assises rwanda 2001
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Instruction générale d'audience Audition témoins de contexte compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction générale d’audience > Audition témoins de contexte > C. Braeckman, journaliste
1. C. Braeckman, journaliste 2. F. Reyntjens, juriste 3. A. Desforges, historienne 4. G. Sebudandi, journaliste 5. Y. Mukagasana, écrivain 6. R. Zacharia, médecin 7. J.P. Chrétien, historien, J.F. Dupacquier, journaliste 8. F. Twagiramungu, ex premier ministre rwandais 9. J. Matata 10. C. Vidal, historienne, sociologue 11. C. De Beul, ingénieur technicien 12. W. Defillet, assistant social 13. E. Vandenbon, assistante sociale 14. A. Vandeplas, magistrat retraité 15. le témoin 39, ex militaire de l’APR 16. le témoin 135 17. Explication suite déroulement procès 18. le témoin 41, sociologue 19. F.X. Nsanzuwera, ex procureur République à Kigali 20. A. Guichaoua, sociologue et commentaires A. Higaniro
 

5.5.1. Témoin de contexte: Colette BRAECKMAN, journaliste

Le Greffier : La Cour

Le Président : L'audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place.

Bien. Je vais demander à la télévision hollandaise de bien vouloir interrompre pour que nous puissions poursuivre les débats.

Donc, nous devons entendre ce matin, normalement Monsieur REYNTJENS et Mesdames DESFORGES et BRAECKMAN. Monsieur REYNTJENS n'est pas encore arrivé et ne saurait, semble-t-il, arriver qu'en fin de matinée. Nous avons donc déjà comme présentes, Mesdames DESFORGES et BRAECKMAN. Puis-je suggérer, parce que je crois que le témoignage de Madame BRAECKMAN pourrait être plus court que celui de Madame DESFORGES, puis-je suggérer que nous intervertissions et que nous passions d'abord par l'audition de Madame BRAECKMAN avant celle de Madame DESFORGES ? Pas d'objection des parties. Nous allons vous demander Monsieur l'huissier, alors de bien vouloir appeler Madame BRAECKMAN.

Le Président : Madame, quels sont vos nom et prénom ?

Colette BRAECKMAN : Colette BRAECKMAN.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

Colette BRAECKMAN : 55 ans.

Le Président : Quelle est votre profession ?

Colette BRAECKMAN : Journaliste.

Le Président : Quelle est votre commune de domicile ou de résidence ?

Colette BRAECKMAN : Uccle.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés avant les faits mis à leur charge ?

Colette BRAECKMAN : Non.

Le Président : Êtes-vous parente ou alliée des accusés ou des parties civiles ?

Colette BRAECKMAN : Non plus.

Le Président : Êtes-vous attachée au service des uns ou des autres ?

Colette BRAECKMAN : Non.

Le Président : Je vais vous demander Madame, de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment qui vous est présenté.

Colette BRAECKMAN : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie, vous pouvez vous asseoir. Madame, vous venez de signaler dans votre interrogatoire d'identité que vous étiez journaliste. Spécialisée sur les problèmes rwandais ou de l'Afrique en général ?

Colette BRAECKMAN : Disons plutôt de l'Afrique centrale depuis les quinze dernières années.

Le Président : C'est ça. Vous avez écrit, j'imagine, plusieurs articles à ce sujet, de nombreux articles.

Colette BRAECKMAN : Oui, des articles et aussi des livres plutôt consacrés à la région donc le Zaïre, le Rwanda, le Burundi.

Le Président : C'est ça. Alors, euh… avez-vous des - par les renseignements que vous avez éventuellement recueillis à l'occasion de l'exercice de votre profession - des indications à fournir sur la manière dont les événements se sont déroulés au Rwanda au mois d'avril 1994, éventuellement des informations à propos de ce qui aurait pu préparer ces événements ?

Colette BRAECKMAN : Oui, c'est-à-dire que je suis allée très souvent dans la région, en tout cas à partir du début de la guerre de 1990 et que les choses se sont accélérées. L'atmosphère est devenue de plus en plus tendue, et ce que je peux dire aujourd'hui, c'est que la catastrophe était prévisible et que la dernière fois que je suis allée au Rwanda avant avril 94 donc, c'était fin mars, j'ai été prise à partie, prise sur le côté par des amis rwandais, des gens que je connaissais, des Tutsi aussi, des journalistes qui me disaient : « Mais nous allons tous mourir », et bon je savais que l'atmosphère était extrêmement tendue, qu'il y avait des préparatifs de massacres organisés et ces gens me disaient qu'ils savaient qu'ils figuraient déjà sur des listes et qu'ils étaient condamnés. Et à l'époque ça m'a fait penser à un avertissement qui m'avait été donné par le premier ministre, Madame Agathe UWILINGIYIMANA dont j'avais fait l'interview en décembre 93, qui me disait : « Mais ne croyez pas que les accords d'Arusha, les accords de paix, vont être appliqués de bonne foi. Des listes existent, tout est prêt pour organiser des massacres, pour saboter ces accords et, me disait-elle, moi-même je suis menacée et je risque ma vie ». Donc, dans tout cela, il y avait un ensemble d'indicateurs, un faisceau d'informations qui permettaient de penser qu'une tragédie se préparait au Rwanda et c'était donc jusqu'à la veille donc d'avril 94.

Le Président : C'est ça. On vous a fourni des éléments précis, des documents, des…

Colette BRAECKMAN : Beh ! Tout à fait parce qu'on m'a expliqué, de façon extrêmement précise, que des tueurs, des miliciens avaient été recrutés dans toutes les communes du pays, que des armes avaient été distribuées à la population. Déjà en décembre, on était au courant du fait qu'il y avait des achats d'armes massifs par le régime mais lorsque je suis retournée en mars, on m'a dit : « Maintenant ces armes ont été distribuées, elles ont été distribuées à des équipes, des groupes de miliciens dans l'ensemble des 146 communes du Rwanda ». Et c'est ce que j'ai appelé par la suite « la machine à tuer » et on sentait bien que cette machine à tuer avait été préparée, il y avait même des choses qu'on voyait. Je me rappelle qu'on pouvait voir des camps d'entraînement de miliciens pas très loin de Kigali sur une colline et on les voyait s'entraîner, faire des exercices militaires. Je les avais vus aussi lors d'une manifestation d'opposition au premier ministre Madame UWILINGIYIMANA qui étaient là, qui criaient des slogans de haine, qui brandissaient des armes et on m'a traduit à l'époque que, en Kinyarwanda, c'était des menaces, ils menaçaient de tuer tous les gens appartenant au parti d'opposition et de tuer les Tutsi. Donc, l'atmosphère était extrêmement lourde et jusqu'en mars, des gens que je connaissais avaient déjà été tués dont certains d'entre eux parce qu'ils étaient au courant de ces plans. Il y avait déjà eu, si vous voulez, des répétitions de ce qui allait se passer.

Le Président : Au mois d'avril 1994, vous n'étiez pas au Rwanda ?

Colette BRAECKMAN : Si, je suis arrivée au Rwanda le 9 avril. Donc, il y a eu l'attentat contre l'avion du président et alors je suis arrivée par le Burundi et je suis arrivée à Butare le 9 avril au moment où les humanitaires, les organisations des Nations Unies évacuaient Kigali. Alors je suis arrivée donc à Butare et j'ai vu passer ces convois qui fuyaient en direction du Burundi et beaucoup, dans ce convoi, étaient en état de choc et me disaient que sur la route, ils avaient dû s'arrêter à plusieurs reprises devant des barrières et que là des Tutsi et parfois des amis de personnel domestique qu'ils avaient essayé d'emmener avec eux, avaient été arrachés de force de leur voiture et tués sous leurs yeux. Et c'était les premiers témoignages, donc en tout cas moi, que j'ai recueillis le 9 et le 10 avril à Butare.

Le Président : Et vous êtes restée pendant un certain temps à ce moment-là au Rwanda ou pas ?

Colette BRAECKMAN : Oui, je suis restée le 9 et le 10 à Butare et à Butare tout était calme à ce moment-là. On m'a dit qu'une réunion avait lieu avec le préfet et puis je suis repassée par le Burundi et puis revenue à Kigali où j'ai logé ­ enfin j'ai logé ­ je suis restée à l'aéroport ainsi que d'autres journalistes ­ parce que comme belge, comme journaliste belge en plus, je crois que j'étais un peu connue, il m'était impossible de circuler dans Kigali à ce moment-là. Mais depuis l'aéroport, j'ai fait quelques expéditions dans la ville avec les para-commandos belges qui allaient chercher les expatriés à travers la ville et donc comme ça j'ai pu voir ­ eu un aperçu en tout cas - de la situation et à l'aéroport, enregistrer les témoignages des gens qui partaient.

Le Président : C'est ça. Donc, vous dites que le 9 et le 10 avril, lorsque vous êtes à Butare, la situation y est , à Butare, relativement calme.

Colette BRAECKMAN : Oui, tout à fait.

Le Président : Ou tout à fait calme.

Colette BRAECKMAN : Elle est calme, disons que tout à fait calme c'est beaucoup dire, parce que les gens avaient peur, les gens écoutaient la radio, les gens téléphonaient à Kigali et savaient très bien ce qui se passait. Des gens se réfugiaient aussi vers Butare en disant : « Ici c'est une ville qui n'est pas marquée par les mêmes tensions que dans d'autres régions » et donc, il y avait évidemment une très grande angoisse, mais tout le monde disait : « Le préfet est un homme qui a refusé d'entrer dans ces préparatifs de massacres, il essaie de calmer le jeu », et je me souviens d'un témoignage que j'avais eu à l'époque, c'est que le préfet était en réunion, que la réunion était très houleuse parce qu'il refusait de distribuer les armes qui avaient été entreposées, il refusait de les distribuer aux miliciens. Alors, j'apprendrai par la suite que le préfet a été démis et finalement tué. Mais donc, la situation était calme, la ville est un lieu de passage vers le Burundi.

Le Président : Lors de votre séjour à Butare, avez-vous constaté qu'il existait déjà à Butare ou dans la préfecture de Butare, des barrières, ce qu'on a appelé les barrières, des barrages, des points de contrôle ?

Colette BRAECKMAN : Non, je n’en n’ai pas vus, parce que, comme je vous l'ai dit, je suis venue du Burundi et remontée sur Butare. A ce moment- là, la route était ouverte, la frontière était ouverte mais on me disait qu'il y avait beaucoup d'agitation dans les camps de réfugiés burundais Hutu qui étaient échelonnés sur la frontière, qu'il y avait - là je le savais parce que je l'avais constaté peu de temps avant - qu'il y avait eu des entraînements militaires, des distributions d'armes et donc il y avait des tensions. Mais je n'ai pas vu personnellement de barrières, j'en ai entendu parler par les gens qui venaient de Kigali, qui avaient donc rejoint Butare.

Le Président : Bien. Euh… connaissez-vous certains des accusés ? Vous avez dit que vous ne les connaissiez pas avant les faits, mais avez-vous appris à les connaître ? Notamment Monsieur NTEZIMANA. Ne l'avez-vous pas rencontré après les faits ?

Colette BRAECKMAN : Oui, je l'ai rencontré après les faits, lorsqu'il vivait en Belgique. Un jour, il est venu me voir au journal « Le Soir » et nous avons eu l'occasion de faire connaissance et de bavarder. Quant aux autres, je ne les ai pas rencontrés.

