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Instruction d’audience C. Mukangango, « sœur Gertrude » et J. Mukabutera, « sœur Kizito » Audition juge d’instruction et inspecteurs police fédérale compte rendu intégral du procès
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1. Audition, questions, commission rogatoire, diapositives
 

8.5.1. Audition et questions, commission rogatoire, diapositives

Le Greffier : La Cour.

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir et les accusés peuvent prendre place. Quels sont les témoins qui sont déjà présents ?

Le Greffier : [Inaudible, sans micro]

Le Président : Pas d’objection à ce que ces témoins, enquêteurs et juge d’instruction soient entendus ensemble, j’imagine. Donc, ceux qui sont présents peuvent approcher de ces témoins. Je vous signale que le témoin de cet après-midi, le témoin 106, a fait parvenir un courrier ou un fax signalant qu’il ne se présenterait pas. Je ne pense pas qu’il avait déjà été entendu.

« J’accuse réception de votre lettre du 6 avril m’invitant à comparaître le… Seulement je me trouve dans l’obligation de porter à votre connaissance que, suite aux contraintes de service, je ne pourrai pas honorer cette invitation. La possibilité de me faire représenter au service a été envisagée mais sans issue favorable ».

C’est daté du 30 avril. Je vois que cela aurait peut-être bien été faxé le 1er mai. Est-ce qu’on peut déjà acter que les parties renoncent à l’audition de Monsieur le témoin 106 ?

Non Identifié : Bien sûr, Monsieur le président.

Le Président : Hier, Monsieur le juge d’instruction, vous avez déjà prêté serment. Je crois qu’il n’y a que Monsieur DELVAUX qui n’a pas encore prêté serment.

André DELVAUX : Tout à fait.

Le Président : Je vais vous demander, Monsieur DELVAUX, quels sont vos nom et prénom.

André DELVAUX : André DELVAUX

Le Président : Quel âge avez-vous ?

André DELVAUX : 40 ans.

Le Président : Quelle est votre profession ?

André DELVAUX : Inspecteur principal.

Le Président : Quelle est votre commune de domicile ou de résidence ?

André DELVAUX : A Bruxelles.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés avant les faits mis à leur charge ?

André DELVAUX : Non, Monsieur le président.

Le Président : Etes-vous parent ou allié des accusés ou des parties civiles ?

André DELVAUX : Non, Monsieur le président.

Le Président : Etes-vous attaché à leur service ?

André DELVAUX : Non, Monsieur le président.

Le Président : Je vais vous demander de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment de témoin.

André DELVAUX : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie, vous pouvez vous asseoir, Monsieur DELVAUX. Euh… A l’intention des quatre témoins présents, on va en tout cas, débuter aujourd’hui votre audition à propos des faits de Sovu. Deux témoins devant venir d’Allemagne avaient été convoqués fin d’après-midi et donc, on n’a pas pu les déplacer. Il y en a un qui a déjà fait savoir qu’il ne viendrait pas. Le deuxième, on n’a pas de nouvelles, il se présentera peut-être. Il n’est donc pas exclu que nous n’entendions pas tout aujourd’hui. Il y a encore deux heures qui sont prévues lundi pour compléter éventuellement votre audition d’aujourd’hui. Je suis désolé de toutes ces perturbations dans le timing.

Damien VANDERMEERSCH : Nous sommes à la disposition de la Cour suivant la formule consacrée.

Le Président : La formule consacrée devient quasi effective, dans ce cas-ci en tout cas. Monsieur le juge d’instruction, je vais vous demander, comme vous l’avez fait pour les deux précédents volets, de bien vouloir dresser la synthèse des éléments que vous avez recueillis à charge et à décharge, éléments matériels et éléments de témoignage en ce qui concerne les deux accusées, Madame MUKANGANGO et Madame MUKABUTERA, en ce qui concerne les faits qui se sont déroulés en avril et mai 1994, au couvent de Sovu. Je vous laisse le soin de tracer votre synthèse.

Damien VANDERMEERSCH : Oui, je vais peut-être faire une petite demande, c’est si je peux m’exprimer avec sœur Gertrude et sœur Kizito, comme… s’il n’y a pas d’objection à ce que… ce qui sera peut-être plus facile parce que c’est sous cette appellation, enfin sous cette dénomination-là qu’elles sont chaque fois citées dans le dossier. Alors, je préférerais plutôt que ma langue ne fourche pas chaque fois sur les noms, comme cela il n’y aura pas de confusion entre les personnes désignées.

Alors, pour ce volet-là du dossier, comme je l’avais expliqué au départ, je n’ai été saisi de ce dossier que dans un second temps. D’ailleurs, il porte le n° 6295, les autres… le dossier principal, puisque ce dossier-ci a été joint à la clôture de l’instruction, l’autre dossier était le 3795, donc vous voyez qu’il y a eu toute une série de dossiers entre les deux. Mais donc 6295, pourquoi ? Parce que c’est un dossier qui a commencé par une constitution de partie civile de sœur Gertrude, qui s’est constituée partie civile contre un journaliste qui avait écrit un article à propos de sa prétendue responsabilité durant les événements en 1994 et elle avait donc porté plainte contre ce journaliste, du chef de dénonciation calomnieuse, plainte avec constitution de partie civile, ce qui implique qu’un juge d’instruction a été saisi. Ce n’est pas moi-même qui ai reçu la plainte mais comme la vérification de cette plainte, du fondement de cette plainte, impliquait qu’on enquête, le cas échéant, si on voulait vraiment pouvoir vérifier l’ensemble des éléments, euh… implique évidemment la dénonciation calomnieuse, il fallait évidemment voir si les faits dénoncés correspondaient, avaient une certaine réalité, oui ou non. Et c’est la raison pour laquelle le dossier a été redistribué chez moi. Redistribué, c’est-à-dire, c’est une mesure, ce qu’on appelle, de bonne administration de la justice, par le président du Tribunal en disant : « Ce sera peut-être bien que Monsieur VANDERMEERSCH s’en occupe puisqu’il est déjà chargé des autres dossiers qui concernent une problématique connexe, une problématique en tout cas concernant, en termes de temps et de lieu… », qui était, évidemment, tout à fait proche.

J’ai reçu des instructions complémentaires du parquet, donc initiative du parquet, de me demander, non seulement d’enquêter sur la question de la dénonciation calomnieuse, mais d’enquêter sur les faits eux-mêmes et là, c’était en cause de sœur Gertrude et sœur Marie Kizito, donc, où là, je dirais, c’est effectivement un peu l’effet croisé, mais cela concerne bien entendu la même problématique, mais là où, je dirais, de partie civile, et donc d’ailleurs sœur Gertrude est partie civile également dans ce dossier-là, elle s’est retrouvée également dans le statut d’inculpée, c’est-à-dire de l’autre côté, comme pouvant être mise en cause. Je vous explique cela pour vous… pour vous expliquer évidemment… pour vous dire pourquoi nous n’avons pas enquêté sur ces faits-là durant les première et seconde commissions rogatoires. Je n’étais pas en charge du dossier, c’est aussi simple que cela. Donc, je n’avais pas à enquêter, ce serait d’ailleurs frappé de nullité si j’enquêtais sur des faits dont je n’étais pas saisi. Donc, nous n’avons pas, lors des première commission rogatoire et deuxième commission rogatoire, enquêté sur ces faits-là. C’est principalement lors de la commission rogatoire du 25 septembre au 14 octobre que nous avons été amenés à, parmi d’autres devoirs, à également, donc, diligenter et procéder à toute une série d’auditions concernant les faits. Cela explique peut-être pourquoi aussi on a fait une seconde commission rogatoire en 2000, donc février… à cheval entre février et mars 2000 - on était au moment de la clôture de l’instruction - où également une commission rogatoire d’une semaine, beaucoup plus courte, a été dépêchée et je me suis déplacé pour procéder à certains devoirs sur lesquels, bien entendu, je reviendrai.

Alors, en ce qui concerne les éléments recueillis dans le cadre de cette affaire, je dirais que c’est… ce sont les faits pour lesquels on est quand même parvenu à recueillir de nombreux témoignages, je dirais, de tous horizons. Je dirais, par rapport à ces faits-là, je pense qu’on a… on n’a pas pu entendre tout le monde, il y a des personnes qui ne sont pas localisées ou dont on ne peut pas savoir exactement où elles se trouvent ou il a été impossible, mais enfin, il y a quand même une bonne partie des personnes qui étaient concernées ou qui pouvaient être concernées et qui ont pu être entendues. Je m’explique. Il y a notamment, d’abord, témoins sur place, c’est tous les membres de la communauté de Sovu, rescapés, bien entendu. Vous le savez, je suppose, c’est qu’il y a neuf sœurs qui sont décédées mais à un stade qui ne concerne pas les faits au moment donné, c’était au moment donné où elles fuyaient en direction du Burundi, au début du mois de juillet 94. Or, les faits qui vont nous préoccuper ici concernent le mois d’avril jusqu’au 6 mai principalement, la période étant d’ailleurs, pour les massacres dont il est question, du 22 avril au 6 mai. C’est donc cette période-là qui va… qui nous concerne directement.

Nous avons pu entendre, donc, les sœurs faisant partie de la communauté. Il y a un nombre important de sœurs qui étaient à Maredret, ici en Belgique puisque la communauté mère, la maison mère de la congrégation, se trouve à Maredret, ici en Belgique et donc toute une série de sœurs s’étaient réfugiées, d’ailleurs l’ensemble de la communauté avait fui, vers la Belgique, vers la maison mère, ce qui est assez normal et c’était donc euh… résidait donc en Belgique, ce qui, pour nous, était évidemment davantage plus facile puisqu’on pouvait les entendre ici, je dirais presque à domicile, dans le sens où c’était en Belgique, ce qui rendait les choses plus faciles. Il y a cependant quatre sœurs, ou plutôt - je dois m’expliquer si je ne me trompe pas - c’est deux sœurs et deux novices qui entre-temps étaient retournées au Rwanda et que nous avons entendues au Rwanda. Il y avait notamment la sœur Scholastique et la sœur Marie-Bernard et deux novices qui ont été entendues au Rwanda. Nous avons entendu au Rwanda également un ensemble de personnes qui se déclaraient rescapées des massacres qui auraient eu lieu à Sovu et donc, qui ont apporté leurs témoignages ; témoignages qui ont été donc recueillis et qui ont donné certains éléments et un certain éclairage.

Nous avons pu également entendre, et notamment lors de la dernière commission rogatoire, différentes personnes qui étaient désignées… qui étaient détenues et qui étaient désignées comme impliquées elles-mêmes dans les massacres. Donc, ces personnes-là, nous les avons entendues, dont notamment Monsieur REKERAHO qui était désigné comme le chef des miliciens, donc le chef des Interahamwe. Et je reviendrai… si vous le permettez, je vais revenir sur cette audition parce que, évidemment, elle a un statut un peu particulier puisque cette personne a été entendue en ma présence mais elle a été également entendue dans le cadre du Tribunal international, et je crois savoir que cette personne, devant un journaliste, a laissé entendre qu’elle se rétractait. Je pense qu’il est important que je rencontre bien cette audition de façon tout à fait, je vais dire, claire, pour en tout cas que je puisse vous communiquer les éléments que moi-même… dont moi-même je peux, disons, personnellement témoigner.

Alors, en ce qui concerne l’ensemble de ces témoignages, je dois quand même, dès le départ - parce que c’est un des éléments auxquels nous avons été confrontés - c’est évoquer la situation quand même très difficile dans laquelle se sont trouvées les sœurs rescapées par rapport aux témoignages et par rapport au fait de témoigner devant une autorité judiciaire.

On a retrouvé… on a saisi des documents. Nous avons saisi des documents à Maredret. On a fait une perquisition à Maredret où on a saisi différents documents. Egalement les autorités rwandaises ont arrêté - c’était au mois de septembre… au mois de septembre 1995, donc juste avant notre arrivée en commission rogatoire - ont arrêté le père COMBLAIN qui était en possession également de certains documents et, sauf erreur de ma part, il avait été arrêté parce qu’il était soupçonné de tenter de suborner certains témoins. En ce qui concerne l’analyse de ces documents, il me paraît important de les évoquer pour quand même pouvoir vous éclairer sur les circonstances dans lesquelles les différentes sœurs sont appelées à témoigner.

Ce qu’il faut savoir, c’est que la sœur Scholastique et la sœur Marie-Bernard sont rentrées au Rwanda en décembre 1994, je dirais à l’insu ou en tout cas, sans l’accord de leurs autorités hiérarchiques religieuses. Et donc, elles se sont trouvées… première question d’ailleurs qui est évoquée ou premier problème qui est évoqué dans les différents documents saisis, c’est la question de la désobéissance d’avoir quitté la Belgique sans prévenir et d’être retournées à Sovu, d’initiative sans en référer, sans avoir l’autorisation de leurs supérieures. Deuxième élément posant problème et qu’on retrouve… dont on retrouve trace dans les documents et qui ne nous concerne alors plus directement, c’est la question des accusations formulées… qu’on attribuait à sœur Scholastique et sœur Marie-Bernard, et sans doute à bon droit, c’est qu’elles avaient formulé des accusations à l’égard de leur sœur supérieure, donc sœur Gertrude.

Dans ces documents - et on retrouve des documents, je dirais, qui datent déjà à partir du mois de mars-avril 1995, on retrouve des documents, notamment de l’abbé CULLEN - l’abbé CULLEN est un abbé de nationalité irlandaise mais qui est le président de la congrégation, donc, c’est en tant que président qu’il a écrit certains documents - et donc, on retrouve assez rapidement euh… le problème qui est qualifié, donc, le problème de ce que sœurs Scholastique et Marie-Bernard auraient déclaré, que c’est qualifié très rapidement de diffamation, d’accusation mensongère. Donc, c’est quelque chose… c’est, quelque part, une prise de position très rapide qui a été faite par les autorités, c’était de dire que c’étaient des mensonges. Et donc, on retrouve ça très rapidement dans les documents en disant : « Une prise de position », en disant : « Ce sont des mensonges. Nous avons pu prendre nos renseignements et ce sont des accusations qui sont sans fondement ».

Dans ces documents, un document - parce que je pense que ça peut… cela aura pu, peut-être, avoir une incidence sur la portée des auditions auxquelles nous avons procédé par la suite - il y a eu une réunion, une sorte… c’est qualifié… je ne suis pas spécialiste en droit canonique, mais on parle d’une visite canonique, un rapport d’une visite canonique faite notamment par l’abbé DAYEZ - l’abbé DAYEZ qu’on retrouve un peu comme l’abbé CULLEN (l’abbé DAYEZ est le responsable de l’abbaye de Maredsous, qui est tout à fait, je dirais, voisin) - et donc, l’abbé DAYEZ, on le retrouve d’ailleurs par la suite également comme intervenant dans la problématique pour résoudre le conflit puisqu’il y avait un conflit, bien entendu, qui était présent : ces deux sœurs qui étaient rentrées au Rwanda en situation qualifiée de désobéissance flagrante et, d’autre part, la communauté reste en Belgique et sœur Gertrude dont on faisait état qu’il était impossible qu’elle retourne au Rwanda parce qu’elle risquait d’avoir des problèmes suite aux accusations de ces deux autres sœurs. Et dans cette réunion, donc, dans cette réunion de visite canonique qui dure quand même quelques jours - c’est du 26 juin 1995 au 4 ou 5 juillet 1995, donc, ça dure une bonne semaine - et donc, il y a un rapport qui est établi où effectivement on parle de diffamation, là c’est bien clair, c’est qualifié en termes de diffamation, donc, ce qui a été rapporté par sœur Scholastique et sœur Marie-Bernard.

Et je ne vous cache pas qu’il y a une phrase qui m’a frappé dans ce rapport, c’est que, un moment donné, il est écrit que s’il y a critique à l’égard de sœur Gertrude, il y a lieu… on doit alors l’adresser à l’ensemble de la communauté et on ajoute : « Il faut aider les sœurs - et on vise là, la sœur Scholastique et la sœur Marie-Bernard - il faut aider les sœurs à admettre qu’elles ont beaucoup de torts et qu’elles ont fait beaucoup de tort ». Je ne vous cache pas que cette phrase me pose un peu de questions parce que c’est évidemment une question de dire : « Mais, si sœur Gertrude est coupable, vous êtes toutes coupables » - c’est quand même fort culpabilisant - et donc : « Si vous faites des déclarations qui mettent en cause sœur Gertrude, cela pourrait être interprété comme des déclarations vous mettant vous-même en cause ».

Donc, on voit quand même ce glissement où, dès le départ, c’est un mensonge. Alors, on retrouve le même glissement, je dirais, tout en respectant bien entendu la présomption d’innocence, mais ici, dans le dossier, elles vont dans les deux sens, puisque vous avez une plainte de dénonciation calomnieuse, vous avez dans l’autre sens, une accusation de responsabilité dans… dans le cadre de ce qui s’est passé à Sovu. Moi, je dis, en tant que juge d’instruction, que je n’ai pas de préjugés, j’ai à voir simplement ce qu’il en est et donc, ici, je ne me base pas du tout sur le fond, je procède simplement à l’analyse mais c’est vrai que dès le départ, on semble avoir pris une position.

Et on retrouve alors là, le père COMBLAIN… la mission du père COMBLAIN. Il semblerait que le père COMBLAIN ait été chargé par les autorités religieuses, d’aller rencontrer les deux sœurs au mois d’août 1995. Cela s’est d’ailleurs passé, il y a eu une réunion le 15 août 1995, à Butare, entre la sœur Scholastique, la sœur Marie-Bernard et le père COMBLAIN. Et on voit que la mission… Et c’est confirmé parce que, lors de cette rencontre, il y a un premier entretien. Le père COMBLAIN fait un rapport où il dit : « J’ai rencontré les sœurs mais les sœurs ne sont pas prêtes à se désolidariser des rumeurs comme je leur avais proposé » - donc, l’objet étant de se désolidariser des rumeurs - et la sœur Scholastique aurait répondu : « Vous n’avez pas de mandat donc, moi, j’estime que je ne veux pas signer de documents », la sœur Marie-Bernard avait été plus loin en disant : « Moi, je n’accepte pas de signer un document sans avoir discuté avec l’ensemble de la communauté ». Et d’ailleurs, les deux sœurs dans le rapport, c’est indiqué, qu’elles s’étonnent un peu qu’on fasse tellement de cas par rapport à sœur Gertrude et les accusations dont elle fait l’objet mais on ne fait peut-être pas beaucoup de cas des morts qu’il y aurait eu, et donc, laissant entendre qu’il y avait toujours un problème qui subsistait.

Lettre du 4, donc… On peut présumer que père COMBLAIN a fait rapport, donc, a transmis ce rapport et a posé la question du mandat et donc, vient avec une lettre du 4 septembre 1995, signée notamment par l’abbé CULLEN, le supérieur, et qui transmet le mandat. Là, je dirais, c’est une lettre très claire - elle a le mérite d’être très claire - où la mission du père COMBLAIN, c’est… face aux accusations mensongères, il faut que les sœurs se rétractent. Et on parle d’ailleurs… c’est une condition pour qu’elles puissent encore être admises dans la communauté. Dans cette lettre-là, on joint également un communiqué de presse que l’abbé CULLEN avait fait début du mois de septembre, où c’était un démenti des accusations. Dans le courrier, on dit : « C’est le minimum que les sœurs devraient signer ». Donc, elles devraient se désolidariser des rumeurs mais qu’elles devraient formellement, formellement donc, se désolidariser, je dirais, et dire que sœur Gertrude est innocente. Et c’est là qu’on voit quand même un glissement un peu étonnant, c’est que finalement, dans ces documents, sœur Gertrude est déclarée… est présentée comme victime d’agissements calomnieux et les deux autres sœurs sont présentées comme, je dirais, ayant une certaine culpabilité puisque, à un moment, dans la lettre, on dit : « Mais, si elles sont innocentes, qu’elles viennent s’expliquer en Belgique et qu’elles prouvent leur innocence ». Donc, ce sont les termes qui sont employés dans cette lettre.

Voilà, c’est un contexte évidemment dont je devais faire état qui montre quand même dans quel environnement les sœurs sont appelées, et dans quel environnement conflictuel - il y avait manifestement un conflit - dans quel environnement conflictuel les sœurs témoins, je dirais, ont été appelées à apporter leurs témoignages. Et c’est vrai qu’on a eu des témoignages assez différents selon que les sœurs - nous avions entendu les sœurs au Rwanda - ont donné des témoignages, je dirais, quelque peu quand même différents que les sœurs ici, entendues en Belgique. On a été quand même frappé, lors des auditions ici en Belgique, c’est que les sœurs souvent ne savaient pas ou n’avaient pas vu ou étaient recluses dans le monastère, étaient au courant, semble-t-il, de peu de choses, à la différence des sœurs qui étaient au Rwanda où les déclarations me paraissaient quand même beaucoup plus détaillées, bien entendu sans préjuger du tout de la crédibilité à accorder à ces déclarations, mais on peut constater que, d’un côté, il semblait qu’il y avait plus de retenue que de l’autre côté.

Alors, j’en viens à la chronologie des événements. Et là, Monsieur le président, je crois que, en rassemblant et en refaisant une synthèse des éléments du dossier, je dois vous dire qu’on arrive à une certaine cohérence dans le sens où l’ensemble des éléments recueillis de part et d’autre - je vous ai dit, on a eu les auditions des sœurs en Belgique, les auditions des sœurs au Rwanda, les auditions, bien entendu, de sœur Gertrude et de sœur Marie Kizito, les auditions des témoins sur les collines, les auditions également de certaines personnes qui étaient détenues à Butare - et je dois vous dire qu’en reconstituant l’ensemble de la chronologie des événements, quelque part, tout le monde est assez d’accord. Et même, est assez d’accord, je dirais, de façon très approfondie sur, je dirais, les positions, les relations de chacun, les… sous réserve de quelques points que, bien entendu, je rencontrerai, sur lesquels il y a discussion, il y a désaccord, mais sur l’ensemble des éléments, il y a, semble-t-il, une version commune. Cela ne veut pas dire que la lecture des événements est la même, bien entendu, mais sur le déroulement et le contenu même des événements et des contacts qu’il y aurait eu, je suis assez frappé par le fait qu’il y a quelque part une version commune, une version… enfin je dirais, un commun dénominateur assez important. Alors, c’est ça que je vais essayer de vous relater, c’est cette chronologie avec les éléments sur lesquels… les éléments rapportés par les uns et les autres et, bien entendu, en mettant en évidence s’il y a l’une ou l’autre dissension entre les différentes versions recueillies.

En ce qui concerne le monastère de Sovu, pour bien comprendre les événements, il faut peut-être distinguer les catégories de personnes qui étaient dans le monastère au moment des faits, au moment des événements. On peut parler de quatre catégories de… on a parlé de réfugiés, mais ce n’est pas tout à fait cela parce que la première catégorie n’était pas des réfugiés. Donc, il y avait quatre catégories que je qualifierai de personnes.

Première catégorie, ce sont des personnes venant de Kigali, des Rwandais venant de Kigali qui étaient en session - on parle des gens en session ­ donc, qui étaient présents au monastère, je dirais, au début, avant les événements, de façon tout à fait normale puisqu’il y avait une hôtellerie au monastère et je dirais, comme on pouvait faire des retraites ou des sessions, donc, le couvent de Sovu accueillait des gens qui pouvaient tenir des sessions. C’étaient des gens qui n’ont jamais été présentés, semble-t-il, sous réserve peut-être de l’une ou l’autre personne Tutsi, mais majoritairement, elles n’ont pas été présentées comme des personnes menacées. Que du contraire, il semblait que c’étaient des personnes qui, pendant les événements, ont pu continuer à circuler, ou en tout cas certaines personnes d’entre elles, et on parle même d’ailleurs que deux des personnes en session étaient même armées. Donc, ce n’étaient pas des réfugiés au sens du terme, ils étaient présents avant, je dirais, les événements, avant le début des événements et ils sont restés peut-être un peu par la force des choses parce que la circulation était… vis-à-vis… par rapport à Kigali, était peut-être moins évidente, mais ce n’étaient pas des gens qui ont été présentés comme étant menacés.

Deuxième catégorie de personnes, c’étaient les familles des sœurs et j’ajouterai Tutsi parce que là, c’étaient les familles de certaines sœurs Tutsi qui s’étaient réfugiées dans le couvent. On parle d’une trentaine, à peu près, de personnes.

Troisième catégorie de réfugiés, là, je peux prendre le terme réfugié, puisque deux, trois, quatre ce sont des réfugiés, enfin à mon sens ils peuvent être qualifiés comme tels. Troisième catégorie, c’est les membres du personnel du couvent et les membres de leur famille qui étaient venus se réfugier au couvent.

Et la quatrième catégorie étant les gens des environs, les gens des collines environnantes qui étaient venus se réfugier, ou même des gens d’ailleurs qui étaient venus, je dirais, d’ailleurs se réfugier d’abord sur les collines et puis au couvent de Sovu. Dernière catégorie où là - je vais commencer par-là puisque, je dirais, au point de vue chronologie, c’est par rapport à ces personnes-là que se posent… s’est posé d’abord les… se sont posés d’abord les premiers problèmes - et donc, ces personnes… on parle d’un premier flux de réfugiés des collines, venant des collines avoisinantes. Alors, cela ne veut pas dire nécessairement qu’ils pouvaient venir de plus loin, mais, je dirais, physiquement, ils sont qualifiés comme venant des communes avoisinantes, donc des collines avoisinantes puisque c’est un endroit où il y a des collines, enfin comme partout au Rwanda, mais enfin bref, autour de Butare c’était sûrement vrai à cet endroit-là et également donc, des personnes… on parle de certaines personnes qui venaient de plus loin.

17 avril. Je vous avais dit que, lors du discours du président, le 19 avril, que c’était le calme toujours dans la commune de Butare ville. Ici, on se situe… Sovu, on peut situer à peu près de 7-8 kilomètres… Monsieur STASSIN ? 7-8 kilomètres du centre, hein… On peut, à peu près, donc, situer 7-8 kilomètres… 7-8 kilomètres, donc, de piste - ce n’est pas une route en macadam - c’est quand même une certaine distance, donc, ce n’est plus, bien entendu, la ville de Butare, c’est considéré déjà comme une commune périphérique. Les premiers réfugiés viennent, dit-on, des femmes et des enfants, les hommes étant restés sur les collines pour occuper les maisons ou pour se défendre. Et, dit-on - c’est l’ensemble des déclarations qui semblent l’indiquer - que comme on semble indiquer que ça a été peut-être… que tout est calme sur les collines, les gens rentrent chez eux… rentrent chez eux le 17 ; donc, femmes et enfants sont arrivés puis ils sont rentrés chez eux, semble-t-il, immédiatement le 17 parce qu’on avait dit que la situation était calme. C’était peut-être à titre… je dirais, par peur, entendant par peur, je dirais, d’émeutes ou de problèmes, qu’ils s’étaient réfugiés puisque les hommes étaient restés sur place. On n’a pas fait état vraiment à ce moment-là de problèmes réels sur les communes et dans les communes avoisinantes mais qu’ils sont retournés sur les collines.

Le 18 avril, il y a un événement et un événement qui est rapporté par tout le monde. Un événement où l’on parle que le bourgmestre de Huye - c’est quelqu’un qui reviendra dans le cadre du récit des événements - Monsieur Jonathan RUREMESHA, donc, le bourgmestre de Huye - on va l’appeler Jonathan dans la suite, ce sera peut-être plus facile ­ donc, est venu sur une des collines et aurait posé la question à la population de qui savait utiliser des armes, qui était disposé ou qui était en tout cas habilité à manier des armes, et on fait état qu’il aurait donné deux grenades à deux jeunes et qu’un des jeunes aurait lancé une ou plusieurs grenades et on parle à ce moment-là d’un Tutsi qui a été tué par cette grenade, un certain RANDGIRA ou RANGIRA. Et donc, cet événement est vraiment relaté par plusieurs réfugiés mais également une des personnes que nous avons entendues lors de la dernière commission rogatoire, reconnaît avoir lancé cette grenade, reconnaît l’avoir reçue du bourgmestre, donc, il met en cause le bourgmestre, et reconnaît l’avoir lancée. J’ai entendu sœur Gertrude à ce sujet-là, à l’époque, et elle m’a dit également qu’elle avait entendu par les réfugiés que le bourgmestre avait pris le côté des Hutu et n’avait pas été bon à ce moment-là.

Donc, le 18 avril, cet événement semble être relayé et donc, semble être conforté par des témoignages, je dirais, de différents horizons. Suite à cela (grenades et, semble-t-il, quand même, donc, problèmes et morts), les réfugiés sont arrivés en masse à ce moment-là, sont revenus en masse et, semble-t-il, en beaucoup plus grand nombre, au monastère et donc, on est le 18 avril. Le 18 avril, des réfugiés reviennent en masse au monastère et, semble-t-il, sont orientés vers le centre de santé. Alors, nous verrons sur les photos - ce sera peut-être tout à l’heure, demain, euh… demain, ou lundi, suivant le temps dont nous disposerons - le centre de santé fait partie, enfin je dirais, dépend du couvent ; il y a des sœurs qui travaillaient au centre de santé situé à peu près à 200 ou 300 mètres du couvent. Nous verrons les photos… on a pris des photos avec le couvent dans le dos, vers le centre de santé et dans l’autre sens, donc, ce sont des photos qui sont… dont vous disposez peut-être, mais je ne sais pas ce dont vous disposez. Mais donc, le centre de santé est situé… on le voit du couvent. Et donc, ces réfugiés sont orientés vers le centre de santé et donc, hébergés à cet endroit-là. Et, semble-t-il, le 18 ou le 19, c’est confirmé de nouveau par plusieurs témoignages, on parle de fausses grenades, de pétards ou de vraies grenades, d’explosions, en tout cas, il y a des explosions, qui fait que le soir, soit le soir du 18, soit le soir du 19, une partie des réfugiés reviennent dans la cour intérieure du couvent parce qu’il y a eu des fausses grenades - sœur Gertrude parle de fausses grenades lancées par les Interahamwe pour faire peur - mais il y a toute une série de réfugiés qui reviennent dans le couvent.

Et il pleut, plusieurs témoignages font état qu’il pleut. Et comme il n’y a pas assez de place dans le bas, il semblerait qu’on ait ouvert les magasins - on verra les magasins sur les photos - qui sont situés au sous-sol mais qui ne sont pas très profonds ; effectivement, il n’y a pas beaucoup de place, il semblerait qu’une partie des réfugiés reste sous la pluie. Ils sont réorientés le lendemain matin vers le centre de santé. Alors, à ce sujet-là, il y a différentes versions qui sont données comme quoi sœur Gertrude aurait refusé d’accueillir les réfugiés autre part que dans les magasins et aurait laissé les réfugiés dans la pluie parce qu’elle ne voulait pas qu’ils entrent dans le couvent. J’ai moi-même entendu sœur Gertrude à ce sujet-là qui m’a dit qu’effectivement, elle ne voulait pas que les réfugiés partagent l’espace occupé, donc, la partie avec les sœurs, parce que, dit-elle, les sœurs étaient déjà menacées et elle ne voulait pas les exposer davantage. Donc, les réfugiés étaient présentés comme une menace complémentaire… le fait de les héberger. D’autres disent vraiment… des témoins rescapés, eux, font état que sœur Gertrude voulait absolument qu’ils aillent au centre de santé parce qu’ils dérangeaient les activités du couvent et qu’il n’était pas question de les accueillir dans le couvent. Quand on voit la disposition des lieux, il y avait pas mal de place en haut, c’est évident, mais le nombre de réfugiés pouvait constituer effectivement un envahissement des lieux, ça bien, mais, je veux dire, il y avait en tout cas place dans le couvent pour les abriter matériellement de la pluie. Je veux dire, au point de vue espace, il y avait une possibilité.

Nous en sommes donc, au 19 avril. Nous arrivons alors… semble-t-il, donc, ils restent au centre de santé. On parle… au point de vue nombre des réfugiés au centre de santé, les chiffres varient suivant les estimations parce que c’est vraiment de cet ordre-là. Sœur Gertrude parle à peu près de 600 réfugiés. Il y a une des personnes, un Interahamwe… enfin une personne détenue, suspectée d’être Interahamwe à Butare, en aveu, parle de 1.500 réfugiés au centre de santé, d’autres parlent de 3.000. Donc, on voit qu’on est dans des chiffres, dans des estimations. Enfin, même s’il y a 500-600 personnes, c’était quand même un grand nombre. 500-600 personnes, c’est effectivement un grand nombre mais on parle, donc, entre - je ne peux que vous dire les chiffres qui m’ont été donnés - entre 500-600 et 3.000.

Le 22 avril. Le 22 avril, c’est le jour où le centre de santé est attaqué. Là, il y a des éléments différents. Le centre de santé est attaqué ; ça, tout le monde est d’accord. Il y a l’incendie qui est bouté ; on met le feu notamment au garage. Alors, je peux vous dire, je l’ai constaté moi-même, ce garage a été manifestement… on a bouté le feu à ce garage. D’ailleurs, on a mis le feu aussi à d’autres endroits dans le centre de santé, nous le verrons sur les photos, on en voyait toujours les traces une année après. Donc, il y a eu une attaque, il y a eu beaucoup de morts, on parle de… sœur Gertrude parle de 500 morts, c’est à ce moment-là qu’elle cite ce chiffre-là. Il y a sans doute certaines personnes, et en tout cas certaines personnes déclarent… ont finalement réchappé mais dans des conditions… des fois avec des blessures, des coups de machette. Cela a été le carnage, cela a été vraiment le massacre, à coups, semble-t-il, de machettes, mais avec feu et grenades également. On voit, semble-t-il, des traces d’éclatement de grenades, alors vous vous rendez compte, dans des endroits où les gens étaient entassés - vous verrez que le centre de santé n’était pas très grand, vraiment pas très grand du tout - une grenade au milieu de gens entassés, ça, malheureusement, ça a dû faire beaucoup, beaucoup de morts et de blessés. Ça a dû vraiment être quelque chose de terrible.

Je pense que vraiment cet événement a dû être terrible. Ça a commencé, semble-t-il, vers 9-10 heures le matin. Les miliciens semblaient s’être donné rendez-vous. Et déjà que la veille au soir, on avait déjà commencé à faire… un peu… faire entendre par l’une ou l’autre explosion ou coup de feu… donc, on avait laissé entendre que l’attaque, en tout cas que la tension ou que, en tout cas, les Interahamwe… on parle de coups de feu ou peut-être d’escarmouches déjà, dès la veille au soir. Je dois préciser, pour être complet, que sœur Gertrude - et donc cela se retrouve dans ses déclarations - avait été, le 17 avril, à Butare pour s’adresser au commandant de place pour demander des militaires pour la protection du couvent et, dit-elle, elle est revenue seule… enfin, elle est revenue seule, je veux dire sans militaires, parce qu’on aurait dit qu’il n’était pas possible d’envoyer des militaires mais il semblerait que par la suite il y ait des militaires quand même qui soient venus. Mais par contre, elle a obtenu deux policiers communaux de la part du bourgmestre, donc deux policiers communaux étaient présents et, semble-t-il, en tout cas suivant plusieurs déclarations, ils auraient été même impliqués dans les massacres, ou en tout cas ne s’y seraient nullement opposés… mais on parle même qu’ils auraient pu être impliqués, donc les deux policiers communaux envoyés vraisemblablement par le bourgmestre Jonathan RUREMESHA.

