assises rwanda 2001
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Instruction d’audience V. Ntezimana compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience V. Ntezimana > Interrogatoire
1. Interrogatoire 2. Audition juge d’instruction et inspecteurs police fédérale 3. Audition témoins 4. Lecture déclarations de témoins par président
 

6.1. Interrogatoire de Vincent NTEZIMANA

Le Président : Je vais vous demander, Monsieur NTEZIMANA, de bien vouloir vous lever. Je rappelle aux membres du jury que les faits qui sont reprochés à Monsieur NTEZIMANA sont exposés dans l’acte d’accusation aux pages 9 à 19. Avant que je n’entame, je vais demander, pour autant que les parties soient d’accord, à ce que soit distribué aux membres du jury un exemplaire de « L’appel à la conscience des Bahutu » et « Les dix commandements » qui est l’exemplaire dactylographié qui figurait dans le dossier de presse retrouvé au Rwanda, par Monsieur DUPACQUIER et qui est annexé au procès-verbal d’audition de Monsieur DUPACQUIER. Lorsqu’il remet à la police judiciaire ce document, il y a à la fois l’exemplaire de Kangura et le document qui a servi de base à la rédaction de cet article, à l’impression de cet article dans Kangura et c’est donc une annexe à la pièce qui figure dans le clas… dans le dossier 3795, classeur 27, sous-farde 93, pièce 1. Si vous voulez… Les parties sont d’accord pour qu’il soit procédé de la sorte ? Parce que, Monsieur NTEZIMANA, bien que ce document ait été établi en 1990, et publié d’ailleurs au Rwanda en 1990, c’est-à-dire à une époque où la loi de 1993 n’existait pas encore, la loi belge de 1993 qui permet de poursuivre en Belgique, des faits commis à l’étranger, par des étrangers qualifiés de crimes de droit international, et que donc, on ne puisse pas, en tant que tel, vous reprocher ce document, il n’empêche qu’il apparaît que c’est quelque chose qui, dans l’instruction et dans l’acte d’accusation, même si cela vient à la fin de l’exposé des faits, semble prendre une importance considérable. Mesdames et Messieurs les jurés, vous avez maintenant, j’imagine, sous les yeux ce document. Vous allez pouvoir l’examiner. C’est un document dont on peut résumer qu’il s’agit d’un appel à la haine raciale ou ethnique.

Vincent NTEZIMANA : Je suis d’accord avec vous, Monsieur le président, c’est un document ignoble, mais je réfute toute accusation visant à affirmer que j’en serais l’un des rédacteurs ou des diffuseurs.

Le Président : Et si j’en viens d’abord à ce document-là, c’est parce que, chronologiquement, il est quelque part bien avant les autres faits qu’on vous reproche. Les autres faits se situent en avril-mai 1994, hein. C’est vrai qu’on ne sait pas vous le reprocher en tant que tel mais, si vous êtes l’auteur d’un tel document, il est vrai que cela fait, j’imagine, mauvaise impression, cela fait… cela fait un peu mal dans le tableau de votre personnalité.

Vincent NTEZIMANA : Monsieur le président, si j’avais participé à la diffusion de ce tract, j’aurais honte de moi-même. Et je dois vous dire, les premières accusations concernant cet « Appel à la conscience des Bahutu » ont démarrées à Louvain-la-Neuve par un témoin qui a déclaré : « Voilà, la personne qui était avec moi dans mon bureau, dans les années entre 1987 et 1992, affirmait l’avoir aperçu sur l’écran de mon ordinateur ». Ceci étant, le texte, en tout cas la forme que j’ai aperçue au dossier, a une forme typographique complètement différente. On peut, les experts pourraient le vérifier, il y a des témoins qui ont été entendus à ce propos, eh bien, c’est un caractère typographique qui diffère complètement du caractère typographique du type de traitement de texte que nous employions au laboratoire du département de l’unité d’astronomie. Ensuite, cette version ayant raté, eh bien, notre version est venue, la première version date déjà d’août 1994.

Le Président : Est-ce que vous pouvez… ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, Monsieur le président ?

Le Président : Cette première version, elle vient de qui ?

Vincent NTEZIMANA : Elle vient du témoin 76 qui signale aux enquêteurs, le 27 février…

Le Président : Un petit instant. le témoin 76 est la personne dont un témoin vient de nous dire cet après-midi qu’il s’agit d’un faux témoin qui ferait d’ailleurs l’objet d’une mise en examen, qui aurait été déchue ou expulsée du Parlement, parce qu’elle fait, contre diverses personnes, de fausses accusations ?

Vincent NTEZIMANA : Oui. Donc, le 27 février 1995, entendue par la PJ, la police judiciaire, elle déclare que le témoin 124 lui a dit avoir aperçu, donc, le libéré du tract…

Le Président : le témoin 124 est quelqu’un qui vient du Rwanda comme vous, qui étudie comme vous, qui fait des recherches comme vous à cette époque-là, à l’UCL ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact, Monsieur le président.

Le Président : Qui partage également votre bureau ?

Vincent NTEZIMANA : Exact, Monsieur le président.

Le Président : Pour situer un peu la personne.

Vincent NTEZIMANA : Ah! oui, merci Monsieur le président. J’essaierai de donner des précisions si je sens que c’est nécessaire, Monsieur le président. Eh bien, le témoin 76 fait cette déclaration-là, où BONFILS lui aurait dit que, soit dit au passage, BONFILS était à l’époque trésorier de la section du FPR en Belgique, à l’époque où moi, j’étais secrétaire de la section du MDR en Belgique. On avait des relations professionnelles mais on savait bien que nos idées, que nos politiques étaient différentes. Et bien plus tard, le 9 mai 1995 précisément, le témoin 124, entendu par la première commission rogatoire, signale au juge VANDERMEERSCH que l’étudiant zaïrois qu’il connaît très bien, pour qui… qui a dactylographié sa thèse…

Le Président : Un petit instant, n’allez pas trop vite. le témoin 124 qui est entendu lors d’une des commissions rogatoires du juge d’instruction VANDERMEERSCH, ne va pas dire avoir vu ce texte sur votre ordinateur ?

Vincent NTEZIMANA : Non, ce n’est pas ce qu’il dit cette fois-là, ce n’est pas la version qu’il donne. Entre-temps, il est rentré au Rwanda, il est enseignant à la faculté des sciences. Donc, il va dire : « Voilà, le texte a été dactylographié par un étudiant zaïrois jobiste au magasin Copy Fac ». Et je le connais…

Le Président : A Louvain-la-Neuve ?

Vincent NTEZIMANA : C’était à Louvain-la-Neuve. Il dit : « Je le connais », parce qu’il a dactylographié ma thèse, il donne sa description, sa morphologie, les études qu’il fait et sa situation familiale. Au retour des enquêteurs du Rwanda, on m’interroge. Je m’insurge contre la déclaration, en signalant que c’est une nouvelle version et en demandant que l’on identifie cet étudiant zaïrois, que je ne connais pas, qui aurait pu déclarer des choses pareilles, qu’il soit entendu. J’ai constaté que, le 16 mai précisément 1995, par apostille du juge d’instruction, il a demandé à l’enquêteur Jean de STEXHE, commissaire de police de Louvain-la-Neuve, d’identifier cet étudiant zaïrois. Depuis cette date-là, je n’ai pas cessé d’insister auprès des enquêteurs pour que cet étudiant zaïrois soit identifié. Il faudra aller jusqu’en novembre, précisément le 28 novembre, je crois, que la police d’ici, donc la PJ, fasse une descente à Louvain-la-Neuve, l’enquêteur d’Ottignies-Louvain-la-Neuve n’ayant rien fait. Ils arrivent à Copy Fac, ils demandent au patron de Copy Fac s’ils ont conservé des dactylographies qui datent d’il y a cinq ans. Le patron dit : « Non ». On lui dit au motif, ils demandent s’il y a un étudiant zaïrois qui travaillait. Il signale que oui. Alors, le monsieur dit : « Il faudra le trouver parce qu’il n’y a plus, il n’y a personne d’autre qui pourrait vous renseigner parce que ma fille qui y travaille était en congé de maternité ».

Eh bien, cet étudiant zaïrois identifié, on lui montre le texte que l’on prétend qu’il a dactylographié, qu’il a signalé qu’i l’a dactylographié, qu’il était très, euh…très gêné de constater en le dactylographiant que c’était un texte extrémiste, qu’il aurait même demandé à le témoin 124 : « Mais comment êtes-vous les Rwandais ? ». Eh bien, quand cet étudiant aperçoit le texte qu’on lui montre, il est étonné. C’est une déclaration qui date du 12 décembre 1995, Monsieur le président, le 12 décembre 1995. C’est une pièce, je pourrais vous en citer la référence qui figure au dossier. Il s’étonne, il ne comprend pas. Il signale qu’il connaît BONFILS, qu’il le connaît bien, qu’il me connaît de vue, mais que je ne lui ai jamais donné ce texte et qu’il ne l’a jamais dactylographié. Eh bien, deux jours plus tard, le patron de Copy Fac, d’initiative, prend contact avec l’enquêteur, enfin d’après les procès-verbaux, l’enquêteur d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, en disant : « Vous savez, j’ai le témoin que vous cherchez qui a rédigé l’appel à la conscience des Bahutu ». La personne en question déclare que Vincent NTEZIMANA…

Le Président : Qu’il s’agit de Madame le témoin 50…

Vincent NTEZIMANA : Madame le témoin 50.

Le Président : …qui est la fille du gérant.

Vincent NTEZIMANA : La fille du patron, oui, du patron de Copy Fac. Elle dit qu’elle reconnaît le texte et quand l’enquêteur lui demande : « Est-ce que tu le reconnaîtrais parmi les photos ici ? Est-ce que vous reconnaissez parmi les photos que… ici, la personne qui vous a commandé la dactylographie ? ». Eh bien, l’enquêteur avait pris soin, la PJ lui avait envoyé une dizaine de photos de format carte d’identité, et parmi ces photos figurait une des miennes. Eh bien, il a ajouté un agrandissement pratiquement 2/3 de A4, un agrandissement d’une autre photo de moi, c’est la n° 4, je crois, dans la confrontation des photos. « Alors Madame ? », Madame qui dit : « Parmi les personnes que vous me montrez, ah oui, c’est celui-là, la grande photo ». L’enquêteur dit : « Ah oui, c’est bien Vincent NTEZIMANA dont il s’agit ». Donc, on l’interroge, elle confirme que je lui aurais donné, donc… Elle dit : « Oui, c’est lui qui m’a donné ce texte-là ».

On nous a confrontés, plus tard, je crois que c’est le 19 janvier 1996. Elle a persisté dans ses déclarations que je démens, mais j’avais lu sa déclaration et… elle avait ajouté qu’elle me connaissait très bien parce que, dit-elle, j’étais un client régulier du magasin, que je lui apportais d’autres documents d’une association d’étudiants, la Communauté des étudiants rwandais en Belgique. Que j’en étais, à ce moment-là, elle avait un doute, elle disait : « Président, ou secrétaire général », dans sa précédente déclaration. Mais alors, à ce moment-là, lors de la confrontation, j’ai tenu à demander des précisions, des indices sur lesquels elle se basait pour affirmer que j’aurais été secrétaire ou président de l’association. Et elle dit : « Puisque vous me les ameniez tout le temps et que vous les signiez, ces documents ». Des documents de l’association. Je dis : « Vous voulez donc dire… », et elle affirme qu’on avait sympathisé, qu’il n’y avait pas lieu de se tromper à mon sujet. Et j’ai dit… j’ai demandé aux enquêteurs de consigner sa déclaration au procès-verbal, donc, c’est une confrontation du 19 janvier 1996.

Et donc, je dis, je demande à l’enquêteur de lui demander si, comme elle prétend qu’on avait sympathisé et qu’elle dit que je signais les documents, est-ce que je les ai signés devant elle, je prenais le soin d’aller vérifier. Elle dit : « Non, peut-être pas, mais à partir du moment où je mettais en bas des textes, votre nom pour signature, je vous connaissais très bien, il n’y a pas d’erreur possible », me dit-elle. Eh bien, à ce moment-là, j’ai dit à l’enquêteur que je ne voulais plus faire de déclaration en présence du témoin parce que j’avais effectivement… que j’ai donnée, eh bien, ma déclaration était la suivante : « J’ai recueilli tous les documents de l’association, la Communauté des étudiants rwandais en Belgique, qui a été créée le 6 octobre 1990 ». J’ai recueilli tous les documents qui datent du 6 octobre 1990 au… 31 janvier ? Ou 31 mars ? 31 janvier 1991, tout, c’est une pile comme cela. J’ai dit aux enquêteurs : « Messieurs, si vous identifiez, ne fût-ce que mon nom, même sans signature, ne fût-ce que mon nom, eh bien le témoin prétend qu’on avait sympathisé, que j’étais un client régulier du magasin, et que donc, elle ne pouvait pas se tromper sur moi, qu’elle mettait mon nom en bas, pour signature. Eh bien, si vous identifiez mon nom, même sans signature, eh bien, je ne vous dirai plus rien, je… je serai incapable de me défendre à ce moment-là. Mais, mais, alors soyez conséquents, j’ai dit : « Soyez conséquent. Elle vous affirme que la personne qui lui remettait… qui lui a remis « L’appel à la conscience des Bahutu », lui remettait les documents de la Communauté des étudiants rwandais en Belgique et que cet individu-là avait son nom en bas des documents de la Communauté des étudiants rwandais en Belgique, qu’il les signait, il faudra se poser la question… ». Parmi le public, s’il y a une personne qui connaît, qui a aperçu un document de la CERB que j’aurais signé, où j’aurais figuré, éventuellement comme membre du comité exécutif de coordination ou ne fût-ce que la signature comme membre, eh bien, là, Monsieur le président, je m’inclinerai.

En revanche, en revanche, si on n’en trouve pas, alors je pose la question fondamentale : « Pourquoi est-ce que le témoin persiste à affirmer que j’étais secrétaire général de cette Communauté des étudiants rwandais en Belgique et que je signais ces documents ? ». Je signalerai au passage que des déclarations antérieures ressortaient des déclarations de mon accusateur, GASANA Ndoba, qui disaient que j’étais membre du comité exécutif de la CERB. Eh bien, je n’ai jamais, jamais alors, été membre du comité exécutif de la CERB, c’étaient 4 personnes ; ni du comité de coordination de la CERB, c’étaient 12 personnes ; ni du commissaire aux comptes, c’étaient 2 personnes. Je n’ai jamais figuré dans les organes dirigeants de cette communauté. Je me demande pourquoi est-ce que mon accusateur, quand il déclare devant la PJ : « vérification faite, j’ai constaté que Vincent NTEZIMANA était membre du comité exécutif de la Communauté des étudiants rwandais en Belgique », et que, du coup, Madame le témoin 50 commet la même erreur, Monsieur le président, je m’interroge. J’ajouterai qu’au dossier, figure un tract, un tract…

Le Président : Nous allons y venir, si vous voulez bien parce que, même si, chronologiquement, c’est sans doute, sans doute, le dernier document qu’on vous reproche, parce qu’il n’est pas daté, ce document. Il s’agit d’un tract AREL.

Vincent NTEZIMANA : Oui, c’est exact, Monsieur le président.

Le Président : Un tract… je dis vraisemblablement le dernier qu’on vous reproche, chronologiquement, parce que ce dont parle ce document semble être postérieur aux faits qui se sont déroulés au Rwanda en avril-mai 1994. Il semble être adressé à la communauté Hutu qui se trouve dans des camps de réfugiés.

Vincent NTEZIMANA : Exact, Monsieur le président.

Le Président : Et, euh… semble donner des conseils pour se mêler aux autres et se faire passer pour des victimes soi-même alors que l’on est… auteur du génocide. En gros, c’est cela. Mais ce document n’est pas daté…

Vincent NTEZIMANA : Exact, Monsieur le président.

Le Président :  …ce document n’est pas daté, et AREL signifie, selon ce document, Association Rwandaise d’Entraide et de Liaison, communiqué du comité directeur, concerne tous les représentants régionaux. Et il y a une série d’explications, de conseils, qui sont donnés, et on suppose que c’est… tout aussi…, je dirais, Monsieur NTEZIMANA, s’il est l’auteur de « L’appel à la conscience des Bahutu » de 1990, après les événements, quelque part il persiste et signe, puisque… la devise de cette association est et restera : « Vigilance, intolérance, efficacité ». Et je dis : « Persiste et signe », parce que, sur ce document, qui parvient à la police d’Ottignies-Louvain-la-Neuve par Monsieur GASANA Ndoba, qui est partie civile mais qui lui-même reste très prudent sur la signature figurant sur le document, il est indiqué en bas de ce document : « Pour le comité directeur, le président de l’AREL, NTEZIMANA Vincent », et figure une signature, manuscrite, prétendue être votre signature.

Vincent NTEZIMANA : C’est exact, Monsieur le président.

Le Président : Et l’expertise en graphologie a été faite à propos de cette signature et l’expert exclut que vous puissiez être l’auteur de cette signature.

Vincent NTEZIMANA : J’ajouterais, Monsieur le président, que l’introduction signale : « Faisant suite aux recommandations qui vous ont été données antérieurement et qui sont parues dans nos médias, Kangura, la RTLM et autres… », eh bien, voilà, c’est un texte que je ne vais pas évoquer, c’est un texte ignoble, c’est… c’est de la même gravité, de la même horreur que « L’appel à la conscience des Bahutu », si pas plus en fait, hein, qui donne une série de consignes disant qu’il faudrait liquider les rescapés parce que l’élimination aurait été un échec, parce qu’il y aurait des rescapés, enfin, bref… et on me l’attribue, effectivement, on me l’attribue. Je l’ai aperçu à Louvain-la-Neuve au mois de février 1995, Monsieur le président, et je me suis plaint, j’ai déposé une plainte pour faux et usage de faux. Jusqu’à mon arrestation, il n’y avait pas encore eu d’enquête là-dessus mais, comme vous le signalez, effectivement, une enquête graphologique m’a mis hors de cause. Et, et… tout de même on peut s’interroger : Pourquoi ? Je ne demande qu’à savoir pourquoi. Je signalerai aussi, c’est vrai, on en a envoyé un exemplaire à la PJ mais le témoin 76 en a envoyé un aussi le… 15 mars à la police d’Ottignies-Louvain-la-Neuve. Le 15 mars 1995.

Le Président : Alors, dans le dossier, Monsieur NTEZIMANA, entre ce document-là, de 1990, ce document postérieur à mai 1994 mais non daté, figure dans le dossier, à propos de votre personnalité que l’on décrit, de 1990 à 1994, comme étant celle d’un Hutu extrémiste, par ces deux documents, dont un, vous dites : « Ce n’est pas moi qui l’ai écrit - L’appel à la conscience des Bahutu - je n’ai pas participé à sa rédaction, je n’ai pas participé à sa diffusion » ; et l’autre, qui n’est pas moins Hutu Power que le premier. Pendant ces quatre ans, qu’est-ce qui se passe ? Pendant ces quatre ans, quelle est la personnalité de Monsieur NTEZIMANA ? Premier document, vous dites : « Je n’y ai pas mis la main ni la pensée. L’autre, l’expertise graphologique démontre que je ne peux pas être la signature de cette lettre ». Entre les deux, dans le dossier d’instruction, il y a des gens qui sont entendus à propos de vous. Vous nous avez fait votre curriculum vitae et votre parcours à la fois professionnel et politique. Mais dans le dossier, on entend des gens à propos de vous. Quel genre d’homme est ce, Monsieur NTEZIMANA ? Alors, il y a des gens qui disent : « Monsieur NTEZIMANA, effectivement, depuis 1990 et peut-être même bien avant, Monsieur NTEZIMANA c’était un Hutu extrémiste ». Et puis il y en a d’autres qui disent : « Non, Monsieur NTEZIMANA, c’est… c’est un modéré ».

Vincent NTEZIMANA : Oui, Monsieur le président. J’ai effectiv…

Le Président : Alors, je vais même jusqu’à dire que pour certains, la démonstration de votre extrémisme, ce sont des conversations dans un train ou dans un bus, et avec une phrase qui est extraite de la conversation que vous avez, hein…

Vincent NTEZIMANA : Mais, Monsieur le président, donc... j’ai consulté, comme vous sans doute, ces déclarations-là. Il y a un certain nombre de témoins qui, qui prétendent que je serais un extrémiste-né, pratiquement, hein. Et, si vous le permettez, si vous le permettez, parce qu’entre-temps, vous avez effectivement raison du dire, il y a 4 ans entre les deux documents, mais entre-temps, d’autres documents, j’ai publié d’autres documents, en tant que militant politique affilié au MDR. Et j’ai dénoncé, je crois savoir, je suis parmi les tout premiers, les toutes premières personnes à avoir dénoncé la création en cours de la milice Interahamwe, j’ai publié à cet effet un communiqué, publié le 9 janvier 1992, parce que j’avais des informations comme quoi un groupe, une milice, était en cours de création. Je l’ai diffusé en Belgique, ce document a été retrouvé aussi par la PJ, qui a été fouillé tous les documents que je…, donc, sur mon ordinateur où je travaillais, entre 1987 et 1995. Ils l’ont retrouvé mais il a été aussi répercuté dans la presse, après. J’ai vraiment été parmi les premiers à avoir dénoncé cette milice. Les massacres dont on a parlé, de Bugesera, qui se sont produits en mars 1995, si vous permettez…

Le Président : En mars 1992.

Vincent NTEZIMANA : En mars 1992, Monsieur le président. Si vous me permettez que je lise simplement un passage, vous permettez ? Oui ?

Le Président : Tous les documents auxquels vous faites allusion, et dont vous avez peut-être, au cours de cet interrogatoire, souhaité lire des extraits, sont des documents que vous avez transmis au juge d’instruction ou qui ont été trouvés chez vous, euh… donc, qui se trouvent aussi dans le dossier. Ce ne sont pas des pièces comme cela, je le dis à l’attention du jury, que vous sortez de votre chapeau maintenant ?

Vincent NTEZIMANA : Non, Monsieur le président. En fait, les enquêteurs ont passé plusieurs semaines au laboratoire où j’effectuais des recherches à Louvain-la-Neuve, à l’Institut d’astronomie. Eh bien, il y a donc des copies de fichiers qui sont effectuées tous les jours au laboratoire depuis des années et qui concernent tous les textes. Eh bien, les enquêteurs s’y sont rendus à plusieurs reprises fin 1995. J’étais alors à la prison, pour… parce qu’ils avaient des déclarations, enfin, de… de témoins, me qualifiant d’extrémiste né, pour vérifier, donc. Ils ont imprimé tout un tas de pages, plusieurs milliers de pages, et ils avaient des mots de code pour identifier des textes qui auraient pu inciter à la haine. Eh bien, ils ont trouvé le contraire, je crois.

Et, donc, ce sont des documents qui se trouvent au dossier. J’en ai transmis certains mais ils ont été retrouvés sur l’ordinateur où je travaillais, donc, ce sont des documents dont l’authenticité pourrait être difficilement contestée, en tout état de cause, Monsieur le président. Alors, si vous le permettez, je lis le petit passage, euh… un extrait. C’est un document que je publie en juin 1992, suite aux massacres… Avant, avant juin 1992, je m’étais exprimé dessus aussi mais ici, c’est un document qui fait le récapitulatif suite aux massacres de mars 1992. Je dis : « Au début du mois de mars 1992, un document d’une prétendue commission interafricaine pour la non-violence, qui énumérait une liste de personnalités que le FPR devait assassiner avec la complicité du PL, a été diffusé à plusieurs reprises à la radio nationale. Après la diffusion de ce communiqué et des tracts incitant à la haine, des violences se sont déclenchées au Bugesera. Le comportement du bourgmestre RWAMBUKA, alors membre du Comité national du MRND, au cours de ces violences, a été dénoncé à plusieurs reprises mais il n’a pas été inquiété ». Vous comprendrez bien, Monsieur le président, qu’un éventuel auteur de « L’appel à la conscience des Bahutu » aurait réagi tout autrement, suite à ces massacres. Ce n’est pas le seul document, Monsieur le président.

Le 26 mars 1992, c’est un communiqué de presse que j’ai publié, suite à des violences du même style qui s’étaient produites dans la commune de Nyakabanda, au Nord-Ouest de la préfecture de Gitarama. Je signale que des militaires de la garde présidentielle, accompagnés de 50 gendarmes et de miliciens armés de machettes et de gourdins, ont fait une chasse à l’homme. Je veux bien qu’on me qualifie d’extrémiste, mais tout de même, on doit se rendre compte de l’évidence. Un extrémiste… un extrémiste ne réagit pas comme cela, suite à des violences.

