assises rwanda 2001
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Instruction générale d'audience Audition témoins de contexte compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction générale d’audience > Audition témoins de contexte > le témoin 39, ex militaire de l’APR
1. C. Braeckman, journaliste 2. F. Reyntjens, juriste 3. A. Desforges, historienne 4. G. Sebudandi, journaliste 5. Y. Mukagasana, écrivain 6. R. Zacharia, médecin 7. J.P. Chrétien, historien, J.F. Dupacquier, journaliste 8. F. Twagiramungu, ex premier ministre rwandais 9. J. Matata 10. C. Vidal, historienne, sociologue 11. C. De Beul, ingénieur technicien 12. W. Defillet, assistant social 13. E. Vandenbon, assistante sociale 14. A. Vandeplas, magistrat retraité 15. le témoin 39, ex militaire de l’APR 16. le témoin 135 17. Explication suite déroulement procès 18. le témoin 41, sociologue 19. F.X. Nsanzuwera, ex procureur République à Kigali 20. A. Guichaoua, sociologue et commentaires A. Higaniro
 

5.5.15. Témoin de contexte : le témoin 39 (invité à la demande de Vincent NTEZIMANA)

Le Président : Alors, nous avons… il y a deux témoins ce matin qui n’étaient pas présents, Monsieur DIABIRA Boubacar et AL HOUSSEYNOU Moctar. Je ne pense pas que l’on ait renoncé à l’audition de ces personnes. Il y a un problème de visa et de passeport. Ces personnes devront donc revenir à un autre moment, pour autant qu’elles aient la possibilité de venir. Bien. Alors, nous avons cet après-midi, l’audition de Monsieur le témoin 39, à la demande de la défense de Monsieur NTEZIMANA. Donc, ce témoin dont le nom a été dénoncé aux autres parties, peut approcher. Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?

le témoin 39 : le témoin 39 Deus.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

le témoin 39 : 41 ans.

Le Président : Quelle est votre profession ?

le témoin 39 : Je suis à la recherche d’un emploi.

Le Président : Quelle est votre commune de domicile ou de résidence ?

le témoin 39 : Tournai.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés ou l’un des accusés avant les faits mis à sa charge, c’est-à-dire, en gros, avant le mois d’avril 1994 ?

le témoin 39 : Non.

Le Président : Vous n’êtes pas parent de la famille d’un des accusés ?

le témoin 39 : Non.

Le Président : Vous n’êtes pas parent non plus des parties civiles ?

le témoin 39 : Non.

Le Président : Vous ne travaillez ni pour les accusés, ni pour les parties civiles ?

le témoin 39 : Non.

Le Président : Je vais vous demander, Monsieur, de bien vouloir lever la main droite et de prononcer le serment de témoin. Levez la main droite s’il vous plaît.

le témoin 39 : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir, Monsieur le témoin 39. Vous êtes de nationalité rwandaise ou d’origine rwandaise ?

le témoin 39 : Les deux, d’origine et de nationalité rwandaises.

Le Président : Vous trouviez-vous au Rwanda au mois d’avril 1994 ?

le témoin 39 : Oui.

Le Président : Vous résidiez à cette époque-là, à quel endroit du Rwanda ?

le témoin 39 : Dans le Nord du pays. C’était mobile parce que j’étais à la fois militaire et candidat député, selon les accords de paix d’Arusha.

Le Président : C’est cela… candidat député pour quel parti ?

le témoin 39 : Le Front patriotique rwandais.

Le Président : Et vous apparteniez donc à cette époque-là, au Front Patriotique Rwandais, au FPR ?

le témoin 39 : Oui, je suis parmi les fondateurs de la région Rwanda, depuis 1988, du FPR.

Le Président : Il n’y a aucune déclaration de votre part qui figure dans le dossier. Vous n’avez jamais été entendu jusqu’à ce jour par le juge d’instruction ou par la police judiciaire ?

le témoin 39 : En l’espèce, non. Mais j’aurais bien voulu et je vais le faire. Le faire aujourd’hui.

Le Président : Eh bien. Vous pouvez expliquer, vous, les événements d’avril 1994, de votre point de vue, de ce que vous avez vécu ou vu ? Des ordres que vous avez éventuellement reçus ? Des positions politiques que vous avez éventuellement prises ? Donc, des choses dont vous pouvez témoigner, pas des choses : « Il me revient que…, la rumeur disait que… », donc des choses que vous savez de science personnelle ?

le témoin 39 : Si c’est l’année de référence 1994, alors je vais parler aussi de la journée de référence. C’est la nuit du 6 au 7 avril. Sinon, tout cela a une origine puisque je suis fondateur du FPR, parmi les fondateurs, donc cela remonte à 1988, jour où j’ai délibérément choisi de rejoindre les rangs du FPR. Donc, si on me demande de cibler uniquement la période…

Le Président : Vous pouvez parler de votre choix personnel depuis 1988 et de l’évolution que vous avez suivie au sein du FPR.

le témoin 39 : En 1988, je revenais de France et de là, j’avais appris qu’il y avait la création du FPR, qui est un mouvement qui devait faire un changement politique sur des bases démocratiques. Je lisais les journaux et j’étais au courant de ce qui se passait. Je suivais aussi l’évolution politique du Rwanda. Il y avait un parti, le Mouvement révolutionnaire national pour le développement, qui était au pouvoir mais qui commençait à faiblir parce qu’il y avait des violations des droits de l’homme et des libertés. Il y avait un échec de gestion économique du pays. Or, moi j’avais toujours travaillé au Rwanda avant 1986, comme contrôleur des finances. Depuis le 23 décembre 1980, j’étais attaché au ministère des finances pour le portefeuille de l’Etat. Alors, du coup, tout ce qui relevait de la mauvaise gestion politique, économique, me donnait toujours envie de faire quelque chose. C’est effectué en 1988. Il y avait des élections législatives. Contrairement à la tradition, c’est que les Rwandais d’ethnie Tutsi, je suis Tutsi, étaient évincés des postes politiques, mais moi, j’ai le culot de postuler parce que j’ai fait une lettre recommandée avec accusé de réception pour me présenter dans la circonscription de Kigali et à l’époque, c’étaient Kigali ville et Kigali rural combinés. Il y a eu refus d’acceptation de la candidature et j’ai même formé un recours au Conseil d’Etat à l’époque. Mais jusque-là, rien n’a été fait et puis, je n’ai pas insisté outre mesure. Depuis lors, j’ai dit : « De toute façon, s’il faut lutter, on lutte de l’intérieur ». J’ai commencé à voir comment on peut organiser une résistance intérieure, surtout que Juvénal refusait toute idée de démocratisation.

Le Président : Juvénal est…?

le témoin 39 : …le président. Le président Juvénal le témoin 32 a refusé toute approche du multipartisme et d’ouverture politique. Alors, du coup, je suis parti à Kampala, j’ai fait les contacts, j’ai été reçu par... le major Peter BAYINGANA qui m’avait donné son briefing et qui m’a accolé à une équipe qui devait travailler conjointement au Rwanda. Mais, c’était toujours dans la clandestinité et on ne devait pas se connaître, c’était la règle du jeu quoique, des fois, on était obligé de se connaître dans les méthodes de recrutement. On a recruté Hutu et Tutsi qui en avaient marre du régime et puis, juste en 1990, il y a eu l’attaque armée du FPR, Front Patriotique Rwandais. On a ramassé pas mal de gens et j’ai fait de la prison pendant 5 mois. Je suis sorti de la prison au mois de mai. Je suis parti au front. J’ai fait partie de l’Armée patriotique rwandaise et j’étais officier d’état-major au grade de lieutenant quand j’ai quitté Kigali l’année passée. Je n’irai pas parler du détail du quotidien, du vécu au front, mais moi, j’aimerais ébaucher les grands moments forts du FPR dans l’avancement du processus de paix qui à été bloqué par la chute de l’avion de Juvénal, du président Juvénal le témoin 32, en 1994 et depuis 1994, il y a eu la basculade, le génocide, les massacres à grande échelle et toutes les guerres qui s’en sont suivies jusque maintenant.