En ce qui concerne le déroulement des événements, je ne peux évidemment que vous donner, à ce moment-là, les différentes versions qui ont été données concernant alors plus l’implication de sœur Marie Kizito et sœur Gertrude par rapport aux événements du 22. Il y a plusieurs témoins… plusieurs témoins qui affirment avoir vu directement sœur Marie Kizito remettre un bidon d’essence à un des Interahamwe qui aurait mis le feu. D’autres personnes qui ont été entendues, notamment des personnes détenues, déclarent qu’elles ne l’ont pas vu mais qu’elles ne savent pas d’où venait l’essence. Sœur Gertrude et sœur Marie Kizito contestent formellement avoir fourni cette essence. En ce qui concerne, j’en viendrai, je parlerai de Monsieur REKERAHO parce que là, je pense que ce qu’il dit à ce propos-là… comme il a donné deux versions opposées, je crois que ce sera mieux du resituer dans le contexte de l’audition que j’ai faite. Ce qu’on peut dire, c’est qu’il y a en tout cas une convergence pour dire que c’est un certain BYOMBOKA qui a eu le bidon. Et comme on serait assez d’accord sur la présence d’un bidon jaune, cela semble effectivement être convergent, de la présence d’un bidon jaune, que l’essence ait été employée, ça, tout le monde semble le dire. Qu’il y avait un bidon jaune, tout le monde semble effectivement parler d’un bidon jaune qui aurait été en possession de la personne qui a mis le feu.

On parle tous d’un certain BYOMBOKA, et cela se retrouve dans différentes déclarations, en ce compris, je dirais, des différents horizons, on parle d’un certain BYOMBOKA qui a été entendu, qui se trouve détenu à Butare mais qui a dit qu’il n’était pas présent, qu’il n’est venu que le lendemain pour enterrer les morts, mais donc, il n’était pas présent le jour même ; bon, c’est ce qu’il déclare. Mais là, je peux vous dire qu’il y a quand même pas mal de déclarations qui vont dans un autre sens. Ce qui est aussi un fait qui semble être établi, c’est qu’il y avait une réserve d’essence avec des jerricanes… au couvent. On a pris d’ailleurs, lors de la dernière commission rogatoire, des photos du petit bâtiment qui se trouve, quand on regarde l’église, à l’arrière, mais du côté gauche, un peu ce qu’on appelait du côté de la ferme, et donc, c’est près du générateur et des bâtiments abritant cela, donc, on a pris de toute façon des photos. Et ce bâtiment qui abritait l’essence semble en tout cas ne pas avoir été forcé. D’ailleurs sœur Marie Kizito le confirme dans sa déclaration, elle dit : « On n’a pas vu de traces d’effraction, il ne semble pas qu’on ait forcé la porte pour voler de l’essence ». Il semblerait qu’il n’y avait pas beaucoup d’essence disponible dans les environs immédiats, qu’il fallait aller à Butare ou plus loin, donc, il n’y avait pas tellement d’autres alternatives si on voulait de l’essence immédiatement et qu’on n’en avait pas emportée, je dirais, c’est vrai qu’il était peut-être naturel d’aller chercher l’essence à cet endroit-là.

Pour le reste, il y a des déclarations qui sont… certains qui disent qu’on a vu remettre l’essence, qu’on a vu sœur Marie Kizito remettre l’essence, d’autres disent qu’ils n’ont pas vu ou que ce n’est pas exact. Je suppose que ces témoins, et certains témoins seront entendus… il faudra effectivement que vous appréciiez l’ensemble de ces témoignages, moi, je ne peux que donner les éléments. Je reviendrai à la version de Monsieur REKERAHO là-dessus qui a été contradictoire. Il a une fois dit, à un moment donné, il a commencé par dire : « C’est faux, l’essence m’a été remise mais pas directement, elle m’a été remise pour la voiture ». Et dans une seconde audition, il dira : « Effectivement, elle a été remise immédiatement ». Donc, il y a, je dirais, en tout cas contradiction dans ses déclarations devant moi à ce sujet-là mais j’y reviendrai.

Ce qu’on peut dire également, c’est que… en tout cas, on peut en revenir à la version, toujours, des faits de sœur Gertrude où sœur Gertrude - et sœur Marie Kizito le reconnaît également - déclare qu’elle a été avertie de l’imminence de l’attaque. Donc, elle dit : « J’ai été avertie par une personne qu’il allait y avoir une attaque ». Donc, avant l’attaque. Elle dit : « On a eu fort peur ». Et elle dit : « Mais j’ai décidé d’aller voir le responsable des Interahamwe », donc, Monsieur REKERAHO. Et donc, elle dit : « Je prends l’initiative de prendre les devants et d’aller le voir ». Donc, il y a, en tout cas ce jour-là, un contact entre sœur Gertrude et le responsable des Interahamwe, semble-t-il, le jour avant, pendant, cela a duré une journée. Sœur Kizito reconnaît également… elle dit également : « Il y a eu un contact, et j’ai rejoint d’ailleurs, je ne sais pas ce qui m’a poussée…- ce qu’elle déclare devant moi - mais j’ai voulu m’associer, enfin, j’ai rejoint… j’ai participé à la conversation où il a été question », et elle ajoute que c’est à ce moment-là que Monsieur REKERAHO aurait demandé la voiture ou la camionnette plutôt, du centre de santé. Il faut savoir que beaucoup de témoins disent que la camionnette du centre de santé était utilisée par les Interahamwe dont Monsieur REKERAHO, donc, pendant les événements. Monsieur REKERAHO a déclaré devant moi que c’était à partir du 10 avril, donc plus tôt, ici on est le 22 avril. Donc, pour sœur Marie Kizito, elle dit : « Il nous a demandé la voiture et on a ouvert la porte du garage et il a pris la voiture ».

Donc, contact qui a sûrement eu lieu le 22 avril, donc contact entre sœur Gertrude, sœur Marie Kizito, au moins un contact, où ils auraient été ensemble ; c’est confirmé d’ailleurs par Monsieur REKERAHO lui-même.

Le lendemain matin, donc, à l’occasion de ce contact, sœur Gertrude - en tout cas, si je ne me trompe pas, c’est dans la lettre qu’elle a jointe à sa plainte, lettre adressée à l’abbé CULLEN pour relater les événements - elle dit d’ailleurs qu’à ce moment de ce contact, il a dit qu’il reviendrait le lendemain et, dit-elle, c’est le motif pour lequel le lendemain, à 5 heures du matin, sœur Gertrude semble, donc a décidé de partir, que l’ensemble de la communauté irait vers Butare, donc le 23 à 5 heures du matin. Et comme il n’y a pas de place, je veux dire tout le monde ne peut pas prendre place dans les véhicules en un convoi, finalement il est décidé de faire deux convois. Alors là, il y a des discussions en ce qui concerne les familles des sœurs. Il semblerait que certaines familles des sœurs aient manifesté la volonté de venir, d’accompagner leurs sœurs ou que certaines sœurs ont émis le désir de se faire accompagner de leur famille, d’autant plus qu’il était question d’imminence d’attaque du couvent ; on peut effectivement comprendre une telle démarche. Sœur Gertrude explique que, comme il n’y avait pas de place dans le premier convoi - elle est partie avec le premier convoi - il a été décidé que les familles accompagneraient lors du second convoi et puis les familles n’ont pas accompagné lors du second convoi, il y a d’ailleurs trois sœurs qui sont même restées sur place et elle a dit : « Tout ce qu’on m’a dit c’est qu’elles n’ont pas voulu venir ». Il semblerait que pour le second convoi, ce n’était pas une question de place.

D’autres témoins déclarent que c’est sœur Gertrude qui s’est opposée à ce que les familles accompagnent parce que cela faisait trop de monde et qu’on ne savait pas prendre tout le monde et que donc, c’était une question, pas seulement pour le premier convoi mais également pour le deuxième convoi. Donc, là il y a des déclarations dans un sens contraire. Les sœurs se rendent à la paroisse de Ngoma. On a entendu le curé d’ailleurs de la paroisse de Ngoma. Là, ils se rendent à Butare ville. Trois sœurs restent dans le couvent. Sœur Marie Kizito dira devant moi que c’était pour… qu’elle restait pour « voir ce qui allait se passer », c’est l’expression qu’elle a employée devant moi. On a le récit alors de ce qui s’est passé à la paroisse de Ngoma où il semblerait que l’intention des sœurs était d’aller à l’évêché et qu’elles n’ont pas pu atteindre l’évêché, que la situation à Ngoma ne leur a pas permis d’aller jusqu’à l’évêché, donc, elles se sont retrouvées, je dirais, coincées quelque part à la paroisse de Ngoma. Alors, on fait état qu’à ce moment-là, la paroisse faisait l’objet de menaces de milices d’Interahamwe et il est fait état, sœur Gertrude d’ailleurs le confirme, c’est qu’elle aurait même dû payer de l’argent pour, je dirais, avoir la vie sauve ou en tout cas pour échapper aux menaces. Toujours est-il qu’il semblerait que, face à cette situation bloquée, sœur Gertrude ait décidé, à ce moment-là, de retourner au couvent. Elle dit que : « Quitte à mourir, plutôt que mourir ici, quitte à mourir alors, à ce moment-là, au couvent ». C’est comme cela qu’elle présente en tout cas la décision de retourner à Sovu. Alors, nous sommes donc le 23.

Et le 23 au soir, elle aurait eu un contact, c’est, je dirais… tout le monde le dit, elle aurait eu un contact avec le commandant de place militaire et sœur Gertrude dit que le commandant lui aurait répondu : « Cela ne se fait pas de me contacter directement comme ça, vous n’avez pas à faire ça ». Et ensuite, elle aurait eu un contact avec le numéro… celui qui se trouvait en dessous. J’en ai parlé lors de mon introduction, le lieutenant HATEGEKIMANA qui est un peu qualifié comme étant… le n° 1 étant sans doute le colonel le témoin 151 qui est actuellement détenu à Arusha, le n° 2, suivant certains, étant le capitaine NIZEYIMANA, le n° 3, on parlait un peu du lieutenant, on parle d’ailleurs… le curé de la paroisse, le témoin 54, parle du terrible lieutenant HATEGEKIMANA. Et donc, elle aurait eu ce lieutenant au téléphone. Sœur Gertrude dit : « Je l’ai eu ». Il faut savoir que le père le témoin 54 déclare qu’ils avaient l’air de bien se connaître et que, je dirais, elle parlait comme avec quelqu’un avec qui elle s’entendait bien, ce que conteste sœur Gertrude en disant qu’elle ne le connaissait pas.

Toujours est-il qu’il y a ce contact et alors, sœur Gertrude déclare qu’elle n’a pas eu… qu’elle n’a pas pu avoir, je dirais, un soutien des militaires ou qu’on a annoncé les militaires mais qu’ils ne sont pas venus. Et le lendemain, donc le 25 euh… le 24, le 24 avril, le lendemain, à ce moment-là, elle téléphone au camp militaire de Ngoma, donc de Butare ville. Et là, elle a REKERAHO au téléphone, donc REKERAHO, le responsable, en tout cas celui qui est désigné par tous comme le responsable des milices Interahamwe de Sovu. REKERAHO dira d’ailleurs lui-même qu’il confirmera ce contact mais en disant que c’était plutôt lui qui avait téléphoné. Et alors, il semblerait en fait que la réaction de Monsieur REKERAHO - et c’est confirmé vraiment par l’ensemble des témoins - c’est qu’il était fâché. Il était fâché parce que les sœurs étaient parties à son insu, et lui dira : « Je me sentais investi de la protection des sœurs et moi, je protégeais les sœurs et elles vont derrière mon dos alors que je les protège, je fais tout pour les protéger, elles vont, derrière mon dos, fuir sans m’avertir ». Je devais préciser encore que pour les deux trajets, les deux convois pour aller à Ngoma Butare ville, sœur Gertrude a fait appel au bourgmestre, Jonathan RUREMESHA qui les a accompagnées pour le premier convoi, pour passer les barrières et qui lui-même s’est chargé du second convoi. Donc, c’est le bourgmestre qui a assuré le transfert des sœurs de Sovu à Butare ville.

Et donc, finalement, elles obtiennent une escorte de militaires pour rentrer à Sovu et là, elles rencontrent Monsieur REKERAHO et Gaspard qui est un voisin, Gaspard… RUSANGANWA, merci Monsieur STASSIN. On va l’appeler Gaspard, ce sera plus simple. Gaspard, qui est un voisin, qui est juste derrière, qui est… précisément qui habite derrière le couvent. Il y a une petite porte à l’arrière qui donne sur la maison de Gaspard - on a pris des photos à ce sujet-là parce que c’est un personnage qui intervient également… les contacts de Gaspard, le voisin - qui est en fait un ancien moine, qui est quelqu’un qui aurait travaillé avec la Croix Rouge mais qui, pendant les événements, est qualifié, en tout cas, désigné par beaucoup, comme étant Interahamwe très actif, comme responsable également des Interahamwe, en dessous, collaborateur, je dirais, un peu bras droit de Monsieur REKERAHO. Donc, il est qualifié comme étant tout à fait… faisant partie des personnes étant impliquées. Donc, REKERAHO et Gaspard sont là lorsque les sœurs reviennent et Monsieur REKERAHO est fâché ; je vous ai dit pourquoi, semble-t-il, il est fâché : parce qu’elles étaient parties à leur insu. D’ailleurs sœur Gertrude dira qu’il les méprise, qu’il est agressif et elle dit qu’à ce moment-là, elle le fait monter dans l’hôtellerie - sa déclaration de sœur Gertrude devant moi, donc ça, c’était au mois de janvier 1996 - quand j’ai été appelé à l’entendre.

Et donc, elle déclare à ce moment-là qu’ils sont montés dans l’hôtellerie et qu’à ce moment-là, Monsieur REKERAHO lui a dit : « C’est pour demain 8 heures ». Monsieur REKERAHO… elle dit : « Il », cela pourrait… peut-être Gaspard, je ne sais pas si c’est l’un ou l’autre, mais enfin on dit : « C’est pour demain 8 heures ». Et sœur Gertrude comprend qu’à ce moment-là, cela veut dire que demain il y aura une attaque. Et j’ai posé la question à sœur Gertrude de dire : « Mais oui, bon, demain 8 heures… ? ». Alors, elle dit : « On a passé la nuit dans l’anxiété et le lendemain matin on a informé les réfugiés qu’ils allaient venir ». Je dis : « Mais pourquoi vous n’avez pas prévenu le soir ? ». Elle dit : « J’étais tellement perturbée avec ce qui s’était passé à Ngoma où on avait été menacées que je n’ai pas pensé à les prévenir ». Et donc, le lendemain matin, elle convoque, semble-t-il, tout le monde avant l’attaque, avant que les Interahamwe soient là ; en tout cas, c’est ce qu’elle déclare. Elle dit : « Je les convoque en disant : « Ecoutez, ou bien vous restez ici et vous allez mourir - c’est ce qu’elle déclare - ou bien vous restez ici et vous allez mourir, ou bien vous partez, vous avez peut-être une chance de survivre ». Je dis : « Mais compte tenu des événements et qu’on avait annoncé une attaque, survivre… ». Alors, elle dit : « Oui, mais j’espérais que les gens aient le temps de se cacher dans les buissons ». On peut se demander pourquoi alors elle n’a pas prévenu la veille au soir, c’était quand même plus simple.

Toujours est-il que, ça semble qu’on n’ait pas du tout le temps parce que les Interahamwe sont aux portes de… aux portes du couvent. D’autres témoins déclarent qu’en fait la sœur Gertrude aurait déclaré en disant : « Ecoutez, ou bien c’est tout le monde qui meurt ici ou bien il n’y a que vous qui mourez ». En disant un peu : « Ou bien on meurt tous parce que si vous ne vous dévouez pas à vous livrer, eh bien, tout le monde va être pris ». Là, c’est un peu une version quand même un peu différente de ce qui se serait dit, donc, le 25 au matin.

Toujours est-il que Monsieur REKERAHO et donc, les Interahamwe viennent, se présentent et, disent-ils, ils demandent… alors on parle d’une liste et il n’est pas exclu qu’une liste ait été établie, en tout cas il semblerait que pendant l’absence des sœurs, Monsieur REKERAHO serait venu, aurait été fâché d’ailleurs de voir que les sœurs étaient parties et aurait fait l’inventaire des personnes se trouvant encore là. Mais il n’y aurait pas eu d’attaque à ce moment-là. Et il aurait rencontré les trois sœurs qui étaient restées. Donc, REKERAHO demande à sœur Gertrude de faire sortir les réfugiés. Il s’agit ici, semble-t-il, des réfugiés, les membres du personnel et les familles des membres du personnel. Il a l’air de dire les sœurs, les familles des sœurs, je n’y touche pas ; il semblerait qu’il le confirmera par la suite. Et sœur Gertrude rentre et demande, et dit aux gens : « On vous appelle, sortez, les Interahamwe vous appellent ». Donc, il semblerait que les Interhamwes ne soient pas entrés dans le couvent et que ce soient les réfugiés qui soient sortis, je ne vais pas employer le terme volontairement, mais, je dirais, suite à l’avis donné par sœur Gertrude, d’ailleurs on parle, certains qui ont dit : « Nous sommes d’accord de mourir, donc nous allons devant puisqu’il n’y a pas d’autres solutions ».

Et donc, en présence, semble-t-il, de sœur Gertrude et de sœur Marie Kizito et donc, semble-t-il, donc, il y a un tri qui se fait entre, semble-t-il, Hutu, Tutsi et il y a une partie en tout cas des réfugiés qui se fait tuer sous les yeux… sous les yeux, semble-t-il, de sœur Gertrude et sœur Marie Kizito euh… où là, semble-t-il, donc il y a toute une série de personnes qui s’étaient réfugiées, il semblerait que ce soit la majorité, on parle de 30 personnes, 50 personnes qui auraient été tuées à ce moment-là. Les familles des sœurs, par contre, là, on ne les inquiète pas. Donc, ça étant, je dirais, deuxième massacre concernant Sovu.

Alors, entre le 25, on peut situer une période que certains qualifieront d’accalmie ou, en tout cas, une période où il y aurait eu des menaces mais en tout cas il n’y aurait plus eu d’attaque, entre, donc, le 25 et le 6 mai. Alors, il y a plusieurs sœurs, dont une sœur en Belgique qui avait fait une attestation qui est jointe à la plainte, donc on ne peut pas dire que cette attestation était produite par quelqu’un à charge puisque cette attestation a été produite par sœur Gertrude elle-même à l’appui de sa demande de dénonciation calomnieuse, qui, si je me souviens bien, c’est la sœur Domitille, qui déclare qu’en fait Monsieur REKERAHO avait dit : « Moi, les familles des sœurs, je les laisse sauves », en d’autres termes donc : « On a assez travaillé, on ne vous inquiétera plus ». C’est confirmé par deux autres sœurs. C’est confirmé aussi par Monsieur REKERAHO lui-même qui dira : « Moi, j’avais décidé que c’était terminé à ce moment-là ». Par contre, sœur Kizito et sœur Gertrude disent qu’ils avaient encore des menaces de miliciens et que les miliciens continuaient à les harceler en disant : « Vous avez toujours des réfugiés chez vous et donc vous protégez toujours des réfugiés ». Elles se sentaient menacées.

Et alors, on en vient à la fameuse lettre, il faut l’appeler comme ça, du 5 mai 1994, où c’est une lettre adressée par sœur Gertrude au bourgmestre Jonathan RUREMESHA, au bourgmestre de Huye. Je pense qu’il est important de s’attarder à cette lettre et aux termes utilisés dans cette lettre. Donc, cette lettre est adressée au bourgmestre, datée du 5 mai - la date est évidemment importante - et il y a d’ailleurs copie pour le préfet et pour le commandant de place ; d’ailleurs, c’est comme cela qu’on a retrouvé cette lettre… on l’a retrouvée sans doute à Butare à la préfecture. On ne l’a pas retrouvée à la commune de Huye ; d’ailleurs on voit un cachet d’entrée sur la lettre, qui date du 9 mai, qui… on peut penser que c’est la copie qui a été transmise à la préfecture de Butare. Et cette lettre, donc… l’objet… elle mentionne comme objet… Une lettre en kinyarwanda mais qui a été traduite, et je me base ici sur la traduction du traducteur juré, donc la traduction que j’ai demandée moi-même, et d’ailleurs sœur Gertrude a été entendue à ce sujet-là et a confirmé que c’était la traduction qui lui semblait la plus conforme, il y avait une autre traduction qui figurait au dossier, mais elle trouvait que la traduction du traducteur juré était en tout cas la plus fidèle.

« Concerne : demande de protection », ça c’est la rubrique.

Et donc, les termes de la lettre sont les suivants :

« Monsieur le bourgmestre, ces dernières semaines… » - je ne dis pas que c’est du mot à mot, mais enfin je vais essayer d’être le plus fidèle possible compte tenu de ma mémoire, mais je pense que je m’en sortirai ­ « …ces dernières semaines, nous avons reçu la visite de différentes personnes… », donc au couvent, « …nous avons reçu la visite de différentes personnes qui, soit étaient en visite et qui ne restaient pas plus qu’une semaine, qui soit étaient en mission, ou encore qui venaient se reposer ou venaient prier ». Donc, je crois qu’on vise là : « Ces dernières semaines, nous avons eu la visite de façon habituelle », il faut ajouter, je pense : « C’est de façon habituelle », ce sont des personnes qui venaient de façon habituelle, c’est-à-dire en mission pour prier, se reposer, ou des visiteurs qui ne restaient pas plus d’une semaine. Deuxième paragraphe - donc je crois qu’on visait là les gens en session… les gens en session qui étaient accueillis à l’hôtellerie - deuxième paragraphe, c’est : « Depuis que la guerre s’est propagée, nous avons vu venir des gens au monastère de façon désordonnée et qui s’obstinent à rester ici alors que nous n’avons pas les moyens de continuer à les héberger ici de façon… nous n’avons pas les moyens de les héberger de façon illégale ». Alors, je ne cache pas que le terme « illégal » est évidemment un tout petit peu particulier. Là, on vise bien plus précisément ceux qui étaient venus de façon désordonnée, c’étaient des réfugiés, semble-t-il.

Alors, le fait qu’on n’avait pas « Les moyens de les héberger de façon illégale », on s’adresse à une autorité, donc, il semblerait que dans l’esprit de sœur Gertrude, c’était illégal, que ces réfugiés étaient en situation illégale. C’était peut-être plutôt en situation de danger… enfin situation illégale. « Il y a quelques jours - je poursuis le paragraphe - il y a quelques jours, j’ai demandé aux autorités communales de les mettre en demeure de rentrer chez elles- donc ces personnes - de les mettre en demeure de rentrer chez elles ou d’aller ailleurs où elles veulent vivre puisque je ne peux pas subvenir… on ne peut pas subvenir à leurs besoins, au monastère ». Et, dernier paragraphe : « Je vous demande avec insistance - c’est en grandes lettres - je vous demande avec insistance, Monsieur le bourgmestre, que la date du 6 mai soit la date limite, que tout soit terminé pour cette date afin que les activités habituelles du monastère puissent se poursuivre sans inquiétude ». Et puis, il y a une formule : « Nous vous confions », enfin « nous vous prions de confier nos prières à Dieu », enfin bon, une formule de politesse religieuse.

Alors, cette lettre évidemment est adressée au bourgmestre, Monsieur RUREMESHA Jonathan. Alors, sœur Gertrude donnera comme explication dans ses auditions en disant : « Oui, mais c’était pour protéger les réfugiés qui étaient menacés… j’avais appris qu’ils étaient menacés au couvent et j’ai demandé qu’ils soient mis en un lieu sûr ». Cela ne correspond pas au contenu de la lettre puisqu’on ne parle pas du tout de les mettre en lieu sûr, on dit qu’ils retournent chez eux ou qu’ils aillent ailleurs où ils veulent aller vivre. Donc, le contenu même de la lettre en tout cas ne semble pas du tout correspondre à cette intention de vouloir les protéger. Alors, j’ai fait quand même remarquer à sœur Gertrude… c’est que la question c’est qu’elle faisait appel au bourgmestre ; alors, le bourgmestre n’étant pas quelqu’un, semble-t-il, de neutre puisque dès le 18 avril, il y avait eu ce problème de grenade où, semble-t-il, il avait pris position.

Deuxième élément, c’est qu’il y avait eu aussi - et ça, c’est à un moment donné, sœur Gertrude qui l’a déclaré - elle a dit qu’à un moment donné elle avait eu, entre le 25 avril et le 5 mai, une demande… REKERAHO qui était venu chez elle « avec un papier du bourgmestre », elle dit, pour demander les derniers réfugiés. Et elle avait dit : « J’ai refusé parce que je savais qu’ils allaient être tués ». Alors, évidemment, on peut se poser la question, pourquoi après elle fait appel à la même personne, puisque Monsieur REKERAHO serait venu avec un papier du bourgmestre et là, elle dit : « Ah, je savais qu’ils allaient se faire tuer et j’ai refusé ». Après, elle déclare en disant : « Je fais appel parce que je pensais que c’était la seule façon de pouvoir les protéger étant donné qu’ils étaient menacés ». Quand on voit que c’est pour poursuivre les activités du couvent sans inquiétude, c’est plutôt peut-être un autre élément qu’elle avançait dans ses auditions en disant : « Oui, les réfugiés constituaient une menace pour le couvent ». Que si on abritait des réfugiés… c’est quelque chose qu’elle a déclaré, en disant : « Oui, mais la présence des réfugiés doublait la menace vis-à-vis du couvent ». Maintenant, elle pouvait… effectivement, elle faisait appel à une autorité qui quand même pouvait, me semble-t-il, poser problème. A cela, elle m’a répondu : « Oui, mais vous savez les gens qui tuaient étaient aussi les gens qui sauvaient ». C’est ce qu’elle m’a répondu quand j’ai dit que le bourgmestre semblait quand même être du côté… et Gaspard et le bourgmestre étant quand même du côté… et REKERAHO, du côté quand même des personnes qui participaient activement aux massacres. Alors, elle dit : « Oui, mais s’ils avaient bonne grâce, on était sauvé et si c’était pas le contraire, s’ils voulaient tuer, ils tuaient ».

On peut se poser la question, évidemment, avoir « bonne grâce », si ce n’est pas cela qui a été un peu recherché, évidemment, c’est d’être en « bonne grâce » avec Monsieur REKERAHO, avec le bourgmestre et avec Gaspard. Mais je reviendrai sur cette question-là, sur les relations… en tout cas, de ce qui ressort de l’ensemble des auditions concernant les relations entre ces différentes personnes.

Toujours est-il que le 6 mai, le bourgmestre arrive. On demande… on fait sortir tous les derniers réfugiés, c’est-à-dire les familles des sœurs. Et à ce moment-là, il y en a une partie qui est tuée quasi sur place et l’autre partie qui semble avoir été emmenée à Butare et tuée à Butare. Avec des épisodes assez interpellants et dramatiques… notamment une des sœurs qui a payé un des soldats pour que sa famille soit tuée plutôt par balles que par machettes. Et ça semble être confirmé tout à fait que cet épisode s’est passé. Donc, vraiment cela a été un massacre, je veux dire, où les sœurs, je dirais, ont vu leurs propres familles tuées sous leurs yeux. Et le 6 mai, c’est la date limite du courrier ; c’est le lendemain, date limite du courrier. Donc, ça semble quand même un lien direct entre le courrier et ce qui se passe le lendemain, puisque dans le courrier, on parle que tout doit être terminé pour le 6 mai, date limite, tout doit être terminé pour cette date-là. Là, effectivement, c’est un élément qui… cet épisode-là est évidemment… pose question et doit être, évidemment, est un des éléments clés qui est soumis à votre… qui sera soumis à votre décision.

J’en viens maintenant pour la suite - je suppose qu’elle a déjà été évoquée, je pense que, par rapport au nœud des questions, c’est principalement… pour la suite - il semblerait que le couvent n’ait pas été inquiété, que les sœurs n’aient plus été inquiétées après cela. Le couvent n’a jamais été attaqué. Il n’y a même pas une vitre qui semble avoir été cassée, donc, le couvent lui-même, les pierres ont été sauvées. Les sœurs elles-mêmes ont été épargnées jusqu’à leur départ ; je vous ai expliqué la suite… malheureusement, dans le trajet vers le Burundi, il y a différentes sœurs qui ont été tuées, mais donc, ce n’est pas à Sovu. Et alors, il faut peut-être encore ajouter, c’est qu’il a été fait appel à Monsieur REKERAHO pour quitter Butare, c’est quand même un élément qu’on refait appel quand même à Monsieur REKERAHO.

J’en viens maintenant… je vous ai retracé la chronologie des événements, mais il me semble évidemment… un des points essentiels dans le cadre… pour l’appréciation des faits reprochés aux deux accusées, c’est notamment toute la question de leurs relations avec le bourgmestre et leurs relations avec Monsieur REKERAHO et Gaspard, donc le voisin, qui sont désignés, tous deux, comme étant ceux qui dirigeaient les Interahamwe. D’abord, il faut voir que, suivant beaucoup de déclarations, et notamment des déclarations des sœurs, il semblait que sœur Gertrude et sœur Marie Kizito étaient les deux seules sœurs qui avaient des contacts avec les gens extérieurs. Donc, c’étaient les deux sœurs… et qu’elles avaient ces contacts la plupart du temps ensemble, donc qu’elles faisaient… Alors, il y avait une explication à cela, notamment pour sœur Gertrude : elle était la supérieure, pour sœur Marie Kizito : l’explication était qu’elle venait de la colline et qu’elle connaissait tous ces gens-là. D’ailleurs, certaines personnes font état que deux frères de sœur Marie Kizito étaient des Interahamwe, donc, qui auraient été impliqués dans les massacres… ce que sœur Marie Kizito dit : « J’ignorais, je restais au couvent ». Ce n’est pas tout à fait vrai. D’ailleurs, elle reconnaîtra par la suite que quand même, enfin, elle restait peut-être au couvent, enfin des fois elle avait quand même des contacts avec l’extérieur et elle aurait pu peut-être en savoir quand même un peu plus.

En ce qui concerne maintenant les contacts entre le bourgmestre et sœur Gertrude et sœur Marie Kizito… je veux dire, tout le monde est d’accord en disant qu’il y a eu plusieurs contacts. Il y a eu notamment la demande pour les deux policiers communaux pour qu’ils viennent protéger le couvent, il y a eu par la suite l’aller pour… quand ils se sont rendus à Butare ville le 23 avril où le bourgmestre est allé faire… aider le premier convoi et s’est chargé totalement du second convoi et par la suite également, donc, il semblerait… là, évidemment, la question de la lettre du 5 mai avec la venue du bourgmestre le 6 mai puisque le bourgmestre est venu, donc lui-même, le 6 mai avec des gens, et c’est à ce moment-là qu’une partie des personnes aurait été tuée et une autre emportée à Butare, mais aurait été tuée également dans cette ville.

En ce qui concerne les relations entre sœur Gertrude, sœur Marie Kizito et Gaspard, enfin Monsieur Gaspard et Monsieur REKERAHO Emmanuel, on peut dire que - et d’ailleurs sœur Marie Kizito et sœur Gertrude le disent - qu’ils entretenaient des relations assez étroites, donc, des relations… qu’ils étaient en contact, c’est confirmé par les sœurs également, que la sœur Gertrude et la sœur Marie Kizito, c’étaient elles qui parlementaient, qui discutaient avec le chef des miliciens, comme on le dit, donc, qu’il y avait des contacts, plusieurs contacts fréquents. Alors, c’est peut-être intéressant de relever d’ailleurs que sœur Gertrude dit elle-même que les contacts ne se limitaient même pas à Monsieur REKERAHO entre sœur Kizito, elle dit : « Sœur Kizito avait plus de contacts avec les Interahamwe de façon générale, parce qu’elle les connaissait et elle plaidait pour nous ». Alors, je lui ai posé la question : « Mais qu’est-ce qu’elle disait aux Interahamwe ? » puisque, semble-t-il, c’étaient des gens des environs. Elle dit : « Cela, je ne sais pas mais elle me rapportait en disant qu’elle plaidait pour nous et qu’elle plaidait pour notre défense », pour la défense des sœurs. Et je dis : « Et des réfugiés ? », « Ah, oui, oui. Et des réfugiés aussi ». Enfin, c’était sur interpellation que cela a été ajouté. Je dois vous dire que cette relation assez proche entre sœur Marie Kizito et sœur Gertrude, même si je pense que ça pouvait être une relation teintée de peur, mais par son côté par ailleurs également amical ou assez étroit, en a choqué plus d’un qui ont dit : « Mais, on savait quand même ce qu’ils faisaient ».

Alors, c’est vrai qu’il y a l’un ou l’autre élément qui pose question, c’est vrai qu’on peut se poser la question si ce n’était pas une collaboration. Alors, une collaboration peut-être pour… dans le but de sauver le couvent et sauver les sœurs, mais est-ce que ce n’est pas une collaboration qui s’est installée aux dépens des réfugiés ? Collaboration dont on a quand même certains éléments qui se sont traduits… certains éléments objectifs, notamment l’utilisation du véhicule. Je crois que dans la tête de sœur Marie Kizito et sœur Gertrude, elles disent qu’elles n’avaient pas le choix, qu’elles ont donné le véhicule. REKERAHO déclare qu’il a reçu le véhicule en contrepartie de la protection qu’il allait assurer pour le couvent et pour les sœurs. Il semblerait qu’il recevait l’essence aussi pour le véhicule, véhicule qui servait à transporter les Interahamwe, semble-t-il. Collaboration qui s’est traduite aussi dans un autre sens par des aides qu’elles ont reçues. C’est vrai que quand il y avait un problème, d’ailleurs, sœur Gertrude dit : « Je vais parlementer avec REKERAHO pour essayer d’arranger les choses ». REKERAHO est fâché quand elles vont ailleurs parce qu’il se considère comme leur protecteur et d’ailleurs, à un moment donné, dans leurs déclarations, sœur Marie Kizito et sœur Gertrude reconnaîtront que Gaspard, le voisin et REKERAHO, étaient tous deux un peu quelqu’un… enfin qu’elles faisaient appel pour les protéger et avec lesquels elles voulaient entretenir de bonnes relations. Cela s’est traduit également, semble-t-il, par des avertissements, des avertissements de ce qui allait se passer. Sœur Gertrude dit : « Le 22 avril, j’ai été avertie le matin qu’il allait y avoir une attaque ». Le 24 au soir, elle dit : « Gaspard et REKERAHO me préviennent, c’est pour demain 8 heures ».

