Votre profession ?

Yves CROCHELET : Neuropsychiatre psychologue.

Le Président : Votre commune de domicile ou de résidence ?

Yves CROCHELET : Uccle.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés avant les faits mis à leur charge ?

Yves CROCHELET : Non, Monsieur le président.

Le Président : Etes-vous parent ou allié des accusés ou des parties civiles ?

Yves CROCHELET : Non, Monsieur le président.

Le Président : Etes-vous attaché au service de l’un ou de l’autre ?

Yves CROCHELET : Non, Monsieur le président.

Le Président : Je vais vous demander de bien vouloir lever la main droite et de prêter les deux serments.

Yves CROCHELET : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité. Je jure de remplir ma mission en honneur et conscience, avec exactitude et probité.

Le Président : Je vous remercie. Docteur, quels sont vos nom et prénom ?

André DELATTRE : DELATTRE André.

Le Président : Votre âge ?

André DELATTRE : 66 ans.

Le Président : Votre profession ?

André DELATTRE : Médecin psychiatre.

Le Président : Votre commune de domicile ou de résidence ?

André DELATTRE : Ixelles.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés avant les faits mis à leur charge ?

André DELATTRE : Non.

Le Président : Etes-vous parent ou allié des accusés ou des parties civiles ?

André DELATTRE : Non.

Le Président : Etes-vous attaché au service des accusés ou des parties civiles ?

André DELATTRE : Non.

Le Président : Je vais vous demander à vous aussi de bien vouloir lever la main droite et de prêter les deux serments.

André DELATTRE : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité. Je jure de remplir ma mission en honneur et conscience, avec exactitude et probité.

Le Président : Je vous remercie, asseyez-vous. Docteurs, vous avez en commun rédigé des rapports d’expertise psychiatrique concernant chacun des quatre accusés, Monsieur NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO, Madame MUKANGANGO et Madame MUKABUTERA. Je vais vous demander dans un premier temps de bien vouloir exposer la mission qui vous a été confiée, je crois que c’est la même mission qui vous a été confiée par le juge d’instruction, la mission a été la même pour chacun des quatre accusés. Je vous demanderai de faire un exposé du contenu des rapports que vous avez établis et des conclusions auxquelles vous êtes arrivés, dans un premier temps uniquement en ce qui concerne Monsieur NTEZIMANA et Monsieur HIGANIRO car nous allons vous adjoindre une psychologue qui, à la demande de la défense de Mesdames MUKANGANGO et MUKABUTERA, a participé à une contre-expertise psychiatrique et donc, il serait souhaitable que vous puissiez être entendus en ce qui concerne les deux religieuses conjointement avec la personne qui a procédé par la suite à cette contre-expertise. Mais en ce qui concerne l’exposé de la mission, je crois que cela peut se faire pour les quatre puisqu’il s’agissait très exactement de la même mission. Docteur CROCHELET.

Yves CROCHELET : Monsieur le président, la mission qui est confiée aux experts psychiatres est toujours la même. Elle nous demande de répondre à trois questions et dans certains arrondissements tels que Bruxelles, à cinq questions. Les trois premières questions sont des questions qui sont centrées sur une éventuelle application de la loi de défense sociale. Il y a en Belgique une loi qui dit que si quelqu’un est considéré comme étant un malade mental, l’avis donné par les experts va conduire le tribunal éventuellement à une décision d’internement au lieu d’une décision de jugement. La première question qui nous est posée est de dire si, au moment des faits reconnus ou des faits liés, la personne qui est inculpée était dans une de ces conditions de la loi de défense sociale, c’est-à-dire était soit en état de démence, soit en état de débilité grave, soit en état de déséquilibre grave, chacun de ces états étant, dans notre appréciation, un état rendant la personne incapable du contrôle de ses actions.

La deuxième question qui nous est classiquement posée est de dire si, au moment de nos examens, la personne représente un de ces états précités de démence, de déséquilibre mental grave ou de débilité grave. La troisième question qui nous est posée est de dire si la personne présente éventuellement une dangerosité sociale particulière, sous entendu découlant de cette maladie grave que nous aurions mise en évidence. Je vous l’ai dit certains arrondissements, c’est le cas de Bruxelles, ajoutent deux autres questions, ce n’est pas partout comme cela. La quatrième question qui est ajoutée est de décrire si possible la personnalité de l’inculpé et éventuellement de parler, si c’est possible, de la dynamique de son comportement dans le cadre du délit qui aurait été commis. La cinquième question posée à Bruxelles entre autres consiste à donner notre appréciation sur d’éventuels éléments dont nous estimerions nous autres psychiatres qu’il y a lieu de tenir compte pour une application plus judicieuse de la loi.

Il nous est dit aussi dans notre mission que nous avons le droit de nous entourer de confrères spécialisés éventuels et de psychologues. Monsieur le président vient de dire qu’une psychologue allait intervenir. Je dois vous dire que nous autres, nous le faisons systématiquement et que dans le cas des quatre inculpés, nous avons eu recours à la collaboration d’une psychologue. Plus exactement en 1995 quand nous avons été désignés pour les deux messieurs, Monsieur NTEZIMANA et Monsieur HIGANIRO, nous avons eu recours à la collaboration de deux psychologues, un homme et une femme. Ces psychologues nous ont fait rapport et ces rapports ont été joints, nous en avons tenu compte bien sûr, à notre rapport collectif établi par nous deux.

Dans le cas des deux dames, c’était en 1999 ou en 2000, nous n’avons fait appel qu’à une seule psychologue, une femme, qui nous a également fait rapport au sujet de ces deux dames. Je peux encore vous dire, puisqu’on parle de la mission dans sa globalité, que vous pouvez vous en douter puisqu’il y a procès, cela veut dire que soit nous avons donné un avis qui n’a pas été suivi, soit que nous n’avons pas donné un avis négatif, c’est-à-dire en fait que nous n’avons pas donné comme avis qu’éventuellement l’un ou l’autre de ces quatre inculpés présenterait une maladie mentale grave.

Nous avons répondu par la négative à la première question. Pour chacun des quatre, je peux déjà le dire, Monsieur le président, nous avons répondu par la négative à la première question. Nous avons, pour chacun des quatre, dit que la personne inculpée n’était pas, au moment des faits qu’elle niait en réalité, dans un état de démence ou dans un état grave de déséquilibre mental ou dans un état grave de débilité mentale, états rendant incapable du contrôle des actions. Nous avons donné une réponse identique pour la deuxième question disant qu’au moment de nos examens, chacune de ces personnes n’était pas non plus dans l’un de ces quatre états. Nous avons donc fatalement donné également une réponse négative à la troisième question puisque nous ne mettions pas en évidence de maladie mentale, nous ne mettions donc pas en évidence une dangerosité sociale grave qui découlerait d’une maladie mentale grave puisque nous n’en avions pas vue. Après, nous avons fait des commentaires sur chacun en fonction de la personnalité de chacun.

Le Président : Si vous voulez bien aborder maintenant l’examen que vous avez opéré et les conclusions plus précises auxquelles vous êtes arrivés en ce qui concerne Monsieur Vincent NTEZIMANA ?