C’est vrai, il y a des déclarations qui m’étiquettent d’extrémiste, qui font l’impasse sur mes réactions, mon attitude. Quand la violence se produit, quand des pressions sur les partisans de la démocratie se produisent, j’aimerais tant savoir, Monsieur le président, j’aimerais tant savoir pourquoi ces déclarations sont faites.

Le Président : Pour en revenir maintenant aux faits qui font l’objet précisément de l’acte d’accusation, il y a 8 chefs d’accusation en ce qui vous concerne qui peuvent peut-être être regroupés, parce que… la manière dont vous avez… dont il vous est reproché d’avoir quelque part participé à ces faits est parfois la même, et parfois différente aussi. Premier fait : on vous reproche d’avoir, dans le courant du mois d’avril 1994, confectionné des listes… reprenant les noms de certains de vos collègues et des membres de leur famille, quand je dis de vos collègues, je veux dire de vos collègues à l’université de Butare et de leur famille, qui souhaitaient fuir Butare. Ah, ils ne voulaient pas tous fuir dans la même direction, ils ne voulaient sans doute pas tous fuir pour les mêmes motifs. On vous reproche d’avoir établi ces listes qui reprenaient non seulement, les noms des personnes qui désiraient fuir, mais également le numéro de leur carte d’identité, d’avoir établi ces listes de votre propre initiative en votre qualité de président de l’APARU, l’APARU étant le cercle académique ou…

Vincent NTEZIMANA : Vous permettez ?

Le Président : Oui.

Vincent NTEZIMANA : L’Association du personnel académique rwandais de l’université, c’est… c’était notre syndicat, si vous voulez, Monsieur le président.

Le Président : Voilà. En cette qualité-là et de votre propre initiative, vous auriez établi ces listes, remises au vice-recteur de l’université, qui s’appelait, c’est nom…, c’est un des noms les plus compliqués du dossier, Monsieur NSHIMYUMUREMYI, listes qui n’ont jamais été retrouvées. Dans le cadre de l’instruction, on n’a pas mis, à un moment donné, la main sur cette liste, des listes dont vous dites que vous en avez effectivement été le rédacteur, qu’il s’agissait de listes manuscrites et non dactylographiées. Vous dites que ce n’est pas de votre initiative mais à la demande de divers collègues qui ont demandé à ce que ces listes soient… soient établies. Vous pouvez rappeler quelles étaient les trois directions vers lesquelles certains de vos collègues et leur famille voulaient fuir ?

Vincent NTEZIMANA : Si vous le permettez, Monsieur le président…

Le Président : Oui, mais je voudrais que vous répondiez à cette question-là.

Vincent NTEZIMANA : Oui, les trois directions étaient Akanyaru, Cyangugu, (Akanyaru, c’est vers la direction de Bujumbura, donc à la frontière rwando-burundaise, Cyangugu, c’est le Sud-Ouest du Rwanda) et Gisenyi, c’est le Nord-Ouest du Rwanda, Monsieur le président. Mais si vous permettez une petite rectification.

Le Président : Oui…

 Vincent NTEZIMANA : Je crois bien que j’ai précisé que j’ai écrit une lettre au vice-recteur, à laquelle j’ai annexé des listes qui m’avaient été soumises par mes collègues, Monsieur le président.

Le Président : Oui…

Vincent NTEZIMANA : Ce n’est donc pas moi qui ai rédigé les listes, ce sont les personnes qui demandaient l’évacuation qui se sont fait inscrire auprès des personnes qui partaient dans la même direction. Ils m’ont remis les listes, j’ai rédigé une lettre que j’ai adressée au vice-recteur en annexant ces listes-là. J’avais demandé au vice-recteur s’il y avait… si c’était envisageable, il m’avait dit : « En principe, oui ».

Le Président : Donc…

Vincent NTEZIMANA : Suite à une demande de mes collègues.

Le Président : Qu’est-ce qui était envisageable ?

Vincent NTEZIMANA : L’évacuation.

Le Président : L’évacuation…

Vincent NTEZIMANA : Ah, oui, oui.

Le Président : L’évacuation de ces personnes qui souhaitaient être évacuées, avec notamment des véhicules qui auraient pu être mis à disposition de ces personnes, par l’université ?

Vincent NTEZIMANA : Par l’université, Monsieur le président. Et donc, après la demande de mes collègues, j’ai soumis la question au vice-recteur, et il m’a dit : « L’évacuation est envisageable, il faut m’adresser une lettre avec la liste des gens qui veulent partir ». Je me suis adressé aux principaux intéressés, les personnes qui me l’avaient demandé : « Eh bien, faites-le savoir aux personnes qui partent dans la même direction que vous, qu’elles s’inscrivent. Vous m’amenez les listes et j’écris une lettre où j’annexe les listes et je la transmettrai au vice-recteur ». La démarche a été effectuée, si mes souvenirs sont bons, mais c’est vraiment vague, ce n’est pas au jour près, je dirais à commencer, les premières demandes m’ont été adressées, peut-être entre le 11 et le 13.

Et alors, donc, les gens, donc les gens, les personnes, je pourrais citer les noms, donc vers Akanyaru, c’est le professeur KARENZI qui m’avait contacté et à qui j’avais dit : « Il faut s’adresser aux personnes qui partent avec vous pour que je fasse la démarche ». Vers Cyangugu, c’était le témoin 15. Vers Gisenyi, si mes souvenirs sont bons, ce sont deux personnes, Denis MUTAGOMA et François BANYERETSE, je crois. J’avais dit à chacun, eh bien, de s’organiser, de me fournir des listes de gens qui veulent partir et je les annexerai à la lettre que j’adresserais au vice-recteur. Et, ça a duré 3-4 jours. Une fois les démarches terminées, j’ai rédigé la lettre effectivement, j’ai annexé les listes, je les ai amenées moi-même, moi-même, chez le vice-recteur. J’ai frappé à la porte. Une dame est venue, elle m’a dit : « Le vice-recteur n’est pas là ». Je lui ai dit : « Voici une lettre. Là-dedans, il y a une demande que je formule auprès du vice-recteur, il faut bien la lui donner ». J’ai eu confirmation que le vice-recteur a eu la lettre, parce que je lui ai téléphoné. J’ai dit : « J’ai déposé les listes chez vous, Monsieur le vice-recteur, j’attends la réponse ». Il m’a dit : « Je vais réfléchir ». Le lendemain, il m’a téléphoné pour me dire qu’il avait appris que des barrages s’intensifiaient le long des routes et qu’il était très risqué de laisser partir les Tutsi.

Donc, quand il me répond, nous sommes, je dirais, entre le 15 et le 17, quelque chose comme cela. C’est très risqué d’envoyer des gens. Les Tutsi se feront tuer sur les routes parce qu’il y a des barrages qui trient les Tutsi sur base des cartes d’identité. Et il m’a dit : « Dans ces conditions, je n’effectue pas d’évacuation parce qu’il faut se rendre compte que les plus menacés sont les Tutsi, on ne peut pas évacuer les seuls Hutu alors que les Tutsi sont les plus menacés », Monsieur le président.

Le Président : Il ne vous a pas restitué cette… ces listes ?

Vincent NTEZIMANA : Quand on adresse une correspondance à une autorité, quelle que soit la réponse, on ne va pas récupérer la correspondance, autant que je sache, Monsieur le président.

Le Président : Oui, je ne sais pas, il aurait pu se dire : « Au fond, vous voyez ces listes, cela ne sert à rien puisqu’à la réflexion il y a maintenant des barrières. Je vous ai dit déjà il y a quelques jours : « Peut-être bien qu’on peut l’envisager mais maintenant c’est totalement exclu en tout cas pour une partie de ces gens qui seraient des Tutsi et qui risqueraient d’être contrôlés ». Il aurait pu dire : « Eh bien voilà, puisqu’on ne sait pas l’organiser, on ne l’organise ni pour les Tutsi ni pour les autres…, je n’ai plus besoin des listes, je vous les restitue ».

Vincent NTEZIMANA : Il n’a pas dit qu’il n’avait plus besoin de listes, mais une correspondance est classée. Quand on a une correspondance, quelle que soit la réponse, j’imagine qu’elle est classée dans le courrier, quelle que soit la réponse, à mon avis. Je dois dire, de penser à récupérer la correspondance, hein, la correspondance… Parce que je n’avais pas en tête un quelconque usage néfaste dans le chef de ce recteur à l’époque. Parce qu’à Butare même, le climat est calme. Dans le chef même du vice-recteur, je n’avais pas idée de ce que le vice-recteur puisse les manipuler, puisse s’en servir à mauvais escient, Monsieur le président.

Le Président : Vous avez entendu ici un témoin qui disait, il y a quelques minutes, que selon qu’on figurait sur une liste ou sur une autre, on pouvait être curieusement directement classé…

Vincent NTEZIMANA : Oui, je l’ai entendu,

Le Président : …dans des pro-KAMBANDA, pro-FPR…

Vincent NTEZIMANA : Oui, je l’ai entendu, Monsieur le président mais je signalerai tout de même…

Le Président : Ceci dit, cela se passe à un autre endroit et à un autre moment, mais je veux dire que…

Vincent NTEZIMANA : Monsieur le président, je signalerai tout de même que plusieurs dizaines de personnes avaient postulé pour l’évacuation et que, tant que je sache, parmi ces personnes-là qui figuraient sur les listes, deux familles ont été malheureusement tuées mais les autres sont encore en vie et pourraient en témoigner.

Le Président : Ce sont deux familles qui se trouvaient sur la liste, qui souhaitaient gagner le Burundi ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact, Monsieur le président.

Le Président : Donc, c’est la famille de Monsieur KARENZI et la famille de Monsieur… KANAMUGIRE ?

Vincent NTEZIMANA : Non, ce n’est pas Hyacinthe… ce n’est pas Hyacinthe , euh… Hyacinthe… le, le nom m’échappe.

Le Président : KANAMUGIRE, ce n’est pas cela ?

Vincent NTEZIMANA : Non, ça, cela m’étonnerait. Non, non, c’est, allez, Le prénom est Hyacinthe. Le nom m’échappe… KAYISIRE, Monsieur le président.

Le Président : KAYISIRE ?

Vincent NTEZIMANA : KAYISIRE.

Le Président : Et donc ces…, ces deux familles figuraient sur la liste à destination du Burundi. Il s’agissait de deux familles de professeurs Tutsi ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, Monsieur le président. Mais je signalerai, je crois que…

Le Président : Vous dites que sur cette liste il n’y avait pas que ces deux noms-là ?

Vincent NTEZIMANA : Il n’y avait pas que ces deux noms-là. Il y avait d’autres personnes.

Le Président : Quand on dit : « Ces deux noms-là », il y avait plus que leurs deux noms puisque c’étaient eux leur famille, j’imagine.

Vincent NTEZIMANA : Oui, oui, bien sûr, il y avait plus que… donc, j’ai parlé de familles, hein. J’ai parlé de… oui, c’est vrai, j’ai dit : « 50 personnes », mais en fait, j’avais à l’idée des petites familles. C’est le chef de famille qui se faisait inscrire, en fait.

Le Président : Il y avait uniquement le chef de famille qui s’inscrivait ou on mettait le nom et le numéro de la carte d’identité de tout le monde ?

Vincent NTEZIMANA : Je n’ai pas vérifié en détail, puisque je n’ai pas moi-même, constitué les listes, je les ai annexées à ma lettre, je n’ai pas vérifié en détail, mais je ne vois pas pourquoi ils auraient inscrit les membres. Peut-être. C’est possible. J’ai annexé les listes, euh… je ne sais pas.

Le Président : Est-ce qu’il y avait des numéros de cartes d’identité ?

Vincent NTEZIMANA : Pour certains, c’est possible. Ils ont adopté une modalité de s’inscrire, je leur ai demandé de se faire inscrire, ils m’ont donné des listes et je les ai transmises au vice-recteur. Et, euh…

Le Président : Les cartes d’identité, elles étaient délivrées par quelle administration ? La préfecture, la commune ?

Vincent NTEZIMANA : La commune. La commune, Monsieur le président.

Le Président : Sur les cartes d’identité figurait l’ethnie.

Vincent NTEZIMANA : C’est exact, Monsieur le président.

Le Président : Depuis… depuis le colonisateur belge de 1933, qui mesurait les têtes, les nez, les oreilles, et tout cela ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact, Monsieur le président. Et je signalerai tout de même qu’à supposer que je veuille ou que l’université veuille la liste des Tutsi et toutes les statistiques, à chaque inscription, chaque recrutement demandait beaucoup de personnel, d’étudiants, à chaque occasion, l’identification de la personne mettait systématiquement l’ethnie. Si les autorités de l’université avait souhaité connaître les noms des Tutsi parmi ses employés, ce n’était pas compliqué d’aller vérifier les listings des membres du personnel. Ils n’avaient pas besoin de demander aux gens de s’inscrire. C’était très facile d’aller chercher les listings des membres du personnel, de voir quelle est leur ethnie. Les élèves, quand ils s’inscrivaient, le recrutement quand il se faisait, on dit son nom, son prénom, le nom de son père, de sa mère, son ethnie, son sexe… L’ethnie figurait systématiquement dans toutes les statistiques, Monsieur le président. Donc, à mon estime, si les autorités de l’université avaient voulu connaître quelle est l’ethnie des membres… quelle est l’ethnie parmi les personnes qui figurent parmi les membres du personnel, elles auraient été consulter les listings, elles n’auraient pas eu besoin de demander au président de l’APARU. C’était, à ce moment-là, risquer de louper ceux qui n’auraient pas voulu se faire inscrire, à ce moment-là, alors…

Le Président : Est-ce qu’il n’y avait pas eu aussi un autre mode de recensement ? Je ne parle pas de l’université, mais pour Butare même, il n’y avait pas une espèce de recensement par habitation, savoir qui habitait normalement à telle adresse ou à tel… où dans telle maison ?

Vincent NTEZIMANA : Quand je suis rentré, en 1993, j’ai entendu dire, mais je ne l’ai pas vu personnellement, qu’il y avait un système qui, donc… on a parlé de la manière dont le système était contrôlé. Il y avait… les communes étaient subdivisées en secteurs, en cellules, mais j’ai appris, j’ai appris en rentrant qu’il y avait aussi une sous-division de « Nyumbakumi » comme on disait, un groupement de 10 maisons, mais personnellement je n’ai pas pu le constater. Je l’ai entendu dire, c’est peut-être cela, je n’en sais rien.

Le Président : Dans cette division administrative, donc c’est : commune, secteur, cellule ? Une cellule, cela représente… ? Et puis il y a encore autre chose en dessous de la cellule ?

Vincent NTEZIMANA : Les Nyumbakumi. Nyumbakumi, c’est donc… une expression swahili qui dit : « 10 maisons ».

Le Président : Et même, même une cellule, cela représente combien de maisons ou de foyers, de… ?

Vincent NTEZIMANA : Les cellules du MRND, cela dépendait, par exemple : des entreprises qui employaient plus de 50 personnes. Dès lors qu’un groupement de personnes dépassait 50, cela pouvait former une cellule…

Le Président : Ce n’était pas nécessairement géographique, une cellule ?

Vincent NTEZIMANA : Il y avait des cellules géographiques et des cellules dites spécialisées, qui seraient par exemple associées à des employés d’un ministère, à des employés d’un établissement. Cela formait une cellule, que l’établissement soit public ou privé. Et…

Le Président : Et dans ces cellules, il y avait un chef de cellule ou un responsable de cellule ?

Vincent NTEZIMANA : Il y avait 5 responsables de cellule. Mais cela, c’est… je crois que des témoins l’ont expliqué assez, cela, c’est du temps du parti unique. Et, avec le multipartisme, ce processus a été suspendu mais, donc, la cellule était dirigée par un comité de… 5 membres, 5 membres, si mes souvenirs sont bons.

Le Président : Qui eux, nécessairement, devaient connaître les 45 autres qui s’y trouvaient ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, les membres des cellules étaient dotés de pouvoirs… de sécurité, de justice, enfin… bref. Ils connaissaient… ils connaissaient mieux les gens sous leur…

Le Président : Et quand on connaît les chefs de cellules, on sait connaître qui est dans la cellule, on sait et…

Vincent NTEZIMANA : Je m’en doute.

Le Président : On sait… je n’ose pas dire le mot, « travailler ». ?

Vincent NTEZIMANA : Je ne me forcerai pas jusque-là, mais tous ceux qui veulent travailler, ceux qui voudraient travailler dans le sens où je crois que vous le dites, eh bien…

Le Président : Ah, c’est à vous de deviner. Parce qu’on va commencer à parler comme vous, en disant : « Moi je vous dis quelque chose, mais devinez ce que je dis, parce que… ».

Vincent NTEZIMANA : Pour ceux qui veulent perpétrer des massacres, je crois, je crois, je ne suis pas certain, je crois que le plus facile serait d’utiliser le système existant de contrôle : les 10 maisons, ensuite la cellule, le secteur et la commune. C’est un système cadenassé, où tout le monde connaît tout le monde.

Le Président :  Mais par exemple, Butare, c’est combien d’habitants avant le 6 avril 1994 ?

Vincent NTEZIMANA : Je peux juste vous donner une approximation, au pif, empirique, Monsieur le président, je dirais : entre 30 et 50.000. Butare, le centre-ville, je veux dire. La préfecture, cela je ne sais pas, je ne suis pas démographe, Monsieur le président.

Le Président : Bien. Ces listes, elles ont existé. Vous dites, vous, ne pas les avoir établies vous-même. Vous dites ne pas avoir pris l’initiative de ces listes.

Vincent NTEZIMANA : Monsieur le président, dire que je ne les ai pas établies ne signifie pas que je ne les assume pas. J’ai effectué la démarche d’évacuation. Je les assume.

Le Président : Oui, mais ce n’est pas vous qui êtes allé chez vos collègues en disant : « Toi, tu ne veux pas partir ? Où est-ce que tu veux aller ? Je mets ton nom ici ? ».

Vincent NTEZIMANA : Non, non. Ce sont les gens qui sont venus me trouver. Je n’ai jamais été chez personne. Ils sont venus me trouver pour me demander, en tant que représentant du personnel académique de l’université auprès des autorités, pour effectuer une démarche d’évacuation. Après la réponse affirmative, donc provisoirement affirmative du vice-recteur, je me suis adressé à mes collègues pour dire : « Voilà, tu me l’avais demandé. Adressez-vous aux gens qui veulent partir dans la même direction que vous et faites-vous inscrire. Je, je rédigerai une lettre à laquelle j’annexerai les listes ». Donc, j’ai bel et bien effectué la démarche, j’assume ces listes-là, mais ce n’est pas moi qui les ai rédigées, Monsieur le président.

Le Président : L’assassinat de la famille de Monsieur KARENZI. Monsieur KARENZI était plus âgé que vous ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, Monsieur le président.

Le Président : C’était un voisin ? Il était…

Vincent NTEZIMANA : C’était un collègue. Nos bureaux étaient contigus. Il était voisin, nos maisons étaient séparées par, si mes souvenirs sont bons, 4-5 maisons, quatre maisons je crois. Nous étions voisins effectivement.

Le Président : Vous vous entendiez bien avec lui ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact.

Le Président : Il n’y avait pas un problème de rivalité ? De poste de professeur, éventuellement…

Vincent NTEZIMANA : Oh, vous savez…

Le Président :  …ou de grade ? J’imagine que cela existe aussi, les chargés de cours, les professeurs ordinaires, extraordinaires ?

Vincent NTEZIMANA : Vous savez, il n’y a pas de rivalité entre un jeune professeur qui rentre et un professeur qui a 26 ans de carrière. Ce serait tout de même trop prétentieux. Nos bureaux étaient contigus. Je me souviens, quand je rédigeais des projets de recherche, nos bureaux étaient contigus, pendant les pauses je les lui soumettais pour lui demander son avis là-dessus, c’était un bon collègue. Il n’y avait aucune forme de rivalité entre nous, Monsieur le président.

Le Président : Il semble en tout cas que lui avait confiance en vous, si lui notamment, et peut-être d’autres, se sont entretenus avec vous de possibilités qu’il pourrait y avoir par l’intermédiaire de l’université, d’organiser des évacuations, j’imagine que, s’il s’est adressé à vous, même pour que vous ne fassiez que le relais, c’est quand même qu’il…

Vincent NTEZIMANA : Pour l’évacuation ?

Le Président : Oui.

Vincent NTEZIMANA : Euh… je crois bien qu’il avait confiance en moi et moi j’avais confiance effectivement en lui aussi, c’est exact.

Le Président : Butare reste relativement calme, pour ne pas dire même tout à fait calme, jusqu’au… 19-20 avril ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact, Monsieur le président. Le centre-ville, ici, parce que, du haut des collines où nous habitions, on voyait… le feu, la fumée. La fumée montait dans les collines voisines… donc des maisons incendiées, et on se doutait bien qu’il s’agissait de massacres. En fait, les massacres, un témoin en a parlé, qui était à Butare comme moi en a parlé, il était du côté de Gikongoro, de notre côté c’est le versant vers le Bugesera, donc c’est le Sud-Est…, oui, de Kigali, donc les massacres se rapprochaient de Kigali et de l’autre côté de Gikongoro, et en fait…

Le Président : Une sorte d’encerclement.

Vincent NTEZIMANA : Oui. Donc la ville, le centre-ville de Kigali était dans une sorte d’étau, oui. Euh, les massacres dans le centre-ville, dans le centre-ville, ont éclaté, je crois, le 20 ou le 21…

Le Président : Beaucoup des personnes qu’on a entendues semblent dire que la violence qui éclate à Butare le… le 20 avril, ou le 21 avril, fait suite à un discours qui est prononcé le 19 avril 1994, à Butare, par Monsieur SINDIKUBWABO, le président intérimaire, qui était, je crois, originaire de Butare ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, il était originaire de Butare, Monsieur le président.

Le Président : Et qui a fait un discours qui… qui semble être compris par une série de personnes comme étant une incitation à commettre à Butare, des massacres comme il s’en passe ailleurs.

Vincent NTEZIMANA : Monsieur le président, en fait… c’est un discours que… vous permettez ? C’est un discours que j’ai personnellement entendu à la radio. C’est un discours qui était pour le moins ambigu pendant une période de massacres. Nous avons l’art… il y a un proverbe rwandais qui dit : « Abwirwa benshi akumva beneyo », je traduis : « La parole s’adresse à tout le monde mais seuls les initiés la comprennent ». Autrement dit : « Un sage est celui qui sait dire un discours qu’on peut interpréter différemment ». Les extrémistes pouvaient facilement interpréter son discours comme un appel au « travail » entre guillemets, un appel au « travail ». D’autres personnes ont pu, je l’ai entendu ce discours-là, ont pu éventuellement l’entendre comme un appel à la résistance au FPR. Ceci étant, ceci étant, je n’ai pas entendu, par exemple, que les massacres étaient en cours. Et le président n’a pas prononcé un seul mot pour dire : « Voilà, il y a des massacres, cessez de massacrer, cessez de… ». Il n’a pas fait un appel. Autrement dit, l’interprétation qu’on est censé y faire, selon les deux sens, est un appel, effectivement. Il est ambigu mais, vu qu’on est en période de massacres, il ne dit rien à la population.

Le Président : Il ne s’y oppose pas en tout cas?

Vincent NTEZIMANA : Il ne s’y oppose pas…

Le Président : « Ici c’est bien, vous ne vous êtes pas encore entretués, montrez l’exemple aux autres, allez prêter »…

Vincent NTEZIMANA : Oui, c’est plutôt la version que la population va comprendre, c’est que les massacres en cours constituent le travail dont il parle, c’est tout à fait possible. Je n’exclus pas l’éventualité que d’autres personnes aient compris : « Allez vaquer à vos occupations », parce qu’effectivement il y avait aussi des appels à ce que, je cite : « Compte tenu de la situation de guerre, pour que la population puisse survivre, continuer à vivre, à ne pas mourir de faim, il faut vaquer à ses occupations dans les champs ». Cela a aussi été dit, mais plus explicitement, à d’autres occasions, Monsieur le président.

Le Président : En même temps que survient ce discours, ou quelques heures auparavant, le préfet le témoin 32 est démis de ses fonctions et peut-être bien aussi, le responsable militaire de Butare ?

Vincent NTEZIMANA : Ce que j’ai entendu à la radio, c’est que le préfet était démis et remplacé par quelqu’un d’autre. Pour ce qui concerne le commandant de la gendarmerie, je l’ai entendu par d’autres sources. Même si cela avait été dit à la radio, je ne l’ai pas entendu personnellement.

Le Président : Il semble bien qu’il y a, à la fois, un discours et en tout cas des sanctions administratives qui sont prises ? Alors il semble bien, d’après ce que nous avons entendu des divers témoignages ici, que notamment le préfet était parvenu à garder le calme à Butare, ne s’était pas lancé dans tous les processus dits de défense civile ou de comité de défense, tout cela, il n’avait pas voulu le mettre en place, il n’avait pas voulu distribuer d’armes, il n’avait pas voulu se lancer dans des moyens qui permettaient peut-être l’escalade ?