Le Président : Jamais rencontrés. Monsieur NTEZIMANA est le seul que vous ayez rencontré ? Avez-vous eu, par d'autres sources que Monsieur NTEZIMANA lui-même ou que Monsieur HIGANIRO, parce que vous avez parlé un tout petit peu de Monsieur HIGANIRO, connaissance par d'autres sources qu'eux-mêmes, de leur personnalité, de faits qu'on leur reprochait…

Colette BRAECKMAN : Mais c'est-à-dire que c'était des personnalités connues à Butare. Alors, les faits que j'ai rapportés dans mes écrits sont des choses dont les gens m'avaient parlé à Butare et qui étaient pratiquement de notoriété publique. On en parlait au Rwanda, on en parlait en particulier à Butare. Et alors, après avril 94, je suis retournée très souvent au Rwanda et bon, je suis journaliste, je ne peux mener d'enquête particulière sur ces personnes, simplement j'ai recueilli des témoignages divers, nombreux sur ce qui s'était passé et les gens parlaient, des rescapés, des gens, des témoins parlaient et ne savaient pas - pour certains d'entre eux - ne savaient même pas que j'étais journaliste. Il y avait des gens qui avaient envie simplement de raconter ce qui s'était passé à Butare et qui ont, à ce moment-là, dans ces conversations, mentionné le nom de ces personnes et expliquaient ce qui s'était passé.

Le Président : Et qu'auriez-vous appris à propos du comportement de Monsieur NTEZIMANA ? Les deux religieuses, vous avez appris des choses à leur sujet ?

Colette BRAECKMAN : Pas immédiatement après le génocide…

Le Président : Peut-être avez-vous appris des choses aussi ? Alors parlons peut-être personne par personne. Qu'auriez-vous appris à propos de Monsieur NTEZIMANA, de son rôle, de son comportement, au cours des événements, par des personnes que vous auriez rencontrées là-bas au Rwanda ou peut-être ici en Belgique venant du Rwanda ?

Colette BRAECKMAN : Mais, lors d'une conversation fortuite - parce que entre parenthèse on dit parfois qu'au Rwanda les rencontres, les témoignages ont été arrangés sinon sollicités - en ce qui me concerne, lors d'une conversation tout à fait fortuite avec une dame de Butare qui ne savait pas que j'étais journaliste ou que je connaissais Monsieur NTEZIMANA, cette dame m'a raconté ses aventures. Elle a expliqué qu'elle avait entendu Monsieur NTEZIMANA donner le nom de certains Tutsi qui figuraient sur les listes, donc de professeurs qui avaient demandé à quitter le pays pour le Burundi. Et cette dame m'a raconté cela d'une manière assez fortuite ce qui m'a incitée à penser qu'elle ne cherchait pas à me tromper parce qu'elle ne savait pas à qui, au fond, à qui elle s'adressait.

Le Président : Et Monsieur NTEZIMANA vous a fourni, à vous, des explications à propos des listes ?

Colette BRAECKMAN : Oui, lorsque nous nous sommes entretenus au journal, il m'a dit qu'il faisait des listes de gens qui voulaient quitter le pays en direction du Burundi et qu'il avait fait des listes de ses collègues professeurs pour faciliter leur évacuation.

Le Président : Donc, si je comprends bien, non pas dans le but de fournir des noms de personnes à tuer mais dans le but de permettre à des personnes qui pourraient être menacées de s'échapper ?

Colette BRAECKMAN : Oui, l'explication qu'il a donnée c'est qu'il avait fait des listes de personnes qui souhaitaient quitter la ville pour leur permettre de s'échapper. La seule chose, c'est que lorsque je me trouvais au Rwanda, on m'a expliqué que déjà, qu'en tout cas à ce moment-là, personne ne pouvait s'échapper. Que, au moment de la constitution de ces listes, c'était extrêmement difficile et que le seul fait de dire qu'on voulait aller au Burundi était se désigner comme Tutsi, comme personne menacée et c'était donc se mettre en danger, confier sa vie à la personne qui rédigeait la liste.

Le Président : Vous avez appris éventuellement quelque chose à propos du comportement de Monsieur HIGANIRO ?

Colette BRAECKMAN : A nouveau, c'était un peu la rumeur publique à Butare. On disait : « Oui, c'est le directeur de l'usine d'allumettes, il est très lié à la famille du président, il a donné des véhicules, il a aidé les miliciens, il en a embauché quelques-uns ». C'était des choses qui étaient connues, qui étaient notoires et dont les survivants, les gens parlaient à Butare…

Le Président : Personnellement, je fais une différence entre ce qui est connu et notoire et ce qui est la rumeur publique. Vous faites la même différence ?

Colette BRAECKMAN : Non, c'est-à-dire que les gens le disaient, me le disaient, mais je n'ai pas sollicité ­ si vous voulez, je n'ai pas sollicité de témoignage précis à propos de Monsieur HIGANIRO ­ simplement son cas, sa personne ont été évoqués dans le cadre disons de témoignages globaux sur ce qui s'était passé, qui étaient les personnes les plus responsables, les plus impliquées dans les événements.

Le Président : C'est ça. Lors d'une audition par la police judiciaire, vous avez exposé que vous auriez appris euh… que Monsieur HIGANIRO avait demandé au personnel de son usine, de nettoyer les corps qui jonchaient la préfecture.

Colette BRAECKMAN : Oui, c'est ça. C'est ce qu'on m'avait dit à Butare à l'époque. Enfin c'était de dégager, et ça s'explique parce qu'il avait du matériel, il y avait des camions, il avait du personnel, donc il avait les moyens matériels et cette affirmation ne m'avait pas étonnée à l'époque parce que toute personne, qui était chef d'entreprise ou qui avait un pouvoir même sur la municipalité, avait des moyens matériels de prendre des camions, des Caterpillars, de louer du personnel, de donner des ordres à du personnel pour qu' on « dégage les corps, on nettoie ».

Le Président : Cette notion-là, ce terme de nettoyage, ça avait une connotation particulière à l'époque dans le contexte ?

Colette BRAECKMAN : Oui, ça a toujours eu un double sens. Euh… le Kinyarwanda est une langue où les mots ont souvent plusieurs interprétations. Alors, il y a l'aspect physique de nettoyer, c'est-à-dire ça peut être de dégager les corps, de dégager les traces de ce qui s'est passé, mais nettoyer peut aussi dire tout simplement tuer.

Le Président : Et travailler, ça veut dire ?

Colette BRAECKMAN : Oui, travailler aussi, c'est une des particularités du génocide au Rwanda, c'est que le terme travailler fait référence aussi à ces travaux d'intérêt communautaire qui sont appelés « Umuganda », les travaux du samedi qu'on fait tous ensemble, et donc travailler pouvait vouloir dire participer à des travaux communautaires, faire un vrai travail, mais ça peut aussi dire dégager, tuer, assassiner ensemble, c'est un travail commun.

Le Président : Bien. Avez-vous, lors de vos séjours au Rwanda ou par des Rwandais résidants en Belgique, qui vous auraient contactée, appris certaines choses à propos du comportement qu'aurait eu, au cours des événements de 1994, sœur Gertrude, parce que c'est peut-être plus comme ça qu'elle est connue que sous le nom de MUKANGANGO, ou Sœur Marie Kizito puisque c’est peut-être aussi, plus sous ce nom-là qu'elle est connue, que sous le nom de MUKABUTERA ?

Colette BRAECKMAN : Oui, je suis allée dans la région de Butare plusieurs fois. Alors une fois, je crois que c'était à peu près un an après les faits, je suis retournée près du monastère de Sovu, et là, il y avait encore des personnes qui erraient, qui étaient près des lieux et qui m'ont raconté ce qui s'était passé et qui me disaient que, je les cite : « Que la supérieure n'était pas accueillante, qu'elle n'était pas gentille, qu'elle avait refusé l'accès au monastère aux personnes qui voulaient s'y réfugier, qui voulaient entrer à l'intérieur de l'enceinte », et à ce moment-là aussi j'ai vu le garage qui est devenu fameux, enfin le garage où s'étaient réfugiés les Tutsi. On m'a montré les lieux, maintenant les lieux ont été reconstruits, repeints, on ne voit plus rien mais à l'époque les lieux étaient fort endommagés, on voyait qu'il y avait eu là des attaques et que des crimes avaient été commis et des gens m'ont dit : « Oui, c'est ici que les Tutsi ont été enfermés et qu'ils ont été massacrés ».

Et je suis retournée aussi à Sovu il y a peu de temps, un peu à la veille de ce procès, et là, ce qui m'a frappée, c'est que les lieux effectivement ont été reconstruits, repeints, aménagés et que maintenant en tout cas les traces physiques des événements ont été complètement effacées mais j'ai encore obtenu des témoignages précis dans la région sur les événements et sur la responsabilité en tout cas de ces deux religieuses qui n'ont pas eu une attitude d'accueil mais plus encore avaient une attitude, un comportement disons d'amitié ou de connivence avec les extrémistes, avec les tueurs et en particulier, on m'a parlé du comportement de sœur Juliette. Alors, en ce qui la concerne, on m'a expliqué que sœur Juliette était originaire de la région, qu'elle connaissait très bien les miliciens, les assaillants qui rôdaient autour du monastère et qui, à l'époque, avaient tué les Tutsi qui se trouvaient dans le garage, qu'elle sortait régulièrement du monastère pour s'entretenir avec eux et qu'elle leur avait prêté son assistance au moment des faits et à plusieurs reprises, aussi bien dans l’année qui a suivi les événements où donc les témoignages étaient encore très ­ les mémoires des gens étaient encore très vives ­ que plus récemment on m'a parlé de ces jerrycans d'essence qu'elle aurait donnés aux miliciens qui par la suite ont mis le feu au garage.

Le Président : Alors, vous l'appelez sœur Juliette ? En fait, c'est sœur Marie Kizito, je suppose ? Son prénom est Julienne MUKABUTERA ?

Colette BRAECKMAN : Oui, c'est cela.

Le Président : Est-ce qu'on parle bien de la même personne ?

Colette BRAECKMAN : Oui, c'est sœur Marie Kizito, oui, tout à fait. Il n'y a que ces deux sœurs là qui sont mises en cause. Dans les témoignages, les gens savent très bien de qui ils parlent, et parlent explicitement de ces deux personnes en disant que les autres religieuses n'ont pas participé, n'étaient pas connues.

Le Président : C'est ça. Bien.

Me. de CLETY : Vous parlez de l'ambiance qui régnait au Rwanda à la fin mars quand vous y étiez et il était palpable à ce moment-là que des choses se préparaient. Est-ce que vous pouvez dire qui, à la tête de l'Etat, à la tête de l'armée, préparait ces événements ? S'il y a des responsabilités personnelles à désigner, je parle à un niveau tout à fait général donc je parle bien à la tête de l'Etat, à la tête de l'armée éventuellement ?

Colette BRAECKMAN : Oui, mais les gens me disaient toujours, je peux citer les personnes qui me parlaient, c'était un journaliste, André KAMEYA, un Tutsi qui a été tué par la suite, c'était Monsieur SHAMUKIGA, consul du Luxembourg et il désignait la personne du président en disant que le président était l'otage de sa belle-famille, que lui-même avait signé les accords mais qu'il était dépassé par la situation et que sa belle-famille n'accepterait jamais d'appliquer les accords d'Arusha même si le président y était contraint par la pression internationale. Alors, lorsqu'on parlait de sa belle-famille, on disait que c'était surtout sa femme Agathe qui tenait les rennes si vous voulez de la décision, ses beaux-frères, le préfet de Ruhengeri, Protais ZIGIRANYIRAZO. C'était vraiment l'entourage direct du président qui était mis en cause. On citait aussi beaucoup la garde présidentielle, en disant que la garde présidentielle était le noyau dur du régime et que c'était eux, alors on citait aussi, bien entendu, la radio des Mille Collines, mais surtout les Interahamwe et ceux qui les dirigeaient en disant que  déjà avant - donc, c'était au mois de mars, c'était dans les mois précédents - que ces gens se montraient agressifs, qu'ils avaient des listes et qu'ils avaient formulé des menaces précises à l'encontre des Tutsi et des gens de l'opposition.

Me. de CLETY : Et quel était le degré de cohésion entre ces différents acteurs, c'est-à-dire que ce projet qui semble avoir été parfaitement prémédité dans certaines thèses, dont peut-être la vôtre, je ne sais pas. Je suppose tout de même que toutes ces personnes avaient eu un projet construit.

