6.4.6. Lecture de déclarations de témoins par le président: Faustin
le témoin 45
Le Président : L’audience
est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Y
a-t-il déjà des témoins présents ? Bien. Il n’y a pas encore de témoins
qui soient présents. Je propose qu’on utilise le temps pour des lectures, de
manière à avancer quand même. Vous aurez, sans doute dans le courant de la matinée,
une liste des noms des témoins auxquels les parties ont renoncé jusqu’à présent,
de manière à ce que vous puissiez vérifier par la suite s’il y a des lectures
qui sont inutiles. Alors, on s’était arrêté hier aux lectures en ce qui concerne
Monsieur le témoin 129. Le suivant, selon moi, c’est Monsieur le témoin 45
Faustin. le témoin 45, ça concerne toujours le volet des faits reprochés à
Monsieur NTEZIMANA.
J’ai une première audition, faite le 10 mai 1995, dans le cadre d’une
commission rogatoire du juge d’instruction VANDERMEERSCH, en présence de celui-ci,
le témoin 45 étant détenu, à cette époque en tout cas, à la prison de Butare.
Il déclare ceci :
« J’étais professeur à la faculté des sciences,
département de chimie de l’UNR, depuis octobre 1987. Je connaissais bien le
professeur KARENZI qui travaillait dans la même faculté que moi. Je ne sais
pas dans quelles circonstances il a été tué. Sur interpellation, je ne sais
pas s’il a été un des premiers visés. J’ai appris sa mort lorsqu’on nous a permis
de sortir des maisons. Après le limogeage du préfet, nous avons entendu
des coups de feu dans la ville et nous sommes tous restés enfermés chez nous,
et ce, du 20 avril à la fin du mois d’avril. Ce n’est qu’en sortant ensuite
que j’ai appris la mort du professeur KARENZI. Je ne suis pas au courant des
circonstances dans lesquelles d’autres membres de sa famille ont été tués. En
prison, un chauffeur de l’UNR m’a dit qu’il avait vu son corps devant l’hôtel
Faucon.
Je connais également NTEZIMANA qui travaillait
dans la même faculté. Je ne m’intéressais pas tellement à la politique, et ne
suis pas très au courant de ses opinions politiques. Je sais qu’il avait fondé
un parti, le PRD. A mon avis, il n’était pas modéré. Je ne sais pas en quels
termes le dire, il était de la tendance extrémiste. Je ne suis pas au courant
qu’il aurait établi des listes. Vous me demandez s’il n’a jamais été question
de listes pour évacuer les professeurs. Au début, il nous avait dit : « Ceux
qui veulent évacuer des membres de leur famille, peuvent se faire inscrire chez
moi ». Finalement, on ne l’a pas fait. C’est lui qui a pris l’initiative
de ces listes. Je ne sais pas si ces listes ont été établies, mais je ne me
suis pas inscrit. Je suis resté sur place.
Vous me demandez si je sais si NTEZIMANA avait
des relations avec les militaires. Je pense qu’il collaborait avec eux car,
un jour, il a pu récupérer chez eux, la carte d’identité de MUSABYIMANA, beau-frère
de GATWAZA Emmanuel, le vice-doyen de la faculté des sciences, département de
physique. C’est GATWAZA qui m’a raconté cela avant qu’il ne soit assassiné,
ainsi que MUSABYIMANA. Ce dernier s’était vu confisquer sa carte d’identité,
parce qu’on n’avait pas cru la mention « Hutu » sur cette carte. GATWAZA
est alors allé trouver NTEZIMANA, qui est allé chez les militaires, et a pu
récupérer la carte. Je n’ai jamais vu NTEZIMANA avec des militaires, circuler
dans le quartier. J’habitais le même quartier que lui, à à peu près 200 m. Je
ne l’ai pas vu circuler pendant le couvre-feu. Je ne pouvais pas le voir puisque
tout le monde devait rester enfermé.
