assises rwanda 2001
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Instruction générale d'audience Audition témoins de contexte compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction générale d’audience > Audition témoins de contexte > C. Vidal, historienne, sociologue
1. C. Braeckman, journaliste 2. F. Reyntjens, juriste 3. A. Desforges, historienne 4. G. Sebudandi, journaliste 5. Y. Mukagasana, écrivain 6. R. Zacharia, médecin 7. J.P. Chrétien, historien, J.F. Dupacquier, journaliste 8. F. Twagiramungu, ex premier ministre rwandais 9. J. Matata 10. C. Vidal, historienne, sociologue 11. C. De Beul, ingénieur technicien 12. W. Defillet, assistant social 13. E. Vandenbon, assistante sociale 14. A. Vandeplas, magistrat retraité 15. le témoin 39, ex militaire de l’APR 16. le témoin 135 17. Explication suite déroulement procès 18. le témoin 41, sociologue 19. F.X. Nsanzuwera, ex procureur République à Kigali 20. A. Guichaoua, sociologue et commentaires A. Higaniro
 

5.5.10. Témoin de contexte: Claudine VIDAL, historienne, sociologue

Le Président : Madame, quels sont vos nom et prénom ?

Claudine VIDAL : Je m’appelle Claudine VIDAL.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

Claudine VIDAL : Je suis née en 1937.

Le Président : Quelle est votre profession ?

Claudine VIDAL : Je suis directeur de recherche en sociologie au CNRS.

Le Président : Quelle est votre commune de domicile ou de résidence ?

Claudine VIDAL : Sèvres, 92, en France.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés avant les faits mis à leur charge, c’est-à-dire en gros avant le mois d’avril 1994 ?

Claudine VIDAL : Je ne connais aucun d’entre eux.

Le Président : Vous n’êtes donc pas parente ou alliée des accusés ?

Claudine VIDAL : En aucune façon.

Le Président : Etes-vous parente ou alliée des parties civiles ?

Claudine VIDAL : En aucune façon.

Le Président : Etes-vous attachée au service des accusés ou des parties civiles ?

Claudine VIDAL : En aucune façon.

Le Président : Je vais vous demander, Madame, de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment de témoin.

Claudine VIDAL : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie, vous pouvez vous asseoir, Madame. Madame, vous nous avez exposé il y a un instant que vous étiez directeur ou directrice de recherche en sociologie au CNRS. Avez-vous des connaissances particulières en ce qui concerne la société rwandaise ?

Claudine VIDAL : Oui, mon premier travail, je suis africaniste, on nous appelle comme cela au CNRS et mon premier travail de recherche a commencé au Rwanda en 1967 où j’ai travaillé plusieurs années sur l’histoire du Rwanda, et notamment l’histoire précoloniale. Je connais donc bien le Rwanda et la société rwandaise, au moins de cette époque, c’est-à-dire de 1967 à 1974.

Le Président : Avez-vous fait des recherches pour les périodes postérieures ?

Claudine VIDAL : J’ai fait des recherches pour la période postérieure, à partir de 1990 et surtout 1994.

Le Président : Alors, des recherches que vous avez effectuées, pouvez-vous éclairer la Cour et le jury sur peut-être certaines conditions, qu’elles soient historiques, sociologiques, culturelles, politiques, qui pourraient donner une explication à l’émergence des événements qui vont débuter le 6 ou le 7 avril 1994 et donner lieu à un nombre important de morts, sans que personnellement je ne qualifie ce dont il s’agit ?

Claudine VIDAL : Je voudrais exposer, parler sur un thème relativement pointu mais c’est celui que je connais le mieux en tant que personne ayant vécu au Rwanda plusieurs années, c’est-à-dire sur l’implication des intellectuels et des gens éduqués dans la construction de la haine anti-Tutsi au Rwanda. Car en effet, ceci m’a frappé, dès 1967, donc dès l’année où j’ai commencé mes travaux. En même temps, et ceci, dans ma spécialité, dans le travail que j’ai fait au Rwanda, j’ai été frappée de constater à quel point une utilisation de l’histoire du Rwanda, une utilisation falsificatrice a été sans arrêt mise en avant pour donne, si on peut dire, des assises séculaires à ces sentiments de haine. Quand j’ai commencé en 1967 au Rwanda, l’atmosphère était très lourde car, je fais un bref rappel, il y avait eu en 1963, des massacres très graves et très importants de Tutsi. En 1963, il y avait eu une attaque faite de l’extérieur par des « guérilleros » Tutsi en décembre 1963. Cette attaque a été immédiatement suivie par des massacres très importants de paysans Tutsi à l’intérieur et en même temps par l’exécution de notables Tutsi plus connus. Donc, on voyait déjà une réaction que l’on verra beaucoup plus à partir de 1990 : toute attaque de l’extérieur du Rwanda est répercutée par des massacres de population Tutsi à l’intérieur.