Donc, il semblerait qu’il y ait quand même une relation, quelque part une relation particulière, pour qu’on prévienne en disant : « On vient ». Il fallait quand même un certain type peut-être de relation quand même… je ne vais pas parler du terme de confiance, mais en tout cas que REKERAHO n’allait pas se faire trahir puisqu’il pouvait… semblerait-il, on n’hésitait pas à prévenir même qu’on allait venir le lendemain. Il faut reconnaître que ce n’est pas toujours parce qu’on prévenait que les gens parvenaient à fuir. Il fallait encore savoir où fuir. De ce côté-là, c’est vrai que ce n’était peut-être pas toujours évident. Relation qui s’est traduite également par Monsieur REKERAHO qui les a aidées, par exemple, dans la fuite après pour quitter finalement Butare, REKERAHO qui est intervenu. Mais alors aussi, plus amicalement peut-être - et là c’est vrai que certains se sont posé la question - c’est qu’il semblerait qu’on leur servait également à boire et sœur Gertrude a déclaré devant moi, c’est que : « Sœur Kizito leur servait à boire pour les distraire, pour essayer qu’ils ne pensent pas trop à massacrer, mais plutôt pour les distraire ». Et c’est vrai qu’il y a des témoins qui parlent qu’après… notamment que le 22 avril, avant ou après les massacres, on aurait eu une consommation qui aurait été servie à Gaspard, à REKERAHO.

Alors, c’est vrai que tout ça est à apprécier mais cette relation sans doute… le souci de protéger le couvent, protéger les sœurs était sans doute présent, et toutes les sœurs sans distinction, mais au prix de quoi ? Et là, c’est vrai que c’est une question qui reste entière et sur laquelle vous aurez à vous pencher.

Nous en arrivons maintenant, et je finirai parce que je pense que c’est plus quelque chose dont il faut laisser peut-être un statut un peu à part, c’est la question de l’audition de Monsieur REKERAHO. Donc, Monsieur REKERAHO… nous avons appris qu’il avait été arrêté. Vous savez, on apprend tôt ou tard… je crois que les autorités rwandaises sont un peu submergées par l’ensemble des affaires, et ce n’est que tardivement que nous avons appris que Monsieur REKERAHO avait été arrêté et même d’ailleurs, au moment où je suis allé au Rwanda, condamné à mort en première instance. Donc, il était en appel au moment où je l’ai entendu et donc, il me semblait effectivement un témoin assez essentiel à pouvoir entendre. Alors, Monsieur REKERAHO… nous avons obtenu l’ensemble de son dossier pénal qui a été constitué par l’auditorat militaire puisqu’il était considéré comme adjudant chef, ancien adjudant chef, mais on considère comme encore un statut de militaire. Et donc, il y a eu tout un dossier qui a été constitué par les autorités rwandaises avec plein de témoignages, dossier d’ailleurs qui est joint à la procédure, dont on a assuré la traduction par la suite… donc, qui est joint à la procédure, dans lequel, je dirais, on a tous les éléments qui semblent avoir fondé sa condamnation à mort et on peut dire qu’il y a, c’est vrai, beaucoup d’éléments convergents disant que, effectivement - je pense que c’est peu contesté, d’ailleurs cela a été reconnu par sœur Kizito et sœur Gertrude - que REKERAHO était celui qui dirigeait les miliciens, les Interahamwe et que c’était lui qui serait à l’origine en tout cas de certains massacres, d’ailleurs pas seulement à Sovu.

Dans les accusations dont il faisait l’objet, ce n’était pas limité du tout à la colline de Sovu, c’était également dans tous les environs. Il faut noter qu’on retrouve d’ailleurs REKERAHO dans les comités, dans les réunions de sécurité. On a retrouvé un document du 19 mai où on retrouve Monsieur REKERAHO, un document d’une réunion de sécurité organisée par le bourgmestre Jonathan RUREMESHA qui montre bien qu’ils se connaissaient, je n’ai pas envie d’employer les termes « travailler ensemble » parce que c’est à double terme, mais qu’ils participaient aux mêmes réunions de sécurité. D’ailleurs, Monsieur REKERAHO déclarera devant moi qu’il était membre responsable de la section MDR de la commune de Huye et effectivement dans ce document, on voit les responsables politiques, Monsieur REKERAHO Emmanuel, représentant le MDR. C’est quelque chose qui, je dirais, est confirmé par un document qui a été retrouvé, document où d’ailleurs on parle d’une réunion d’un comité de sécurité, le 9 mai, à Sovu, donc, après le 6 mai, on parle de Sovu mais là, dans le sens pas au couvent, dans le sens de la colline de Sovu.

En ce qui concerne donc, l’audition de Monsieur REKERAHO… il était détenu, il l’est toujours, je pense d’ailleurs… et donc, nous avons procédé à son audition. Il faut savoir qu’il avait déjà été entendu par un enquêteur du Tribunal international (sauf erreur de ma part, cet enquêteur va être entendu comme témoin) donc, moi, cette audition, j’estime que je peux témoigner de ce que j’ai entendu et pas de quelque chose auquel je n’étais pas présent, mais cette audition a été jointe au dossier. D’ailleurs, sauf erreur de ma part, suivant les procédures applicables par le Tribunal international, a été également enregistrée et ce sont des auditions qui sont également enregistrées. Et donc, nous avons rencontré Monsieur REKERAHO et nous avons procédé de façon circonstanciée à son audition. Et je dirais… je crois qu’il faut rencontrer les problèmes, on a dit, on a écrit… un journaliste, sauf erreur de ma part, c’est dans Le Soir, a écrit que Monsieur REKERAHO s’était rétracté. Je peux vous dire qu’en lisant les éléments avancés par le journaliste - je n’en sais pas plus, je n’étais pas là, je ne sais pas ce qu’il a dit au journaliste - il s’est rétracté un peu pour sa participation lui-même, et cela ne semble peut-être pas tellement crédible. Mais pour les éléments, par rapport à sœur Marie Kizito et sœur Gertrude, il ne semble pas avoir tellement modifié sa déclaration, en tout cas la première déclaration qu’il a faite vis-à-vis de moi. Parce qu’il confirme bien les relations très étroites qu’il avait avec les sœurs, il reconnaît bien que les sœurs lui avaient demandé d’évacuer les réfugiés, bien qu’il conteste l’affaire du bidon d’essence, mais moi… dans la première déclaration devant moi, il l’a contestée également.

J’en viens… Qu’est-ce qu’il dit dans cette déclaration ? En fait, beaucoup de choses qu’on retrouve par ailleurs et que je vous ai déjà exposées. Ce qui me semble quand même intéressant de voir, c’est que, dans cette déclaration, c’est recoupé quand même par pas mal d’éléments du dossier. Qu’est-ce qu’il dit ? Il dit d’abord qu’il habitait la région et qu’il connaissait bien le couvent parce qu’il avait un voisin qui travaillait à la FAO, FAO qui est une organisation internationale, et donc, lui-même travaillait avant les événements, à la FAO. Et donc, c’est comme cela qu’il connaissait assez bien le couvent, bien que sœur Gertrude dira qu’elle ne le connaissait pas personnellement. Toujours est-il qu’il connaissait bien, dit-il en tout cas, et qu’il habitait tout à fait dans les environs, qu’il n’habitait pas loin du tout du couvent. Alors, il dit que sœur Gertrude aurait fait appel à lui, dès le 10 avril, pour assurer la protection du couvent, et notamment qu’il aurait reçu dès ce moment-là, le véhicule pour assurer la protection du couvent. Là, il y a une contradiction par rapport aux déclarations de sœur Gertrude et sœur Marie Kizito qui prétendent que ça ne s’est passé qu’à partir du 22 avril, le fameux jour où il aurait pris la camionnette, donc, le jour du massacre au centre de santé.

Il déclare également qu’il aurait eu plusieurs réunions avec Gaspard et même chez Gaspard ou au couvent, avec - réunions, alors cela peut être réunions, contacts, quand il dit « réunions », ce sont plusieurs colloques, plusieurs entretiens - avec toujours sœur Marie Kizito et sœur Gertrude, les deux ensemble, donc, il confirme bien qu’elles sembleraient être dans tous leurs contacts, qu’elles étaient ensemble. Et de ce point de vue-là, il déclare qu’ils auraient déjà eu une réunion le 19 avril, le soir, donc, après le discours du président et donc, ils en auraient même discuté, où Gaspard aurait laissé entendre, en disant que le discours du président était bien clair, qu’il fallait commencer les massacres. Et lors de cette réunion - c’était chez Gaspard, et il précise que Gaspard était là, que la femme de Gaspard était là et que sœur Marie Kizito et sœur Gertrude étaient là - il dit que sœur Gertrude aurait dit, à ce moment-là, qu’elle avait des réfugiés chez elle, et qu’elle avait même des Tutsi chez elle et qu’elle se sentait menacée. Menacée, semble-t-il, dans le sens que les Tutsi allaient peut-être l’attaquer. C’est ce qu’il déclare. Il fait état d’une réunion juste avant l’attaque du centre de santé, ce qui pourrait correspondre à l’information que sœur Gertrude dit : « J’ai appris qu’on allait attaquer le centre de santé ». Lui dit : « Oui, Gaspard a informé en disant : demain ». Enfin, il semble situer cela, la veille. On a une réunion… il dit : « On est allé au couvent ». Il dit : « C’était devant le couvent, on s’est rencontré devant le couvent ». Et là, Gaspard a annoncé en disant : « Demain, on va attaquer », enfin, il n’a pas précisé demain, il a dit : « On va attaquer le centre de santé ».

Et Monsieur REKERAHO, toujours dans son audition en ma présence - en fait j’ai dit devant moi, mais ce n’est pas tout à fait cela, c’est en ma présence puisqu’il y avait un officier de police judiciaire rwandais qui était là pour formellement, je veux dire, assumer le procès-verbal qui était fait à son nom ; enfin, bon, c’est moi qui manuscritement… je voulais assumer la responsabilité de ce qui était dit, de sa transcription, donc, je peux vous dire… c’est en tout cas ce qu’il m’a dit qui a été relaté - et donc, il a déclaré à ce moment-là que les sœurs n’avaient pas réagi, lui, l’interprétant comme une approbation. Il dit simplement : « Quand Gaspard a annoncé qu’on va attaquer le centre de santé, les sœurs n’auraient pas réagi ». C’est ce qu’il déclare.

En ce qui concerne le 22, donc l’attaque même du centre de santé, il confirme ce que l’on avait un peu par ailleurs, c’est-à-dire qu’il était… que l’attaque avait déjà commencé un peu la veille, qu’il y avait déjà un peu des escarmouches, la veille. Il déclare, à un moment donné, qu’il y aurait quelqu’un du centre de santé qui aurait lancé une grenade vers les Interahamwe ; cela n’est pas confirmé par beaucoup de monde, c’est une justification d’ailleurs qui est reprise dans… devant les journalistes, en disant : « On a été attaqué les premiers ». Bon, toujours est-il qu’après, il semblerait bien que les Interahamwe aient attaqué et aient massacré. Et cela, il le confirme en disant qu’il n’était pas présent tout le temps. Car il dit qu’un moment donné : « J’ai dû aller ailleurs », et ce qui semble se confirmer sur une autre colline où il y avait le couvent des pères blancs, et il dit : « J’ai du aller chercher des étudiants là-bas, des étudiants Tutsi », et, sauf erreur de ma part, cela est confirmé par d’autres éléments du dossier, qu’à un moment donné, REKERAHO serait venu, le chef des miliciens serait venu chercher des étudiants Tutsi dans le monastère, je vais dire frère… c’est un monastère de pères blancs, qui était sur une colline, tout à fait, je dirais, quasi en vis-à-vis, en fait une colline un peu plus éloignée.

Il déclare, en ce qui concerne le bidon - quand on est arrivé dans l’audition au moment du bidon, il a commencé une diatribe contre les Belges et contre les Américains et j’ai dû acter cela sur mon procès-verbal, sur mon procès-verbal de compte-rendu de commission rogatoire parce qu’il n’a pas voulu acter, et moi, j’ai dit : « Il n’y a pas de problèmes, on va le dire, vous dites que ce sont les Belges qui sont responsables à cause de la distinction Hutu / Tutsi » - donc, il a commencé à dire en disant : « L’histoire du bidon, ce n’est pas vrai, c’est la faute des Américains et des Belges, c’est pour cela que nous avons eu tous ces problèmes », et il a ajouté, c’est acté, là, dans mon compte-rendu de commission rogatoire, puisqu’il n’a pas voulu signer cette partie, il n’a pas voulu que j’acte cette partie-là, il a ajouté en disant : « Je ne vois pas pourquoi je chargerais les sœurs alors qu’il y a d’autres, plus grands qu’elles, comme le colonel le témoin 27 et… » un autre militaire, et c’est exact, « …sont en liberté ». Et c’est vrai que ces deux officiers militaires sont réintégrés dans la nouvelle armée, enfin dans l’armée… l’APR et donc, sont effectivement en liberté, alors que Monsieur REKERAHO estime qu’ils ont une responsabilité également. Donc, c’étaient des gens qui étaient dans les anciennes forces armées rwandaises et qui ont été intégrés dans les nouvelles forces armées rwandaises et donc, il dit : « Ce n’est pas normal que ceux-là courent, je ne vais pas aller charger des sœurs quand ceux-là qui sont beaucoup plus gros, courent toujours ».

Donc, il a dit, en ce qui concerne l’essence : « Ce n’est pas exact que la sœur me l’a apportée pour mettre de suite le feu ». Mais il dit : « Par contre », il a de suite ajouté, mais c’était dans la même foulée, « par contre, c’est vrai qu’elles m’ont demandé d’évacuer les réfugiés et qu’elle m’a livré les réfugiés, qu’elle me les a donnés ». Donc ça… Dans le même coup, il disait : « Ce n’est pas exact pour le bidon d’essence mais c’est vrai qu’elles me demandaient sans cesse de faire évacuer les réfugiés, de les débarrasser des réfugiés ». Donc, c’est, je dirais, un peu dans la même diatribe qu’il a… et cela, bon… on a alors repris l’audition en reprenant… donc, on a bien acté, bien entendu, qu’en ce qui concerne l’essence, le bidon d’essence, il ne confirmait pas ce qu’il avait dit à l’enquêteur du Tribunal international, et que… de ce point vue-là, mais que, par contre, il confirmait bien le reste, les contacts où les sœurs, c’est ce qu’il disait : « Les sœurs demandaient d’évacuer les réfugiés parce qu’elles estimaient que cela mettait en cause le couvent et les sœurs », semble-t-il, le bâtiment… quand on parlait du couvent, c’était notamment le bâtiment et qu’elles ne voulaient pas que le bâtiment soit démoli. Donc, à ce niveau-là : divergence.

Je dois ajouter, pour être complet, que j’ai organisé une sorte de confrontation avec l’enquêteur du Tribunal international puisque c’était quand même un point qui me semblait litigieux. Moi, j’ai souhaité de pouvoir le réentendre en présence de l’enquêteur du Tribunal international. Il a déclaré à ce moment-là… il est revenu à sa première version telle qu’il l’avait faite devant l’enquêteur du Tribunal international en disant : « Non, c’est quand même vrai pour les bidons d’essence » et, dit-il, qu’il n’avait pas voulu dire la vérité devant nous parce qu’il était fâché, parce qu’il n’était pas devant le Tribunal international. Il semblerait qu’on lui ait fait miroiter le fait… c’est qu’il puisse un jour se trouver plutôt devant le Tribunal international que devant les autorités rwandaises, avec la question évidemment de la peine de mort à la clé ou pas. Donc, on peut comprendre évidemment qu’à partir du moment, s’il restait au Rwanda, il ne soit pas très heureux d’autant plus si on lui a fait miroiter peut-être la circonstance qu’il puisse être déféré devant le Tribunal international ou en tout cas, aux yeux des Rwandais ou des détenus rwandais, le Tribunal international paraît peut-être un régime plus favorable que le régime qui existe au Rwanda.

Donc, ce que je peux dire : dans une première version, il ne confirme pas le bidon d’essence ; dans une seconde version, il le confirme. Je ne peux que vous le rapporter comme cela. Moi, j’ai acté l’un et j’ai acté l’autre, avec les explications qu’il a données.

En ce qui concerne la suite des événements, on retrouve une suite un peu du même ordre en disant de nouveau, pour l’épisode de l’aller-retour à Butare, il confirme complètement en disant : « Moi, je ne savais pas, je n’étais pas content. Elles me demandent de protéger le couvent, de protéger les sœurs et derrière mon dos, elles vont à Butare. C’est vrai que quand elles sont revenues, je n’étais pas content du tout. A quoi cela sert que je les protège si elles vont s’exposer ailleurs ». Cela me paraît effectivement un peu cohérent en disant : « Oui, mais moi, si je les protège, elles ne doivent pas aller derrière mon dos ». Et donc, il dit : « C’est vrai que j’ai dit que cela n’allait pas ». Alors, il déclare, pour le 25, que c’est des listes… qu’il aurait reçu des listes de sœur Gertrude. L’histoire des listes est toujours une question de savoir pourquoi, bien qu’on ait quand même des éléments pensant que les listes avaient été faites pendant l’absence des sœurs, donc, là, cela reste quand même quelque peu nébuleux. Mais, toujours est-il que pour le 25, il confirme le déroulement tel que cela s’est passé, mais il dit : « Je n’ai jamais dû perquisitionner. On m’a amené les réfugiés. Il a suffi que je me présente pour qu’on me les amène. On n’a pas dû aller les chercher de force dans les chambres ». Il dit : « D’ailleurs, de tout temps, cela s’est fait sur base amiable dans le sens où on n’a pas dû forcer le couvent, on n’a pas dû casser des vitres, on n’a pas dû… », comme cela s’est passé ailleurs. Il faut reconnaître qu’il y a des couvents, des églises qui se sont fait attaquer ailleurs ; ici, cela n’a pas été le cas. Il dit : « Je me suis présenté effectivement ». Et il confirme exactement le déroulement tel que cela a été relaté. Et alors, il ajoute : « C’est qu’après cela, j’ai dit que je les laissais en paix, que les familles des sœurs je ne les inquiétais pas ».

Donc là, il l’a vraiment confirmé devant moi en disant : « La question des sœurs… moi, j’ai dit que les familles des sœurs, il y avait déjà eu assez d’histoires, que les familles des sœurs, je ne les inquiétais pas davantage » et donc, je vous ai dit que cela a été confirmé par trois autres sœurs. Et elles avaient précisé, ces sœurs-là, que sœur Kizito et sœur Gertrude n’étaient pas là lorsque REKERAHO leur avait dit cela. C’est possible qu’effectivement la sœur Gertrude et la sœur Marie Kizito n’étaient pas au courant de cela. Enfin, bon… C’est vrai que par la suite en tout cas, il n’y a plus eu d’action, d’attaque de REKERAHO en tout cas lui-même vis-à-vis des familles des sœurs réfugiées puisque-là, cela a été le bourgmestre qui est intervenu. Il a également ajouté en ce qui concerne l’essence, c’est que l’essence, il en a reçu à plusieurs reprises de sœur Gertrude. Il dit : « C’est sœur Gertrude qui me remettait l’essence, elle siphonnait, pour la voiture ». Il dit : « Pour l’essence, on allait presque naturellement s’approvisionner au couvent pour obtenir l’essence de la voiture ».

Alors, par rapport à cette… Il semblerait qu’effectivement, pour ce qui était l’approvisionnement d’essence avant les événements, c’était une sœur qui avait la clé et que comme cette sœur était Tutsi, pendant les événements, elle ne pouvait pas sortir, donc, que cette clé avait été donnée à sœur Gertrude, en tout cas c’est quelque chose qui est avancé dans le dossier en disant que cette histoire de clé… qu’il est possible, ce que sœur Gertrude en tout cas ne confirme nullement, en disant… elle ne dit pas du tout qu’elle était responsable de donner l’essence, mais REKERAHO déclare en tout cas que l’essence lui était produite… lui était donnée par le couvent et il désigne sœur Gertrude comme la personne qui lui donnait l’essence. Quand on voit l’ensemble de cette déclaration, eh bien finalement ça recoupe grandement, je dirais, les événements. Il y a évidemment cette histoire de bidon d’essence qui reste un nœud dans lequel j’espère que les débats permettront de voir plus clair, notamment en entendant directement les témoins, mais sinon, pour le reste, c’est vrai qu’on retrouve une chronologie assez parallèle avec des relations étroites et d’ailleurs que REKERAHO qualifie d’ailleurs : « J’étais chargé de la protection des sœurs et du couvent ». Bien entendu, il semblerait que dans les faits, la protection ne s’est vraiment pas étendue aux réfugiés, ça, semble-t-il, ce n’était pas compris dans la question de la protection.

Voilà, je pense que j’ai brossé… C’est fatigant pour moi et je me rends compte que c’est fatigant pour vous aussi, d’essayer de brosser avec quand même l’ensemble d’éléments convergents qui vont faire l’objet sans doute du débat, mais avec quand même dans les événements… je pense qu’on est parvenu à retracer et bien resituer chacun des événements avec les différentes versions, mais des versions qui, dans l’ensemble, ne sont pas si éloignées que cela, même si les lectures qui peuvent en être faites, peuvent être évidemment assez différentes.

Le Président : Merci. Vous pouvez peut-être vous asseoir un instant, Monsieur le juge d’instruction. Il y a un témoin qui s’est présenté ? Euh… Oui, oui. Nous allons, en fonction de ça, voir un peu comment on organise le reste parce que je pense que personne n’a envie de repartir à 6 heures ou 6 heures et demie aujourd’hui.

Me. EVRARD : Monsieur le président, si vous le permettez, pour l’organisation, ce sont… ces deux témoins avaient été demandés par Monsieur HIGANIRO. J’ai appris que l’un ne viendrait pas, mais, en ce qui concerne le second, au vu des éléments du débat qui ont déjà été apportés jusqu’hier, nous n’avons pas de questions à lui poser, à ce stade-ci.

Le Président : Cela veut dire que… enfin, il n’y a pas d’audition de ce témoin dans le dossier, donc, je ne sais pas ce qu’il va raconter.

Me. EVRARD : Non, justement, mais puisqu’il y a un problème de calendrier ici, je souhaitais simplement le signaler à la Cour.

Le Président : Bon. Maintenant, on va suspendre évidemment un quart d’heure pour permettre à tout le monde de souffler. Donc, on reprendrait les débats à 4 heures moins 10. Je pense que ce qu’on pourrait peut-être faire alors, c’est entendre le témoin qui resterait, vers 4 heures et demie-5 heures moins le quart, si vous n’avez pas de questions à poser. 5 heures moins le quart de manière à ce que nous terminions à 5 heures aujourd’hui, exceptionnellement. Ce sera le seul jour peut-être, j’espère que non, mais enfin ! Donc, nous reprendrions à 4 heures moins 10 jusqu’à 5 heures moins le quart, avec le juge d’instruction et les enquêteurs. Deux possibilités : ou bien nous consacrons ce temps à présenter la vidéo… les deux passages vidéo, je crois, sur Sovu et les photos de Sovu et alors, nous demandons au juge d’instruction et aux enquêteurs, de revenir lundi matin pour les questions à leur poser. Ou bien on pose les questions après l’interruption et on fait les dias et la projection lundi. Maître BEAUTHIER ?

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, je crois qu’on a tout intérêt à ce qu’on, je m’excuse pour eux, à ce que les enquêteurs et Monsieur le juge d’instruction reviennent lundi et que le jury voie d’abord les photos pour situer la topographie qui, pour nous, a été très difficile déjà à situer dans le dossier.

Le Président : Cela convient, ce procédé ? On va faire comme cela alors.

Damien VANDERMEERSCH : Nous sommes à la disposition de la Cour.

Le Président : Suspension jusqu’à 4 heures moins… moins 10. On reprend jusque vers 5 heures moins le quart, avec les projections.

[Suspension d’audience]

Le Greffier : La Cour

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place et les témoins, juge d’instruction et enquêteurs peuvent également reprendre place.

Comme on va faire de la projection, on peut peut-être se… vous pouvez peut-être vous mettre…

Bien, alors projection d’abord des dias ou d’abord de la vidéo ? Vidéo d’abord.

Un Enquêteur : Donc, le film a été réalisé lors de la troisième commission rogatoire, donc en octobre 1995. Donc, ici, c’est le chemin, ici nous arrivons donc euh… à la chapelle du monastère, donc, c’est le chemin pour arriver jusqu’au centre de santé qui se trouve ici, plus bas. Donc ceci, c’est le centre de santé avec le garage ; nous voyons déjà que tout cela est détruit et brûlé. Voilà, ici, c’est la porte du garage qui manifestement a été brûlée. L’entrée du garage, bien sûr.

Le Président : Lorsqu’on parle de 500 à 700 personnes qui auraient pu prendre place dans ce garage, est-ce que c’est possible ?

Damien VANDERMEERSCH : C’est la question qu’on s’est posée sur place mais on est des fois très surpris de… quand on voit dans les prisons, on est confronté au… des fois, les gens restent entassés de façon assez inimaginable. Je dois vous dire qu’on n’a pas fait de reconstitution pour le nombre de personnes, mais euh…

Un Enquêteur : Mais c’est plausible, de toute façon.

Damien VANDERMEERSCH : Enfin, ce n’est pas un espace énorme…

Un Enquêteur : Donc ici, on le voit ici…

Damien VANDERMEERSCH : …pour moi, ça me paraît… ça me paraît excessif, 500 à 600, mais qu’on parle de 200-300 c’est pas impossible alors que pourtant l’espace est un garage. Mais on a déjà vu que des personnes pouvaient vraiment s’entasser de façon… surtout lors d’une attaque, je veux dire, lors d’une attaque, ils pouvaient se mettre… mais 500-600, cela me paraît… mais c’est difficile à apprécier parce que nos critères ne sont pas nécessairement…

Un Enquêteur : Donc ici, c’est l’intérieur avec une fosse. Ici, le trou ; donc les miliciens faisaient des trous dans les murs pour pouvoir lancer les grenades.

Voilà, le trou est ici, à l’arrière.

Damien VANDERMEERSCH : Je vous rappelle que pour le… quand on voit l’ensemble des bâtiments, on parlait de 500 à 3.000, c’est pour l’ensemble, évidemment. Qu’on parlait… donc c’est vrai, sans doute ils étaient répartis dans l’ensemble des bâtiments.

Un Enquêteur : Oui, parce qu’on parle du garage et du centre de santé. Donc, le garage se trouvait juste à côté du centre de santé.

Damien VANDERMEERSCH : Intégré.

Un Enquêteur : Oui, intégré. Ici, ce sont des impacts ; ici, ici, ici. Ça, c’est le centre de santé, hein.

Damien VANDERMEERSCH : Je dois vous dire que quand on allait sur place, il y avait encore des odeurs très importantes de cadavres.

Un Enquêteur : Ici, ce sont des traces de sang séché.

Ce sont des impacts de balles.

Ici également.

Donc, c’est le chemin que nous prenons du centre de santé pour rejoindre le monastère.

Ceci, c’est la chapelle et c’est l’entrée du monastère, sur la droite. Donc, le monastère, on le voit maintenant ici, ne présente aucune dégradation.

On se trouve à l’intérieur de la chapelle.

Ici, nous sommes à l’intérieur du monastère. Ceci, c’est le bâtiment central.

Damien VANDERMEERSCH : Ce sont les magasins, en dessous, là.

Un Enquêteur : Ceci, ce sont les magasins et la fabrique d’hosties se trouve ici, en dessous. Tout cela, c’est le parc. Donc, les bâtiments ne présentent aucune dégradation.

Ceci, c’est la fabrique d’hosties.

Damien VANDERMEERSCH : C’est le garage.

Le Président : Voilà, je crois que c’est terminé pour la vidéo. On va passer aux diapositives.

Damien VANDERMEERSCH : On peut peut-être commencer par celles de 1995, comme diapositives. Je crois qu’il y en a en février 2000 aussi qui ont été prises.

Le Président : Oui, le chargeur n° 1, chargeur 22 et ça c’est en 2000. Oui. Donc, on commence d’abord par le chargeur n° 1, comme il n’y a pas grand-chose dans ce chargeur n° 1, je crois qu’il y a juste deux dias et puis on passera le chargeur 22.

Damien VANDERMEERSCH : Oui, ces deux dias-là, on peut aller rapidement, parce que je pense que c’est plutôt le chargeur 22 qui pourra donner un aperçu global.

Le Président : Oui, c’est simplement une vue avant et une vue arrière du couvent. Oui, Monsieur l’huissier, on peut passer à la suivante. C’est simplement la vue avant et la vue arrière du couvent.

Damien VANDERMEERSCH : Voilà, ça ne donne pas exactement, on ne voit pas l’ensemble, mais avec les photos de 95, je crois qu’on pourra bien décrire l’ensemble de la construction.

Le Président  : On va pouvoir passer tout de suite, alors, Monsieur l’huissier, au chargeur n° 22.

Damien VANDERMEERSCH : Je ne suis même pas sûr que les deux photos qu’on a vues, ce sont des photos du couvent de Sovu. Non, pour moi, c’est l’autre couvent, euh… c’est un autre couvent ; je me demande si ce n’est pas Ndera, qui fait l’objet d’une autre instruction.

Le Président : Ah, c’est possible.

Damien VANDERMEERSCH : Ou bien le… le…

Le Président : Butare, vue du couvent. Oui, effectivement, je ne sais pas si…

Damien VANDERMEERSCH : Eh bien oui, mais ce sont les couvents… le couvent où se sont réfugiés les enfants KARENZI…

Le Président : Ah oui.

Damien VANDERMEERSCH : …à mon avis, c’est plutôt ces photos-là. Le couvent de bene… benekira…

Un Enquêteur : Benebikira

Damien VANDERMEERSCH : …cela n’avait rien à voir avec Sovu, c’est bien ce que je pensais.

Voilà.

Le Président : C’est bien Sovu, ici ?

Damien VANDERMEERSCH : Donc, ici, c’est Sovu, donc je vais peut-être faire le commentaire de ces photos. Donc au… C’est le chemin d’entrée, à gauche le centre de santé et donc, on a pris en fait une photo à partir du centre de santé et une photo dans l’autre sens. Evidemment, avec la vidéo on a pu faire la vue panoramique et donc, on voit la chapelle, donc, qui se trouve là et qui est sur le devant, mais on verra ici, plus l’ensemble des constructions, notamment vers la… vers le côté, ce n’est pas tout à fait l’arrière, ceci étant considéré comme l’avant.

Le Président : Donc, cette photo est prise depuis le centre de santé ?

Damien VANDERMEERSCH : Depuis le centre de santé, c’est exactement ça, avec la chapelle donc, qu’on voit, et la route qui monte ; c’est une route qui est un peu en pente et donc, qui monte. Voilà.

Le Président : Oui.

Damien VANDERMEERSCH : On peut aller à la suivante.

Donc ici, on se rapproche. Alors on aura… Donc ici, tous les bâtiments que nous avons vus sur la vidéo, d’ailleurs on reverra le détail sur la droite, mais il y a également, et on verra après, tous des bâtiments, je dirais, sur la gauche également avec également tout un espace et là, c’est le côté qu’on parle du côté de la ferme et c’est notamment de ce côté-là également que se trouve la réserve d’essence.

Le Président : Oui.

Damien VANDERMEERSCH : Une photo de la chapelle. On peut passer à la dia suivante.

Le Président : La suivante, Monsieur l’huissier. Photo suivante.

Damien VANDERMEERSCH : Voilà, donc c’est la grille d’entrée. Il y avait une grille d’entrée, sinon pour le reste, c’est plutôt des haies qui délimitent l’espace, disons, un peu le parc du couvent, donc, il y a un espace ici et comme je l’ai expliqué, il y a une sorte également d’espace de l’autre côté.

Voilà, alors ici, on est le long de la chapelle, donc c’est la chapelle. Alors, nous avons l’entrée principale qui est à cet endroit-là. Nous avons les hosties, donc les ateliers d’hosties, qui sont sur la gauche à cet endroit-là, vers le bas et nous avons le garage - il semblerait que c’est là qu’était garée la voiture, semble-t-il - et alors là, on verra que c’est l’hôtellerie et ce qu’on appelle au, je dirais, au sous-sol presque, les magasins.

Le Président : Donc, ici on va voir depuis la gauche jusque vers l’extrême droite.

Damien VANDERMEERSCH : Voilà, donc on va faire… Donc, première photo, c’était la précédente, donc on va faire des vues panoramiques. Ici donc, on peut bien voir dans le coin, dans l’angle, le garage, les magasins et alors à l’étage, c’est l’hôtellerie, alors il y a… on a indiqué que sœur Scholastique se serait située là, lorsqu’elle décrit notamment certaines scènes, donc qu’elle aurait pu voir certaines scènes de cet endroit-là et c’est vrai que de cet endroit-là, on voit, en tout cas sans problème, l’entrée du couvent. La sœur Scholastique était responsable de l’hôtellerie. Ici, on est un peu plus vers la droite, donc, c’est de la vue panoramique donc vers le… pas le parc, mais disons, l’espace jardin qui se trouvait à cet endroit-là. On va faire d’ailleurs tout le tour, on va aller à l’angle suivant. Donc, voilà, c’est ce qu’on a vu, un peu l’espace jardin. Et on va remonter jusqu’à l’entrée. Voilà, donc, ici… ici, c’est une vue dans l’autre sens, donc, on est au bout de l’espace jardin et donc on voit un peu, donc, l’entrée, le… et donc tout l’espace qu’il y a devant.

Alors c’est là, donc, qu’on voit le garage, les magasins, l’atelier d’hosties. En dessous, le grand parloir qui se trouve à cet endroit-là et donc l’hôtellerie qui se trouve à cet endroit-là. Ceci, c’est la vue du garage. Donc ça, c’est la vue des magasins. C’est là que se seraient réfugiés lorsqu’il pleuvait, donc, les… lorsque les réfugiés seraient venus du centre de santé à cause, je dirais, des premiers coups de feu, des premières explosions, qui seraient venus ici et certains auraient pu se réfugier et s’abriter en dessous, mais d’autres seraient restés sous la pluie. C’est un détail du magasin, enfin de ce qu’on appelle les magasins qui sont des sortes de petits entrepôts. Mais c’est pour le stockage. Donc ici, c’est la vue dans l’autre sens, donc on est dos… dans le dos, les magasins. On est peut-être, je ne sais pas… non, je crois qu’on est au rez-de-chaussée et donc on voit la vue dans l’autre sens et donc le centre de santé se trouve au bout de l’allée qui descend. L’entrée de nouveau. Alors ici, donc, à l’époque, je pense que le bâtiment était encore partagé, donc, entre les deux sœurs qui étaient revenues et l’ONG Terre des Hommes qui accueillait des enfants, ce qui explique toute la présence d’enfants et d’ailleurs aussi également toutes les marchandises qui se trouvaient dans la chapelle. Et donc, ici, on est à l’entrée. Alors, si je me souviens bien, ceci est le parloir.

Le Président : Le parloir, oui.