Mais, comme je suis curieux de nature, j’ai toujours voulu, et je le fais toujours, quand je vois quelqu’un qui est versé dans la politique, j’aime bien les entendre parler de la politique. Du coup, quand j’ai vu qu’il y avait un procès qui portait sur 4 accusés ici, avec une novation juridique où un pays qui n’a rien à voir avec le lieu de la commission du crime ou même l’action civile ne résidant pas ici, alors j’ai dit : « De toute façon, j’aimerais bien participer ». Et, par un ami qui suit des formations au Forum pour l’emploi à Tournai, il s’appelle le témoin 100, il m’avait prêté un livre qui parlait de la justice belge face à un génocide. C’était écrit par Monsieur NTEZIMANA Vincent et j’ai demandé dans mon entourage si on pouvait trouver quelqu’un qui le connaissait puisque j’aurais bien voulu le voir. D’abord l’intérêt que cela portait, c’est que c’était un jeune homme à peu près de mon âge, qui… qui a louvoyé au MRND, au MDR et qui finalement se décide à créer un parti politique, le PRD. Et puis, à travers son récit, je n’irai pas porter jugement, de toute façon c’est lui qui a écrit, c’est son histoire et ici, la Cour devra statuer des faits qui seront présentés, donc je n’ai rien à dire du contenu, mais je dis que ce livre portait un certain intérêt. Je l’ai rencontré. De toute façon, coupable ou pas, il ne le dira pas, ce sont les faits qui le diront avec les juges.

Mais j’ai fait une sorte d’endoscopie de la situation politique qui prévalait à l’époque. Je me suis dit : « Est-ce que ces gens sont-ils réellement coupables ? Et s’il y a moyen de sauver une parcelle d’innocence chez eux, si on fait une analyse… ». Puisque moi, j’ai toujours fait partie d’une cellule pensante du FPR puisque, déjà en novembre 1994, je faisais partie du comité central. On planifiait l’économie et la politique, on a fait cela en novembre 1991. On a invité des représentants du FPR du monde entier et on en a parlé pendant une semaine. J’étais du nombre et je m’occupais du département de la Commission planning, planification. Et même, cela m’est arrivé aussi de faire des sorties. Et même, si on l’exige, je donnerais des preuves à l’appui. En mars 1992, j’ai fait une sortie aussi à Kampala. On a travaillé aussi pour préparer comment asseoir les accords de paix d’Arusha qui étaient inévitables et on voyait que cela allait aboutir, on y croyait. C’est ainsi que, même le 31 juillet 1992, j’ai été nommé parmi l’équipe politico-militaire qui devait superviser, à partir de Addis Abeba, la mise en application des accords de paix d’Arusha, que ce soit du côté FPR ou côté gouvernemental. Je faisais partie de l’équipe. Il se fait que l’équipe n’a jamais pu fonctionner, pour des raisons techniques et diverses, et puis il y a eu aussi des violations de cessez-le-feu. Là, je ne veux pas me verser tellement dans le détail.

Le Président : Mais cela nous intéresse, notamment que vous donniez quelques… quelques dates par exemple, ou quelques périodes où le cessez-le-feu a été violé.

le témoin 39 : C’est que, en 1992, dans la région de Ruhengeri et de Gisenyi, euh… on tuait des gens. Il y a eu des rapports qui ont été confectionnés par des associations des droits de l’homme avec une commission indépendante internationale. Je crois avoir les textes, peut-être je pourrais les verser dans le dossier pour la Cour, puisqu’ils ont fait, chronologiquement, des violations massives des droits de l’homme, des tueries et même des essais de génocide, que ce soit dans le Bugesera, ou que ce soit dans le Kibilira, que ce soit chez les Bagogwe au Nord du pays. Dans tout cela, il y a le détail. Si on me l’avait permis, je serais venu avec tout mon dossier.

Le Président : Vous n’auriez pas pu l’utiliser parce que les témoins ne peuvent pas avoir de notes, chez nous.

le témoin 39 : Ah… du coup, il y a eu le piétinement de l’avancement des travaux pour ce qui est de l’accomplissement des accords de paix d’Arusha. Et malgré tout, il y avait quand même des intentions réelles du Front démocratique pour le changement. Il y avait le parti MDR, Mouvement Démocratique Républicain, il y avait le parti des sociaux-démocrates, il y avait le parti libéral, qui voulaient qu’il y ait un  changement, et on harmonisait les politiques pour que réellement, il y ait partage du pouvoir et asseoir un Etat de droit. Je me souviens, parmi les premières négociations, il fallait d’abord la démocratie et l’Etat de droit. Le reste, c’étaient des accommodements, des barricades, des jeux de poids et de contrepoids pour mettre en application les mécanismes qui puissent garantir les droits et libertés. Et les acteurs devaient aussi participer. Mais la grande pierre d’achoppement, c’était que le président Juvénal ne voulait pas. Chaque fois, il y avait un prétexte. Soit, il y avait une scission d’un parti avec des tendances qui étaient pro-Juvénal et qui ne voulait plus l’accomplissement des accords, ou bien la création des partis, des pseudo-partis comme la CDR, la Coalition pour la Défense de la République, qui manifestement, avait des tendances d’épuration ethnique contre les Tutsi. Il y avait aussi la création de la radiotélévision libre des Mille Collines qui ne diffusait que la Bible, le brûlot de haine contre les Tutsi. Tout cela, c’étaient des mécanismes qui faisaient que les accomplissements des accords de paix n’allaient pas au rythme souhaité.

Mais il y a eu quand même cette volonté gouvernementale. C’est ainsi qu’en octobre 1993, jusque même avril, même si en avril j’étais déjà candidat désigné pour le Parlement côté FPR, j’ai fait partie d’une commission chargée de la construction et de la réhabilitation nationale et c’est ainsi que j’en ai profité pour visiter les sites où il y a eu, que ce soit à Bugesera, que ce soit à Kibuye, que ce soit à Gisenyi, on a visité des sites où il y a eu des destructions d’infrastructures et des tueries. Là, on a fait des rapports sous l’égide du programme des Nations Unies pour le développement. Je faisais partie de l’équipe. Moi, je m’étais spécialement investi dans la réhabilitation de la reconstruction scolaire et le volet environnement. Le volet environnement qui m’a d’ailleurs fort intéressé. C’est ainsi qu’en 1997, tout récemment, j’ai créé une ONG locale, Cosolidarité, qui s’inspirait des conclusions de la conférence des Nations Unies pour l’environnement et le développement durable de juin 1992, à Rio de Janeiro. Euh… et cette ONG, qui a fait ses preuves sur le terrain, avait été sélectionnée quand j’ai quitté le Rwanda en août 2000, pour piloter le projet pour la paix dans la région des Grands Lacs, ce projet qui devait englober l’Est du Congo, le Burundi et le Rwanda.

L’ONG Cosolidarité figure dans le financement de l’UMCN, l’Union Mondiale pour la Conservation de la Nature, de concert avec la CEFDAD, la Conférence sur les Ecosystèmes des Forêts Denses et humides d’Afrique centrale qui englobe les 9 pays de la sous-région, dont le Rwanda fait partie. On l’appelle aussi le processus de Brazzaville, depuis 1996. C’est même dans ce contexte-là que j’ai été même à Rome, en 1998, novembre, pour le Sommet mondial de l’alimentation. C’est dans ce contexte-là aussi que j’ai eu à gérer les différents différends sur la gestion durable des eaux du Nil et j’ai fait mon intervention en 1997, en février. J’ai même été sollicité, comme président de Cosolidarité, pour aller gérer aussi les dossiers de TECONAHIL projet de Nil 2002 au Caire, en mars 1999. C’est aussi dans ce même contexte que j’ai été à Bujumbura en juin 1999 et c’est moi qui ai lu le communiqué final pour ce qui est de la gestion durable des aires protégées dans la sous-région. Donc, c’est… A partir de ce moment-là, j’ai été éveillé sur des contextes que je connaissais et qui étaient beaucoup plus inconnus qu’interdits et c’est ainsi que j’ai évolué dans ce contexte-là.

Alors, pour revenir dans le contexte, j’ai pu sillonner le pays, que ce soit côté du Front patriotique rwandais avec la Commission gouvernementale chapeautée par le PNUD, que ce soit côté gouvernemental, j’ai pu sillonner tout le pays et j’avais eu l’occasion aussi de renouer le contact tant avec les opposants extrémistes qui ne voulaient plus le contact avec le FPR, qu’avec les gens du Front démocratique pour le changement. Cela nous a fort servi aussi pour ce qui était de la… du regain de confiance (building confidence) entre le FPR et la partie gouvernementale. Et, le jour même où il y a eu la chute de l’avion, il y avait une mission qui devait aller jusqu’à Kagitumba pour voir l’évaluation de l’impact de la guerre et des déplacés de guerre et de l’occupation anarchique du Parc national de l’ Akagera. La mission a été effectuée le même jour qu’il y a eu la descente de l’avion. Après la chute de l’avion, on est resté. J’ai pu encadrer les dignitaires des anciens partis qui étaient pour nous, ce qu’on pouvait récupérer en combattant, mais moi, je n’ai pas mis l’uniforme parce que là j’avais la casquette de parlementaire. On a composé avec eux jusqu’à ce qu’on trouve l’issue qui nous a amenés à Byumba pour essayer de recomposer l’équipe gouvernementale et l’équipe des parlementaires et même le placement pour les établissements para-étatiques et étatiques.