Yves CROCHELET : Nous avons pris l’habitude, nous sommes assez souvent requis en Cour d’assises, nous rédigeons toujours à deux mais il y a un rédacteur principal du document, bien sûr en accord avec l’autre et nous avons pris l’habitude, pour ne pas trop mélanger nos souvenirs parce que tout cela se fait de mémoire hélas, que c’est celui qui a rédigé qui expose ce qui a été rédigé par les deux. C’est ainsi que c’est mon confrère qui va parler pour Monsieur NTEZIMANA.

Le Président : Nous vous écoutons, Docteur DELATTRE.

André DELATTRE : Monsieur NTEZIMANA s’est montré collaborant au cours des entretiens. Il s’est montré calme, très maître de lui, donnant l’impression de quelqu’un qui est bien équilibré. Il nous a parlé des problèmes politiques qu’il y avait au Rwanda. Il nie toute participation au génocide, expliquant qu’il est victime de déclarations mensongères ou de vengeances d’ennemis politiques. On l’a soumis à deux expertises psychologiques qui sont entièrement concordantes et qui montrent en fait que Monsieur NTEZIMANA n’a pas de problèmes psychotiques, pourrais-je appeler, à l’examen clinique, les tests étant parfois plus sensibles, qu’il n’a pas de problèmes névrotiques graves, qu’il n’a pas de problèmes cognitifs. La seule chose qu’on trouve chez lui, c’est qu’il a des traits obsessionnels.

Maintenant, des traits obsessionnels à un niveau non pathologique et faisant partie de la personnalité de l’individu. Il nous a raconté qu’il est issu d’une famille pauvre, qu’il a fait des études brillantes parce qu’au Rwanda, le système est tel qu’il faut être dans les 10 premiers % pour pouvoir faire des études secondaires, il a été dans les 10 premiers %, il a fait ses études secondaires. Il est venu en Europe par la suite où il a acquis un diplôme universitaire de physique, puis il est retourné au Rwanda pour donner cours, je crois, dans une université de physique, puis il est revenu en Belgique pour un doctorat qu’il a fait en météorologie, puis il est retourné au Rwanda. Il a un parcours scolaire et professionnel très brillant.

Les traits obsessionnels que j’ai notés tout à l’heure sont assez courants chez les gens qui s’occupent de chiffres, de mathématiques et la physique est une branche mathématique. Ces traits doivent être tout à fait courants et normaux et souhaitables, je dirais même, dans le cadre de son métier. On peut dire des examens cliniques et des examens psychologiques que Monsieur NTEZIMANA est tout à fait indemne d’une pathologie psychiatrique quelconque. J’ai oublié de dire aussi que lui-même ne signale aucun antécédent psychiatrique ou psychotique particulier ni même d’antécédents médicaux en général. Dans l’enfance, il a été atteint de malaria et de rougeole, ce sont des maladies qui ne laissent pas de trace ultérieurement. Donc, il est indemne de toute pathologie. Au contraire, il apparaît comme quelqu’un de parfaitement maître de lui, bien équilibré psychologiquement et étant parfaitement capable de maîtriser sa vie. D’après ce qu’il nous a dit, un bon indice d’équilibre aussi, c’est que sa vie familiale semble réussie, du moins c’est ce qu’il nous a dit à l’époque.

Le Président : Vous avez peut-être été un peu frappé, notamment en raison du cursus scolaire et universitaire de Monsieur NTEZIMANA, de relativement faibles résultats au point de vue du calcul du quotient intellectuel ?

André DELATTRE : Oui, c’est vrai. Les psychologues avaient fait cela et effectivement il a un résultat qui est moyen, normal, de l’ordre de 100, ce qui est normal mais ce qui est en principe insuffisant pour réussir avec succès des études universitaires. Je crois que cela s’explique par toute une série de choses, notamment une certaine lenteur dans l’exercice. Or, les tests tiennent compte de la vitesse d’exécution. Cette lenteur peut être le témoin d’une recherche de qualité plus qu’une recherche de quantité. Il vise à la qualité des réponses plutôt qu’à la quantité des réponses. C’est lié aussi à ses traits obsessionnels qui montrent une certaine méticulosité, un doute, ce qui peut ralentir aussi l’exécution du test.

Il faut aussi tenir compte que ces tests ont été essentiellement validés pour une population européenne et américaine et pas pour le monde entier en quelque sorte. Il est constant d’observer que les tests pour les gens qui ont été issus d’Afrique et qui ont eu une enfance dans une culture tout à fait différente de la nôtre, ont des résultats qui ne correspondent manifestement pas avec la clinique, avec leur biographie et avec leur culture. C’est une constatation tout à fait courante qu’on fait et en fait, dans ce cas-ci, on peut dire que le test a été sous-évalué pour l’ensemble de raisons que je peux dire. De toute façon, c’est toujours la clinique et le cursus, la réalité qui l’emporte. Mais comme le test à l’époque avait été complet, on avait pour cette raison demandé à deux psychologues. Normalement, on n’aurait pas demandé de QI mais à l’époque, en 1995, vu l’importance de l’affaire, on a voulu s’entourer de toutes les précautions possibles et imaginables, c’est pour cela qu’on a fait appel à deux psychologues, on a fait tous les examens psychologiques, etc., mais cela n’a pas de signification.

Le Président : Vous souhaitez ajouter, en ce qui concerne la personnalité de Monsieur NTEZIMANA, quelque chose à ce qu’a dit votre confrère ?

Yves CROCHELET : Non, Monsieur le président.

Le Président : Vous allez alors aborder, j’imagine, étant le rédacteur principal du rapport rédigé quand même en commun la personnalité de Monsieur HIGANIRO.

Yves CROCHELET : Monsieur HIGANIRO a, je crois, 51 ans maintenant, il en avait 46 quand nous l’avons examiné en 1995. Je précise que nos examens se font au départ de ce que les gens nous donnent comme informations, nous n’avons pas un rôle d’enquêteurs et nous travaillons avec ce qu’ils nous donnent. Monsieur HIGANIRO déclare être issu d’une famille de paysans où il y avait huit enfants. Son père est mort quand il était petit, quand il n’avait que quatre ans, il a été certainement soumis à un traumatisme psychologique. Il y a, d’autre part, cette particularité que dans ces huit enfants, il y a trois garçons et cinq filles et d’après ce qu’il nous dit, il est le seul des huit à avoir été dans des écoles, les autres n’ont pas été scolarisés du tout. Lui, par contre, l’a été d’une façon brillante puisqu’il a fait ses études primaires, il a fait ses études secondaires, il a terminé à 20 ans, je ne sais pas à quel âge il les a commencées, je n’ai pas pensé à le demander, on n’a pas cette précision.

Et puis, il est venu en Belgique et il a fait en Belgique, d’abord pendant trois ans Louvain et puis une quatrième année à Louvain-la-Neuve, sans doute à cause du transfert des universités, une licence en mathématiques. J’ai oublié de dire une chose : au sujet de sa phratrie, de ses deux frères et de ses sœurs, ainsi que de sa mère, quand on lui demande : « Qu’en   est-il pour eux, que sont-ils devenus ? ». Il dit qu’il suppose qu’ils sont tous morts, qu’ils auront tous été assassinés. Il est sans nouvelles et il dit qu’il suppose cela. Donc, il a fait des études universitaires, licence en mathématiques. Il revient dans son pays. Dans son pays, il est d’abord enseignant pendant trois ans. Après avoir été enseignant pendant trois ans, il entre dans l’administration, si j’ai bien compris à la lecture des journaux parce que c’est une précision que je n’avais pas, qu’il n’avait pas donnée, il a été d’abord dans l’administration à l’inspection de l’enseignement. J’ai également lu dans le journal qu’il était revenu en Belgique à un moment donné pour…

Le Président : Oui, mais ce que vous lisez dans le journal, ce n’est pas votre expertise.