Vincent NTEZIMANA : C’est vrai, c’est une coïncidence assez étonnante, Monsieur le président, et s’agissant justement de Monsieur le préfet, je peux témoigner d’une réunion populaire. Quand on parle de réunions populaires, les autorités appellent la population à une réunion et reçoivent des instructions ou des communications officielles. Donc, une réunion qui se situe, je dirais… le 16 ou le 17, où le préfet a été, il y avait un représentant de l’armée, il y avait un représentant de la gendarmerie, et il évoque des massacres perpétrés dans les communes périphériques dans Butare et invite la population à rester solidaire, à s’organiser pour se serrer les coudes et invite la gendarmerie et l’armée à soutenir la population pour lutter tant contre une attaque éventuelle, parce qu’il y avait des rumeurs qui disaient que du Burundi proviendrait une attaque, contre une attaque éventuelle du FPR, contre les miliciens, contre les pillards, l’invitation était de se serrer les coudes pour nous protéger mutuellement. Et je me souviens, un lieutenant de la gendarmerie a dit : « Si la population nous soutient, ce qui s’est passé à Kigali ne se produira pas ». Il est effectivement tout de même étonnant, cette coïncidence, cette coïncidence entre son limogeage et le discours, effectivement, tout de même, étonnante… Et conséquemment, le lendemain, les massacres se sont produits, effectivement, oui.

Le Président : Bien. Monsieur KARENZI, votre collègue qui occupe le bureau à côté du vôtre à l’université, qui habite quelques maisons plus loin que chez vous, à partir du 6 avril 1994, même s’il ne se passe rien de bien grave dans Butare même, j’imagine qu’on ne se sent quand même pas très à l’aise. La guerre est en train de reprendre, peut-être effectivement y a-t-il des bruits venant du Burundi aussi, peut-être bien que le FPR pourrait attaquer, peut-être bien deux fronts. On ne doit effectivement pas se sentir, malgré tout, tout à fait à l’aise à Butare à partir du 7 avril au matin. Monsieur KARENZI, vous et d’autres, n’aviez-vous pas mis entre vous une espèce de système de sécurité ou de gardiennage au point, sans pour autant que cela ne revête le caractère de monter des barrières, etc. etc., d’être dans cette fameuse défense civile. Est-ce qu’entre vous, vous n’aviez pas notamment convenu d’appels téléphoniques, de choses de ce genre ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, c’est exact, Monsieur le président. Suite à une réunion du style de celle dont je viens de vous parler, organisée par les autorités qu’il fallait se serrer les coudes, nous nous sommes réunis dans la rue, enfin je veux dire les habitants de la rue, pour voir dans quelle mesure on pouvait le faire. Et nous avons convenu d’échanger les numéros de téléphone pour nous téléphoner, pour éventuellement signaler, pour, si jamais quelqu’un est attaqué, pour éventuellement le secourir, c’est exact, Monsieur le président.

Le Président : En ce qui concerne la mort de Monsieur KARENZI, de son épouse et de ses enfants, qui ne se passent pas d’ailleurs… toutes ces morts n’interviennent pas en même temps, au même moment précis, mais elles se suivent dans le courant d’une journée pratiquement, il existe un récit d’un témoin, Madame… je cherche… le témoin 134, qui se trouvait dans la famille depuis un certain temps. En gros, elle explique que dans le courant de la journée, je crois, du 21 avril 1994, vers 15h00, Monsieur KARENZI, qui est à la maison, reçoit un appel téléphonique. Tout le monde est à la maison, et ce compris les enfants parce qu’on fait la sieste à la maison à ce moment-là. On craint certaines choses, on va parfois dormir la nuit à l’extérieur dans la bananeraie, on essaie de ne pas être trop présent dans la maison même, en tout cas la nuit parce qu’on craint qu’il se passe des choses et, donc, quand on peut rentrer pendant la journée, on essaie aussi de prendre le repos qu’on n’a pas pu prendre pendant la nuit. Monsieur KARENZI recevra un appel téléphonique vers 15h00. Un appel téléphonique où, semble-t-il, il n’y a pas de correspondant, ou en tout cas il n’y a pas de réponse qui est faite à Monsieur KARENZI. Monsieur KARENZI semble intrigué par cet appel téléphonique alors qu’il semblait avoir pourtant confiance dans ce système mis en place par les voisins comme système de sécurité. S’opposant même à ses enfants et à son épouse, finalement il n’avait pas pris la fuite, il ne s’était pas réfugié ailleurs. Monsieur KARENZI reçoit cet appel, il n’y a pas de correspondant. Il semble comprendre qu’il s’agit d’une vérification de savoir s’il est présent. On partage vite l’argent que l’on a, on cache les enfants, ainsi d’ailleurs que la personne qui sera seule survivante et qui sera témoin des faits.

Et puis, Monsieur KARENZI va recevoir la visite de militaires, il va être emmené apparemment par ces militaires. On n’entend pas, à ce moment-là, de coups de feu ni de violence ; il semble que Monsieur KARENZI soit emmené par ces militaires. Les militaires reviennent voler, je ne sais plus, la télévision… ou des appareils électroménagers. Un militaire cherche à savoir aussi où se trouvent les enfants, parce qu’on ne voit pas d’enfants dans la maison. Les militaires s’adressent à Madame KARENZI. Ils lui demandent si… elle est Tutsi, en fait. Elle dit que non et on lui demande : « Est-ce que quelqu’un peut attester que vous n’êtes pas Tutsi ». Elle dit : « Vincent ». Et ce militaire téléphonerait à Vincent. Vincent aurait dit que… à ce militaire, que Madame KARENZI était bien une Tutsi. Madame KARENZI va être, pas tout à fait immédiatement, mais elle va être abattue par ce militaire. Les enfants vont vouloir se réfugier avec le témoin dans un couvent ; ils vont s’y réfugier et puis, dans les jours qui suivent, ce couvent lui-même va être attaqué. On va rechercher en particulier, semble-t-il, mais pas seulement, les enfants de Monsieur KARENZI, qui vont être tués, avec d’autres personnes. Je pense qu’on pourra entendre ce témoin. Ce témoin qui a, semble-t-il, dans les jours mêmes qui ont suivi, écrit le récit dans un petit cahier d’écolier, là, qui est arrivé en possession de Monsieur GASANA Ndoba, Monsieur GASANA Ndoba étant le frère de Monsieur KARENZI.

Ce témoin a été entendu lors de la commission rogatoire, a exposé, je ne vais pas dire mot à mot mais presque mot à mot, ce qu’elle avait décrit dans son petit cahier d’écolier, les mêmes étapes, les mêmes paroles, les mêmes échanges avec, peut-être, sans doute, des divergences, et je dirais que c’est peut-être ce qui rend la chose un peu moins suspecte, c’est que quand c’est mot à mot la même chose, on dit que c’est la fable de La Fontaine qu’on a appris à l’école et qu’on continue à réciter, tandis que lorsqu’on varie un peu dans la manière d’expliquer les choses, c’est que ce n’est pas du par cœur. Ce qui est troublant, ce qui est troublant dans cette affaire, c’est que personne ne dit que vous avez envoyé les militaires ou en tout cas, dans ce témoignage, on ne dit pas que c’est vous qui avez envoyé les militaires chez Monsieur KARENZI, mais ce qui semble curieux, c’est cet appel téléphonique qui est fait par un militaire, depuis la maison de Monsieur KARENZI, alors que Monsieur KARENZI est déjà emmené. C’est cet appel téléphonique qui est fait à ce moment-là, à quelqu’un dont le témoin dit qu’il s’agit d’un prénommé Vincent, et que le résultat de cette conversation serait que le nommé Vincent dise à ce militaire : « Madame KARENZI, elle est bien une Tutsi », que les enfants expliquent à ce témoin que le Vincent doit être un collègue de leur papa à l’université, et que des Vincent à l’université, il semble qu’il n’y en n’a pas 36, qu’il n’y en n’a qu’un, et que ce Vincent, ce serait vous.

Vincent NTEZIMANA : Je peux… ?

Le Président : Ah oui, vous pouvez vous exprimer, bien sûr.

Vincent NTEZIMANA : J’émets une petite rectification par rapport à mes déclarations. J’ai dit effectivement que j’étais le seul Vincent, mais c’était une erreur. Il y a un autre Vincent, qui figure d’ailleurs parmi la liste des témoins, qui s’appelle le témoin 61 et qui était mon prédécesseur à l’APARU, qui était président de l’APARU juste avant que je sois élu. Ceci étant, tel que vous me le dites, j’ai été interrogé sur le témoignage lors de mon arrestation et je dois vous dire que les témoins étaient surpris quand ils m’ont dit : « Monsieur KARENZI, est-ce qu’il aurait pu faire appel à vous ? ». J’ai dit : « Sans doute, oui ». Et c’est d’ailleurs cela qui m’a poussé à dire : « Je crois que je serais sans doute le seul Vincent à qui Monsieur KARENZI pourrait faire appel s’il était menacé ». Et je leur ai dit : « Ce n’est pas parce qu’on m’accuse de l’avoir tué que je devrais le renier ». Je devrais… je dois aussi vous signaler, Monsieur le président, en parcourant la presse de l’époque, j’ai constaté dans un numéro, le 14 ou 16, de Kangura une dénonciation où Kangura disait que des ennemis de la République, dont KARENZI, dont KARENZI… je pourrais vous fournir un exemplaire, je ne l’ai pas ici avec moi, il ne figure pas au dossier, mais je crois bien que c’est le n° 14 ou 16 de Kangura, Monsieur le président, dont KARENZI, dont KANYABUGOYI, et d’autres. Je l’ai lu tard, récemment. C’est un écrit qui date de 1991 ou 1992, de Kangura, qui le pointe du doigt, déjà à l’époque. Je signale que le professeur KARENZI avait été membre du Comité central du parti au pouvoir à l’époque, pendant 10 ans. Pendant dix ans, donc jusqu’en 1991. De 1981 à 1991, il était membre du Comité central. Les membres du Comité central ont un rang protocolaire de pouvoir étatique, ils passaient en premier, ils étaient 24.

Donc, il a figuré vraiment pendant 10 ans, parmi les premières 24 personnalités de l’Etat. KARENZI était connu pratiquement de tous les Rwandais, c’est un autre élément que je voudrais évoquer. Et figure au dossier une autre déclaration d’un certain le témoin 103 au dossier, je n’ai pas les références ici, qui dit que, peu de temps avant le déclenchement des massacres, parce qu’il dit qu’il était voisin, donc c’est un rescapé Tutsi, peu de temps avant le déclenchement des massacres, il a vu des policiers qui passaient devant les maisons, qui inscrivaient des notes, dont il n’a pas connaissance. Donc, ils sont passés chez lui, ils sont passés aussi devant la maison du professeur KARENZI et, dit-il, ils ont continué ainsi de suite. Il cite le témoin de son frère qui, dans un café, les policiers disent : « Voilà, nous avons fini d’inventorier les Inyenzi », c’est un témoignage qui figure au dossier. Donc, à mon estime, le professeur KARENZI était véritablement ciblé. On peut se demander, parce que, d’après le récit, il n’a pas été la cible de bandits ou de pilleurs. Et le témoin, le témoin 134, d’après son témoignage, signale que, quand les militaires sont entrés, ils ont demandé où étaient Madame et les enfants, ils sont devenus furieux à la réponse de Monsieur KARENZI qui leur dit que les enfants n’étaient pas là. Ils étaient furieux.

D’après ce témoignage aussi, toute la famille KARENZI était recherchée, je suppose, je ne peux pas l’exclure, en tout cas ce serait difficilement, difficile à exclure. J’ajoute un élément, je n’étais pas personnellement à la maison, j’étais chez des voisins, mais cela viendra plus tard. Je m’interroge si des militaires, on dit que ce sont des militaires de la garde présidentielle, ont attaqué un notable parmi les premiers, qu’ils soient venus comme des pilleurs, comme le signale le témoin, s’ils ont demandé à Madame KARENZI quel est le nom de la personne amie Hutu qui pouvait la sauver, ne serait-ce pas une stratégie de torture, par exemple, Monsieur le président ? En tout cas, je n’ai pas reçu de coup de fil, Monsieur le président.

Le Président : Vous dites, en effet, je crois, qu’à ce moment-là vous n’êtes pas chez vous…

Vincent NTEZIMANA : Oui.

Le Président : vous vous trouvez dans…

Vincent NTEZIMANA :  Chez des voisins, en face…

Le Président : Chez des voisins, qui étaient dans la villa de Madame le témoin 143, mais qui n’était pas occupée par Madame le témoin 143 à l’époque ?

Vincent NTEZIMANA : Non, c’était occupé par d’autres personnes qui avaient fui Kigali et qui logeaient dans sa maison et qui étaient par ailleurs à plusieurs. J’ai cité les noms au cours de l’instruction, je pourrais les citer à nouveau, s’il le fallait.

Le Président : Personne qui, elle, ne va pas confirmer votre présence dans la maison de Madame le témoin 143 cet après-midi-là

Vincent NTEZIMANA : Oui, mais…

Le Président : Mais dont on dit : « Oui, mais… ». Madame le témoin 143 reprend contact en disant : « Oui, mais cette personne m’a dit qu’elle avait subi des pressions pour dire ce qu’elle avait dit ». C’est cela ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, c’est cela, c’est cela. J’ai vu les déclarations mais je signale tout de même, le témoin, quand je l’ai cité, on l’a recherché au cours de la première… la deuxième commission rogatoire, je crois ? à plusieurs reprises. Il a donné rendez-vous et puis il n’est pas venu. Ensuite, il a dit qu’il ne voulait pas… à la troisième commission rogatoire qu’il ne voulait pas faire de déclaration parce que cela pouvait lui nuire, il a dit cela, avant sa déclaration. Ensuite, il a effectué une déclaration où il me charge, effectivement, mais une déclaration qu’il a refusé, refusé de signer, Monsieur le président, il a refusé de la signer. Pourquoi a-t-il manqué au rendez-vous ? Pourquoi s’est-il caché ? Pourquoi a-t-il dit qu’il n’entendait pas, en étant à Kigali, témoigner dans cette affaire ? Pourquoi a-t-il refusé de signer sa déclaration, Monsieur le président ? Si, si… parce que plus tard, une commission rogatoire va l’interroger, il dira qu’il n’a subi aucune pression, qu’en fait, voilà maintenant, il va déclarer en âme et conscience qu’il n’aurait rien à dire à ma charge, ni à charge ni à décharge.

Donc, il se présente spontanément, parce qu’il est un peu bizarre. Le juge VANDERMEERSCH envoie une commission rogatoire pour interroger le témoin 142, la personne présumée avoir fait des pressions, et entendue début avril. Quelques jours plus tard, Jean-Bosco SEMINEGA se présente, soi-disant spontanément, pour dire qu’il n’a subi aucune pression et d’ajouter : « Je ne peux pas témoigner ni à charge ni à décharge contre Vincent NTEZIMANA ». Je vous signale tout de même que la déclaration qu’il n’a pas voulu signer et qu’il a effectivement corrigée de sa main, me charge.

Le Président : Cela vous charge sans vous charger. Il a dit que vous n’étiez pas là, cet après-midi là. Vous dites : « Je n’étais pas chez moi, j’étais chez ma voisine, enfin, dans la villa de Madame le témoin 143 ». Et celui-là dit: « Je ne l’y ai pas vu ».

Vincent NTEZIMANA : Oui. En fait, la discussion se trouve à ce niveau. Est-ce que cette personne-là a pu dire la vérité ? Est-ce que cette personne-là était dans des conditions de dire la vérité ? J’espère que la suite nous révélera ce qui s’est passé réellement.

Le Président : On va peut-être encore aborder un autre sujet, parce que le fond de l’affaire KARENZI, c’est cela, c’est… Enfin c’est cela… Personne ne dit que vous avez porté le fusil, que vous avez tiré… ni sur Monsieur KARENZI ni sur sa femme ni sur les enfants.

Vincent NTEZIMANA : Vous savez, Monsieur le président, si, si… j’avais eu l’occasion de sauver, j’ai pu sauver d’autres personnes, j’ai oublié du signaler, j’ai sauvé d’autres personnes menacées, que je ne connaissais même pas, même pas, et qui le confirment. Qui disent : « Nous l’avons rencontré à tout hasard, il nous a proposé de nous héberger ».

Le Président : Eh bien, venons-en justement aux gens que vous hébergez dans le courant avril-mai 1994. Votre épouse n’est pas là.

Vincent NTEZIMANA : Elle n’est pas là.

Le Président :  Elle est en mission à l’étranger, je crois , ou en études…

Vincent NTEZIMANA : Aux Etats-Unis.

Le Président : Aux Etats-Unis. Vos enfants ?

Vincent NTEZIMANA : …sont dans ma famille, dans la région d’où je proviens.

Le Président : Depuis quand ?

Vincent NTEZIMANA : Oh, depuis le moment où, quand on organisait l’évacuation, j’ai eu une occasion, une personne qui passait par chez moi en venant de Kigali, qui les a pris, qui connaissait chez moi, c’est vers, je dirais, le 14 ou le 15 avril.

Le Président : 14 ou 15 avril. Vous n’avez pas mis les noms de vos enfants sur une liste ?

Vincent NTEZIMANA : Ce n’était pas une camionnette officielle, Monsieur le président.

Le Président : Vous êtes sûr que ce n’est pas un camion de la SORWAL ou… ?

Vincent NTEZIMANA : Non.

Le Président : Parce que Monsieur HIGANIRO n’aime pas qu’on utilise les véhicules à d’autres fins que les fins de la fabrique d’allumettes ?

Vincent NTEZIMANA : Je ne dis pas cela. J’ai voyagé dedans plus tard. Cela aurait été le cas, je le dirais sans aucun problème. Je n’ai pas de problème là-dessus, je le dirais. J’ai voyagé là-dedans plus tard. Je le dirais si c’était là-dedans. Ici, il s’agit d’une camionnette d’un ami.

Le Président : A Butare, vous fréquentez, dit-on, de manière assez assidue, sinon quotidienne, le capitaine NIZEYIMANA.

Vincent NTEZIMANA : Oui, enfin, on peut faire un jeu de mots mais je n’ai jamais nié avoir eu des contacts avec lui. Je l’ai connu après mon retour au Rwanda. J’avais déjà dit que je suis retourné au Rwanda en avril 1994, 93, pardon. J’étais retourné juste avant le génocide. Je l’ai rencontré en juin. Il était accompagné d’un ami d’enfance, un autre capitaine, nous nous connaissions depuis l’école de Byimana, que j’avais fréquentée à de nombreuses reprises. Donc, il était aussi à Butare. Il m’avait invité pour un verre. On le boit au guesthouse et donc, on se donne rendez-vous au guesthouse, à la maison d’accueil universitaire où les employés de l’université allaient souvent. Quand il est arrivé, il était accompagné d’un autre capitaine. Il le présente : il s’appelait le capitaine NIZEYIMANA. Donc je l’ai rencontré en juin. A ce stade, on fait connaissance. Quelque temps après, on a aussi partagé un verre à la même maison d’accueil. Plus tard, ce qui va se passer c’est, quand je rentre, en avril, Butare est assaillie par des réfugiés qui ont fui, en avril 1993, qui ont fui la guerre, la reprise de la guerre le 8 février 1993, où un million de personnes avaient fui vers Kigali. Et, parmi ceux-là, ceux qui avaient les moyens allaient dans d’autres villes, donc Butare était assaillie.

En plus, le campus universitaire de Ruhengeri avait été muté vers Butare et, donc, il n’y avait pratiquement pas de logement. Et quand je loue une maison, je loue en avril, je l’obtiens seulement pour trois mois jusqu’au 15 juillet, je signe un contrat jusqu’au 15 juillet. Avant le 15 juillet, j’ai cherché longtemps, je n’ai pas trouvé de maison, j’ai dû même loger chez un proche parent avec ma famille. J’ai dû abandonner, enfin, laisser à Butare tous mes biens, les meubles et tout, pour aller loger chez un proche parent à Kigali pendant… un mois, oui, un mois et demi, avec ma femme et mes deux enfants, à l’époque c’était encore deux. Je reste à Kigali mais, entre-temps, je fais donc la navette. Ma famille reste à Kigali mais entre-temps je fais la navette à Butare pour chercher un logement et je rentre à Kigali. Alors, début septembre, la rentrée académique commence. Je signale au départ que ma femme était aussi assistante à l’université, et donc, il fallait absolument retourner à Butare. Le seul, enfin, l’un des moyens que j’ai trouvé, Ildephonse, donc le capitaine Ildephonse NIZEYIMANA, je l’ai prié de me loger avec ma famille. Il m’a logé pendant deux semaines, après quoi j’ai obtenu, enfin, j’ai pu louer une maison et je suis resté chez lui deux semaines avec ma famille, ma femme et mes enfants. C’est comme cela que nous nous sommes connus, et puis on s’est fréquenté effectivement régulièrement depuis lors. En avril 1994, je confirme que je continuais à le fréquenter.

Le Président : Vous allez alors héberger plusieurs personnes ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact, Monsieur le président.

Le Président : le témoin 142 ?

Vincent NTEZIMANA : En fait, il y a le témoin 142…

Le Président : Jean-Marie Vianney…

Vincent NTEZIMANA : Longin le témoin 118. Ce sont deux personnes. Donc je rentre pendant la journée, je ne sais plus quelle date de fin avril, je crois, et je fais un passage chez le capitaine NIZEYIMANA et, en fait, NZEYIMANA hébergeait deux familles. Je suis certain que l’une des familles était Tutsi mais l’autre je ne sais pas. Et souvent, quand je me rendais chez NIZEYIMANA, NIZEYIMANA n’était pas nécessairement là, parce que j’avais pu nouer des connaissances avec cette famille-là. Donc, quand je passe là, la journée, NIZEYIMANA n’était pas là et je suis conscient qu’il n’est pas là, mais il y a d’autres personnes pour passer le temps. Arrivé là-bas, j’ai vu deux messieurs qui venaient d’arriver. Il y a le témoin 142 Vianney et le témoin 118. On me les a présentés. On a dit que Longin avait fui les massacres, en fait que sa famille avait été massacrée à Nyundo près de Gisenyi. J’ai compris qu’il fuyait. le témoin 142 ne m’a rien dit mais… je ne sais même pas quelle est son ethnie, je n’ai pas cherché à vérifier. Je signale tout de même que son grand-père était un blanc, donc il a un teint clair, c’est un métis.

A l’époque, les miliciens recherchaient autant les Tutsi que les métis, parce qu’il y avait une propagande qui disait que les métis étaient des enfants croisés de Tutsi et de Belges. Là, je n’ai même pas cherché à savoir, j’ai compris. On a causé un petit peu. Ils m’ont dit qu’ils allaient loger à l’hôtel Faucon. A l’hôtel Faucon, il y avait un sinistre barrage où, d’ailleurs le professeur KARENZI avait été tué. Il y avait un sinistre barrage. Je leur ai dit : « Mais vous allez vous faire tuer ! » Ils m’ont dit qu’ils n’avaient pas où aller. J’ai dit : « Venez chez moi, si nous devons mourir, nous mourrons tous ensemble ». Ils sont venus chez moi. Vous verrez, dans leurs déclarations, ils signalent, ils le confirment, qu’on s’est croisé par hasard, qu’on ne se connaissait pas, qu’ils ont même hésité à me suivre. Je n’ai pas cherché à savoir. J’ai compris qu’ils étaient menacés. Ils sont venus chez moi. Je les ai logés juste parce qu’il y a eu des menaces des militaires. Oui. Il y a une chose que je vais expliquer. Un témoin en à parlé tout à l’heure, il était difficile de sauver des gens. C’était vraiment difficile, il fallait être sur place pour le savoir. Je crois, le seul moyen de sauver quelqu’un, c’était la ruse. Mais quand ils sont arrivés chez moi, je me suis dit : « Les cacher, les gens les ont vus venir… », parce qu’auparavant j’avais aussi caché deux dames. Deux dames. Quand elles étaient arrivées, leur arrivée avait été suivie par des coups de fil anonymes, c’était intenable. Finalement, j’ai pu… j’ai pu… j’ai demandé au capitaine NIZEYIMANA s’il pouvait les amener à l’E.S.O. pour les cacher là-bas parce que j’étais vraiment menacé, et elles aussi bien entendu, elles étaient menacées avec moi. Je me suis dit que seule la ruse a plus de chance. C’était risqué, c’était un pari difficile.

Le Président : Le fait que vous ayez été l’ami ou une connaissance proche du capitaine NIZEYIMANA était peut-être aussi quelque part une protection supplémentaire par rapport à celui qui ne connaissait pas un militaire ?