Après, avec la mise en place du gouvernement, j’ai été, depuis juillet 1994 jusqu’au 25 novembre 1994, j’ai été préfet intérimaire dans la région de Ruhengeri, où je suis originaire, de Ruhengeri, même si les massacres de 1959 m’ont déplacé jusque dans le Bugesera où j’ai grandi. Mais ma résidence officielle, j’étais domicilié à Kigali. J’ai fait jusqu’au 25 novembre 1994, après j’ai été parlementaire jusqu’au 4 avril 1999, où le FPR m’a demandé de démissionner parce qu’il y avait un autre poste incompatible avec la députation, euh… ce qui était une façon aussi… là je n’y reviens pas, ce n’est pas le sujet qui nous intéresse. Et en septembre 1999, j’ai été au Congo attaché à la province orientale, j’étais basé à Kisangani pour la guerre et j’étais attaché au Congo desk jusqu’au 23 août, quand j’ai quitté le Rwanda.

Alors, pour parler de la guerre, moi, j’ai connu… la guerre, on ne sait pas. On dit : « La guerre de 1994 », mais la guerre du Rwanda date de très longtemps. Parce que, déjà en 1959, même si je ne savais rien de ce qui se passait, le fait est que j’ai vécu la situation de guerre en tant que petit enfant de déplacé intérieur du Rwanda. On était réfugié dans notre propre territoire. Là, j’ai grandi dans la région infestée de mouches tsé-tsé ; il n’y avait pas d’eau et on ne voulait rien faire pour que ces gens puissent survivre. Là, c’est une volonté délibérée de la politique du moment. Là, je n’y traîne pas. En 1973, j’étais à peine à l’école secondaire quand j’ai vu à Kabgayi, les gens, les étudiants Hutu venir tuer les Tutsi. Ils ont saccagé l’école juvénile des frères joséphites. J’étais là et nous on était au séminaire de Kabgayi. Notre tour n’était pas encore venu. Il se fait que par après, il y a eu des tractations, des interventions, le séminaire n’a pas été saccagé. Et là, je comprends, c’est parce que l’Eglise avait encore de l’influence. Du moins les prêtres, mieux que les frères, pouvaient protéger leurs joyaux. Par après, j’ai grandi dans un système où l’exclusion n’était que monnaie courante. Mais on s’y fait. Plus on écrase, il y a quand même une certaine résistance qui se crée. C’est comme… ben…, c’est un phénomène d’implosion. Plus on met dans l’impletif, il se développe une certaine opposition qui doit avoir ses forces et l’aboutissement, cela a été la création du FPR, que j’estime que cela a été une force qui a profité de l’environnement tant international que national pour montrer ses preuves de frapper et de descendre les dictateurs, que ce soit au Rwanda comme au Congo. Et euh… Je ne sais pas, à travers ma vie, la période qui vous intéresse le plus pour pouvoir en parler en long et en large.

Le Président : Est-ce que le FPR a lui-même commis des massacres pendant la guerre, de 1990 à 1994 ?

le témoin 39 : Oui.

Le Président : Avant le 6 avril 1994 ?

le témoin 39 : Oui. Parce que le FPR, il faut le dire, c’est un mouvement politique, mais doublé d’une armée. Contrairement à ce que la radio RTLM disait, les balles du FPR, c’étaient des balles réelles. Alors, dire que les balles n’ont tué personne, ce serait un pur mensonge. Là, il y a eu des cibles, légitimes…

Le Président : Oui…

le témoin 39 : qui ont succombé sous les coups du FPR. Je le reconnais.

Le Président : Le FPR a-t-il fait la guerre et tué des soldats des Forces armées rwandaises ou le FPR a-t-il tué des civils de manière inutile ? Je ne parle pas de ce qu’on appelle les dégâts collatéraux dans les guerres.

le témoin 39 : Moi, je ne connais pas de massacres intentionnels du FPR, des massacres délibérés.

Le Président : Est-ce que, par exemple, le FPR a mis à feu et à sang, des villages Hutu ? Est-ce qu’on mettait le feu aux huttes ou aux habitations des Hutu quand le FPR progressait pour faire fuir les Hutu ?

le témoin 39 : Non, ce serait contraire à l’idéologie même du FPR puisque le FPR, c’est un mouvement qui se veut assimilationniste. Puisqu’on devait plutôt absorber les Hutu, on ne pouvait pas tuer les gens qu’on voudrait récupérer. Cela a été d’ailleurs le plus grand défi de BAGASORA. Quand il a vu que le FPR avançait et qu’il épargnait les civils, alors il a orchestré une campagne de vider le terrain, la politique de la terre brûlée, et c’est ainsi qu’on avait du mal, par exemple, moi comme préfet intérimaire, à même poursuivre à chaud, les criminels qui étaient dans ma zone de contrôle parce que, c’est comme les oiseaux, s’ils sont dans l’arbre, vous en abattez un, les autres s’envolent. Et la politique du FPR à l’époque, d’après les décisions du bureau politique, il fallait sécuriser et avoir plutôt les criminels en liberté que de faire la conquête des îles désertes, puisque notre objectif n’était pas de gagner les collines désolées du Rwanda où il n’y avait ni Tutsi, puisqu’il y avait eu des génocides, et il n’y avait ni Hutu, et on serait là comme des militaires. Enfin, ce serait la catégorie des doux dingues. Donc, c’est contraire à l’idéologie même du FPR puisque, même à l’origine, il fallait recruter des Hutu.

Le Président : Jusqu’il y a peu, vous étiez donc encore au Rwanda et, je dirais, membre du FPR ?

le témoin 39 : Non, je reste membre du FPR même si…

 Le Président : Vous avez une mis…

le témoin 39 : …sauf que même le président KAGAME, je crois qu’il est dissident du FPR,  parce qu’il s’est écarté de notre idéal.

Le Président : Est-ce que vous avez, ici en Belgique par exemple, une mission pour le FPR ?

le témoin 39 : Non, si j’ai à confectionner une mission, c’est moi qui aurais à concevoir une autre mission, une autre nouvelle donne, parce que tous les idéaux du FPR, si on fait une gestion axée sur les résultats, l’équipe à Kigali a failli à sa mission. Donc, j’aurais à recomposer comme je l’ai composé avec d’autres bonnes âmes en 1988, voire… et c’est encore plus dramatique. Quand on entrait au FPR à l’époque, on devait prêter le serment comme je l’ai fait aujourd’hui, mais les termes diffèrent. Parce que, si on s’écartait des idéaux du FPR, c’était la pendaison. Or, là, je vois que, sur l’évaluation de l’existant, je vois plutôt qu’il faut pendre l’équipe de Kigali parce que les résultats sont assez révélateurs.

Le Président : Jusqu’il y a peu, vous étiez encore à… au Rwanda ?

le témoin 39 : Oui, il y a 7 mois, j’étais au Rwanda.

Le Président : Avez-vous entendu parler au Rwanda de ce qu’on appellerait des syndicats de délateurs, c’est-à-dire des gens qui vont comme cela dénoncer un peu n’importe qui pour euh… et faire des faux témoignages, et faire… ?

le témoin 39 : Entendre parler des syndicats de délateurs, j’en entends parler tous les jours, et vous-même, vous m’en parlez. Mais il faut différencier le langage, parce que, quand on disait… quand on fait de la politique, on trouve des mots chocs pour essayer de convaincre. Et puis, quand on est insécurisé, il faut toujours trouver des cocons de protection. C’est ainsi que vous trouvez dans le vocabulaire rwandais « AKAZU ». Mais « AKAZU », c’est une création, une trouvaille de l’opposition tant armée que politique pour dire l’entourage du président. Et par exemple, on trouvera une contradiction dans la dénomination même de « AKAZU », ce qu’ils appelaient « ikiguri nunga ». En fait, Ikiguri, cela veut dire une « multitude », Nunga, cela veut dire le « sommet ». Or, le sommet ne peut pas être fait de multitude, sinon ce serait une pyramide renversée. Mais il y a des mots qui passent facilement pour faire passer le message. Mais sinon, les syndicats de délateurs, non.