Colette BRAECKMAN : Mais en tout cas, à l'époque - disons de décembre jusquà mars - on avait le sentiment qu'il y avait une cohésion, qu'il y avait un groupe de gens qui, au sein du pouvoir, refusait l'application des accords d'Arusha et qui était prêt à tout pour les éviter, à tout jusqu'au pire et c'était assez facile d'identifier la chaîne de décisions, c'était donc l'entourage direct du président et sa belle-famille, c'était la plupart des bourgmestres, c'était les chefs des milices, c'était certains des ministres du gouvernement de transition, pas tous, certains appartenaient à ce que l'on appelait la mouvance présidentielle, d'autres appartenaient à l'opposition et à l'époque, le premier ministre TWAGIRAMUNGU lui-même me disait : « Certains ici n'appliqueront pas l'accord de paix et moi-même je suis menacé », et je me rappelle que lui accordait des interviews à la presse avant 17 heures,  parce que, disait-il : « Si je rentre chez moi après 17 heures, je risque d'être assassiné sur le chemin ».  Et il savait très bien, les gens savaient très bien qui les menaçait. Donc, il y avait un groupe organisé et qui était perçu comme tel par tous ceux qui se sentaient visés et menacés.

Le Président : Des questions parmi les membres du jury ? Questions des parties ? Monsieur l'avocat général ?

L'Avocat Général : Oui, d'abord une question plus générale, vous en avez déjà parlé, euh… et vous en parlez dans votre audition aussi. Vous pouvez confirmer que la radio libre Mille Collines, longtemps avant le 7 avril déjà, lançait des messages, tendant à inciter les miliciens, des messages anti-Tutsi, des messages anti-belges ?

Colette BRAECKMAN : Oui, tout à fait parce que je peux le dire d'autant plus que fin mars, un séminaire avait été organisé par l'ambassade de Belgique sur les droits et devoirs des journalistes et que des journalistes de la radio des Mille Collines étaient présents à ce séminaire et ils ont été pris à partie par leurs confrères pour les messages de haine qu'ils diffusaient et à ce moment-là je me suis entretenue avec mes confrères journalistes rwandais qui m'ont expliqué, que pour eux, les gens de la radio des Mille Collines n'étaient pas des journalistes mais c'était des propagandistes de la haine qui diffusaient des messages anti-belges qui sapaient la mission des Nations Unies, de la MINUAR  et qui lançaient des messages extrêmement haineux dont la violence allait croissant et donc ces témoignages m'ont été donnés à l'occasion d'un séminaire de professionnels de journalistes rwandais. Donc, je n'avais aucune raison de mettre en doute ces témoignages parce qu'ils émanaient de journalistes rwandais eux-mêmes.

L'Avocat Général : Alors, une deuxième question qui se rapporte plus précisément à Monsieur NTEZIMANA. Vous avez donc dit, d'une part, que Monsieur NTEZIMANA vous a rencontrée personnellement, de son propre gré, pour donner sa version sur l'établissement de ces listes mais vous dites également, dans votre déclaration, qu'il y a une autre version qui émane des survivants et je lis là-dedans, je vous demande de confirmer, que selon ces survivants, Monsieur NTEZIMANA aurait passé une semaine en compagnie du capitaine NIZEYIMANA afin d'établir ces listes et de rédiger donc les listes avec les noms des personnes qui devaient être exterminées. Est-ce que vous pouvez confirmer ce que vous avez déclaré à ce sujet ?

Colette BRAECKMAN : Oui, ce sont des témoignages qui m'avaient été donnés à Butare, comme quoi, Monsieur NTEZIMANA était « très ami », très proche du capitaine NIZEYIMANA et qu'ils travaillaient ensemble, ils étaient tout le temps ensemble pendant les événements, et lorsque je me suis entretenue avec Monsieur NTEZIMANA, lorsqu'il est venu me voir au journal, il m'a donné sa version des faits et je crois le lui avoir dit que ça contredisait les informations et les témoignages que j'avais recueillis à Butare.

L'Avocat Général : Et alors, dernière question. Cette liste, on ne l'a jamais retrouvée dans les archives de l'université ?

Colette BRAECKMAN : A ma connaissance, non.

L'Avocat Général : Je n'ai pas d'autres questions.

Me. WAHIS : Vous avez des informations au sujet du rôle du capitaine NIZEYIMANA dont nous venons de parler ?

Colette BRAECKMAN : Non, je n'ai pas d'informations précises, simplement il était l'un des grands organisateurs des tueries. C'est ce que les gens ont dit mais c'était tout.

Me. WAHIS : Et vous avez pu l'apprendre par des voix recoupées ou multiples, certaines ?

Colette BRAECKMAN : A Butare toujours, oui.

Le Président : D'autres questions ? Maître Clément de CLETY ?

Me. de CLETY : Monsieur le président, dans son ouvrage « Histoire d'un génocide », Madame BRAECKMAN développe une thèse ou en tout cas relate des informations qu'elle a reçues quant aux circonstances dans lesquelles l'avion du président le témoin 32 a été abattu et quant aux commanditaires de cet assassinat, je fais tout particulièrement référence à une lettre que Madame BRAECKMAN a reçue. Le témoin pourrait-il nous exposer ce qu'elle a développé dans son livre ?

Le Président : Alors, si c'est une thèse, non. Si c'est un élément recueilli dont le témoin pourrait être en quelque sorte le témoin indirect, oui.

Colette BRAECKMAN : Oui, ce n'est pas une thèse, c'est un ensemble d'informations que j'ai mises bout à bout et qui finissent par donner une version, en tout cas, des événements. C'est que l'attentat contre l'avion aurait été commis par deux « techniciens », des Français qui étaient membres du département d'assistance militaire au Rwanda qui auraient mis en place un dispositif pour abattre l'avion du président et le message qui m'avait été transmis donnait seulement les initiales de l'un d'entre eux. Après j'ai vérifié, j'ai essayé de recouper sur place. Cette personne existait réellement, c'était un coopérant militaire au Rwanda qui, immédiatement après l'attentat contre l'avion, est parti en direction du Burundi dont on a retrouvé la trace. Alors, j'ai retrouvé aussi des témoins qui avaient vu la mise en place d'un dispositif de tir au lieu qui s'appelait Masaka, c'est une colline qui est proche de l'aéroport de Kanombe… et ce témoin avait vu un groupe de militaires mettre en place un dispositif de missiles sol-air, donc le matin du 6 avril. Ce qui m'a permis à l'époque de mettre en cause des responsabilités de certains éléments français sans aller jusqu'à dire qu'ils agissaient sur ordre ou dans le cadre de leur structure hiérarchique.

Me. de CLETY : Pour revenir, Monsieur le président, au courrier qui était adressé à Madame BRAECKMAN, le témoin pourrait-il expliquer ce qu'il y avait dans ce courrier et notamment je pense, quant à l'identification de quatre personnes de la CDR comme commanditaires ?

Colette BRAECKMAN : Oui, le courrier disait que très peu de personnes étaient au courant de l'attentat, trois personnes de la CDR plus l'auteur de la missive, et il disait de lui qu'il était un chef de milice à Kigali, qu'il était gravement blessé et qu'il tenait à faire passer ce message pour éviter que soient mis en cause les Belges qui avaient donc été désignés comme les responsables de l'attentat. Et alors après, je suis retournée au Rwanda et j'ai essayé de retrouver qui pouvait être cette personne. Je n'ai pas vraiment réussi mais on m'a parlé d'un chef de milice qui était assez âgé, qui vivait dans un des quartiers de Kigali, qui avait de bonnes relations avec les Belges et dont on m'a dit qu’ il est possible que cette personne ait eu envie de faire passer ce message, mais je reconnais que je n'ai jamais réussi à savoir comment ce message avait pu arriver jusqu'à moi en Belgique.

Le Président : Donc, vous ne connaissez pas l'auteur du message

Colette BRAECKMAN : Non. J'ai des présomptions, je pense que je vois qui c'est si vous voulez mais je…

Le Président : Autrement dit, c'est pas signé.

Colette BRAECKMAN : Non exactement.

Le Président : C'est pas : « Je soussigné… »,  « Je vous fais part que…»

Colette BRAECKMAN : Non, pas du tout.

Le Président : Bien. Maître JASPIS d'abord.

Me. JASPIS : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur le président, est-ce que le témoin pourrait nous donner des précisions concernant l'asile que de nombreuses personnes ont essayé de trouver dans des églises, des monastères, des couvents, toutes sortes de lieux religieux, donner des précisions sur les constatations qu'elle a peut-être eu l'occasion de faire, lors de ses voyages au Rwanda, bien entendu après le génocide, sur la manière dont, dans certains autres lieux bien entendu que Sovu, sur la manière dont les gens ont pu effectivement être accueillis, protégés, sauvés et peut-être, de façon plus complémentaire, sur la manière dont les personnes donc les religieux, que ce soit des religieuses, des prêtres, des missionnaires qui étaient responsables de ces lieux, sur l'attitude que ces personnes avaient par rapport aux demandes qui leur étaient adressées par des individus ou par des foules qui se trouvaient dans la région où ces bâtiments étaient susceptibles de servir de lieux d'abri, s'il vous plaît ?

Le Président : Alors, je me permets de rappeler que les parties s'adressent au président et pas aux témoins directement. Mais la question étant posée, vous pouvez évidemment y répondre…

Me. JASPIS : Oui, pardon. Excusez-moi. Je ferai attention. Excusez-moi.

Le Président : Mais je vous en prie.

Colette BRAECKMAN : Oui, mais je savais de toute façon avant avril 94 que des massacres avaient déjà eu lieu au Rwanda, que traditionnellement les personnes menacées et les Tutsi avaient l'habitude de se rassembler dans les églises parce qu'ils estimaient que dans ces lieux-là ils étaient protégés, qu'on n'oserait pas s'attaquer à eux dans les églises. Et lorsque je suis retournée au Rwanda en mai 94…

Le Président : Une petite précision, vous dites donc : « Avant 94, les gens faisaient ça et ça marchait ».

Colette BRAECKMAN : … et ça marchait, les gens se retrouvaient si vous voulez dans les églises en estimant que c'était des lieux de protection, d'où ils n'étaient pas livrés et effectivement jamais ceux qui les poursuivaient, les tueurs, ne s'attaquaient aux églises, n’essayaient de forcer la porte des églises. Donc, c'était des sanctuaires, des lieux de sécurité. Alors, lorsque je suis retournée en mai 94 au Rwanda, une des choses qui m'a le plus choquée, c'est de découvrir le nombre d'églises profanées, couvertes de corps, des églises qui avaient été, comme par le passé, avaient été des lieux de protection vers lesquels les gens s'étaient dirigés pour y trouver abri, et au lieu d’être un abri, ces églises étaient devenues des pièges et j'ai eu l'occasion de parler avec des prêtres qui disaient : « Les gens se sont enfermés, entassés dans l'église, je n'ai rien pu faire ». Certains prêtres s'étaient enfuis dans la brousse parce qu'on leur disait : « Si vous restez, vous risquez vous-mêmes d'être tués ». Certains étaient partis parce qu'ils étaient impuissants pour ne rien voir et au retour disaient-ils, tous ceux qui étaient dans l'église étaient tués.