Le capitaine NIZEYIMANA, je le connais, je le
voyais passer même avant les événements, je le connais de vue. Je ne sais pas
s’il est impliqué dans les massacres. Je ne sais pas s’il connaissait NTEZIMANA,
mais ils étaient de la même région, Gisenyi. Avant le 19 avril, le préfet avait
demandé des rondes. Tout le monde dans le quartier y participait. Après le 19
avril, il y a eu un temps mort, puis les rondes ont repris. NTEZIMANA a participé
alors aux rondes, c’était obligatoire. Après le 19 avril, ces rondes servaient
à nous protéger contre les gens qui venaient piller les maisons. En fait, cette
protection n’était pas assurée, parce que les militaires venaient avec des fusils,
piller les maisons des expatriés. Sur interpellation, ces rondes n’étaient pas
faites avec des militaires, elles étaient composées uniquement de civils. Dans
notre quartier, nous ne procédions pas à des contrôles d’identité, nous voulions
seulement éviter les pillages. Il n’y avait pas de collaboration entre ces rondes
et les militaires. Vous me dites que NTEZIMANA est accusé, en Belgique, d’avoir
participé aux massacres. Je ne sais pas, je ne peux pas l’affirmer, mais j’ai
été étonné qu’il puisse si facilement récupérer une carte d’identité chez les
militaires.
HIGANIRO Alphonse, je le connais un peu, il était
le directeur de la SORWAL, je ne sais ses opinions politiques, mais je sais
qu’il était originaire de Gisenyi et que la plupart des gens de Gisenyi étaient
extrémistes. Je ne peux pas vous dire si des véhicules de la SORWAL circulaient
avec des militaires étant donné que je restais chez moi. Je suis en prison parce
qu’on m’accuse d’avoir participé aux rondes durant le mois de mai ».
Une seconde audition de Monsieur le témoin 45 a été réalisée le 28 septembre
1995, toujours dans le cadre de l’exécution d’une commission rogatoire internationale
du juge d’instruction VANDERMEERSCH, en présence de celui-ci. Monsieur le témoin 45
est toujours, à cette époque, détenu à la prison de Butare. Il déclare ceci :
« Je connais le témoin 129 -
c’est celui dont nous avons donné lecture des déclarations, hier - vous me dites que cette personne a été entendue dans le dossier et
qu’elle déclare que je lui aurais indiqué que NTEZIMANA serait impliqué dans
le meurtre de GATWAZA Emmanuel et MUSABYIMANA Wulfran. Je vous rappelle que
j’avais dit que NTEZIMANA était probablement en contact avec des militaires
parce qu’avant la mort de GATWAZA, vers le 20 avril, les militaires sont venus
la nuit, dans la maison de Wulfran et ensuite, chez GATWAZA lui-même qui était
à l’époque vice-doyen de la faculté des sciences.
Chez Wulfran, ils ont demandé sa carte d’identité,
elle portait la mention « Hutu ». Comme ils n’étaient pas convaincus,
ils lui ont pris sa carte d’identité et sont partis. Sans carte, on ne pouvait
pas circuler et on risquait d’être tué. GATWAZA m’a dit, avant sa mort, qu’il
est allé chez NTEZIMANA et lui a exposé le problème. Wulfran était le beau-frère
de GATWAZA.
NTEZIMANA a dit qu’il allait essayer de retrouver
la carte. Il a été à l’Ecole des sous-officiers (ESO), récupérer cette carte.
Il paraît qu’il a récupéré la carte de Wulfran. Dans le quartier, nous nous
demandions comment il était parvenu à récupérer aussi facilement et avec une
aussi grande rapidité, cette carte. Nous nous sommes demandé cela, moi et GATWAZA.
Nous nous disions qu’il était sans doute très bien avec les militaires car,
à l’époque, ce n’était pas évident d’entrer dans le camp militaire. Il était
aussi dangereux de demander à récupérer une carte car on disait alors que vous
étiez de connivence avec cette personne et vous pouviez être tué. Nous présumions
donc que NTEZIMANA devait être bien avec les militaires.
En ce qui concerne le meurtre de GATWAZA Emmanuel
et MUSABYIMANA Wulfran, je sais qu’ils ont été tués par des militaires. Je ne
sais pas du tout si NTEZIMANA était à l’origine de cela. Au moment des événements,
j’étais à Butare. J’ai entendu à la radio le discours du président SINDIKUBWABO.
Ce discours incitait la population locale à tuer les Tutsi et ceux qui les soutenaient,
soit l’opposition. J’ai retenu ce discours parce que je le trouvais sanguinaire.
Je ne me rappelle pas d’avoir entendu la réponse de Monsieur KANYABASHI. Je
ne suis pas au courant de réunions tenues par KANYABASHI après le 19 avril.
Dans mon quartier, je n’ai vu aucune barrière où on a tué les gens.