Par contre, j’ai vu dans la littérature justement des syndicats de délateurs, là où on parle par exemple d’Ibuka, parce que c’est une réponse à un génocide. Mais la création d’Ibuka répond à un contexte donné. Alors, des gens qui se sentent insécurisés ou qui ne croient pas disent qu’il y a un syndicat de délateurs. Et je ne dis pas qu’il n’y a pas de faux témoins dans la procédure. Et c’est là aussi qui, euh… je voudrais, sans amour ni haine, qu’on puisse revoir aussi l’idonéité de l’identité des personnes qui voudront donner leurs témoignages. Parce que moi, je connais des gens qui sont dans les témoins, qui n’ont vécu que du mensonge, et des preuves à l’appui ou bien des gens qui n’ont rien à donner comme message si leur passé professionnel n’a montré que division et haine. Donc, quand on est juge, sans charge émotive, on devrait regarder l’homme, son passé, son avenir et même son intention, voir s’il y a un syndicat. Il se pourrait bien qu’il y ait des gens qui mentent, on peut en trouver. Après, vos OPJ pourraient bien trouver des gens qui se mettent à deux pour dire du mensonge, pour se serrer les coudes, mais on ne peut pas en faire un principe, une règle qu’il y a des syndicats de délateurs. Mais par exemple, on peut se demander pourquoi il peut y avoir des dénonciations perlées qui tombent instantanément. Alors, si on est observateur éclairé, on se demande pourquoi. Et c’est le rôle du juge, du policier, de voir pourquoi un tel mouvement s’annonce.

Le Président : Vous avez rencontré Monsieur NTEZIMANA ?

le témoin 39 : Oui, je l’ai rencontré, j’avais demandé que je le  rencontre.

Le Président : Ici, en Belgique ?

le témoin 39 : Oui, oui.

Le Président : Lorsque vous étiez au Rwanda en 1994, est-ce que vous l’avez à un moment donné, rencontré ?

le témoin 39 : Non, pas encore.

Le Président : Vous étiez dans l’équipe chargée de veiller à arriver à l’exécution des accords d’Arusha ?

le témoin 39 : Oui.

Le Président : Vous, pour le FPR, avec d’autres qui étaient là pour la partie gouvernementale ? Et pour, peut-être, des représentants aussi des partis dits de l’opposition au Rwanda ?

le témoin 39 : Oui, je faisais partie du bureau politique du FPR.

Le Président : Bon. Monsieur NTEZIMANA a, avec d’autres, à une époque qu’il situe je crois vers le mois d’août 1993, créé le PRD, dont il était le secrétaire général ou secrétaire politique. Le PRD n’avait pas, en tant que tel, si je ne m’abuse, participé aux accords d’Arusha ?

le témoin 39 : Non.

Le Président : Il n’était donc pas dans les partis qui avaient signé le protocole de déontologie politique ni qui auraient eu des représentants désignés, comme vous étiez député désigné pour le FPR, il n’y avait pas de représentant pour le PRD ?

le témoin 39 : Non.

Le Président : Il n’y en avait pas non plus pour un autre parti, la CDR ?

le témoin 39 : Non. Surtout la CDR a toujours été la pierre d’achoppement. On a toujours refusé la CDR, d’après ses idéaux.

Le Président : Bon. Aviez-vous connaissance, malgré le fait que le PRD n’avait pas participé à la conclusion des accords d’Arusha, qu’il n’avait donc pas, dans la perspective de l’exécution de ces accords, de place quelque part dans les organes politiques, qu’il n’aurait pas eu un représentant ministre, il n’aurait pas eu de député, en tout cas pendant la période transitoire qui devait suivre immédiatement l’application des accords d’Arusha ? Comment vous, du côté du FPR, avez-vous eu ne fût-ce que connaissance des… je dirais… du programme politique du PRD ? Et si ce programme, vous en avez eu connaissance, vous semblait-il être un programme dans le sens de l’application des accords d’Arusha ou, au contraire, vous semblait-il être un programme contre l’exécution des accords d’Arusha - je parle de… à l’époque, en 1994, pas après que vous ayez lu le livre de Monsieur NTEZIMANA, faites abstraction de ce que vous avez lu - en 1994, ou à partir du mois d’août 1993, aviez-vous connaissance de l’existence du PRD ? Que saviez-vous à cette époque-là du programme politique du PRD ? Ce programme vous semblait-il être en faveur de l’exécution des accords d’Arusha ou, au contraire, opposé à l’exécution de ces accords ?

le témoin 39 : A ma connaissance, puisqu’au bureau politique on était obligé de parler, on avait 22 mois, initialement, à gérer pour la transition et directement nous verser dans les élections. Dans le bureau de coordination du FPR, coordination politique, il y avait un programme de recrutement et d’assimilationnisme puisque, je vous l’ai dit, on devait absorber ces gens qui étaient du même bord que nous, qui avaient les mêmes convictions que nous, mais dont on n’avait pas l’existence de… on ne les connaissait pas mais il fallait les connaître. Alors, critères de sélection : il fallait d’abord cibler les grands partis politiques qui restent toujours dans la composition gouvernementale et dans la composition parlementaire, qui ont pu faire preuve de démonstrations à grande échelle et de démonstrations sûr, que ce soit pour les manifestations dans la rue ou même des déclarations politiques, trop osées.

Or, il y avait d’autres partis politiques qui naissaient et nous, on les considérait comme des partis soit opportunistes pour avoir droit au gâteau du partage d’Arusha, une façon comme une autre d’exprimer leur existence, mais on ne voyait pas les équipes qui composaient ces partis. Mais… personnellement, moi j’étais intéressé à connaître ces gens et chaque fois que j’avais une connaissance ou un ami qui pouvait m’en parler, et même me mettre en contact avec ces gens, moi, j’ai toujours été l’homme du dialogue du FPR et j’ai même fait d’autres missions de contact pour essayer de rallier les gens qui étaient même dans l’opposition radicale contre le FPR, qui me connaissaient très bien ou bien, qui me connaissaient à travers les amis interposés. J’ai toujours fait des contacts. J’avais toujours voulu les connaître tous. Ils étaient, je crois, une affaire de 17 partis politiques mais il y en a d’autres qui, a priori, ne m’intéressaient pas.

Moi, je n’avais rien à négocier avec la CDR. Leur programme était clair. Donc, je ne pouvais pas négocier avec la CDR, puisque là, c’était vraiment l’antipode du bon sens. Par contre, le PRD, on avait un programme d’approcher ces gens, de les ramener dans notre mouvance démocratique et de les absorber puisque c’était notre objectif. Mais jusque-là, je n’étais pas encore tombé sur quelqu’un qui pouvait me mettre en contact avec lui, mais a priori, il n’était pas bien vu. Mais, quand même, quand on parle des gens, on ne peut pas parler d’une institution sans oublier les acteurs des institutions. Il y a des gens qui, malgré les bonnes idées, ils ont quand même un passé. Du coup, on regarde Monsieur NTEZIMANA qui, en Belgique, en 1992, louvoyait toujours du côté MRND, en 1993, MDR. Et du coup, il se met à côté parce que, bien, je ne lui ai pas posé les questions : « Pourquoi il n’est pas longtemps resté au MDR ». Mais j’estime que c’est quelqu’un qui avait beaucoup d’énergie, qui avait aussi ce droit et l’obligation civique, de créer un parti politique pour concourir, faire la compétition, montrer ses capacités de mobilisation, d’organisation, et pour le meilleur du Rwanda.

Par contre, quand on parlait des gens, on ne pouvait pas oublier l’autonomisation de la personne de l’institution. Alors du coup, pour NTEZIMANA, il y avait quelqu’un qui connaissait NTEZIMANA en Belgique, qui disait : « Lui, ce qu’il dit, c’est probablement un extrémiste Hutu ». Mais là, ce sont des a priori. Mais, par après, comme par hasard, je lis aussi dans le livre, je vois qu’il y a un petit quelque chose qui ne va pas quoiqu’il n’est pas très tendre avec le FPR, c’est une vision. C’est comme dans les visières d’un cheval, il voyait très loin mais dans un champ très restreint parce que lui n’a jamais voulu le côté belliciste du FPR et cela le révoltait, cela se lit dans son livre. Et peut-être que les gens qui l’avaient connu à Bruxelles ne s’entendaient pas sur le mode de gestion de la guerre et même de l’opportunité de la guerre puisque tout le monde n’est pas fait pour être baroudeur ou Tartarin.

Le Président : « L’appel à la conscience des Bahutus », cela vous dit quelque chose ? Et « Les dix commandements », publiés dans le n° 6 de décembre 1990, du mensuel, bimensuel, hebdomadaire Kangura, cela vous dit quelque chose ?

le témoin 39 : Oui. Euh… « L’appel à la conscience des Bahutu », cela rentre dans tout un processus.

Le Président : Oui, mais je voudrais vous poser une question précise à ce sujet. Avez-vous, entre la publication de cet article et de ces « Dix commandements » au mois de décembre 1990 et le mois d’avril 1994, entendu dire au Rwanda, là où vous étiez, à un quelconque moment, qu’un des auteurs de cet article et de ces « Dix commandements » pouvait être Monsieur NTEZIMANA ?

le témoin 39 : Non.