Vincent NTEZIMANA : Ah, cela, c’est vrai. C’est vrai. C’était un point qui a pu éventuellement, je ne sais pas dans quelle mesure, a pu compter pour qu’on ne soit pas tué. Quand ils sont arrivés chez moi, nous nous sommes dit : « Voilà… ».

Le Président : Bien, vous logez ces deux personnes-là ?

Vincent NTEZIMANA : Oui…

Le Président : Vous logiez encore d’autres personnes ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, oui, oui. D’autres personnes, j’y arriverai. Les deux, quand ils arrivent, je dis : « Je vais chercher des médaillons de l’ancien MDR Parmehutu pour dire voilà, ce sont des Power ». Ce sont des Power, je veux dire, ce sont des gens qui sont favorables au MDR Power. Quand quelqu’un arrivait chez moi, je m’empressais du présenter, qu’il soit un ami ou pas, parce qu’à l’époque, un ami… bon, je disais : « C’est un Power, vous savez, ce sont des amis, ce sont des frères, enfin, des cousins ». C’est comme cela qu’on a fait, et quand j’ai été obligé d’effectuer la ronde auquel je m’étais opposé, eux aussi sont venus avec moi.

Le Président : Si vous voulez bien, on parlera des rondes et tout cela demain. Je voudrais simplement maintenant que vous me disiez…

Vincent NTEZIMANA : Oui. Les autres personnes…

Le Président :  …avant que ne clôture avec quelques minutes de retard sur le programme… quelles étaient les autres personnes, simplement les citer, qui logeaient encore chez vous ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, je vais les citer seulement. Il y avait Aster RUTIBABARIRA, qui était un ancien collègue, c’était un Hutu, c’était un collègue professeur à la faculté des sciences économiques. Il y avait chez moi Caritas, qui était la fille qui s’occupait de mes enfants. Il y avait deux jeunes filles, dont j’ignore le nom, franchement, et un jeune homme qui s’appelle Innocent NKUYUBWATSI.

Le Président : Il logeait vraiment chez vous, lui, ou bien il logeait parfois chez vous, parfois chez le capitaine NIZEYIMANA ?

Vincent NTEZIMANA : En fait, quand ils sont arrivés, lui et les deux filles sont arrivés en même temps, parce que NIZEYIMANA se plaignait que chez lui c’était petit, il y avait plein de gens, et je lui ai dit : « Chez moi, il y a de la place ». Ils sont venus en même temps. Mais c’étaient des Hutu tous les trois, ils avaient la liberté de mouvement. Je me disais : « Tant que je peux aider quelqu’un, tant que j’ai des haricots, tant que j’ai du riz, il faut partager ». Je ne demandais pas à savoir s’ils sont Hutu ou Tutsi, s’ils sont… Pour moi, ils étaient dans le besoin, ils sont venus chez moi. Ils sont… ils étaient libres de mouvement et, par exemple, les filles logeaient avec Caritas… Vous savez, j’avais une maison avec des dépendances, je ne surveillais pas si les filles étaient rentrées ou pas. Il y a une étape, qui interviendra sans doute dans les débats concernant ces filles-là mais, c’est vrai, il était libre de mouvement et, des fois, il ne rentrait pas, c’est vrai.

Le Président : Nous aborderons ce problème-là demain mais c’est notamment une de ces jeunes filles qui aurait été tuée, ou achevée en tout cas, dans le jardin ou sur la parcelle de votre habitation, par Innocent ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact.

Le Président : Sous vos yeux ?

Vincent NTEZIMANA : Oui.

Le Président : Vous voulez bien ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, je l’ai moi-même dénoncé au cours de l’interrogatoire, début mai 1995, après mon arrestation, parce que j’estimais en âme et conscience que j’avais échoué. J’avais échoué. Alors que mon intention était de pouvoir loger des personnes qui en avaient besoin, eh bien, il se fait qu’un jour de la mi-mai, je rentre, je crois que c’est le 14 mai, je rentre de la réunion, il en sera peut-être question aussi, où le président KAMBANDA… le premier ministre KAMBANDA avait visité l’université. Non, c’est une étape après. Précédemment, en rentrant, Caritas me dit : « NKUYUBWATSI a amené les deux filles brutalement avec un militaire », alors que d’habitude, ils partaient tous les trois calmement et ils revenaient calmement, cette fois-ci, elle m’a dit : « Ils les ont emmenées de force ». Quand NKUYUBWATSI est rentré le soir, la nuit, je lui ai demandé : « Où sont les filles ? ». Il m’a dit : « Pourquoi cherches-tu à savoir où elles sont ? Elles sont rentrées chez elles ». Je me suis douté qu’il y avait bel et bien quelque chose. Et… le cœur a balancé, j’ai eu… j’ai eu la panique en fait. Je me suis dit : « Je sais qu’il y a les tueries, il y a des coups de feu à gauche et à droite, il y a des détonations à gauche et à droite…», j’avais juste un doute et j’étais Hutu, donc c’était possible. Je me disais : « Si elles sont parties librement, je sais qu’elles sont parties par force sans me dire au revoir alors que j’avais fait du bien pour elles, donc ce n’était pas une fugue ». Là, je me suis douté de quelque chose.

Mais d’un autre côté, j’ai vraiment réfléchi par rapport aux autres personnes qui étaient chez moi. Il y avait donc Caritas qui était Tutsi, il y avait le témoin 142, dont j’ai parlé, il y avait Longin. Soit, je jouais le héros ou alors je jouais… comment… je faisais le petit. J’ai réfléchi. Ce n’est pas gai de faire le petit quand on croit… quand on a sa fierté, faire le petit devant un plus petit que soi en quelque sorte, ce n’est pas vraiment gai, Monsieur le président. Je me suis dit… je crois que j’ai commencé à suspecter cet individu de malfaisance. S’il en est capable, il suffit… il suffirait de lancer une rumeur, ne fût-ce qu’une rumeur, ou dire à des militaires : « Là-bas, ces gens-là je les connais, ce sont des  Inyenzi, qu’ils soient Hutu ou Tutsi, pour que nous soyons tués ». Je me suis dit : « La meilleure manière de nous en tirer est d’adopter le profil bas ». Là, j’ai vraiment échoué. Et , euh… je rentre deux ou trois jours… donc l’étape suivante, c’est 2-3 jours plus tard quand je rentre, il y avait une réunion le 14 mai 1995. Le premier ministre KAMBANDA avait visité l’université et j’avais été à cette réunion-là. Quand je rentre, le témoin 142 et Longin sont assis au salon et je viens, je les salue et je cause avec eux, je leur demande comment cela a été, cela s’est passé. Quelques minutes après, Caritas me fait signe : « Tu sais, les filles, il y en a une qui est revenue, elle était blessée à la tête, mais un soldat la suivait, il l’a assommée d’une barre de fer, elle est en train d’agoniser derrière ». Alors, elle est allée me montrer. Je suis passé par la cuisine. Caritas était derrière moi. Je descends les escaliers. Je la vois effectivement agoniser. Mais je, je tombe face à face avec NKUYUBWATSI qui sortait. Donc, j’avais une dépendance, un garage et un logement du « Zamu », du…

Le Président : …gardien

Vincent NTEZIMANA : …du gardien. Il sortait un couteau du logement du gardien et puis il… il l’a achevée. Il l’a achevée et puis… et j’étais mort de trouille (Voix chargée de pleurs). Puis, je suis rentré, puis je suis rentré, j’ai été à mon bureau, je me suis… je me demandais comment gérer la situation. Puis, j’ai dit à le témoin 142 et Longin : « Qu’est-ce qu’on va faire ? » On s’est tu, on s’est tu. Le type est parti. Il est parti. Il fallait évacuer le corps. Il était parti même sans s’en soucier. J’ai demandé au frère de Longin qui était chez le capitaine NIZEYIMANA, il avait une voiture. Je suis allé le voir. Je lui ai dit : « Voilà, j’ai un problème, il y a un cadavre chez moi ». Il est venu avec sa voiture et nous avons évacué le corps. Monsieur le président, là, franchement, j’ai dénoncé cela mais je crois… franchement, j’ai échoué là…, j’ai échoué mais j’ai réfléchi et chaque fois je me dis, c’est une chose à laquelle je pense toujours, Je me dis : « Est-ce qu’il y avait, est-ce que je pouvais avoir une autre attitude ? Est-ce que j’ai été moins courageux que je ne l’aurais été ? ». Ce n’était pas évident, hein, ce n’était pas évident, mais c’est la réalité, Monsieur le président.

Le Président : Bien. Nous aborderons la suite demain si vous voulez bien ?

Vincent NTEZIMANA : Oui.

Le Président : L’audience va donc être suspendue. Elle reprend demain à 9h00 du matin. Nous poursuivrons l’interrogatoire de Monsieur NTEZIMANA. Il faudra avertir que Monsieur GASANA Ndoba ne vienne pas avant 10h00 et que le juge d’instruction et les enquêteurs certainement pas avant… 10h30.

[Suspension d’audience]

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir et les accusés peuvent prendre place… Ah oui, qui est présent ? Dites-lui de venir par ici. Je v   ais prescrire un droit à la police judiciaire… pas à la police judiciaire, à la police fédérale, dans la mesure où il semble que certains témoins venus du Rwanda souhaitent être entendus à huis clos. Euh… je vais donc demander à ce que ce soit vérifié. Que l’on sache qui, et pourquoi… de manière à ce que, s’il faut notamment faire droit à cette demande, ou s’il y a des réquisitions ou des demandes de la part des parties quant à ce huis clos, que l’on ait pas, à chaque témoin, à rendre un arrêt disant si oui ou non, on ordonne le huis clos, et si l’on ordonne à chaque fois de ne pas faire vider la salle, et réordonner l’accès au public. Donc, je crois qu’il y a… c’est pour un problème notamment de… de peut-être meilleure organisation, dans la mesure où ces témoins venant du Rwanda sont regroupés pour le moment. On pourrait donc modifier l’horaire de leur comparution, tout en restant dans le laps de temps où il séjournent en Belgique (rires).

Alors, si ici il y a un inspecteur de la police fédérale, je lui demande de bien vouloir s’approcher… Oui ? Monsieur, je vous confie le devoir suivant, dont je donne donc lecture en audience publique, avec prière de bien vouloir demander aux témoins qui résident actuellement à l’école royale militaire, qui d’entre eux demanderait éventuellement à être entendu à huis clos, ainsi que les motifs qui étayent cette demande. Je vous remets ce devoir et je vous remercie de bien vouloir faire parvenir le procès-verbal dès que possible. Je vous remercie.

Nous allons poursuivre ce matin l’interrogatoire de Monsieur NTEZIMANA. Je vais vous demander, Monsieur, de bien vouloir vous lever pour la poursuite de cet interrogatoire. Nous en étions arrivés, hier en fin de journée, au problème d’une jeune fille qui aurait été donc tuée sous vos yeux par Monsieur NKUYUBWATSI, ou achevée en tout cas sous vos yeux par Monsieur NKUYUBWATSI. Vous avez exposé qu’il s’agissait d’une jeune fille qui avait résidé, que vous aviez hébergée pendant un temps chez vous. Vous confirmez bien que c’est au moyen d’une arme blanche, d’un couteau…

Vincent NTEZIMANA : Je le confirme, Monsieur le président.

Le Président : …que Monsieur NKUYUBWATSI aurait achevé cette jeune fille ?

Vincent NTEZIMANA : Je le confirme, Monsieur le président.

Le Président : Vous confirmez bien, également, qu’il y avait deux jeunes filles qui résidaient à cette époque chez vous, et ces deux jeunes filles ont disparu ?

Vincent NTEZIMANA : Je le confirme, Monsieur le président. Il y en avait trois.

Le Président : Oui, il y avait votre… gouvernante, la personne qui s’occupait de vos enfants qui s’appelait Caritas. Les deux autres jeunes filles, vous n’en connaissez pas l’identité ?

Vincent NTEZIMANA : Non.

Le Président : Mais ces deux jeunes filles ont bien disparu ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact, Monsieur le président.

Le Président : L’une d’entre elles, avez-vous expliqué, avait été achevée sous vos yeux, par NKUYUBWATSI Innocent, à l’aide d’un couteau ?

Vincent NTEZIMANA : Exact, Monsieur le président.

Le Président : Vous avez, je pense, pu prendre connaissance de la déclaration faite par Monsieur NKUYUBWATSI au procureur de la République de Butare ? Je ne parle pas de ses interviews à des journalistes, je parle de son audition faite par Monsieur le témoin 31.

Vincent NTEZIMANA : Oui, j’en ai pris connaissance, Monsieur le président.

Le Président : Selon cette déclaration, Monsieur NKUYUBWATSI, en ce qui concerne ces deux jeunes filles, dit d’abord que vous ne logiez pas chez vous à l’époque, que lui y logeait, ainsi par exemple que Longin et Jean-Marie Vianney mais que vous logiez à l’époque, non pas chez vous, vous permettiez à des gens d’être hébergés dans votre maison mais vous n’y habitiez plus. Vous résidiez chez le capitaine NIZEYIMANA. Sur ce point-là, qu’avez-vous à dire ?

Vincent NTEZIMANA : Monsieur le président, j’ai effectivement pris connaissance de cette déclaration et le témoin affirme que Longin, le témoin 142, moi-même, mes enfants et un de mes frères, logions chez NIZEYIMANA, dans sa déclaration, si mes souvenirs sont bons. Les déclarations de Longin et le témoin 142 sont claires à ce sujet : nous logions chez moi. Ce témoin, NKUYUBWATSI, j’ignore pourquoi, il dit que j’avais quitté ma résidence, que les gens que j’ai logés, alors qu’ils le confirment eux-mêmes, logeaient chez NIZEYIMANA. J’ignore les raisons qui le poussent à le dire. Je signale au passage qu’il dit que ma maison abandonnée était gardée par des militaires alors que, lorsque le témoin 142 et Longin disent qu’une personne en tenue militaire venait chez moi, ils parlent de NKUYUBWATSI Innocent. NKUYUBWATSI Innocent portait de temps à autre un…

Le Président : Un uniforme militaire ?

Vincent NTEZIMANA : Non, pas un uniforme. Un… un veston, je dirais, un veston, une sorte de veston mais le pantalon, les baskets, la chemise, c’était en civil, en fait. Mais le veston, parfois, il le portait, militaire. Et quand le témoin 142 et Longin parlaient d’un militaire chez moi, c’est bel et bien, ils le précisent, NKUYUBWATSI. Il n’y a jamais eu de militaire à… qui, qui ait logé chez moi. Les déclarations de le témoin 142 et Longin le confirment, et confirment également qu’ils ont logé chez moi, alors que NKUYUBWATSI dit : « Vincent, Longin, le témoin 142, les enfants de Vincent et son frère logeaient chez NIZEYIMANA ». On peut tout de même vérifier, ne fût-ce que la présence, chez moi, de moi et mes hôtes, c’est vérifiable par les autres témoignages. La présence de militaires qui auraient logé chez moi, c’est aussi vérifiable par ces deux autres témoignages. Eh bien, c’est démenti catégoriquement et NKUYUBWATSI, qui formule des accusations par ailleurs, je suppose qu’on y reviendra, affirme le contraire. Je me demande pourquoi il le fait, dans quel intérêt, qu’est-ce qui l’amène à le faire ? Je signalerai aussi, quand il est interrogé, il est interrogé sur base de ma dénonciation, que j’ai faite déjà en 1995, après mon arrestation. Il était en liberté jusque fin mars le mois dernier, jusqu’il y a un mois.

Le Président : Oui, il a été interrogé le 22 mars.

Vincent NTEZIMANA : C’est exact. Il était en liberté. Quand il était interrogé, il nie qu’il ait participé au génocide. On lui montre ma déclaration, où je le dénonce comme ayant assassiné une jeune fille, et il dit : «  Ah, tiens, non, mais au fait, c’est vrai, je l’ai tuée mais c’est Vincent qui m’avait demandé de l’assassiner ». Et il continue en formulant d’autres accusations. Ceci étant, pour étayer ses accusations, il fait des déclarations que vous pourrez, Monsieur le président, vérifier par d’autres témoignages, en l’occurrence le fait que je n’ai pas logé chez moi, que j’ai logé chez le capitaine NIZEYIMANA, un, jusqu’à mon départ et, deux, que ma maison aurait été gardée par des militaires, ce qui n’est pas le cas du tout.

Le Président : Les accusations de Monsieur NKUYUBWATSI, en ce qui concerne les jeunes filles, sont que vous-même et le capitaine NIZEYMANA, vous l’avez ou vous lui avez tous les deux donné l’ordre et même payé pour tuer les deux jeunes filles, en raison de ce que ces deux jeunes filles avaient appris trop de choses sur le rôle que vous-même et le capitaine NIZEYIMANA auriez joué ou étiez en train de jouer dans les massacres à Butare. En gros, c’est cela ?

Vincent NTEZIMANA : Oui.

Le Président : Bien. On va peut-être aborder alors un autre sujet et, je signale aussi qu’en ce qui concerne la famille KARENZI que nous avons abordée hier, le problème de la famille KARENZI, Monsieur NKUYUBWATSI dit, lui, ne pas avoir participé au meurtre de cette famille personnellement. Il dit qu’il se trouvait chez vous lorsqu’un militaire est venu, de votre part et de la part du capitaine NIZEYIMANA, le trouver pour qu’il indique où se trouvait la maison de Monsieur KARENZI et qu’il avait été incapable de donner ce renseignement, que ce militaire a obtenu le renseignement d’une autre personne, et puis il aurait appris, sans en être même le témoin, que les enfants de Monsieur KARENZI auraient été tués devant l’hôtel Faucon, Monsieur KARENZI aussi, Madame KARENZI dans la maison… mais il n’en aurait pas été témoin. La seule chose qu’il dit en rapport avec Monsieur KARENZI et vous, c’est que ce serait à votre demande et à la demande du capitaine NIZEYIMANA qu’un militaire se serait présenté à votre maison où se trouvait à ce moment-là, Monsieur NKUYUBWATSI pour se renseigner sur l’endroit où se trouvait la résidence de Monsieur KARENZI.

Vincent NTEZIMANA : Je peux donner une petite précision avant de passer à cette question ?

Le Président : Oui.

Vincent NTEZIMANA : NKUYUBWATSI dit que les jeunes filles sont venues chez Vincent pour y être tuées, c’est ce qu’il affirme. Mais les témoins le témoin 142 et Longin confirment que ces filles-là étaient libres de mouvement, qu’elles partaient avec NKUYUBWATSI, qu’elles revenaient quand elles voulaient. Je suppose, vous le comprendrez, Monsieur le président, si des jeunes filles avaient été amenées chez moi pour y être tuées, elles auraient été tuées, ne fût-ce que pendant les deux premiers jours. On peut se demander aussi pourquoi elles n’auraient pas été amenées autre part, aux autres lieux de tuerie, et chez moi précisément. Donc, c’est une affirmation tout de même qui mérite une réflexion et une réponse. Quant à ce militaire dont il parle, c’est vrai, cela ne fait pas partie d’une même déclaration, mais j’ai aussi regardé le témoignage, donc son interrogatoire, par le procureur de Butare sous la caméra, où il affirme que lorsqu’un militaire est arrivé, que j’étais avec NKUYUBWATSI chez moi devant ma maison, qu’il a demandé à NKUYUBWATSI où était la maison des KARENZI, que lui a dit qu’il ne savait pas mais que je lui ai indiqué alors où se trouvait la maison des KARENZI. Dans un autre récit, effectivement tel que vous le dites, il dit que j’ai envoyé ce militaire pour demander où se trouvait la maison des KARENZI et que, lui n’ayant pas voulu ou ne sachant pas où était la maison des KARENZI, un autre passant aurait indiqué cette maison. On dit que les contradictions, j’ai entendu le témoignage de Monsieur le juge d’instruction qui dit : « C’est vrai, il y a des contradictions, mais tout de même, vous savez… ». A quoi rime cette contradiction ? Pourquoi ? Dans un temps, il dit : « Vincent NTEZIMANA était avec moi, c’est lui qui a indiqué la maison ». Et dans une autre déclaration, il dit que j’ai envoyé le militaire, qu’il n’a pas indiqué la maison et que c’est un autre passant qui a indiqué la maison. Pourquoi ce genre de contradiction ? Est-ce que ce genre de contradiction rime avec la vérité, Monsieur le président ?

Le Président : Bien. Monsieur NKUYUBWATSI Innocent travaillait à la SORWAL à l’époque ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact.

Le Président : C’est notamment un des éléments qui ferait le lien entre vous par l’intermédiaire de la SORWAL et Monsieur HIGANIRO. Cela ne veut pas dire que vous étiez pour autant - parce que NKUYUBWATSI était à la SORWAL - tous ensemble dans un grand complot, ce n’est pas cela que je veux dire, mais… Monsieur NKUYUBWATSI travaillait à l’époque à la SORWAL ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact, Monsieur le président.

Le Président : Venons-en au problème d’un jeune homme qui aurait été tué sur une barrière de contrôle, dans Butare. Vous avez, à un moment donné, expliqué que vous aviez, au cours soit d’une ronde, soit en tout cas de ce que vous étiez en rue, assisté comme témoin, vu un jeune homme en train de se faire tuer, molester, battre à une barrière. Entendues à ce propos au Rwanda, deux des personnes que vous hébergiez, Monsieur le témoin 142 Vianney et Monsieur le témoin 118, dont l’un, semble-t-il, ne viendra pas témoigner ici et dont l’autre n’est pas actuellement présent mais pourrait peut-être bien arriver lors d’un prochain vol en provenance du Rwanda. Donc, le témoin 142 ne viendrait pas. le témoin 118 n’est pas là pour le moment mais pourrait arriver plus tard. Selon le témoin 142, il vous aurait vu agresser personnellement ce jeune homme sur la barrière, lui porter des coups, et il aurait vu que NKUYUBWATSI, à nouveau lui, Innocent, se serait mêlé également à cette bagarre au cours de laquelle finalement ce jeune homme aurait perdu la vie. le témoin 118, qui pendant tout un temps a dit ne pas même avoir assisté à quoi que ce soit à ce sujet, va dans une de ses dernières déclarations, ou sa dernière déclaration au Rwanda, dire qu’effectivement il était présent, qu’il était là dans la rue, que vous y étiez, que le témoin 142 y était, que vous vous êtes peut-être bien approché de cette barrière, mais qu’il n’a pas vu réellement ce que vous auriez fait ou ce que le témoin 142 aurait fait ou ce que d’autres auraient fait.

Dans son audition par Monsieur HABIMANA, NKUYUBWATSI Innocent dit effectivement qu’il était présent, que vous y étiez aussi, que vous avez contrôlé les papiers d’identité de ce jeune homme, que vous lui avez remis, à lui Innocent, les papiers pour qu’il les vérifie aussi, que vous auriez demandé à ce qu’on vérifie l’habillement de ce jeune homme et qu’on aurait constaté notamment qu’il portait deux pantalons. Deux pantalons c’était, semble-t-il, suspect à l’époque, dans la mesure où on disait que les Tutsi étaient toujours porteurs de deux pantalons l’un au-dessus de l’autre. Vous auriez dit aux gens de la barrière, selon NKUYUBWATSI Innocent, que, constatant que ce jeune homme avait deux pantalons, ne s’agit-il pas d’un… d’un Inyenzi ou d’un… et puis vous seriez parti. Vous n’auriez donc, ni lui, ni vous, porté la main contre ce jeune homme. Alors, qu’en est-il ?

Vincent NTEZIMANA : Je pars de cette dernière déclaration qui parle de carte d’identité. Quand nous sommes passés à cette barrière, il était aux environs de 7h du soir. 7h du soir au Rwanda, la nuit est tombée, le soleil se couche à 6h00 précises pratiquement, il fait noir. Matériellement, matériellement, je vois mal comment, même si je l’avais souhaité, même si je l’avais fait… envisagé, pardon, comment j’aurais pu consulter une carte d’identité pendant l’obscurité. Deuxièmement, lorsque le témoin 142 m’accuse, il dit : « Nous avons…, nous sommes passés à la barrière. Il y avait des militaires qui frappaient un jeune homme entouré par des civils et, dit-il, Vincent s’est joint au groupe ».

Manifestement, ces deux déclarations sont contradictoires, parce qu’une des déclarations affirme que le tabassage de ce garçon aurait commencé après une vérification de carte d’identité. En outre, le témoin 142 prétend qu’il m’aurait laissé avec Innocent NKUYUBWATSI à la barrière, partant tout seul et Longin. Longin et le témoin 142 étaient des personnes qui n’auraient pas pu se déplacer dans le quartier sans la présence d’une personne qui puisse… qui les connaisse, à 7h du soir. Ceci est aussi sujet à caution parce que je suis rentré avec eux. En outre, le témoin 142 a été, selon une déclaration qui figure au dossier, demander à un autre témoin à décharge, Jean-Bosco SEMINEGA, de me charger, d’aller dans le même sens. Je m’interroge, vous pouvez sans doute vous interroger aussi, parce que je suppose que vous allez me dire : « Mais tiens, vous l’avez hébergé et donc, il ne vous en veut pas, pourquoi fournit-il ces accusations ? ».