En 1967, l’atmosphère était lourde. Le souvenir de ces massacres pesait incontestablement. Or, moi je travaille sur les collines puisque je travaille sur l’histoire du Rwanda et que j’ai besoin de reconstituer ce que l’on pouvait savoir des relations entre Hutu et Tutsi. Ce travail était tout à fait possible puisque vous vous souvenez, on l’a sans doute dit ici, les premiers européens sont arrivés au Rwanda au début du 20e siècle, si bien que je m’entretenais avec des personnes âgées, des vieillards qui étaient nés avant l’arrivée des européens qui connaissaient donc bien tout ce registre. Or, je me suis aperçue que sur les collines, le discours de haine entre Hutu et Tutsi était absolument inexistant. Les paysans rwandais, âgés certes, racontaient les exactions qu’ils avaient dû subir de la part de certains chefs Tutsi durant la colonisation mais… euh, comment dirais-je… ne prolongeaient pas ces accusations individuelles en termes de haine ethnique.

Par contre, les choses étaient ­différentes dans les milieux occidentalisés et surtout les milieux, si je peux dire, les plus intellectualisés, les mieux éduqués. En effet, c’était là que se divulguait, que se diffusait et se martelait même une histoire du passé que j’ai appelée, moi, dans mes ouvrages, une histoire ressentiment. On racontait, on martelait que les Tutsi étaient des envahisseurs qui, il y a des siècles de cela, avaient envahi le Rwanda et mis la population Hutu en coupe réglée. C’étaient donc des étrangers au Rwanda et des spoliateurs, des profiteurs, etc. On racontait aussi que les Tutsi semaient la division parmi les Hutu et c’est là que, en dehors des thèmes historiques, arrivent des thèmes racistes sur… comment dirais-je… la malignité des Tutsi. Nous travaillons plusieurs années. Le climat est lourd mais les choses sont tout de même calmes. Et je répète qu’en milieu rural, le milieu rural c’était tout de même 90% de la population à l’époque, mes recherches se passent très bien et le fait de parler ouvertement de relations entre Tutsi et Hutu ne provoque aucune gêne et les gens me répondent très précisément à toutes les questions que je leur pose autour de ces thèmes.

J’en arrive maintenant en 1973, au printemps 1973, et là, j’étais à Butare. Commence une campagne anti-Tutsi très virulente. Elle consistait en ceci : des comités de salut public se sont érigés dans les administrations, à l’université, dans les écoles, pour chasser les Tutsi qui étaient employés. Donc, les étudiants également, les élèves, les professeurs, même des européens qui employaient un boy Tutsi ont pu être sommés de chasser leurs boys. J’étais stupéfaite de voir - et d’entendre puisqu’à ce moment-là je suis intervenue, j’ai parlé, j’ai discuté avec beaucoup de personnes, notamment des étudiants - de voir la virulence anti-Tutsi des discours qui se tenaient, notamment au niveau de l’université. Or, c’étaient des étudiants qui avaient une vingtaine d’années et qui donc n’avaient certainement pas pu en 1967, souffrir de ce qu’ils appelaient la féodalité Tutsi. Ils étaient beaucoup trop jeunes et en même temps cette féodalité Tutsi était un des grands thèmes ; je leur rappelais qu’à l’époque c’était le colonisateur belge qui gérait le Rwanda et que si les paysans avaient dû souffrir d’exécuter les corvées, c’étaient les colonisateurs qui leur faisaient, qui exigeaient ces corvées, ce n’était pas la féodalité Tutsi.

Mais rien n’y faisait. On avait un discours de langue de bois complet et une espèce de joie effectivement à faire chasser leurs collègues Tutsi. Je vais donner tout de suite une double précision. C’est que, d’une part, les extrémistes se recrutaient dans les milieux éduqués, occidentalisés mais je suis loin de dire que tout le monde était ainsi dans ces milieux. Il y avait une part d’extrémistes et une part de gens qui regrettaient beaucoup ces événements et ces brutalités à l’égard de leurs collègues Tutsi. Je précise aussi que dans la petite ville de Butare qui était vraiment une ville minuscule à l’époque, comme à Kigali aussi où je suis allée voir, les petites gens de la ville, les petits citadins, donc les petits commerçants, les gens du marché, les boys, les gardiens, ces gens-là étaient contre ces mouvements et ne le comprenaient pas. Quant à la paysannerie où je suis également allée voir ce qu’ils en pensaient, ils étaient également complètement contre ou n’en comprenaient pas du tout la logique. On sait comment ces événements ont fini. En fait, c’était effectivement un mouvement qui partait du haut, qui avait été organisé par des leaders politiques cherchant à déstabiliser le Rwanda et tout ceci a fini par un coup d’état en juillet, et le général le témoin 32 a pris le pouvoir.