Le Président : Avez-vous, à cette époque-là, entendu dire d’où pouvait provenir, où pouvait se trouver l’origine de cet article et de ces « Dix commandements » ?

le témoin 39 : J’avais entendu parler de cet article. Tout le monde en parlait puisque, quand on voit le clivage Hutu-Tutsi qui datait des années 1950, jusqu’au moment où il y a eu le déclenchement de la guerre, on se posait toujours des questions là-dessus. Sur ce contentieux Hutu-Tutsi, ou même sur le contentieux dont on parle moins mais qui n’est pas moins scabreux, le régionalisme Kigaduga, là on devait en parler puisqu’on ne peut pas faire de la politique avec les yeux bandés. Alors, du coup, on avait des enfants qui venaient de toutes parts, j’en ai entendu parler qui disaient que la « Conscience des Bahutu » était plutôt une émanation de la région du Kivu.

Le Président : De la région du Kivu ?

le témoin 39 : Du Kivu. Et que même avant 1990, il y avait eu ce courant, je crois dans les années 1966, où on a parlé de la guerre kinyarwanda, on a tué des réfugiés rwandais Tutsi qui étaient réfugiés au Congo dans la région du Kivu et on a dû les déplacer pour aller les installer, une partie en Tanzanie, d’autres se sont dispersés vers l’Ouganda. Et là, il y avait cette littérature anti-rwandaise et spécialement anti-Tutsi, dans la région du Kivu. Et là aussi, on disait que, ce sont des rumeurs toujours, que c’était le Rwanda, à travers le chef du service de renseignements de l’époque, c’était KANYARENGWE Alexis, le colonel, qui était président du FPR pendant la guerre ; on disait que c’était lui qui était derrière et qu’il voulait déstabiliser aussi les Rwandais qui avaient fui le Rwanda en 1959 et qu’on lui prêtait des accointances avec la Mutuelle des agriculteurs-éleveurs… des agriculteurs du Virunga, Magrévie, et on disait qu’on finançait des opérations de déstabilisation des réfugiés rwandais partis à l’étranger. Mais, du coup, en développant cette conscience congolaise contre les Rwandais, ils ont tapé aussi sur des Hutu.

Le Président : C’est bien avant d’avoir lu le livre de Monsieur NTEZIMANA que vous avez entendu parler de ces choses ?

le témoin 39 : Oui.

Le Président : Bien. Y a-t-il des questions à poser au témoin ? Maître CARLIER ? Oui, Monsieur l’avocat général d’abord.

L’Avocat Général : Est-ce que le témoin - puisqu’il était un témoin privilégié qui devait donc suivre l’évolution des parties civiles, euh…, des partis politiques, excusez-moi - est-ce que le témoin peut confirmer que le MDR était scindé en deux sections, une qui était pour la collaboration avec le FPR et la mise en place des accords d’Arusha, et l’autre qui balançait vers l’extrémisme, qui devenait une tendance Power ?

le témoin 39 : Je peux y aller ?

Le Président : Oui.

le témoin 39 : Merci, Monsieur le président. Il est vrai qu’en 1993 il y a eu la scission du MDR d’après le Sommet, le Congrès de Kabusunzu. Je ne me rappelle pas exactement les dates mais je sais qu’il y a eu une scission, il y a eu la création du MDR Power, des ultra-racistes, des ultra-racistes qui voulaient que le MDR ne fasse pas partie du groupe du Front démocratique pour le changement mais qu’il se rallie au MRND, le parti de Juvénal et à la CDR. Là, il y a eu une scission claire et nette. On a vu des gens se démarquer, côté ultra, des ultra-racistes, et des MDR modérés. On a vu vraiment le feu dans la cabane. Et puis, il y a aussi une chose, c’est que, dans tout l’environnement politique qui prévalait, il y a une force qu’on a toujours négligée et qui pourtant doit être l’origine même de ce procès en Belgique, c’est la force de l’Eglise catholique. Je sais que, peut-être que je me trompe, mais je vois aussi le revers de la médaille, c’est un règlement de compte entre les Belges, c’est ce que je crois, peut-être que je me trompe, c’est peut-être un procès d’intention. Je vois la tradition…

Le Président : Si c’est un procès d’intention, ne le faites pas. N’allez pas plus loin, ce n’est pas la peine. Cela ne nous éclairera pas beaucoup si on ajoute un procès dans notre procès.

le témoin 39 : Alors, je vois la tradition socio-chrétienne qui était présente à la colonisation, même après la colonisation, et la laïcité qui prend le dessus et même dans l’environnement politique du Rwanda, c’est pareil. Euh… si j’ai bonne mémoire, on a vu, en 1959, le clergé des missionnaires qui a attisé, favorisé, cautionné, ce qu’on a dû appeler la révolution de 1959. Mais, c’était un essai de génocide puisqu’il y a eu la chasse pure et simple du Tutsi. Il y avait, parmi les parrains, la tradition socio-chrétienne. On a vu l’Internationale démocrate chrétienne cautionner toute la politique, que ce soit du temps du président Grégoire ou du temps du président Juvénal. Et j’ai même en mémoire ce qui révoltait le FPR où le secrétaire général de l’IDC, l’Internationale Démocrate Chrétienne, avait écrit, je crois le 1er juillet 1992, au moment où on était techniquement avancé pour l’accomplissement des accords de paix d’Arusha, lui qui écrivait que le FPR n’avait pas de raison d’être. Et puis on a vu aussi la réaction du… de l’honorable sénateur Hervé HASQUIN, qui a stigmatisé l’article qui est sorti dans Echo, le 1er juillet 1992. On a vu toujours l’IDC qui se prononçait contre la lettre des 18 prêtres de Kabgayi du 1er décembre 1991, qui stigmatisait les travers de l’action missionnaire et même les prises de position de certains membres du clergé pour cautionner l’Etat de non-droit, de non-liberté qui prévalait au Rwanda. Et ce n’est pas par hasard si maintenant je lis, je vois le parcours de Monsieur NTEZIMANA. Il a fait l’université catholique de Louvain, donc c’est un catho. Je vois HIGANIRO, c’est un catho, université catholique de Louvain. Je vois sœur Gertrude, c’est catho. Je vois sœur Kizito, c’est catho.

Le Président : Le président a fait ses études aussi à l’université catholique de Louvain ! Mon assesseur est professeur à l’ULB. Monsieur l’avocat général donne des cours dans une autre université. Allons ! Soyons raisonnables.

le témoin 39 : Alors du coup, je vois le FPR qui arrive aussi au pouvoir, on arrive avec une nouvelle donne, maintenant le secrétaire général du FPR, l’homme fort de Kigali, MURIGANDE Charles. Il est de religion protestante. Et maintenant, pour être bien vu, il faut faire partie du « full go spear » ou « restauration church » à Kigali, comme cela on fait concurrence à ces cathos. Et puis, je me rappelle aussi, le 12 mars, le 12 mars 1992, il y a la création des forces politiques unies par l’ancien premier ministre TWAGIRAMUNGU Faustin, qui avait demandé l’affiliation à l’IDC. Et en même temps, je vois arriver à Kigali, le grand maître de la franc-maçonnerie, MORTERA, qui a bénéficié de toutes les facilités de séjour à l’hôtel des Mille Collines, la même période, et qui voulait, qui exigeait absolument que l’on pose un tapis rouge pour lui, parce que les cathos, les sociaux-chrétiens, avaient une tradition de tueurs, de génocides, 59, 73… Alors, on en a discuté au bureau politique du FPR, moi j’ai dit : « Pas question de tapis rouge pour MORTERA parce qu’on doit voir la globalité du bilan ». S’il y a l’actif, voyez le passif et le résultat qui se dégage, malgré les erreurs, on reconnaît quand même pour la reconstruction, je n’ai rien contre le dogme de la laïcité ou les idées nobles de la franc-maçonnerie. Mais il fallait voir dans le contexte de la reconstruction ce qu’ils apportaient ; le contexte de la réconciliation ce qu’ils apportaient, et encore comment on allait faire un lavage de cerveau pour ce pays qui a une tradition soi-disant chrétienne, même si ce qu’on fait n’a rien de chrétien. En même temps, je vois débarquer Monseigneur CORDES, qui s’occupe de Corps Unum au Vatican, le 23 mars, qui arrive en même temps que le grand maître de la loge maçonnique. Et…

Le Président : C’est la réconciliation universelle !

le témoin 39 : Oui, catholique, cela veut dire universel, c’est vrai. Et qui débarque en même temps que la loge maçonnique qui débarquait, et qui, par après, n’a pas encouragé les Rwandais à la réconciliation. Il a dit : « Il n’y a rien qui marche ». Et je me rappelle, j’ai fait partie d’une équipe qui a rédigé un mémorandum, à l’intention du pape Jean Paul II, pour montrer, quoique l’action missionnaire avait beaucoup d’actions positives, pour montrer quand même qu’il y a eu la plume de l’action missionnaire qui avait glissé et qui aurait fait qu’il y a eu le dérapage. Alors, je dis : « Est-ce que c’est gratuit, c’est un fait fortuit ? » Puisqu’il y a des concepteurs de la théorie du génocide en 1959 qui sont ici en Belgique, qui sont sur la liste des grands criminels à rechercher. Pourquoi est-ce qu’ils n’ont pas été arrêtés ? C’est parce qu’ils ont une ancienneté dans le crime ? Qu’il fallait prendre des jeunes ? Est-ce que c’est parce qu’ils ne sont plus assez cathos pour mériter ici le procès d’une transition entre la tradition et la modernité qui s’impose actuellement ? Est-ce que cela a un certain rapport de voir le FPR qui fait peau neuve, qui n’est pas forcément catholique mais qui a quand même le «  full go spear » qui fait loi et qui exige qu’on puisse taper, donner le dernier coup de grâce… à cette longue tradition et tabler sur d’autres nouvelles bases. Là, je me pose aussi la question.