Le Président : C’est effectivement ce qu’il dit : « Pourquoi est-ce que j’accuserais Monsieur NTEZIMANA qui a eu la bonté quelque part de m’héberger ? ».

Vincent NTEZIMANA : Mais ce que j’ai pu consulter dans le dossier, c’est qu’il a été aussi solliciter un faux témoignage auprès de Jean-Bosco SEMINEGA. Monsieur le président, les débats vont sans doute continuer autour de ces questions, autour de la question : « Est-ce que le témoin 142 a été solliciter un faux témoignage auprès de Jean-Bosco le témoin 150, oui ou non ? ». Je suppose qu’on aura une réponse, et je l’espère. Je l’espère. Et s’il l’a fait, pourquoi ? Je m’interroge. L’ingratitude existe, Monsieur le président.

Le Président : Bien. Avez-vous assisté comme témoin, à une agression d’un jeune homme sur une barrière ou à une barrière ?

Vincent NTEZIMANA : Mais celui-là, Monsieur le président, c’est moi qui l’ai dénoncé déjà aussitôt après mon arrestation. Et quand on interroge le témoin 142 et Longin, on les interroge sur base de ma déclaration. Ils disent : « Ah! oui, c’est vrai », donc le témoin 142 qui dit : « Oui, c’est vrai mais il a rejoint le groupe qui tabassait le jeune homme ». Donc, je confirme cette déclaration, que j’ai constaté l’agression d’un jeune homme à cette barrière.

Le Président : Vous n’êtes pas intervenu ?

Vincent NTEZIMANA : Non, je n’ai pas intervenu.

Le Président : Je dirais : « Ni pour - comme diraient certains - aller vous aussi agresser ce jeune homme… »

Vincent NTEZIMANA : Non, je n’ai pas…

Le Président : …ni pour faire cesser cette agression ?

Vincent NTEZIMANA : Je n’ai pas intervenu, Monsieur le président. Ce jeune homme était en train d’être tabassé par des militaires avec des crosses de fusils. Autour d’eux se trouvaient des civils. Je serais… A supposer que j’aie envisagé, j’aie eu l’intention… je ne suis pas plus fort que des militaires dans… allez… dans… dans le fait de tabasser, pourquoi je l’aurais fait ?

Le Président : Oui, je ne dis pas que vous seriez physiquement plus fort, ce n’est pas là que je veux en venir. Mais si, dans l’hypothèse où le capitaine NIZEYIMANA serait le chef, ou celui qui dirigeait les massacres pour les militaires à Butare, et si vous êtes à ce point lié au capitaine NIZEYIMANA que… que l’on se demande qui est le bras gauche ou le bras droit de l’autre, on pourrait s’imaginer dans cette hypothèse-là que, même à l’égard de militaires, même si vous, vous ne l’êtes pas, vous auriez pu, en quelque sorte par délégation, exercer les pouvoirs qu’aurait eus le capitaine NIZEYIMANA ?

Vincent NTEZIMANA : Si j’avais eu l’intention de participer au massacre, la première chose que j’aurais faite serait de me méfier des personnes que j’ai rencontrées pour la première fois et qui allaient à l’hôtel Faucon, à qui j’ai dit : « Vous allez vous faire tuer », et à qui j’ai proposé d’initiative d’aller les loger, Monsieur le président. Donc, il n’était pas dans mon intention, à aucun moment, d’assassiner les gens. Je ne me suis méfié de personne qui ne soit armé, Monsieur le président.

Le Président : Bien. Venons-en maintenant au meurtre, non pas de Victor NDUWUMWE mais de sa femme et de son enfant et de… peut-être bien de sa domestique. Il y a pour cela deux témoins, que nous ne verrons pas : Monsieur le témoin 129, détenu au Rwanda là où il est d’ailleurs accusé, lui, du meurtre de Victor NDUWUMWE, et son épouse le témoin 91, qui devait venir, ne vient pas. Le pouvoir discrétionnaire du président de la Cour d’assises dans un procès normal, cela a effectivement un certain poids parce qu’on peut, lorsque le témoin réside en Belgique, lancer un mandat d’amener pour le contraindre à venir. Je ne peux pas, je n’ai pas la possibilité de lancer un mandat d’amener à l’égard de Madame le témoin 91 ni à l’égard d’autres témoins résidant au Rwanda pour les contraindre à venir ici. Hein, il faut bien se rendre compte qu’on va faire avec ce qu’on a et comme on peut. Il faudra sans doute en tirer certaines conséquences. On pourra peut-être rapporter ce qui a été dit, mais il faudra peut-être tirer certaines conséquences de la circonstance qu’effectivement ces gens ne sont pas là, qu’on ne sait pas les interroger de manière précise, qu’on ne sait pas éventuellement les houspiller pour les faire se contredire éventuellement, qu’on ne sait pas approcher de manière plus précise ce qu’ils ont vu et de faire la part des choses entre ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont entendu, ce qu’ils ont cru entendre, ce qu’ils ont cru voir. Voilà. Je dirais qu’il y a aussi des témoins à charge qui ne seront pas présents. Il y a des témoins à décharge qui ne viennent pas et il y en a qui sont à charge et qui ne viennent pas non plus.

Il y a deux témoins, qui ne disent pas vous avoir vu utiliser une machette, une lance, un bâton, un fusil pour tuer la femme, l’enfant et la domestique de Victor NDUWUMWE ; il y a deux témoins qui disent vous avoir vu avec un, ou avec des militaires, à proximité de leur habitation ; il s’agit de Monsieur le témoin 129 et de son épouse le témoin 91, à proximité de leur habitation qui se situe dans une rangée de maisons, une rangée de 10 maisons. Leur maison, ils la situent comme étant la deuxième de la rangée ; c’est peut-être la deuxième à partir de la gauche ou la deuxième à partir de la droite, c’est la deuxième pour eux. Et vous vous seriez présenté à leur habitation, en compagnie d’un ou de deux ou de plusieurs militaires, pour vous enquérir du point de savoir si cette habitation-là, devant laquelle vous vous trouviez, était bien celle de Victor NDUWUMWE. Et un domestique de Monsieur TWAGIRAMUNGU et de son épouse, ou un enfant de domestique, aurait dit que ce n’était pas la maison de Victor NDUWUMWE, que la maison de Victor NDUWUMWE c’était l’autre deuxième maison, c’est-à-dire la deuxième à partir de l’autre côté de la rue.

Alors, ces témoins auraient entendu le domestique le dire, ou ne l’auraient pas vraiment entendu mais le domestique serait venu dire après ce qu’il avait dit, et on vous aurait vu désigner alors du doigt, à ce ou à ces militaires, la maison de Victor NDUWUMWE, donc la deuxième, pas de ce côté de la rue mais la deuxième de l’autre côté. Et on aurait entendu, les deux témoins le témoin 91 et TWAGIRAMUNGU auraient entendu, dans les minutes qui ont suivi, des coups de feu, et auraient appris que les occupants de la maison de Victor NDUWUMWE, mais pas Victor NDUWUMWE lui-même, auraient été tués à cette occasion-là dans un bois en face de la maison, ou en contrebas…, et on aurait retrouvé le corps de sa femme, de sa fille, encore qu’un des témoins parle d’un fils…

Vincent NTEZIMANA : Je peux répondre ?

Le Président : Mais oui, bien sûr.

Vincent NTEZIMANA : Vous avez parlé de deux témoins mais je crois savoir qu’il y a plusieurs témoins qui ont été entendus là-dessus, Monsieur le président. Ces deux témoins m’accusent mais il y en a d’autres qui disent le contraire. Alors, au sujet de ce qu’affirment Madame le témoin 91 et son mari, c’est tel que vous l’avez effectivement rapporté, mais Madame le témoin 91, pour confirmer ses accusations, cite le nom d’une voisine qui dit… en disant : « Voilà, elle a vu la même chose que nous, elle pourrait vous le confirmer. Si vous vous rendez chez elle, je la connais très bien, je pourrais vous y conduire ». J’avais dénoncé auparavant le fait que, quand un témoin en cite un autre, quand il raconte la même chose, je l’avais dénoncé auprès des enquêteurs de la PJ, quand ils disent la même chose, cela peut effectivement correspondre à la vérité, tout comme cela peut correspondre à un témoignage qu’ils ont concocté ensemble.

Eh bien, l’enquêteur a eu le réflexe à ce moment-là de ne pas consulter le premier témoin pour se rendre chez le deuxième, c’est Madame… la veuve de MURANGO, d’après le dossier. Eh bien, quand on arrive chez elle, on lui montre sa photo. Non, on lui demande d’abord, je crois, de réciter la manière dont la famille de Victor a été tuée. Elle dit : « Tout ce que je peux vous assurer - elle dit qu’elle a été tuée par des miliciens et des militaires, qu’elle les a vus ­ et tout ce que je peux vous assurer, c’est qu’ils ont été tués dans le bois de Rwasave à la machette et au gourdin ». On lui montre ma photo. Elle dit : « Je ne reconnais pas cette personne, je ne l’ai jamais vue ». Cela, c’est un témoin qui avait été cité par le premier témoin. Alors, dans le récit de Madame le témoin 91, il y a tout de même des choses étonnantes. Vous avez bien fait de dire qu’elle dit avec son mari : « Un ou deux militaires en compagnie de Vincent NTEZIMANA », je ne sais plus s’ils ont dit NTEZIMANA ou Vincent. Un ou deux militaires, donc, il y a un doute dans ce qu’ils ont observé mais là, je ne veux pas dire que : « Voilà, je mets en cause que si jamais… ». Seulement, ce doute sur la manière dont ils auraient vécu, on aurait pu dire, parce qu’ils ont dit qu’ils ont eu peur, qu’elle est allée voir derrière… On aurait pu dire : « Oui, c’est vrai, la peur a fait que l’observation est un peu obscure, enfin obscure… obscurcie », et dire : « Un ou deux c’est tout à fait acceptable ». Seulement, plus tard, quand elle dit qu’elle a entendu des coups de feu, elle n’a pas dit : « Des coups de feu », elle n’a pas dit : « Cinq coups de feu », elle n’a pas dit : « Sept », elle n’a pas dit : « Quelques coups de feu », elle a dit : « Six coups de feu ». Cette précision tranche avec le doute dans la manière dont on aurait vécu les événements dont elle parle.

Mais il y a pire, parce qu’elle dit : « Je me suis enfuie, je suis allée voir derrière ». Eh bien, les enquêteurs s’y sont rendus. La cassette vidéo qu’on verra, vous avez signalé qu’on la verrait, je l’ai vue. L’enquêteur s’y est rendu, derrière la maison de Victor… de… de Bernadette. Vous verrez l’enquêteur dire : « Ah! d’ici on ne sait pas voir chez Victor, c’est matériellement impossible ». Alors, on me dit que la déclaration du témoin 91 aurait été faite dès janvier 1995, avant mon arrestation. Que, par conséquent, cela apporte un grain de crédibilité. Vous avez compris que matériellement, vous le constaterez, Monsieur le président, ce qu’elle dit est matériellement impossible. Le 10 janvier 1995, certains de mes accusateurs étaient déjà rentrés au Rwanda. Je signale qu’ils avaient déjà déclaré que j’avais menacé de mort à Butare, le témoin 76. Il s’est avéré que le témoin 76 n’était pas à Butare, elle était à Kibuye. Elle était à Kibuye, elle n’était pas à Butare. Je n’aurais pas pu la menacer. Ils avaient déclaré que j’ai menacé les enfants de Madame Berina NYIRANDIBWAMI à Gisenyi, menacé de mort. Cette dame va déclarer, peu avant mon arrestation, que plusieurs Tutsi ont pris contact avec elle pour lui demander si elle pouvait témoigner contre Vincent NTEZIMANA. Elle a dit : « Je ne veux pas mentir sans preuve ». Et d’ajouter : « J’ai bien senti que GASANA Ndoba et Jean-Bosco KARASIRA n’étaient pas contents que je n’ai pas voulu témoigner contre Vincent NTEZIMANA ».

Il y a d’autres accusations de meurtres qui ont été perpétrées à Butare. Un collègue, Emmanuel GATWAZA, qui a été assassiné, selon les informations que j’ai eues à Gisenyi, au mois de juin. Il y a au dossier, des témoignages qui disent que je suis impliqué dans sa mort, j’étais déjà à Gisenyi et il y a des preuves irréfutables matérielles qui peuvent montrer que j’étais à Gisenyi parce que je voulais contacter ma femme, donc, je traversais la frontière bénino… la frontière zaïro-rwandaise au poste douanier de Gisenyi et j’ai un tas de tampons. Le 27, j’étais déjà à Gisenyi ; il y a des dates qui peuvent confirmer que j’étais déjà en permanence à Gisenyi, depuis le 27. Cette personne-là est décédée, Emmanuel GATWAZA et son beau-frère, dont on m’accuse aussi dans le dossier, ce n’est pas retenu mais c’est tombé. C’est tombé. J’étais à Gisenyi. On m’accuse aussi d’avoir assassiné, j’étais à Gisenyi. Alors, Monsieur le président, c’est vrai, il y a des témoignages, des témoignages sur des choses qui ne sont pas encore tombées, mais j’aime autant savoir pourquoi est-ce qu’on m’accuse d’avoir assassiné une personne qui est morte en juin à Butare alors que j’étais déjà à Gisenyi. Pourquoi est-ce qu’on sollicite des témoins de m’accuser d’avoir voulu assassiner leurs enfants ? Qui s’en plaint, enfin, à la PJ ? A quoi cela rime tout cela, Monsieur le président ? Est-ce que cela rime, franchement, avec une volonté de déclarer la vérité, Monsieur le président ?

Le Président : Bien. Venons-en à un aspect un peu plus général aux faits qu’on vous reproche, ce sont les rondes. A un moment donné, il a été décidé, par mesure de sécurité, de faire des rondes dans des quartiers où vous habitiez et de constituer des équipes pour faire ces rondes. Si je ne me trompe pas, mais je peux me tromper… vous avez étudié le dossier depuis plus longtemps que moi, il semble que vous étiez dans une équipe dirigée par le Dr le témoin 93 ?

Vincent NTEZIMANA : Bernard le témoin 93 était le responsable de zone ; l’équipe dans laquelle j’étais était dirigée par quelqu’un d’autre, Monsieur le président.

Le Président : Oui… Il semble aussi, d’après les explications en tout cas que vous donnez, que vous n’étiez pas partisan d’effectuer ces rondes. Pouvez-vous expliquer pourquoi ? Je vous demanderai ensuite d’expliquer pourquoi, malgré votre opposition à ce système qui ressemble un petit peu à l’autodéfense et à d’autres choses, pourquoi, malgré votre opposition à ce système de ronde, vous y avez quand même participé, quelques fois en tout cas ? J’aimerais savoir cela. Pourquoi votre opposition ? Pourquoi, malgré cette opposition, avoir quand même, à quelques occasions, participé à ces rondes ? En quoi ont consisté aussi ces rondes ?

Vincent NTEZIMANA : Oui. Je voudrais confirmer, effectivement, que je me suis opposé aux rondes et donc le dossier le confirme par des déclarations de témoins, de témoins qui sont à charge aussi. Par exemple un témoin qui dit, alors que tout le monde était invité à effectuer les rondes, Vincent NTEZIMANA a refusé des rondes mais il n’encourait aucun reproche ni aucun rappel à l’ordre. Et de conclure, le témoin conclut : « Cela veut dire qu’il était de connivence avec les autorités qui les avaient mises en place ». Un autre témoin dit : « Il a refusé de faire les rondes parce qu’il avait perdu au FPR ». D’autres témoins disent, sous d’autres formes mais ils confirment bel et bien que je me suis d’abord opposé à l’idée des rondes. Pourquoi ? Pour plusieurs raisons mais les principales sont les suivantes. On nous disait que les rondes, nous devions sortir de nos maisons pour lutter contre d’éventuelles attaques du FPR et pour lutter contre les miliciens tueurs.

Officiellement, c’est la raison qu’on nous donnait. Je n’en étais pas personnellement convaincu parce que les mains nues, vous ne pouvez pas affronter les personnes armées qu’étaient les soldats du FPR et qu’étaient les miliciens. C’était une première raison. Quand on nous a dit qu’on adjoindrait des militaires à nos équipes, tout le monde était au courant que des militaires, pas tous les militaires nécessairement, des militaires participaient aux massacres. Alors, de nous dire qu’on nous enverrait deux ou trois soldats pour une équipe de dix professeurs, je me suis dit : « En fait, quand ils vont envoyer ces gens, imaginons qu’ils fassent des massacres ou des pillages, nous en serons responsables ». On a souvent évoqué la responsabilité des intellectuels à Butare, n’est-ce pas ? Quoique, à mon estime, il y a beaucoup de suiveurs là-dedans. Je crois que nous aurions été moralement responsables des faits commis par des soldats alors que nous n’avions aucun contrôle sur eux. Pour ces deux motifs, je me suis opposé aux rondes. Finalement, j’y ai participé. Pourquoi ? parce que…

Le Président : Vous pouvez dire combien de fois ?

Vincent NTEZIMANA : Deux ou trois fois. Pour la suite, j’ai donné des motifs en disant : « Voilà, je vais voir mes enfants ou alors je vais au marché », parce que c’est le motif qui passait le plus. Donner un motif rationnel, cela ne passait pas. Après, j’ai recouru à des motifs du style… social en fait, parce que quelqu’un d’autre l’avait fait à la même réunion, je l’avais refusé et cela lui avait été accordé mais à moi pas, parce que je disais : « Non, mais c’est insensé ». Finalement, j’ai été suivi par une seule personne, nous étions une trentaine, tous les autres se sont rangés. Le lendemain, un militaire est venu chez moi. D’après… non, ce que je veux, je vais… cela m’a été rapporté par le témoin 93, qui était le responsable des rondes dans la zone, il était un de mes voisins. Il voit les militaires arriver chez moi. Ils repartent, furieux parce que je n’étais pas là et le témoin 93 leur dit… Ou alors ils ne sont pas arrivés chez moi, ils sont venus furieux en demandant où était Vincent, cet incivique. Il a compris, il a dit : « Je suis le responsable des rondes, Vincent NTEZIMANA n’a rien à voir avec le FPR ». Il l’a dit, enfin… il m’a défendu. Il leur a dit : « Je vais le convaincre d’effectuer les rondes, comme cela vous n’aurez pas à vous inquiéter en quelque sorte ». Quand je suis rentré, il m’a dit : « Ecoute, soit tu fais les rondes ou alors tu fais une croix sur ta vie ». Ben, le choix était clair. Quand j’ai fait les rondes, naturellement les personnes qui logeaient chez moi ont été obligées à le faire aussi parce qu’autrement, les gens nous avaient vus ensemble, autrement, après mon acceptation, cela aurait été leur tour parce que les personnes hébergées devaient aussi faire les rondes.

A ce titre, vous constaterez que sur… que dans l’équipe où je me suis fait inscrire, suivaient les noms de tous mes locataires… mes locataires réguliers, pas les jeunes filles, pas NKUYUBWATSI, parce qu’eux partaient et revenaient quand ils le voulaient. J’ai fait inscrire Aster RUTIBARIRA, le témoin 142 Jean-Marie et le témoin 118 dans l’équipe. Nous l’avons fait ensemble, quand nous l’avons fait à deux ou trois reprises, effectivement. A ce sujet, je voudrais tout de même évoquer un élément qui m’a fort étonné. Les procès-verbaux de ces réunions relatives aux rondes ont été transmis par deux témoins, le témoin Pie-Joseph le témoin 96 qui sera entendu ici je crois, qui était vice-président du CRDDR, donc adjoint de GASANA Ndoba. Il les avait obtenus de quelqu’un à Butare et d’autres ont été fournis par Madame Alison DESFORGES dans les documents qu’elle a envoyés à Monsieur le juge d’instruction. J’ai constaté, étonnamment, que tout, tout concorde concernant ces procès-verbaux, sauf une ligne qui à mon sens en dit long. Les documents transmis par le témoin 96, dans mon équipe, le nom du témoin 142 Vianney est « tipexé ». Il est « tipexé » alors que la source est la même que les documents de Madame Alison DESFORGES, qui sont tout à fait complets. Les documents envoyés par le témoin 96 ont rayé, « tipexé » le nom du témoin 142 Vianney. Monsieur le président, cela pose des problèmes, cela me pose questions. Pourquoi ? Pourquoi ce nom a-t-il a été rayé ? Pourquoi est-ce qu’on veut cacher la vérité ?

Le Président: Vous étiez opposé, vous avez quand même participé, vous venez d’expliquer pourquoi. Je trouve pourtant dans le dossier, une curieuse lettre que vous avez cosignée avec Monsieur RUTAYISIRE Jean-Népomucène. Cette lettre est signée par vous et par Monsieur RUTAYISIRE Jean-Népomucène qui lui, se dit professeur à la faculté des sciences appliquées et président du conseil de sécurité de Kibuye. Votre signature est précédée de la mention, pardon… suivie de la mention « Professeur à la faculté des sciences et président de l’Association du Personnel Académique Rwandais de l’Université », de l’APARU, fonction dont on a déjà parlé précédemment, hier à propos des listes de personnes qui souhaitaient évacuer. C’est une lettre qui est datée du 25 avril 1994, adressée au commandant de place de la zone Butare-Gikongoro et je vous donne lecture, ainsi d’ailleurs qu’aux membres du jury de cette lettre :

« Objet : Demande d’entraînement au tir à l’arme à feu.

Monsieur le commandant de place,

Référence faite à la recommandation du gouvernement rwandais en matière de mobilisation générale pour la défense de l’intégrité de notre pays, compte tenu du fait que les efforts des forces armées rwandaises dans la situation actuelle méritent un appui concret et considérable de la population civile pour barrer la route à l’ennemi, vu que les membres du personnel-cadre de l’université nationale du Rwanda ne peuvent pas rester les bras croisés et qu’ils doivent participer à la défense des quartiers qu’ils habitent, les membres du personnel-cadre de l’université nationale du Rwanda nous chargent d’adresser auprès de votre autorité une demande pour l’apprentissage au tir à l’arme à feu. En ce qui concerne l’octroi des armes, nos collègues préfèrent laisser à votre appréciation le choix du moment approprié. Dans l’espoir que notre requête sera examinée attentivement, nous restons à votre disposition pour des précisions éventuelles et nous vous prions d’agréer, Monsieur le commandant de place, l’expression de notre haute considération.

Signé : pour les membres du personnel-cadre de l’UNR,

RUTAYISIRE Jean-Népomucène, NTEZIMANA Vincent ».

Le Président : Vous pouvez vous expliquer à propos de cette lettre ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, Monsieur le président. Je reconnais tout à fait cette lettre. J’ai expliqué tout à l’heure que je me suis opposé aux rondes pour leur inefficacité. Vu la situation où nous étions, nous étions incapables de lutter contre les miliciens. Ni contre les miliciens ni contre le FPR, parce qu’ils étaient armés. Si cela avait été le FPR et les miliciens et si on avait été capable pour les rondes, j’aurais été parfaitement d’accord de lutter contre les miliciens et contre le FPR, armé. Alors, lorsque des bruits ont circulé à Butare comme quoi le FPR allait attaquer à partir du Burundi, je rappelle tout de même que le FPR opérait des assassinats, essentiellement de l’élite Hutu mais toute la population essentiellement Hutu avait peur du FPR, donc le souci de se défendre contre le FPR, à mon avis, à mon estime en tout cas…

Le Président : Ca, c’est ce que vous affirmez.

Vincent NTEZIMANA : Oui. Bien sûr.

Le Président : Si on entend des gens du FPR comme certains témoins hier, le FPR, cela fait la guerre, la guerre aux soldats, cela ne fait pas la guerre aux civils.

Vincent NTEZIMANA : Mais le fait est que les gens avaient peur du FPR et qu’ils avaient l’intention de se défendre contre lui et que par conséquent, se défendre contre lui de manière efficace, en légitime défense, je l’estimais tout à fait justifié. Je signale au passage que nous disons, pour barrer la route à l’ennemi.

Le Président : A l’ennemi, oui, oui. Vous ne dites pas au FPR.

Vincent NTEZIMANA : Barrer la route à l’ennemi. Il y en a qui veulent faire sous-entendre qu’il s’agit de l’ennemi de la RTLM ou de Kangura, pour dire : « Voilà en fait, pour eux c’étaient des Tutsi ». Barrer la route, c’est du français, à l’ennemi, c’était l’ennemi qui avance. Barrer la route. On n’a pas dit : « Chasser l’ennemi », on a dit : « Barrer la route », c’était l’ennemi qui avance, l’ennemi qui avançait à ce moment-là était bel et bien le FPR, Monsieur le président.