Personnellement, j’ai quitté le Rwanda pour n’y revenir que beaucoup plus tard, tout simplement parce que j’avais été tout de même indignée par ce que j’avais vu en 1973. A ce moment, de nombreux Tutsi que je connaissais, des jeunes gens, ont quitté le Rwanda. Une vague d’émigration de rwandais Tutsi, à cette époque. Elle était même assez nombreuse pour qu’ils se soient surnommés entre eux les « soixante-treizards » plus tard. Je ne pouvais pas revenir travailler dans un pays avec des collègues qui excitaient effectivement aux mots d’ordre haineux, aux mots d’ordre raciste. J’ai continué à travailler sur le Rwanda et à publier beaucoup puisque, historienne, j’avais récupéré, enregistré beaucoup de matériaux historiques et j’ai publié beaucoup de choses d’histoire. Pendant les 17 ans qui se sont passés, je suivais naturellement avec beaucoup d’intérêt toutes les publications qui avaient lieu à l’université rwandaise. Or, j’ai constaté que pendant les 17 années où effectivement au Rwanda les mots d’ordre anti-Tutsi avaient cessé d’être publics, il n’y avait plus d’incitation aux massacres comme ce que j’avais pu entendre en 1973. Il s’est tout de même développé une histoire du Rwanda avec de bons historiens rwandais, et notamment de bons historiens rwandais d’origine Hutu.

Donc, cette histoire du Rwanda qui allait contre les mythes manipulés par les extrémistes existait, au Rwanda. Cette histoire, que disait-elle en quelques mots ? Je ne suis pas là pour faire un cours d’histoire ; elle disait qu’on ne pouvait pas savoir qui est arrivé au Rwanda des premiers, que ce soient les Tutsi ou les Hutu, ce que je confirme complètement. Un historien est quelqu’un comme Saint-Thomas, il ne croit que ce qu’il voit, c’est-à-dire il a un document ou il n’en a pas. Or, les documents que nous pouvons, nous, rassembler sur le Rwanda, datent à peu près de la fin du 18e siècle. Or, à la fin du 18e siècle, les documents d’histoire orale que nous avons prouvent la coexistence de Tutsi et de Hutu. Avant, lesquels sont arrivés les premiers ou les seconds, on ne peut absolument pas le savoir. Mais, deux siècles avant l’arrivée des européens, les deux sont là, les deux ont défriché ensemble, attestaient tous nos documents, tout ce que nous avons pu faire. Des historiens rwandais, je citerais par exemple Monsieur, il est décédé, Emmanuel NTEZIMANA, avait fait des recherches absolument excellentes sur toute cette histoire. Donc, on pouvait au Rwanda même, connaître une histoire du Rwanda qui ne soit pas une histoire falsifiée.

Dès l’attaque menée par le FPR en octobre 1990 contre le Rwanda, j’ai repris mes études du présent rwandais, pas seulement de l’histoire et j’ai cherché à savoir ce qui se passait, ce qui se publiait ; j’ai discuté avec beaucoup de Rwandais en Europe. J’étais étonnée de voir que le discours historique falsificateur et haineux reprenait, comme en 1973, comme si entre-temps aucune histoire, aucun progrès de la connaissance n’avaient été enregistrés et reprenait chez des universitaires, chez des intellectuels. Ainsi, par exemple, en 1991, l’université du Rwanda, au campus de Ruhengeri, a sorti un ouvrage sur les relations interethniques à la lumière de l’invasion d’octobre 1990. Une partie de ces articles niait totalement les progrès de la connaissance sur l’histoire du Rwanda et revenait sur ce discours stéréotypé. Il y en a eu de bien pires après, c’est-à-dire qu’on se rendait compte qu’en fait le discours qui avait été créé et mené dans les comités d’épuration anti-Tutsi de 1973, était repris en 1990 et souvent inspiré d’ailleurs par les mêmes.

Là encore, on se rend compte que dans le milieu des intellectuels, tous ne marchaient pas tout de même de ce pas. Il y a eu des gens, comme par exemple cet historien dont je vous parlais tout à l’heure, il a été fondateur de l’ADL, une Association de Défense des droits de L’homme qui, en 1992, avait fait une grande enquête dénonçant les massacres des Tutsi. Il y a eu quelqu’un comme François-Xavier NSANZUWERA, par exemple, un juriste qui, en 1993, a écrit un livre assez long et très sévère vis-à-vis de la justice rwandaise et de l’impunité dans laquelle elle laissait les auteurs de meurtres racistes. Il y a eu par exemple le témoin 58 qui, excusez-moi je ne sais plus si c’est fin 1992 ou début, je crois que c’est en 1992, a écrit une lettre ouverte célèbre où il dénonçait ce qui se passait au Rwanda et disait qu’il se démettait de ses charges à l’ORINFOR car il ne voulait pas être complice de criminels, ce qui était à l’époque extrêmement courageux, il a d’ailleurs quitté le Rwanda. Or, ce le témoin 58 était le demi-frère d’un autre intellectuel appelé Léon MUGESERA et qui a été l’auteur d’un discours appelant à la haine contre les Tutsi, voire à plus, la même année.