Damien VANDERMEERSCH : Ici, donc, c’est l’entrée principale, donc là, que j’ai indiquée. Et alors ceci, c’est le réfectoire des sœurs. Alors, ici, on est de l’autre côté. Donc, le bâtiment central qu’on a vu (attendez, je vais…) sauf erreur de ma part, est ce bâtiment-là et alors en fait, on a une… ce qu’on appelle le premier espace intérieur, donc il y a deux cours intérieures, je crois que c’est le grand cloître et le petit cloître, c’est nommé comme cela. Et donc, on a… ici logeraient, donc, les personnes qui étaient en session, donc, logeraient, ce seraient les chambres qui seraient à ce niveau-là. Ici, on a la vue inverse, donc le bâtiment euh… ce n’est pas le bâtiment qu’on a vu, donc le bâtiment… il y a deux angle avec des bâtiments plus bas, donc ici derrière, on voit un arbre qui est dans le jardin ou le parc situé de l’autre côté, qu’on n’a pas encore vu. Et donc ici, ce seraient les… ce sont les chambres des novices. Et donc, le bâtiment central que nous avons vu avec, à l’étage, des chambres pour les gens en session, pour les hôtes. Alors, ici, de nouveau, c’est la vue, ici, à l’extérieur, donc vous voyez la petite porte qui entre dans le cloître, donc ici on est à l’extérieur du cloître, on est dans le jardin. On a une vue, donc, ici sur les chambres, donc, des invités, des gens… des gens en session et ici à gauche, c’est le bâtiment avec les chambres des novices. Ici, ce sont les couloirs intérieurs des chambres. Ici, on est dans l’autre petit…

Le Président : Le petit cloître.

Damien VANDERMEERSCH : …on est dans le petit cloître où on aura d’un côté ce qu’on a vu, évidemment, bordant, et de l’autre côté ce sont les chambres des sœurs, le bâtiment qui abrite les chambres des sœurs. Ici, c’est une vue intérieure, donc, d’un couloir avec les chambres. Enfin, ça vous donne quand même une idée de la grandeur de l’espace intérieur du couvent. Il y avait quand même de nombreux bâtiments. Alors, ici, on a une vue qui est intéressante puisque vous avez ici le bâtiment principal et la continuation, donc, c’est la chapelle. On a le bâtiment qui abrite les chambres des sœurs avec ici, où il y a un caoutchouc, c’est le petit cloître, donc qu’on a vu. Ici, c’est le bâtiment, donc, qui fait la scission entre le petit cloître et le grand cloître et alors nous avons le grand cloître qui est là avec le bâtiment des… qui abrite les chambres des sœurs novices. Et alors tout ceci, donc, est… ici c’est ce qu’on appelle la ferme et là, ce sont justement les bâtiments techniques et on verra d’ailleurs, lors de la dernière commission rogatoire, on a pris des photos beaucoup plus détaillées, on a, à ce moment-là, la réserve d’essence qui se trouverait de ce côté-là et également, vers l’arrière, la sortie qui donne vers la maison de Gaspard qui se trouve, donc, juste derrière le couvent, ici. On a dit qu’en fait la terre sur laquelle était construite la maison de Gaspard était en fait une terre du couvent qui avait été prêtée ou donnée aux habitants, à des voisins, donc il avait pu construire sa maison, mais donc c’est vraiment… on verra qu’il y a une clôture là, enfin une clôture là, c’est un mur avec une porte et qui donne alors à ce moment-là, à 100 mètres à peu près sur la maison de Gaspard.

Donc ici, on a le bâtiment des sœurs, le petit cloître avec le caoutchouc et on voit bien alors la situation par rapport à la chapelle et l’entrée principale. Donc, ici, on a la chapelle et donc ce qu’on appelait le devant, le devant du monastère. Alors, ici, c’est la vue du monastère vers le centre de santé. Donc ici, cela nous permet de voir, vraiment d’apprécier donc, ce que vous avez ici, c’est la porte de la chapelle. J’avais demandé qu’on voit la porte de la chapelle pour qu’on se situe exactement et donc voilà le centre de santé, on apprécie à peu près la distance qu’il y a entre les deux. Là, c’est la même photo, donc avec le centre de santé. En fait, le centre de santé est un peu… c’est l’entrée du centre de santé qu’on voit. On se rapproche vers le centre de santé. Et donc, le bâtiment qui est le premier bâtiment, c’est le garage, donc, ce qui explique peut-être que ce soit le garage qui ait été incendié en premier lieu puisque c’était le premier bâtiment, je dirais, qui est à front de rue. Et donc voilà la photo du garage, donc on voit manifestement qu’il y a eu une agression, enfin qu’il y a eu en tout cas une attaque, c’est tout à fait évidemment… les vestiges sont tout à fait compatibles et avec ce changement de couleur qui serait dû aux flammes.

Le Président : Sur la droite, se trouve le chemin qui monte vers le couvent…

Damien VANDERMEERSCH : Tout à fait, donc là, la droite c’est le chemin qui monte vers le couvent. Et donc on voit vraiment le… ce qui aurait chauffé, donc la peinture qui aurait chauffé et qui aurait changé de couleur. Voilà l’entrée, on voit avec la fosse, la fosse était pour les réparations de voitures, qui permettait de descendre. C’est assez oppressant comme endroit parce que, je ne dis pas qu’on sentait encore la présence, mais on sentait vraiment ce qui s’y était passé. Donc, on aura observé le trou, là, pour la grenade que Monsieur DELVAUX avait mise en évidence. Et donc, ici alors, donc, le garage est ici à droite et nous entrons dans le centre de santé qui est composé d’un ensemble de bâtiments. Ici, les bâtiments ne sont pas fermés, en tout cas il y a toute une série, ou c’est simplement un abri et de l’autre côté, il y a plusieurs autres bâtiments qui, je dirais, avaient en tout cas sur la devanture, un mur avec des vitres et donc, qui étaient davantage protégés. Et donc, là tout est en état de délabrement. Donc, on peut s’apercevoir, la végétation a un peu repoussé bien entendu, mais on voit vraiment des traces d’effraction et de bris assez répétées et des traces de balles également. C’est en fait toute une série de petits bâtiments qui sont accolés les uns aux autres.

Le Président : Donc, ce bâtiment-ci, qu’on vient de voir, aurait lui aussi été incendié ?

Damien VANDERMEERSCH : Oui.

Voilà, nous avons ici les traces d’incendie également, donc les… Il faut dire que ce n’est pas qu’à Sovu qu’il y a eu du feu avec de l’essence, donc ça a été malheureusement une technique utilisée pour notamment les gens qui se réfugiaient quelque part, pour les obliger également à sortir bien entendu, c’était une technique et pour effectivement ne pas être confronté directement avec des gens qui sortaient, c’était d’incendier et à ce moment-là, soit les gens périssaient dans l’incendie, soit ils sortaient et malheureusement les machettes pouvaient les attendre à la sortie. Donc là, on voit bien les traces de feu.

Le Président : Ce sont des fichiers de clients du centre.

Damien VANDERMEERSCH : Oui, c’est pour montrer que vraiment tout a été laissé, enfin je veux dire, on n’est pas passé depuis lors, donc vraiment tout, était dans… pas en état, bien entendu, puisqu’il y avait un an qui s’était déroulé, mais il y a rien qui a été… les lieux n’ont pas été réinvestis, on a retrouvé encore des vestiges anciens de la disposition des lieux tels qu’ils étaient, tels qu’ils existaient avant.

Le Président : Oui, alors on peut passer maintenant, Monsieur l’huissier, au chargeur n° 23 qui sont des diapositives plus récentes, donc, de la commission rogatoire.

Damien VANDERMEERSCH : Oui, je vais passer la parole à Monsieur STASSIN qui a fait ces photos-là, bien que j’aie eu l’occasion, bien entendu, de me rendre de nouveau sur les lieux, également au mois de… au mois de mars 2000.

Michel STASSIN : Oui, donc ici, donc, il s’agit, donc, d’une vue comme on a pu le voir précédemment donc, du chemin, donc à partir d’où j’indique ici, donc de la grille de départ, donc, du monastère et qui descend donc vers le centre de santé. Ça c’est un monument, donc, aux personnes décédées, donc, qui se trouve dans le contrebas du chemin, donc, qui conduit au monastère de Sovu.

Damien VANDERMEERSCH : C’est une sorte de mémorial.

Michel STASSIN : Mémorial, effectivement. Alors ici, nous nous situons à l’arrière du monastère où cette dame, donc, qui habite la colline, on l’a interpellée et on lui a demandé, donc, si elle pouvait nous situer la maison de Gaspard RUSANGANWA qui était donc cet ancien moine et assistant du bourgmestre de Ngoma, donc RUREMESHA Jonathan. C’est sa maison qui est située ici…

Damien VANDERMEERSCH : Attention, Monsieur ! Donc, c’est assistant bourgmestre de Ngoma, donc ce n’est pas de Huye. C’était de KANYABASHI en fait qu’il était assistant. Mais pendant les événements, il était à Sovu et Huye.

Michel STASSIN : Alors donc ici, derrière la végétation, se situe la maison qu’on vient de voir il y a 30 secondes et donc, voici le chemin qui conduit comme ceci, et nous arrivons donc à une petite barrière qui accède à l’enceinte du monastère. Donc voilà. De la gauche, je reviens donc de la maison de ce Gaspard, j’emprunte ce petit chemin et donc j’arrive à la petite barrière pour pénétrer, donc, dans l’enceinte du monastère.

Damien VANDERMEERSCH : Donc, on a pris notamment ces photos après l’audition de Monsieur REKERAHO qui disait qu’il arrivait très souvent que les deux sœurs sortent par l’arrière et qu’ils se rencontraient à la maison de Gaspard, donc juste derrière le couvent et qu’il leur est arrivé plusieurs fois pendant les événements, de se réunir donc dans cette maison, de se retrouver dans cette maison. Il est évident que c’était situé à même pas 50 mètres et qu’il y avait une petite porte directe, il ne fallait pas faire le tour du couvent.

Michel STASSIN : Voilà, donc ça, c’est lorsqu’on se place déjà à l’intérieur de l’enceinte, donc ça, c’est une vue un peu plus précise de cette barrière, donc de ce passage et là, donc, quand je tourne vers la droite, je suis reparti vers la maison de Gaspard. Donc, la petite barrière est ici, donc c’est une vue un peu plus générale, donc, de ce qu’on appelait les bâtiments de la ferme et donc, si on suit le petit point lumineux ici vers la droite, nous allons donc déboucher sur un sentier à l’intérieur même, donc, de l’enceinte du monastère. Voilà, donc je me situais là tout à l’heure, donc c’est un petit sentier, donc, qui descend pour aller vers l’intérieur du monastère et donc ici, se situe le bâtiment qui nous a été désigné, donc, par un jeune garçon, que je crois qu’on verra d’ailleurs plus tard sur les photos, ce bâtiment étant donc  le bâtiment où était entreposé le carburant. Derrière cette haie ici, le chemin continue à descendre vers l’intérieur, pour se rendre à l’intérieur, donc, du monastère. Donc ça c’est une vue du bâtiment où étaient entreposés les jerricanes de carburant, les jerricanes d’essence. Donc, si je me souviens bien, j’avais interpellé sœur Gertrude à ce sujet en mars 2000 et donc, cet album photographique lui a bien sûr été présenté et elle m’a donc effectivement confirmé qu’il s’agissait bien du bâtiment où est entreposé le carburant.

Le Président : Tout en précisant que la porte, à l’époque, était verte et non pas rouge.

Michel STASSIN : Oui, c’est exact, Monsieur le président. Voilà, donc ici il s’agit d’une prise de vue de la porte avec un plus gros plan. On remarque la présence d’un cadenas. On a fait donc… on a tiré cette photo pour, disons, vraiment voir le détail à tirer au point de vue des briques, de la maçonnerie, voir si quelque chose avait été reconstruit, rebâti et disons également voir un détail de cette porte pour voir si elles présentait des traces d’effraction ou bien des coups ou quoi que ce soit. Apparemment donc, ceci est complètement, donc, intact à l’époque bien sûr où nous avons constaté.

Damien VANDERMEERSCH : Il faut préciser qu’aucun témoin, aucune des sœurs n’a fait état que cette porte aurait été fracturée à un moment donné.

Michel STASSIN : Alors ceci, je me trouve pour le moment, donc, dos au bâtiment qu’on vient de… au bâtiment que l’on vient de voir où est entreposé le carburant et ceci, c’est la petite porte blanche que l’on a vue sur les photos précédentes et donc, qui permet d’accéder au cloître.

Damien VANDERMEERSCH : Au grand cloître.

Michel STASSIN : Au grand cloître, ici. Voilà, donc maintenant je me replace dos à cette porte comme si je sortais du grand cloître et donc je dois gravir les quelques escaliers ici. Alors, je ne sais pas si c’est assez précis mais là où j’essaie d’indiquer le mieux que je peux, le petit point lumineux, on voit donc derrière cette haie la porte de ce bâtiment, donc, où est entreposée, donc, l’essence ; donc c’est pour bien resituer les lieux. Euh… oui, donc il s’agit donc du jeune garçon que nous avons rencontré à l’époque et donc il nous avait certifié, donc, que l’essence se trouvait bien dans le bâtiment dont on a vu les photos.

Le Président : Eh bien voilà, nous avons terminé. Rallumez dans la salle, je crois. Bien. Oui, Maître JASPIS ?

Me. JASPIS : Oui, Monsieur le président, si vous le permettez, tant que tout le monde a bien fraîche à la lumière les… à la mémoire, pardon…

Le Président : De deux choses l’une, ou bien nous le faisons lundi ou pas ?

Me. JASPIS : Est-ce que vous ne pourriez pas m’autoriser à poser deux toutes petites questions de demande de précisions sur ceci ?

Le Président : S’il y a deux questions, c’est 25 questions pour les autres.

Me. JASPIS : Mais c’est sur les dias, non ? Voilà, je les poserai lundi, c’est comme vous voulez.

Le Président : Y a-t-il d’autres conseils qui souhaitent poser des questions immédiatement sur les dias ou pas ? D’autres parties ? Alors, comme il n’y a que vous et que vous n’avez que deux questions de détail, je vous y autorise.

Me. JASPIS : Je vous en remercie vivement. La première concerne l’estimation de la distance entre le centre de santé et le monastère. Bon. Je sais bien que c’est une appréciation qui est quand même relativement subjective. Pour ma part, d’après les images qu’on a vues, je me demande dans quelle mesure la distance n’est pas de loin inférieure à ce que Monsieur le juge d’instruction nous a dit tout à l’heure. Il me semble qu’il a parlé de 200 ou 300 mètres, j’ai l’impression que c’est plutôt une petite centaine de mètres. Je ne sais pas s’il peut préciser.

Damien VANDERMEERSCH : En regardant la dia, j’ai fait attention aux clôtures. C’est toujours difficile à dire exactement, on n’a pas fait les pas, mais pour moi, c’est vrai que c’est une bonne centaine de mètres. Je ne sais pas, on peut demander aux autres qui ont été sur place, Monsieur STASSIN ?

Michel STASSIN : Oui, effectivement, je pense qu’il s’agit d’environ une centaine de mètres, oui.

Damien VANDERMEERSCH : Je m’étais basé, pour être honnête, sauf erreur de ma part, c’est quelqu’un qui l’avait dit dans une déclaration et c’est de là que j’ai ressorti les 200-300 mètres. Mais en voyant les dias, effectivement, on peut situer de façon plus proche.

Me. JASPIS : Et la deuxième, toute petite précision aussi. On a vu sur certaines dias que certaines fenêtres étaient grillagées, notamment certaines fenêtres du…

Le Président : Du magasin.

Me. JASPIS : J’allais l’appeler le rez-de-chaussée, je ne sais pas comment il faut l’appeler exactement… du magasin, mais également l’espèce d’entresol, enfin où il y a l’entrée principale. Simplement avoir confirmation que tous ces grillages aux fenêtres étaient bien, eux aussi, toujours intacts, de même que le reste des bâtiments ? Parce que c’était pris d’assez loin, et c’est tout ce que je voudrais demander.

Damien VANDERMEERSCH : Je dirais que de façon générale, quand on a posé les questions, on dirait qu’il n’y a pas eu le moindre dégât parce qu’il n’y a jamais eu la moindre attaque par rapport au couvent. Il n’y a même pas eu une vitre cassée. On n’a jamais fait état de la moindre attaque. Cela a été confirmé, je dirais, par l’ensemble, en disant, chaque fois qu’il y a eu… je veux dire par rapport au couvent même, donc, le bâtiment, la chapelle, l’ensemble des bâtiments avant et arrière, je dirais, il n’y a jamais eu d’attaque et donc, il n’y a jamais eu la moindre même… il n’y a pas une vitre cassée. Et donc, c’est confirmé d’ailleurs par les sœurs elles-mêmes. L’ensemble des sœurs, je dirais, c’est de toute part, on n’a jamais fait état d’une attaque ni du moindre dégât, ce qui n’est pas le cas pour le centre de santé, là on a pu voir autre chose, bien entendu.

Le Président : Bien. Alors, on va en rester là avec ces témoins-ci pour aujourd’hui. Le feu des questions étant pour lundi. Mais avant cela, je vais quand même vous demander, Monsieur VANDERMEERSCH, Monsieur DELVAUX, Monsieur STASSIN, Monsieur BOGAERT, si c’est bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler et si vous persistez dans vos déclarations ?

Damien VANDERMEERSCH : Oui, Monsieur le président.

Marc CORNET : Excusez-moi, Monsieur le président, mon nom, c’est CORNET pas BOGAERT…

Le Président : Excusez-moi, Monsieur CORNET. Oui, Monsieur BOGAERT était absent lui, aujourd’hui.

Marc CORNET : Oui, il est à l’étranger, effectivement.

Le Président : C’est juste.

Marc CORNET : Si je peux me permettre, Monsieur le président, étant donné que je n’ai pas tellement travaillé dans ce dossier-ci, c’étaient plutôt les deux autres dossiers. Est-ce que ma présence est indispensable lundi matin ? Parce que je viens de Vervier, et j’ai autre chose à faire.

Le Président : Les parties auront-elles des questions à poser à Monsieur CORNET ? Apparemment non. Donc, je crois qu’on va pouvoir vous dispenser lundi.

Marc CORNET : C’est comme on veut.

Le Président : Oui, Monsieur, oui, je pense. Si jamais, on enverra un avion ou un hélicoptère de la police fédérale, vous chercher.

Marc CORNET : Il n’y en a que pour 1 heure quart en voiture, hein… ce n’est pas un problème.

Le Président : Oui, Monsieur STASSIN ?

Michel STASSIN : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Oui, aux deux questions ?

Michel STASSIN : Oui, aux deux questions que vous venez de poser, bien sûr.

Le Président : Et Monsieur DELVAUX ?

André DELVAUX : Oui, Monsieur le président.

Marc CORNET : Je confirme également, Monsieur le président.

Le Président : Bien. Donc à vous trois, en tout cas, à lundi, je dirais 9 heures… 9 heures, oui. Monsieur CORNET, vous pouvez… vous pourrez disposer. Lundi, vous pouvez travailler à autre chose. Monsieur BOGAERT n’était pas là et je crois qu’il ne sera peut-être pas de retour lundi ?

Michel STASSIN : Il rentre ce soir de mission, Monsieur le président, donc normalement il sera là, lundi.

Le Président : Donc, lui pourrait peut-être vous accompagner lundi si jamais il y avait des questions.

Michel STASSIN : On lui signalera.

Le Président : Merci. Je vous souhaite un bon week-end.

[Suspension d’audience]

Le Greffier : La Cour.

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Les accusés peuvent prendre place, oui. Nous nous excusons du retard dû, semble-t-il, à un mouvement social dans les transports en commun, ayant empêché un des jurés d’arriver plus tôt. Monsieur VANDERMEERSCH est présent et deux enquêteurs ? Oui, ils peuvent approcher. Alors, dans les témoins qui étaient prévus ce matin à 9h00, ils ne sont pas là. Les parties renoncent à l’audition du témoin 43, NIYITEGEKA Innocent, MUKARUTAKWA Marie-Goretti, le témoin 54, MUKAGASANA Annunciata, le témoin Consolée, le témoin 65 Immaculée et Monseigneur le témoin 59 ? Prenez place, je vous en prie. Désolé du retard dû à un mouvement social dans les transports en commun. Bien. Donc, nous avions abordé, vendredi après-midi, les auditions de Monsieur VANDERMEERSCH et des enquêteurs en ce qui concernait le volet Sovu. Y a-t-il des questions à poser aux témoins de la part des membres du jury ? Monsieur l’avocat général ? Pas de questions ? Les parties civiles ? Maître JASPIS ?

Me. JASPIS : Je vous remercie, Monsieur le président. Différentes questions concernant la famille des deux accusées. Il semble, à diverses reprises, qu’on ait des indications de leur part concernant le fait que leurs familles seraient dites mixtes. Est-ce que les enquêteurs ont recueilli des éléments d’information utiles à ce sujet, Monsieur le président ?

Le Président : Monsieur le juge d’instruction ? Monsieur STASSIN ?

Damien VANDERMEERSCH : Je partage puisqu’on a travaillé toujours en équipe et Monsieur STASSIN a entendu beaucoup de personnes. Mais sœur Gertrude a toujours déclaré qu’elle avait un physique mixte, enfin qu’elle avait un physique qui avait certains traits Tutsi. Parmi les témoins, l’ensemble des témoins entendus, pour sœur Kizito, cela semblait assez clair qu’elle était originaire de la colline et qu’il n’y avait en tout cas, à ma connaissance ou à mon souvenir, aucun élément disant qu’il y avait, je veux dire, une famille mixte. Elle était plutôt originaire et, semble-t-il, que toute la famille… enfin on n’a pas fait état de personnes faisant partie de sa famille d’origine Tutsi. Maintenant, en ce qui concerne sœur Gertrude, sa famille, elle n’en a pas tellement fait état parce qu’il semblait d’abord qu’il y avait une grande distance, qu’elle avait épousé la vie religieuse et que la famille était plutôt la… c’était plutôt la communauté religieuse où là, effectivement, parmi les religieuses, il semblait qu’il y avait 17 religieuses d’origine Tutsi et 9 religieuses d’origine Hutu.

Donc, voilà, si ce n’est… mais la question d’ethnie est toujours une question difficile aussi, une question qu’on a posée franchement à certains témoins à partir du moment où ils étaient impliqués dans les événements comme pouvant être classés dans une catégorie ou dans une autre catégorie. Mais je dirais que c’est une question aussi… ou peut-être par, je ne sais pas, par aussi volonté éthique, on ne posait quand même pas systématiquement en disant chaque fois… on ne faisait pas une analyse généalogique parce qu’on trouvait que ce n’était peut-être pas toujours la vraie question, que la vraie question était plutôt : « Est-ce qu’on était catalogué par les autres ? ». Ce n’était pas spécialement, je veux dire, la généalogie qui était importante, c’était peut-être la vue ou comment on était perçu, et c’est plus dans ce sens-là que les questions ont été posées à certains moments, à certains témoins ou à certains accusés. Cela me semble plutôt… disons la question ethnique entre guillemets n’a été posée que quand elle était pertinente par rapport aux faits. Au-delà de cela, personnellement, j’ai estimé que je ne devais pas rentrer dans ces questions-là.

Le Président : Oui, Maître JASPIS ?

Me. JASPIS : Monsieur le président, le sens de la question était précisément -  mais je ne l’ai peut-être pas dit très clairement - plutôt au niveau de la perception des deux accusées par des tiers. Est-ce que, d’après l’enquête, est-ce que les enquêteurs ont le sentiment qu’effectivement, il pouvait y avoir une confusion à cet égard, et est-ce que, par exemple, plus particulièrement sœur Gertrude, est-ce qu’il s’est avéré, à travers le travail des enquêteurs, qu’elle pouvait ou qu’elle était effectivement perçue comme Tutsi ou, autre chose également, pro-FPR ?

Damien VANDERMEERSCH : Les seuls éléments qui l’ont dit, ce sont ses propres déclarations. C’est vraiment de ses propres déclarations où elle s’est toujours qualifiée comme menacée, disait-elle, parce qu’elle avait certains traits Tutsi et parce qu’elle était perçue… mais c’est elle qui le déclarait. Par contre, nous n’avons pas recueilli d’autres éléments, d’autres témoignages, sauf erreur de ma part, disant qu’elle était mise en cause par, je dirais, éventuellement, une assimilation à l’autre ethnie, c’est-à-dire l’ethnie Tutsi, puisqu’elle ne contestait pas qu’en tout cas sur sa carte d’identité où elle se cataloguait officiellement du côté Hutu. C’était plutôt, s’il y a eu certaines personnes qui ont laissé entendre quelque chose, c’était plutôt parce qu’il y avait des Tutsi dans le couvent, mais pas par rapport à elle-même.

Le Président : Oui ?

Me. JASPIS : Monsieur le président, je ne sais pas si les enquêteurs ont plus d’éléments que ce que j’ai découvert dans le dossier concernant les frères de sœur Kizito. Je ne sais pas s’ils ont recueilli des éléments d’information au sujet de leur rôle durant les événements et puis, de ce qu’ils sont devenus par la suite ; de même d’ailleurs que d’autres membres de la famille, puisqu’on parle à un moment, de certains décès mais sans bien comprendre s’il y a un lien quelconque ou pas avec le génocide, ou bien s’il s’agit de décès postérieurs, accidentels, dus à d’autres causes.

Le Président : Oui, à ce point de vue-là ?

Damien VANDERMEERSCH : Je l’ai évoqué vendredi dans mon témoignage en disant qu’il avait été question, et je pense qu’un ou deux témoignages qui font état… que les frères de sœur Kizito, deux des frères faisaient partie des Interahamwe. Sœur Kizito a répondu qu’elle ne savait pas, elle n’a pas démenti mais elle n’a pas non plus approuvé. Mais, je dirais, par rapport… ce sont des enquêtes effectivement assez difficiles par aussi leur ampleur. Je dois rappeler qu’en ce qui concerne ce dossier-là, nous n’avons pu enquêter vraiment que lors de la troisième commission rogatoire. Alors, évidemment, quand on a… je veux dire, on met des jalons et c’est vrai que quand on revient, des fois, un mois après, on sait mieux se situer. Ce sont des enquêtes qu’on aurait pu sans doute faire… approfondir davantage. L’histoire du dossier fait que c’est principalement lors de la troisième commission rogatoire, sous réserve de celle en 2000, mais qui était beaucoup plus axée, elle, sur, je dirais, les événements nouveaux, c’est-à-dire l’arrestation de Monsieur REKERAHO et éventuellement certains détenus que nous avons voulu entendre. Enfin, il n’y a pas d’éléments non plus dans l’autre sens. Ce qui semble bien, c’est qu’ils étaient originaires de la colline et voilà, les quelques éléments qui ont été recueillis, ils sont dans ce sens-là.

Le Président : Est-ce qu’on a d’ailleurs leur identité précise ?

Damien VANDERMEERSCH : Même pas plus. Je veux dire, avec l’identité. Evidemment ne portant pas le même nom, de toute façon… Donc, déjà cette difficulté-là. Mais je pense qu’on aurait pu faire… mais on aurait pu faire trois, quatre commissions rogatoires rien que sur Sovu. On aurait pu travailler trois mois sur place et on aurait eu effectivement un dossier beaucoup plus complet.

Le Président : Oui, Maître JASPIS ?

Me. JASPIS : Est-ce que les enquêteurs ont recueilli des éléments d’information concernant non seulement l’existence, mais également le rôle de sœur Stéphanie ? Qui est sœur Stéphanie, Monsieur le président ?

Damien VANDERMEERSCH : Le nom me dit, mais là vous me prenez… Sœur Stéphanie, le nom se trouve dans le dossier, mais…

Me. JASPIS : On n’en a pas parlé.

Le Président : Il n’apparaît pas dans le dossier qu’elle ait joué un rôle particulier.

Damien VANDERMEERSCH : Elle avait quelle fonction ? Parce que des fois par un…

Me. JASPIS : Je pense que c’était la comptable, mais je pense que c’est indifférent.

Le Président : Le problème étant que, selon des déclarations dont vous n’avez pas connaissance puisque ce sont des déclarations faites à l’audience par sœur Gertrude, il aurait pu y avoir confusion…

Damien VANDERMEERSCH : …entre sœur Stéphanie et…

Le Président : …entre sœur Stéphanie ou sœur Bernadette et sœur Kizito.

Damien VANDERMEERSCH : Je dirais que par rapport aux témoins, il y a des témoins qui ont décrit physiquement, simplement, cette sœur l’une ou l’autre fois. Il peut y avoir, effectivement, à ce moment-là une certaine confusion. Mais sinon, je pense que les témoins parvenaient quand même à identifier assez directement. D’ailleurs, il y avait cette relation, pour les témoins, souvent, la sœur de la colline, sœur Kizito, était plus connue que les autres sœurs parce qu’elle était originaire du coin. Alors, sur le rôle des autres, je pense que… qu’est-ce que vous entendez par rôle ? C’est vrai qu’elles étaient là. Mais il n’y a pas de rôles particuliers qui ont été mis en évidence par rapport à ces sœurs-là, si ce n’est une des sœurs, mais je ne sais pas si c’est sœur Stéphanie, qui aurait accompagné sœur Gertrude, le 17 à Ngoma où il semblerait que ce ne soit pas, là, avec sœur Kizito, donc la première fois, quand elle est allée rencontrer le commandant de place pour avoir, dit-elle, une protection et qu’elle serait revenue les mains vides, si on peut s’exprimer ainsi.

Michel STASSIN : D’autant plus que lorsque l’on parle de sœur Kizito, les témoins la désignent en étant « mama Kizito ».

Le Président : Oui, Maître JASPIS ?

Me. JASPIS : Il est question, à différents endroits du dossier, du fait que des, je ne connais pas les termes techniques, enfin des… un voile comme en portent les religieuses, aurait été distribué. Est-ce que les enquêteurs ont pu recueillir des informations sur le nombre de personnes qui ont bénéficié de ce voile. Donc, je m’explique, surtout pour le jury, l’idée étant qu’un certain nombre de personnes ne portaient pas de voile, de jeunes filles bien entendu, parce que leur statut ne le permettait pas et un certain nombre de jeunes filles ont été sauvées, ont pu s’enfuir avec les sœurs, à l’un ou l’autre moment, grâce au fait qu’elles ont été assimilées à des sœurs parce qu’on leur avait prêté un voile. Mais, est-ce qu’on a une idée, d’après les enquêteurs, du nombre de personnes qui ont bénéficié de cette extraordinaire bouée de sauvetage ?

Le Président : Cela ne vous dit rien ?

Damien VANDERMEERSCH : Non, je ne peux donner aucune information complémentaire à ce sujet-là. C’est quelque chose qui n’apparaît pas, en tout cas à grande échelle, dans le dossier, qu’il y ait eu beaucoup de sauvetages par des prêts de voiles.

Le Président : C’est cela, oui. Maître BEAUTHIER.

Me. BEAUTHIER : Oui, Monsieur le président, pouvez-vous poser à Monsieur le juge d’instruction et à ses enquêteurs, les questions suivantes. Première question. Quelle information sur la façon dont sœur Gertrude rencontre Monsieur REKERAHO, quand peuvent-ils situer cette rencontre ?

Le Président : Oui.

Damien VANDERMEERSCH : Il n’y a pas de problème, la question est claire, donc je peux y répondre. Il y a deux versions, enfin deux versions dans le sens que sœur Gertrude parle que la première fois qu’elle le voit et qu’elle le rencontre, c’est le 22, donc, quand elle dit - et ça se situe, semble-t-il, plutôt le matin du 22, donc, le 22, je rappelle que c’est le jour où il y a l’attaque sur le centre de santé - et donc, dans une de ses déclarations, elle fait état qu’elle le rencontre le matin parce que l’attaque commence, or l’attaque a commencé le matin. Et donc, c’est à ce moment-là qu’elle décide d’aller rencontrer le chef des miliciens - on ne sait pas exactement d’ailleurs pourquoi - dit-elle, parce qu’il y avait menace et elle va au-devant. Mais, dit-elle, elle ne le connaissait pas.

Par contre, vous avez la version de Monsieur REKERAHO qui est très claire, qui, lui, dit qu’il la connaissait déjà d’avant et parce qu’il donne l’exemple très concret : c’est du voisin Cassien qui était un de ses collègues de travail et qui connaissait… et là, il parle de façon générale, il ne parle pas qu’il connaissait sœur Gertrude en tant que telle mais il dit : « Je connaissais bien le couvent ». On peut en déduire que peut-être il connaissait, au moins de vue, la prieure du couvent. Mais, dit-il, à partir du 10, là, il est très clair, Monsieur REKERAHO, c’est qu’il parle, qu’il fait état que sœur Gertrude… qu’il y a eu une rencontre, enfin, qu’elle est venue le trouver pour demander protection pour son couvent, Monsieur REKERAHO étant, semble-t-il, déjà… reprenant un peu les destinées des gens mais à ce moment-là, le 10, en tout cas c’est ce qu’il déclare lui-même.

Et alors, il y a Monsieur le témoin 151 qui fait état également de contacts antérieurs au 22. Là, on a deux personnes qui font état tout à fait… le témoin 151 étant le conseiller de secteur et connaissant bien Gaspard et connaissant bien Monsieur REKERAHO ; d’ailleurs Monsieur REKERAHO en parle tout à fait, dans son audition, du témoin 151. Je dois ajouter que le témoin 151 fait état aussi que Monsieur REKERAHO utilisait la voiture avant le 22, donc, que la voiture du centre de santé n’aurait pas été… Monsieur REKERAHO prétend qu’il l’a eue au début des événements, dit-il, parce qu’il s’était engagé à protéger le couvent et Monsieur le témoin 151 confirme en tout cas que Monsieur REKERAHO utilisait ce véhicule avant le 22, ce que démentent sœur Kizito et sœur Gertrude puisqu’elles disent que c’est le 22 qu’il est venu, ou qu’il a reçu le véhicule.

Le Président : Oui ?

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, dans cette foulée-là, il y a une autre question. Le dossier fait apparaître, notamment dans les déclarations de Monsieur REKERAHO, qu’en fait il y a eu, sans doute le 9, le 10, une réunion - et là, je voudrais que les enquêteurs et le juge d’instruction précisent un peu le rôle de Gaspard - qu’il y a eu une réunion entre REKERAHO, Gaspard, sœurs Gertrude et Kizito et qu’à cette occasion, on a, non seulement donné ce qu’on appelait l’ambulance à Monsieur REKERAHO, mais on a aussi donné une autre voiture, au même moment, à Gaspard. Alors, est-ce qu’ils ont eu l’attention attirée par cette autre voiture qui a également circulé, qui a été donnée par les religieuses, (qui était la deuxième voiture du couvent) à Gaspard et quel est le rôle de Gaspard ? S’il reçoit une voiture, c’est également sans doute aussi pour protéger.