Alors, en mai, j'ai découvert l'église de Nyamata, Mabanza, de Rukara, la paroisse de Nyarubuye ; c'était vraiment une succession de lieux de culte qui étaient devenus des charniers, les murs de l'église étaient couverts de sang, les corps jonchaient le sol, rien n'avait été respecté, les autels avaient été profanés et les corps étaient là dans l'église, devant l'église. En particulier dans la paroisse de Nyarubuye, près de Kibungo, on pouvait presque marcher sur les corps qui étaient dans les jardins, devant l'église et à ce moment-là, les membres de l'église, me disait-on, avaient fui et étaient partis. Alors, je crois une chose aussi, une chose importante, c'est qu'il n'y avait pas de fatalité. J’ai tout de même aussi entendu des cas de prêtres qui s'étaient portés volontaires pour essayer de sauver des réfugiés, en l'occurrence l'un d'entre eux qui était un ami personnel, l'abbé SIBOMANA, on m'a expliqué que parfois des gens venaient chez lui la nuit, demander qu'il les abrite et il disait : « Attention, c'est un peu dangereux, vous risquez d'être pris », mais lui-même prenait sur lui d'acheminer ces personnes, ces réfugiés Tutsi, de les acheminer vers des lieux où ils pourraient être en sécurité et il revenait dans ses appartements. Donc, il y a des gens qui se sont portés volontaires pour sauver des réfugiés Tutsi. Mais beaucoup d'entre eux, presque la majorité ­ c'était un constat d'impuissance ­ on ne peut rien faire, on s'enfuit, on ferme les yeux, on est témoin passif.

Alors, une chose aussi que j'ai moi-même constatée, peu de temps après, lorsque je suis allée en août 94, c'est que les prêtres étaient revenus dans leurs églises et qu'ils avaient parfois donné de l'argent à certaines personnes de la paroisse en disant : « Nettoyez, il faut dégager les lieux, nettoyez », et ils avaient donné l'argent pour qu'on creuse des fosses et qu'on y jette les corps. Donc, l'attitude a été diverse, il y a eu aussi enfin des témoignages où on a dit : « Le prêtre de la paroisse était d'accord avec les assaillants, était complice ». Mais c'était plutôt des témoignages minoritaires. Je crois que dans l'ensemble, c'était un sentiment d'impuissance qui prévalait où on a laissé faire, c'était plus fort que soi, il fallait laisser faire et nombre d'églises donc étaient complètement dévastées.

Le Président : Bien. Vous avez vu des corps ? C'était des corps uniquement d'hommes en âge de faire la guerre ou c'était des corps de vieillards, de femmes, d'enfants, de bébés…

Colette BRAECKMAN : Non, pas du tout c'était tout le monde. C’était tout le monde. C'était dans ces églises, c'était tout le monde, c'était des femmes, des enfants, c'était des femmes qui portaient encore leur enfant sur le dos dont les enfants avaient le crâne écrasé, c'était des hommes finalement, ils étaient peut-être moins nombreux que les vieillards et que les femmes et les enfants à l'intérieur des églises. Certains portaient encore des vêtements, des hardes, d'autres n'en avaient plus, on les leur avait arrachés et c'était ce qui était le plus choquant, c'était dans certaines salles de classe de voir des corps d'enfants qui étaient amoncelés dans les salles de classe et de voir sur les murs de la classe les traces de crâne. On voyait qu'on avait jeté les corps des enfants sur les murs des salles de classe et que les crânes avaient éclaté et partout c'était surtout ce sentiment d'une population civile qui avait été tuée, c'était des villages entiers qui gisaient là et on enjambait les corps. Surtout lorsque je suis allée en mai 94, c'était un spectacle terrifiant parce qu'on avait l'impression que c'était une population entière mais pas du tout des gens en armes, en tout cas des hommes qui auraient été susceptibles de porter des armes, à la limite on en voyait pas beaucoup. C'était des civils, c'étaient des gens, j'allais dire, comme vous et moi, mais en tout cas c'était une vraie population.

Le Président : Bien. Maître BEAUTHIER

Me. BEAUTHIER : J'ai une question à poser et je vous demanderai donc de bien vouloir la poser à Madame Braeckman. Madame BRAECKMAN a parlé du sentiment d'impuissance dans des églises, dans certaines écoles, mais elle a dit tout à l'heure aussi que pour les deux sœurs elle avait, j'ai noté, « vu des liens qui existaient ». Alors, est-ce que c'était des liens évidemment avec le bourgmestre, est-ce que c'étaient des liens avec la milice Interahamwe, est-ce que c'étaient des liens avec l'armée et comment peut-elle l'avoir appris, ces liens, est-ce qu'elle a eu des témoignages concrets, précis, est-ce qu’il s'agissait plus que d'un sentiment d'impuissance de la part des deux sœurs ?

Colette BRAECKMAN : Oui, ce que les témoins m'ont dit, c'est que sœur Gertrude « s'entendait bien », « avait de bonnes relations » avec le bourgmestre et avec le chef de la milice.

Le Président : Est-ce que des témoins vous ont cité le nom de ce chef de milice ?

Colette BRAECKMAN : REKERAHU…?

Le Président : REKERAHO

Colette BRAECKMAN : Oui, c'est ça. Oui, qui était le chef… donc, c'était lui qui organisait les tueries dans la région, qu'elle le connaissait et on a cité aussi le nom de sœur Kizito disant que, comme elle était originaire de la région, elle connaissait personnellement un certain nombre de miliciens, qu'elle allait, qu'elle leur parlait, qu'elle rigolait et s'entretenait régulièrement avec eux. Donc, il se dégageait de cela un sentiment de connivence entre ces deux religieuses et ceux qui assaillaient le monastère.

Le Président : Vous aviez…

Me. BEAUTHIER : Donc, toujours dans cette optique là, Monsieur le président, voulez-vous poser la question à Madame BRAECKMAN, justement à propos de Monsieur REKERAHO. Ce Monsieur, l'a-t-elle vu ? A-t-elle entendu ce qu'il pouvait dire ? Et sait-elle que maintenant ­ son journal l'a dit d'ailleurs ­ Monsieur REKERAHO semble revenir sur certaines de ses dépositions. Alors, de façon plus générale, est-ce qu'il est normal que quelqu'un soit ainsi soumis à de tels changements, de telles variations, de déclarations. Est-ce que ça lui semble normal dans le contexte et passé et actuel ?

Le Président : Je veux bien qu’on pose la question à propos de ce qu'elle saurait du témoignage de Monsieur REKERAHO, d'avoir rencontré Monsieur REKERAHO, mais de savoir si ses habitudes ou pas… bon soit.

Colette BRAECKMAN : Je me trouvais au Rwanda, effectivement voici dix jours, mais je ne me suis pas entretenue personnellement avec Monsieur REKERAHO, c'est un de mes confrères qui a mené cet entretien, qui m'en a rendu compte, mais moi je ne me suis pas entretenue directement avec ce Monsieur, donc je ne peux pas me prononcer sur le fond de ce qu'il a dit, parce que ce n'est pas moi qui ai recueilli ce témoignage.

Le Président : Selon ce que votre confrère vous aurait dit, ce n'est plus tout à fait la même chose que ce qu'il racontait avant, Monsieur REKERAHO ?

Colette BRAECKMAN : Oui, c'est cela. Il a changé, il a modifié donc ses déclarations.

Le Président : Est-ce que votre confrère a éventuellement reçu de Monsieur REKERAHO une explication quant à ce changement de version ?

Colette BRAECKMAN : Non, je ne crois pas. Il a dit ce qu'il avait à dire et je crois qu'il ne s'est pas expliqué sur ses motivations.

Le Président : Est-ce qu'il n'a pas dit à votre confrère : « Moi j'ai été obligé par un enquêteur à mettre en cause les deux sœurs et maintenant je vais dire la vérité, elles n'ont rien à y voir… » ?

Colette BRAECKMAN : Non, je ne crois pas. La seule chose qu'il a dite, c'est qu'il espérait bénéficier de la procédure d'aveu, qui comme vous le savez, existe au Rwanda et qu'elle prévoit un allègement de peine pour une personne qui accepte d'avouer mais, dans son cas, je pense que ça ne joue pas puisqu'il a déjà été condamné à mort. Il a évoqué…

Le Président : Est-ce que votre confrère n'a pas reçu justement de la part de Monsieur REKERAHO l'explication que, ayant été entendu par un enquêteur du Tribunal pénal international, il avait reçu la garantie qu'il serait jugé par le Tribunal pénal international devant lequel la procédure d'aveu entraîne peut-être bien des conséquences, alors qu'en réalité, il n'a pas été jugé par cette juridiction-là, mais par une juridiction militaire.

Colette BRAECKMAN : Oui, exactement. Il espérait en fait être traduit devant le Tribunal pénal international et donc, bénéficier de cette procédure et vivre aussi dans de meilleures conditions, avoir un droit, un autre type de justice, et il a exprimé finalement son désappointement d'avoir été jugé et condamné devant un tribunal rwandais.

Le Président : Bien.

Me. BEAUTHIER : La deuxième partie de la question concerne l'entourage du président le témoin 32. Madame BRAECKMAN a fait dans son témoignage aussi allusion, même plus qu'allusion, à la belle-famille. Alors, est-ce que la belle-famille c'est un sens comme nous l'entendons, ou bien c'est tout de même relativement élargi, est-ce que ça peut s'étendre à des personnes, par exemple, comme Monsieur HIGANIRO ?

Colette BRAECKMAN : Oui, enfin la belle-famille ça veut dire, c'est élargi comme partout en Afrique, c'est-à-dire la famille proche, mais ce sont aussi les amis de la famille, le médecin personnel, le beau-fils du médecin personnel, les gens qui sont ­ parce qu’au Rwanda, surtout vers la fin du régime le témoin 32, la base de ce pouvoir personnel s'était rétrécie - et c'était au niveau du clan, c'est ce que tout le monde appelait l’AKAZU, la petite maisonnée qui comportait des gens de la famille directe, mais aussi apparentée ou qui travaillaient ensemble ou qui étaient liés par un ensemble, par des opinions politiques et par des liens communs, donc c'était finalement un petit groupe de gens qui était la famille au sens strict mais aussi au sens élargi comme souvent en Afrique.

Le Président : Alors, Maître HIRSCH. C'est parce qu'elle a levé le doigt la première, enfin avant que Maître RAMBOER ne se lève.

Me. HIRSH : Monsieur le président, Madame Braeckman nous a dit qu'elle avait fait l'objet d'une démarche spontanée de Monsieur NTEZIMANA, donc avant son arrestation probablement, d'après ce que je lis dans la déposition de Madame Braeckman, qui figure au dossier et qui est datée du 19 avril 1995, dans la semaine qui a précédé ou les quinze jours qui ont précédé cette audition, soit donc au début avril 1995. Donc, lors de l'entretien que Monsieur NTEZIMANA a eu avec Madame Braeckman, il a présenté une version des listes comme étant une liste visant à évacuer le personnel, le corps professoral, qui le souhaitait, de l'université de Butare vers des destinations que ceux-ci choisissaient. J'ai noté également, Monsieur le président, que Madame Braeckman s'étant rendue à une période vraiment cruciale dans la ville de Butare, ce que j'ignorais, soit après le début des massacres à Kigali, puisqu'elle nous a dit que le 9 et le 10 avril 1994, elle se trouvait à Butare.

J'ai noté également que le passage entre le Burundi et la ville de Butare était parfaitement possible durant cette période-là et nous savons, d'après le dossier, que ça a perduré encore pendant plusieurs jours. Ce qui veut dire que les gens qui souhaitaient quitter la ville de Butare, pouvaient le faire parfaitement puisque vous avez posé la question de savoir s'il y avait des barrières et Madame Braeckman vous a répondu qu'il n'y en avait pas mais qu'il y avait des réfugiés qui venaient de Kigali pour essayer de trouver refuge vers le Burundi et en tout cas dans la ville de Butare qui était une ville refuge au début du génocide. Les listes qui ont été élaborées, de l'aveu même de Monsieur NTEZIMANA, l'ont été…

Le Président : C'est une question Maître HIRSH ?

Me. HIRSH : …j'y arrive, Monsieur le président, mais je pense que le jury ne connaissant pas encore le dossier, je me dois d'expliciter la question que je vais poser, j'y arrive immédiatement. Les listes qui ont été élaborées par Monsieur NTEZIMANA l'ont été, d'après ses propres déclarations, soit le 12 soit le 15 avril 1994. Je souhaiterais, Monsieur le président, parce que c'est la seule personne, d'après ma connaissance, qui fait état de cela, que vous demandiez à Madame Braeckman de confirmer que, d'après ce qu'elle a entendu à Butare, Monsieur NTEZIMANA a eu pendant une semaine des entretiens avec le capitaine NIZEYIMANA qui a mené les massacres à Butare pendant une semaine, des entretiens pour préparer ces listes avant le début des massacres à Butare soit avant le 19-20 avril 1994. Merci, Monsieur le président.