Le Président : Apparemment, les armes à feu, cela vous intéresse ?

Vincent NTEZIMANA : Vous permettez, Monsieur le président… ?

Le Président : Oui…

Vincent NTEZIMANA : …d’ajouter un témoin qui a fourni son témoignage aux enquêteurs, Gustave MUNYANEZA, précise bien que les gens étaient réquisitionnés pour faire des entraînements au cas où le FPR arriverait. C’est un témoignage qui figure également au dossier.

Le Président : Oui, mais les armes, cela vous intéresse depuis plus longtemps que le mois d’avril 1994.

Vincent NTEZIMANA : Les armes…

Le Président : …parce que je constate que le 2 juillet 1993, le ministre de la défense, le Docteur le témoin 25, vous a établi une autorisation d’acquisition d’armes et de munitions. Il vous écrit dans cette autorisation :

« Monsieur,

En réponse à votre lettre n° (il n’y a pas de numéro) du 10 juin 1993, dont l’objet est en marge, je marque mon accord à votre demande pour l’importation d’un pistolet 7,65mm et vous invite à contacter le service chargé du contrôle des armes pour remplir les formalités ad hoc munies des attestations communales d’usage ».

Je constate que le 27 juillet 1993, un document établi par le colonel BAGOSORA Théoneste, directeur de cabinet de Minadef, je suppose que c’est le ministère de la défense ou quelque chose comme cela, indique que vous êtes autorisé à importer, acquérir aussi, un pistolet 7,65 et 50 cartouches calibre 7,65. Le 13 août 1993, c’est une lettre qui est dactylographiée mais qui ne porte pas de signature, donc je… ce sont des documents qui ont été transmis par la gendarmerie rwandaise, et cela figure au classeur 8, sous-farde 31, pièce 30. Lors de la commission rogatoire, les enquêteurs rwandais reçoivent de la gendarmerie rwandaise ces documents. Le troisième document dont je parle est une lettre, qui ne porte pas votre signature manuscrite mais qui est une lettre dactylographiée datée du 13 août 1993, adressée au ministre de la défense nationale à Kigali :

« Monsieur le ministre,

Par la présente, j’ai l’honneur de m’adresser à votre autorité pour solliciter le prêt d’un pistolet et des munitions auprès du département ministériel dont la direction vous est confiée. En effet, Monsieur le ministre, mes revenus mensuels provenant de mon salaire et de mes indemnités de service ne me permettraient pas d’acquérir directement l’arme sur le marché, compte tenu de son prix. Pour y arriver, je dois encore faire des économies pendant au moins 12 mois. Aussi je vous serais très reconnaissant de me voir prêter le pistolet et les munitions par vos services pendant la période où je réunis encore les moyens de les acquérir. Pour de plus amples informations, je joins une copie de l’autorisation d’acquisition à la présente. Dans l’espoir que ma requête sera analysée de près, je vous prie d’agréer, Monsieur le ministre, l’expression de ma très haute considération ».

Vincent NTEZIMANA : Monsieur le président, je confirme bel et bien que ce courrier a existé. Mais on a déjà souligné les difficultés pour la défense de pouvoir réunir les documents dans la mesure où les documents qui ont été transmis l’ont été, dans une certaine mesure, par des personnalités privées. Pourquoi je viens à ce problème-là ? C’est parce que le ministre répond à une demande que j’avais effectuée pour justifier ma demande de port d’armes. J’ai déjà dit qu’Emmanuel GAPYISI, président du Forum Paix et Démocratie, une association à laquelle j’adhérais, membre du MDR, un leader du MDR, a été assassiné au mois de mai 1993, aussitôt après mon arrivée au Rwanda. A la même époque, les partisans de l’opposition et d’autres membres politiques, d’autres militants politiques étaient assassinés. Cela créait de la peur et le sentiment de me protéger m’a gagné et j’ai fait une demande régulière de port d’armes avec copie au bourgmestre, au préfet. Vous constaterez, Monsieur le président, que la réponse que m’a envoyée le ministre est accompagnée d’une copie au bourgmestre et au préfet. Au commandant de place, je crois aussi, mais le préfet, c’était Jean-Baptiste le témoin 32. Vous comprendrez que si j’avais eu l’intention d’avoir accès à une arme pour des intentions délictueuses, je n’aurais pas donné copie au bourgmestre et au préfet, le préfet Jean-Baptiste le témoin 32. C’était une demande légitime pour me défendre au cas où, parce que, donc, c’était très risqué de prendre des positions politiques dans le climat de l’époque au Rwanda, Monsieur le président.

Le Président : Pourquoi cette arme alors ? Je ne comprends pas bien. Vous qui me semblez peut-être vouloir à la fois vous opposer à… au pouvoir en place, au président le témoin 32 et au FPR, pourquoi avez-vous besoin d’une arme ?

Vincent NTEZIMANA : Mais justement.

Le Président : Parce que vous vous sentez menacé, vous ? Par qui ?

Vincent NTEZIMANA : Absolument, Monsieur le président. Les menaces viendraient de tous côtés, justement, par le fait même que je m’oppose, et publiquement. Je vous signale tout de même qu’à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de gens qui osaient parler. Quand je m’oppose au régime d’un côté et que je m’oppose au FPR de l’autre côté, cela ne fait qu’augmenter le nombre d’adversaires et j’observais, tous les témoins pourraient vous le confirmer, il y avait des assassinats d’hommes politiques. J’avais des positions politiques qui auraient pu m’attirer des ennuis. Eh bien, j’ai pris peur. Je me suis dit : « Au cas où je serais attaqué chez moi, au cas où je serais attaqué chez moi, je pourrais éventuellement me défendre ». Par la même occasion, je vous signale que cela m’a aussi influencé dans la recherche d’une maison, j’ai cherché une maison clôturée. J’ai dû demander les services d’un gardien, ce qui n’était pas toujours le cas pour tous mes collègues, et d’un chien qui pouvait l’aider pour protéger ma maison. Donc, ce n’est pas le seul moyen que j’ai envisagé pour me défendre. Il y a ces mesures-là que j’ai prises mais j’ai aussi demandé de pouvoir avoir accès, de pouvoir avoir une arme chez moi pour le cas où je serais attaqué, Monsieur le président, les attaques pouvant émaner de gens que je critiquais, des blocs que je critiquais, le MRND, le régime et le FPR, Monsieur le président. Les crimes étaient bel et bien là, les crimes politiques existaient, tous les témoins pourraient le confirmer, Monsieur le président.

Le Président : Vous semblez donc déjà, en juillet 1993, ne plus avoir confiance en un règlement pacifique de tous ces problèmes ? Si vous vous sentez menacé, si vous vous dites : « Il faut que je m’arme, c’est que… », « Il serait utile que je sois armé pour pouvoir me défendre », c’est que vous n’avez pas, déjà en juillet 1993, une très grande confiance dans un règlement pacifique de la situation. Or, août 1993, un mois plus tard, ce sont les accords d’Arusha. 

Vincent NTEZIMANA : Il y avait une forte crainte, effectivement, il y avait une forte crainte. Tous les observateurs vous le diraient : alors qu’on signait, il y avait des discours à gauche et à droite tendant à réfuter les accords d’Arusha, il y avait des assassinats qui continuaient. Les leaders politiques, y compris ceux de l’opposition, plutôt que de s’atteler à résoudre ces problèmes de violence, étaient plutôt concentrés sur des querelles intestines entre les partis, des insultes, et c’était inquiétant, Monsieur le président, et un témoin a déjà fait part d’un courrier que je lui ai transmis en juillet 1993 et qui figure au dossier, où je lui fais part de mes craintes et où je lui dis que les violences s’accentuent de jour en jour et que j’ai l’impression que les dirigeants ne prennent aucun… aucune disposition pour les combattre et que cela fait peur. Donc, c’est une crainte qui existait et que j’ai exprimée. Je l’ai exprimée. Effectivement, la crainte était là. Il y avait des violences. J’espérais toujours. J’espérais toujours qu’elles ne se produiraient pas, mais la crainte était là.

Le Président : Bien. Les membres du jury ou les assesseurs souhaitent-ils, à ce stade-ci, déjà poser des questions à Monsieur NTEZIMANA ? Les membres du jury, oui ? Oui, Monsieur le 6e Juré ? Il faudrait qu’on vous apporte un micro.

Le 6e Juré : Je voudrais demander à Monsieur NTEZIMANA si, pour lui, Monsieur KARENZI était un ami proche.

Vincent NTEZIMANA : KARENZI était un proche, oui.

Le 6e Juré : Et quand il a appris la mort de Monsieur KARENZI?

Le Président : Quand avez-vous appris la mort de Monsieur KARENZI ?

Vincent NTEZIMANA : Quand je l’ai appris, je ne sais pas dire la date exacte, le 20 ou le 21, c’était dans le courant d’un après-midi. Je l’ai appris précisément de Jean-Bosco SEMINEGA, j’étais chez lui avec d’autres et il nous a appris la mort de KARENZI. Je venais de passer quelques heures chez eux.

Le 6e Juré : Et après avoir appris la mort de Monsieur KARENZI, qu’est-ce qu’il a fait ?

Le Président : Vous avez fait quelque chose de particulier en ayant appris la mort de Monsieur KARENZI ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, j’ai téléphoné dans le courant de la soirée pour voir…

Le Président : A qui ?

Vincent NTEZIMANA : Chez lui, j’ai téléphoné chez lui mais personne n’a répondu. J’ai téléphoné chez lui, je l’ai déclaré, Monsieur le président, je l’ai déclaré déjà, dès mon arrestation. Et je me suis rendu le lendemain chez lui pour voir.

Le Président : Vous êtes allé chez lui le lendemain ?

Vincent NTEZIMANA : Je suis allé chez lui le lendemain. Et…

Le Président : Seul ?

Vincent NTEZIMANA : Je suis allé avec Bernard.

Le Président : le témoin 93.

Vincent NTEZIMANA : le témoin 93. Et quand j’ai ouvert la porte, il y avait le corps de sa femme qui gisait, qui gisait sur le sol.

Le Président : Est-ce que vous avez fait quelque chose à ce moment-là en ce qui concernait le corps de l’épouse de Monsieur KARENZI ? A ce moment-là ?

Vincent NTEZIMANA : A ce moment même, non. J’ai refermé la porte. Il y avait une réunion de quartier au sujet de l’insécurité et j’ai évoqué la présence d’un corps au cours d’une réunion de quartier, d’un corps chez les KARENZI, oui.

Le Président : Est-ce que vous avez entrepris quelque chose à un autre moment en ce qui concerne ce corps ?

Vincent NTEZIMANA : En ce qui concerne, s’il vous plaît ?

Le Président  : Avez-vous, à un autre moment, entrepris quelque chose en ce qui concernait le corps de Madame KARENZI ?

Vincent NTEZIMANA : A ce moment-là, quand j’ai signalé la présence du corps de KARENZI, les responsables de zone dans les réunions s’occupaient aussi de contacter les autorités préfectorales pour leur dire qu’il y a des corps ici et là dans les rues, dans les maisons.

Le Président : Est-ce que vous êtes retourné à un autre moment dans la maison de Monsieur KARENZI pour voir ce qu’il était advenu du corps de son épouse ?

Vincent NTEZIMANA : A un autre moment, je ne m’en souviens plus. Je ne me souviens plus, Monsieur le président.

Le Président : Qui était votre chef de zone à vous ?

Vincent NTEZIMANA : C’était le témoin 93, donc c’est…

Le Président : Ca, c’est le chef de zone ?

Vincent NTEZIMANA : Local, c’était le chef de zone local. En fait il y avait des zones et des sous-zones en quelque sorte. Le chef de zone était RUTAYISIRE Jean-Népomucène, je crois.

Le Président : Celui avec lequel vous avez signé ce document destiné au commandant de place de Butare ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact.

Le Président : Relatif à l’entraînement de tir à l’arme à feu ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact. Mais à la réunion, je l’ai signalé, se trouvait presque tout le monde qui habitait le quartier.

Le Président : Bien. D’autres questions ?

Le 6e Juré : Est-ce qu’il a reçu l’arme qu’il a demandée ?

Le Président : Vous n’avez pas reçu l’arme que vous avez demandée ? Vous aviez une autorisation d’acquérir une arme, mais vous n’en avez pas acquise, et vous n’avez pas reçu d’arme en prêt ?

Vincent NTEZIMANA : Non, je ne l’ai pas reçue. J’ai eu une réponse négative.

Le Président : D’autres questions parmi les membres du jury ?

Juré non précisé : Pourrait-on savoir à quel moment de la journée ou de la nuit avaient lieu lesdites rondes ?

Le Président : Oui, les rondes, cela se passait quand ? Pendant la journée ? Pendant la nuit ? A partir d’une certaine heure ?

Vincent NTEZIMANA : Oui. Les équipes se relayaient de 6h à 6h. Il y avait des équipes de jour et des équipes de nuit.

Le Président : Donc, cela fonctionnait 24h sur 24 ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact, Monsieur le président.

Le Président : D’autres questions ? Madame le 3e Juré suppléant ?

Le 3e Juré suppléant : Oui. Monsieur le président, je voulais demander le relais des rondes qui se faisaient la nuit et le jour, le relais se faisait à quelle heure ?

Vincent NTEZIMANA : A… Je peux ?

Le Président : Oui, oui, je vous en prie.

Vincent NTEZIMANA : A 6h. De 6h à 6h.

Le Président : C’était de 6h du matin à 6h du soir, de 6h du soir à 6h du matin ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact, Monsieur le président.

Le 3e Juré suppléant : Monsieur le président, je voudrais aussi demander une autre chose. Est-ce que Monsieur NTEZIMANA peut confirmer qu’à 19h il fait noir ?

Vincent NTEZIMANA : Tout à fait. Au Rwanda, il fait noir à 19h.

Le 3e Juré suppléant : Merci.

Le Président : Autre question. S’il fait noir, est-ce qu’il y a de l’éclairage public, éventuellement, qui fonctionne à Butare, notamment à proximité de la barrière où on dit qu’on a tué un jeune homme ? Est-ce qu’il y a un lampadaire ?

Vincent NTEZIMANA : En fait, Butare avait été alimentée en éclairage public mais suite à la guerre, une station… une centrale électrique avait été endommagée et donc les villes n’étaient plus fournies en électricité depuis un bout de temps. Surtout l’éclairage public était stoppé pour pouvoir, quand il y en avait, quand il y avait du courant, les villes alternaient ou alors des quartiers alternaient, et quand il y en avait, il n’y avait pas d’éclairage public. Avec la reprise de la guerre, le 6 avril, cela s’est empiré, on n’a plus eu d’électricité.

Le Président : Et vos rondes de nuit, vous ne vous cassiez jamais la figure dans les chemins de Butare, ou vous aviez peut-être des lampes de poche, je ne sais pas ?

Vincent NTEZIMANA : On marchait dans la rue.

Le Président : Dans le noir ? Sans utiliser aucun moyen d’éclairage ?

Vincent NTEZIMANA : Non. Parfois il y avait qui avaient des lampes…

Le Président : Des lampes camping gaz ? Je veux dire qu’il y a toutes sortes de modes d’éclairage.

Vincent NTEZIMANA : Moi, je n’avais pas de lampe torche. Il y en avait probablement qui en avaient mais, théoriquement, on n’avait pas nécessairement une lampe torche.

Le Président : Monsieur le 6e Juré ?

Le 6e Juré : Est-ce que sur les barrières, ceux qui tenaient les barrières, ils avaient des lampes torches ?

Vincent NTEZIMANA : Dans la rue où j’habitais, nous n’avons pas tenu les barrières. Nous avons…

Le Président : Le jury voudrait savoir si, aux barrières, il y avait des gens qui avaient des lampes torches.

Vincent NTEZIMANA : Quand je suis passé à la barrière, si vous visez précisément la barrière…

Le Président : Aux barrières, c’est la question du juré, est-ce qu’il y avait des gens qui avaient des lampes torches ?

Vincent NTEZIMANA : Vous comprendrez, Monsieur le président, que je n’ai pas pu circuler aux barrières.

Le Président : Enfin, vous faisiez des rondes… 

Vincent NTEZIMANA : Ah oui, si vous le permettez, les rondes se faisaient dans la rue où l’on habitait. Quand on passait…

Le Président : Sans passer les barrières ?

Vincent NTEZIMANA : Il y a des rues qui étaient… où il y avait des croisements et les barrières se trouvaient dans des carrefours, en fait, les barrières se trouvaient dans des carrefours et la barrière dont il a été question était un carrefour entre deux rues. Devant la maison où j’habitais, la rue n’était pas coupée par un carrefour et il n’y avait pas de barrage, nous faisions des mouvements de…

Le Président : D’allées et venues, d’un bout à l’autre.

Vincent NTEZIMANA : D’allées et venues dans la rue. Alors, on me demande de dire si aux barrières, il y avait des lampes torches. Il aurait fallu que j’y aille. Je ne suis pas allé contrôler des barrières d’autres personnes.

Le Président : Bien. Donc, vous êtes passé une seule fois à une barrière. Cette fois-là, y avait-il à cette barrière, des gens avec une lampe torche ?

Vincent NTEZIMANA : A cette barrière-là, je suis passé plusieurs fois pendant la journée et cette fois-là, c’était en début de soirée, je n’ai pas vu de lampe torche.

Le Président : D’autres questions de la part des membres du jury ? Madame le 10e Juré ?

Le 10e Juré : Monsieur le président, j’aurais voulu poser une question d’ordre un peu plus général qui n’est pas destinée à l’accusé, mais je voulais savoir en fait s’il y avait moyen de recueillir, via les centraux téléphoniques, des informations sur les communications qui étaient passées ?

Le Président : Cela a été tenté par le juge d’instruction lors de l’exécution d’une ou des commissions rogatoires. Chez nous, c’est possible. Là il a été répondu que ce n’était, en tout cas à ce moment-là, pas possible.

Le 10e Juré : Merci.

Le Président : Sinon effectivement, de manière générale je peux vous dire, d’ailleurs la loi le prévoit, il y a des dispositions du Code d’instruction criminelle qui prévoit la manière dont le juge d’instruction doit procéder pour obtenir, il doit justifier, il doit rendre une ordonnance pour obtenir des renseignements en ce qui concerne, ne fût-ce que l’identification des numéros appelés dans le passé, dans le futur, entrants et sortants, cela existe effectivement. Il peut aussi même demander des écoutes téléphoniques. Cela se pratique aussi de manière légale chez nous lorsque les centrales le permettent. Cela n’a pas été possible de vérifier. Ceci a été effectivement un problème puisqu’il y aurait eu, selon un témoin, un appel téléphonique parti de la maison de Monsieur KARENZI à destination d’un prénommé Vincent. La vérification aurait été évidemment intéressante mais il n’y a pas eu de résultat à cette demande du juge d’instruction. Euh… voilà. Donc, théoriquement c’est possible, en l’espèce il n’y a pas eu de renseignements obtenus. D’autres questions ?

L’Avocat Général : L’accusé peut-il nous resituer la date exacte à laquelle les listes ont été établies ?

Le Président : Les listes des personnes ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, comme je vous l’ai dit, Monsieur le président, les démarches ont commencé, donc les premières demandes… j’ai reçu les premières demandes, je dirais, aux alentours du 12, mais je ne peux pas être précis au jour près, je n’avais pas d’agenda pour marquer : voilà, tel jour je fais ceci, je fais cela.

Le Président : Aux environs du 12 avril ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, du 12 avril. D’autres demandes ont suivi et donc je leur disais qu’ils devaient se concerter entre eux. La démarche d’inscription a dû durer 3-4 jours. Quand j’ai écrit au vice-recteur, je fais une estimation, je peux dire le 14-15, et la réponse m’a été fournie le lendemain ou deux jours après, donc ce serait, je dirais le 15-16.

L’Avocat Général : Autre question. L’accusé peut-il nous éclairer sur sa relation avec le vice-recteur, Monsieur NSHIMYUMUREMYI parce que certains témoins, dont un viendra témoigner ici, qui disent que Monsieur NTEZIMANA était le bras droit du vice-recteur.

Vincent NTEZIMANA : J’ai consulté comme vous ce témoignage. Comme je l’ai expliqué, j’étais président de l’APARU et donc président du syndicat de notre association. Nous avions, fin 1993, un problème. Nous contestions la manière dont les logements étaient attribués aux professeurs de l’université et nous avons fait une grève. Nous avons arrêté les cours pendant trois jours et nous nous sommes organisés pour discuter avec les autorités de l’université afin de faire valoir nos droits. Mes collègues m’ont choisi comme porte-parole, je vais vous donner une anecdote. Je me souviens quand nous sommes allés voir le vice-recteur, sa secrétaire, dont le bureau était en face, nous a dit qu’il n’était pas là. Nous n’en étions pas convaincus. Nous avons frappé à la porte, j’étais devant. J’ai ouvert la porte. J’ai constaté qu’il n’y avait personne. Il y avait d’autres de mes collègues derrière moi. La personne qui était juste derrière moi a dit : « La chaise est vide ». Quand le vice-recteur, vous imaginez quand le vice-recteur… en fait, les bruits ont couru comme quoi c’est moi qui l’aurais dit. La réalité, c’est la personne qui était derrière moi qui a dit que la chaise était vide mais le vice-recteur a appris que c’était moi parce que la fois suivante, quand on a été le voir, il était furieux. Il m’a dit textuellement : « Si tu veux prendre ma chaise, vas-y ». Alors, on a beau dire des choses, cela n’est pas le cas d’un bras droit du vice-recteur. Le témoin fait des affirmations mais j’ignore sur quelles bases il se fonde, Monsieur le président.

L’Avocat Général : L’accusé connaissait-il les opinions politiques ou ethniques du vice-recteur qui, par plusieurs survivants, est indiqué comme un des principaux responsables de massacres à Butare ?

Vincent NTEZIMANA : Je savais que le vice-recteur était membre du MRND. Ceci étant, je n’ai jamais discuté de politique avec lui, donc je ne peux pas donner un avis ou une opinion sur… une opinion politique de quelqu’un avec qui je n’ai pas discuté de politique.

L’Avocat Général : L’accusé peut-il confirmer qu’il a assisté, avec d’autres d’ailleurs, à une réunion où est venu parler le premier ministre intérimaire… euh… le premier ministre du gouvernement qu’on appelle le gouvernement génocidaire, Monsieur KAMBANDA ?

Vincent NTEZIMANA : Je le confirme parfaitement.

L’Avocat Général : Une autre question, Monsieur le président, si vous permettez. J’ai bien cru comprendre que Monsieur NTEZIMANA est allé porter la liste au domicile du vice-recteur.

Vincent NTEZIMANA : C’est exact.

L’Avocat Général : Que le vice-recteur n’était pas là ou ne pouvait pas le recevoir et qu’il l’a donc remise à la personne qui lui a ouvert la porte ?

Vincent NTEZIMANA : Je le confirme.

L’Avocat Général : Est-ce que, ça c’est une autre question. Cette liste contenait donc des noms de personnes désirant quitter le Rwanda, c’était donc une liste extrêmement sensible. Est-il concevable que Monsieur NTEZIMANA remette cette liste à une personne qui n’est pas le vice-recteur et sans s’enquérir plus tard quoiqu’il en arrive, qu’il n’a pas vérifié que cette liste soit effectivement remise entre les mains du destinataire ?

Le Président : Oui. Je crois que vous avez dit avoir reçu un accusé de réception ?

Vincent NTEZIMANA : Non, j’ai téléphoné pour lui demander quelle en était la réponse. Il m’a dit ce jour-là, ce soir-là : « Je vais réfléchir ». Le lendemain, il m’a dit au téléphone qu’il avait appris qu’il y avait des barrières qui étaient déjà installées sur la route qui mène de Butare vers Akanyaru et que, par conséquent, il ne pouvait pas envoyer des convois de l’université sur la route, parce que les Tutsi seraient triés et tués. J’ai bel et bien vérifié parce que je lui ai téléphoné le soir et il m’a confirmé qu’il avait reçu ma demande.

L’Avocat Général : Oui, mais je ne mets pas du tout en doute que le vice-recteur ait reçu cette liste, d’ailleurs les résultats sont là pour le prouver. Ce que je mets… ce que je me demande, c’est s’il est normal que Monsieur NTEZIMANA remette cette liste non pas en mains propres mais la confie à une personne qui l’a apparemment remise à Monsieur le vice-recteur, mais qu’il remette comme cela, une liste qui contient quand même des données extrêmement sensibles, à cette personne-là ?