Le Président : Bien. Maître CARLIER ? Monsieur l’avocat général encore avant ?

L’Avocat Général : Je voulais simplement - parce que la réponse a été beaucoup plus longue que la question - j’avais demandé une simple question, sans nous égarer dans des considérations judéo-chrétiennes, maçonniques, islamistes, nihilo-hamitiques ou autres. Est-ce qu’il y avait une troisième voie dans le MDR, ce que déclare Monsieur NTEZIMANA. Lui prétend qu’il y avait l’extrémiste Power qui avait la tendance TWAGIRAMUNGU et que lui représentait une tendance intermédiaire ;  est-ce qu’elle existait, oui ou non ? Je demande simplement, oui ou non.

le témoin 39 : Je dis oui et non (Rires dans la salle) parce que cela existe quand même,  oui et non, oui et non. Je ne peux pas me lancer dans une dichotomie, parce qu’exclusion oblige automatiquement de laisser toute la passerelle impraticable.

L’Avocat Général : Monsieur TWAGIRAMUNGU, par exemple, a dit que cette tendance n’existait pas, qu’il n’y en avait que deux, la sienne et l’extrémisme.

le témoin 39 : Parce qu’il y avait la tendance TWAGIRAMUNGU, qui était la tendance du parti libéral, du PSD, du FPR en fin de compte, et l’autre qui était MRND et il n’y avait pas de passerelle du milieu. Mais celui qui n’était pas contre nous était pour nous, forcément.

L’Avocat Général : Une autre question. Simplement, est-ce que Monsieur - je l’ai déjà entendu, mais je voudrais quand même que Monsieur le témoin 39 le confirme et soit tout à fait clair. L’hypothèse selon laquelle « Les dix commandements du Bahutu » viendraient de la région de Kivu est une hypothèse qui est développée par Monsieur NTEZIMANA dans son livre - est-ce que vous pouvez confirmer que vous avez entendu cela avant d’avoir lu ce livre ? Parce que la thèse correspond à ce que Monsieur NTEZIMANA écrit.

le témoin 39 : Je n’avais même pas noté le détail que c’est sa thèse mais sinon, je sais que les gens qui venaient au front du Congo affirmaient que cela existait. Et en plus, ici je peux citer le Docteur, euh… BOG.  Lui aussi en a fait état quand, dernièrement, j’avais été invité chez les Congolais de la région du Kivu et du Maniema pour parler des problèmes de la région des Grands Lacs. Et là, ils ont fait la recension de la littérature qui poussait à la haine et qu’il y avait l’existence de ces écrits.

Le Président : Bien. Maître CARLIER ?

Me. CARLIER : Une question, Monsieur le président.

Le Président : Professeur à l’UCL ! (Rires dans la salle). Maître HIRSCH posera une question après, professeur à l’ULB ! Je vous en prie, Maître CARLIER.

Me. CARLIER : Une question, Monsieur le président. Vous avez posé la question au témoin, relative aux syndicats de délateurs et à cet égard, tout en étant prudent au regard du mot syndicat, il a dit, j’ai noté ceci : « Dans les témoins, je connais des personnes qui n’ont donné que des faux témoignages ». Est-ce que vous pourriez demander au témoin d’être plus précis quant à ça ? Est-ce que, en raison de ses fonctions au sein du Front patriotique rwandais, en tant que parlementaire ou en tant que militaire, il a eu à connaître des cas précis de faux témoignages quand il dit cela ?

Le Président : Avez-vous connaissance de personnes qui ont fait des faux témoignages ?

le témoin 39 : Oui.

Le Président : Pouvez-vous les nommer…

le témoin 39 : Merci, Monsieur le président.

Le Président : … pour qu’on puisse comparer avec notre liste pour voir si…

le témoin 39 : Euh… je peux citer, à commencer par les témoins qui seront ici, parce que j’ai vu la liste tout à l’heure, il y a le témoin 76. Je l’ai eue comme collègue parlementaire et toutes les interventions en séance plénière à l’Assemblée nationale sont enregistrées. J’aimerais que les OPJ puissent aller se rendre sur Kigali pour voir ce qu’elle a toujours dit sur le président de l’Assemblée nationale, Joseph SEBARENZI, lors des interventions en plénière. C’est du pur mensonge. Ses dépositions contre Pierre Célestin RWIGEMA, qui était ancien premier ministre, ancien ministre de l’éducation nationale de l’enseignement primaire et secondaire, cela peut se vérifier, c’était faux. Et dernièrement, elle a fait des petits rapports, à l’usage probablement du président KAGAME, à la main, manuscrits. Elle faisait l’évaluation de ses collègues parlementaires et il se fait que la majorité Hutu était génocidaire, camouflée dans des doigts gantés. Les rescapés du génocide Tutsi étaient des extrémistes qui ne voulaient pas la réconciliation nationale et, de ce fait même, elle a été mise en examen et chassée de l’Assemblée nationale sur base de la diffamation-calomnie. Elle-même a fait un rapport officiel quand elle revenait d’une mission de Belgique, Hollande, Angleterre dans le cadre de la WEPA. Elle a dit par exemple : « Le ministre PRONK a été mis en examen et chassé de son poste à cause de la mauvaise gestion avec le Rwanda ». C’est écrit, on a des références écrites. Donc, je dis a priori, il faudra voir, avec réserve, je ne dis pas qu’elle ne dit que des mensonges, mais il faudra voir ce qu’elle déclare, si c’est crédible à 100%. Mais du moins, il y a des preuves qui peuvent me donner quelques suspicions jusqu’à invalider même son témoignage.

Je peux citer même d’autres. Une fois, on avait eu une affaire de crise de confiance entre le Parti libéral et le FPR. On a vu des gens qui ont fait des faux témoignages comme le député de l’époque, c’était NKONGOLI Laurent, il a fait des faux témoignages contre ses pairs du Parti libéral. le témoin 76 Rose, avec la députée le témoin 44 Emilie, ont fait la même chose pour pousser le Parti libéral dans l’opposition. Le député SAFARANA a fait de même contre le député RWASAMIRERA et moi, je me suis insurgé contre cet état de choses et on a demandé, on était plus de 25 parlementaires réunis chez un collègue parlementaire, qu’on fasse une enquête appropriée et moi, par mes relations, je me suis servi des techniciens, des services de sécurité ; ils ont fait des enregistrements et cela a été prouvé, on a fait même un rapport écrit que c’étaient des faux témoignages. Alors je dis : « Des fois, je ne dis pas tout le temps, pour des intérêts politiques, pour un ostracisme politique, on peut cibler un individu et l’accabler de faux témoignages pour le marginaliser, le diaboliser et enfin l’éjecter ». C’est l’ostracisme politique et cela rentre dans les techniques aussi de lutte politique. Quand on veut casser quelqu’un, on l’invalide, on lui fout… qui veut noyer son chien l’accuse de rage. Alors je dis : « A priori il faudra voir avec réserve si ces gens ont une bonne honorabilité et si, de par nature, ce ne sont pas des menteurs ». Mais cela ne justifie pas le fait médiatique de dire qu’il y a des syndicats de délateurs.