Damien VANDERMEERSCH : En ce qui concerne la seconde voiture, il en est question, donc effectivement, que Gaspard aurait eu une autre voiture du couvent euh… mais, je dois dire, il n’y a pas… c’est une, semble-t-il, une Berline, enfin ce n’était pas une voiture… la voiture du centre de santé c’était une camionnette, je veux dire, assez facilement identifiable. Et ça, c’est vrai qu’il y a plusieurs témoins qui ont fait état de l’utilisation de ce véhicule, qui était quand même assez… c’était l’ambulance, on l’appelait l’ambulance. Donc, c’est un véhicule qui ne passait pas inaperçu. En ce qui concerne l’autre véhicule, il n’en est fait état que Gaspard en avait reçu l’usage, entre guillemets ; ce n’est pas précis, exactement pendant combien de temps et quelle durée. Il n’y a pas de témoins, non plus, qui font tellement état de l’utilisation de ce véhicule en tant que tel pour… mais les témoins se référant évidemment toujours plus au transport des miliciens, donc à ce qui apparaissait ; ce qui n’exclut pas que Gaspard ait utilisé éventuellement ce véhicule pendant les événements. En ce qui concerne son rôle, je crois qu’il est assimilé, - et ça se retrouve dans les déclarations mêmes de sœur Gertrude - en disant que c’était le protecteur, c’était même, je dirais, l’informateur. D’ailleurs, il est renseigné, suivant les déclarations tant de sœur Kizito que de sœur Gertrude, comme la personne qui donnait les renseignements entre guillemets à l’avance et qui, semble-t-il, en tout cas, a donné l’information notamment avant le 25, le 24, comme quoi il y aurait une attaque le lendemain : « Demain, c’est à 8h00 ». Alors, c’était le voisin aussi immédiat derrière. D’ailleurs, sœur Gertrude… ils se connaissaient, manifestement, déjà avant les événements. Il avait d’ailleurs, je crois, une petite activité au couvent, je ne sais plus dans quelle…

Me. BEAUTHIER : Ca, je crois que c’est important. Dans le dossier, il est noté à deux endroits - notamment quand on entend l’évêque - que Gaspard, c’est vrai, joue le rôle que Monsieur le juge d’instruction donne, mais que Gaspard est chargé, surtout chez les moniales, c’est important, du rôle de maître, enfin ce n’est pas un jeu de mots, de maître-chanteur. C’est lui qui organise…

Damien VANDERMEERSCH : Avant les événements, oui, on précise bien.

Me. BEAUTHIER : Donc, c’est lui qui va, revenant de la maison où il est à côté - parce qu’il faut bien voir que cette maison est juste à côté - qui entre par la petite porte, et qui va aider les sœurs à chanter. Donc, il est souvent dans le couvent.

Damien VANDERMEERSCH : En fait, avant les événements, donc, avant le 7 ou le 10, il avait cette activité-là et d’ailleurs c’est… sœur Gertrude explique que c’est comme cela qu’il y avait des contacts entre lui et le couvent,  et qu’ils se connaissaient. Alors, pendant les événements, je ne sais pas s’il y a eu beaucoup de chance, je ne pense pas, et, donc, son activité, de toute façon, semblait - enfin elle est décrite par de nombreux témoins - comme différente, c’est-à-dire plutôt comme étant le bras droit de Monsieur REKERAHO.

Du point de vue de sœur Gertrude et de sœur Kizito, il est décrit comme la personne qui est aussi le relais, qui donne les informations, qui est un peu le relais avec les miliciens, qui permet… en tout cas qui est bien informée de ce que vont faire et de ce que font les miliciens, et qui aurait d’ailleurs même un pouvoir, une direction sur ces miliciens.

Donc, il est fait état, à plusieurs reprises, de ces contacts. Monsieur REKERAHO confirme également, lui, un grand nombre de rencontres. On a l’impression que d’un côté, il y a eu Monsieur REKERAHO et Gaspard qui étaient souvent ensemble et de l’autre côté, sœur Gertrude et sœur Marie Kizito qui étaient également souvent ensemble. Et quand les rencontres se passaient, c’était à quatre ou même, avec le témoin 151, à cinq. Mais donc, ça, ça semble être, je dirais, une constante. Ils se connaissaient avant et pendant les événements, ces contacts ont été, avec Gaspard, semble-t-il, assez étroits.

D’ailleurs, sœur Gertrude dira que c’est sur le conseil ou presque sur la dictée de Gaspard qu’elle aurait écrit la lettre du 5 mai. Donc là, il semblerait que les contacts étaient répétés et assez étroits avec Gaspard, Monsieur REKERAHO allant plus loin, lui disant : « Il y avait vraiment des réunions où on discutait » et au cours desquelles, comme je l’ai dit vendredi, il déclare que sœur Gertrude demandait vraiment de chasser les réfugiés.

Me. BEAUTHIER : Il ressort du dossier que sœur Kizito et sœur Gertrude ont participé à des réunions, non pas uniquement dans le couvent ou à côté, dans la maison de Gaspard (qui est en fait, d’ailleurs, la maison du père de Gaspard, si on voit bien ; il est allé habiter là à un moment donné, c’est ce que Monsieur REKERAHO dit). Et on voit aussi que les sœurs participaient à des réunions en dehors de l’enceinte du couvent, et pas uniquement chez Gaspard.

On a noté une réunion - mais je ne sais pas si les enquêteurs ont pu en savoir plus - où sœur Kizito serait venue au moment où on transmettait les informations et les ordres, en quelque sorte, du bourgmestre et du préfet, à un endroit, je m’excuse d’écharper cet endroit, c’est Munyinya, et la déclaration est celle-ci : « Sœur Kizito - c’est REKERAHO qui le dit - est restée à la réunion quelques minutes, cette réunion se tenait à ce moment-là à Munyinya ». Est-ce que vous avez eu vent de ce que des réunions, autres que celle-là, aient pu se tenir en présence des religieuses qui tout de même, manifestement, d’après certains témoignages, sortaient assez souvent et non pas uniquement une ou deux fois, entre le 10 avril et le mois de mai ?

Damien VANDERMEERSCH : Vous avez cette déclaration, effectivement, qui se trouve dans le dossier. Elle a été faite devant le Tribunal international, je pense.

Me. BEAUTHIER : Oui.

Damien VANDERMEERSCH : Donc, ce n’est pas la déclaration que j’ai prise moi-même. Donc, c’est pour ça que je pose la question, donc c’est en 2000 que nous en avons connaissance. Donc, de ce point de vue-là… Vous savez, réunion… d’abord le terme « réunion », il ne faut peut-être pas… il y a réunion et réunion. On a qualifié de réunion un échange qu’il y avait eu également, les réunions pouvaient être très informelles dans le sens où cela pouvait se passer devant la grille du couvent ; c’était aussi ce qui est qualifié de réunion mais qui effectivement représentait l’échange d’informations des fois indispensables ou en tout cas où il y avait des informations très importantes qui s’échangeaient.

Alors, les faits et gestes des intéressées, ce qu’on peut dire, c’est qu’il y en a certains qui disaient qu’effectivement, elles sortaient, elles semblaient avoir une liberté de mouvement importante, ce que les autres sœurs n’avaient pas, principalement, bien entendu, les sœurs Tutsi. Par ailleurs, on a plusieurs états… donc, en ce qui concerne cette réunion-là, oui, on a cette déclaration ; mais enfin on n’a pas pu enquêter davantage puisqu’on était déjà à un moment charnière où on était au règlement de procédure. Donc on n’avait pas la possibilité d’aller au-delà puisque l’instruction se terminait à ce moment-là.

Par contre, on a quand même eu des éléments, notamment de sœur Kizito, qui est allée apporter des motos… qui est allée apporter des motos au niveau de la commune, motos… Et d’ailleurs, on parle des effets des réfugiés, donc, c’étaient des réfugiés, semble-t-il, disparus ou décédés, qui avaient fui. Et donc, il y avait toute une série d’objets, et notamment de matériel, qui étaient là, et donc sœur Gertrude… Et on suppose qu’il y a eu un contact, qu’il a dû y avoir des contacts pour organiser ce transfert, mais donc que ces motos ont été déposées par sœur Kizito et… semble-t-il, vers le 26 avril ou 27 avril, en tout cas à cette période-là, où sœur Kizito aurait amené ces motos chez le bourgmestre, donc à la commune, ce qui, d’ailleurs, est confirmé par sœur Gertrude et sœur Kizito, là, il y a eu un contact et il y a eu inévitablement… je dirais… Alors, est-ce qu’on doit qualifier cela de réunion ou pas, je n’en sais rien, mais toujours est-il, que pour organiser ce transport, il a dû y avoir quand même certains contacts pour simplement les déposer. Alors, dit-on, on a mis ces motos pour si les gens réapparaissaient, ou peut-être que ces motos attiraient la convoitise d’autres.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, je m’excuse, mais j’ai encore quelques questions, notamment à propos de la déclaration de Monsieur REKERAHO. Monsieur le juge d’instruction vient de parler de celle que Monsieur REKERAHO a faite, et qui contient 56 pages, devant Monsieur TREMBLAY. Monsieur TREMBLAY interroge donc Monsieur REKERAHO au nom, sur papier, des Nations Unies, déclaration de témoin, le 9 février 1999. Quelle est à ce moment-là, la situation de Monsieur REKERAHO ?

Damien VANDERMEERSCH : Monsieur REKERAHO est incarcéré à ce moment-là.

Me. BEAUTHIER : C’est cela.

Damien VANDERMEERSCH : Enfin, là, je pense que Monsieur TREMBLAY viendra et vous le confirmera sans doute.

Me. BEAUTHIER : Monsieur REKERAHO, lorsqu’il parle - et j’en viens à cette question-là qui est importante - lorsque Monsieur REKERAHO parle à Monsieur le juge d’instruction, il va faire référence à cette longue déclaration en disant, en quelque sorte, dès le départ : « Prenez la référence de Monsieur TREMBLAY, s’il est d’accord, tout mon témoignage chez Monsieur TREMBLAY vaut ». C’est en quelque sorte comme cela qu’il commence. Quand Monsieur le juge d’instruction va le voir, est-ce que Monsieur REKERAHO, d’abord a bien dit ça textuellement au point qu’on puisse s’en référer, et ensuite, est-ce que Monsieur REKERAHO a, à ce moment-là, l’idée déjà - ce qu’il va faire après - d’un peu se rétracter, puis de revenir sur sa position à propos de l’essence ? Est-ce que Monsieur REKERAHO, en d’autres termes, au moment où Monsieur le juge d’instruction l’aborde, était confiant dans les déclarations qu’il avait faites au départ et avant Monsieur TREMBLAY ?

Damien VANDERMEERSCH : Je peux répondre, d’abord… de façon, d’abord, très nette, que j’ai acté que Monsieur REKERAHO confirmait la déclaration faite devant Monsieur TREMBLAY et, je dirais, de départ. Et là, en fait, Monsieur REKERAHO, on l’a rencontré, il a dit : « Ecoutez. Si vous avez connaissance… », je pense que cette déclaration devant Monsieur TREMBLAY - mais il s’en expliquera - elle est très, très détaillée, elle a, je suppose, pris pas mal de temps, Monsieur REKERAHO disant : « Mais, à quoi ça sert de répéter tout cela ? ». Alors là, j’ai pris ma responsabilité en disant : « Mais non, ce n’est pas la même chose du faire », et donc, c’est moi qui ai insisté, mais pour Monsieur REKERAHO, on pouvait en rester là. Mais c’est moi-même qui ai insisté en disant : « Non, Monsieur REKERAHO, moi, je suis juge d’instruction indépendant, je n’ai rien à voir avec le Tribunal international ou en tout cas, je ne suis nullement mandaté par lui, je ne suis mandaté par personne si ce n’est par la justice pour laquelle je dois rassembler un dossier ».

Et j’ai dit : « Je souhaite entendre de votre bouche l’ensemble des éléments qui concernent… puisque sœur Gertrude et sœur Marie Kizito font, en tout cas, l’objet de poursuites en Belgique, j’estime qu’il faut une audition devant le juge, et que ce n’est nullement équivalent à l’audition devant Monsieur TREMBLAY », en disant : « Parce que, moi, je suis juge et je dois pouvoir après, si nécessaire, devant une Cour d’assises, pouvoir expliquer ce que j’ai entendu personnellement ».

Et c’est dans cet esprit-là que j’ai souhaité poursuivre l’audition sans nécessairement… et là, je le dis bien clairement, je n’ai pas voulu me calquer sur l’audition de Monsieur TREMBLAY pour éviter justement le recopiage qu’il suggérait. Si c’était juste pour faire le recopiage, alors il suffisait de faire marcher la photocopieuse. C’est volontairement que je n’ai pas nécessairement abordé toutes les mêmes questions. Et je dois vous dire que je n’avais pas tellement l’audition de Monsieur TREMBLAY, j’en avais connaissance mais je ne l’ai pas… je veux dire, je ne m’en suis pas imbibé avant, pour justement, précisément, éviter ce danger de contamination que vous pourriez avoir.

C’est que si vous suivez… ce sont des choses auxquelles on est confronté quotidiennement, souvent on a une audition première qui est faite par la police, et puis le juge d’instruction entend. Moi, j’ai l’habitude de très peu me baser… plutôt d’essayer d’être devant le terrain le plus vierge possible. Pourquoi ? Parce que si les questions sont posées différemment, si la trame est différente quelque part, et que les réponses sont différentes, on posera la question ; si les réponses sont les mêmes, on dira : « Effectivement, il y a une convergence dans les deux récits ».

Et donc, c’est la raison pour laquelle j’ai voulu, autant que faire se peut, que le terrain soit vierge de mon côté, même s’il ne l’était pas du côté de Monsieur REKERAHO, et qu’on a commencé à aborder toute une série de questions qui me semblaient, pour moi, les questions pertinentes. Et c’est bien pour cela que, peut-être, vous parlez là d’une réunion que je n’ai même pas abordée dans mon audition parce que, je veux dire, je n’en avais pas connaissance, ou je n’en avais en tout cas pas le… ce n’était pas un des éléments sur lesquels j’estimais devoir l’entendre par rapport à mon schéma d’audition tel que je l’avais conçu, indépendamment des auditions antérieures de Monsieur REKERAHO.

Me. BEAUTHIER : Mais, maintenant que les deux versions, enfin les deux récits de Monsieur REKERAHO sont au dossier, est-ce qu’on peut dire, à part le fait de l’essence mais j’y reviendrai, qu’il y a eu des différences autres que la question de l’essence, entre la version faite au juge d’instruction et la version faite à Monsieur TREMBLAY ?

Damien VANDERMEERSCH : Pour moi, pour une lecture faite, je dirais, a posteriori - pas a priori, a posteriori, puisque là, je vous dis que c’est même tout en préparant le procès d’assises que je me suis un peu plus imbibé de l’audition faite devant le Tribunal international - on constate effectivement de nombreux points de convergence ou plutôt pas de divergences notables, l’audition faite par Monsieur TREMBLAY allant quand même, sur certains aspects, plus en détail que la mienne, je dois, bien entendu, le concéder. Mais, comme je l’ai dit vendredi, même par rapport aux autres récits, si ce n’est sous des différences de situation… Par exemple Monsieur REKERAHO qui déclare en disant : « J’ai reçu de l’essence, j’ai demandé de l’essence à sœur Gertrude et je l’ai reçue », mais finalement sœur Gertrude, qui a été interrogée à ce sujet-là, reconnaît qu’elle a donné à un moment la clé, alors simplement REKERAHO dit qu’il allait verser… que c’est sœur Gertrude qui versait l’essence et sœur Gertrude déclare qu’elle s’est servie elle-même, mais cet élément-là qui est apporté par Monsieur REKERAHO, donc, je dirais, indépendamment, cet élément-là est confirmé, semble-t-il, par sœur Gertrude.

Donc, je dirais que l’audition de REKERAHO, oui, par rapport à une audition antérieure, elle est, je dirais… elles sont assez compatibles sous la réserve bien entendu de cette question de bidon d’essence, je dirais, également, par rapport à un ensemble d’autres éléments dans le dossier ; ce qui me fait dire que, en tout cas, ce qui a été apporté par Monsieur REKERAHO… en tout cas, il y a, je dirais, une convergence sur un ensemble d’événements où on se dit qu’il ne pouvait pas non plus savoir que, par ailleurs, les déclarations de sœur Gertrude étaient nécessairement dans notre dossier, ça, il devait les ignorer, et on rencontre quand même beaucoup de points de convergence.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, justement sur ce seul point-là, et là, je voudrais insister. Il y a donc une version, comme cela : Mesdames et Messieurs les jurés le savent, il y a donc, une version relative à l’essence répandue pour brûler des réfugiés. Il y a eu la version REKERAHO chez Monsieur le juge d’instruction. Je me permets de lire une phrase et je lis la seconde phrase, celle qui, soi-disant, est en contradiction et qui aurait été donnée après, par Monsieur REKERAHO.

Donc, Monsieur REKERAHO dit la première fois à Monsieur le juge d’instruction : « Je voudrais dire que j’ai dit que les sœurs avaient donné de l’essence, mais ce n’est pas juste. Ce que je sais, c’est qu’elles voulaient chasser les réfugiés, qu’elles ont donné… les réfugiés pour les tuer. Si les sœurs ont donné de l’essence, je peux seulement dire que je ne l’ai pas vu ». Ca, c’est donc ce qu’il dit au juge d‘instruction.

Damien VANDERMEERSCH : Tout à fait.

Me. BEAUTHIER : Alors, Monsieur le juge d’instruction, visiblement, voit Monsieur TREMBLAY, d’ailleurs il nous l’a expliqué et organise une réunion, si je me souviens bien, entre Monsieur…

Damien VANDERMEERSCH : Une confrontation, en disant : « Monsieur TREMBLAY est là, Monsieur REKERAHO est là ». Devant Monsieur TREMBLAY, là, j’avais évidemment… je m’étais imbibé du passage concernant l’essence en disant bien : « Vous avez déclaré devant Monsieur TREMBLAY ceci, vous avez déclaré ceci devant moi, qu’en est-il ? ».

Me. BEAUTHIER : C’est cela, et donc, il donne cette appréciation : « Je peux seulement dire que je ne l’ai pas vu ». Et puis alors, il vient vous dire devant Monsieur TREMBLAY : « Tout ce que je vous ai dit l’autre jour, le 1er mars - et on se situe le 3 mars - tout ce que je viens de vous dire, c’est la vérité, sauf l’histoire de l’essence qui a servi à incendier le garage ». Il dit simplement ceci : « C’est moi-même qui ai remis le jerricane d’essence à Nyundo ».

Et, phrase importante : « J’ai discuté avec sœur Gertrude pour lui demander de l’essence, sœur Kizito était présente aussi ». Donc, ce qu’on présente comme des versions contradictoires où il se rétracte, en fait, c’est simplement à un moment donné où il vous dit au départ, sans Monsieur TREMBLAY : « Je ne l’ai pas vu ». Et puis après, il vient dire : « Au fond, ce n’est pas vrai, je l’ai vu, il y avait de l’essence, il y avait les sœurs et j’ai reçu cette essence de Nyundo ».  Est-ce qu’on peut résumer ça comme cela ?

Damien VANDERMEERSCH : En tant que témoin, je dis simplement qu’il a bien fait les déclarations que j’ai actées, donc, ces deux déclarations que vous venez de dire, pour le reste, le commentaire, ce n’est pas à moi à…

Me. BEAUTHIER : Mais donc, on est bien d’accord, qu’on ne s’égare pas : il y a eu deux versions !

Damien VANDERMEERSCH : Je dis simplement… les deux versions que vous avez données et que vous avez lues, ce sont bien les déclarations qu’il m’a faites.

Me. BEAUTHIER : C’est cela, donc ce n’est pas nécessairement contra-dictoire ?

Damien VANDERMEERSCH : ça, je n’ai pas à me prononcer là dessus…

Me. BEAUTHIER : On peut peut-être aborder un autre point. Dans le dossier, il y a une très, très brève déclaration, mais intéressante, de la femme du bourgmestre. Première question. Cette audition a dû être interrompue pour des raisons de service parce que je crois que cette dame a dû être…

Damien VANDERMEERSCH : C’est aussi simple, là je peux répondre très clairement. C’était le transfert, il fallait que les détenus rentrent à la prison de Butare. Et donc, nous avions entendu toute une série de détenus, pas à la prison, mais dans les locaux du parquet, donc, c’est un petit bâtiment, mais qui se trouve quand même situé à 1 ou 2 kilomètres de la prison. Et c’était le transfert qui partait pas seulement avec cette dame-là, mais avec tous les autres. Et donc, il fallait stopper à ce moment-là parce qu’ils partaient et on se faisait houspiller depuis cinq minutes. Alors, on avait commencé et puis voilà, il fallait interrompre pour les nécessités du service, c’est-à-dire la nécessité du transfert de retour, mais qui ne concernait pas uniquement cette détenue-là, il y avait toute une série de détenus qui étaient présents.

Me. BEAUTHIER : Or, cette dame commençait une déclaration en disant qu’elle connaissait évidemment les sœurs et que celles-ci s’étaient adressées à plusieurs reprises - est-ce que Monsieur le juge d’instruction peut le confirmer, à plusieurs reprises - au bourgmestre, pour demander de les aider ?

Damien VANDERMEERSCH : C’est une audition, sauf erreur de ma part, faite en kinyarwanda, donc là, j’émets la réserve en disant… Vous savez, on travaillait au fur et à mesure avec l’inspecteur de police judiciaire qui comprenait, qui était bilingue, kinyarwanda-français, donc, cela a été effectivement noté. Maintenant, dans la… je vais dire, dans le départ, comme on savait qu’il y avait l’heure qui allait intervenir… ce n’est pas une audition, on a fait une traduction, je veux dire, au fur et à mesure, donc cela a été acté. Mais je n’ai pas eu l’occasion de poser des questions complémentaires.

Me. BEAUTHIER : Mais elle le dit.

Damien VANDERMEERSCH : Cela a été dit devant l’inspecteur de police judiciaire, et je n’ai remarqué aucune anomalie dans le cadre de cette audition, si ce n’est qu’on était un peu pressé par le fourgon, enfin le transfert qui allait se passer.

Me. BEAUTHIER : Et dans la deuxième phrase, c’est la même dame qui dit que les vélos, enfin les motos, je ne sais pas si ce sont des vélos ou des motos, ont été bien remis par sœur Kizito.

Damien VANDERMEERSCH : Tout à fait, mais on parle de motos.

Me. BEAUTHIER : C’est ça, de motos…

Michel STASSIN : Si je me souviens bien, c’est moi qui étais là pour l’interpellation de cette dame. Effectivement, on lui a demandé, en ayant connaissance des autres déclarations, si elle pouvait confirmer qu’effectivement sœur Kizito avait donc été reconduire les motos et les effets des réfugiés, et elle a répondu positivement.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, il y a encore trois questions, je m’en excuse. On a vu les photos, on a vu que le couvent n’était tout de même pas un petit édifice, que c’était important, que c’était un couvent important. Est-ce qu’on sait combien de terres le couvent possédait en dehors de l’enceinte ?

Damien VANDERMEERSCH : On ne peut pas vous dire, comme… Il y avait un grand espace devant, on l’a vu, un espace sûrement équivalent, au point de vue surface derrière. Maintenant s’il y avait des terres agricoles, oui ou non… Je dois vous dire qu’on s’est préoccupé d’abord de témoignages plus directs par rapport aux circonstances. Pour la distance du monastère et du centre de santé, je n’ai pas retrouvé mais je sais qu’on a compté en pas, sans doute on a oublié du noter ; mais quand j’avais parlé de 200-300 mètres, c’était en me basant sur les déclarations de sœur Gertrude, là je veux préciser. Mais donc vous avez les photos… Mais ce sont des éléments effectivement. Si on avait pu passer deux mois sur place, on aurait pu effectivement… enfin cela ne nous paraissait pas la plus grande des priorités à partir du moment où, je veux dire, il y avait beaucoup d’éléments qui étaient en relation directe et ce sont ces éléments-là qui ont retenu davantage notre attention.

Me. BEAUTHIER : Je pose cette question parce que j’introduis une deuxième question sur la nourriture. Beaucoup de gens ont fait état de ce qu’il y avait, et on l’a vu, un magasin, de ce qu’il y avait une ferme. Monsieur REKERAHO dit lui-même à sœur Gertrude : « Mais vous avez de la nourriture, vous pouvez même tuer les vaches ». Sœur Gertrude est venue nous dire qu’il n’y avait plus de nourriture ou pas assez de nourriture. Or, on sait qu’en plus, Laurien est venu apporter des sacs de riz. Le rôle de cette ferme, le rôle de la nourriture au moment où commencent les événements, avez-vous une idée ?

Damien VANDERMEERSCH : En ce qui concerne la nourriture, il y a eu une distribution, avant que le témoin 110 vienne, de flocons d’avoine aux réfugiés. Donc là, il a été fait état, par plusieurs, d’un repas de flocons d’avoine. En ce qui concerne le riz, Monsieur Laurien NTEZIMANA… ça semblait quand même être des quantités relativement importantes puisque c’est pour l’ensemble des réfugiés, ce n’était pas pour les réfugiés au couvent, c’était pour, semble-t-il, l’ensemble des réfugiés… des sacs de riz, on parle de sacs mais des sacs qui peuvent être, je ne sais pas, pas des petits sachets, on parle de sacs de riz qu’il fallait décharger. Mais là, peut-être Monsieur le témoin 110 pourra être plus précis sur la quantité.

Mais sœur Gertrude a été interrogée à ce sujet-là et elle a dit : « Je n’ai pas distribué les sacs parce que je pensais que cela pouvait risquer de durer et donc, il fallait économiser », ce qui nécessite quand même… supposait que c’étaient quand même des quantités qui permettaient de pouvoir répartir cela en plusieurs… je dirais, sur un certain laps de temps. Il ne faut pas oublier que tous les réfugiés n’ont rien reçu comme riz, or on parle, comme je vous l’ai dit, entre 600-1.500-3.000. Or, après, il restait au couvent… on parle en centaines maximum, plus en milliers. Or, c’est vrai que dans sa lettre, et notamment des explications pour la lettre, c’est qu’elle n’avait pas les moyens de subsistance. Je veux quand même souligner que dans tous les autres témoignages des sœurs, on n’a jamais fait état de disette ou de problème de nourriture.

Donc, il semblerait - d’ailleurs sœur Kizito, dans sa déclaration du 25 janvier 1996, n’a pas donné du tout cela comme explication pour le fait de la lettre - que ce n’était pas pour une question de… qu’il n’y avait plus les moyens de les nourrir, mais c’était une question que… c’étaient ses termes d’ailleurs utilisés : « Sœur Gertrude était livrée à elle-même et donc, elle a décidé de livrer les réfugiés pour sauver les sœurs ». Donc, elle n’a pas parlé d’un problème d’approvisionnement. D’ailleurs, la sœur Gertrude a ajouté que tout ce qui était l’approvisionnement, elle ne s’en occupait pas. Elle disait : « Moi, j’étais prieure, ce n’était pas dans mes attributions ». Et donc, même pendant les événements, quand je lui ai posé la question sur la distribution des sacs de riz, elle m’a dit : « Oui, ça ce n’est pas mon secteur, c’est le secteur d’une autre sœur, la sœur économe, ce n’est pas mon secteur ». Mais il semblerait, en tout cas… c’est quelque chose de l’ensemble, je dirais, des témoignages.

Hormis cette lettre de sœur Gertrude et sa version elle-même, on ne voit pas beaucoup d’autres sœurs ou d’autres témoins qui font… Oui, on dit que les réfugiés n’ont pas été nourris à un certain moment, ceux qui étaient au centre de santé, mais ils ne font pas état en tout cas, notamment après, de problème, en tout cas de nourriture, de manque de nourriture. Sœur Kizito fait d’ailleurs état qu’elle a fait elle-même des cultures en dehors du monastère, ce qui semblerait qu’il y avait des cultures et des champs qui pouvaient produire et, dit-elle, précisément : « Je continuais ces cultures pour permettre d’approvisionner le couvent ».

Me. BEAUTHIER : C’est cela. C’est pour cela que je posais la question, parce que dans la lettre notamment, on demandait de pouvoir continuer les travaux habituels du couvent, cela devait notamment être, semble-t-il, ce genre de choses-là. Une question bien précise. Où habitait, si vous le savez, Monsieur REKERAHO ?

Damien VANDERMEERSCH : Dans sa déclaration, Monsieur REKERAHO déclare qu’il habitait à 300-400 mètres du couvent. Il semblait que… En tout cas, ce n’était pas dans l’environnement immédiat. Ça, ça apparaît que ce n’était pas un voisin. 300-400 mètres, semble-t-il, je ne dis pas que c’était sur un autre versant, mais ce n’était pas un voisin au même sens que Monsieur Gaspard ou que le voisin Cassien qui étaient vraiment dans l’environnement immédiat. Donc, on ne peut pas dire que Monsieur REKERAHO était un voisin, mais n’habitait pas très loin. Mais 300-400 mètres sur des pistes, en tout cas en voiture ou à pied, la voiture ne va pas tellement plus rapidement que la personne à pied sur les chemins tels qu’ils sont là-bas. Nous-mêmes, nous avons dû aller par exemple à l’arrière du couvent, c’étaient des routes vraiment très pénibles et je dois dire que ceux qui allaient à pied allaient aussi rapidement que la voiture.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, on va aborder la question alors de Monsieur COMBLAIN, si vous le voulez bien. Monsieur le juge d’instruction a recueilli des témoignages, recueilli des faits de ce qu’on appelle la police judiciaire au Rwanda, à propos du rôle de Monsieur COMBLAIN. Pourrait-il nous expliquer ce qu’il sait, ce qui s’est passé avec Monsieur COMBLAIN et est-ce qu’il y a lieu de croire qu’effectivement Monsieur COMBLAIN avait pour mission deux fois, le 15 août et puis un peu après au mois de septembre, de venir pour obtenir une rétractation de ce que certaines sœurs avaient déclaré ?

Damien VANDERMEERSCH : Je vais répondre en deux temps, c’est que je ne sais pas si Monsieur COMBLAIN, le père COMBLAIN, est rentré entre les deux, je ne suis pas sûr qu’il est rentré en Belgique, je ne pense pas, je pense que c’est un séjour continu et donc, il est parti…

On peut peut-être parler rapidement de son arrestation. Donc, il a été arrêté lors d’un contrôle, à la sortie de Butare comme il y en avait beaucoup à l’époque. Nous-mêmes, nous étions contrôlés… à peu près entre septembre et octobre, il devait y avoir 4-5 barrages entre… il y en avait plus en mai et en juin, mais entre Butare et Kigali, il y avait sûrement 5-6 contrôles où chaque fois on devait montrer son passeport ; c’étaient des contrôles, je veux dire, de contenu sur les personnes, on voulait savoir qui était là. Alors, est-ce qu’on est tombé sur les documents ou est-ce qu’ils étaient renseignés. Monsieur COMBLAIN est convaincu, lui ; le père COMBLAIN en tout cas l’a écrit par la suite dans un rapport en pensant qu’il avait été, entre guillemets, balancé par une des sœurs en disant : « Vous voyez bien, c’est une preuve peut-être de leur calomnie ou en tout cas de leur attitude ». Toujours est-il qu’on a trouvé une série de documents en sa possession.

Et là, je dirais, je réponds à la deuxième partie de la question. C’est que ces documents, au-delà de ce qu’ont pu penser les autorités rwandaises qui l’ont arrêté, ces documents, j’en ai fait état vendredi, sont très clairs. J’ai cité en disant que dès le 15 août, le père COMBLAIN, qui a une mission de rencontrer les sœurs, mission qui est présentée comme une mission de conciliation et disons, de ramener - on a l’impression un peu - les deux brebis égarées qu’il faut ramener au bercail. Et d’ailleurs, on dit qu’il y a deux points. C’est la question de la désobéissance, point qui semble est assez vite réglé. Désobéissance, c’étaient les deux sœurs qui étaient parties à l’insu des responsables où, il semble assez vite que ce point est réglé à partir du moment où les sœurs ont reconnu qu’elles étaient parties sans… mais, dit-elle… bon, elles voulaient retourner absolument au Rwanda puisqu’elles veulent toujours s’inscrire dans un projet dans le couvent de Sovu, donc, dans une certaine continuité. Ce problème-là semble en tout cas ne pas être un problème majeur.

Reste le second point et là, on le rencontre en deux, je veux dire, en deux points. C’est d’abord le père COMBLAIN qui, dans son courrier, dans son rapport du 15 août, fait état de sa proposition, donc la proposition du père COMBLAIN faite… donc, il rapporte à l’abbé CULLEN, dans ce rapport, il dit : « Voilà, j’ai fait la proposition aux deux sœurs de se désolidariser formellement des rumeurs, des rumeurs qui courent à l’égard de sœur Gertrude » . Donc, il dit que c’est la proposition qui a été faite. Il explique : « Il y a une question pour sœur Scholastique, elle voudrait d’abord que soit clarifié mon mandat, au nom de qui je viens ». Et sœur Marie-Bernard, c’est sœur Marie-Bernard, je pense hein… elle est plus nette en disant : « Je veux d’abord une discussion plus large et je veux qu’on discute peut-être aussi, qu’on voit quand même toute la problématique des morts ». ça, c’est le rapport du père COMBLAIN, le 15 août.

Vient une lettre du 4 septembre qui est, en quelque sorte, une réponse au rapport, une réponse, lettre qui est signée par l’abbé CULLEN, si je ne me trompe pas, l’abbé DAYEZ et la prieure, la nouvelle prieure de Sovu, par une prieure. Et donc, dans cette lettre-là, c’est là qu’on joint le communiqué de presse de l’abbé CULLEN qui est un démenti, et là, on est plus clair en disant : « C’est le minimum auquel les sœurs devraient souscrire. Vous devez… on espère que vous obtiendrez cela des sœurs ».

La lettre termine comme cela. Et effectivement, dans cette lettre-là, on parle également : « Les sœurs doivent se rétracter », rétracter leurs accusations et c’est dans la même lettre où on dit : « Elles doivent également formellement se rétracter » ; on prend le mot formellement, c’est-à-dire par écrit, qu’il faut un écrit qui le dise, où elles se désolidarisent des rumeurs. On parle de rétractation et qu’elles disent que sœur Gertrude est innocente. Et c’est dans la même lettre où il y a un peu le retournement en disant : « Oui, mais si elles sont innocentes, qu’elles prouvent leur innocence ». Donc, cette lettre est assez claire en disant : « La mission du père COMBLAIN est d’obtenir un document, un papier, on en fait état d’ailleurs, la question du mandat, c’est aussi dans le but de signer un papier où les sœurs doivent se désolidariser formellement des rumeurs à l’égard de sœur Gertrude.

Le Président : Oui.

Me. BEAUTHIER : Une dernière question. On a parlé, dans le couvent, d’un séminaire. Je me contenterais simplement de savoir si on a un peu enquêté pour savoir qui étaient les personnes qui étaient dans le séminaire. Qu’est-ce qu’elles sont devenues, puisqu’on a vu qu’il y avait un tri qui avait été, à un moment donné, opéré, mais on n’a pas beaucoup de renseignements sur ces personnes qui étaient dans le séminaire depuis le début des événements, jusqu’à une date qu’on peut difficilement préciser quand on lit l’ensemble du dossier.