Le Président : Alors, pouvez-vous préciser à propos de ce que vous avez appris à Butare, en ce qui concerne la confection de listes par Monsieur NTEZIMANA, qu'avez-vous appris précisément ?

Colette BRAECKMAN : Ce que j'ai appris c'est que lui-même s'était adressé à ses collègues de l'université et leur avait demandé, donc après plusieurs jours peut-être, deux semaines après le début des massacres, qui voulait quitter l'université et vers où ces personnes souhaitaient se diriger et cette demande n'a pas été formulée dans les premiers jours puisque, comme je vous l'ai dit, dans les premiers jours le passage était ouvert en direction du Burundi mais les gens de Butare ne croyaient peut-être pas qu'ils étaient menacés, parce que la ville de Butare n'était pas une ville qui était en proie, si vous voulez, aux extrémistes. Ce n'est qu'après le 19 et le 20 avril que ça s'est passé et donc je ne pourrais pas vous dire, d'après ce que je sais, quand exactement il a confectionné ces listes avec le capitaine NIZEYIMANA. Je sais simplement qu'on m'a dit que les deux hommes étaient très liés, ils se parlaient, ils étaient souvent ensemble mais je ne pourrais pas vous dire quand exactement, à quel moment, ils ont commencé à être ensemble.

Le Président : Vous dites donc bien : « Voilà, vous ne savez pas à quel moment ». Parce que dans votre déclaration à la police judiciaire c'est un peu différent. Selon les témoignages que vous auriez recueillis à l'époque, notamment par des professeurs de l'université de Butare qui se considéraient comme étant des rescapés des massacres, vous auriez appris par eux que Monsieur NTEZIMANA avait passé avec le capitaine NIZEYIMANA une semaine, avant le déclenchement des massacres.

Colette BRAECKMAN : Entre le 6 et le 19.

Le Président : Qu'est-ce que vous avez appris exactement ? Vous me dites : « Je ne sais pas très bien quand ? ». Mais la semaine dont on vous a parlé, les contacts fréquents qu'aurait eus Monsieur NTEZIMANA avec NIZEYIMANA ?

Colette BRAECKMAN : Mais les contacts ont eu lieu entre le 6 et le 19, ils ont eu lieu avant.

Le Président : Donc, avant le massacre.

Colette BRAECKMAN : Oui, ils ont eu lieu avant, vraiment avant le moment où Butare a commencé à basculer.

Le Président : D'accord. D'autres questions ? Maître RAMBOER

Me. RAMBOER : Monsieur le président, si vous me le permettez, je voudrais vous demander de poser la question suivante au témoin. Justement quand elle parle de, je dirais, de la connivence de certains responsables, donc du couvent avec les milices, j'ai… du fait que les églises étaient en réalité auparavant des sanctuaires, j'ai pensé automatiquement au fait que finalement ces religieuses n'étaient quand même pas seulement des religieuses qui étaient sur place avec un certain pouvoir, mais il y avait quand même aussi une Eglise qui était là, qui était très importante au Rwanda parce que je crois que 85 % de la population au Rwanda était catholique ou pratiquante, même avant les événements. Alors, si auparavant le droit d'asile dans les églises avait été respecté, est-ce qu'au moment où les églises ont été en quelque sorte des abattoirs, est-ce qu’à ce moment-là l'Église, la direction nationale, les évêques, l'archevêque, ne sont pas intervenus pour lancer des appels publics à faire respecter les sanctuaires ? Ca c'était ma première question. Et puis il y a une autre question que je vous ai posée, est-ce que cette connivence qu'on a constatée, ou dont il y a des indices au niveau local entre les sœurs, la direction du couvent et certains extrémistes politiques, est-ce qu'il y a des indications de connivence à des niveaux supérieurs ? Si pendant son séjour au Rwanda elle a pu avoir des indications ou des témoignages à ce sujet ?

Le Président : Deux questions donc. Est-ce que la hiérarchie catholique rwandaise ayant connaissance ou prenant connaissance de ce que des lieux de culte étaient devenus des lieux de tuerie, selon ce que vous auriez pu recueillir comme renseignements, ces autorités religieuses sont-elles intervenues ?

Colette BRAECKMAN : A ma connaissance, non. L'Église catholique en tant que structure d'autorité et d'autorité morale ne s’est pas… n'a rien dit. Elle a laissé faire, elle n'a rien dit. Et je pense que si elle l'avait fait ça aurait peut-être pu changer les choses si les évêques s'étaient mis devant les églises, s'il y avait eu une manifestation publique de l'autorité religieuse dès le tout début des massacres, je pense que beaucoup de gens auraient été dissuadés de faire ce qu'ils ont fait et d'entrer dans les églises. Mais ça n'a pas été fait. Et je crois que ça s'explique aussi par l'animosité qui existait de façon latente entre l'Église catholique et le Front patriotique rwandais, et en tout cas, l'Église n'a rien dit.

Le Président : Avez-vous éventuellement recueilli des témoignages pouvant laisser croire ou affirmer qu'il pouvait y avoir plus qu'un silence, je dirais, des autorités religieuses rwandaises mais une connivence entre ces autorités et les responsables des massacres ?

Colette BRAECKMAN : Oui, en tout cas il y avait des liens étroits entre l'archevêque de Kigali et le parti du président, le MRND. C'est ainsi que durant longtemps, l'archevêque de Kigali assistait aux réunions politiques du parti du président, donc était extrêmement proche de la famille présidentielle et de ce parti. Alors, dans le cas de Monseigneur le témoin 59, qui était l'évêque de Gikongoro, il était lui aussi très proche du pouvoir politique, du pouvoir politique de Kigali, du pouvoir politique de sa province, des miliciens et là encore, jusqu'à la semaine dernière, j'ai des témoignages très précis comme quoi il assistait aux réunions, il assistait à toute la préparation du génocide, il était d'accord pour attirer les gens vers les églises, vers les lieux de culte et vers les paroisses en sachant que ces lieux allaient se refermer sur les gens comme des pièges et qu'ils allaient y être tués.

Cela étant, Monseigneur le témoin 59 a été acquitté par un tribunal rwandais récemment. Donc, je crois, qu'il faut dire aussi que lorsque le pouvoir de Kigali à l'époque, le gouvernement intérimaire, a fui, il s'est réfugié dans la ville de Gitarama qui se trouve à côté de l'église de Kabgayi qui est souvent appelée le Vatican du Rwanda et d'après tous les témoignages, les contacts étaient étroits, fréquents, presque amicaux entre ce gouvernement intérimaire, qui depuis Gitarama était l'organisateur du génocide, qui envoyait des renforts ici, qui envoyait des armes là, qui donnait des ordres pour que les tueries se poursuivent, qu'il y avait des relations étroites et amicales entre ce gouvernement intérimaire et la hiérarchie de l'Église catholique qui se trouvait, elle aussi, réfugiée à Kabgayi. Ces gens se parlaient, vivaient ensemble et ce qui explique aussi pourquoi, lors de l'entrée du Front patriotique à Kabgayi, il y a eu un massacre de trois évêques par les soldats du Front patriotique qui, à l'époque, se sont vengés et ont puni l'Église de cette complicité.

Me. BEAUTHIER : Une toute petite question si vous le permettez. Mais elle est importante. On parle d'armes, on nous a parlé hier dans le film de français et de belges. Madame Braeckman, dans le contexte général, peut-elle nous situer les responsabilités mais de façon très précise. D'où venaient ces armes ? Ces armes ont été distribuées, elles n'étaient pas produites au Rwanda, il n'y avait pas d'usine d'armes, d'où venaient-elles ? D'après elle, d'après les renseignements qu'elle a pu avoir puisqu'elles ont été distribuées en grand nombre ? De Belgique, de France, d'ailleurs ?

Colette BRAECKMAN : Ces armes ont surtout été commandées en Egypte, en Afrique du sud, en France et, à l'époque, elles ont été amenées, notamment, dans le cadre de la coopération militaire française au Rwanda. Il faut dire aussi que le régime à l'époque avait commandé un million de machettes en Chine, en Chine populaire, les présentant bien entendu comme du matériel agricole, mais ces machettes allaient recevoir un tout autre usage. Et alors, à l'époque aussi, tout le monde s'étonnait de la quantité énorme d'armes qui arrivaient au Rwanda, qui arrivaient notamment directement depuis les aéroports français vers le Rwanda, à tel point qu'on se demandait d'abord, pourquoi un pays de la dimension du Rwanda, avec une armée qui était ce qu'elle était, avait besoin de dizaines, de centaines, de milliers d'armes et qu'on se demandait si le Rwanda n'était pas un lieu d'où ces armes auraient pu être réexportées vers des pays soumis à un embargo.

Le Président : Car le Rwanda à ce moment-là ne faisait pas l'objet d'un embargo ?

Colette BRAECKMAN : Non, pas le Rwanda. Et même d'autres pays comme l'Iran ou l'Irak, on se demandait si ce n'était pas une plaque tournante pour la réexportation d'armes vers d'autres pays pour contourner l'embargo.

Le Président : Il y a eu un embargo pour les armes au Rwanda, je crois que c'est vers la fin mai ? La mi-mai ?

Colette BRAECKMAN : Oui, c'est ça. C’est vers la fin de la guerre qu'un embargo a été décrété et il faut dire aussi, que même à Kigali après le début des tueries, un avion français s'est posé sur l'aéroport de Kigali, je pense que c'était vers le 10 avril et à l'époque j'étais encore là, j'étais encore sur le ­ dans cette région ­ donc sur l'aéroport et, à l'époque, des témoignages disaient : « C'est incroyable, les Français sont venus pour une mission humanitaire pour sauver les gens, pour évacuer les expatriés et les voilà qui déchargent des armes de leur avion. On se demande où ces armes vont aller ». Donc, c'était une information qui était disponible à ce moment-là à l'aéroport de Kigali. Donc, les Français livraient encore des armes après le début des massacres.

Le Président : Oui, Monsieur l'avocat, je vais vous demander de me rappeler votre nom, parce que je ne m'en souviens plus. Excusez-moi.

Me. NKUBANYI : Ça ne fait rien, Monsieur le président, en fait, je m'appelle NKUBANYI. C'est pas facile, mais on va peut être s'y habituer.

Le Président : Bien sûr.

Me. NKUBANYI : Alors, je voudrais en fait vous soumettre deux petites questions à poser à Madame Braeckman. La première est relative au terme « nettoyage » et au terme « travailler ». Elle nous a dit que ces deux mots ont deux significations. La signification normale que nous connaissons mais aussi la signification spécifique dans le contexte du génocide qui signifie « tuer ». Est-ce que, à sa connaissance, cette seconde signification était évidente, est-ce que la radio Mille Collines en parle, est-ce que la population savait d'avance ce que voulaient dire ces termes sans décodage particulier ? La seconde question est relative à Monsieur HIGANIRO, disons son rôle politique. Est-ce qu’à sa connaissance Monsieur HIGANIRO était un membre politique influant, est-ce qu'il serait membre du MNRD ou de la CDR ? Est-ce que la population est considérée comme un membre politique influant ? Je vous remercie.

Le Président : Bien. Deux questions. La première, à propos des termes « nettoyer », « travailler ». Est-ce que lorsqu'on adressait ces termes à la population il fallait qu'elle décode les termes pour savoir s'il fallait les comprendre dans le sens usuel ou dans un sens plus particulier ?