Vous voyez que le monde intellectuel n’était pas obligé de marcher dans la haine et les invitations aux violences contre les Tutsi. Il reste que beaucoup d’entre eux l’ont fait et je me suis toujours demandé pourquoi. Alors, on se pose souvent une question un peu naïve, on se demande : « Mais enfin, est-ce qu’ils y croient ? Est-ce que tout de même, tel intellectuel peut écrire des bêtises sur l’histoire du Rwanda énormes ? Est-ce qu’il peut faire des appels à la haine aussi bas ? ». En fait, c’est une question qui finalement est un peu psychologique mais n’a pas beaucoup de sens. En fait, la meilleure question était de se demander : « Quel intérêt y ont-ils ? ». Or, il est vrai que des universitaires au Rwanda sont des gens qui n’ont pas accès à beaucoup de privilèges, qu’ils soient financiers ou qu’ils soient politiques ou d’influence, s’ils ne sont pas bien avec l’appareil politique. Il semble bien que beaucoup de ces gens qui ont signé des choses invraisemblables, à mon avis, se sont dévoyés, je maintiens ce terme, pour obtenir des positions, pour être bien vus de tel segment du pouvoir ou même du pouvoir présidentiel. D’autres se sont tus et il y en a eu tout de même beaucoup, ce qui représentait tout de même une forme de résistance réelle car ceux qui n’entraient pas dans ce concert n’étaient tout de même pas très bien vus et en tout cas ne risquaient sûrement pas d’obtenir de l’avancement. Et il y a eu quelques-uns, j’en ai cité, mais il y en a eu d’autres qui ont pris des positions courageuses. Je pense que je vais m’arrêter là et que maintenant je pourrais mieux éclaircir les choses par les questions qu’on me posera.

Le Président : Si je comprends bien, il n’y a en tout cas pas de déterminisme quelconque à partir du 6 avril 1994 à ce que des choses aussi horribles que celles qui se sont passées n’arrivent ?

Claudine VIDAL : Non. Non, il n’y a pas de déterminisme historique. Il y a des phénomènes politiques. Ce qui s’est passé au Rwanda comme il s’est passé ailleurs d’ailleurs dans ce genre de massacres, il n’y a pas de massacres spontanés de cette envergure. Il faut des dirigeants, il faut une organisation et il faut aussi, et c’est là où j’en veux beaucoup à mes collègues rwandais qui sont entrés là-dedans, il faut aussi des mots d’ordre. Il faut savoir que ces intellectuels avaient de l’influence et que quand ils lançaient des mots d’ordre de cette nature, effectivement, sur des gens beaucoup moins cultivés, sur des gens illettrés, cela a beaucoup d’importance, beaucoup plus d’importance que cela pourrait en avoir en Europe. On dit que si c’est un professeur qui le dit, quand même…

Le Président : Cela nécessite aussi que l’on dise les choses dans un langage compréhensible par le paysan sur sa colline, par le petit artisan dans la ville ou le petit commerçant de Butare ?

Claudine VIDAL : Bien sûr. Là, on peut aussi se reporter, depuis que je travaille sur ce qui s’est passé depuis 1990, je travaille beaucoup en même temps sur l’histoire de l’Europe et sur une certaine histoire de l’Europe, celle du génocide des Juifs. On a vu combien des intellectuels, raffinés par ailleurs, ont su écrire dans la presse européenne des appels au meurtre des Juifs écrits dans une langue tout à fait populaire et compréhensible par des gens peu instruits. Les intellectuels rwandais ont su faire tout à fait la même chose.

Le Président : Avez-vous, dans vos recherches notamment, trouvé que des termes du langage commun pouvaient avoir, en 1990 ou en 1994, un sens bien plus particulier que le sens commun lorsqu’on utilisait des termes comme « travailler », comme « nettoyer » ? Je ne sais pas si vous avez, dans vos recherches, abordé ce problème ?

Claudine VIDAL : Je me débrouille en kinyarwanda mais pas assez quand même pour entrer dans des précisions linguistiques. Alors là, je préfère ne pas trop entrer là-dedans mais en dehors de termes que l’on a dit codés et qui l’étaient peut-être, il y a eu aussi tout simplement des dénonciations des Tutsi qui étaient très claires et notamment, avant avril 1994, et notamment celles qui consistaient à assimiler les Tutsi de l’intérieur au FPR. On retrouve les logiques qui existaient, dès 1963. En 1963, on assimilait les Tutsi de l’intérieur à ceux qui attaquaient le Rwanda de l’extérieur et dans ces discours qui ont été faits au Rwanda à partir de 1990, ceci a été clairement dit, nullement codé.

Le Président : Il y a eu une assimilation qui a même été plus loin, la définition de l’ennemi dans certains documents dits confidentiels mais, si je ne m’abuse, retrouvés notamment au ministère de la défense, l’ennemi a été défini comme le Tutsi et même pas comme le FPR, d’après ce que j’ai lu et on assimile aussi à l’ennemi le Hutu…

Claudine VIDAL : Le Hutu qui protège ou même tout simplement ne cherche pas à éliminer le Tutsi. Vous faites sans doute allusion aux documents de l’état-major qui a été produit dans l’enquête internationale de 1993 ?

Le Président : Notamment.

Claudine VIDAL : Là, c’était un document secret tout de même. Mais il y a eu des discours dans la presse clairs qui assimilaient l’envahisseur FPR aux Tutsi de l’intérieur.