Le Président : Donc, les personnes en session.

Damien VANDERMEERSCH : Oui, les personnes en session, séminaire, session, c’étaient des personnes qui étaient qualifiées « régulièrement au couvent ». Je suppose que c’étaient ces personnes-là qu’on évoquait sous ce vocable-là « en session », donc en séminaire.

On parle qu’il y avait, dans ces personnes-là, des personnes de Kigali, rwandaises, mais on parle également de deux Américains qui étaient d’une ONG, qui se réunissaient en séminaire, je suppose réunion de travail, donc, tout à fait indépendamment, indépendamment des événements, puisqu’il semblait que la session ou le séminaire était commencé avant le 7 avril et que les personnes se sont retrouvées plutôt coincées ou calées à Sovu par l’irruption des événements. Il faut savoir qu’à Kigali, c’était déjà la guerre à partir du 7 avril. Donc, revenir à Kigali, pour ces gens de Kigali, n’était pas… on peut comprendre qu’ils souhaitaient plutôt voir l’évolution des événements avant de retourner immédiatement à Kigali, puisqu’à Kigali, il faut savoir qu’il y avait dans les quartiers, il y avait le FPR et les FAR, il y avait quand même un conflit armé au sein même de la ville de Kigali. Et donc, les deux Américains semblent être partis assez rapidement.

Et parmi ces personnes du séminaire, sous réserve d’un élément (on disait qu’il y avait peut-être l’une ou l’autre personne Tutsi), mais on a vraiment le sentiment que ces personnes-là n’étaient pas menacées, et d’ailleurs qu’il y avait deux personnes qui prenaient un peu le leadership de l’équipe, qui étaient même des personnes armées. Ce qui veut dire armées, non seulement, elles étaient armées, mais elles circulaient et elles avaient des contacts, elles allaient à Butare. Et d’ailleurs, sœur Gertrude dira que ce sont les gens du séminaire qui ont ramené, qui ont finalement obtenu deux militaires. Ce qui semble indiquer qu’elles étaient en bon termes avec les autorités et, en tout cas, qu’elles étaient bien acceptées par les autorités, pas en tout cas, suspectées d’être, je dirais, complices ou d’être ennemies, puisque c’est ces personnes-là qui auraient obtenu l’aide des militaires, d’ailleurs, pour également transférer les réfugiés du monastère vers le centre de santé.

Alors, en ce qui concerne leur départ, la plus grande partie des déclarations semble indiquer qu’elles sont parties quand même assez rapidement, entre… je dirais, aux alentours du 25, ou en tout cas qu’une grande partie d’entre eux soient partis à ce moment-là. Sœur Gertrude fait état qu’après il y avait encore… Lorsqu’elle a parlé du papier du bourgmestre, elle a dit à un moment donné : « Monsieur REKERAHO, après le 25, est venu avec un papier du bourgmestre ». Et là, elle fait allusion à des gens encore en session. Et donc, le papier du bourgmestre, de dire : « Laissez aller les gens en session ». Et elle dit : « J’ai refusé. J’ai refusé parce que je savais que ces personnes allaient être tuées ». Je ne vous cache pas que c’est le seul élément qu’on a de la présence de gens encore en session, semble-t-il, après les événements, ou bien alors ce n’était plus que les gens en session menacés. Mais il semble, en tout cas, que les gens qui n’étaient pas menacés avaient déjà quitté le couvent à ce moment-là. On ne parle plus en tout cas de l’intervention des deux personnes qui avaient un certain leadership après le 22, on ne parle plus tellement de ces personnes en tout cas au moment du 25, on ne parle pas de l’intervention de ces deux personnes qui auraient pu être présentes là, si elles avaient toujours été là.

Me. BEAUTHIER : Je vous remercie.

Le Président : Oui, Maître HIRSCH ?

Me. HIRSCH : Oui, Monsieur le président. A ce sujet et après la déclaration de sœur Gertrude disant que le 18 avril, elle était retournée à Butare, accompagnée de deux Américains et de deux personnes qui se sont avérées être armées, nous avons reçu ce week-end par mail, euh… hier, un mail adressé à Maître GILLET émanant justement d’un de ces deux Américains et nous souhaiterions vous apporter des précisions à cet égard, si vous le permettez.

Le Président : Il faudrait peut-être que la pièce soit déposée et communiquée aux  parties.

Me. HIRSCH : Monsieur le président, c’est parce qu’on en parle maintenant, mais il s’agit d’une demande de constitution de partie civile que nous devons instruire et nous vous déposerons une pièce dans les jours qui viennent, mais pour le moment, c’est un mail qui date d’hier soir. On ne peut pas faire plus que d’en faire état auprès de la Cour à partir du moment où on en parle.

Le Président : Il n’y a pas de question, si je comprends bien ?

Me. HIRSCH : La question que j’aurais voulu poser à Monsieur le juge d’instruction, c’est s’il savait la date de départ des Américains, mais maintenant j’ai la réponse. Les Américains sont partis le 9 et ne sont pas partis le 18.

Le Président : Y a-t-il d’autres questions ?

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, il m’a échappé de poser, à Monsieur le juge d’instruction, une question. J’imagine qu’il n’a pas entendu l’enregistrement de ce que Monsieur REKERAHO a très longuement expliqué à Monsieur TREMBLAY mais que cet enregistrement existe ?

Damien VANDERMEERSCH : Tout à fait. Là, je peux dire que c’est une procédure tout à fait constante au niveau du Tribunal international, c’est d’enregistrer. Et d’ailleurs, le document écrit est habituellement la transcription de l’enregistrement, donc, ce qui est la base, c’est l’enregistrement et d’ailleurs, on l’a même pour l’audience. Tous les documents que nous avons reçus du Tribunal international sont habituellement des documents enregistrés. Je dois signaler simplement, c’est que lorsqu’il y a… sauf erreur de ma part, le Tribunal international travaille autrement que nous en ce qui concerne les traductions, c’est qu’ils font appel immédiatement aux traducteurs et donc, quand ils, je veux dire, transcrivent, ils transcrivent ce qui a été traduit par le traducteur.

Me. BEAUTHIER : Ici, si j’ai bien vu et je me tais après cela, Monsieur le président, mais c’est tout de même important, j’ai bien vu que Monsieur REKERAHO avait déposé en français ?

Damien VANDERMEERSCH : Sauf erreur de ma part, il l’a fait en français, mais là, vous poserez la question directement à Monsieur TREMBLAY. Mais devant moi, c’est en français, on est bien clair…

Me. BEAUTHIER : C’est ça. C’est ce que je voulais savoir.

Damien VANDERMEERSCH : …cela me semblait beaucoup plus… bon, il parle très bien le français, je veux dire, il parle très bien le français et alors, il m’a dit à un moment donné : « Peut-être en kinyarwanda, je pourrais », mais j’ai simplement dit à Monsieur REKERAHO : « Mais on prendra le temps, ne vous en faites pas, s’il y a des précisions à apporter ». Et on a pris le temps. Et je dois vous dire que tout au long de la déclaration, on n’a eu aucune peine à… je veux dire, on n’a même pas dû faire ces précisions de langage, simplement ce qu’on fait c’est qu’on pose éventuellement une question de précision pour bien préciser plutôt sa pensée plutôt que sa formulation. D’ailleurs, quand il a fait sa diatribe concernant les Belges, je peux vous dire que cela sortait de façon très spontanée et très coulée, il n’y avait pas de problème de langue.

Me. BEAUTHIER : C’est cela, donc, spontanément, il fait une déclaration qu’on transcrit, cela fait 56 pages, c’est la déclaration ONU qu’on a dans le dossier. Et puis à vous, il fait une déclaration en français que vous transcrivez ensuite.

Damien VANDERMEERSCH : Tout à fait… Non, non, que j’ai transcrite au fur et à mesure. D’ailleurs, c’est moi-même, je l’ai écrite de ma main pour bien marquer que c’est moi-même qui actais. C’est mon écriture. Et d’ailleurs, on a tapé à la machine après, mais le document original se trouve joint au PV. On était de toute façon ensemble, mais je veux dire, j’ai chaque fois noté moi-même parce que je tenais… et je tenais à montrer à Monsieur REKERAHO l’importance qu’on avait à vraiment acter ses propres déclarations et que c’était un juge qui le faisait.

Me. BEAUTHIER : Et, c’est tout à la fin, il a dit, lors d’une déclaration, qu’il avait été arrêté par les autorités rwandaises actuelles, qu’il avait été torturé. C’est donc, qu’il avait une liberté de parler et une liberté de dire ce qu’il souhaitait. Il n’avait pas l’air contraint ?

Damien VANDERMEERSCH : Je peux vous dire - non ce qu’il a dit vis-à-vis des Belges et des Américains - je peux vous dire que, soyons clairs, c’est quelqu’un qui avait déjà été condamné en première instance, à mort. Je crois qu’il n’avait aucune attente du côté rwandais, aucune attente. Et d’ailleurs, c’était un homme qui, il faut quand même le savoir, qui était dans une position très difficile d’un point de vue judiciaire puisque, comme je l’ai expliqué, je pense qu’il a espéré et il espérait, enfin cela je ne le sais pas, je pense qu’il n’espérait plus tellement d’ailleurs, même à ce moment-là, être transféré au Tribunal international. Il avait été condamné en première instance. Il attendait son appel, mais sans aucune illusion. Et donc, j’ai plutôt eu l’impression d’avoir quelqu’un qui, de toute façon, je veux dire, avait l’impression que son sort était scellé et que, bon, il faisait la déclaration, mais sans complaisance en tout cas pour nous, ni pour les autorités rwandaises parce qu’on sentait vraiment qu’il n’avait, et donc pas de contrainte non plus, puisqu’il n’avait plus aucune complaisance ; les attentes, à mon avis, c’était plutôt un homme résigné de ce point de vue-là.

Le Président : Bien. D’autres questions ? Maître GILLET ?

Me. GILLET : Oui, Monsieur le président. Cette ONG américaine a laissé sur place, à l’époque, plusieurs choses, je dirais. D’abord, elle a laissé son staff de gens dont plusieurs sont morts pendant les événements. Mais elle a laissé ce staff avec un véhicule qui était une Jeep Cherokee et plusieurs centaines de milliers de francs rwandais pour subvenir aux besoins de ce staff qui avait été laissé sur place et qui ne pouvait pas quitter, qui était donc du staff rwandais, et avec un engagement des sœurs, de loger ces gens et de les nourrir. Je voudrais savoir s’il a été question, et de ce véhicule, et de cette somme assez considérable d’argent qui a été laissée au monastère, au moment de leur départ, donc le 9 avril ?

Damien VANDERMEERSCH : Nous n’avons, je dirais, à partir du moment où on n’a pas entendu les personnes de cette ONG, donc, nous n’avons pas tellement la version des gens de cette ONG, nous n’avons de toute façon que les explications de sœur Gertrude à ce sujet-là puisqu’il semblait que là, au point de vue, je veux dire, direction et contact, là, je pense vraiment par rapport aux personnes de cette ONG, c’est sœur Gertrude qui, peut-être pour les questions pratiques d’hôtellerie, c’était peut-être sœur Scholastique, mais pour tout ce qui était de ce point de vue-là, c’était sœur Gertrude qui était la correspondante et la répondante, enfin je suppose que là, c’était vraiment dans ses fonctions quand même cette question-là. Elle n’a jamais apporté beaucoup de précisions à ce sujet-là.

Elle a seulement fait état, dans ses déclarations, qu’elle avait de l’argent et qu’elle a… de toute façon ces gens étaient, je veux dire, dans l’hôtellerie et l’hôtellerie a été, je veux dire, elle fonctionnait, puisque c’était un des motifs invoqués par sœur Gertrude, elle ne pouvait pas y mettre les réfugiés, c’est qu’elle était occupée. Donc, elle était occupée pendant un certain temps, je suppose que ce… enfin, en tout cas, il y avait de l’argent au couvent puisqu’elle a fait état quand même qu’elle avait pu payer, à certains moments, certaines personnes.

Le Président : Elle n’a pas fait état de ce que cet argent n’était pas celui de la communauté ?

Damien VANDERMEERSCH : Non, elle n’en a pas fait état à aucun moment, non. Maintenant, nous ne lui avons pas posé la question non plus puisque cette information n’émergeait pas du dossier à ce moment-là.

Le Président : Oui, une autre question ? Oui, je vous en prie.

Me. VERGAUWEN : Oui, Monsieur le président, je voudrais simplement réagir à la question que vient de poser Maître GILLET. Pourriez-vous demander tout de même à Maître GILLET d’où viennent les informations dont il fait état en posant sa question sur le staff de l’ONG. Je ne sais pas si cela sort du dossier ni d’où cela sort, mais concernant cet argent, nous n’avons aucune information à ce sujet.

Le Président : Je n’en ai pas plus que vous et Maître GILLET n’est pas témoin, donc je ne vais pas l’interroger.

Me. VERGAUWEN : Non, mais il pose une question sur base d’un dossier…

Le Président : Oui, mais cela devient assez habituel. Cela devient assez habituel ici.

Me. VERGAUWEN : Nous en prenons acte. Merci.

Le Président : Si. Cela devient habituel ! On fait état de pièces qui viennent d’autres dossiers ou dont les parties n’ont pas connaissance, cela devient assez habituel.

Me. HIRSCH : Monsieur le président, on parle de ce procès dans le monde, c’est donc normal qu’il y ait des gens qui prennent contact avec des avocats pour les informer.

Le Président : Oui, mais ce serait peut-être aussi normal que les avocats, lorsqu’ils disposent de pièces, les communiquent aux autres parties, ainsi d’ailleurs qu’à la Cour !

Me. HIRSCH : C’est un mail qui est reçu hier soir, Monsieur le président.

Le Président : Qu’est-ce qui empêchait que ce matin, vous produisiez cette pièce et que l’on en fasse des copies pour les parties ?

Me. GILLET : Monsieur le président, ce n’est pas une pièce, c’est un contact entre quelqu’un qui devient client d’un avocat et cet avocat va se constituer partie civile pour elle. Ce n’est donc pas une pièce, ce sont des informations qui résultent de contacts avec un client.

Le Président : Bien. Je suppose que vous irez de nouveau trouver le bâtonnier pour régler ce problème-là, hein… Moi, je ne le règle pas ici à l’audience en tout cas. Y a-t-il d’autres questions ?

Me. VANDERBECK : Oui, Monsieur le président. Je voudrais venir à un sujet qui, à ma connaissance, n’a pas été abordé par Monsieur le juge d’instruction lors de son rapport de vendredi après-midi et je souhaiterais que vous lui posiez quelques questions à ce sujet. Notamment, la première serait peut-être, à caractère didactique vis-à-vis du jury, que Monsieur le juge d’instruction nous explique le sens de la formalité d’inculpation. Ce qu’est l’inculpation ? Parce que je voudrais poser quelques questions par rapport à cela ensuite.

Si vous souhaitez lui poser cette question, Monsieur le président, par rapport au sens de l’inculpation, les jurés ne sont pas des juristes et donc, ne savent peut-être pas ce qu’est une inculpation, quel est le moment de l’inculpation et quand on procède à une inculpation.

Le Président : Oui, à titre purement didactique, effectivement puisque…

Damien VANDERMEERSCH : Je peux prendre la casquette de professeur de procédure pénale parce que je crois qu’il faut bien préciser la date du moment où j’ai été appelé à entendre sœur Kizito. Donc, on se situait en janvier 1996, donc, avant la loi Franchimont. C’est important, parce que la loi Franchimont, en 98, a introduit une notion d’inculpation, je dirais, différente de celle dont je vais parler.

Donc, on se situe avant la loi Franchimont. La loi Franchimont, l’inculpation fait qu’on a certains droits, accès au dossier, pouvoir demander des devoirs complémentaires, ça c’est postérieur, c’est à partir de 1998. Mais en 1996, quand j’ai été amené à entendre sœur Kizito, c’est une inculpation au sens de la détention préventive que j’avais à examiner, donc, c’est-à-dire dans le cadre… une des conditions pour la détention préventive est la question de l’existence d’indices sérieux de culpabilité, c’est le terme utilisé par la loi sur la détention préventive. La loi Franchimont prend la même terminologie après, mais c’est relatif à d’autres choses.

Ici, c’était relatif à la loi sur la détention préventive et d’ailleurs, c’était un interrogatoire d’inculpés dans le cadre de l’instruction, mais également, dans le cadre de la loi sur la détention préventive. Donc, c’était, je dois dire, mixte. Voilà la première part, je sais… mais je m’attends à la seconde question mais il n’y a pas de problème, je pourrai y répondre.

Me. VANDERBECK : Oui, bien sûr. Il y en a plus qu’une seconde, Monsieur le juge d’instruction, si Monsieur le président me le permet bien sûr.

Le Président : Bien sûr.

Me. VANDERBECK : Par rapport à cette notion d’inculpation justement, Monsieur le juge d’instruction peut-il nous confirmer que lorsqu’il a entendu sœur Maria Kizito le 25 janvier 1996, si je ne m’abuse, il n’a pas jugé opportun de l’inculper, au sens qu’il nous l’a décrit aujourd’hui - je reviendrai d’ailleurs sur ce sens après - et quelle a été la motivation, puisque, sauf erreur de ma part, il y a une ordonnance de non-inculpation qui a été prise par Monsieur le juge d’instruction, quelle était la motivation de son ordonnance ?

Damien VANDERMEERSCH : Eh bien, donc, j’avais à statuer sur la question des indices sérieux de culpabilité que je situais à ce moment-là, principalement pour sœur Kizito, par rapport au bidon d’essence puisque principalement, cela se focalisait par rapport au bidon d’essence.

Alors, par rapport à cet élément-là, il faut être très clair, j’estimais en âme et conscience que si je l’inculpais, je devais la mettre en détention préventive compte tenu de cette question de bidon d’essence. Alors, en ce qui concerne ce rôle précis, en se focalisant principalement là-dessus, à ce moment-là, nous n’avions pas tous les éléments, notamment l’audition de Monsieur REKERAHO, etc. Tout cela : c’est postérieur. D’ailleurs, pas mal d’auditions, même la lettre, si je me souviens bien, la lettre de sœur Gertrude n’était pas, en tout cas en tant que telle, elle n’était pas comprise dans le dossier à ce moment-là ; la lettre - je parle le texte même de la lettre - on se situe le 25 janvier 1996.

Et donc, j’ai estimé que par rapport à la question du bidon d’essence à l’époque, il n’y avait pas… il y avait un certain doute, compte tenu des éléments, ou il y avait en tout cas un… ou je ne souhaitais pas anticiper la décision de fond par une mesure que j’estimais alors devoir prendre, c’était une mesure de détention préventive. Là, j’ai estimé qu’à ce stade-là de l’enquête, compte tenu des éléments, si je l’inculpais - et c’est un seuil important, avant de mettre quelqu’un en prison, vous estimez qu’il ne faut pas quelques accusations - je savais que c’était une décision très lourde. Si je la prenais, c’était placer sœur Kizito en détention préventive, avec aussi ce qu’allait provoquer vraisemblablement, si elle restait en détention préventive, une accélération du dossier.

Et donc, j’ai estimé, le 25 janvier 1996, avec les éléments dont je disposais, qu’il n’y avait pas matière à justifier qu’il y avait des indices sérieux permettant de prendre cette mesure exceptionnelle - c’est la loi qui le dit - de détention préventive. Voilà dans quel cadre se situe cette décision.

Me. VANDERBECK : Monsieur le président, je pense que Monsieur le juge d’instruction…

Damien VANDERMEERSCH : J’ai ajouté tout en disant qu’il appartiendra aux juridictions d’instruction et aux juridictions de jugement d’apprécier. Je n’ai pas anticipé, donc, ce n’est pas du tout une anticipation, c’est la présomption d’innocence.

Le juge d’instruction doit éviter d’anticiper toute décision ultérieure et c’est dans cet esprit-là que j’ai ajouté en disant qu’il appartiendra, comme la loi le prévoit, à la juridiction d’instruction et, le cas échéant, à la juridiction de jugement, c’est-à-dire vous-même, de donner votre propre appréciation.

Me. VANDERBECK : Monsieur le président ?

Le Président : Oui ?

Me. VANDERBECK : Monsieur le président, merci. Je vois que le juge d’instruction anticipe sur les questions et sur la motivation. Mais dans… dans… Non seulement il n’a pas placé sœur Marie Kizito sous mandat d’arrêt, mais il ne l’a pas inculpée, puisque c’est une ordonnance de non-inculpation dans la motivation qui est reprise. Pour vous rafraîchir la mémoire, je peux peut-être la lire, si vous m’y autorisez, Monsieur le président ?

Le Président : Oui.

Me. VANDERBECK : Monsieur le juge d’instruction dit ceci : « Attendu que jusqu’or, la participation de la précitée n’est pas établie à suffisance de droit pour l’inculper du chef de l’infraction repris ci-dessus, en vertu des pièces qui nous sont parvenues ce jour en ce dossier ».

C’est ce que vous venez de dire. Je souhaiterais que vous nous disiez exactement quelles étaient les pièces que vous aviez dans le dossier, et notamment si vous pouvez me confirmer que vous avez reçu, à l’époque, le contenu intégral de la commission rogatoire au Rwanda effectuée en septembre-octobre 95, mais également le contenu d’une commission rogatoire effectuée en France, qui était destinée à entendre sœur Véronique DABO, ainsi que l’ensemble des auditions des sœurs qui n’ont été entendues, à ma connaissance d’ailleurs, qu’une seule fois, à ce moment-là, l’ensemble des déclarations des sœurs, faites… sœurs qui s’étaient réfugiées, qui attendaient ici en Belgique de retourner au Rwanda et qui étaient au couvent de Maredret.

Damien VANDERMEERSCH : Donc, je peux dire, d’abord en ce qui concerne la formule, soyons clairs, c’est la formule type. C’est le genre d’ordonnance où on n’a pas envie non plus de développer, s’il n’y a pas de raison, justement pour ne pas anticiper sur les décisions ultérieures. Donc, la présomption d’innocence existant par rapport à, j’ai bien expliqué que c’était par rapport - les indices sérieux de culpabilité - par rapport à la mise en détention préventive et c’est la formule qu’on emploie classiquement. Je ne l’ai pas modifiée dans le cas d’espèce, j’aurais peut-être pu développer ou changer l’un ou l’autre mot, mais enfin bon, peu importe, elle est libellée. Alors, je confirme bien que j’avais connaissance des éléments dans la commission rogatoire avec la circonstance que, effectivement, c’étaient les auditions que nous avons recueillies.

Je précise en disant que, bien entendu, de nouveau, le juge d’instruction n’est pas une préjuridiction de fond, il a simplement à statuer, à un moment donné, et c’était ma mission, par rapport à la question de détention préventive, je veux bien préciser cette question-là. Il y avait effectivement déjà la commission rogatoire de France qui était rentrée, sauf erreur de ma part, et en ce qui… Non, la commission rogatoire de France était ultérieure…

Me. VANDERBECK : Elle a été effectuée le 19 janvier et vous avez entendu sœur Kizito, le 25.

Damien VANDERMEERSCH : J’avais sûrement déjà, à ce moment-là, un rapport verbal de contenu. Et alors, en ce qui concerne les auditions des sœurs, je les avais, je veux dire, euh… une synthèse puisqu’elles sont faites toutes, le jour-même. Donc, on travaille évidemment dans l’urgence, dans le délai de 24 heures, les deux sœurs étant privées de liberté, j’ai dû entendre tant sœur Kizito que sœur Gertrude et donc, j’avais effectivement un premier aperçu, si on peut s’exprimer ainsi.

Me. VANDERBECK : Je visais les sœurs qui se trouvaient au couvent de Maredret, c’est-à-dire une dizaine de sœurs qui faisaient partie de la communauté de Sovu au moment des événements et qui, sauf erreur de ma part, ont été entendues le 27 décembre 95, par Messieurs STASSIN et BOGAERT.

Michel STASSIN : Oui, c’est exact, Monsieur le président. Elles ont donc été toutes entendues fin décembre, donc, 95. Elles sont toutes venues de Maredret.

Me. VANDERBECK : Est-ce que Monsieur le juge d’instruction pourrait nous dire quels ont été - en résumé évidemment parce que ce serait peut-être très long - les devoirs d’instruction qui ont été réalisés après cette formalité de non-inculpation ? Et je mets de côté la commission rogatoire en 2000 qui avait pour objet d’entendre Monsieur REKERAHO et l’une ou l’autre personne, ainsi que la commission rogatoire en 2000 auprès du Tribunal pénal international.

Donc, entre 96 - c’est-à-dire janvier 96 - et la communication de son dossier à toutes fins - et je voudrais peut-être que Monsieur le juge d’instruction explique aussi ce que c’est une communication de dossier à toutes fins qui a eu lieu en décembre 96 - et puis, entre décembre 96 et la commission rogatoire, quels ont été les devoirs spécifiques qui ont été apportés… ? Est-ce qu’il a encore réentendu les sœurs ? Est-ce qu’il a encore été à Sovu, réentendre les témoins, les femmes ? Est-ce qu’il a encore effectué des devoirs par rapport à sœur Maria Kizito ?

Damien VANDERMEERSCH : On a euh… D’abord, il y a eu, effectivement, l’audition des sœurs. Donc, sauf erreur de ma part, il y a encore eu d’autres personnes, enfin il y a certaines personnes qui ont été entendues. Devoirs classiques - pas spécialement, je veux dire, qui ne mettaient pas en évidence spécialement des éléments particuliers. Il y a eu des ré-auditions quand même. Tout l’examen des documents saisis lors de la perquisition. Donc, on a quand même certains récits qui ont été faits. Il faut savoir que dans ces documents-là, se trouvent notamment des… ce sont les circonstances, et on a trouvé notamment un carnet qui retrace un peu, je dirais, le déroulement des événements.

Il y a eu également des témoignages qui ont été apportés, notamment par Yolande MUKAGASANA, qui ont été joints, donc, dont on a d’ailleurs fait une restranscription et par rapport auxquels on a réinterrogé tant sœur Gertrude que sœur Marie Kizito. Il y a eu évidemment cette lettre également ; même si elle ne concerne pas sœur Marie Kizito, elle donne quand même aussi un éclairage à partir du moment où on considérait que les deux sœurs étaient ensemble.

Je vais être très clair, c’est que pour moi, mon attention pour sœur Marie Kizito s’est focalisée au mois de janvier 96, sur la question du bidon d’essence particulièrement. Je me suis moins attaché - parce que j’estimais qu’il faut commencer les choses par les choses - je me suis plus attaché pour le rôle, c’est au rôle de sœur Gertrude. Je n’ai pas analysé le rôle comme je pense que, dans l’ensemble du dossier, en tout cas, j’en ai fait état dans mon rapport, c’est quand même qu’elles étaient très souvent ensemble. A ce moment-là, je me suis fort focalisé, parce qu’on met aussi le nez dans le dossier, on est aussi tenu par des délais, donc, pour, principalement, cette question du bidon d’essence. Et donc, on a eu cet ensemble d’éléments, je veux dire, qui ont été joints.

Puis, j’ai estimé qu’à ce stade-là, comme d’autres dossiers… Dans la mesure où je n’avais pas la possibilité, on ne me donnait pas la possibilité au point de vue moyens, de faire… d’aller plus en avant - parce que c’est très bien de vouloir faire une commission rogatoire, encore faut-il, à partir du moment où vous travaillez tous les jours jusqu’à des heures dont je ne parlerai pas (point de vue famille), il faut aussi tenir le coup - eh bien, soyons clairs, je ne pouvais pas ; avec le nombre de dossiers qu’on m’avait donnés par ailleurs - et je crois que je m’en suis expliqué à d’autres occasions - on était sur la corde raide, enfin je veux dire à moitié en dessous de la ligne de flottaison. Alors, je vous dis volontiers : « J’aurais voulu faire beaucoup plus ». Je crois que je m’en suis expliqué, je n’en ai pas eu humainement les moyens. J’assume complètement en disant : « Je ne vois pas quand j’aurais pu le faire ». Donc, c’est très clair.

Donc, on a recueilli… à ce moment-là, il y avait notamment encore ces témoignages dont on a assuré la traduction et dont on a assuré, d’ailleurs, des auditions. Et puis, nous en sommes venus au règlement de la procédure où, à partir du moment où on a annoncé que ce dossier allait… que c’était la position du parquet de vouloir joindre, où là, je ne vous cache pas que j’ai manifesté la volonté de vouloir faire quand même le complément d’enquête qui a été fait, qui me semblait quand même très important, tout au moins parce que, finalement, on n’avait pu travailler que pas trop de temps sur ce dossier-là.

Mais, je le rappelle, la position du juge d’instruction n’est pas de faire un préjugement sur les faits. C’est deux choses qui, pour moi en tout cas dans mon esprit, sont totalement différentes, même si elles ne sont pas, je veux dire, neutres l’une par rapport à l’autre, mais c’est quand même un cadre tout à fait différent.

Me. VANDERBECK : Une question intéressante, Monsieur le président, est de savoir si Monsieur le juge d’instruction avait eu, au cours de la suite de son instruction, connaissance d’un élément important et nouveau concernant sœur Marie Kizito ? Est-ce qu’il aurait pu, il aurait dû l’inculper à ce moment-là ? Puisqu’on se situe avant 98 mais aussi après 98 et que nous avons une nouvelle conception de l’inculpation, dont peut-être Monsieur le juge d’instruction pourrait nous parler.

Damien VANDERMEERSCH : Je vais vous répondre très clairement. Au point de vue détention préventive, compte tenu de tous les problèmes que j’avais eus dans les autres dossiers, soyons clairs, et, quand même, des difficultés, des retards qui étaient encourus, une détention préventive n’avait plus aucun sens.

Donc, une inculpation, sans détention préventive, elle n’avait plus aucun sens. D’abord, parce que la détention préventive ne me semblait plus se justifier. On aurait dit : « Mais pourquoi, tout à coup maintenant, on fait une détention préventive alors qu’on se situe… », enfin, bon, je ne dois pas faire l’historique de tout le dossier. Mais enfin, il y avait quand même, au niveau de l’autorité poursuivante… en tout cas, il n’y avait pas de manifestation de pouvoir aboutir dans les dossiers - je parle au pluriel volontairement - très rapidement. Or, une détention préventive ne doit pas durer de façon anormale, est, donc au point de vue délai, raisonnable.

Donc, je réponds au point de vue inculpation-détention préventive, soyons clairs, à ce moment-là, c’était par rapport à la détention préventive. Même si j’avais changé d’avis - je n’ai pas envie de me prononcer sur des questions de changement d’avis parce qu’on a, à certains moments, à prendre, je veux dire, position par rapport à un dossier - mais il y a le moment clé de la détention préventive, il y a le moment clé du règlement de la procédure et, comme vous le dites, depuis 1998, on peut concevoir qu’il y a le moment de l’inculpation.

Alors, je vais dire aussi, je vais vous répondre tout aussi franchement. C’est que la loi Franchimont est entrée en vigueur le 1er octobre 1998 et en ce qui concerne les juges d’instruction, nous avons décidé que tous les dossiers communiqués à toutes fins, on n’allait pas commencer à les reprendre tous pour commencer à prononcer des inculpations dans tous les dossiers. Et donc, ce dossier-là étant communiqué - sauf erreur de ma part, il a été communiqué tout à fait au parquet à ce moment-là, et depuis belle lurette - eh bien moi, j’ai estimé que… je n’ai pas repris tous les dossiers pour faire des inculpations, ça c’est la question des mesures transitoires. Si on m’avait fait une demande d’accès au dossier, je me serais, à ce moment-là, prononcé indirectement sur la question d’indices sérieux de culpabilité. Et là, vous pouvez savoir que ma réponse aurait été positive parce que j’estimais que c’était pour exercer des droits.

Pour moi, le seuil de l’inculpation n’est pas le même dans le cadre Franchimont que dans le cadre détention préventive. Je ne pouvais pas, d’ailleurs… de toute façon, je pense que même sœur Marie Kizito faisait l’objet de réquisition explicite du parquet, ce qui impliquait qu’elle était déjà assimilée à un inculpé, de toute façon. Mais donc, je vais être clair que par rapport à Franchimont, si vous voulez me poser la question - et je suis d’autant plus à l’aise pour cette question-là - que quand il s’agissait d’exercer des droits, et donc exercer les droits de la défense pour Marie Kizito, cette inculpation dans ce sens-là, il est évident que j’aurais dit qu’à ce moment-là, il faut qu’elle reçoive les moyens de se défendre immédiatement et pas seulement peut-être plus tard, dans la suite de la procédure.

Mais de nouveau, c’est pour vous faire comprendre que l’inculpation n’est pas un préjugement, qu’elle est liée à des décisions que nous devons prendre et que, notamment pour l’exercice des droits de la défense, il serait quand même terriblement paradoxal qu’à ce moment-là on retienne en disant : « Mais le juge a inculpé ». C’est un des reproches que je fais : c’est qu’on emploie la même terminologie pour la détention préventive où, là, on peut comprendre que c’est quand même une décision particulièrement lourde et, par exemple, pour l’exercice des droits où, là, le seuil de l’inculpation doit être, je dirais, assez léger, enfin plus léger puisqu’il y va de l’exercice des droits de la défense et, là, c’est un souhait que les droits de la défense ne soient pas postposés précisément.

Je crois que j’ai essayé de répondre vraiment clairement, aussi clairement que possible par rapport à cette difficulté, évidemment, entre les nuances, étant donné que c’est toujours la même terminologie.

Le Président : Oui ?

Me. VANDERBECK : Simplement… En fait l’objet de ma question était même peut-être plus précis puisqu’il visait à savoir, dans l’après 98… Vous écrivez dans votre livre que l’inculpation devient créatrice de droits et que la formalité d’inculpation est, dès lors, obligatoire lorsque le juge conclut à l’existence d’indices de culpabilité.

Ce qui veut dire que, est-ce que dans l’après 98, vous avez - bien sûr le dossier était communiqué à toutes fins, c’est ce que vous nous avez expliqué maintenant, vous n’avez pas repris tous les dossiers, on comprend le travail que cela pouvait constituer - mais est-ce qu’il y a un élément supplémentaire qui est venu s’ajouter qui vous aurait amené à considérer qu’il s’agissait d’un indice de culpabilité amenant obligatoirement à la formalité d’inculpation, obligatoirement ?

Damien VANDERMEERSCH : Mais, bon…

Le Président : D’abord, on va pas…

Damien VANDERMEERSCH : Vous posez des questions… directement… Je crois que j’ai été clair. J’ai dit que c’était une politique générale de tous les juges d’instruction. C’était impossible de ressortir tous les dossiers et les examiner. Vous devez… Moi, j’avais plus de 150 dossiers qui étaient communiqués à toutes fins. La formalité de l’inculpation n’est pas une formalité qu’on va dire : « Tel dossier, on va faire l’inculpation, tel… ». Non, cela nécessite quand même un réexamen du dossier.

Mais je vous ai répondu, je crois clairement, que dans le cas d’espèce, si vous m’aviez fait une demande d’accès au dossier, où là, j’étais obligé par le fait de la réponse, je vous aurais répondu, je l’aurais inculpée. Je l’aurais inculpée, mais pas dans le sens de la stigmatisation des indices sérieux de la culpabilité, dans le sens de l’exercice des droits, et je pense que j’ai été clair.