Vincent NTEZIMANA : J’ai remis un courrier auquel étaient annexées les listes. Le courrier était fermé. La personne qui est venue m’ouvrir la porte, je suppose, était une personne de confiance du vice-recteur. Donc, je lui ai remis le courrier en lui demandant du lui remettre et j’ai vérifié dans la soirée, par téléphone, s’il avait bien reçu mon courrier. J’ai pris les dispositions au cas où il ne l’aurait pas reçu. Je me serais inquiété. Mais là, il m’a confirmé qu’il avait reçu mon courrier.

L’Avocat Général : L’accusé peut-il confirmer qu’il utilisait, je suis dans un autre plan du dossier, le fax de l’ESO, donc le fax du capitaine NIZEYIMANA, pour, par exemple, communiquer ici avec l’UCL ?

Vincent NTEZIMANA : S’il vous plaît ?

L’Avocat Général : Est-ce que vous pouvez confirmer que vous utilisiez pendant les événements le fax de l’ESO de Monsieur NIZEYIMANA, pour communiquer ici avec l’UCL, entre autres avec Monsieur GALLEE ?

Vincent NTEZIMANA : Pendant les événements, non. Je le nie. Je n’ai pas fait… je n’ai jamais communiqué avec Monsieur GALLEE pendant les événements, vous avez dit, après le 6 avril, par fax.

L’Avocat Général : Est-ce que vous avez utilisé le fax de l’ESO ?

Vincent NTEZIMANA : J’ai demandé en 1993, à Ildephonse NIZEYIMANA d’envoyer un fax chez lui. Il faut savoir que les fax étaient très rares, que cela coûtait très cher, de m’envoyer un fax, un courrier, à des connaissances, effectivement. Mais c’est en 1993, et pas en 1994.

L’Avocat Général : Une dernière question. Vous avez fait allusion à certains documents, Monsieur le président. Parmi les documents qui ont été retrouvés dans le bureau de Monsieur NTEZIMANA, il y a un document.

Le Président : Le bureau de Monsieur NTEZIMANA…

L’Avocat Général : A l’UNR à Butare, il y a un document qui est en kinyarwanda, dont la traduction figure ici au dossier, qui est du 10 février 1994 et qui est adressé, qui commence par : « Chère famille ». Est-ce que Monsieur NTEZIMANA sait de quel document il s’agit, sinon je donnerai la référence : c’est le classeur 32, sous-farde 111, j’ai le texte ici.

Vincent NTEZIMANA : J’ai constaté la présence de documents que je n’ai pas reconnus dans le dossier et j’ai appris, en consultant le dossier, que ces documents avaient été transmis par GASANA Ndoba en 1997 en prétendant que ces documents provenaient du bureau que j’occupais avant le 6 avril 1994 à l’université. Je signale, je signale que ce bureau était occupé depuis 1994 jusque 1997, et je signale aussi que, lors des commissions rogatoires, on a fait état de cartes de la CDR, de foulards de la CDR, de cartes vierges de la CDR, de slogans de la CDR dans mon bureau mais qu’un autre enquêteur rwandais, cela se trouve au dossier, un certain HATSINDINTWARI je crois, qui a pisté, qui a suivi la piste de ces documents, a pu constater que ces documents provenaient du bureau de la Sûreté de Butare, ce qui n’a pas empêché un témoin d’affirmer que ces documents provenaient de mon bureau. Je n’ai pas vu, je n’ai pas vu, nulle part, dans le dossier où l’on évoque la présence chez moi, de documents du MDR, du PRD, du… du… de l’APARU. Il est à se demander si ces documents dont on parle proviennent bel et bien de mon bureau. J’étais tout de même secrétaire général du PRD. J’étais… j’avais été membre du MDR, je possédais des documents du parti auquel j’ai appartenu, il est tout de même étonnant, étonnant, qu’on amène des documents d’autres partis, des documents non signés, alors que pistés, un enquêteur constate qu’ils proviennent de la Sûreté, de la Sûreté et qu’on dise qu’on les a obtenus, qu’on les a recueillis dans mon bureau.

L’Avocat Général : Ici, je ne parle pas d’un document politique. Je parle d’une lettre qui est adressée à la famille, sur laquelle figurent votre nom, votre adresse, votre numéro de téléphone, et qui est datée du 10 février 1994. Une autre petite sous-question : votre troisième enfant est né quand ?

Vincent NTEZIMANA : Mon enfant est né, le troisième, il est né le 22 mai 1994.

L’Avocat Général : Je me demande parce que cette lettre dit :

« Chère famille,

Comment allez-vous ? Désiré nous a appris que la famille s’est agrandie avec la naissance d’une fille. Nous vous en félicitons. Nous aussi nous sommes dans l’attente d’un autre dans quelque cinq mois ». 

Donc, la personne… votre thèse est de dire que cette lettre n’est même pas de vous ?

Vincent NTEZIMANA : Cette lettre n’est pas de moi. Cette lettre n’est pas de moi. Je rappellerai…

L’Avocat Général : Peut-être une personne qui vous connaît fort bien alors, et qui connaît très bien votre situation familiale, et même plus loin que cela.

Vincent NTEZIMANA : Je rappellerai, Monsieur le président, que d’autres faux qui me sont attribués, là ils ont été malins, ils n’ont pas mis d’imitation de ma signature, il y a d’autres faux qui correspondraient aux déclarations que des témoins m’attribuent, où la vérification concrète faite a révélé que ce n’étaient pas mes documents. Je ne suis pas dans l’esprit des gens qui fabriquent des faux, de pouvoir évaluer leur art.

L’Avocat Général : Je m’arrêterai ici, je ne donnerai pas de commentaires sur le contenu. J’utiliserai cela en d’autres termes, le contenu que je lirai à ce moment-là, est fort clair.

Le Président : Bien. Maître Clément de CLETY ?

Me. de CLETY : Monsieur le président, il y a une chose qui, dans les déclarations de l’accusé NTEZIMANA, échappe à mon entendement et je voudrais que vous demandiez quelques éclaircissements. Si je reprends la chronologie des faits, l’avion présidentiel est abattu le 6 et la région… et le génocide commence dans les heures qui suivent, et dès le 7, c’est en fait à peu près tout le Rwanda qui est à feu et à sang si ce n’est la région de Butare qui reste un havre de paix jusqu’au 20, lendemain du discours du président SINDIKUBWABO. Alors, moi je m’interroge et je voudrais comprendre pourquoi est-ce que le 12, quelles étaient les motivations le 12, des gens qui habitaient Butare pour vouloir fuir ce havre de paix et aller s’installer à Gisenyi par exemple qui était déjà en pleine situation de tueries d’autant qu’on savait - puisque la radiotélévision des Mille Collines répétait à qui voulait l’entendre - qu’il y avait des barrages partout et invitait d’ailleurs la population à y participer. C’est un peu comme si, entre 40 et 42, c’était les Français qui voulaient fuir la zone libre pour aller en zone occupée. Donc, je voudrais comprendre quelles étaient les motivations de ces gens qui fuyaient cette zone tranquille pour aller rejoindre la guerre et le génocide.

Vincent NTEZIMANA : Monsieur le président, j’ai répondu à une demande de mes collègues. Chacun avait ses motivations. Mes collègues m’ont demandé d’effectuer une démarche d’évacuation pour rejoindre les lieux où ils se sentaient le plus en sécurité. Chacun allait où il souhaitait. J’ai effectué la démarche d’évacuation en fonction des demandes, je n’ai pas examiné le bien-fondé ou pas des raisons. Je ne leur ai pas demandé les raisons. Ils se sont fait inscrire et j’ai effectué la démarche en leur nom et je n’ai pas demandé les raisons à chacun, je ne les ai même pas rencontrés tous, j’ai rencontré ceux qui m’ont apporté leur liste.

Le Président : D’autres questions ? Oui, Maître HIRSCH.

Me. HIRSCH : Monsieur le président, Monsieur NTEZIMANA nous a appris aujourd’hui, en tout cas en ce qui me concerne, deux choses sur le déroulement des faits en ce qui concerne la mort de Monsieur KARENZI. La première chose qu’il a dite et qui ne figure pas au dossier, c’est qu’il a appris la mort de Monsieur KARENZI, non pas par la rumeur comme il l’a déclaré dans le dossier en premier lieu, mais par Jean-Bosco le témoin 150 qui est donc un voisin de Monsieur NTEZIMANA. La première question que je voulais… que je souhaiterais que vous posiez à Monsieur NTEZIMANA, c’est : où se trouvait-il au moment où il apprend, donc par Monsieur Jean-Bosco SEMINEGA, la mort de Monsieur KARENZI et environ quelle heure est-il ?

Le Président : Vous vous souvenez de cela ?

Vincent NTEZIMANA : Je crois l’avoir précisé au cours des interrogatoires, que quand j’ai appris la mort de KARENZI à l’hôtel Faucon, quand je l’ai appris, j’étais chez des voisins, je l’ai déjà précisé. Je n’ai pas évoqué, effectivement, le nom du témoin qui me l’avait dit, dans l’espoir qu’il l’aurait confirmé aux enquêteurs, parce que j’ai demandé aux enquêteurs qu’ils puissent l’entendre. Je ne l’ai pas… à cette époque-là, je n’ai pas cité le nom, on ne me l’a pas demandé mais je l’aurais cité, ce n’était pas dans l’intention du cacher.

Le Président : C’est curieux de ne pas citer le nom d’un témoin dont on aimerait bien qu’il vienne confirmer. C’est peut-être mieux que les enquêteurs sachent de qui il s’agit pour pouvoir…

Vincent NTEZIMANA : Je l’ai cité comme témoin. Je l’ai cité comme témoin et j’ai dit : « Voilà, quand j’ai appris la mort des KARENZI, j’étais chez Madame le témoin 143 ».

Le Président : Donc, dans la maison de Madame le témoin 143 qui était à l’époque occupée, où logeait Monsieur le témoin 150 Jean-Bosco.

Vincent NTEZIMANA : le témoin 150 Jean-Bosco et d’autres personnes. Et j’ai dit : « Certaines de mes déclarations pourraient être confirmées par le témoin 150 Jean-Bosco ». Je l’ai dit.

Le Président : Et donc, c’est le témoin 150 Jean-Bosco qui vous l’a appris ou la rumeur ?

Vincent NTEZIMANA : C’est le témoin 150 Jean-Bosco qui me l’a appris.

Le Président : Bien. Vous vous trouvez chez… enfin, dans cette maison, la maison de Madame le témoin 143 et de son mari, mais occupée par d’autres, dont le témoin 150 Jean-Bosco. A quelle heure est-ce qu’il vous apprend cela ?

Vincent NTEZIMANA : C’est dans l’après-midi. Je ne sais pas dire si c’est 14h00, 15h00 ou 15h et demie, c’est dans le courant de l’après-midi.

Le Président : Dans le courant de l’après-midi du… ?

Vincent NTEZIMANA : Du 20 ou du 21. Pour la date, là vous m’excuserez.

Le Président : Du 20 ou du 21 ?

Vincent NTEZIMANA : Du 20 ou 21.

Le Président : Du 20…

Vincent NTEZIMANA : Du 20 ou 21.

Le Président : Du 20 ou du 21 avril. C’est la réponse de Monsieur NTEZIMANA.

Me. HIRSCH : Je vous remercie, Monsieur le président. Elle est… Monsieur NTEZIMANA a manifestement une excellente mémoire pour certaines choses mais il ne se rappelle pas de la date de la mort de Monsieur KARENZI. Donc, le décès de Monsieur KARENZI est du 21 avril et dans le dossier, Monsieur NTEZIMANA a effectivement déclaré à un moment qu’il se trouvait chez des voisins quand il a appris, vers 13h00 ou 14h00, la mort de Monsieur KARENZI. Alors, la deuxième question que j’aurais voulu poser, Monsieur le président, par votre intermédiaire, rejoint la question qui a été posée par Monsieur le 6e Juré qui a demandé : « Qu’est-ce que Monsieur NTEZIMANA avait fait quand il avait appris la mort de ce proche collègue à l’université, proche voisin, donc vers 13h00 ou 14h00 ? ». Dans le dossier, Monsieur NTEZIMANA nous dit que, comme il en avait l’habitude, il a été passer l’après-midi à jouer aux cartes avec des copains. J’aimerais savoir ce qu’il a fait entre le coup de téléphone qu’il aurait donné dans la soirée et l’après-midi, après 13-14h00.

Le Président : Dans l’après-midi, 13h-14h00, 14h30, vous apprenez par Jean-Bosco SEMINEGA le décès de Monsieur KARENZI.

Vincent NTEZIMANA : Oui.

Le Président : Vous avez expliqué tout à l’heure que dans la soirée, vous aviez, depuis chez vous, téléphoné au numéro attribué à la famille KARENZI sans obtenir de réponse.

Vincent NTEZIMANA : C’est exact.

 Le Président : Entre le moment où vous apprenez le décès de Monsieur KARENZI et cet appel téléphonique, qu’est-ce que vous faites ?

Vincent NTEZIMANA : Ce que j’ai fait, j’ai quitté, c’est dans l’après-midi, pour l’heure, Monsieur le président, on peut se tromper, hein, entre 14h00 et 15h00 ou 13h00, j’ai bien précisé que c’est dans l’après-midi. Quand je quitte la maison où étaient Jean-Bosco et d’autres, je me suis rendu là où était Jean-Baptiste MUKIMBILI, chez le capitaine NIZEYIMANA, où je suis resté un peu de temps et je suis rentré, euh… en fin d’après-midi.

Le Président : Vous êtes allé chez le capitaine NIZEYIMANA.

Vincent NTEZIMANA : Oui mais…

Le Président : Il n’était pas là. Vous y avez fait quoi ?

Vincent NTEZIMANA : J’ai discuté avec les personnes qui étaient chez lui.

Le Président : Vous discutiez de quoi comme cela ?

Vincent NTEZIMANA : On jouait aux cartes, on passait le temps.

Le Président : Vous jouiez aux cartes… Il y a quelque chose qui me surprend assez chez un homme comme vous, Monsieur NTEZIMANA, qui êtes vice-président d’un parti politique qui vient de se créer au mois d’août 1993, qui sembliez être quand même impliqué très politiquement, je ne critique pas vos opinions politiques, je dis que vous êtes actif, actif politiquement, ici en Belgique quand vous êtes étudiant, au Rwanda aussi. Et, curieusement, pour un homme qui aime tant être actif politiquement, quand vous êtes avec des gens… Vous êtes avec le vice-recteur, vous ne parlez pas de politique ; vous êtes avec vos collègues, vous ne parlez pas de politique ; vous êtes avec le capitaine NIZEYIMANA, vous jouez aux cartes… Il y a quelque…

Vincent NTEZIMANA : Excusez-moi…

Le Président : Quelque chose que je ne comprends pas. Il y a des heures pour parler politique ou…

Vincent NTEZIMANA : Excusez-moi, Monsieur le pr…

Le Président : …est-ce qu’on ne fait que parler politique sans en parler ? C’est-à-dire en écrivant des choses uniquement ? 

Vincent NTEZIMANA : Excusez-moi, Monsieur le président, je n’ai pas dit que le capitaine NIZEYIMANA était là.

Le Président : Non, non. Mais à d’autres endroits, vous dites : « On se rencontrait, on allait jouer aux cartes, on se rencontrait aussi dans un autre établissement, parfois on joue aux cartes ».

Vincent NTEZIMANA : Je n’ai pas nié qu’on discutait de politique avec le capitaine NIZEYIMANA. Je crois que la question ne m’a pas été soumise, Monsieur le président. Je n’ai pas dit que je n’ai jamais discuté de politique avec lui. Quant au vice-recteur, nous avions des relations professionnelles, je ne me suis jamais rendu chez lui dans sa maison, j’ai été chez lui, la, donc, la…

Le Président : La seule fois où vous êtes allé chez lui, c’est pour porter les listes ?

Vincent NTEZIMANA : C’est exact. Pour porter le courrier.

Le Président : Pour porter le courrier auquel étaient annexées les listes.

Vincent NTEZIMANA : Pour porter le courrier. Et, donc, j’avais des relations professionnelles avec le vice-recteur. Je n’ai pas eu l’occasion de discuter avec lui de politique. En 1994, quand je me suis rendu chez le capitaine NIZEYIMANA, où logeaient deux autres familles avec qui j’avais… j’ai passé le temps, ce sont des personnes qui avaient fui. Je crois que parler de politique, venir leur parler des partis politiques n’était pas le moment privilégié, Monsieur le président.

Vincent NTEZIMANA : Bien. Oui, Maître HIRSCH.

Le Président : Si vous le permettez, Monsieur le président, je note, ce que nous ne savions pas jusqu’à présent non plus, que Monsieur NTEZIMANA a passé une partie de l’après-midi chez le capitaine NIZEYIMANA qui habite également le même quartier que Monsieur KARENZI, que Monsieur NTEZIMANA et donc que le capitaine NIZEYIMANA, a joué ou a parlé avec des gens, j’aimerais savoir qui d’ailleurs, puisque le capitaine NIZEYIMANA n’était pas là. On sait d’ailleurs que l’après-midi du 21 avril est une après-midi particulièrement meurtrière puisque plusieurs centaines d’étudiants sont massacrés à l’université l’après-midi du 21. Donc, la première question : avec qui était-il chez le capitaine NIZEYIMANA qui n’était pas là l’après-midi du 21 avril ?

Et deuxième chose : nous avons donc également appris, et c’est la troisième information que nous recueillons aujourd’hui, que dans la soirée, Monsieur NTEZIMANA a donné un coup de téléphone, euh… à Madame KARENZI, puisqu’il savait que Monsieur KARENZI était mort. Je souhaiterais savoir, en deuxième question : qu’est-ce qui s’est passé ? Qui a répondu ? Est-ce que quelqu’un a répondu ? Et, dans la mesure où personne n’aurait répondu, comment se fait-il qu’il ne se soit pas inquiété de Madame KARENZI, de Malik, de Solange, des enfants, qu’il connaissait parfaitement bien puisque Monsieur KARENZI était un proche de Monsieur NTEZIMANA ?

Le Président : Bon. Je crois qu’à une de ces questions, il a déjà été répondu qu’il n’avait pas eu de réponse à cet appel téléphonique. L’appel téléphonique chez Monsieur KARENZI le soir, il n’y a pas de réponse ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, et je m’y suis rendu le lendemain matin. Et pour ce qui concerne les personnes qui logeaient chez NIZEYIMANA, sa femme était souvent à la maison. Donc, la famille qui logeait était Jean-Baptiste MUKIMBILI, sa femme et ses deux enfants. Il y avait une autre famille d’un dénommé Callixte mais je ne sais pas dire s’il est Tutsi ou Hutu, il avait deux ou trois enfants, et sa femme était là aussi.

Me. HIRSCH : Pourquoi avez-vous envoyé vos enfants dans votre famille d’origine, le 11 avril ?

Vincent NTEZIMANA : Parce que, en fait, c’était un climat d’insécurité. Même s’il n’y avait pas de violence à Butare, les gens qui venaient de Kigali donnaient des nouvelles de ce qui se passait à Kigali, et il y avait la propagande, il y avait aussi des bruits qui disaient que le FPR pourrait attaquer du Burundi. Donc, j’en ai conclu que le mieux… parce que je me disais : « Tiens, peut-être à la campagne, les guerres sont moins ravageuses », donc je les ai envoyés sur ma colline natale.

Le Président : Oui, Monsieur l’avocat général.

L’Avocat Général : Je voudrais simplement demander confirmation. Monsieur NTEZIMANA nous a expliqué que Monsieur KARENZI était une figure de proue à l’université, une cible privilégiée, cible symbolique. Monsieur NTEZIMANA, par contre, lui, est responsable de l’APARU, président de l’APARU. Il apparaît du dossier que, le 21 avril, vers 13h, 14h ou 15h, il apprend le décès, enfin l’assassinat de Monsieur KARENZI. Est-ce qu’il en a avisé le vice-recteur ou est-ce qu’il a entrepris quelque chose en tant que président de l’APARU, vu sa qualité à lui et vu la stature et la qualité de la victime ? Sauf de jouer aux cartes bien entendu.

Vincent NTEZIMANA : Quand j’ai appris la mort de KARENZI, la personne qui me l’a dit a dit qu’il avait été tué devant l’hôtel Faucon et que tout le monde pratiquement était au courant. Je me suis… je n’ai pas pensé : « Tiens, le vice-recteur est au courant ». Mais, presque tout le monde, disait-il, est au courant. Il a été abattu dans la rue, devant l’hôtel Faucon.

Le Président : Maître BEAUTHIER, qui avait soulevé son doigt un peu avant vous ?

Me. BEAUTHIER : Oui, Monsieur le président, j’ai trois questions à poser à Monsieur NTEZIMANA. J’essaie de comprendre un dossier qui est particulièrement complexe et je voudrais bien qu’on nous explique peut-être, pour les jurés certainement, la topographie de ces parcelles. Parce qu’enfin il y a, au moment des événements, et Maître HIRSCH le dit, beaucoup de bruit, beaucoup de personnes qui meurent dans une ville qui n’est tout de même pas énorme, il y a des rondes et voilà la maison de Monsieur KARENZI qui est envahie à plusieurs reprises par des miliciens ou par des soldats. Est-ce que, première question, Monsieur NTEZIMANA qui était au-dessus des rondes, à côté ou dans les rondes, a entendu que quelqu’un lui a dit que la ronde avait été prise en défaut et qu’on avait attaqué la maison de Monsieur KARENZI ? C’est ma première question.

Le Président : Est-ce qu’on vous a signalé quelque chose à propos des rondes qui n’auraient pas fonctionné dans la rue où habitait Monsieur KARENZI ?

Vincent NTEZIMANA : Mais je… je l’ai déjà dit, une des raisons pour lesquelles j’ai refusé de faire les rondes, c’est parce que j’estimais qu’elles étaient inefficaces. Je ne sais pas si je réponds à la question.

Me. BEAUTHIER : Non.

Vincent NTEZIMANA : Ben… je l’ai mal comprise, alors…

Me. BEAUTHIER : Ces rondes sont organisées, Monsieur y participe, bien forcé, comme, semble-t-il d’autres, dit-il. Elles sont là. C’était l’objet de ma deuxième question : est-ce qu’il ne se situait pas au-dessus des rondes au point qu’il estimait que son statut, représentant syndical, membre d’un parti, secrétaire général d’un parti, ne l’obligeait pas à accomplir ces rondes qui pourtant étaient là, existaient ? Ces rondes devaient sécuriser. Il y a participé. Alors, qu’est-ce qui a fait que, pour les KARENZI, cela n’a pas marché ?

Vincent NTEZIMANA : Dans notre quartier, les rondes obligatoires ont commencé, si je ne me trompe pas, le 25 ou le 26 avril, les rondes obligatoires dans notre quartier. Auparavant, à l’époque du préfet Jean-Baptiste le témoin 32, on pouvait s’organiser comme on l’entendait et la manière qui convenait, qui nous convenait, était d’échanger les numéros de téléphone pour, éventuellement, le cas échéant, nous porter secours. Avant…

Le Président : Donc, quand un témoin dit qu’il y a eu un appel téléphonique, ce n’est peut-être pas…

Vincent NTEZIMANA : Qu’il y a un ap…

Le Président : …de la maison de Monsieur KARENZI vers un prénommé Vincent, c’est peut-être bien une utilisation du système normal de sécurité à cette époque-là, dans votre quartier ?

Vincent NTEZIMANA : Monsieur le président, je vous ai expliqué hier que, quand on m’a interrogé lors de mon arrestation, sur la mort de KARENZI, on m’a demandé si nous étions proches, si nous avions échangé les téléphones, on n’a même pas dû me le demander, je l’ai signalé moi-même. Et j’ai été étonné parce qu’ils m’ont dit : « Ah bon, voilà, tu as reçu un coup de fil auquel tu as répondu qu’il fallait tuer la femme », donc, la femme de KARENZI. Le coup de fil ne m’a jamais été donné.

Le Président : Vous ne l’avez jamais reçu ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, je ne l’ai jamais reçu.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, la deuxième question. Monsieur KARENZI est donc un professeur reconnu dont Monsieur NTEZIMANA a dit qu’il était, et Monsieur l’avocat général l’a rappelé, quelque part sous le feu des critiques et en tout cas convoité par ses ennemis. C’était un homme assez âgé, c’était un homme qui forçait l’estime. Voilà donc un de ses voisins tout proche, si j’ai bien entendu hier, c’était à 15 mètres ou 20 mètres, la distance qui sépare les deux habitations, alors comment Monsieur NTEZIMANA, qui accueille des gens chez lui, peut-il m’expliquer que quelqu’un qui est la cible reconnue depuis longtemps, passe après, en fait, d’autres personnes comme les deux jeunes filles qui vont être tuées ? Pourquoi, alors que sa maison était pratiquement vide, n’a-t-il pas proposé, puisqu’elle était protégée, que Monsieur KARENZI et sa famille viennent éventuellement habiter chez lui ?