Le Président : Bien. Y a-t-il des questions de la part des membres du jury ? De la part des parties ? Monsieur l’avocat général ? Des parties civiles ? Maître GILLET ? Maître RAMBOER par la suite ?

Me. GILLET : Oui, Monsieur le président. J’aimerais souhaiter avoir quelques précisions de la part du témoin sur le statut de l’intellectuel dans la société rwandaise, d’une part, et sur la capacité d’influence dans le contexte que le témoin a décrit d’intellectuels qui se seraient mobilisés contre ce qui se passait. Est-ce qu’il était possible, moyennant une mobilisation des intellectuels ou de certains intellectuels, ceux qui ne partageaient pas les visions véhiculées par le régime de l’époque, est-ce qu’il était possible d’aller contre le cours des choses ?

Le Président : Donc, double question. La place de l’intellectuel ou des intellectuels dans la société rwandaise ? Y avait-il possibilité, pour les intellectuels qui n’auraient pas partagé les vues du pouvoir, de faire basculer le cours des choses, de changer le cours des choses ?

Claudine VIDAL : Les intellectuels avaient une place ambiguë dans la société rwandaise. Par rapport à ces fameux 90% de la population rurale, ce sont effectivement des gens d’importance parce qu’ils ont fait des études, parce que quand on vient les voir, ils sont dans une villa, ils passent pour des gens riches, influents et ils ont de l’influence. Par contre, quand on examine leur position par rapport à l’appareil politique et à l’appareil des puissants au Rwanda, et beaucoup plus bien sûr en 1990 qu’avant 1973, ils ont de l’influence à condition d’être liés au monde des dominants et beaucoup d’entre eux, je pense qu’il y a eu beaucoup de recherches faites là-dessus par les différents tribunaux et aussi par les historiens, et beaucoup en fait de ces intellectuels sont liés par mariage, par des liaisons dans des organismes semi-publics ou bien en occupant des positions dans les partis politiques, sont liés à ces dominants. S’ils ne sont pas dans de telles positions, effectivement ils n’ont pas, vis-à-vis de ce groupe de dominants, le pouvoir que sans doute on leur prête dans le milieu rural. Mais, ce sont des gens dont la parole compte incontestablement.

Maintenant, le rôle des intellectuels pour s’opposer aux massacres ? Tout dépend tout de même de la période considérée. Certains, je l’ai rappelé tout à l’heure, les ont dénoncés dès 1990. Il faut se rappeler que le premier massacre de Tutsi en riposte à l’invasion du FPR, a eu lieu le 10 octobre, à Kibilira, 10 jours après l’invasion. Ceux-là ont certainement pu avoir de l’influence. Mais, à mesure que la violence grandissait, il est certain que ces intellectuels, ceux qui pouvaient s’opposer avec efficacité à ces massacres, étaient ceux qui avaient un rapport avec les organismes politiques, avec les partis. Or, j’ai constaté que beaucoup d’entre eux se sont effectivement, à partir du multipartisme, opposés au régime le témoin 32, se sont opposés au FPR mais peu d’entre eux ont pris directement des positions claires sur ce qui se commettait à l’encontre des Tutsi.

Le Président : Par ailleurs, lorsqu’ils n’étaient pas dans la sphère du pouvoir, avaient-ils accès aux moyens de communication vers l’extérieur, vers le public, la radio nationale, la radio des Mille Collines, si on n’était pas proche du pouvoir, est-ce qu’on y avait accès ?

Claudine VIDAL :  Eh bien, là je ne suis pas du tout témoin de faits par rapport à cette période. Mais, j’ai le sentiment que les choses étaient tout de même très contrôlées, que le discours était quand même contrôlé puisque, par exemple, le témoin 58 était directeur de l’ORINFOR quand il a démissionné en 1992 et il a démissionné, je l’ai dit tout à l’heure, de manière tout à fait éclatante en disant qu’il ne voulait pas continuer à travailler avec des criminels. Alors, si le directeur de l’ORINFOR est obligé de démissionner, j’imagine qu’il n’était pas très commode pour les autres de venir s’exprimer publiquement dans ces médias-là.

Le Président : Vous pouvez dire ce que c’est l’ORINFOR ?

Claudine VIDAL : C’était… je ne sais plus très bien ce que veut dire ce sigle.

Le Président : Quel était son rôle ?

Claudine VIDAL : Son rôle, c’était la radio d’Etat.

Le Président : D’autres questions encore Maître GILLET ?

Me. GILLET : En rapport direct, Monsieur le président, avec ce que le témoin vient de dire. Vraiment, je ne sais pas du tout si le témoin pourra en parler parce que, d’après sa littérature, c’était un tout petit peu moins son domaine mais c’est quand même lié. Effectivement, on constate que des intellectuels s’opposent au pouvoir en place, aux violences des milices à l’égard des membres des partis, mais ne s’opposent pas aux massacres comme tels, au sort qui est réservé à la population civile et c’est vraiment une interrogation que j’ai depuis longtemps, et notamment en rapport avec ce dossier-ci particulier et un des accusés, c’est de savoir comment cela fonctionne dans l’esprit de ces intellectuels qui profitent de l’espace démocratique qui se crée pour se créer un champ politique dans des partis d’opposition, qui s’oppose violemment au régime mais qui à la fois semble ne pas s’intéresser aux massacres des populations civiles.