Colette BRAECKMAN : Non. Je crois que tout le monde savait très bien ce que ça signifiait, parce que ce terme avait déjà été employé précédemment et c'est une des particularités du génocide du Rwanda, c'est employer des termes de travail, des termes liés à l'agriculture pour nettoyer, presque enlever les mauvaises herbes, on disait ­ l'image qu'on emploie ­ c'était : « Il faut arracher les mauvaises herbes pour qu'elles ne repoussent pas ». Donc, il faut tuer aussi les enfants parce que les enfants en grandissant vont devenir des ennemis. Donc, il fallait nettoyer, sarcler, c'est un terme tout à fait usuel, c'est une image que les gens comprenaient, il n'y a pas eu un instant d'hésitation à ce propos.

Le Président : Et la seconde question, avez-vous des informations à propos du rôle politique ou de l'importance politique que pouvait avoir la personne de Monsieur HIGANIRO ?

Colette BRAECKMAN : Mais, il était en tous cas considéré comme un membre de l'entourage présidentiel, comme très proche et comme aligné sur les thèses, les idées du clan présidentiel. Je ne m'avancerai pas à dire  s'il était membre ou non de la CDR ou du MRND, du MRND certainement. Mais en tous cas, sa réputation était celle d'un homme tout à fait proche de l’AKAZU, qui partageait les idées et qui était dans ce groupe d'initiés, qui connaissait les secrets de l'État.

Le Président : Bien. Maître LARDINOIS.

Me. LARDINOIS : Monsieur le président, je souhaiterais que vous posiez au témoin la question suivante. Dans son livre « Le Rwanda, histoire d'un génocide », elle fait état que le 4 avril 94, c'est-à-dire le lundi de Pâques, le président Juvénal le témoin 32 s'est rendu avec son homologue burundais chez Monsieur MOBUTU à Gbadolite. C'est deux jours avant qu'il ne se rende à Arusha pour accepter la mise en place du gouvernement de transition. On sait aussi, ça ressort du dossier, il y a plusieurs témoins qui en parlent, que la veille, c'est-à-dire le dimanche de Pâques le 3 avril, il y a eu des réunions à Kigufi, à midi chez Monsieur HIGANIRO, et en soirée chez le président le témoin 32. A ces réunions étaient présents Monsieur BOOH-BOOH, Monsieur le pasteur MUSABE, le frère du colonel BAGOSORA, le ministre NZIRORERA. J'aurais voulu que vous posiez la question au témoin de savoir si on peut considérer que ces réunions, je dirais, qui se situent à un moment crucial, peuvent-elles être considérées comme une dernière mise au point, le dernier conditionnement du président le témoin 32 avant qu'il ne se rende à Arusha. Merci.

Le Président : Avez-vous connaissance de ce qui s'est dit dans ces réunions ?

Colette BRAECKMAN : Non pas du tout, pas du tout. La seule chose que je sais c'est que le président était mis sous pression et qu'il aurait dit à ses proches en tout cas qu’il ne pouvait plus différer plus longtemps la proclamation d'un gouvernement de transition, parce qu'il était soumis à une pression maximum de la communauté internationale et qu’en mars déjà ­ je l'avais rencontré parce qu'il avait rapidement rencontré la presse - il ne semblait pas être tout à fait dans son état normal, il semblait un homme acculé, complètement en train de perdre le contrôle de la situation, il n'avait plus du tout l'allure qu'il avait avant.

Le Président : Bien. D'autres questions ? Maître GILLET

Me. GILLET : Je vous remercie, Monsieur le président. Je souhaiterais poser deux questions à Madame Braeckman. La première concerne toujours la question des armes. Donc, si je comprends bien, cette énorme concentration d'armes, que l'on aurait pu croire, à un moment donné, destinées à une réexportation en dehors du Rwanda, a finalement servi au Rwanda même, dans le courant du génocide. Je souhaiterais avoir le sentiment de Madame Braeckman à ce sujet-là. Et deuxième sous-question en rapport avec cette première question : elle a parlé d'une réunion houleuse qui se serait tenue à Butare, elle en a entendu parler semble-t-il lorsqu'elle y était, donc les 9 et 10 avril, et où le préfet ­ et c'est pour ça que la réunion était houleuse ­ refusait de distribuer les armes, ce qui veut dire qu'il y avait donc des armes ­ c'est ma question ­ à Butare à cette époque-là. Je voudrais savoir aussi si elle en savait beaucoup plus, si elle a appris plus sur cette réunion, sur les protagonistes de cette réunion, et quel type de réunion dans laquelle se trouvait le préfet qui sera assassiné un petit peu plus tard ? Donc, ça c'est une chose. Sur les armes à Butare au moment où elle est là. Et comment ça se discute ? Et alors la deuxième question à propos de la RTLM : si Madame Braeckman a des précisions sur les raisons pour lesquelles la RTLM a été créée d'une part, et d'autre part, on a dit ­ j'ai entendu dire… 

Le Président : On va peut-être laisser le témoin répondre à votre première question.

Me. GILLET : Oui, c'est ça. D'accord.

Le Président : Ce sera peut-être plus simple d'en arriver à la deuxième.

Me. GILLET : Ça va. Très bien.

Le Président : Aviez-vous connaissance de la présence d'armes à Butare ? Cette réunion qui se déroule à la préfecture ou en présence du préfet en tout cas, est-il question de distribution d'armes ? Connaissez-vous éventuellement les participants à cette réunion ?

Colette BRAECKMAN : Oui, des armes avaient été distribuées à Butare comme partout ailleurs dans le pays, mais lorsque je m'y trouvais les 9 et 10 avril, ces armes n'avaient pas été distribuées et elles étaient donc stockées, elles étaient encore entre les mains de l'autorité et ce qui se disait - c'était le dimanche 10 avril dans la matinée - c'est qu'il y avait une réunion très importante à la préfecture où certains demandaient que ces armes ne soient distribuées, non pas à la population, mais aux milices, aux groupes d'autodéfense et que le préfet s'y opposait parce qu'il estimait qu’à Butare il n'y avait pas de danger, qu'il n'y avait pas de  prétexte. Il faut quand même dire que le prétexte donné à la distribution de ces armes, c'était que le pays était attaqué, attaqué par le Front patriotique rwandais. Et l'un des arguments était que Butare n'était pas attaquée, que cette ville était loin de la frontière, loin des opérations militaires et que donc il n'y avait aucune raison de distribuer ces armes. Il n'y avait pas d'autodéfense nécessaire puisqu'il n'y avait pas d'attaque et donc le préfet s'y opposait, la réunion était houleuse. Mais je ne sais pas qui participait nommément à cette réunion. C'était, me disait-on, toutes les « autorités de la ville » et il y avait disait-on, des dissensions entre le préfet et les militaires où certains voulaient distribuer ces armes tout de suite et on sait d'ailleurs que ces armes seront distribuées par la suite à Butare.

Le Président : Bien, alors abordons la deuxième question.

Me. GILLET : La deuxième question, Monsieur le président, c'est de savoir si Madame BRAECKMAN a des informations sur les raisons pour lesquelles la RTLM a été créée d'une part et d'autre part, on a dit, à cette époque-là et par après, que la RTLM était alimentée en électricité, en tout cas à ses débuts - je ne sais pas pendant combien de temps - directement par la présidence elle-même avec un câble qui sortait de la présidence et qui alimentait en électricité, la RTLM établie à proximité. Je voudrais savoir si Madame BRAECKMAN a entendu des choses à ce sujet là. Merci.

Le Président : Bien. RTLM pourquoi ?

Colette BRAECKMAN : Mais RTLM, la radio des Mille Collines a été créée sitôt après la signature des accords d'Arusha qui prévoyaient le partage du pouvoir et qui prévoyaient aussi que la radio nationale « radio Rwanda » reflèterait le point de vue de toutes les parties, donc, d'un gouvernement de coalition qui allait être créé, et c'est à ce moment-là qu'est apparue aux yeux de certains, la nécessité d'avoir une radio qui exprimerait leur point de vue à eux, c'est-à-dire le point de vue de ce groupe extrémiste, et à ce moment-là des collectes de fonds ont commencé à s'organiser au Rwanda, mais aussi à l'étranger, dans la communauté rwandaise à l'étranger, en particulier parmi les étudiants rwandais qui se trouvaient en Belgique à qui il était demandé, soit d'avoir des actions dans la société anonyme de RTLM ou de contribuer, de donner de l'argent pour créer cette radio. Et donc, c'était pour faire entendre le point de vue du groupe extrémiste sur les ondes. Il faut dire que cette radio a été montée d'une façon très professionnelle, on a recruté des animateurs professionnels qui étaient beaucoup plus agréables à écouter que ceux de radio Rwanda, qui passaient de la musique, notamment de la musique zaïroise, des musiques très entraînantes, donc qui étaient très attractifs et plusieurs fois lorsque je suis allée au Rwanda avant le mois d'avril on me disait que RTLM avait de plus en plus d'auditeurs, que les gens aimaient bien d'écouter RTLM parce que c'était une radio avec de la bonne musique, qu'elle était drôle, qu'il y avait des slogans, des réflexions critiques, humoristiques. Au moins, disait-on : « On rigole quand on écoute RTLM ».

Mais on ne faisait pas que rire. RTLM donnait aussi des messages de haine, de méfiance et sapait systématiquement les accords d'Arusha en disant que : « On avait vendu le pays, que les Hutu allaient perdre le pouvoir », et donc c'était une entreprise de travail psychologique qui était menée par le biais de RTLM qui est devenue une radio de plus en plus populaire. Alors, qu'on savait très bien que le siège de RTLM était pratiquement contigu à la présidence et que c'était une radio qui était financée directement par la présidence. Il y a eu des représentations de protestation auprès du président à propos de RTLM. Je me souviens notamment, lors de sa rencontre avec la presse, nous lui avons posé la question - des représentants belges lui ont posé la question - parce que RTLM critiquait aussi beaucoup la Belgique, et notamment le contingent belge des casques bleus et le président a répondu : « Mais c'est un aspect de la liberté de la presse. Puisque vous voulez la liberté, la liberté de la presse au Rwanda, eh bien, c'est une radio libre, elle dit ce qu'elle veut et je ne peux rien faire pour l'en empêcher ».

Le Président : Saviez-vous par exemple… Vous connaissez des noms des actionnaires de RTLM ?

Colette BRAECKMAN : C'était surtout le clan présidentiel. C'était Séraphin RWABUKUMBA, le beau-frère du président, c'était Madame Agatha BERENADA, c'était Protais ZIGIRANYIRAZO qui était le préfet de Ruhengeri, c'était le groupe au pouvoir qui avait mis de l'argent, je crois aussi que même le Belge Georges RUGIU avait acheté une part dans RTLM.

Le Président : Saviez-vous que Monsieur HIGANIRO était actionnaire de RTLM ?

Colette BRAECKMAN : Oui, il était un des membres fondateurs de la radio.

Le Président : Oui. Maître GILLET.

Me. GILLET : Elle n'a pas tout à fait répondu à la question que je lui ai posée. Elle a bien confirmé que la RTLM était contiguë à la présidence...

Le Président : Est-ce que l'électricité venait de la résidence ?

Colette BRAECKMAN : Je n’ai pas vu personnellement le câble, mais tout le monde le disait à Kigali à l'époque, que c'était contigu. Oui, on le disait, enfin je n'ai pas été voir le câble. Je ne suis pas électricienne.

Le Président : D'autres questions ? Monsieur l'avocat général, oui.

L’Avocat Général : Une simple précision, Madame Braeckman l'a déjà dit, mais je voudrais que ce soit clair. Lorsque vous êtes entrée par le Burundi au Rwanda le 9 avril puis le 10 avril puis plus tard, il n'y avait pas de front militaire à ce moment-là à Butare, le front se trouvait ailleurs ? Il n'y avait donc pas de guerre entre le FPR et le FAR à Butare à ce moment-là ?