Yves CROCHELET : C’est parce qu’il est écrit qu’il serait revenu en Belgique pour…

Le Président : Ce qui ne veut pas dire que ce n’est pas vrai ce qui est écrit dans les journaux…

Yves CROCHELET : Cela m’a frappé qu’il serait revenu en Belgique cette fois-là à Anvers, un établissement universitaire d’Anvers pour une formation complémentaire, je ne sais pas laquelle. Je reviens au fait qu’il a donc d’abord été dans l’administration, puis dans l’administration à un niveau international pour son pays, au total pendant onze ans à peu près si j’ai bon souvenir.

Le Président : Neuf ans. De 1982 à 1991.

Yves CROCHELET : D’abord deux ans dans l’administration locale, si j’ai bon souvenir.

Le Président : De 1978 à 1982 dans l’administration, à l’éducation nationale, dirons-nous, de manière globale.

Yves CROCHELET : C’est cela, je crois que j’étais arrivé à treize ans, je me trompe peut-être sur la durée. Puis, il a été nommé ministre pendant près d’un an, pendant dix mois. Après cela, il est devenu directeur d’une fabrique d’allumettes au Rwanda. Il est marié avec une femme qui a treize ans de moins que lui, qui a fait des études secondaires. Il a deux enfants, ils avaient onze ans et huit ans quand nous les avons vus, un garçon et une fille, qui ont maintenant seize et treize ans. Il ne signale aucun problème d’entente avec sa femme, avec ses enfants, avec sa famille, avec qui que ce soit. Quand on l’interroge, il ne fait état d’aucun problème et il se dit bien dans sa peau. Mais il faut alors noter une chose, c’est que la personnalité de Monsieur HIGANIRO a comme caractéristique que c’est un homme assez renfermé, assez rigide, un peu méfiant, sur la défensive, qui en dit un minimum.

Je vais m’expliquer quand je dis sur la défensive, je vais y revenir : qui en dit un minimum, qui est assez rigide, assez fermé, un peu méfiant et une des psychologues intervenant le confirme parce qu’il l’a même menacée de se plaindre à son avocat des questions qu’elle lui posait. Donc, quelqu’un qui est sur la défensive, méfiant et rigide. L’examen clinique et l’examen psychométrique sont à ce niveau concordants pour estimer qu’il y a chez ce monsieur une discrète composante paranoïde, ce qui n’est pas du tout une maladie mentale, c’est une composante de personnalité qui existe chez certains d’entre nous ici présents dans la pièce. Mais une composante de personnalité paranoïde où on est méfiant, on ne veut pas se livrer et là j’ai dit que j’allais préciser parce que s’il est sur la défensive, cela ne sous-entend pas qu’il est en train de se défendre contre une accusation, si vous voulez. Globalement sa personnalité est ainsi faite. Peut-être même que dans un groupe d’amis, de collègues, il aurait également cette même attitude, que ce soit maintenant ou que ce soit jadis. Ce n’est pas quelqu’un qui se livre. Il dit d’ailleurs de lui-même qu’il n’aime pas tout ce qui est psychologique.

Quand on lui demande quels sont ses centres d’intérêts, il aime bien les films d’action, des histoires comme cela mais pas ce qui est psychologique. Nous avons affaire à quelqu’un qui a un fort bon niveau intellectuel manifestement pour avoir réussi des études universitaires, à quelqu’un chez qui nous n’avons trouvé aucune maladie mentale, que ce soit une psychose avec hallucination, avec délire, qui n’est pas atteint, entre autres, d’une psychose paranoïaque, ce n’est pas un malade paranoïaque. Il n’est pas débile, il n’est pas dément. Nous n’avons pas mis en évidence non plus de troubles pervers caractériels, psychopathiques, avec un plaisir à mal faire, avec une agressivité impulsive, etc., incontrôlée. Finalement, nous trouvons, je dirais le tableau d’un peu monsieur tout le monde avec une dimension paranoïde modérée et qui n’a rien de pathologique. Nous avons conclu en disant : « Nous n’avions pas de commentaires à faire quant à une application judicieuse de la loi puisque nous n’avions pas mis en évidence une pathologie particulière ».

Le Président : Nous allons peut-être suspendre votre audition pour faire venir Madame DAYAN pour parler des personnalités de Mesdames MUKANGANGO et MUKABUTERA.

André DELATTRE : Je peux poser la question, Monsieur le président, de savoir si c’est la personne qui s’est occupée de l’une des deux au point de vue psychologique ?

Le Président : Non, c’est une psychologue qui a réalisé des tests psychologiques à la demande de la défense de chacune d’entre elles. Une mission demandée par la défense avait été confiée au Docteur le témoin 30 qui, lui, ne savait pas venir aujourd’hui. Par contre, la psychologue qui a en quelque sorte assisté le Docteur le témoin 30 comme vous-mêmes aviez eu recours à d’autres psychologues, c’est donc un peu cette position qu’occupe cette personne, c’est la psychologue à laquelle le Docteur le témoin 30… Si Madame DAYAN est présente, elle peut approcher.

Le Président : Madame, quels sont vos nom et prénom ?

Michaëlla DAYAN : DAYAN Michaëlla

Le Président : Quel âge avez-vous ?

Michaëlla DAYAN : 27 ans.

Le Président : Quelle est votre profession ?

Michaëlla DAYAN : Psychologue.

Le Président : Quelle est votre commune de domicile ou de résidence ?

Michaëlla DAYAN : Waterloo.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés avant les faits qui leur sont reprochés ?

Michaëlla DAYAN : Non.

Le Président : Etes-vous parente ou alliée des accusés ou des parties civiles ?

Michaëlla DAYAN : Non.

Le Président : Etes-vous attachée au service de l’un ou de l’autre ?

Michaëlla DAYAN : Non.

Le Président : Je vais vous demander, Madame, de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment uniquement de témoin.

Michaëlla DAYAN : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie, asseyez-vous, Madame, auprès des docteurs CROCHELET et DELATTRE. Un petit mot d’explication aux jurés en ce qui concerne les serments qui ont été prêtés. Vous avez constaté que les deux médecins ont prêté un serment de témoin et un serment d’expert et que Madame DAYAN n’a, pour sa part, prêté que le serment de témoin. Cela ne veut pas dire que Madame DAYAN n’est pas experte dans sa matière, qu’elle n’a pas d’expérience et qu’elle ne sait rien de ce dont elle va nous parler mais en justice, ne prêtent le serment d’expert que ceux qui ont été requis comme experts par une autorité judiciaire, par le procureur du roi, par le juge d’instruction, par le président du tribunal, par l’avocat général, par le président de la Cour d’assises. Lorsque l’expert, dans le terme commun, est consulté par la défense, il ne peut pas prêter le serment d’expert. Cela ne veut donc pas dire que la qualité du travail serait différente parce que l’on prête ou l’on ne prête pas le serment d’expert. Cela arrive d’ailleurs que les deux experts qui ont prêté le serment d’expert aujourd’hui soient consultés parfois par la défense et ne prêtent pas leur serment d’expert lorsqu’ils sont convoqués parce qu’ils ont été consultés à ce moment-là par la défense et pas par une autorité judiciaire. La différence de statut dans les prestations de serment n’a rien à voir avec la qualité intrinsèque des renseignements qui pourraient être communiqués par les personnes qui sont entendues. Cette précision étant donnée, je vais, malgré tout, donner d’abord la parole aux Docteurs CROCHELET et DELATTRE pour qu’ils relatent, d’abord en ce qui concerne Madame MUKANGANGO, les résultats de leurs examens et de leurs conclusions.