Me. VANDERBECK : Mais ma question ne visait pas l’exercice des droits, ma question visait la question de savoir si vous aviez estimé que…

Le Président : Bon. Un, pas de dialogue…

Me. VANDERBECK : Pardon, je vous prie de m’excuser, Monsieur le président.

Le Président : …et deux, nous allons aborder, si vous le voulez bien, un autre sujet que celui-là.

Me. VANDERBECK : Mais, j’ai encore une petite question par rapport à ce sujet, si vous le permettez, mais c’est la suite, parce que j’ai avancé chronologiquement. Puisque Monsieur le juge d’instruction a fait une commission rogatoire, sauf erreur de ma part, en février 2000 et une autre en mars 2000, la première au Rwanda et la seconde auprès du Tribunal pénal international, est-ce qu’après avoir reçu les résultats de ces commissions rogatoires, avoir pris connaissance des déclarations de Monsieur REKERAHO notamment, est-ce qu’il aurait, au sens 98, inculpé sœur Marie Kizito ?

Le Président : Cela n’a pas été fait, si vous voulez bien…

Me. VANDERBECK : Je souhaiterais savoir son sentiment.

Damien VANDERMEERSCH : Je… Je n’avais plus à le faire, on est au règlement de procédure…

Le Président : La question…

Damien VANDERMEERSCH : …l’inculpation n’a plus aucun sens au niveau du règlement de procédure…

Me. VANDERBECK : Non… Je souhaite…

Damien VANDERMEERSCH : …à partir du moment où elles étaient en cause dans le réquisitoire même.

Me. VANDERBECK : Ce n’est pas la réponse à ma question.

Me. BEAUTHIER : Consultez le livre de Monsieur VANDERMEERSCH, la défense !

Le Président : Cela n’éclairera absolument pas le jury sur le problème.

Me. VANDERBECK : Je souhaiterais que Maître BEAUTHIER n’intervienne pas pendant que je pose des questions, ce serait aimable de sa part.

Me. BEAUTHIER : Vous devriez lire le livre de Monsieur VANDER-MEERSCH.

Me. VANDERBECK : Je voudrais savoir, Monsieur le président, c’est simplement s’il avait encore été, si cela s’était passé un petit peu avant 2000, c’est-à-dire un peu avant…

Le Président : Peu importe ! Je dis : « On ne pose pas cette question, cela ne fait pas avancer d’un millimètre le schmilblic ».

Me.VANDERBECK : Mais, je… Enfin, nous pensons, à la défense, que oui, dans la mesure où…

Le Président : Eh bien ! Je vous dis que la question n’est pas posée !

Me. VANDERBECK : Mais c’était…

Le Président : Alors, abordez autre chose, si vous le voulez.

Me. VANDERBECK : Je peux peut-être la formuler autrement, si vous le permettez, je…

Le Président : Je vous dis non ! C’est non !

Me. VANDERBECK : Mais cette question me semble fondamentale dans la mesure où ce sont des éléments qui ont été apportés, par la suite, dans le dossier et qui auraient peut-être pu changer la façon de…

Le Président : Mais, peu importe ce qu’aurait fait le juge d’instruction ! Ce qui est important, c’est ce que les 12 jurés vont faire.

Me. VANDERBECK : Bien sûr. Mais cela peut éclairer, sans doute, les 12 membres du jury, de savoir ce que le juge d’instruction aurait fait.

Le Président : Mais non, absolument pas !

Me. VANDERBECK : Enfin, nous pensons…

Le Président : Alors, abordez un autre sujet !

Damien VANDERMEERSCH : Je peux mettre fin… Simplement, je n’avais légalement plus à le faire, donc, la question ne se pose pas pour moi, enfin ne se posait pas.

Le Président : Alors, autre sujet.

Me. VERGAUWEN : Oui, Monsieur le président. Je m’excuse de rester toujours à cette période du mois de janvier 1996 en ce qui concerne sœur Gertrude, cette fois-ci. Monsieur le juge d’instruction a entendu sœur Gertrude le 26 janvier et au terme de cette audition, il a décidé d’inculper sœur Gertrude mais toutefois, il a rendu ce qu’on appelle une ordonnance contraire par laquelle il a décidé de ne pas placer sœur Gertrude sous mandat d’arrêt.

Je voudrais, Monsieur le président, si vous m’y autorisez, demander au magistrat instructeur de bien vouloir confirmer la motivation de cette décision de non-placement en détention préventive et qui est la suivante, que je me permettrais de relire : « Attendu qu’il n’y a cependant pas d’absolue nécessité pour la sécurité publique de décerner mandat d’arrêt à charge de l’inculpée, attendu en effet que, nonobstant la gravité des faits, il y a lieu de prendre en considération le contexte tout à fait particulier et exceptionnel du déroulement des faits et des répercussions que ce contexte a pu avoir sur l’état psychologique de l’intéressée ».

Pourriez-vous, Monsieur le président, demander au juge d’instruction simplement de confirmer cette décision ?

Damien VANDERMEERSCH : Je confirme que j’ai inculpé sœur Gertrude et que j’ai rendu l’ordonnance dans ces termes-là, tout en précisant qu’à l’époque, il n’y avait pas cette question de lettre qui était encore venue à l’ordre du jour. Mais de toute façon, j’assume complètement la décision que j’ai prise à ce moment-là. Tout à fait.

Le Président : Oui, une autre question ?

Me. VERGAUWEN : Oui, Monsieur le président. Euh… Pour que l’on soit bien d’accord, certes, la lettre, les termes de la lettre ne figuraient pas encore au dossier à ce moment-là, mais sommes-nous bien d’accord pour dire qu’à ce moment-là, il était déjà bien fait grief à sœur Gertrude d’avoir adressé une lettre au bourgmestre ?

Damien VANDERMEERSCH : Oui, mais, adressée dans sa version à elle. La lettre étant présentée dans sa version à elle…

Me. VERGAUWEN : Bien sûr, elle s’est expliquée à ce moment-là, dans sa version à elle sur…

Damien VANDERMEERSCH : Oui, elle n’emploie pas du tout les termes de la lettre, je précise très clairement.

Me. VERGAUWEN : Nous sommes bien d’accord, nous sommes bien d’accord.

Le Président : Oui, une autre question ?

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur le président, pourriez-vous demander au témoin à partir de quand il a vent des accusations portées contre sœur Gertrude ?

Damien VANDERMEERSCH : Vent ?

Me. VERGAUWEN : A partir de quand le témoin a-t-il eu connaissance que les accusations étaient portées contre sœur Gertrude ?

Damien VANDERMEERSCH : J’aurais envie de dire à partir de la mise à l’instruction, je veux dire, en tant que juge d’instruction. Parce que, en tant que juge d’instruction, on a la rigueur sur tout ce qui est pré-connaissance. Maintenant, sûrement qu’avant, au moment de la redistribution du dossier, de la constitution de partie civile de sœur Gertrude, on m’a sûrement demandé en disant : « Tiens, il y a une constitution de partie civile qui concerne des faits au Rwanda » et là, il y a sûrement eu un échange avec le collègue qui a reçu la… la, je veux dire, la constitution de partie civile et moi-même, pour cette question de redistribution. A mon avis, c’est à ce moment-là. Maintenant, j’ai peut-être lu les journaux… Enfin, je veux dire, pour moi, cela commence à ce moment-là.

Me. VERGAUWEN : Après la constitution de partie civile de sœur Gertrude, donc ?

Le Président : Non, ce n’est pas ce que le témoin a dit.

Damien VANDERMEERSCH : Non, je n’ai pas à prendre… Je suis juge d’instruction ici, et je dis que j’ai la rigueur, enfin j’espère avoir, tendre à avoir, la rigueur du juge d’instruction. Donc, pour moi, à partir du moment où je commence une instruction, c’est à ce moment-là que je commence à m’intéresser, dans ma profession, à ce problème-là et, bien entendu, je ne vais pas commencer à puiser des éléments que j’ai eus avant, ou peut-être que j’ai entendus mais qui, pour moi, ne sont pas pertinents et donc, qui rentrent peut-être par-là, et qui ressortent par-là. Je crois que tout ce qui est dans le dossier, c’est ce que j’ai eu après. D’ailleurs, vous pouvez voir que toute pièce qui se trouve dans le dossier, il y a son origine. Et, sauf erreur de ma part, il n’y a aucune origine du juge d’instruction VANDERMEERSCH avant sa saisine, ce serait d’ailleurs nul.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie, Monsieur le juge d’instruction. Deuxième question, peut-être plus précise. Bien que le témoin n’enquêtait pas à propos de l’affaire dite de Sovu, a-t-il entendu parler de sœur Gertrude, dans un sens ou dans un autre, de son comportement, avant la commission rogatoire réalisée à Butare, en octobre 1995, le témoin a-t-il entendu parler de sœur Gertrude lors des commissions rogatoires réalisées avant 95 ?

Damien VANDERMEERSCH : Il est évident que, sauf erreur de ma part, le prêtre le témoin 54 avait déjà été entendu, je crois, lors de la seconde commission rogatoire. Et donc, il faut savoir que j’étais saisi du dossier concernant Monsieur KANIABASHI qui concernait quand même toute la question de Ngoma et inévitablement les alentours. Il y avait toute la question du capitaine NIZEYIMANA qui concernait, je dirais là, plus largement, qui englobait effectivement plus largement que simplement la commune de Ngoma. Soyons clairs, moi, j’ai joint postérieurement certaines pièces qui, a posteriori, quand j’ai vu que certaines pièces de la seconde commission rogatoire pouvaient donner éventuellement un éclairage, j’ai joint même, je dirais, aussi, par exemple les rapports ONU. Une fois que j’ai été saisi, j’ai regardé effectivement dans les autres dossiers, tous les éléments pertinents qui peuvent, d’une façon ou d’une autre, pouvoir intéresser l’instruction et donc, je les ai fait joindre au dossier. Par exemple l’audition de Monsieur le témoin 54, par exemple l’audition de Monsieur NSANZUWERA, l’audition de témoin général, tout cela a été joint. Cela s’est fait en toute clarté puisqu’on dit bien que cela vient du dossier, par exemple, 3795 et que c’est une copie qui a été jointe.

Cela a été fait bien entendu après la mise à l’instruction, cela me semble évident. Mais à partir du moment où c’était le même, je veux dire, on est dans le même environnement de la préfecture, l’enregistrement du président SINDIKUBWABO, ce n’est pas dans le dossier 6295 que je l’ai recueilli, c’est bien entendu dans le cadre d’autres dossiers. Mais on a évidement versé cet élément-là aussi puisque c’est un élément qui peut avoir évidemment une incidence également sur le dossier 6295, donc, le dossier qui concerne Sovu. Donc, il y a sûrement des éléments mais j’insiste en disant qu’ils ont été joints par la suite, bien entendu.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie. Je vous demandais donc s’il avait entendu parler du comportement de sœur Gertrude lors des précédentes commissions rogatoires et il nous a parlé de ce que l’abbé le témoin 54 avait déclaré, je crois que c’est Monsieur le procureur du roi VER ELST-REUL qui a entendu l’abbé le témoin 54, très longtemps en audition…

Damien VANDERMEERSCH : Non, non. Il était présent lors de l’audition…

Me. VERGAUWEN : Ah, vous étiez… Mais c’est encore mieux…

Damien VANDERMEERSCH : Non, il était présent…

Me. VERGAUWEN : Peut-il confirmer ce que l’abbé le témoin 54 a dit à propos du comportement de sœur Gertrude en juin 1995 ? Donc, l’audition de l’abbé le témoin 54 a lieu en juin 1995, peut-il nous confirmer ce que, à l’époque, Monsieur le témoin 54 dit à propos de sœur Gertrude ?

Damien VANDERMEERSCH : Il parle de l’événement à la paroisse de Ngoma, donc, que les sœurs sont effectivement venues le 23, donc, cela se situe bien et donc, il reprend toute la chronologie. En fait, c’est une audition qui porte sur la situation principalement à la paroisse de Ngoma. Et donc, il fait état, effectivement, lorsque les sœurs sont à la paroisse, elles font l’objet - comme les autres personnes réfugiées n’étaient pas les seules réfugiées - donc elles font l’objet de menaces. Il fait état également que les sœurs voulaient aller jusqu’à l’évêché. Donc, que les sœurs voulaient aller jusqu’à l’évêché. Et donc, sauf erreur de ma part, il fait état - mais là, sous réserve évidemment que ma mémoire soit bonne parce que c’est une audition qui fait 14 pages ou 15 pages, si je me souviens bien, en petits caractères, elle était très longue - et donc, on fait état également, donc, que sœur Gertrude, à un moment donné, aurait payé pour… parce que les miliciens étaient là et menaçaient entre-autres les sœurs, mais, semble-t-il, l’ensemble des personnes qui étaient réfugiées.

Et donc, Monsieur le témoin 54 fait état également du fait que sœur Gertrude a, à un moment donné, pris contact avec le commandant de place qu’elle semblait pas trop connaître et puis qu’elle aurait eu un contact avec le lieutenant HATEGEKIMANA qui, elle, semblait en très très bons termes, dit-elle, avec lui. Maintenant, peut-être, si vous voulez les termes exacts, je peux vous les confirmer mais vous avez la feuille devant vous, moi, je ne l’ai pas, je pense que vous pourrez sûrement être complet, plus complet.

Me.VERGAUWEN  : Si je peux me permettre un commentaire par rapport à ce que vient de dire le témoin. C’est que, concernant ce coup de téléphone, ce fameux coup de téléphone à Monsieur HATEGEKIMANA, l’abbé le témoin 54 ne dit absolument pas, lors de cette première audition, qu’elle semblait très bien connaître Monsieur HATEGEKIMANA, il ne parle absolument pas de ça et il termine son audition, je crois que je vais relire ce petit passage, si je puis me permettre : « Sur interpellation, je précise que mon récit est dans ma mémoire. Je n’ai rien écrit mais tout ce que j’ai vécu est inscrit à jamais dans ma mémoire, je ne l’oublierai jamais ». C’était une remarque, puisque…

Damien VANDERMEERSCH : Je peux préciser… mais l’erreur est humaine, et donc…

Me. VERGAUWEN : Bien sûr.

Damien VANDERMEERSCH : Monsieur le témoin 54, effectivement, a été entendu et réentendu lors de la troisième commission rogatoire. Et donc, lors de la deuxième commission rogatoire ­ donc, l’audition de Monsieur le témoin 54 était dans le cadre principalement de KANYABASHI, puisque KANYABASHI était le bourgmestre de Ngoma et lui était à la paroisse de Ngoma - et donc, l’audition se situait principalement par rapport aux événements, donc, dans la commune de Ngoma dont faisait partie cet épisode-là. Maintenant, effectivement, quand on l’a entendu lors de la troisième commission rogatoire dans le dossier 62, là, on l’a interrogé. Ce qui montre bien qu’on ne l’a pas interrogé sur spécialement Sovu à l’époque, on l’a interrogé sur l’ensemble du déroulement des événements.

Lors de la troisième commission rogatoire - et vous faites bien de rectifier cela puisque c’est quand on lui a posé les questions par rapport à Sovu qu’il a parlé de ce contact avec le lieutenant HATEGEKIMANA - la question ne lui a pas été posée lors de la… on ne lui a pas posé des questions par rapport à sœur Gertrude, bien entendu, lors de la deuxième commission rogatoire ; on était pas saisi. Mais donc, c’est dans le cadre du récit libre, il n’en a pas fait état spontanément, je le confirme avec les précisions que vous m’avez apportées.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie. Alors, une autre question, si vous me le permettez, Monsieur le président, concernant l’article du journaliste le témoin 60, article paru dans la revue Solidaire le 31 mai 1995. Donc, nous savons que Monsieur le témoin 60 met en cause sœur Gertrude et il a recueilli… ces informations proviennent d’une personne désirant garder l’anonymat. Peut-il nous dire aujourd’hui qui est ce témoin anonyme ?

Damien VANDERMEERSCH : Sauf erreur de ma part, Monsieur le témoin 60, on l’a réentendu à ce sujet-là, mais je suppose que ce témoin vient. Ce serait plutôt à lui de vous donner cette précision.

Le Président : Il est convoqué, en tout cas.

Damien VANDERMEERSCH : Sauf erreur de ma part, la question lui a été posée et il a répondu. Maintenant, dire qui c’était, sauf erreur de ma part, cette personne a été identifiée et avait été entendue dans le dossier.

Me. VERGAUWEN : Peut-être qu’on peut poser la question alors à Monsieur STASSIN qui a rédigé un procès-verbal, le 13 décembre 1997… 1999 pardon, et il donne l’identité de ce témoin. Je crois que Monsieur STASSIN peut répondre à la question ?

Michel STASSIN : Effectivement, c’est une personne qui est d’ailleurs citée, si je ne m’abuse, il s’agit de Madame le témoin 20.

Me. VERGAUWEN : C’est bien cela. Le témoin peut-il nous parler de Madame le témoin 20 ? Qui est-elle ?

Michel STASSIN : Je pense que le témoin 20 est une personne laïque et qui, un jour, je pense, a pris contact soit avec nos services, soit avec Monsieur le juge d’instruction et suite à cela, j’ai eu un devoir pour procéder à son audition.

Me. VERGAUWEN : Donc, le témoin anonyme qui est le témoin 20 informe le journaliste le témoin 60, c’est donc un témoin indirect des faits ? Madame le témoin 20…

Le Président : Posez la question à Madame le témoin 20, elle est convoquée.

Me. VERGAUWEN : Alors, autre question, Monsieur le président. Nous savons que c’est un article qui a paru dans la revue Solidaire. Est-ce que vous avez fait quelques investigations pour savoir ce que c’était que cette revue Solidaire ?

Damien VANDERMEERSCH : Je peux répondre ?

Le Président : Oui.

Damien VANDERMEERSCH : Je vais répondre très franchement. Je n’ai pas l’habitude de baser mes instructions sur des articles de presse et j’ai l’habitude d’essayer d’aller à la source, ce qui me semblait être plutôt le Rwanda ou les témoins directs. Témoins anonymes, tout ça, pour moi, je suis désolé… de toute façon un journaliste c’est déjà en deuxième main. Alors, par rapport à la question qui se posait ici, c’était quand même de savoir ce qui s’était passé à Sovu et, je vais dire très clairement, ce n’est pas ce qui s’est passé à Bruxelles ou dans ce journal qui m’a intéressé. J’estime que je ne dois pas passer par des secondes mains autant que faire se peut, je dois avoir l’information en direct.

Alors, soyons clairs. J’ai concentré mes efforts et mes investigations sur les témoins directs des faits, je pense qu’il y en avait assez pour pouvoir concentrer nos investigations, tant au Rwanda qu’en Belgique, sur les témoins directs plutôt que sur les témoins indirects. Maintenant, s’il y a un témoin indirect qui demande à être entendu comme cela a été le cas pour le témoin 20 - je pense qu’elle a été effectivement témoin indirect vu qu’elle n’était pas sur place - eh bien, en ce qui concerne cela, bien entendu, un témoin qui se présente et qui souhaite être entendu, je n’ai pas à faire des censures préalables et cette personne a, bien entendu, été entendue. Mais en ce qui concerne mes investigations, j’ai entendu les concentrer, dans la mesure du possible, sur d’abord les événements eux-mêmes et les témoins directs.

Le Président : Une autre question ?

Me. VANDERBECK : Monsieur le président, je vous remercie. Un autre thème par rapport à la commission rogatoire effectuée par Monsieur le juge d’instruction et ses enquêteurs, celle des mois de septembre-octobre 95. Je souhaiterais peut-être que Monsieur le juge d’instruction nous dise, quand il est arrivé sur la colline de Sovu, comment a-t-il fait pour procéder au choix des personnes à entendre ? Est-ce que c’est par spontanéité ? Les personnes sont venues vers lui ? Spontanéité dont, je pense, il nous avait parlé lors de son premier rapport ? Ou est-ce qu’il est parti avec une liste de personnes qu’il estimait devoir entendre et s’il s’est tenu à cette liste ?

Le Président : Monsieur le juge d’instruction ?

Damien VANDERMEERSCH : On a travaillé comme… je veux dire, pas spécialement différemment que dans les autres situations, c’est-à-dire que nous avons entendu la sœur Scholastique, la sœur Marie-Bernard, je pense que cela a été parmi les premiers devoirs faits, qui nous donnaient certaines indications sur les éléments qu’on pouvait recueillir. Nous avons, bien entendu, tenté de voir sur place des personnes qu’on pouvait entendre et on est allé sur place. Alors, il y a certains témoins et notamment même certains noms qui nous étaient donnés déjà depuis la Belgique, puisque moi, j’avais demandé parallèlement que sœur Gertrude et sœur Kizito soient entendues pour voir s’il y avait des témoins qu’elles souhaitaient faire entendre. J’avais eu le souci parallèlement, je veux dire, de les faire entendre en disant que tant qu’on est sur place, il y a certaines personnes qui sont pertinentes. Dans le cadre d’une audition assez libre qui avait été faite à l’époque, peut-être moins détaillée, donc, certains noms avaient été donnés par sœur Gertrude et d’ailleurs certaines personnes ont été entendues qui avaient été mentionnées par sœur Gertrude.

Par ailleurs également, il y a des voisins sur la colline, à partir du moment où on enquêtait, effectivement cela se savait qu’on était là, il y a des gens qui sont venus, il y a des gens qu’on a rencontrés. Je dirais que cela s’est passé comme cela se passe, je dirais, dans toute enquête. Il y a des témoins qui viennent, il y a des témoins qui sont renseignés et qu’on va chercher. Il y a le bourgmestre qui dit : « Mais vous savez, peut-être telle personne qui était là avant les événements… », parce que, sauf erreur de ma part, on a eu des contacts aussi avec le bourgmestre de Huye, le nouveau bourgmestre de Huye qui… euh… quand on est sur place, ce n’est pas nous qui avions évidemment d’avance, je veux dire, l’ensemble des personnes et on a progressé comme cela avec… en essayant, on se soucie toujours, on essaie de recueillir le maximum de témoignages, le maximum d’éléments et il appartient, je dirais, aux juridictions, de trancher et d’apprécier ce qu’il faut en faire. Et je dirais, c’est pour cela que les témoins, dans tous les témoins que nous avons entendus, nous n’avons pas fait de tri préalable, nous avons essayé d’entendre le maximum de personnes dans les circonstances décrites. Maintenant, je ne pourrais pas vous dire de souvenir : « Tel témoin, est-ce qu’il est venu, est-ce qu’il a été renseigné ».

On a travaillé comme cela. Et puis, ce n’est pas parce qu’un témoin vient spontanément ou qu’un témoin on va le chercher… Je pense que ce qui est important, c’est ce qu’il dit, dans quelle mesure on peut recouper cela avec d’autres témoignages. Et puis, ce qu’il faut en penser, en dernier lieu par rapport à l’ensemble des éléments. C’est un des éléments mais nous n’avons fait aucun tri, je veux dire, dans la façon de procéder, je dirais, pas au choix des témoins, c’est tous les témoins qui se sont présentés ou tous les témoins qui nous semblaient pouvoir donner des choses intéressantes, eh bien, ont été, dans la mesure du possible et de nos moyens, entendus.

Le Président : Bien. Nous allons suspendre cinq minutes.

[Suspension d’audience]

Le Greffier : La Cour.

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place et les témoins peuvent également revenir à l’audience. Maître VANDERBECK, posez une autre question.

Me. VANDERBECK : Je vous remercie, Monsieur le président. Je vous remercie. Le témoin nous disait à l’instant, par rapport à la première question, qu’il avait entendu les gens sans… très largement, mais il nous paraît, d’une lecture du dossier, que le témoin avait en sa possession le rapport d’African Rights avant de partir en commission rogatoire. Cela relève notamment d’une apostille effectuée par Monsieur le juge d’instruction, le 11 septembre 1995 et qu’il intitule : « Devoirs très urgents et prioritaires à exécuter avant le départ en commission rogatoire. Prière de transmettre le dernier exemplaire du rapport d’African Rights dans lequel il est question des faits commis par les deux sœurs vivant en Belgique ». Cela relève également de l’intitulé de sa commission rogatoire elle-même en 95 puisqu’il y a dans le texte justificatif de sa commission rogatoire, une référence est faite au rapport d’African Rights. Or, il nous paraît également que l’ensemble des témoins qui ont été entendus sur place lors de la commission rogatoire à Sovu sont exactement l’ensemble des personnes qui sont dénoncées dans le rapport d’African Rights, à aucune exception près, c’est-à-dire que le nombre y est quasiment identique, 13 personnes entendues, 13 personnes entendues lors de la commission rogatoire. Est-ce que Monsieur le juge d’instruction peut peut-être nous expliquer ça ?

Le Président : Alors, relation ou pas, entre…

Damien VANDERMEERSCH : Je peux vous dire qu’il est normal, me semble-t-il, de se documenter, ne fût-ce que d’abord c’étaient des faits dont j’étais récemment saisi. Donc, il me semble important d’avoir toutes les informations. Alors, je peux vous dire que, de façon très claire, je ne me suis pas basé sur les… je n’ai jamais fait d’examen, je veux dire, des différentes personnes, de listes en tout cas, à partir des documents d’African Rights. Maintenant, il est bien possible que sur place, African Rights est arrivé comme nous, sans doute, sur place. Et ce n’est pas impossible qu’ils aient procédé de façon tellement différente de nous, c’est-à-dire qu’ils aient rencontré des témoins suivant les circonstances dans lesquelles elles se sont passées et que ce soient effectivement les mêmes, ce n’est pas du tout impossible. Mais enfin, je n’ai jamais eu, je n’ai jamais établi une liste, justement par souci ­ alors, si la liste est la même, vous en tirez les conclusions que vous estimez devoir en tirer - mais je veux dire que je ne me suis pas basé sur le document pour faire : « Voilà ma liste de personnes que je veux « checker » et cette personne-là n’a pas encore été entendue ». Maintenant, je savais effectivement qu’African Rights, d’ailleurs certaines personnes nous l’ont bien confirmé sur place, était passé avant nous. Ça, c’était un secret pour personne. Maintenant, je peux vous dire que je ne suis pas parti de la liste d’African Rights. Maintenant, il est possible qu’on soit abouti avec les mêmes personnes témoins, c’est évident que peut-être aussi des personnes sur place nous ont dit : « Oui, elle a déjà raconté à African Rights, ou en tout cas, c’est un témoin », que ça se sait sur la colline, qu’ils ont rencontré, qu’ils ont quelque chose à dire, c’est bien possible.

Me. VANDERBECK : Je souhaitais simplement, Monsieur le président, que le témoin nous confirme que la liste des personnes qu’il a entendues spontanément sur la colline de Sovu…

Le Président : Nous avons entendu la réponse.

Damien VANDERMEERSCH : Je n’ai pas dit spontanément. J’ai bien expliqué qu’il y avait certaines personnes qui nous avaient été renseignées, d’autres personnes qui… mais je ne me suis pas basé sur… je n’ai pas fait une liste de témoins entendus par African Rights pour, moi-même, me baser sur cette liste de témoins et commencer à dire : « Il faut entendre ce témoin-là ». Mais, bien entendu, donc je ne dis pas : « Les témoins ne sont pas venus spontanément ». On est allé à Sovu, et c’est quand on était à Sovu qu’on a eu les témoins. Je veux dire qu’on est allé quand même sur place, sur la colline. Alors, voilà, il est bien possible qu’on ait rencontré les mêmes témoins sur la colline, dans l’environnement, c’est bien possible.

Me. VANDERBECK : Est-ce qu’il est possible que vous ayez entendu plusieurs fois les mêmes témoins pendant votre commission rogatoire ?

Damien VANDERMEERSCH : Comment vous entendez plusieurs fois ? Enfin, tous les PV sont au dossier, je réponds comme cela.

Me. VANDERBECK : Parce que dans les PV du dossier, il apparaît que deux personnes ont été entendues à huit jours d’intervalle.

Damien VANDERMEERSCH : C’est bien possible.

Me. VANDERBECK : A deux reprises, et sous des identités ou des prénoms en tout cas différents, mais il semblerait que ce soient les mêmes personnes par rapport à la parenté, date de naissance et lieu de naissance. Est-ce que vous vous êtes rendu compte de cela en les interrogeant ?

Damien VANDERMEERSCH : Sauf erreur de ma part, ce n’était pas en ma présence.

Michel STASSIN : Evidemment, je parle de mémoire, mais je pense que dans l’audition d’une des agricultrices, il y a une page en kinyarwanda où l’identité est correcte et lorsque le traducteur a repris le procès-verbal, je crois qu’il y a eu une erreur dans le prénom ou la date de naissance.

Le Président : Voilà. Oui, Maître WAHIS ?

Me. WAHIS : Merci, Monsieur le président. Une question pour Monsieur le juge d’instruction. Dès les premières auditions des sœurs, Monsieur le juge d’instruction apprend qu’il y avait sur place, pendant les événements, les membres de cette fameuse ONG américaine dont nous avons parlé tout à l’heure. Monsieur le juge d’instruction nous a dit que ces personnes n’étaient pas… ne se sentaient pas menacées, qu’il y en avait deux qui auraient été armées, qu’elles auraient été chercher des militaires, bref, des personnes qui ont quand même assumé un certain rôle jusqu’au 22 avril. Alors, est-ce qu’il ne lui a pas paru utile d’identifier, de rechercher et d’auditionner ces personnes ?

Damien VANDERMEERSCH : En ce qui concerne ces personnes, nous n’avions pas leur identité, donc, deux personnes américaines. Alors, comme je vous l’ai dit, nous avons enquêté sur ce dossier-là, lors de la troisième commission rogatoire au cours de laquelle nous avons enquêté sur pas mal d’autres dossiers en même temps. Soyons clairs. Et je n’ai malheureusement pas eu l’occasion de retourner.

Or, s’il y avait des éléments qui pouvaient être fournis, ce n’est pas en Belgique qu’on les aurait eus par rapport à cette ONG, enfin me semble-t-il, en tout cas. En tout cas, on ne les a pas eus, on ne les a pas retrouvés lors des perquisitions, le nom de toutes les personnes qui étaient présentes. Je pense qu’on a fait l’effort pour entendre toutes les personnes qui étaient présentes et dont on avait l’identité et je pense que dans ce cadre-là, même en Belgique, on a pu quand même entendre toutes les religieuses, au maximum, entendre toutes les personnes directement concernées. Vous pensez bien que si j’avais eu les coordonnées de ces gens-là, effectivement, on aurait tenté de les entendre, encore que je ne sais pas si on aurait dépêché une commission rogatoire aux Etats-Unis pour cela parce que je peux vous dire qu’il y a eu une diaspora dans tout le monde et qu’on a dû faire des choix aussi dans les commissions rogatoires qu’on a faites. N’oubliez pas, ce n’était pas le seul dossier.

Alors, si j’avais dû être cohérent, si je décidais d’entendre ces personnes-là, je crois que j’aurais, enfin, pour autant qu’elles aient été identifiées, mais je ne vous cache pas que j’aurais peut-être préféré consacrer mon énergie à une commission rogatoire supplémentaire au Rwanda plutôt que d’investir, je veux dire, dans… si on avait pu avoir l’occasion d’avoir les coordonnées de ces gens-là et qu’ils viennent en Belgique, on n’aurait eu évidemment aucun problème. Mais, de faire une commission rogatoire aux Etats-Unis, par exemple pour entendre de telles personnes, je peux vous dire que j’aurais pu en faire au moins 200 sur l’ensemble de mes dossiers. C’est du même style, je veux dire, c’est… on était confronté… comme je l’ai expliqué le premier jour, c’est un phénomène de masse avec toute une masse de personnes. C’est vrai qu’a posteriori, on peut dire : « Tiens, pourquoi est-ce qu’on n’a pas été chercher plus par rapport à ces deux témoins-là ? ». Mais on aurait pu chercher plus pour savoir où est Monsieur RUREMESHA Jonathan à l’heure actuelle (on pense qu’il est du côté de la Tanzanie ou quelque part), on aurait pu chercher plus pour essayer de retrouver Monsieur Gaspard. Ce sont toutes des choses qu’on aurait pu faire davantage et voilà, encore faut-il en avoir, en recevoir la possibilité matérielle et je dirais, je l’inscris plutôt là-dedans.

Donc, ce n’est pas du tout un choix ou une volonté, c’est plus que, bon, si on avait eu le choix, les coordonnées de ces personnes, peut-être qu’effectivement on aurait pu les entendre, mais enfin, ces personnes, les Américains, je parle bien des Américains, on n’en parle jamais comme un rôle dans les événements. Alors, moi, j’ai entendu, on m’a dit maintenant qu’à l’audience, les Américains avaient accompagné le 18, moi, je n’en savais rien. Par contre, les deux personnes armées, pour moi, en tout cas de ce que je pensais dans le dossier, étaient des Rwandais. Ces deux personnes armées m’intéressaient personnellement plus que les Américains dont on cite aucun rôle et dont on cite qu’ils sont partis assez rapidement. Je veux dire, dans les priorités, cela ne me semblait pas en tout cas des témoins prioritaires surtout s’ils étaient partis avant les événements. Je veux dire, les événements, pour Sovu, cela concernait surtout à partir du, je dirais, 21.

Me. WAHIS : Oui, alors simplement un petit détail, c’est que la sœur hôtelière, Monsieur le juge d’instruction, tient note de tous les gens qui sont en session, toutes les personnes sont identifiées, c’est elle qui fait la petite facture en fin de session, donc, je pense qu’il aurait été assez facile de pouvoir identifier ces personnes. Une autre question concernant sœur Bénédicte. Sœur Bénédicte, pour Mesdames et Messieurs les jurés, est une sœur Tutsi qui avait des membres de sa famille au monastère pendant les événements et les membres de sa famille ont été massacrés et elle n’a, elle, jamais mis en cause la responsabilité de sœur Gertrude à cet égard. Sœur Bénédicte a une autre particularité, c’est qu’elle est restée au monastère les 23 et 24 avril, pendant que la grande majorité des sœurs était partie à Ngoma. Il y a trois sœurs qui étaient restées dont sœur Bénédicte. Est-ce qu’il n’a pas paru utile à Monsieur le juge d’instruction d’auditionner sœur Bénédicte ?

Damien VANDERMEERSCH : Sauf erreur de ma part, elle a été entendue dans le dossier. Sauf erreur de ma part, elle a été entendue.

Me. WAHIS : Elle a écrit une lettre qui est jointe à un document qu’a transmis sœur Gertrude mais elle n’a jamais été auditionnée, à notre connaissance, par les enquêteurs belges.

Damien VANDERMEERSCH : Alors, la Cour a tout le loisir de la convoquer et de l’entendre ici.

Le Président : Une autre question ?