Le Président : Oui.

Vincent NTEZIMANA : Nous étions voisins mais pas de 20 mètres. Il y avait trois maisons entre nos résidences et comme je l’ai dit, j’ai proposé à… à le témoin 142 et Longin de venir chez moi parce qu’ils envisageaient d’aller loger à l’hôtel Faucon et je leur ai dit : « C’est très dangereux ». J’ai proposé aux deux jeunes filles et à Innocent NKUYUBWATSI parce que le capitaine NIZEYIMANA se plaignait que sa maison était débordée. En ce qui concerne le professeur KARENZI, avec qui j’avais eu des échanges, il ne m’est pas apparu inquiet. Si… on a… allez, au centre-ville, on a été surpris en fait. Au centre-ville, on a été surpris. Aussi, s’il me l’avait demandé, je l’aurais accueilli.

Le Président : Pas de commentaires dans la salle ! Peut-être une dernière question ?

Me. BEAUTHIER : Oui, j’espère que ce sera une dernière question, Monsieur le président. Il est difficile, parce qu’on est tous un peu tentés, quand on voit quelqu’un qui s’enfonce, de se demander pourquoi on en arrive là. Je veux parler de Monsieur NTEZIMANA. Moi, cela me gêne toujours de charger quelqu’un, mais je voudrais tout de même lui poser la question de savoir quelle explication il donne à l’assassinat de cette jeune fille si, pour lui, ce n’est pas parce qu’elle en savait trop. Pourquoi tue-t-on cette jeune fille ? Pourquoi donne-t-il l’ordre, d’après certains, de tuer cette jeune fille, si ce n’est pas parce qu’elle en savait trop ? Quelle est la raison ? Il a donné hier l’origine, je m’excuse, ethnique de cette jeune fille, alors, quelle est la raison de cette tuerie ?

Le Président : Monsieur NTEZIMANA.

Vincent NTEZIMANA : Oui, j’ai expliqué effectivement comment cette fille-là, donc les deux… ont été emportées et la manière dont l’autre a été tuée. On peut toujours faire des hypothèses. A mon estime…

Me. BEAUTHIER : Chez vous, à la maison, c’est à la maison chez vous. On sait tout de même pourquoi on tue des gens chez soi !

Vincent NTEZIMANA : Ce n’est pas toujours évident, Monsieur le président, ce n’est pas toujours évident de connaître la vérité. Ce n’est pas toujours évident. On peut échafauder des hypothèses mais ça n’est que des hypothèses. J’allais dire : « A mon estime, je les voyais parfois ensemble, ils s’entendaient plutôt bien ». J’ai pensé dans l’immédiat que ces filles auraient pu être victimes d’une jalousie par exemple, parce que la moindre chose pouvait entraîner la mort, la vie était… avait été désacralisée, la moindre chose pouvait entraîner la mort. C’est l’hypothèse que j’ai faite dans l’immédiat. Maintenant, s’il y a une autre hypothèse qui pourrait se vérifier, cela se pourrait, c’est tout à fait possible. Ce que je dis n’est qu’une hypothèse.

Le Président : Cette jeune fille, elle avait quel âge, selon vous ?

Vincent NTEZIMANA : Je dirais entre 20 et 25 ans.

Le Président : Et NKUYUBWATSI, il avait quel âge ?

Vincent NTEZIMANA : Egalement entre 20 et 25 ans.

Le Président : C’était des personnes du même âge ?

Vincent NTEZIMANA : Oui.

Le Président : Maître HIRSCH.

Me. HIRSCH : Monsieur le président, deux questions. Nous représentons, Maître GILLET et moi, la famille KARENZI, c’est pour cela que je pose autant de questions à ce propos. Nous savons l’importance que représente un enterrement pour les victimes, le fait de savoir où sont enterrés les corps des personnes qui ont été assassinées. Monsieur NTEZIMANA dit dans le dossier, il l’a redit ici, qu’il est avec son voisin, qui était chargé de la coordination des rondes et de la sécurité dans le quartier, qu’il a trouvé, qu’il a découvert le corps de Madame KARENZI et je rejoins une des questions que vous avez posées, Monsieur le président : a-t-il pris des dispositions pour que ses enfants puissent se recueillir sur la tombe de Madame KARENZI ? Dans le dossier, Monsieur NTEZIMANA ne dit qu’une seule chose, c’est qu’on a procédé à l’évacuation des corps. La question que je souhaiterais que l’on pose, c’est : est-ce que Monsieur NTEZIMANA peut nous dire où Madame KARENZI a été enterrée ?

Vincent NTEZIMANA : Monsieur le président, je ne sais pas le dire parce que je ne sais pas où elle a été amenée mais la question que pose Maître HIRSCH est une question que je pourrais poser aussi, mais c’était une gageure. C’était vraiment un défi difficile d’entreprendre des choses qu’on aurait entreprises…

Le Président : En temps normal.

Vincent NTEZIMANA : En temps normal, c’était vraiment difficile.

Le Président : Oui.

Me. HIRSCH : La deuxième question, Monsieur le président. On a parlé des rondes, et on a parlé du système mis en place de communications téléphoniques entre voisins. Le système des rondes, il faut le savoir, a été une initiative de Monsieur KARENZI lui-même, qui a pris contact avec ses voisins, professeurs d’université comme lui pour - avant le début des massacres, et il a été un des premiers à être massacrés - pour organiser cela dans le quartier. Je pense personnellement que les rondes, et également le système téléphonique qui a été mis en place, étaient destinés à rassurer Monsieur KARENZI. A cet égard, je voudrais qu’une question soit posée à Monsieur NTEZIMANA. Le jour de son arrestation, Monsieur NTEZIMANA a dit quelque chose qui me paraît extraordinaire et qu’il n’a plus redit après. Il l’a dit à deux reprises devant les enquêteurs et également devant le juge d’instruction. Il a dit que le capitaine NIZEYIMANA avait mis en place une unité téléphonique pour recevoir les appels téléphoniques des gens menacés et pour les secourir. Et Monsieur NTEZIMANA, dans sa première déclaration, a dit également ceci : « L’après-midi du 21 avril, NOUS n’avons reçu aucun appel téléphonique émanant de la famille KARENZI ». Je souhaiterais savoir comment cet appel « télé-accueil » fonctionnait, organisé par les militaires et par le capitaine NIZEYIMANA. Et deuxièmement : Que veut dire Monsieur NTEZIMANA quand il dit : « NOUS n’avons reçu aucun appel téléphonique » ?

Vincent NTEZIMANA : Quand on m’a posé la question concernant le fait que je fréquentais NIZEYIMANA et qu’on me demande : « Est-ce que tu lui as posé la question de savoir ce que faisait l’armée vis-à-vis des massacres ? ». Je lui avais posé la question. J’ai dit : « Mais les militaires participent aux massacres, que se passe-t-il ? » Il m’a précisément dit : « Voilà, presque tous les militaires sont au front » ­ je vous cite la réponse qu’il m’a donnée ­ « La situation n’est pas sous contrôle mais, dit-il, nous avons créé une unité de militaires pour s’en occuper, ainsi que, allez ! une sorte de télé-accueil, effectivement, pour répondre au cas où des personnes seraient menacées ». Cela, je l’ai confirmé aux enquêteurs, c’est la réponse qu’il m’a donnée. Mais quand je lui posais la question, il dit : « L’armée », le camp militaire je suppose, je ne peux pas savoir comment fonctionnent des appels téléphoniques ou de la gendarmerie ou de l’armée, je ne peux pas savoir. Je ne peux pas savoir non plus quelles mesures ont été prises pour communiquer à la population par exemple que cette mesure existait, mais c’est la réponse que j’ai reçue. Je crois qu’il y avait une autre question ? Je crois qu’il y avait une autre question.

Le Président : Pourquoi, quand vous avez expliqué n’avoir pas reçu d’appel téléphonique de la maison de Monsieur KARENZI, avez-vous dit, n’avez-vous pas dit : « JE n’ai pas reçu » ? Avez-vous dit : « NOUS n’avons pas reçu d’appel téléphonique » ?

Vincent NTEZIMANA : Parce que je n’étais pas seul à la maison. Je n’étais pas seul à la maison.

Le Président : Alors, est-ce que vous vous êtes renseigné auprès d’autres qui étaient à la maison pour savoir s’ils avaient reçu un appel téléphonique ?

Vincent NTEZIMANA : A la maison, il y avait Aster, aussi, RUTIBABARIRA et Caritas. Et Caritas, quand elle recevait un coup de fil de quelqu’un, elle nous le disait, tout comme d’autres personnes qui étaient chez moi. Quand je dis « nous », c’est parce que, même en mon absence …

Le Président : Parce que vous personnellement, vous ne l’aviez pas reçu et parce que des personnes, si vous n’aviez pas été là, ne vous ont pas dit avoir, pendant votre absence, reçu un appel téléphonique ?

Vincent NTEZIMANA : C’est cela, exactement. Je n’étais pas là et, si j’avais reçu un coup de fil et que quelqu’un de chez moi l’avait reçu, il me l’aurait signalé, je suppose.

Le Président : Hum… bien. Oui, Maître NKUBANYI.

Me. NKUBANYI : Monsieur le président, la question que je vous soumets est relative à l’établissement des listes. Monsieur NTEZIMANA a dit que ce n’est pas lui qui a établi les listes, qu’il a seulement joint une lettre à des listes établies par les personnes désirant quitter l’université de Butare. Connaissant en fait le caractère délicat des listes, sachant que, sur les listes et si on choisissait une destination, on pouvait savoir si on était Tutsi ou Hutu, de l’opposition, que par conséquent on courait un risque, pourquoi est-ce que l’accusé n’a pas d’abord demandé un accord de principe auprès du vice-recteur avant de demander aux personnes de confectionner les listes ? Parce que, si c’est vrai que pour les Tutsi, on pouvait voir les archives…

Le Président : Non. Ou bien vous posez une question, ou bien vous donnez la réponse vous-même, mais posons la question. Et il me semble d’ailleurs qu’on a déjà eu un aperçu de réponse hier. (A Vincent NTEZIMANA ) Lorsque vous avez été contacté, dites-vous, par des collègues qui souhaitaient évacuer, est-ce qu’avant que ces listes ne soient établies, pas par vous mais par des collègues qui étaient concernés, qui souhaitaient évacuer, le reproche, ou la question qui se pose : pourquoi - avant de se lancer dans la confection de listes qui pouvaient avoir des conséquences simplement par l’existence des listes - pourquoi ne pas avoir obtenu, au préalable, un accord de principe du vice-recteur ?

Vincent NTEZIMANA : Mais si, mais si, je…

Le Président : Hein, c’est cela la question. Il me semble que cela a été abordé hier mais vous pouvez peut-être rappeler votre réponse.

Vincent NTEZIMANA : Mais oui, je crois l’avoir déclaré. J’ai téléphoné au vice-recteur pour lui dire : « Voilà, il y a des collègues qui me soumettent une demande ». Il m’a dit que c’était envisageable, qu’il fallait que je lui adresse une lettre à laquelle seraient annexées les listes des personnes avec les directions où ils iraient. C’est comme cela que je me suis adressé à mes collègues pour leur dire : « Tiens, j’ai un accord de principe, il y a un accord de principe, c’est tout à fait possible ».

Le Président : Monsieur NTEZIMANA, savez-vous ce que, parce que je ne pense pas qu’il a été entendu dans le cadre de ce dossier, ce qu’est devenu le vice-recteur NSHIMYUMUREMYI ?

Vincent NTEZIMANA : Aux dernières nouvelles, mais qui datent déjà de 1996-1997, il était au Gabon. Aux dernières nouvelles, qui datent de 1996-1997, 1998.

Le Président : Une autre question encore ? Maître JASPIS.

Me. JASPIS : Monsieur le président, on a parlé jusqu’à présent des voisins, des professeurs. Se pose aussi la question de l’attitude de Monsieur NTEZIMANA par rapport aux étudiants, j’ai envie de dire pas par rapport aux étudiants mais par rapport à ses étudiants. Quelles dispositions est-ce qu’il a éventuellement prises, quel souci est-ce qu’il a éventuellement manifesté de savoir ce qui se passait sur le campus pour ses étudiants, qui y logeaient vraisemblablement ? Merci.

Le Président : Est-ce que vous vous êtes inquiété du sort de vos étudiants, de ceux qui étaient dans votre classe, je veux dire, pas des étudiants en général, mais ceux avec lesquels vous avez pu avoir quand même pendant l’année académique des relations de professeur à étudiants ?

Vincent NTEZIMANA : Oui, le quartier où résidaient les professeurs n’est pas sur le même site que le campus universitaire où logeaient les étudiants. Quand les événements se sont passés le 6 avril, nous étions en vacances de Pâques. Dans mon entendement, comme professeur, en vacances de Pâques, le campus n’est pas fréquenté. Ceci étant, j’ai pu consulter le dossier et en consultant le dossier, je me suis rendu compte que, d’après les personnes qui étaient chargées de la gestion quotidienne de l’université, il y avait des étudiants déplacés, il y avait d’autres personnes qui restaient, d’autres étudiants qui restaient pour leur confection de mémoire, mais ce n’était pas, ni dans mes compétences… et il n’y avait aucun élément qui puisse m’indiquer que cela était, nous étions en vacances de Pâques. Les étudiants étaient censés être chez eux, en tout cas aux yeux d’un professeur.

Le Président : Vous ne vous êtes pas dit : « Bon, il faudrait peut-être qu’on fasse le tour, qu’on aille voir s’il n’y a pas des gens qui sont en difficulté ? ». 

Vincent NTEZIMANA : Les étudiants étaient dans un tout autre quartier.

Le Président : Vous avez une attitude comme cela un peu curieuse, hein. Vous rencontrez deux personnes qui veulent aller loger à l’hôtel Faucon, que vous ne connaissez ni d’Eve ni d’Adam et vous dites : « N’allez pas là, vous allez vous faire tuer, venez chez moi ». Vous avez des étudiants, enfin, vous avez vous-même été étudiant, évidemment vous étiez étudiant peut-être à l’étranger ce qui ne permettait pas de rentrer toujours pendant les vacances à la maison… mais il y a des gens qui sont proches de vous, plus proches que ces gens, que ces inconnus que vous croisez là devant l’hôtel Faucon ou près de l’hôtel Faucon ? Vous vous… Vous ne vous inquiétez pas de vous dire : « Mais enfin, il faut aller voir, est-ce qu’il n’y a pas du danger ? ».

Vincent NTEZIMANA : Monsieur le président, il faut aussi voir, je crois qu’un témoin vous l’a déjà dit, il faut aussi voir quels moyens j’aurais pu avoir pour m’y rendre, d’abord, parce que le campus se trouve… il y avait plusieurs barrières, je suppose. En tout cas, il y avait une barrière devant l’hôtel Faucon et quand nous avons été conduits le 14 mai à une réunion, j’ai aperçu d’autres barrières. Donc, ce n’était pas évident. C’est vrai, j’étais Hutu, mais le risque était là aussi. Maintenant, à supposer que je me rende au campus, par quels moyens ? Quels moyens j’aurais utilisés, pour aller frapper au kot de chacun des étudiants ? Pour aller voir ? C’est un campus, chacun a un kot. Qu’est-ce que j’aurais fait ? Frapper à la porte de chacun des étudiants ? Qu’est qu’on serait en train de me dire maintenant ? On serait en train de dire: « Voilà, il a recensé des étudiants ».

Le Président : Ceci dit, peut-être qu’aucun autre professeur n’a pris l’initiative, hein. Mais est-ce que vous, les professeurs, avez-vous à un seul moment, pensé à ces étudiants ? Ou bien est-ce qu’à cette époque-là, c’était chacun pour soi et advienne que pourra ?

Vincent NTEZIMANA : Je crois que, ce que j’ai pu constater c’est que chacun a fait ce qu’il a pu et j’ai constaté, quand j’ai refusé de faire les rondes, que j’étais minorisé, j’étais gravement minorisé, nous n’étions que deux sur une trentaine de participants. Alors, euh… je n’ai pas pu faire tout seul une entreprise qui aurait nécessité la mobilisation de toute l’université. Eventuellement des propositions, des propositions des professeurs, et mobilisant les autorités de l’université. La mobilisation des autorités de l’université que j’avais tentée avait déjà échoué, Monsieur le président.

Le Président : Bien. Y a-t-il encore d’autres questions ? Oui.

Me. WAHIS : Monsieur NTEZIMANA, le capitaine NIZEYIMANA, qu’est-il devenu ?

Vincent NTEZIMANA : S’il vous plaît ?

Me. WAHIS : Actuellement, est-ce que vous connaissez le sort du capitaine NIZEYIMANA ?

Vincent NTEZIMANA : Je n’en ai aucune idée. J’ai eu vent, à l’époque où il y avait encore les camps de réfugiés au Zaïre, qu’il était à Bukavu. Ensuite, des rumeurs ont dit qu’il était au Cameroun. J’ai cherché à vérifier s’il était effectivement là-bas, je n’ai pas pu obtenir de confirmation.

Le Président : Vous vous inquiétez de son sort ?

Vincent NTEZIMANA : S’inquiéter parce que… On m’accusait d’avoir fait ceci, fait cela avec lui, je voulais bien savoir où il était, pour éventuellement le signaler aux enquêteurs pour lui demander sa version, pour une éventuelle confrontation avec mes déclarations. Ce n’est pas son sort qui m’intéresse.

Le Président : Eh bien, profitons de la présence de la presse internationale pour faire un appel à Monsieur NIZEYIMANA. Qu’il vienne ici. Ce serait le scoop du procès !

Vincent NTEZIMANA : Mais, Monsieur le président, je vous ai donné les informations que j’ai à ma disposition.

Le Président : Oui. Je comprends bien que vous n’avez pas les moyens de vous lancer dans… dans des recherches personnelles pour retrouver ce capitaine. Mais peut-être que le tapage qui est fait, les accusations portées contre vous, peut-être bien que si le capitaine NIZEYIMANA lit les journaux quelque part ou à la télévision quelque part, va se dire : « Moi, je vais aller en Belgique expliquer… ».

Vincent NTEZIMANA : A mon estime, ce serait intéressant pour mettre la main sur lui pour qu’éventuellement il puisse s’exprimer, qu’il s’explique ou s’exprime sur un certain nombre de faits que j’ai lus dans le dossier sur les déclarations le concernant.

Le Président : Bien. Oui ?

Me. WAHIS : Je voudrais savoir avec précision quel a été le rythme de vos rencontres avec Monsieur NIZEYIMANA, avec le capitaine ?

Vincent NTEZIMANA : Le rythme de nos rencontres…

Me. WAHIS : Pendant le mois d’avril ?

Vincent NTEZIMANA : Oui. Alors, il y a deux choses qu’il faut séparer. Quand je me rendais chez lui, ce n’était pas nécessairement lui que j’allais voir. J’avais fait connaissance avec les personnes qu’il hébergeait et que j’allais voir naturellement. Lui n’était pas souvent à la maison. Donc, je me suis rendu souvent chez lui. Mais je l’ai rencontré aussi à plusieurs reprises. Alors, est-ce que c’est cinq fois, six fois ? En tout cas, c’est à plusieurs reprises, oui. Je tiens à signaler que le capitaine NIZEYIMANA a été muté de Butare, je ne connaissais pas la date mais je m’en suis rendu compte en consultant la déclaration d’un autre témoin, il a été muté, d’après le témoin Jean-Baptiste MUKIMBILI, a été muté pour l’entraînement des jeunes recrues à Gikongoro le 26 avril. Le 26 avril 1994.

Me. WAHIS : Donc, vous l’avez rencontré cinq ou six fois entre, disons quoi, le 7 avril et le 26 avril ?

Vincent NTEZIMANA : Non. Après, il revenait de temps en temps aussi. Après sa mutation, il revenait de temps en temps aussi à Butare et j’ai eu l’occasion du rencontrer.

Me. WAHIS : Et vous le rencontriez chez lui ou à l’école des sous-officiers ou…?

Vincent NTEZIMANA : Je ne me suis jamais rendu à l’école des sous-officiers pendant le mois d’avril. C’est chez lui que je l’ai rencontré.

Me. WAHIS : Et les rencontres duraient longtemps ?

Vincent NTEZIMANA : Quand il passait par exemple à la maison et que j’étais là, il nous saluait, toutes les personnes qui étaient là. Quand j’y allais, ce n’était pas pour le rencontrer. Mais je ne dirais pas que je ne l’ai pas rencontré puisque je l’ai vu, je l’ai rencontré chez lui. Est-ce que cela durait longtemps ? J’ai passé quelques heures chez lui, en compagnie des personnes qu’il hébergeait, et il est arrivé qu’il soit là.

Me. WAHIS : Merci.

Le Président  : Oui, Monsieur l’avocat général.

L’Avocat Général : Si j’ai bien compris, l’accusé vient de nous dire qu’il n’avait pas la possibilité de se rendre de son domicile à Butare au campus de Butare qui est éloigné, je ne connais pas les lieux, mais je suppose que ce n’est pas des milliers de kilomètres ?

Vincent NTEZIMANA : Non. Je peux répondre ?

Le Président : Oui.

L’Avocat Général : Je n’ai pas dit que je n’avais pas la possibilité, j’ai dit que c’était difficile.

L’Avocat Général : Vous ne l’avez pas fait, donc ?

Vincent NTEZIMANA : Je ne l’ai pas fait.

L’Avocat Général : Mais, est-ce pendant… entre la période du 12 avril 1994 et du 25 mai 1994, là nous sommes en plein génocide et en pleine guerre, est-ce que vous avez eu la possibilité de quitter Butare pour vous rendre à Gisenyi ?

Vincent NTEZIMANA : Oui. Mais si vous le permettez, je complète tout de même la question précédente, parce que la difficulté de me rendre au campus n’est pas la seule, le seul empêchement. Ici, nous sommes… il faut bien s’imaginer, autour de nous, on entend des détonations, on apprend qu’il y a des morts, on n’est pas dans un climat normal. Donc, c’est tout à fait normal, je suis un être humain vous savez, que je trouve difficile, relativement difficile, mais ce n’est pas la seule raison. Une mobilisation, j’ai bien dit une mobilisation de tous les professeurs, de toutes les autorités de l’université, aurait pu, éventuellement, permettre de faire quelque chose. Ceci étant, je ne savais pas qu’il y avait au campus, des étudiants. Il y a plusieurs éléments qui ont concouru à ce que je ne puisse pas y aller. Je confirme effectivement que j’ai pu me rendre dans ma région natale pour voir mes enfants et, deux fois donc, par l’entremise, c’est comme demander un lift, j’ai demandé un lift, j’avais demandé au capitaine NIZEYIMANA parce qu’ils envoyaient des camions, des véhicules, pour ravitailler l’armée en pommes de terre, en bière, en vivres, à Gisenyi donc, et je lui avais demandé, à l’occasion de l’un de leurs convois, qu’il me donne un lift, qu’il permette que j’obtienne un lift.

L’Avocat Général : Donc, votre position, c’est qu’il était plus difficile pour un professeur de l’université, président de l’APARU, de demander par exemple un lift, comme vous le dites, au capitaine NIZEYIMANA pour vous conduire à une centaine de mètres, cela c’était difficile, mais en plein combat, il n’était pas difficile de se rendre, avec un camion ou un lift fourni par Monsieur NIZEYIMANA, à Gisenyi où se trouvait le front. Donc, il était plus facile d’aller au front que d’aller au campus.

Vincent NTEZIMANA : Monsieur le président, j’ai dit qu’il était relativement difficile de se rendre au campus. Il était tout autant difficile de se rendre à Gisenyi. J’ai pu m’y rendre par, effectivement, l’entremise du capitaine NIZEYIMANA. Ne pas me rendre au campus, ce n’est pas la seule difficulté de pouvoir m’y rendre qui m’en a empêché. D’abord, je n’avais pas d’information qu’il y avait des étudiants au campus. Ensuite, il fallait réaliser que : « Tiens, s’il y a des étudiants, il fallait voir, et ensuite mobiliser des professeurs et les autorités de l’université ». Donc, je rappelle que, quand j’ai tenté une mobilisation, elle avait échoué. Quand j’ai tenté, au sujet des rondes, de dire : « Mais vous savez, les rondes c’est… donc, les rondes ne sont pas efficaces, les rondes, il y aura des militaires », nous n’avons été que deux, nous n’avons été que deux à nous opposer aux rondes ; nous étions 30. La difficulté relative de me rendre au campus n’est pas l’unique raison qui ait fait que je ne me sois pas rendu au campus, Monsieur le président.

Le Président : Nous allons peut-être suspendre un quart d’heure et en principe, après, nous allons quand même entendre Monsieur GASANA Ndoba ce matin ; et les enquêteurs et le juge d’instruction, ce sera sans doute en début d’après-midi. Donc, l’audience est suspendue.

 
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