Yves CROCHELET : Madame MUKANGANGO ?

André DELATTRE : C’est moi qui en parle.

Le Président : C’est sœur Gertrude, c’est la mère supérieure.

André DELATTRE : Mon confrère a cru que c’était lui, mais c’est moi qui ai rédigé le texte. On l’appelle sœur Gertrude qui a un autre prénom qui est Consolata. Elle a été examinée en 1999, je crois que notre rapport date du début de l’année…

Le Président : La date du rapport est le 4 février 2000. J’imagine que vos entretiens se sont passés avant.

André DELATTRE : Elle a été examinée par chacun de nous deux et par une psychologue. L’intéressée se décrit comme issue d’une famille pauvre, une famille de cultivateurs où il y avait cinq enfants. Sa mère est décédée l’année passée d’une infection gastrique en 1999. Son père est mort tué en 1994. Au passage, je signale qu’elle n’a pas dit tué par qui et aussi qu’à aucun moment, en tout cas face à moi, je ne crois pas face à mon confrère non plus, elle ne m’a fait mention soit d’une ethnie soit de l’autre en disant : « Moi, je suis Tutsi ou je suis Hutu, ou ce sont les Hutu qui ont tué mon père ou ce sont les Tutsi qui ont tué mon père ». Il n’a jamais été question de cela. Elle m’a signalé que son père avait été tué et que sa mère était morte l’année passée. Elle est la seconde d’une phratrie de cinq enfants où il y a un seul garçon. Elle a une sœur aînée, puis vient elle, puis vient un garçon qui est cultivateur, puis il y avait une sœur qui est morte en couche à l’âge de 20 ans, puis il y a encore une autre sœur. Les survivants sont paysans cultivateurs ou leurs conjoints.

Oui, c’est vrai, j’ai oublié de préciser en plus que les deux sœurs sont veuves déjà, je ne sais pas pour quel motif. C’est assez particulier, la vie, je suppose en village, fait que l’intéressée a été peu scolarisée et n’a pas su donner avec précision le nombre d’années d’études qu’elle a faites. Elle a parlé de trois années d’études primaires, elle a parlé d’études post-primaires pendant un certain nombre d’années, je n’ai pas le chiffre exact, et puis d’une période de vie auprès de sa mère, ses parents donc, et ensuite de l’entrée au couvent à l’âge de 19 ans. Elle entre dans un couvent de bénédictines, où elle reste pendant huit ans. Au bout de huit ans, elle est envoyée en Belgique, d’abord en France, Nantes ou Nancy, j’ai oublié.

Le Président : Angers.

André DELATTRE : Angers, et puis ensuite en Belgique, aux bénédictines de Belgique, je suppose, à Hermeton ou à Maredret, sans doute, pour une formation religieuse en théologie pendant deux ans. Au bout de deux ans, me dit-elle, elle demande à retourner dans son pays parce qu’elle ne se sent pas bien, ça ne va pas, elle ne supporte pas bien, elle a des problèmes entre autres d’estomac, elle se fatigue. Au passage, remarquons qu’il y a peut-être une certaine fragilité psychologique qui se découvre. Elle retourne dans son pays, dans son couvent. Je crois que trois ans plus tard, elle reviendra en Belgique pour une troisième année d’étude en théologie et puis elle retournera à nouveau dans son couvent et puis en 1993, elle devient supérieure de ce couvent où elle a avec elle une trentaine de consœurs et où on vit une vie cloîtrée monacale. L’inculpée présente peut-être une fragilité psychologique puisqu’elle a dû à un moment donné retourner au Rwanda, elle n’a pas continué sa théologie à ce moment-là, mais elle est revenue après.

L’inculpée se présente à nous comme étant victime des accusations de deux de ses collègues, deux de ses religieuses dont elle était la supérieure et, comme les autres inculpés d’ailleurs, nie tout fait délictueux génocidaire ou autre de sa part. Elle s’étend sur la situation qu’elle a connue. J’insiste sur le fait que nous ne sommes pas chargés d’enquêtes, nous n’avons pas commencé à vérifier : « Mais vous dites ceci, mais un tel témoin dit cela, etc. », ce n’est pas notre rôle. Nous, nous voyons comment les gens se présentent à nous et ce qu’ils disent et à travers cela, nous essayons de percevoir leur personnalité. Elle se décrit comme ayant été confrontée à une situation terrible qui a duré une à deux semaines, une petite quinzaine de jours où elles ont été témoins d’atrocités, où elles ont été menacées, où on leur a dit : « On va vous fusiller ou on va vous tuer ». Et puis, non, elles ont donné de l’argent, c’était remis au lendemain. A un moment donné, l’intéressée, sœur Gertrude, se serait proposée avec deux autres comme volontaires pour être tuées à condition qu’on épargne les autres religieuses et il y a eu toutes sortes de problèmes, on a eu cette histoire de papier, une liste, mais qu’on a mal interprétée, que cette liste n’était pas du tout une liste destinée aux tueurs mais que c’était une liste essayant de sauver les gens, etc. Mais donc, elle se décrit comme ayant été confrontée à un vécu terrifiant où d’ailleurs on ne faisait même plus à manger, dit-elle, à un moment donné puisqu’on se disait : « A quoi ça sert encore de préparer à manger puisqu’on va être tué ».

Après tout un parcours, elle s’est retrouvée en Belgique, marquée de ce qu’elle avait vécu et, dit-elle, trois mois plus tard, sa situation s’est encore aggravée parce que voilà que trois mois plus tard, on a commencé à l’accuser d’être coupable de la mort d’autres personnes. Elle a été confrontée à ce problème supplémentaire. Ne dormant pas, étant sujette à des réminiscences où elle revoyait toutes ces atrocités, elle parle de l’impression d’avoir de l’eau dans la tête, d’être mal en elle-même, les termes utilisés « eau dans la tête » n’ont pas de signification, cela veut dire simplement décrire dans ses mots à elle une situation de malaise, une situation de souffrance, une situation d’angoisse, de dépression, de ce que nous appelons, nous autres, un syndrome post-traumatique. On appelait cela jadis une névrose post-traumatique, on dit maintenant un syndrome post-traumatique, un PTSD, disent les Américains, Post Traumatic Syndrome Disorder. Puis, elle a fait l’objet, c’est pour cela que j’ai posé la question, Monsieur le président, avant que Madame entre, elle a fait l’objet, elle a d’abord été pendant quelques mois en repos à Hermeton-sur-Bierves, à côté de Maredret et puis elle est allée à Maredret et elle a fait l’objet d’un suivi psychologique de la part d’une carmélite qui, si j’ai bien compris, se charge de venir en aide psychologique - elle a peut-être un diplôme, une formation, je ne sais pas - aux religieux ou aux religieuses en souffrance psychologique et elle a eu des entretiens qui n’auraient toutefois été que mensuels avec cette carmélite. J’ai supposé que c’était une psychologue, je n’en ai pas de certitude.