Colette BRAECKMAN : Non, pas du tout. Il n'y avait aucune menace militaire. J'ai passé la nuit du 9 au 10 à Butare et j'avais peur, je me disais : « C'est un pays qui est en guerre », mais j'avoue que je n'ai pas entendu un seul coup de feu, que le lendemain on m'a dit : « Mais non, à Butare, tout est calme il n'y a aucune menace sur la ville ».

Le Président : Maître CARLIER.

Me. CARLIER : Merci, Monsieur le président. Je voudrais poser une question très générale pour notre information à nous, dans cette salle. Si vous estimez la question trop générale vous l'écartez bien entendu, mais il est vrai que nous savons que ce procès est à la fois l'occasion de faire mémoire et peut-être de panser les possibles du futur aujourd'hui encore. Alors, je voudrais simplement demander à Madame BRAECKMAN, en tant que journaliste de terrain qui est encore retournée récemment dans la région, qu'est-ce qu'elle pense pour le futur du peuple rwandais. Est-ce que la réconciliation est encore possible ?

Le Président : Madame, c'est vrai que le futur doit nous intéresser aussi…

Colette BRAECKMAN : Mais j'aurais envie de vous répondre par un témoignage personnel. C'est que la semaine dernière, j'ai eu l'occasion de visiter un village où il n'y avait pratiquement plus que des femmes, les champs étaient très mal cultivés et c'est un village où il n'y avait plus que des femmes et la moitié de ces femmes sont des veuves dont les maris, les familles, sont morts pendant le génocide et l'autre moitié sont des femmes dont les maris sont en prison. Et c'est une religieuse qui m'a amenée à visiter ce village. Il y avait là une centaine de femmes avec qui j'ai pu m'entretenir par l'intermédiaire de la religieuse qui a traduit et ces femmes m'ont expliqué qu’après, elles se sont retrouvées absolument seules, que les unes pleuraient toute leur famille qui avait été tuée, que les autres portaient la nourriture à leurs époux qui se trouvaient en prison et que pendant deux ans elles ne se sont pas parlées, qu’au début les femmes, les veuves, les rescapées jetaient des pierres et de la bouse de vache sur les femmes de prisonniers en disant : « Vous avez tué les nôtres, vous avez participé aux crimes », et les femmes de prisonniers disaient : « Oui nous étions témoins, honteuses de ce que nous avions fait, mais nous n'osions pas leur parler, les regarder en face, nous marchions en regardant le sol », et l'une de ces femmes disait : « Ce que nous avons fait c'était vrai tout ce qu'elles nous reprochaient, c'est vrai nous l'avons fait, nous n'avons rien à dire, on a fait comme tout le monde on a cassé leurs maisons, volé leurs vêtements, tué leurs enfants ».

Et puis après, avec le temps, ces femmes ont commencé à se parler, et un jour, il y a eu une famine dans cette région qui est d'ailleurs proche de Butare, et les femmes, les veuves étaient en contact avec la religieuse qui avait obtenu pour elles des haricots d'une organisation internationale et là une veuve tout à coup à dit que ça lui faisait mal de voir ces femmes de prisonniers qui avaient faim de la même façon qu'elles-mêmes et dont les enfants avaient faim. Et cette femme a dit : « Mais enfin mes enfants à moi sont morts mais j'ai mal au cœur de voir ces gosses qui ont faim, est-ce qu'on ne pourrait pas partager ? ». Et à ce moment-là, il y a eu une réunion entre les veuves où les veuves ont dit : « Au fond, on pourrait peut-être partager avec les autres ». Et alors, elles m'ont raconté qu'il y a eu cette réunion où tout à coup une femme de prisonnier a éclaté en sanglots et a dit : « Je reconnais qu'on a mal fait je vous demande pardon. Au départ, je ne sais pas ce qui s'est passé, est-ce qu'on pourrait jamais nous pardonner ? ». Et alors, elles ont partagé les arrivages de nourriture et ces femmes m'ont dit :  « Nous, entre nous, nous ne parlons jamais de réconciliation, nous ne parlons pas d'amnistie, nous ne parlons pas de pardon », mais elles disent : « Nous sommes pauvres, nous sommes seules, nous sommes aussi pauvres les unes que les autres, et de toute façon nous sommes obligées de vivre ensemble ».

Et je leur ai demandé si elles croyaient à la justice, si elles croyaient en la justice du Rwanda ou à la justice internationale. Elles ont dit que tout ça c'était des histoires de politiciens, que c'était trop haut, trop loin pour elles, mais elles, qui étaient pauvres, étaient obligées de vivre ensemble et de s'entraider, et que finalement la seule chose qui leur avait fait du bien, c'était de se parler. Les veuves ont dit qu'au moment où une femme a regretté son acte, a dit : « Je ne sais pas mais nous l’avons fait c'est vrai, et on n'aurait pas dû faire ça, nous reconnaissons que nous avons tué et tué tous les vôtres », et qu’à ce moment, quelque chose en elles avait craqué qui était la rancœur, la haine. Elle dit : « J'ai pleuré, nous avons toutes pleuré, nous avons commencé à nous parler ». Et ces femmes ne parlent pas de réconciliation, mais elles m'ont simplement dit que parfois il arrive des femmes dont les maris sont en prison, mais qui ont encore des enfants, prêtent un de leurs garçons pour aider les veuves qui sont blessées, handicapées, pour les aider, aller chercher de l'eau, à cultiver leur champs et elles disent : « Nous n'avons rien, mais peut-être nous pouvons leur rendre ce service ».

Alors, elles ne parlent peut-être pas de réconciliation, mais en tout cas elles sont comme tous les rwandais, elles savent qu'elles sont obligées de vivre ensemble et je crois que c'est cela la réalité du Rwanda aujourd'hui. Et un dernier point qui a fait l'unanimité de ces femmes, c'est qu'elles craignaient beaucoup le retour des hommes, le retour de ceux qui sont en prison parce qu'elles disent : « Ceux qui sont en prison ne sont peut-être pas prêts à reconnaître les crimes qui ont été commis. Nous les femmes, nous avons fait un chemin, nous avons découvert certaines choses, que peut-être on a été manipulées, poussées dans cette violence, nous avons appris à revivre ensemble. Les hommes, ce n'est pas comme ça ». Et toutes ont très peur du retour des hommes dans cette commune de Runyinya.

Le Président : Il faudra donc qu'au Rwanda, comme bien souvent ailleurs, la femme soit l'avenir de l'homme et de l'humanité.

Colette BRAECKMAN : On verra…

Le Président : D'autres questions ? Maître CUYKENS ?

Me. CUYKENS : Oui, Monsieur le président. Monsieur le président, est-ce que vous pourriez demander au témoin de confirmer son audition du 24 avril parce qu’ici elle vient nous dire les raisons pour lesquelles la RTLM a été créée et dans cette audition du 24 avril Madame BRAECKMAN nous dit que les actionnaires de la RTLM ne pouvaient pas nécessairement prévoir quel allait être le rôle de cette radio pendant le génocide. Alors, ça a l'air un petit peu contradictoire.

Colette BRAECKMAN : Oui, c'est-à-dire que… Bon, ils ont créé cette radio pour faire valoir leur point de vue qui était le point de vue de leur groupe, de leurs thèses, des thèses qualifiées de Hutu Power. Evidemment, après le déclenchement du génocide, la RTLM a pris, a joué un rôle actif. Elle a directement incité les gens à tuer, elle a donné des ordres, elle a dit encore… Elle a parfois dénoncé des cachettes où se trouvaient des Tutsi, en disant : « Il y a encore des gens qui sont cachés ici, il faudrait que les miliciens aillent et se rassemblent ». Donc, elle a eu un rôle, elle a participé à l'orchestration, à la mise en œuvre du crime. Alors, est-ce que ceux qui ont signé les actes de constitution de RTLM à ce moment-là, au mois d'août, pouvaient savoir que cette radio allait avoir un tel rôle, je crois que ce n'est pas euh… ce serait peut-être un peu audacieux du dire. Ils connaissaient le rôle politique de la radio des Mille Collines, mais le rôle pratique d'orchestration du crime, pouvaient-ils déjà le concevoir au mois d'août 94, c'est possible mais ce n'est pas certain.

Le Président : Au mois d'août 93…

Colette BRAECKMAN : Euh… 93, pardon. C'est possible, mais ce n'est pas nécessairement évident. Je crois qu'il y a eu un enchaînement de choses, c'est comme une machine, si vous voulez, qui déroule, qui se déroule suivant un enchaînement et on ne peut pas nécessairement tout prévoir au moment où on la met en marche.

Me. CUYKENS : J'ai encore une question, Monsieur le président. Enfin j'en ai encore deux. Mais ceci est donc la deuxième. Le témoin nous disait tout à l'heure qu'elle avait entendu, de la rumeur publique ou de notoriété publique à Butare, que Monsieur HIGANIRO avait demandé de faire nettoyer les corps, puisqu'il en avait les moyens etc. Et dans son audition, il semble que cette information provient d'une plainte dont elle a eu connaissance à l'occasion d'une conférence de presse. Donc, est-ce que ça vient de Butare, cette information, ou est-ce que ça vient d'une conférence de presse qui développe une plainte qui a été effectivement portée contre Monsieur HIGANIRO ?

Colette BRAECKMAN : Oui, à l'époque c'était une plainte. Mais après, je suis allée plusieurs fois à Butare, et là les témoignages étaient tout à fait convergents y compris ceux que j'ai recueillis récemment : c'était cette demande de nettoyer les lieux, de dégager les corps donc, il y avait certainement convergence.

Me. CUYKENS : Et alors, ma dernière question, Monsieur le président, si vous le permettez. A la toute fin de son audition, le témoin explique aux enquêteurs qu'il faut une certaine prudence lors du recueil de témoignages et de renseignements au Rwanda. Est-ce qu'elle peut éventuellement nous en dire plus ? Est-ce qu'elle se souvient de ce qu'elle a dit ?

Colette BRAECKMAN : Euh, oui. Mais je crois que c'était une recommandation, disons de bon sens, vu les problèmes de langue, les problèmes d'interprétation. Et c'est vrai qu'il est arrivé que certains rescapés disaient : « Nous, on dit les choses qu'on a vécues et parfois on nous demande d'en dire plus, on nous demande de raconter des choses qu'on a n'a pas vues ». Il faut voir la situation des rescapés. Ces gens étaient parfois laissés pour morts sur des tas de cadavres, ils étaient là dans un état second d'abattement, de terreur et certains m'on dit, encore récemment : « Il ne faut pas qu'on nous demande de donner des précisions, on était là avec les bras au-dessus de la tête en espérant rester vivants et qu'on vienne nous demander ce qui se passait à 500 mètres ou qui était qui et… », les gens ne savent pas. Donc, on doit être prudent et aussi  retenu dans ce genre d'enquête parce que les gens étaient dans un état de terreur, ils ne maîtrisaient pas l'ensemble de la situation.

Le Président : Oui, mais enfin je crois que lorsque vous avez été entendue par la police judiciaire, vous faisiez allusion à autre chose que cela…

Colette BRAECKMAN : Les gens ont peur aussi.

Le Président : …en disant que le Rwanda était le pays des rumeurs, de la désinformation, des faux en tout genre, faux fax, fausses photocopies, faux uniformes, faux témoignages… peut-être, je ne sais pas enfin…

Colette BRAECKMAN : Ça c'est vrai… Oui, ça c'est vrai, il peut arriver que des gens soient poussés à dire certaines choses, des choses dont ils n'ont pas été témoins personnellement et même la semaine dernière, des gens comme ça m'ont dit : « Oui, on nous incite à aggraver les choses, à relater des choses que nous n'avons pas vues personnellement », et certains disent : « Ca nous choque », mais d'autres aussi disent : « Nous avons peur », et ça déjà à l'époque où ça se passait, des gens disaient : « Nous avons vu, nous savons mais nous avons peur de dire » parce qu'ils ont peur des représailles. Je crois que cela aussi, ça joue dans le cas des témoins, les gens ont peur au Rwanda. Ils ont peur que des gens qui ont réchappé à la justice reviennent et se vengent et tuent les derniers témoins survivants. Il arrive fréquemment que dans un village, il n'y ait plus qu’un ou deux rescapés qui connaissent la vérité, qui peuvent dire qui a tué ces gens. Ces gens sont évidemment des cibles et je crois que certains d'entre eux n'osent pas se présenter et n'osent pas dire ce qu’ils savent, parce qu'ils craignent encore aujourd'hui d'être éliminés.