Le Président : Vous avez d’autres noms encore ?

le témoin 39 : Non. C’est que je cite de mémoire mais sinon, si on me donne un devoir, je peux faire un rapport écrit et je donne avec des détails, précis. Et puis, on a vu par exemple, il y a un major ici du FPR, il est parmi aussi les fondateurs du FPR, le major NTASHAMAJE. Il a été mis sur la sellette sur une fausse accusation et on l’a regretté après son départ. Le major NGIRABATWARE, il est des anciennes Forces armées rwandaises, il a été accusé. Il y avait un témoin qui, soi-disant, était avec lui pour organiser la complicité avec la rébellion. Il a été devant les juges, condamné mais il a été coupable d’innocence. Même le petit Monsieur, le caporal qui disait qu’il avait fait la route avec lui pour aller rejoindre la rébellion …

Le Président : On ne va pas passer en revue tous les procès, tous ces procès-là. Dans la liste de nos témoins, vous nous en citez un ou une.

le témoin 39 : Et puis aussi, j’ai vu sur la liste, j’ai vu un type, moi, que je qualifie comme Jean-Paul GOEBBELS, je vois mal comment un type qui a été arraché de la prison il y a à peine deux mois pour venir témoigner contre un autre accusé alors que c’est lui le concepteur, le réalisateur de la théorie génocidaire et qui est même sur la liste des génocidaires. le témoin 31. Là, je m’insurge contre la procédure aussi.

L’Avocat Général : Monsieur Bonaventure HABIMANA ! Je m’excuse, mais cela m’étonnerait fort que Monsieur HABIMANA ait été sorti de prison il y a deux mois puisqu’il est magistrat au Rwanda. Il est substitut du procureur  de la république à Butare.

Le Président : Butare…

L’Avocat Général : …cela m’étonnerait qu’il sorte de la prison et qu’on l’ait laissé sortir de prison pour venir témoigner comme magistrat, ici.

le témoin 39 : Alors, c’est une confusion de ma part mais celui qu’on appelle MUVOMA, j’insiste, ce n’est pas lui - qui a été libéré sur base des tripatouillages de la justice à Kigali - ce n’est pas lui qui viendrait faire des leçons ici. Si ce n’est pas lui, je demande pardon.

L’Avocat Général : Si c’est comme cela que se font les rumeurs, alors bon…

le témoin 39 : Non. J’ai dit sur base de la liste que j’ai vue.

Le Président : Bien. Une autre question ?

L’Avocat Général : Est-ce que le témoin connaît par hasard le capitaine NIZEYIMANA ?

le témoin 39 : Non.

Le Président : Une autre question ?

Me. WAHIS : Monsieur le président, je voudrais qu’on revienne un instant sur la déposition du témoin sur le passage où il nous a dit que, si j’ai bien compris, il avait quitté le gouvernement ou le FPR à Kigali en disant que le gouvernement FPR n’avait pas respecté ses engagements. Est-ce qu’on pourrait, de manière synthétique, savoir de quelle manière les résultats n’ont pas été atteints par ce gouvernement à Kigali ?

Le Président : C’est possible de manière synthétique ? Je pose d’abord la question de savoir si c’est possible de manière synthétique ?

le témoin 39 : C’est possible.

Le Président : Alors, faites-le de manière synthétique.

le témoin 39 : On avait un programme à 8 points. Il y avait la démocratie, je crois que maintenant cela se voit qu’il n’y a pas de pluralisme démocratique. Il y avait l’Internationale, cela piétine. On organise des séances et des séquences de démonstrations pour dire : « Il y a l’unité et la réconciliation », mais les cœurs ne sont pas atteints, ne sont pas touchés. Il y a la lutte contre la corruption : allez voir le dossier qui est déposé à l’Assemblée nationale pour ce qui est du charcutage, du pillage des établissements publics, impunément. On n’a pas eu… celui qui en a parlé, n’est plus… s’il n’est pas mort, il est en exil. Vous allez trouver le débat sur la privatisation. Il y avait la relance de la production. Maintenant, le Rwanda, c’est le plus grand pays producteur de réfugiés et ce n’était pas notre mission essentielle. Il y avait la lutte contre tout ce qui pouvait amener à l’exil et maintenant les faits sont là, il faut demander à l’Office des étrangers : on en crée tous les jours. Il y avait la coopération régionale. La coopération régionale, cela ne veut pas dire investir, avec les armes à la main, les pays voisins et créer toujours des occasions de guerre, que ce soit avec le Congo ou l’Ouganda ou d’autres voisins. Il y avait un programme d’éducation politique. Est-ce que réellement c’est fait ? Donc, je dirais, succinctement : « S’il fallait attribuer des points, c’est à vous de voir si réellement on a eu, euh… du moins, ne fût-ce que 60% de notre objectif quand on fondait le FPR initial ».

Le Président : D’autres questions ? Maître BEAUTHIER ?

Me. BEAUTHIER : Elle est toute simple, Monsieur le résident. Je crois que le témoin vient de faire une démonstration, après son exposé, qui vaut tout de même la peine. Donc, si on le comprend, ceux qui sont actuellement au pouvoir le sont aussi pour confisquer peut-être au peuple le pouvoir, comme les autres l’étaient avant. Mais, est-ce qu’il va jusqu’à dire que ceux qui sont au pouvoir actuellement mènent l’aspect ethniciste en avant ou bien est-ce que c’est une caractéristique du pouvoir antérieur ? En quelque sorte, c’est une lutte pour le pouvoir pour vous, c’est ce que vous venez de dire ? Alors, est-ce que pour le moment on assiste à cette même lutte fratricide ou bien est-ce que c’est simplement une lutte de corruption ?

Le Président : Oui.

le témoin 39 : Je dis que le pouvoir est avant tout corrompu. Mais n’empêche, il y a des matières de société qui n’ont pas été abordées avec sincérité et si, même actuellement, il n’y a pas de désastre, c’est comme si dire que quand il n’y a pas de mortier lourd qui tire que ce n’est pas la guerre ; il n’y a ni guerre ni paix, là-bas. Donc, il y a des problèmes sur lesquels on glisse, dont on ne parle pas, ce sont des sujets tabous. Celui qui en parle se voit sous la tombe.

Me. BEAUTHIER : J’aurais voulu une autre réponse.

Le Président : Est-ce que le gouvernement actuel, quels que soient ses résultats, sur le plan du racisme, de la confrontation entre les ethnies, est-ce qu’il pratique la politique qu’a pratiqué, dans les derniers temps en tout cas, le gouvernement le témoin 32 ?

le témoin 39 : Je ne pense pas, mais il faut aussi juger aux résultats. Pour ce qui est de la lutte contre les ethnies, il n’y en a pas. Il y a toujours la carabine au poing pour amener au droit chemin, celui qui est égaré mais, même au niveau du gouvernement, les majorités sont conservées mais reste à voir si ce sont des majorités utiles ou des majorités d’otages. A ce que généralement, je vois, je ne suis pas médisant…

Le Président : Est-ce que le gouvernement actuel…

le témoin 39 : Il n’est pas ethniste.

Le Président : ...quel qu’il soit, est-ce qu’il est ethniste ?

le témoin 39 : Non.

Le Président : Est-ce qu’il organise des camps de concentration ? Est-ce qu’il organise des emprisonnements ? Est-ce qu’il organise des tueries, de Tutsi ou de Hutu. Peu importe, à la limite, je dirais : « Est-ce que la base ethnique fait que le gouvernement actuel pratiquerait une politique discriminatoire ? ».

le témoin 39 : Politique discriminatoire ethniste, non. Mais le fait est que la corruption fait que, ethnie ou pas, ce n’est pas un problème.

Le Président : Bien. Je vous remercie. Maître Clément de CLETY et ensuite Maître NKUBANYI ?

Me. de CLETY : Je vous remercie, Monsieur le président. Pourriez-vous simplement demander au témoin si les récentes élections communales - qui ont eu lieu au Rwanda et qui ont amené, je pense, à la nomination de candidats des quatre partis de la coalition actuelle - ces élections ont-elles à son sens, été truquées ou manipulées ?

le témoin 39 : Les élections ont été manipulées, mais pas truquées.

Me. de CLETY : Je n’ai pas d’autre question, Monsieur le président.

Le Président : Maître NKUBANYI ?

Me. NKUBANYI : J’ai deux petites questions au témoin. La première est relative aux médias. D’abord, certaines personnes accusent radio Muhahura d’avoir diffusé des messages de haine, comme radio RTLM, au courant de la guerre, et il y en a aussi qui accusent les médias actuels du Rwanda comme étant synonymes, semblables aux médias du génocide comme Kangura et RTLM actuellement. Est-ce que cela est vrai ?