Après cela, ça allait mieux, elle dit que ça va mieux mais elle reste manifestement marquée de troubles de la lignée post-traumatique, donc encore maintenant avec des réminiscences, des images qui lui reviennent à l’esprit et de la fatigue, etc. Elle se dit mieux mais elle est encore marquée. Notre appréciation est qu’il persiste chez elle un état de stress post-traumatique. D’autre part, l’examen clinique et l’examen psychométrique sont concordants pour dire que cette personne a une personnalité relativement fragile. Je ne vais pas m’étendre sur les termes utilisés, éviter de parler de personnalité psychotique ou de personnalité névrotique, n’entrons pas dans ces mots sinon nous allons nous perdre dans des complications de description et peut-être que chacun n’emploiera pas les mêmes mots dans le même sens que le voisin. Mais tout cela pour résumer une personnalité relativement fragile et deuxièmement une personne atteinte d’un état de stress post-traumatique qui perdure encore actuellement.

D’autre part, nous n’avons pas mis en évidence chez l’intéressée d’état psychotique délirant, hallucination, délire, tout ce que vous voulez, de paranoïa par exemple, quand elle dit qu’elle a deux sœurs qui lui en voulaient, ce n’est pas dans un contexte délirant, persécutif. Nous n’avons pas mis en évidence chez elle de débilité ni de démence, ni d’organisation psychopathique où il y aurait un plaisir à faire mal, à faire souffrir, à agresser, etc., une impulsivité agressive habituelle. Nous n’avons, dès lors, pas de commentaires supplémentaires à faire au sujet de l’application de la loi. Mais on peut considérer la fragilité de la personne quand même et son état post-traumatique. Voilà, Monsieur le président…  je croyais que mon confrère avait quelque chose à ajouter.

Le Président : S’il a quelque chose à ajouter, il peut le faire, bien sûr. Sinon, Docteur DELATTRE, je vais vous demander peut-être, vous alors, de parler de la personnalité de Madame MUKABUTERA, sœur Marie Kizito.

André DELATTRE : Sœur Marie Kizito est aussi issue d’une famille pauvre. Sa scolarité a été relativement minime. Elle a doublé sa 5ème primaire, elle a fait trois ans d’études secondaires et puis, elle a entrepris d’entrer dans les ordres en venant notamment ici en Belgique pour suivre des cours de théologie qui lui ont permis de faire ses vœux définitifs il y a quelques années. Le contact qu’on a avec elle est un peu particulier en ce sens qu’elle se montre fort apeurée lors du contact tout en se montrant collaborante, mais elle se montre fort apeurée, parfois un peu confuse dans son discours, ses confusions toujours centrées sur ce qui s’est passé au moment des événements qu’elle a vécus. Elle décrit, enfin mon confrère l’a fait, c’est la même situation que l’autre sœur, une situation où elles étaient soumises à des menaces extrêmement graves pour leur vie, répétées, à des tensions tout à fait considérables qu’elles devaient supporter et elle disait au début qu’elle était accusée d’avoir porté de l’essence aux militaires pour brûler des réfugiés. Par la suite, elle dit que c’est une accusation qui est tout à fait fausse. Elle raconte qu’elle est sortie du monastère pour aller chercher des vivres pour le monastère, qu’elle a essayé d’empêcher les miliciens d’entrer dans le monastère, son discours était tout le temps centré sur des faits qui s’étaient passés lors des événements de 1994 et, comme le disait mon confrère, ce n’est pas à nous de voir si ce qu’elle dit correspond à des témoignages ou à la vérité, ce n’est pas notre problème. Son niveau intellectuel est d’un niveau normal, mais assez bas quand même, disons normal bas, ce qui correspond à son cursus scolaire.

Elle a des symptômes post-traumatiques en ce sens qu’elle vit toujours dans sa tête, des souvenirs lui reviennent des événements qu’elle a subis, notamment quand il y a un an ou deux on lui a montré des photos de la mission reconstruite et de sa mère qu’elle n’avait plus vue depuis très longtemps, elle a été malade, dit-elle, pendant huit jours par les souvenirs qui lui revenaient de la période épouvantable qu’elle a passée. Aux tests psychologiques, ce qui apparaît surtout, c’est cet aspect de souffrance post-traumatique avec une émotivité très importante, des souvenirs traumatisants. On ne lui a pas trouvé, par contre, de pathologie psychiatrique particulière dans le sens d’une psychose, d’une psychopathologie ou d’une névrose grave. Mais, par contre, on lui a quand même trouvé une certaine difficulté à s’adapter, un besoin d’être encadrée, une difficulté à s’assumer seule, un besoin d’être encadrée qu’elle a évidemment parfaitement résolu en ayant une vocation religieuse qui est un milieu particulièrement structuré et encadrant. On peut dire que, même si tout le monde, dans une situation telle qu’elles disent avoir vécue, peut avoir des réactions qu’on ne peut pas anticiper, cela peut aller dans tous les sens, cela peut arriver à tout le monde, mais quelqu’un qui a tout de même une certaine fragilité psychologique, un besoin de structure dans un milieu aussi déstructuré que celui qui a été décrit pendant le génocide, cette personne se décompensera encore un peu plus et elle aura encore plus de mal à faire face à cette situation tout à fait exceptionnelle. En ce sens, il est indiqué pour elle tout de même de continuer à bénéficier d’une aide psychologique pour l’aider à surmonter le stress post-traumatique qu’elle a de toute façon subi quoiqu’elle ait fait, elle a subi également des traumatismes psychologiques importants qu’on peut l’aider à surmonter.

Le Président : Docteur CROCHELET, vous souhaitez ajouter quelque chose ?

Yves CROCHELET : Non.

Le Président : Je vais alors demander à Madame DAYAN, qui, elle, n’est pas médecin psychiatre et qui est donc uniquement psychologue, qu’elle expose ce qu’elle peut tirer comme conclusions au plan de la personnalité des examens psychologiques auxquels elle a procédé en ce qui concerne d’abord Madame MUKANGANGO (sœur Gertrude) et ensuite en ce qui concerne Madame MUKABUTERA (sœur Marie Kizito).

Michaëlla DAYAN : je tiens tout de suite à dire aussi que le rapport a été fait en collaboration avec le Docteur Paul le témoin 30 qui est neuropsychiatre. Tout ce qui a été dit, je pense qu’il y a des éléments similaires par rapport à ce qui a été dit. Mais on a quand même quelques nuances et des éléments, disons, peut-être supplémentaires à apporter aujourd’hui qui nous semblent assez importants. Avant de commencer au niveau testing, c’est vrai que je vous l’ai apporté, je ne l’ai pas recommencé puisque ce qui a été dit au niveau antécédents, on a fait une anamnèse qui est assez commune entre nous en tout cas mais on voulait quand même bien insister sur les apprentissages, le conditionnement d’un contexte familial et comment finalement une personnalité se construit via ce conditionnement. On voit, comme ce qui a été dit, que sœur Gertrude est issue d’un milieu modeste, chrétien, donc religieux pratiquant et où finalement certaines valeurs étaient apprises dès sa plus jeune enfance, c’est-à-dire l’obéissance, la soumission, l’humilité, l’altruisme, l’amour de son prochain et autres. Et qu’en fonction de ces apprentissages, s’est construite une personnalité que nous, nous définissons personnalité soumise, très effacée, très passive et dépendante. Ce qu’on appelle, nous, personnalité dépendante, c’est une personne qui va avoir des comportements soumis, qui va avoir des difficultés à prendre des décisions, à se montrer active, qui aura toujours besoin en tout cas de l’approbation d’autrui pour prendre des décisions, qui va avoir des difficultés à vivre des événements difficiles, à surmonter des obstacles, etc.