Je ne connais pas NDAYAMBAJE Elie. J’ai appris
en prison qu’il avait été arrêté. Après son arrestation, j’ai entendu des commentaires
en prison de codétenus comme quoi il n’était pas catholique, dans le sens qu’il
avait incité la population aux massacres. Certains détenus disaient que c’est
pour cette raison qu’il a remplacé le bourgmestre en place, en guise de récompense.
C’est ce qui se disait en prison. Je suppose que ces informations provenaient
de gens de sa région, détenus ici. Je ne pourrais pas vous donner les noms de
ces personnes ».
Alors, une troisième audition de Monsieur le témoin 45 dans les dernières
pièces qui ont été traduites qui sont dans le complément, audition du 30 octobre
2000, par Monsieur le témoin 31, officier du ministère public. Monsieur
le témoin 31, nous l’avons entendu à propos du témoin de NKUYUBWATSI.
Cette audition est la suivante :
« Question : Connaissais-tu NTEZIMANA
Vincent ? Que faisait-il ? Qu’avait-il fait comme études ? Quel
niveau (niveau en français dans le texte original ce sont des traductions
donc, ceci) ?
Réponse : Je le connaissais comme étant professeur
à l’UNR, département physique. Il avait fait le troisième cycle en physique,
dans une université en Belgique.
Question : Vous étiez-vous rencontrés récemment
lorsque la guerre d’avril 1994 a éclaté ?
Réponse : Il était présent en avril, lorsque
la guerre a commencé.
Question : Dans quel parti était-il à ce
moment-là ?
Réponse : Il était président du PRD, Parti
du Renouveau Démocratique, un petit parti qui était tout nouveau.
Question : Et pendant cette période de guerre,
comment se comportait-il, à ton avis ?
Réponse : En avril, lorsque les massacres
ont commencé, il y a eu des militaires qui sont venus tuer pendant la nuit.
Ils ont attaqué GATWAZA Emmanuel, ainsi que MUSABYIMANA Wulfran, le mari de
la sœur de sa femme. C’était pendant la nuit du 21 au 22 avril 1994. Mais ils
n’ont pas été tués ce jour-là et on a pris les pièces d’identité de MUSABYIMANA.
Et pouvoir se déplacer, en ce moment-là, sans aucune pièce d’identité, était
très difficile. Mais du fait que GATWAZA Emmanuel enseignait en physique avec
NTEZIMANA Vincent et comme ils devaient se connaître, ainsi il est allé lui
soumettre la question et NTEZIMANA est allé à ESO, retirer la carte d’identité
de MUSABYIMANA.
Question : En tant que voisin de NTEZIMANA
et travaillant également avec lui, quel a été, pendant cette période en particulier,
son bon ou son mauvais comportement ?
Réponse : Ce que je savais de lui, c’est
ce fait de prendre ces pièces d’identité, il pouvait donc connaître ceux qui
venaient tuer à Buye.
Question : Le fait d’avoir été chercher la
pièce d’identité ne prouve-t-il pas qu’il était de connivence avec eux ?
Réponse : Nous y avons pensé également.
Question : A-t-il collaboré avec les Interahamwe ?
Réponse : Je n’ai pas remarqué cela chez
lui. Là où nous habitions, il n’y avait pas d’Interahamwe.
Question : Il n’y a pas eu une part de responsabilité
dans les massacres qui ont eu lieu au sein de l’université ?
Réponse : Je n’en sais rien.
Question : Il n’a pas eu une part de responsabilité
dans les massacres qui ont eu lieu à Buye ?
Réponse : En ce qui le concerne, je ne l’ai
pas vu tuer.
Question : Tu n’as rien d’autre à ajouter
sur ta déclaration ?
Réponse : Je n’ai rien à ajouter ».
Si jamais l’une ou l’autre des parties constatait qu’il y a éventuellement
une autre audition qui m’aurait échappé, n’hésitez pas à le signaler. Alors,
s’il y a des commentaires, n’hésitez pas non plus à demander à pouvoir les faire,
s’il y a des précisions à apporter, pour autant que je sache le faire, n’hésitez
pas non plus à le demander. Monsieur le 6e juré ?
Le 6e Juré : [pas
de micro au début] …Il y en a un qui est en prison, il est accusé, qui faisait
des rondes. Je ne sais pas, je demande.
Le Président : Peut-être
que l’on considère que le simple fait de participer à des rondes est constitutif
d’une infraction, hein. |