Le Président : Avez-vous une réponse à cette interrogation ?

Claudine VIDAL : Si vous voulez, un peu comme historienne, je ne cherche pas trop à me mettre dans la tête des gens mais je cherche plutôt à construire leurs positions les unes par rapport aux autres et à voir effectivement quels sont leurs intérêts et ce que leur apportent en maléfique ou en bénéfique, leurs positions. Par exemple, si j’observe les prises de position extrêmement courageuses de François-Xavier NSANZUWERA à une certaine époque, on sait que quand le génocide a commencé le 7 avril 1994, il a pu heureusement se rendre et se cacher à l’hôtel des Mille Collines sans quoi sa vie était en danger. Il a d’ailleurs failli être tué une première fois à une première tentative de sortie de l’hôtel des Mille Collines. Lui-même avait énormément d’ennuis à cette époque. En revanche, d’autres collègues de François-Xavier NSANZUWERA ou bien du témoin 58 ou de cet historien qui s’appelait RUMIYA, eux n’avaient absolument pas ces ennuis-là et se trouvaient bien considérés de l’appareil politique. Et d’autres aussi, il faut le dire, et ce sont, je pense, les plus nombreux, sont restés silencieux, enfin n’ont pas effectivement abondé dans le sens de la haine contre les Tutsi, mais n’ont effectivement pas dénoncé très ouvertement.

Le Président : Maître RAMBOER ?

Me. RAMBOER : Je vous remercie, Monsieur le président. J’aimerais, parce qu’on parle des intellectuels, il y a quand même au Rwanda toute une classe, je dirais, d’intellectuels qui est liée à l’Eglise catholique, donc, je pense au clergé moi aussi et aux supérieurs hiérarchiques dans l’Eglise, justement à ce sujet, quel était leur discours en ce qui concerne le problème Hutu et Tutsi ? Peut-être une deuxième question à ce sujet, est-ce que Madame qui est historienne peut nous éclairer sur justement le rôle tenu par l’Eglise au moment du renversement des alliances, donc, pendant la fameuse révolution sociale de 1959 jusqu’en 1962 ?

Le Président : Deux questions. Le discours des intellectuels attachés à l’Eglise, qu’ils soient de la hiérarchie de l’Eglise et plus particulièrement puisque, semble-t-il, cela représentait un grand nombre de la population de l’Eglise catholique, que ce soit la hiérarchie ou des gens plus près du peuple mais qui pouvaient être considérés comme des intellectuels comme les prêtres notamment. Quel est leur discours à l’égard du problème haine raciale Tutsi-Hutu ? Deuxième question, je l’ai déjà oubliée, Maître RAMBOER.

Me. RAMBOER : C’est surtout la question de renversement des alliances !

Le Président : Le rôle de l’Eglise dans le renversement des alliances sur le plan historique.

Claudine VIDAL : Je pense que c’est une histoire très complexe que celle de l’Eglise catholique rwandaise et de ses rapports politiques avec les pouvoirs. Je connais bien cette histoire au moment de la colonisation, c’est-à-dire mettons dans le premier demi-siècle parce que l’Eglise, là, a une importance très grande, notamment dans le choix qu’a fait le mandataire belge de s’appuyer, pour mettre en place une administration, exclusivement sur des éléments Tutsi et même sur des éléments Tutsi recrutés dans les lignages d’origine royale. Cette politique aurait pu être différente, effectivement, elle a été tout à fait encouragée par l’Eglise, il y a eu des textes abondamment cités, de responsables de cette Eglise, de responsables européens disant qu’il faut s’appuyer sur les Tutsi, ce que le mandataire belge a fait, d’une part, en conservant les apparences de la monarchie, car la thèse qui veut que la féodalité continuait durant la colonisation est évidemment complètement aberrante.

Donc, le système administratif conservait les apparences de la royauté mais était très bien contrôlé par l’administration belge. Alors, l’Eglise avait incontestablement encouragé ceci. Bien entendu, il s’en était produit des injustices criantes, notamment en ce qui concerne les gens éduqués au Rwanda, donc les Hutu aussi. Et l’Eglise avait formé de nombreux séminaristes Hutu et ce sont ces séminaristes que l’on retrouvera avant l’indépendance, protester contre la mainmise d’une minorité Tutsi sur l’ensemble de l’appareil administratif et ces gens-là voyaient bien que si la décolonisation se faisait avec ce même appareil, les gens éduqués Hutu n’auraient jamais accès à des postes de pouvoir. Le terme de renversement d’alliance me paraît brutal, enfin les choses ont été compliquées. Mais il est vrai que l’Eglise a montré que dans l’appareil administratif, il y avait une injustice flagrante. Il était dominé par des gens d’origine Tutsi. Mais il n’y a jamais eu à cette époque, ni plus tard d’ailleurs, ni jusqu’en 1973, du moins à ma connaissance, des textes appelant à la haine, ces textes-là émanant de clergés rwandais. Je n’ai pas personnellement vu de textes de cet ordre. Mais la chose écrite au Rwanda est importante mais ce n’est pas la plus importante, et de loin, dans un pays où il y a énormément d’illettrés.