On voit aussi une anxiété qui est existentielle et qui devient pathologique, qui est fort révélée d’ailleurs à travers le testing et qui est issue des événements subis en 1994 et relative à un état de stress post-traumatique, ce qui a été dit. Au niveau du testing, ce qui a été relevé, ce sont vraiment des éléments similaires, une personnalité fragile, c’est vrai qu’on ne va pas rentrer dans un jargon psy que peut-être personne ne comprendrait, c’est vrai qu’il y avait des éléments psychotiques mais limitons-nous à parler de personnalité fragile, faible, à petite dimension. Mais aussi, c’est vrai, ni le Docteur CROCHELET ni le Docteur DELATTRE n’en ont parlé mais je crois que Madame ZYAN, psychologue qui a réalisé des tests pour vous avait parlé, je crois que c’est important de nuancer cela, d’une composante perverse de la personnalité, enfin dans les rapports que j’ai lus.

Yves CROCHELET : Vous remarquerez que nous n’avons pas repris ce terme dans notre rapport. Cela a été écrit par une psychologue que nous avons consultée mais justement ce terme prêtant à tellement de malentendus, nous ne l’avons pas repris.

Michaëlla DAYAN : Mais les rapports figurant au dossier, il était peut-être important pour nous de l’exposer ici. Nous ne retrouvons pas du tout ces éléments à travers le protocole. Ce qu’il faut dire, c’est que nous avons rencontré l’accusée un peu plus d’un an après la rencontre avec les psychiatres et Madame ZYAN et les réponses ne sont plus les mêmes. Il y a toujours une angoisse massive importante qui est issue du traumatisme et qui est fort explicite à travers le testing mais il y a une certaine évolution, on voit qu’il y a quelques efforts pour surmonter l’angoisse même si celle-ci revient toujours, il n’y a pas les mêmes réponses, on pourrait se demander si elle n’est pas en meilleure voie, en tout cas depuis un an et demi. Mais ici aujourd’hui, l’état de stress post-traumatique est encore important et nous pensons qu’un suivi psychologique serait en tout cas intéressant, approprié pour cette personne.

Au niveau composante perverse, je ne vais peut-être pas m’étendre là-dessus. Mais en tout cas, ce que nous voulions dire là-dessus, c’est que : « Qu’entend-on par perversité, perversion ? ». C’est une notion qui est fort stigmatisée aujourd’hui et il faut être prudent là-dessus. Perversion, perversité, personne qui jouit de la souffrance des autres, qui aurait une volonté consciente à faire du mal de manière volontaire, qui serait dénuée de toute empathie et d’affectivité, qui ferait preuve de cruauté, d’amoralité, etc. Ce n’est pas du tout le cas de sœur Gertrude ni de sœur Kizito, j’y reviendrai après. C’est plutôt finalement une personne qui, par sa vocation, son choix religieux ou philosophique, est conditionnée, aussi par son contexte familial, c’est une personne qui se voue aux autres, à Dieu, à l’Eglise, aux Hommes. Finalement, on pourrait peut-être même parler d’altruisme exacerbé. On a eu en tout cas l’impression que c’était une personnalité tellement effacée pour être justement au service des autres, rien que pour les autres, les protéger, tous les hommes, égaux, face à Dieu, cette puissance-là en haut et idéalisée. Voilà pour sœur Gertrude.

Le Président : Pour sœur Marie Kizito ?

Michaëlla DAYAN : Le profil est assez commun, je crois que cela a été dit aussi. Elle est issue aussi d’un milieu assez similaire, donc religieux, modeste, etc., où les mêmes valeurs y sont apprises. Elle a appris à être obéissante, à être modeste, humble et j’en passe. Elle s’est vouée aussi à l’Eglise, à la religion, etc. Elle présente, quant à elle, une angoisse qui est retrouvée au niveau testing mais au niveau critères, on retrouve cet état de stress post-traumatique, chronique finalement pour les deux, puisque les symptômes persistent sur une période de plus de trois mois, cela fait sept ans, même s’il y a des améliorations, quelques symptômes qui tendent à se résorber ou qui le sont déjà, l’état de stress post-traumatique est encore important et même peut-être encore plus important, c’est-à-dire qu’on trouve un nombre plus important de critères chez sœur Kizito que par rapport à sœur Gertrude au niveau de cet état de stress post-traumatique. On peut émettre l’hypothèse que l’angoisse serait encore plus forte chez sœur Kizito. Angoisse massive, j’en ai parlé.

Au niveau du testing, c’est très similaire par rapport à ce qui a été révélé par Madame ZYAN, observé par elle, une personnalité aussi fragile, etc. Nous émettons des nuances, comme je l’ai dit, par rapport à sœur Gertrude aussi, une personnalité dépendante et je dirais même encore plus dépendante que sœur Gertrude, avec des capacités, même si toutes les deux ont des capacités intellectuelles moyennes à faibles, sœur Kizito a peut-être encore moins de ressources affectives, intellectuelles que sœur Gertrude par aussi sa formation, elle était novice, sœur Gertrude était supérieure. Même sans discréditer la notion de supérieure, ce n’était pas une femme à hautes responsabilités, elle n’avait pas la trame d’une héroïne. Le profil est assez commun mais on remarque que l’angoisse est plus massive chez sœur Kizito actuellement à cause des événements subis, des atrocités vues et qui sont encore très vives dans son esprit et d’ailleurs au niveau du testing, sur la période d’un peu plus d’un an, entre les rencontres avec Madame ZYAN et les nôtres, on retrouve des réponses quasi similaires et une angoisse qui envahit tout le psychisme, tous les résultats du testing sont formels là-dessus.

Le Président : Les Docteurs CROCHELET ou DELATTRE ont-ils des observations à faire à propos de ce que Madame DAYAN soumet ?

André DELATTRE : Je crois que Madame DAYAN a dit exactement la même chose que nous. Nous employons parfois un autre mot en disant dépendant au lieu de fragile, mais j’ai un peu le sentiment que surtout l’intervention a visé le fait qu’il avait été écrit, effectivement, je n’en ai pas parlé et pourquoi n’en ai-je pas parlé parce que j’estimais que nous n’avions pas retenu la chose mais, le mot pervers a été employé dans le texte de la psychologue que nous avons consultée mais il a été employé d’une façon accessoire et voulant éviter tout malentendu au sujet de ce mot, nous ne l’avons pas repris parce que justement nous sommes bien d’accord avec Madame DAYAN ici présente pour dire que ce n’est pas une personne perverse qui aurait un plaisir à mal faire, etc., ce que j’ai dit quand j’ai dit qu’elle n’était pas impulsive, agressive, avec un plaisir à mal faire, je crois que je l’ai dit tout à l’heure.

Le Président : Les membres du jury souhaitent-ils poser l’une ou l’autre question aux experts, on va dire qu’ils sont tous experts, aux deux experts et au témoin ? Est-ce que les parties ont des questions à poser ? Monsieur l’avocat général.