Me. CUYKENS : Je vous remercie.

Le Président : Bien. Maître WAHIS s'était levé avant vous. Ce n'est peut-être pas le même sujet… Maître EVRARD.

Me. EVRARD : Monsieur le président, je voudrais poser une question de contexte général. Lorsque le témoin se rend au Rwanda, y va-t-elle seule ? Sa qualité de journaliste est-elle mentionnée sur certains documents ? Il me semble qu'elle nous a dit tout à l'heure, qu'elle avait reçu, des gens viennent la trouver pour lui dire certaines choses et qu'elle n'a aucun doute, qu'elle n'a aucun doute sur ce qui lui est dit, précisément parce qu’elle nous dit qu'on ne peut pas savoir qu'elle est journaliste. Alors est-ce que quand un européen se rend dans la ville de Butare, est-elle seule quand elle y va ? Est-ce que sa venue est connue ? J'ai eu l'occasion moi, de me rendre à Butare et donc, je peux ­ ma venue était presque annoncée ­ voilà un peu la question que je souhaiterais voir posée au témoin. Je vous remercie.

Colette BRAECKMAN : Ah oui, mais lorsque je viens en reportage au Rwanda, oui, je voyage seule et je rencontre des gens, à certains d'entre eux, je dis que je suis journaliste, et certains le savent parce qu'ils me connaissent, comme je vais depuis longtemps au Rwanda. Mais certains ne me connaissent pas, et en particulier à l'époque où j'avais recueilli ces témoignages et à Butare encore plus, il y avait beaucoup d'étrangers présents dans la ville, des humanitaires, des ONG, des membres du CICR qui étaient là, et les gens, certains me connaissaient et d'autres pas, et donc, pouvaient croire que j'étais un « blanc parmi d'autres » qui étaient là pour des raisons humanitaires. Donc, en tout cas, la personne qui m'avait parlé, elle ne savait pas que j'étais journaliste et elle a parlé comme elle aurait parlé à n'importe quel blanc. Elle, elle avait envie de s'exprimer et de parler, ce n'est pas le cas de tout le monde, il peut arriver que des gens me reconnaissent et s'approchent et disent : « Ah, vous qui êtes journaliste voilà ce que j'ai à vous dire ». Donc, cela varie mais en tout cas je suis seule, ce qui d’ailleurs limite parfois les contacts et m'oblige à parler avec des gens qui parlent plutôt en français.

Le Président : Maître WAHIS.

Me. WAHIS : Oui, Monsieur le président. Madame BRAECKMAN nous a parlé tout à l'heure de certains prêtres qui avaient eu un comportement relativement héroïque pendant les événements, qui avaient abrité des gens qu'ils avaient acheminés vers des lieux de sécurité, disait-elle, et elle a cité à ce moment-là, l'abbé André SIBOMANA. Alors la question que je vous demanderai de lui poser est celle-ci : peut-elle nous dire de quelle revue l'abbé SIBOMANA était le rédacteur en chef, et quelle était la place et le retentissement de cette revue au Rwanda, et enfin les positions de cette revue par rapport à l'ethnisme et à l'idéologie du pouvoir ?

Colette BRAECKMAN : Oui, c'est ça toute l'histoire de la revue KINYAMATEKA qui était la revue de l'Église catholique qui au début était une revue qui défendait la « cause », la cause des Hutu, de l'émancipation du peuple Hutu. Mais avec le temps, cette revue avait évolué et, notamment vers la fin des années 80, elle s'était montrée de plus en plus critique à l'égard du pouvoir en place, à l'égard du pouvoir le témoin 32, et d'une certaine façon, les rédacteurs de Kinyamateka, l'abbé SIBOMANA, son collègue l'abbé SIBANAGNI profitaient du statut particulier de Kinyamateka, la revue catholique, la revue publiée dans les locaux de l'Église catholique, qui représentait une certaine protection ; ils en profitaient pour dénoncer la corruption du régime, les excès du régime pour mener des enquêtes qui dérangeaient et donc l'abbé ZIBOMANA, pendant de longues années avant avril 94, était un de mes interlocuteurs réguliers à qui je rendais visite dans les locaux de Kinyamateka, et qui disait : « Comme nous sommes ici dans l'enceinte de l'église, on n'ose rien me faire, c'est beaucoup plus difficile ». Encore que, il y avait eu des procès, le régime lui avait fait des procès, son collègue avait été victime d'un accident de circulation qui était vraisemblablement un attentat, donc, il était menacé lui aussi. Mais il pouvait tout de même avoir une position plus courageuse. Alors, par la suite, l'abbé SIBOMANA est resté au Rwanda et il a continué son combat pour la vérité, pour dire les choses et il s’est trouvé en difficulté, avec parfois… avec des tensions avec le nouveau pouvoir également.

Me. WAHIS : Madame BRAECKMAN pourrait peut-être encore préciser, j'ai demandé la position de Kinyamateka par rapport à l'ethnisme et à l'idéologie du pouvoir, vous avez parlé d'excès du pouvoir, mais est-ce que vous pourriez être plus précise sur ce point là ?

Colette BRAECKMAN : Mais Kinyamateka défendait l'idée de l'émancipation - en tout cas dès le début - des Hutu, en tant que majorité. Donc, elle était, disons le fer de lance, un lieu de réflexion idéologique de ce qui était l'émancipation, la prise de pouvoir Hutu. Donc, de ce point de vue là, on peut dire qu'elle s'est alignée sur ces thèses pendant longtemps, et si vous voulez, le point de vue de Kinyamateka était que le pouvoir Hutu était légitime mais qu'il fallait dénoncer des excès, des abus de pouvoir, la corruption etc. mais que globalement, c'était une idéologie légitime qui s'exprimait au nom du « peuple majoritaire ».

Me. WAHIS : Monsieur le président, tout à l'heure Madame BRAECKMAN nous a dit : « La hiérarchie catholique n'a absolument pas réagi au moment du génocide ». A-t-elle connaissance d'une lettre épiscopale qui aurait été écrite par la conférence des évêques au début du génocide et si oui, quel en est le contenu bien entendu ? 

Colette BRAECKMAN : Ah, ça je ne m'en souviens plus. Mais je crois…

Me. WAHIS : J'en prends acte.

Colette BRAECKMAN : En tout cas, il n'y a pas eu de manifestation publique et physique si vous voulez où les évêques sont sortis, se sont portés physiquement à la protection ­ pour protéger les gens ­ pour dire : « Arrêtez ». Il n'y a pas eu d'intervention : « Arrêtez les massacres, arrêtez tout de suite, déposez les armes », ça il n'y a pas eu.

Le Président : Plus d'autres questions Maître WAHIS ? Maître GILLET ?

Me. GILLET : Si vous me le permettez, Monsieur le président, ce n'est pas pour poser une question, c'est pour apporter une petite précision par rapport à la question qui vient d'être posée par Maître WAHIS. En réalité Maître WAHIS…

Le Président : Non, non si c'est un commentaire à faire à propos de la question, non. Si c'est un commentaire à propos… si c'est un commentaire à propos de la question, non. Si c'est un commentaire à propos de la réponse, oui, mais après que le témoignage soit clôturé.

Me. GILLET : Non, c'est un… d'accord. D'accord.

Me. CUYKENS : J'avais encore une petite question, simplement de précision, parce que le témoin nous a parlé du préfet de Butare et de son rôle plutôt positif. Effectivement, au début avril, est-ce qu'elle peut préciser le nom de ce préfet et faire la distinction pour le jury entre le nom de ce préfet et le nom du président, parce que la consonance est assez proche.

Le Président : Oui.

Colette BRAECKMAN : Oui, le préfet s'appelait Monsieur Jean-Pierre le témoin 32. Mais souvent en Kinyarwanda le M et le L se rejoignent donc, c'était Jean-Pierre le témoin 32, c'était donc lui le préfet de Butare.

Me. CUYKENS : Et le président, c'est donc le témoin 32 ?

Colette BRAECKMAN : Exactement.

Me. CUYKENS : C'était juste une précision.

Le Président : Bien. Y a-t-il encore des questions à poser aux témoins ? Madame le 4e juré suppléant peut-être bien ? Parce que vous n'avez pas de chiffre. Un micro pour Madame…

Le 4e Juré suppléant : Je ne sais si je dois me lever. Non ?

Le Président : Ce n'est pas obligatoire.

Le 4e Juré suppléant : Bien, alors je préfère rester assise. Monsieur le président, je voudrais demander à Madame BRAECKMAN, revenir aux listes en fait dont on a déjà parlé, et je voudrais savoir si à la connaissance de Madame BRAECKMAN, des listes ont servi à sauver des gens. Si elle a pu récolter des témoignages de personnes lui disant qu'ils avaient été sauvés grâce à des listes.

Le Président : Bien.

Colette BRAECKMAN : Non, les listes étaient plutôt faites pour désigner ceux qui devaient être tués. Il est possible, oui…

Le Président : Avez-vous entendu dire ou avez-vous été témoin direct ­ direct c'est peut-être difficile ­ ou témoin indirect, vous a-t-on déjà dit que des personnes avaient fait l'objet de listes et que ces listes avaient servi effectivement à les sauver ?

Colette BRAECKMAN : Non. Les listes à l'époque, c'était des listes qui désignaient des victimes potentielles. Cela étant, ce que je sais c’est que  lorsque le FPR s'infiltrait dans, notamment, dans la ville de Kigali, des équipes du FPR se rendaient dans certaines maisons où elles savaient que se trouvaient des gens ­ que des gens étaient cachés ­ des gens qui étaient soit des sympathisants, soit des partisans du mouvement. Elles se dirigeaient d'une façon assez précise vers ces lieux, pour, de nuit, essayer de les faire échapper et regagner les lignes du FPR. Donc, on peut peut-être en conclure que ces équipes du FPR avaient des adresses, des listes avec l'adresse des gens qu'elles devaient aller sauver, mais je n'en ai pas le témoignage direct. Lorsqu'il est question de listes au Rwanda c'était des listes de victimes potentielles.

Le Président : D'autres questions ? Alors, plus de questions, les parties sont-elles d'accord pour que le témoin se retire ?

Le Président : Madame est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler, persistez-vous dans vos déclarations ?

Colette BRAECKMAN : Oui.

Le Président : Eh bien, vous pouvez disposer librement de votre temps. Bien, nous allons sans doute quand même suspendre l'audience, à moins que vous souhaitiez faire un commentaire à propos des réponses, non pas à propos des questions.

Me. WAHIS : Madame BRAECKMAN a répondu qu'elle n'avait pas entendu parler d'une lettre épiscopale au début du génocide. Je voudrais préciser qu'il y a eu une lettre épiscopale, mais elle date de deux ans avant. Donc, en janvier 1992, il y a eu au sein de l'Église, une certaine réaction qui est venue de l'évêché de Kabgayi, c'est-à-dire de l'évêché où se trouvait Monsieur SIBOMANA d'ailleurs, et qui faisait une sorte d'autocritique des compromissions de l'Église avec le pouvoir rwandais. C'est une longue lettre épiscopale qui a fait un très grand effet, qui a fait sensation à l'époque et je suppose que c'est à cette lettre-là qu'il a été fait allusion tout à l'heure.

Le Président : Alors, Maître WAHIS souhaitez-vous, à propos du témoignage, faire un commentaire ?

Me. WAHIS : Non, Monsieur le président…

Le Président : Bien. Alors, nous allons suspendre l'audience pendant un quart d'heure. On la reprendra à 11 heures quart par l'audition de Madame DESFORGES.