Ce qu’il faut savoir après, c’est ce qui se passe dans les missions, dans les écoles contrôlées par l’Eglise. En 1990 et avant, mais là j’ai repris des études sur ce qui se passait en 1990, il faut savoir que l’Eglise, comme le reste du pays, était extrêmement contrôlée, noyautée par le MRND, c’est-à-dire par le parti unique de l’époque. Là, ce sont des prêtres rwandais qui me l’on raconté et qui même l’ont écrit notamment dans un numéro spécial des « Temps modernes » que j’avais édité en 1995, la hiérarchie catholique dans une mission, dans une institution enseignante, etc., était également celle du MRND, c’est-à-dire que le MRND avait ses cellules à l’intérieur même des organismes religieux, c’est dire si eux aussi étaient contrôlés. Par exemple, on demandait aux écoles religieuses d’appliquer les quotas pour l’admission des élèves Tutsi ou Hutu. Or, ces quotas qui s’appliquaient plus ou moins d’ailleurs partout au Rwanda n’ont jamais été l’objet de loi, n’ont jamais été dans la Constitution mais c’était une pratique qui avait, si je peux dire, force de loi. Cela s’appliquait dans certains cas et pas dans d’autres, tout dépendait un peu de la personnalité aussi des religieux qui s’occupaient de ces choses. Néanmoins, le père Modeste qui est décédé maintenant et qui a écrit dans les Temps modernes disait - il était d’origine Tutsi ­ disait qu’il était très difficile tout de même de contrecarrer les mots d’ordre du MRND à l’intérieur de l’institution religieuse.

Le Président : D’autres questions ? Maître VANDERBECK ?

Me. VANDERBECK : Je vous remercie, Monsieur le président. Je voudrais plutôt que vous puissiez poser une question qui fait plutôt appel aux qualités de sociologue africaniste du témoin qui a, semble-t-il, étudié le milieu rural rwandais pour qu’elle puisse nous dire éventuellement ce qu’elle considère être l’incidence des divisions administratives de la vie sur les collines, sur le tissu social rwandais et sur-le-champ relationnel des gens, à quoi se limite-t-il ou à quoi s’étend-il ?

Le Président : Oui.

Claudine VIDAL : Il y a certainement une énorme différence entre le milieu rural rwandais qui existait en 1990 et celui que j’ai connu, moi, au début des années 1970. D’abord, le contrôle politique au début des années 1970, du milieu rural, était incontestablement moins rigoureux qu’il l’a été après. Le régime le témoin 42 était incontestablement un régime autoritaire mais qui ne s’était pas encore donné les moyens de contrôler très finement la population, alors que le régime le témoin 32, lui, se les était donnés. Il est certain que la division des communes en secteurs, puis en cellules, a pu permettre de contrôler beaucoup plus strictement la population rurale et donc de faire passer des mots d’ordre. N’ayant donc pas enquêté dans les années 1990 moi-même en milieu rural, je ne peux pas aller plus loin dans ma réponse.

Le Président : Est-ce que vous pouvez peut-être quand même éclairer sur le problème de la relation dominant/dominé, maître/serviteur, une sorte de lien peut-être un peu particulier ?

Claudine VIDAL : Le Rwanda est un pays extraordinairement inégalitaire où le système hiérarchique a une importance très profonde qui va jusque dans l’intimité et la constitution mentale des gens. C’était vrai du Rwanda précolonial et du Rwanda du début des années 1960 sur lequel j’ai travaillé, mais il faut bien voir que cela n’était pas seulement - et là je retravaille contre les mythes qui ont été développés sur l’histoire du Rwanda - ce n’est pas seulement le roi et ses chefs Tutsi, c’est aussi les sous-chefs, c’est aussi les riches, c’est aussi le chef de lignage et c’est aussi le père sur ses enfants. Il y a toute une délégation de hiérarchie et d’inégalités très puissantes du mari vis-à-vis de la femme si bien que vous avez toute une cascade d’obéissances. Se rebeller contre ce système d’autorité était anciennement considéré comme aller contre le bien-être du Rwanda. On tuait des gens parce qu’ils étaient rebelles, il y avait un mot pour cela parce qu’en se montrant rebelle à l’autorité consacrée, qu’elle soit celle de son chef de lignage, qu’elle soit celle du chef, qu’elle soit celle du roi, etc., on mettait en danger mystiquement le bien-être du Rwanda. C’est vous dire si l’autorité avait des assises fortes aussi bien sociales que politiques que sacrées. Dans le Rwanda que j’ai connu du début des années 1970, ces rapports d’autorité étaient encore tout aussi prééminents. Et je n’ai pas du tout l’impression qu’ils aient diminué du moins dans la société rurale au début des années 1990. Néanmoins, dans les milieux occidentalisés qui se sont élargis à l’époque, le Rwanda s’est tout de même urbanisé, on l’a vu au moment du multipartisme, il y a eu tout de même des mouvements anti-autoritaires, il y a eu des manifestations, par exemple des choses auxquelles on ne se serait jamais attendu auparavant, mais cela a été extrêmement réduit.