L’Avocat Général : J’ai une petite question, Monsieur le président, qui s’adresse à Madame DAYAN. Vous avez interrogé Madame MUKANGANGO sur, je lis dans votre rapport : « La souffrance, son attitude face à la souffrance d’autrui ». Est-ce que vous pourriez nous dire ce qu’elle a répondu, si vous vous en souvenez et si la phrase qui figure dans votre rapport est sa phrase à elle ?

Michaëlla DAYAN : Quand je mets toujours au niveau de la parole dite, c’est en italique et entre guillemets, donc ce sont ses propres mots. Par rapport à la souffrance d’autrui, nous avons fait un parallèle à une image, c’est notre interprétation, comme une éponge, c’est-à-dire qu’elle est tellement, justement par cet altruisme exacerbé que je mentionnais tout à l’heure, par le fait de sa vocation, être au service des autres, etc., toujours pour les autres, les autres. Ce qu’on voulait dire par-là, c’est que face à la souffrance d’autrui, si elle est devant une personne qui souffre pour n’importe quelle raison, s’il y a une souffrance exprimée, elle a tendance à se l’approprier, c’est-à-dire qu’elle va souffrir au même moment. On peut parler à la limite, c’est plus que de l’empathie mais c’est quelque chose de fort en tout cas. Peut-être que le mot a été fort en disant qu’elle s’approprie la souffrance, mais c’est vrai que l’image d’une éponge nous parlait assez bien.

L’Avocat Général : Mais donc, je peux conclure que lorsque vous mettez entre guillemets la phrase : « J’absorbe la souffrance d’autrui et je me l’approprie », c’est la phrase de Madame MUKANGANGO ?

Michaëlla DAYAN : Si c’est marqué en italique, oui. Car on peut émettre parfois des éléments entre guillemets. Si ce n’est pas en italique, alors c’est notre interprétation.

Me. VERGAUWEN : Monsieur le président, je vous remercie. J’ai une question à l’attention du collège d’experts, donc aux trois experts. Je crois que tous les trois viennent d’insister sur la fragilité psychologique de sœur Gertrude. Je voudrais savoir, s’ils peuvent nous en parler, quelle incidence peut avoir une telle fragilité dans un contexte de guerre ?

Yves CROCHELET : Comment répondre à cela ? Plus on est fragile, plus on est traumatisable et influençable et marquable par les éléments de guerre auxquels on est confronté.

Le Président : J’ai l’impression que ce à quoi on voudrait bien arriver, c’est de savoir si cette fragilité, cette qualité de fragilité plus importante par rapport à la normale - mais la normale, qu’est-ce que c’est que la normale - peut amener notamment à ne pas avoir des réponses aussi adéquates que les autres face à une situation qui est exceptionnelle.

Yves CROCHELET : Je crois que vous l’avez dit, Monsieur le président, au plus on est fragile, au plus on peut arriver à des réponses inadéquates en faisant bien remarquer que je pense que ces personnes ont été confrontées à des situations qui, même pour des gens non fragiles, pouvaient donner des décompensations énormes.

Le Président : Vous pouvez expliquer ce qu’est une décompensation ?

Yves CROCHELET : Perdre sa capacité habituelle de réagir aux événements de façon suffisamment pondérée et équilibrée. Ce sont des situations épouvantables, comme on en connaît dans toutes les guerres, des situations d’atrocité, dans tous les pays du monde.

Me. VERGAUWEN : Je veux simplement alors en fait demander de confirmer ce que, je crois, le Docteur CROCHELET a écrit dans son rapport. Il a indiqué que « des personnes plus solides pourraient avoir également des comportements inadéquats en vivant une tragédie qui les dépasse totalement ». Est-ce que vous pourriez confirmer cela ?

Yves CROCHELET : Ce sont les mots que nous avons effectivement écrits. Déjà des personnes plus solides pourraient…

Le Président : D’autres questions ?

Me. VERGAUWEN : Non, je vous remercie.

Me. de CLETY : Une question, j’ai simplement lu, à la lecture des deux rapports différents mais je parle plus particulièrement de celui de Madame ZYAN qui a servi de base au rapport des experts DELATTRE et CROCHELET et dans le rapport du Docteur le témoin 30 et de Madame DAYAN, qu’on faisait état d’une part du fait, dans le rapport de Madame ZYAN que Madame MUKABUTERA donne un sentiment de transparence et dans le rapport des Docteurs le témoin 30 et Madame DAYAN, qu’elle avait un discours sincère et qu’elle n’avait rien d’une manipulatrice. Je voudrais qu’on parle de cette dimension qui ne me semble pas avoir été abordée ni par l’un ni par l’autre.

Le Président : Vous voulez aborder cette dimension de la personnalité ?

André DELATTRE : Je tenais d’abord à dire que le rapport de la psychologue n’est pas une base mais est complémentaire de notre examen clinique. Les psychiatres ne se basent pas sur le rapport psychologique, ce n’est qu’un des éléments comme en médecine somatique où on demande des prises de sang et des radios, ce ne sont jamais que des éléments. Généralement, on ne donne pas le rapport du psychologue, on l’intègre dans notre rapport, ici on l’a donné dans un souci d’objectivité mais maintenant, s’agissant de problème de testing, d’après ce que je comprends bien, je crois que ma voisine est la plus à même de pouvoir essayer de répondre.

Michaëlla DAYAN : Disons qu’en parlant de manipulation, c’est vrai que le discours des intéressées est tout à fait sincère. Quand on dit : « Elle n’a rien d’une manipulatrice », c’était évidemment par rapport à ce que je vous ai expliqué tout à l’heure, la composante perverse, etc. Et que si on avait eu affaire justement à une personnalité perverse, on aurait eu affaire à une personne très séductrice, très manipulatrice et que ce n’est pas du tout le cas des intéressées ni pour sœur Gertrude, ni pour sœur Kizito, elle est sincère, elle exprime de l’affectivité. Ce qui est important à ce niveau-là de mentionner par rapport à sœur Gertrude, c’est qu’elle peut donner un aspect de froideur mais ce qui est intéressant justement c’est de voir que l’expression des émotions est souvent tributaire des différences culturelles et que par rapport en tout cas à sœur Gertrude, elle adopte, même si justement elle ne pleure pas, elle peut avoir peut-être une apparence de froideur, elle adopte des attitudes corporelles et des mimiques qui sont beaucoup plus parlantes que le langage verbal lui-même ainsi que de pleurs, de véritables pleurs, qu’elle s’effondrerait en larmes lors de l’entretien, donc elle est tout à fait capable d’affectivité, d’une grande empathie même extrême et tout cela n’est pas du tout compatible avec une personnalité manipulatrice, narcissique, séductrice, etc.

Le Président : D’autres questions ? Maître GILLET ?

Me. GILLET : Nous avons entendu le juge d’instruction ce matin nous dire à quel point, il y avait beaucoup d’émotion d’ailleurs dans la voix, il fallait admettre qu’il y ait eu des morts, à quel point il s’agit de quelque chose d’innommable et au-dessus duquel il faut passer, quelque chose qu’il est difficile pour quelqu’un qui n’y a pas participé d’admettre que cela s’est bien passé, ces gens ont été tués et donc, il y a eu des tueurs. On sait aussi qu’on est quand même dans un contexte très particulier puisqu’on est dans un contexte de génocide, de crimes contre l’humanité et depuis toujours il y a une manière, je dirais, de subvertir la population parce que la population rwandaise est une population pacifique, pas une population encline à la violence malgré tout ce qui s’est passé. Et il a donc fallu amener ces gens à tuer, il a fallu les conditionner à tuer. Cela a demandé un très long travail de la part de gens qui ont élaboré un vocabulaire et surtout élaboré une vision de l’autre, une perception de l’autre, l’autre étant en l’occurrence…

Le Président : Maître GILLET, voulez-vous poser une question ?