Le Président : Votre perception de ces messages : c’est pareil qu’avant ou ce n’est pas la même chose ? D’abord, la radio du FPR. Est-ce qu’elle lançait pendant la guerre ou depuis 1990, disons, depuis octobre 1990, est-ce que la radio du FPR lançait des messages de haine ?

le témoin 39 : La radio FPR n’a jamais lancé des messages de haine mais, en riposte à la RTLM, des fois, elle invalidait des gens qui étaient mis en lice par la radio RTLM ou même d’autres, mais la mission essentielle de la radio Muhahura, c’était plutôt le ralliement, comme son nom l’indique, c’était le ralliement mais pas la division. Sinon on n’aurait pas gagné la guerre parce que, il faut se le dire, on a profité aussi de la préparation de la force démocratique pour le changement, les facilités médiatiques du FPR qui sécurisaient, du moins ceux qui pouvaient y croire, puisque aussi il y avait une intoxication de la radio rwandaise et de RTLM qui faisait pas mal de dégâts au niveau médiatique. Sinon, pour la presse actuelle, je ne sais pas si vous posez la question pour le simple fait de poser la question, mais sinon vous savez que la presse de… la presse libre n’existe plus. Donc, ce serait comme défoncer des portes ouvertes. Si la presse n’existe pas, ceux qui osent, partent, mais ils écrivent maintenant en exil parce que, celui qui n’emboîte pas le pas, il est vite sanctionné. On a la gâchette facile.

Me. NKUBANYI : Une deuxième petite question, Monsieur le président. On dit que les Tutsi au Rwanda n’ont jamais connu un sort meilleur que sous le témoin 32 et le témoin nous dit, qu’en 1988, il a quitté le Rwanda pour rejoindre le FPR. Je voudrais savoir la motivation profonde qui l’a poussé à vouloir combattre le régime le témoin 32 alors qu’on nous dit qu’à ce moment-là, les Tutsi étaient… avaient une situation beaucoup plus enviable ?

le témoin 39 : C’est-à-dire…

Le Président : Oui.

le témoin 39 : il y a ce qu’on appelle le moindre mal. Sous Juvénal, on ne mourait pas. Moi, je préfère plutôt bête, non instruit que mort. J’aurais bien voulu voir le million de Tutsi classés débiles mais vivants. Sous Juvénal, on ne mourait pas mais on mourait intellectuellement, on était frustré, on en est mort et on a dit non. Et je crois que c’était, même prendre les armes… et je crois, c’est le plus impérieux de mes devoirs et le plus fondamental de mes droits, pour lutter pour la liberté et les droits. Sinon les droits sous Juvénal, au début, il avait une bonne politique mais, à la fin, il a prouvé par les actes, que ce n’était que du bluff. Et ce n’étaient pas uniquement les Tutsi ; les gens du Sud aussi. Parce que moi, quand je travaillais aux finances, des fois je pouvait avoir des facilités comme Tutsi du Nord, plutôt qu’ un Hutu du Sud. Alors là, la sélection ethnique, le principe même de l’apartheid régional et ethnique avait bien son sens et on avait la bénédiction aussi de l’Eglise puisqu’ils faisaient partie des organes décisionnels du MRND. Tandis que maintenant, on meurt de faim, mais Hutu, Tutsi ou Twa, on meurt de faim, le résultat est là.

Le Président : C’est l’égalité dans la… dans la faim.

le témoin 39 : Dans la misère.

Le Président : Dans la misère. D’autres questions ?

Me. MONVILLE : Je crois que le témoin vient de nous déclarer à plusieurs reprises qu’on empêchait certaines personnes de s’exprimer à l’heure actuelle au Rwanda. Est-ce qu’il pourrait nous dire si cela vaut également pour des personnes qui souhaiteraient par exemple témoigner à décharge dans certaines causes ?

Le Président : Les journalistes n’ont pas le droit de s’exprimer. Est-ce que les témoins ont le droit de s’exprimer dans un procès ?

le témoin 39 : Je ne suis pas prophète de malheur mais ce ne sera pas impossible si jamais on voit un témoin qui retourne la veste, une fois arrivé ici. Ce n’est pas impossible, mais ce n’est pas de règle.

Le Président : Maître Clément de CLETY.

Me. de CLETY : J’avais dit que je ne poserais plus de question, Monsieur le président, excusez-moi, je n’avais pas anticipé…

Le Président : Tous les avocats font souvent des promesses !

Me. de CLETY : le cours des débats. Je voudrais savoir comment est-ce que le témoin concilie son affirmation selon laquelle il y a actuellement des pressions, une impossibilité de s’exprimer au Rwanda, et que, d’un autre côté, nous voyons dans la presse belge des personnes qui sont poursuivies ou condamnées au Rwanda, et qui sont librement interviewées à la prison, je pense notamment à Monsieur REKERAHO, par des journalistes, notamment « Le Soir » et d’autres journaux. Je voudrais comprendre comment est-ce qu’on peut concilier les deux affirmations sur ces deux phénomènes, en une seule phrase ?

Le Président : Oui.

le témoin 39 : C’est que l’Occident, n’empêche, c’est le grand bailleur de fonds. Alors, la visite dans les prisons, cela rentre aussi dans les droits des prisonniers. On entre en prison mais on ne sait pas la question que l’on va poser puisque c’est toujours dans la tête du journaliste. Et, que le détenu réponde spontanément ou pas, quand on est journaliste, on peut interpréter tout geste. Mais par contre, si on voit le député MBANDA Jean, il a osé faire une petite critique pour ce qui est du dysfonctionnement et de la récupération et du détournement du pouvoir par le FPR, qui se mue actuellement en parti unique, puisque moi-même j’ai participé dans des campagnes de désossement des autres partis politiques pour les incorporer dans le FPR, cela je l’ai fait. Et , euh… j’ai des témoins puisque c’était aussi ma mission pour renflouer les rangs du FPR, mais tout cela pour arriver à faire un Etat avec un seul parti mais avec quelques colorations de pseudo-partis, qui ne peuvent ni s’exprimer librement devant la population, qui ne peuvent organiser aucun congrès sans le couvert du Forum des partis qui a été institué par le FPR pour contenir tout mouvement de revendication politique ou de réforme de l’Etat. Donc, à l’intérêt qui parle, il est en prison. L’exemple le plus flagrant c’est le député MBANDA Jean. Ce qu’il a dit est vrai et personne n’a répondu et n’a répliqué puisque les méthodes policières de Juvénal, à la fin de son règne, se retrouvent actuellement à pied d’œuvre. Tandis que les Occidentaux, des fois, quand ils passent, on veut montrer au monde qu’on est ouvert, mais des fois on arrive à déclencher des avalanches dont le contenu finalement sera difficilement gérable.

Le Président : Oui, Maître Clément de CLETY.

Me. de CLETY : Je suis désolé, Monsieur le président, je prends beaucoup de temps mais, plus le témoin s’exprime, plus je me pose d’interrogations. Si je comprends bien ce qui vient d’être dit, on nous a parlé de régime unique du FPR. Donc, j’en conclus que, selon le témoin, tous les ministres et tous les bourgmestres qui sont élus MDR, PL et PSD sont des gens qui, d’une manière ou d’une autre, sont à la solde du FPR, ont été manipulés ou sont alors complètement muselés, puisque nous sommes dans un régime à quatre partis…

le témoin 39 : J’ose aussi souscrire à votre assertion parce que, des fois, on recrute des ministres qui ont des crimes économiques derrière leur dos et, s’ils osent dire non, on brandit la carte des inspections de contrôle qui se sont faites, là, je peux citer des noms, ce n’est pas un secret.

Le Président : Non, le Rwanda fera ses procès de son côté. A ce point de vue, il n’y a pas encore de compétence universelle pour la Belgique pour les crimes économiques.

le témoin 39 : Mais sinon, il y a aussi la structure du FPR qui va, à partir de la cellule comme entité administrative. Le candidat qui n’a pas passé, qui n’a pas pu passer sous couvert de la petite cellule du FPR locale, FPR qui fait des recrutements maintenant, tandis que les autres partis ne peuvent pas, n’a pas passé. C’est pour cela qu’il y a eu des gens qui n’ont pas pu passer aux élections. On a vu même des députés qui ont été invalidés parce qu’ils avaient éveillé la conscience des populations pour dire non à la campagne, sous couvert d’un seul parti.

Le Président : Bien. D’autres questions ? S’il n’y a plus de questions, les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Monsieur le témoin 39, est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler ? Le sens de cette question est simplement de savoir si vous confirmez les déclarations que vous avez faites ?

le témoin 39 : Je confirme, Monsieur le président.

Le Président : Eh bien, vous pouvez disposer librement de votre temps. La Cour vous remercie.

le témoin 39 : Merci.

Le Président : Euh… bon. Nous aurons bientôt une autre demi-journée de retard. Tout cela pour du contexte, Maître… Monsieur NTEZIMANA, c’était du contexte purement, Monsieur NTEZIMANA, puisque c’est à votre demande qu’on a fait venir ce témoin. Il y en a un autre qui doit venir, en principe pour ne parler que du contexte de Monsieur NTEZIMANA. Nous allons quand même suspendre l’audience.