Le Président : D’autres questions ? Oui, Maître VERGAUWEN ?

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie, Monsieur le président. Le témoin nous a parlé à l’instant, à propos des milieux religieux, de l’influence du parti du MRND dans les milieux religieux. Est-ce que, à la connaissance du témoin, il y aurait eu des religieux, des individus religieux, des prêtres qui se seraient, pendant la période précédant le génocide, opposés aux discours de haine, auraient formulé des critiques par rapport à cet aspect des choses ?

Claudine VIDAL : Je ne peux vous répondre que sur un seul cas, c’est sur ce qui s’est passé à Butare, c’est-à-dire le travail qui a été réalisé au sein du SAT, Service d’Action Théologique, où un théologien laïc et des prêtres se sont employés à faire des sessions d’éducation, d’enseignement et de diffusion de non-violence active et qui parlaient très ouvertement, qui dénonçaient les actions violentes à l’encontre de n’importe qui, et en particulier des Tutsi, cela a existé. Le prêtre en question s’appelait l’abbé Modeste MUNGWARAREBA, c’est un rescapé du génocide et il a été secrétaire de l’épiscopat rwandais jusqu’à son décès. A Butare, ces gens-là se sont ouvertement prononcés contre la violence.

Le Président : D’autres questions encore ? Maître WAHIS ?

Me. WAHIS : Merci, Monsieur le président. Dans le cadre du contexte, on a beaucoup parlé de politique, d’histoire, mais on a en fait très peu parlé des gens et je me demande s’il ne serait pas utile, on a affaire à un témoin qui s’est beaucoup rendu sur les collines, qu’elle puisse nous parler de ce que vivent les gens sur les collines, par exemple une journée type d’une famille rwandaise sur une colline.

Claudine VIDAL : Je peux vous parler de ce que vivaient les gens, le degré de précision que vous me demandez me renvoie à la période où je travaillais sur les collines, les choses ont pu changer après. D’abord, le milieu rural est tout de même diversifié. Il y avait des paysans pauvres, c’était bien entendu la majorité. Il y avait aussi des paysans qui, parce qu’ils avaient un peu plus de terres, parce que des gens de leur famille avaient un peu mieux réussi et pouvaient les aider, donc une moyenne classe paysanne. Et puis, il y avait aussi, en milieu rural, un petit milieu urbanisé, c’étaient les enseignants, des commerçants, c’était la petite administration locale qui travaillait à la commune, au bureau de la commune, etc., qui habitaient dans ces petits centres autour des communes et des paroisses. Donc, vous avez quand même en milieu paysan, une population plus stratifiée qu’on ne se l’imagine au départ.

La vie d’un paysan moyen, même les plus riches, s’ils travaillent moins eux-mêmes, vivent la même vie que les autres, on se lève à l’aurore. C’est à ce moment-là d’ailleurs que le paysan prend son repas qui sera unique et on va travailler aux champs, on va vendre au marché, c’était une vie très dure aussi bien pour aller chercher l’eau, entretenir, cultiver, vendre le peu de choses qu’on a, acheter aussi d’autres choses, il fallait énormément travailler et se débrouiller de toutes les façons. C’est un pays où la circulation monétaire était, à l’époque où j’ai travaillé, extrêmement réduite. Pour la paysannerie moyenne, elle roulait en fait sur la vente de bière de  banane. On a des bananes, on vend de la bière, avec cet argent, on réussit à inscrire un enfant à l’école, à payer le minerval et puis plus tard, on rachète de la bière ou on en revend. La circulation monétaire se faisait par ces… j’ai des collègues qui avaient travaillé à recomposer tout cela… par ce petit circuit d’argent sur un petit marché local. Mais quand on est malade, quand on a beaucoup d’enfants à envoyer à l’école, on n’a pas d’argent pour tout cela. C’était une paysannerie très pauvre d’ailleurs, le Rwanda à l’époque était classé parmi les 10 pays les plus pauvres du monde et ceci n’avait pas beaucoup changé, je crois.

Le Président : D’autres questions encore ? S’il n’y a plus de questions, les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Madame, est-ce bien les accusés ici présents dont vous avez voulu parler ? C’est ce que la loi me dit que je dois vous demander et cela signifie en clair : Persistez-vous dans vos déclarations ?

Claudine VIDAL : Je persiste dans mes déclarations sur le Rwanda, ce sont des choses d’ailleurs que j’ai déjà écrites à plusieurs reprises.

Le Président : Madame, la Cour vous remercie et vous pouvez disposer librement de votre temps.

Claudine VIDAL : Je vous remercie.