Me. GILLET : Oui. Dans le cas où la perception de l’autre devient telle que l’autre n’est plus un homme, mais qu’il est une herbe, qu’il est un serpent ou qu’il est etc., où l’on finit par ne plus percevoir l’autre comme un autre être humain, est-ce que l’ensemble des processus psychologiques que vous avez décrits peut évoluer dans le chef des personnes qui éventuellement ont été victimes de ce conditionnement et notamment dans leur attitude par rapport à la souffrance de l’autre, si l’autre n’est plus un être humain mais c’est une herbe qu’on fait brûler ?

André DELATTRE : « Il faut écraser les cancrelats » et vous faites référence à ce genre de chose. Je crois qu’on reste conscient du fait qu’on a des êtres humains en face de soi, globalement. Mais d’autre part, que les individus, tout en ayant conscience qu’ils ont des êtres humains en face d’eux soient capables dans des situations collectives, des situations avec une propagande, etc., d’avoir des comportements ahurissants, c’est une vérité pour beaucoup de gens. S’il y avait tout à coup des atrocités ici et ici même dans la pièce, je ne serais pas certain du comportement de la plupart d’entre nous et du mien non plus. L’être humain est fragile mais je ne crois pas qu’il faut pour cela avoir perdu la notion du fait que c’est un être humain. Je ne sais pas ce que pensent mes confrères, cela ne me semble pas important là-dedans. Mais que tous ces gens, les coupables, les tueurs comme les victimes aient été influencés par une situation collective terrible, je le crois volontiers. Je profite du fait que j’ai le micro pour dire que j’ai oublié de dire, Monsieur le président, tout à l’heure, un petit détail mais je veux quand même l’avoir dit, c’est que sœur Gertrude avait tenu à nous faire part de sa conviction que son adjointe, sœur Kizito était parfaitement innocente de toute chose. Je ne l’ai pas dit.

Le Président : D’autres questions ?

André DELATTRE : Il est évident maintenant que devant une situation tout à fait extrême, ce ne sont pas des situations reproductibles à volonté donc, la psychiatrie n’a pas grand-chose à dire là-dessus. Maintenant, je crois que la manipulation des esprits, la propagande incessante, je crois, peut effectivement amener chez les gens des convictions qui les amènent tout à fait à des comportements extrêmes qui consistent à tuer autrui sans remords, en considérant que c’est une bonne action ou à se tuer eux-mêmes. D’ailleurs, dans certains cas, pour le martyre ou l’holocauste, ce sont deux extrêmes, je crois qu’une propagande peut amener les gens comme cela. Maintenant on peut imaginer que des personnalités relativement fragiles peuvent être peut-être plus sensibles mais je n’en suis même pas sûr. La personne fragile manifestera des caractéristiques particulières, c’est quand ils sont soumis à des pressions contradictoires genre des pressions importantes et contradictoires entre le sentiment de devoir, le sentiment de menace tout autour d’elle qui pourrait se décompenser, c’est-à-dire agir d’une manière inadéquate. Mais en fait, les sœurs, dans ce qu’elles nous ont dit, même si leur discours était un peu confus, n’ont pas parlé de comportement, je dirais, anormal. Elles disaient qu’elles avaient cherché de la nourriture, elles disaient qu’elles empêchaient les tueurs de rentrer dans le monastère, elles n’ont pas décrit de comportements anormaux mais c’est leur souvenir évidemment, sur place et à l’époque, on ne sait pas.

Le Président : D’autres questions ? S’il n’y a plus de questions, les parties sont-elles d’accord pour que les témoins se retirent ? Docteur CROCHELET, est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler ?

Yves CROCHELET : Oui.

Le Président : Confirmez-vous vos déclarations ?

Yves CROCHELET : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Docteur DELATTRE, est-ce bien les accusés ici présents dont vous avez voulu parler ?

André DELATTRE : Oui, Monsieur le président.

Michaëlla DAYAN : Oui, oui.

Le Président : Je vous remercie. Vous pouvez disposer librement de votre temps. Il est maintenant midi et demi. Nous avons prévu cet après-midi. Donc, Madame DE TEMMERMAN ne sait pas venir cet après-midi. On avait envisagé ou j’avais fait convoquer deux témoins demandés par Monsieur NTEZIMANA qui sont  le témoin 39 et le témoin 135     Marie-Aimable. Il semble qu’en réalité ces témoins dits de contexte sont des témoins qui sont plus particuliers à Monsieur NTEZIMANA qu’au contexte global lui-même. La défense de Monsieur NTEZIMANA se demande donc, s’il est bien utile qu’ils soient entendus à ce stade-ci de la procédure, raison pour laquelle s’ils se présentent cet après-midi, je serai au regret de les prier de venir à un autre moment qui serait peut-être plus opportun. Nous avons à 14h30 Monsieur Pascal RICHARD qui va commenter, j’imagine en principe, l’émission télévisée à laquelle il a participé qui est le reportage de France 3 « Etat d’urgence », vidéo qui sera projetée cet après-midi. Il est midi et demi. Est-ce qu’on ne pourrait pas envisager parce qu’après cela le juge d’instruction, lui, devrait commenter à tout le moins des diapositives et le film de France 3 dure 70 minutes, il y a deux cassettes.

Donc, à partir de 16h le juge d’instruction pourrait être amené à commenter peut-être une autre cassette, la cassette ORINFOR ou quelque chose comme cela mais qui est de mauvaise qualité, ou bien on ne la passe pas du tout et en tout cas quelques diapositives de contexte. Mais, compte tenu de ce qu’il devrait encore nous parler d’une partie de son instruction, notamment des documents généraux qu’il a pu récolter, je me demande si on ne le ferait pas déjà venir avant Monsieur RICHARD mais je vais peut-être vous laisser un peu plus d’une heure, si nous le faisions venir à 13h45… parce qu’il en a au moins pour une demi-heure, a-t-il dit. Non, nous allons dire 14h parce que comme cela, durant la suspension d’audience, comme il faudra installer le matériel pour la vidéo, les parties qui le souhaitent pourront, en dehors du public bien sûr, à ce moment-là la salle est fermée, ce n’est pas l’audience publique, pourront, mais dans la salle d’audience puisque le matériel sera préparé, visualiser si elles le souhaitent une cassette transmise au juge d’instruction VANDERMEERSCH dans son dossier X qui est une interview de Monsieur NKUYUBWATSI et vous savez que le juge d’instruction a déjà saisi une cassette à la RTB qui figure au dossier, RTL a fait mieux, elle a envoyé elle-même la cassette au juge d’instruction, aux parties civiles aussi apparemment. Donc, les parties civiles ne doivent plus voir la cassette ou certaines d’entre elles peut-être. Pendant la suspension, vous pourriez voir cette cassette-là pour avoir une opinion de ce qu’il y a dedans. Cela vous convient-il ? Nous reprendrons à 14h et on demandera au juge d’instruction de venir à 14h pour parler non pas encore de diapositives ou de vidéo mais du reste de son instruction. Audience suspendue, elle reprend à 14h.

 
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