Damien VANDERMEERSCH : Je peux vous dire simplement, c’est qu’on a essayé d’entendre tous les témoins possibles et je suppose qu’elle n’était pas à Maredret alors, au moment où on a fait la perquisition, parce que sinon, je pense qu’on n’a pas fait d’exception, Monsieur STASSIN, on a voulu entendre tout le monde. On a entendu tout le monde. On a entendu, au moment où on était au Rwanda, on a essayé d’entendre toutes les sœurs qui étaient là. Je ne peux pas vous dire maintenant où elle se trouvait à ce moment-là mais je suppose qu’au moment où on était en commission rogatoire, elle n’était pas au Rwanda et au moment où on était… on a fait la perquisition à Maredret et entendu toutes les sœurs, c’est qu’elle n’y était sans doute pas non plus. C’est la seule explication que je vois. Ce n’est sûrement pas, je veux dire, une distinction. De toute façon, il y a d’autres sœurs qui ont été entendues à Maredret, qui ne mettent pas du tout en cause sœur Gertrude. Enfin, je dirais, de toute façon, la juridiction de fond a l’occasion, ou les parties, de faire citer tout témoin et, n’oublions pas, nous ne sommes pas là à la place des témoins, je veux dire, témoins directs des faits.

Le Président : Une autre question ?

Me. VERGAUWEN : Oui, je vous remercie, Monsieur le président. Je voudrais en revenir à Monsieur REKERAHO. Monsieur le juge d’instruction nous a rappelé qu’il avait interrogé personnellement Monsieur REKERAHO, les 1er et 3 mars 2000. Ma question est la suivante. Depuis quand le magistrat instructeur a-t-il entendu parler de Monsieur REKERAHO dans le dossier ?

Damien VANDERMEERSCH : Depuis quand on a entendu… ? Déjà, je veux dire, lors de la première commission rogatoire, le nom de Monsieur REKERAHO était sûrement cité. Depuis quand j’ai entendu ? Vous savez…

Le Président : Est-ce qu’il n’est pas même cité par sœur Gertrude dans son audition ?

Damien VANDERMEERSCH : Mais oui. Enfin, je veux dire, enfin, je suis un peu surpris, il suffit de voir la première pièce qui en parle dans le dossier. Je l’ai lue , eh bien, ce jour-là… la première pièce qui sort où le nom de Monsieur REKERAHO sort, qui est jointe, c’est le jour où elle est jointe au dossier. Ce jour-là, j’en ai eu connaissance. Maintenant, vous dire par mémoire quelle pièce est venue la première où on cite le nom de Monsieur REKERAHO, ce n’est pas impossible, peut-être même dans la première audition, ne m’ait pas sauté directement aux yeux, enfin, là, je… Donc, je dirais, voyez le dossier, voyez quand j’en parle pour la première fois, quand une pièce en parle pour la première fois. Je ne reçois… J’essaie que dans le dossier tout se retrouve dans le dossier. Donc, normalement il n’y a pas d’éléments en dehors du dossier, normalement, on essaie de tout… c’est une procédure écrite à notre stade, donc, normalement dans le dossier, la première fois qu’on parle de REKERAHO, ou que j’en entends parler si vous parlez comme ça, ça se trouve normalement dans la pièce où on en parle.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie. Question suivante. Pourriez-vous demander au témoin quelles ont été les démarches qui ont été faites pour localiser Monsieur REKERAHO ? Est-ce qu’on en a fait ? Et si oui, quand ?

Damien VANDERMEERSCH : C’étaient des… c’étaient des questions qui… on n’a jamais pensé… Il faut savoir que pendant toute une période, toutes ces personnes-là étaient à l’étranger. Et mes dossiers, le gros des instructions ont été faites pendant… jusqu’au… comme je l’ai expliqué, au moment où on a eu quand même plus de moyens ; c’est jusque fin décembre 1996. A partir de ce moment-là, je vous ai expliqué que durant l’année 96, j’avais eu 450 nouveaux dossiers, eh bien, c’était vrai que tous ces dossiers étaient des dossiers qui étaient traités parallèlement à beaucoup d’autres dossiers dont d’ailleurs certains dossiers, j’attendais que le parquet prenne position. Il faut savoir aussi qu’il y a eu tout un laps de temps où ces dossiers, je ne vais pas dire dormaient, mais où nous n’avions évidemment pas la même dimension, je veux dire, d’enquête et de recherche des témoins. Cette dimension d’enquête très active et de recherche de témoins s’est passée principalement du mois de mars 1995 à fin décembre 1995. Après, on a travaillé dans le dossier Rwanda, et c’était la même chose au niveau des enquêteurs de la police judiciaire. Mais d’abord, quand on avait un peu le temps de se repencher dessus et quand, éventuellement, on avait tout à coup une information qui venait.

C’est la raison pour laquelle Monsieur REKERAHO, on n’a pas fait de… on n’a pas fait plus pour Monsieur RUREMESHA, pour Monsieur Gaspard, ce sont tous des gens qu’on aurait pu effectivement, qui étaient très intéressants. Et à partir du moment où on ne faisait… il faut savoir, évidemment, qu’un déplacement recrée, au Rwanda, recrée une dynamique dans une enquête et c’est vrai qu’on était un peu dans l’attente aussi de savoir quelle position allait prendre l’autorité poursuivante par rapport à nos dossiers. Non seulement, on ne nous donnait pas les moyens, mais tout le travail qui avait été déjà fait jusqu’à ce moment-là, il était… il y avait déjà un certain travail qui avait été fait qui pouvait être valorisé qui, pour le moment, dormait également. C’est vrai que c’est dur aussi à remobiliser tout le temps. Maintenant qu’on est ici, devant la Cour d’assises, eh bien voilà, on voit évidemment rétrospectivement. Maintenant, je peux vous dire qu’à l’époque on ne savait pas quel dossier, n’oubliez pas que j’avais 10 dossiers, on ne savait même pas quel dossier allait recevoir peut-être priorité, peut-être pas un autre, on essayait de travailler avec les moyens qu’on a.

Alors, pour des recherches, je dirais, plus actives pour Monsieur REKERAHO, on n’en a pas faites jusqu’au moment où, tout à coup, on a appris - mais c’était exactement la même chose pour Monsieur NKUYUBWATSI - c’est que tout à coup, on a une information disant : « Il se trouve peut-être au Rwanda ». Et à ce moment-là, on a commencé à se renseigner vaille que vaille, mais toujours en n’ayant pas la possibilité de se déplacer là-bas. Il est évident que quand on est sur place, tout est beaucoup plus facile. Et soyons clairs, les Rwandais se mobilisent aussi quand vous êtes sur place. Mais quand vous êtes loin, à 6.000 kilomètres, les Rwandais s’occupent d’abord de leurs propres dossiers, cela me paraît très logique et très cohérent. Ils ont, je crains, plus qu’assez de dossiers pour ne pas non plus de façon… parce qu’ils auraient pu faire des recherches, je veux dire, ils avaient nos commissions rogatoires, donc ils étaient au courant de nos enquêtes, et puis de toute façon, il y a une compétence concurrente, donc, cela ne posait pas de problème. Mais soyons clairs, quand on n’est pas au Rwanda ou quand on n’est pas à côté des enquêteurs rwandais, on n’a pas eu beaucoup d’initiatives parce que, exactement comme moi, ils avaient plein d’autres dossiers, beaucoup d’autres dossiers à traiter. Je crois que l’explication est aussi simple.

Alors, quand Monsieur REKERAHO… j’ai appris que Monsieur REKERAHO était détenu… je ne sais même plus comment est-ce qu’on a eu vent, est-ce que ce n’est pas par le Tribunal international qu’on a appris ? Je pense que c’est par le Tribunal international que nous avons appris, avec qui, et ce n’est pas qu’on a fait une demande au Tribunal international mais le Tribunal international, nous étions en contact avec ces autorités-là parce qu’ils nous adressent beaucoup de commissions rogatoires - je parle des 10 dossiers, mais je ne parle pas de toutes les demandes et tous les devoirs que nous avons faits pour le Tribunal international, ici en Belgique pour le compte du Tribunal international - et donc, on avait des contacts, tout cela prend du temps, bien entendu, mais on avait des contacts avec les autorités du Tribunal international, et alors, ça, soyons clairs, quand on avait un contact avec eux, à certains moments, on n’avait rien pour nous, hein… dans cet échange de bons… Et c’est peut-être à cette occasion-là qu’on a parlé que Monsieur REKERAHO avait été localisé par des enquêteurs du Tribunal international.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie, Monsieur le président. Une autre question. Le témoin pourrait-il nous confirmer que Monsieur REKERAHO était détenu à Kigali depuis le 4 septembre 1997 ? C’est ce que j’ai appris dans le dossier.

Damien VANDERMEERSCH : On a toute la pièce. Enfin, j’ai reçu une copie de tout l’ensemble des pièces de la procédure, cela doit figurer dans ces pièces-là, de façon beaucoup plus certaine que ce que je pourrais vous le confirmer aujourd’hui, de mémoire.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie. Une question suivante qui s’adresse plus spécifiquement à Messieurs STASSIN et DELVAUX. Lorsque les enquêteurs se sont rendus au Rwanda au mois de février 2000, ils ont donc entendu Monsieur REKERAHO. Et il ressort du compte-rendu que Messieurs STASSIN et DELVAUX ont fait de cette commission rogatoire que ces deux enquêteurs ont eu un contact le 29 février, soit la veille de l’audition de Monsieur REKERAHO, avec Monsieur TREMBLAY. Pourriez-vous leur demander quel était l’objectif de ce contact, Monsieur TREMBLAY étant l’enquêteur du Tribunal pénal international ?

Le Président : Alors ? Monsieur STASSIN ?

Damien VANDERMEERSCH : Oui, tout à fait, sinon moi je peux répondre à la question parce que je me souviens bien de cette situation-là. Quand on est allé pour la commission rogatoire internationale - donc pour la seconde, parce que, contrairement à ce qui a été dit tout à l’heure, on a dit qu’on a fait une deuxième commission rogatoire à Arusha soi-disant, eh bien non ; j’ai adressé, sans déplacement, une commission rogatoire aux autorités du Tribunal international qui, il faut le savoir, sont autant à La Haye qu’à Arusha et qu’à Kigali, mais il y a un bureau très important du Tribunal international, même un des plus importants au point de vue pool d’enquête, à Kigali, ce qui est logique, sur l’endroit, le lieu des faits ­ et donc, nous avions… moi, j’ai eu des contacts, d’ailleurs cela apparaît clairement de la commission rogatoire, avec Monsieur MOUNA qui est le procureur adjoint du Tribunal international pour le Rwanda, et lors de ce contact, on nous a renseigné Monsieur TREMBLAY comme la personne qui avait fait l’enquête davantage dans la région de Butare, et qui avait des éléments, notamment qui avait procédé, non seulement à l’audition de Monsieur REKERAHO, à l’ensemble des auditions.

Alors, effectivement, j’ai demandé qu’un contact soit établi avec Monsieur TREMBLAY, pas seulement, pas uniquement ou pas tellement dans la perspective de l’audition de Monsieur REKERAHO, mais aussi par rapport à tous les autres témoignages qu’il aurait pu recueillir, de nouveau en disant : « Nous revenons au mois… en février 2000 ». Je vous ai dit : « Je ne vous cache pas que j’y suis retourné parce que j’aurais voulu faire plus », effectivement, et que nous n’avions enquêté que durant une commission rogatoire. Et donc, si on pouvait faire plus que l’audition de Monsieur REKERAHO, cela me semblait tout à fait pertinent et donc, il y a un contact qui a été établi. A l’occasion de ce contact-là, Monsieur… en tout cas c’est ce qui m’a été rapporté par les membres de la police judiciaire qui m’accompagnaient, c’est qu’il avait dit, en ce qui concerne Monsieur REKERAHO, qu’il lui semblait que, de ce qu’il avait entendu, c’est qu’il était davantage aigri, lui étant toujours en charge de tout ce dossier de Butare, donc, il voyait des témoins et, je suppose, des gens. Et donc, c’est à ce moment-là qu’il nous a dit effectivement qu’il a communiqué aux enquêteurs en disant que REKERAHO semblait assez… pas de trop bonne composition, si on peut s’exprimer ainsi, et qu’il était assez aigri, ce qui a été communiqué, dont acte. Et j’estime qu’il valait mieux le savoir avant l’entrée en matière que de savoir si effectivement on allait nous accueillir à bras ouverts ou peut-être que, effectivement, cela s’est plutôt confirmé dans le sens où il a été comme je l’ai décrit tout à l’heure.

Le Président : Oui ?

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie, Monsieur le président. Je souhaiterais simplement alors relire rapidement le compte rendu fait par les enquêteurs : « L’objectif de ce contact était de se rendre compte dans quel état d’esprit se trouvait REKERAHO. Notre collègue nous a dit qu’il avait revu REKERAHO aux environs du 25 février 2000 et qu’à cette occasion il nous a laissé sous-entendre qu’il avait constaté que REKERAHO était devenu très amer, très aigri et déçu des autorités rwandaises ».

Damien VANDERMEERSCH : Vous voyez bien qu’on met tout sur papier.

Me. VERGAUWEN : Absolument.

Damien VANDERMEERSCH : Tout à fait. Et que nous avons eu le souci, toujours, de travailler en transparence. On a eu ce contact-là et je peux vous dire que cela a été une politique générale, c’est que tout élément qui pouvait avoir une incidence, et d’ailleurs vous le relevez aujourd’hui, donc c’était utile du marquer, eh bien, tout cela est évidemment acté. Moi, mon souci, et je crois que nous avons toujours essayé de travailler dans cet esprit-là, c’est qu’il fallait qu’il n’y ait pas de coin d’ombre et donc, que tout ce que nous faisions soit mis par écrit, afin que, justement, la contradiction puisse être faite. Donc, ce que vous dites est tout à fait exact. D’ailleurs, cela a été noté, parce que j’estimais que c’était un élément, enfin les enquêteurs également, quand nous avions un contact de cet ordre-là, il est bien entendu acté et noté.

Me. VERGAUWEN : Bien. Je vous remercie, Monsieur le président. Dans le même ordre d’idées, le témoin pourrait-il confirmer donc, ce que Monsieur REKERAHO lui a déclaré le 3 mars 2000 ? Et je cite le procès-verbal de l’audition, c’est Monsieur REKERAHO qui parle : « Vous me demandez pourquoi j’ai déclaré autre chose le premier mars dans ma déclaration, j’ai dit toute la vérité à Réjean parce que j’espérais être transféré à Arusha et éviter ma condamnation, et en plus, c’est parce que je déteste les Belges parce que c’est à cause d’eux que nous avons connu tous ces problèmes. Maintenant, j’accepte de dire la vérité parce que Monsieur Réjean est là et que je lui ai promis de dire toute la vérité. Depuis ma condamnation à mort par le Tribunal, j’ai perdu confiance dans les autorités rwandaises et je ne voulais plus collaborer avec personne ».

Damien VANDERMEERSCH : C’est exactement ce qu’il m’a dit et j’ai noté, vous voyez, de façon… enfin ce qui n’était pas tout à fait d’ailleurs la réponse à ma question, eh bien, je l’ai noté tel qu’il m’a répondu à cette question-là.

Me. VERGAUWEN : Bien, je vous remercie. Question suivante, Monsieur le président. Monsieur le juge d’instruction, lors de son rapport de vendredi passé, a fait état d’un article qui avait paru dans la presse et qui relatait des rétractations de Monsieur REKERAHO. Pourriez-vous demander au témoin s’il peut nous confirmer que, toujours selon le même journaliste, les méthodes d’investigation de Monsieur TREMBLAY auraient été mises en cause par un autre enquêteur qui s’appelle Monsieur Lawrence MORGAN ?

Le Président : Si vous voulez, vous citez le journaliste, hein…

Damien VANDERMEERSCH : En tout cas, moi, je peux vous dire que je n’ai eu aucun écho du bureau du procureur ni, d’ailleurs, d’avocats de la défense. En tout cas, nous-mêmes, dans le cadre de notre enquête, nous n’avons eu personne - et nous avons été quand même au bureau du procureur, je veux dire en février 2000, et nous sommes en contact avec le bureau du procureur dans le cadre de commissions rogatoires - je n’ai jamais eu, sinon je l’aurais fait figurer dans la procédure, soyons clairs, d’éléments de cet ordre-là, à l’égard de Monsieur TREMBLAY. Donc, moi je n’ai jamais eu d’informations comme quoi il travaillait, enfin je ne sais même pas ce qu’on a dit à son propos. Si c’était le cas, vous pensez bien que ça crée des inquiétudes et j’en aurais fait état si je l’avais reçu personnellement. Maintenant, un journaliste reçoit cette information, c’est à lui à éventuellement… enfin je veux dire que je ne peux qu’en prendre acte. Mais, moi-même, je n’ai pas reçu d’éléments défavorables sur les méthodes de Monsieur TREMBLAY.

Maintenant, je ne dis pas que j’étais là lorsqu’il a entendu Monsieur REKERAHO et qu’il a enregistré, moi, je n’étais pas là. Je peux assumer évidemment ce dont j’ai été témoin direct, je ne peux pas assumer évidemment l’audition, et c’est pour ça que je vous ai… pour l’audition faite par Monsieur TREMBLAY, je vous renvoie à lui-même parce que lui était témoin direct, moi, je n’en sais rien. Ce que Monsieur REKERAHO a dit par rapport à l’audition de Monsieur TREMBLAY, tout cela est acté, ce qu’il m’a dit à ce propos-là, tout ça est acté dans le procès-verbal, dans les deux procès-verbaux, et ça je peux l’assumer entièrement. Maintenant, ce qui s’est dit entre Monsieur REKERAHO et Monsieur TREMBLAY le 25, enfin lors du contact préalable, lors de, enfin lors du contact dont on fait état, moi je n’en sais strictement rien, vous lui demanderez, sous serment.

Me. VERGAUWEN : Bien, Monsieur le président. Mais dans la mesure où le témoin avait lui-même fait allusion à un article paru dans le journal Le Soir…

Damien VANDERMEERSCH : Tout à fait, mais je…

Me. VERGAUWEN : …je souhaitais faire allusion, moi-même, à un article qui s’inscrit dans le prolongement de ce premier article qui s’appelle « REKERAHO se rétracte - Suite » signé par Monsieur René HAQUIN et qui dit ceci : « De Dar es Salaam (Tanzanie), un enquêteur du TPR, Lawrence MORGAN, nous informe avoir vu à Butare celui qui se fait appeler Yogi, dont le nom est TREMBLAY, avec ˝e˝. C’est un enquêteur du TPI, que Lawrence MORGAN traite de ripoux, tant au Canada qu’au Rwanda. A Butare, il aurait acheté pour 5.000 ou 10.000 F rwandais (500 et 1.000 FB) n’importe quelle déclaration incriminante. Qu’il soit entendu en Belgique ! écrit Monsieur MORGAN ». Vérification faite ici, TREMBLAY est bien cité comme témoin, pour rapporter les aveux que REKERAHO lui a faits, précisément.

Damien VANDERMEERSCH : Je peux simplement vous confirmer qu’on n’a rien entendu directement de la part du Tribunal international d’informations, allant dans ce sens-là. Maintenant, il sera entendu ici, en Belgique. Je pense qu’il n’y a rien de tel que de pouvoir se faire une opinion directement.

Me. VERGAUWEN : Le cas échéant, Monsieur le président, nous verrons comment les choses évoluent mais nous vous demanderons éventuellement, en vertu de votre pouvoir discrétionnaire, de faire venir ce Monsieur MORGAN comme témoin puisqu’il dit des choses quand même importantes.

Le Président : Citez-le ! Citez-le !

Me. VERGAUWEN : Nous faisons appel à votre pouvoir discrétionnaire, Monsieur le président.

Le Président : Vous n’avez même pas besoin de mon pouvoir discrétionnaire si vous voulez citer un témoin.

Me. VERGAUWEN : Je sais bien, Monsieur le président, mais dans votre arrêt…

Le Président : Alors, citez-le !

Me. VERGAUWEN : D’accord, Monsieur le président. Mais je me permets de vous préciser que dans votre arrêt du 18 avril dernier, vous nous aviez dit que nous pouvions faire appel à votre pouvoir discrétionnaire…

Le Président : Bien sûr, mais vous avez d’autres moyens aussi.

Me. VERGAUWEN : Tâchons alors d’identifier ce Monsieur MORGAN. Mais nous aurons peut-être moins de moyens pour identifier un enquêteur, je ne sais pas d’ailleurs où il est, je ne connais pas son adresse et simplement, je soumettais ce problème à la Cour.

Le Président : Vous croyez que moi je le connais mieux que vous ?

Me. VERGAUWEN : Non, non, bien sûr. Mais peut-être que la Cour a plus de moyens d’investigation que moi à cet égard-là. Nous ne sommes pas…

Le Président : Bon, alors, avançons, si vous le voulez bien maintenant !

Me. VERGAUWEN : Monsieur le président, je vais certainement avancer. Je pense que sur ce point-ci, je n’ai plus d’autres questions, mais je voudrais simplement signaler que je pense qu’il n’y a pas lieu à être irrité des demandes que nous formulons, Monsieur le président. Nous exerçons notre métier en âme et conscience, Monsieur le président…

Le Président : Voulez-vous bien avancer.

Me. VERGAUWEN : …et vous estimez que les questions que nous posons sont, ou non, utiles à la manifestation de la vérité. Je voulais simplement souligner que nous agissons en notre qualité d’avocat de la défense et voilà, nous soumettons certaines choses, à tort ou à raison peut-être, là n’est pas le débat. C’est tout ce que je voulais préciser pour qu’il n’y ait pas de tension inutile, je crois qu’il n’y a pas lieu d’y avoir des tensions. Je vous remercie.

Le Président : D’autres questions ? Monsieur l’avocat général ?

L’Avocat Général : Oui, Monsieur le président. Puisqu’on en est à faire lecture de certains articles qui ont paru dans certains journaux, il serait peut-être utile que la défense nous fasse alors également connaître la suite de l’article de Monsieur HAQUIN dans Le Soir, à savoir la suite dans laquelle on fait quelques remarques quand même assez bien senties sur Monsieur Lawrence MORGAN qui, et moi je cite l’article : « serait un enquêteur qui fait des enquêtes parallèles à la demande des avocats de la défense ».

Me. VERGAUWEN : Pour répondre à Monsieur l’avocat général, je pense que cela confirme l’utilité de faire venir ce témoin, Monsieur le président, à partir du moment où il y a effectivement des déclarations euh… dans tous les sens.

Le Président : Puisque ça va de… Bien. Maître VANDERBECK.

Me. VANDERBECK : Merci, Monsieur le président. Nous avons abondamment parlé du Tribunal pénal international. Nous savons, juristes, qu’il ne fonctionne pas de la même façon que la Cour d’assises, ici, en Belgique, le jury le sait un peu moins peut-être, et notamment en ce qui concerne le traitement des éléments de preuves qui sont soumis à l’appréciation de ce Tribunal ou qui seraient soumis à l’appréciation des jurés de la Cour d’assises. Or, nous avons constaté qu’à l’issue des fameuses commissions rogatoires, puisqu’il y en a eu trois, sauf erreur de ma part, auprès du Tribunal pénal international, demandées et envoyées par le magistrat instructeur, un ensemble de pièces avaient été déposées, pièces qui ont été recueillies par, toujours, les mêmes enquêteurs auprès du Tribunal pénal international - ce fameux Monsieur TREMBLAY dont on a déjà parlé et dont on parlera encore puisqu’il viendra comme témoin, et un autre enquêteur dont le nom m’échappe - je voudrais savoir, et je voudrais peut-être poser la question au témoin, qu’il nous dise si, dans la procédure devant le Tribunal pénal international, les pièces sont, comme ce serait le cas ici, déposées telles quelles brutes et soumises à l’appréciation directement du Tribunal ou du jury s’il y a un jury ou si, au contraire…

Le Président : Vous voulez bien faire avancer les choses ? La procédure devant le Tribunal pénal international ne nous intéresse pas du tout.

Me. VANDERBECK : Je pense qu’elle nous intéresse à plusieurs égards, Monsieur le président, dans la mesure où…

Le Président : Nous avons notre dossier qui est soumis dans l’état de notre procédure, alors voulez-vous bien avancer, s’il vous plaît !

Me. VANDERBECK : Je voudrais poser au juge d’instruction la question de savoir si les pièces déposées par Monsieur TREMBLAY seraient soumises à un débat contradictoire dans le cadre de la procédure du TPI, ce qui n’est pas le cas ici, en tout cas dans quelle mesure ces pièces seraient soumises à un débat et dans quelle mesure elles feraient l’objet d’une discussion par les avocats de la défense et par l’accusation et que retiendrait-on de ces pièces après ce débat ?

Le Président : Bien, Monsieur le juge d’instruction, cette question n’est pas posée. Je suis désolé, cela ne fait rien progresser du tout.

Me. VANDERBECK : Si, parce que…

Le Président : Maître VANDERBECK, alors passez à un autre sujet, si vous voulez bien.

Me. VANDERBECK : Mais, Monsieur le président, moi je pense que non. Nous sommes juristes, nous savons comment fonctionne le Tribunal pénal international, le jury ne le sait pas. Il doit savoir.

Le Président : Le jury n’a pas à savoir comment fonctionne ou ne fonctionne pas le Tribunal international…

Me. VANDERBECK : Mais si, parce que ces pièces sont déposées brutes…

Le Président : Le jury a à se faire une conviction sur des faits qui sont reprochés aux quatre accusés.

Me. VANDERBECK : Eh bien, justement…

Le Président : Alors, vous voulez bien aborder une question relative aux faits reprochés aux accusés.

Me. VANDERBECK : Mais je reste aux faits relatifs aux accusés puisque dans le dossier qui est soumis à l’appréciation du jury, figure l’ensemble de ces pièces qui ont été déposées, qui ont été recueillies par Monsieur TREMBLAY et nous savons, en tout cas je puis vous dire que je le sais puisque c’est comme cela que ça fonctionne au TPI, ces pièces, telles quelles, ne seraient pas soumises au jury si nous nous trouvions devant le Tribunal international.

Le Président : Il n’y a pas de jury, n’est-ce pas, au Tribunal international, alors ne faisons pas…

Me. VANDERBECK : Mais je sais bien, mais justement, alors, faisons une comparaison.

Le Président : Eh bien justement, ne faites pas de comparaison.

Me. VANDERBECK : Ces pièces… ne serait retenu de ces pièces que ce qui aurait été répété à l’audience et soumis à contradiction de la part des deux avocats. Or, ce n’est pas du tout le cas ici puisque nous déposons le dossier, et déposé brut, sans possibilité du soumettre à la même contradiction que celle qui existe devant le Tribunal pénal international et je pense que c’est important que le jury le sache puisque ce sont des pièces déposées dans le cadre du dossier qui est soumis à leur appréciation.

Le Président : Vous n’avez pas l’occasion de vous exprimer à propos des pièces ?

Me. VANDERBECK : Bien sûr.

Le Président : Bien, alors, si vous voulez bien…

Me. VANDERBECK : Mais la façon…

Le Président : Alors, si vous voulez bien…

Me. VANDERBECK : La façon dont cela se passe n’est pas du tout identique et Monsieur le juge d’instruction, qui est à la fois professeur de procédure pénale, pourrait peut-être nous dire comment fonctionne…

Le Président : Voulez-vous bien poser une question à propos des faits reprochés aux accusés !!!

Me. VANDERBECK : Poser… à propos des faits relatifs aux accusés, puisque, toujours dans le cadre du Tribunal pénal international, il y a une forme de collaboration, comment s’est passée la collaboration entre le Tribunal pénal et Monsieur le juge d’instruction ? Voilà. Je pense que c’est en relation avec les faits, ça.

Le Président : Oui, Monsieur le juge d’instruction.

Damien VANDERMEERSCH : Je vais répondre. Par rapport, donc… Le Tribunal international nous a adressé certaines demandes d’entraide pour des devoirs à effectuer en Belgique. Nous avons, bien entendu cela ne fait pas l’objet, et s’ils avaient fait l’objet des mêmes faits, on aurait joint, bien entendu, les pièces, donc c’est tout à fait étranger mais c’est pour dire qu’on a effectivement eu des demandes d’entraide judiciaire où nous avons appliqué en principe la procédure belge, j’insiste, puisque c’est la loi qui le dit, que quand on a des devoirs on a l’autorité requérante, on applique en principe le droit national et donc, c’est-à-dire le droit de la procédure pénale belge. Dans l’autre sens, nous avons adressé des demandes, différentes demandes, sous forme de commissions rogatoires internationales et les résultats de ces commissions rogatoires se trouvent versés bien normalement au dossier. Et nous avons, c’est vrai, eu une collaboration qui, au tout début, en 1996, n’était pas évidente et je dois dire que, en tout cas au point de vue timing, les réponses étaient plus rapides ainsi qu’en témoignent les dernières demandes qu’on a faites dans le dossier, notamment de certains… copies de certains actes d’accusation où cela a pu être communiqué beaucoup plus rapidement.

Le Président : Une autre question ?

Me. GILLET : Je vous remercie, Monsieur le président. Il y a, au dossier, une lettre du 4 mars 2000 adressée à Monsieur le juge d’instruction par le chef des poursuites auprès du Tribunal pénal international où on lui transmet l’audition de REKERAHO et on lui annonce d’autres copies d’auditions concernant le monastère de Sovu. Il en résulte donc auprès du Tribunal pénal international qu’il y a bien un dossier relatif au monastère de Sovu autre que le dossier de REKERAHO. Alors, ma question est celle-ci : à charge de qui y aurait-il un dossier relatif au monastère de Sovu et quelles ont été les suites réservées par le TPI, à ce dossier ?

Michel STASSIN : Si je peux me permettre, Monsieur le président, je pense que les auditions qui ont été réalisées par les enquêteurs du TPI dans la région de Butare, concernent le nommé le témoin 151 qui était le lieutenant colonel responsable, donc, dans la région de Butare.

Damien VANDERMEERSCH : C’était le commandant de place, qui était le numéro… qui a été arrêté à Londres, à la demande du Tribunal international, et qui a fait l’objet d’un acte d’accusation.

Michel STASSIN : Donc, la personne, actuellement, se trouve détenue à Arusha.

Damien VANDERMEERSCH : Et donc, le témoin 151, c’était le commandant de place qu’aurait d’ailleurs appelé sœur Gertrude. Quand on parle du commandant de place puisque, après le 19 avril, il a été… il y a eu un changement de commandant de place, c’est Monsieur le témoin 151 qui était, disons, le numéro 1 au point de vue, je dirais, militaire en ce qui concerne Butare. Et c’est dans ce cadre-là d’investigation, dans une procédure qui est effectivement de type plus anglo-saxon que ces auditions étaient rendues. Ce que je peux simplement dire, c’est que dans ma commission rogatoire, j’ai demandé tous les documents pertinents par rapport à l’exposé des faits, par rapport aux faits reprochés aux deux accusés. Donc là, nous faisons un exposé des faits dans lequel on dit : « Voilà tous les éléments dont il est question dans le dossier ». Et donc, une des formules a été, c’était « tous les témoignages » ou « tous les éléments en relation directe avec ces faits », les autres témoignages effectivement, on essaie de recueillir… on ne peut d’ailleurs demander que les éléments pertinents par rapport à l’exposé des faits.

Le Président : Une autre question ?

Me. GILLET : Oui, Monsieur le président. Je suis un peu surpris d’entendre que tous les documents TPI et les auditions ont été réalisés dans le cadre du dossier de ce colonel le témoin 151 parce qu’il n’est pas question une seule fois du colonel dans toutes les auditions des différentes sœurs, je parle des quatre sœurs accusatrices. Et donc, il me paraît bien qu’il doit y avoir un dossier monastère de Sovu qui n’est pas le dossier du colonel le témoin 151. Alors, je demande simplement si Monsieur le juge d’instruction et les enquêteurs ont connaissance d’un dossier dont on leur parle dans une lettre du 4 mars 2000, connaissance d’un dossier relatif au monastère et des suites réservées à ce dossier ?

Damien VANDERMEERSCH : Je peux vous répondre qu’on m’a dit… lorsque je me suis déplacé sur place - et j’ai eu un contact avec Monsieur MUNA qui avait eu des auditions intéressantes qui pouvaient concerner les faits dont j’étais saisi, qui avaient été recueillis par le Tribunal international - j’ai demandé ces auditions et ces éléments, je ne vais pas maintenant commencer à faire un interrogatoire des autorités du Tribunal international. Moi, j’ai demandé l’ensemble des pièces pertinentes par rapport aux faits dont je suis saisi et j’espère qu’on m’a transmis l’ensemble des pièces pertinentes. Maintenant ça, c’est… je veux dire, moi, je ne suis pas là pour commencer à juger l’action du Tribunal international. Je sais… Des pièces, il apparaît quel est l’enquêteur qui a recueilli ces éléments, et voilà. D’ailleurs, sauf erreur de ma part, cet enquêteur va être entendu, voilà. Vous lui poserez peut-être la question, lui le sait peut-être plus que moi. Mais enfin, j’estime que je n’ai pas à faire un interrogatoire. Je suis autorité requérante vis-à-vis du Tribunal international. J’apprends qu’il y a des pièces qui peuvent être pertinentes pour mon dossier, eh bien, j’en ai demandé communication.

Le Président : Une autre question ?

Damien VANDERMEERSCH : Et le témoin 151 est cité quand même dans certaines… et cela concerne quand même les faits sous sa juridiction.

Me. VERGAUWEN : Oui, je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur le président, je voudrais poser une question à Monsieur STASSIN. Il est question dans le dossier d’un certain le témoin 151, mais d’un autre le témoin 151, un certain le témoin 151, et je voudrais que vous demandiez au témoin, Monsieur STASSIN, s’il l’a rencontré, ce Monsieur le témoin 151 et si ce Monsieur le témoin 151 est en liberté.

Le Président : Mais il va venir témoigner.

Me. VERGAUWEN : Je vous demande, Monsieur le président, si Monsieur STASSIN a rencontré, c’est une question qui doit, je ne vais pas poser la question à Monsieur le témoin 151 s’il a rencontré Monsieur STASSIN, je demande à Monsieur STASSIN s’il a rencontré Monsieur le témoin 151.

Le Président : Non, vous me demandez de demander à Monsieur STASSIN.

Me. VERGAUWEN : Puis-je vous demander de demander à Monsieur STASSIN s’il a rencontré Monsieur le témoin 151 ? Je crois que la question…

Le Président : Jean-Baptiste.

Me. VERGAUWEN : Jean-Baptiste.

Le Président : Monsieur STASSIN, avez-vous rencontré Monsieur le témoin 151 ?

Michel STASSIN : Oui, effectivement, j’ai rencontré le témoin 151 puisque donc c’était l’ancien conseiller de secteur de Sovu et je l’ai rencontré lors de la commission rogatoire de février-mars 2000.

Me. VERGAUWEN : Etait-il en liberté ?

Michel STASSIN : Il était en liberté. Il est toujours en liberté, d’ailleurs.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie. Je voudrais demander également à Monsieur STASSIN qui a bien lu l’audition de Monsieur REKERAHO devant Monsieur TREMBLAY, s’il sait ce que Monsieur REKERAHO dit à propos de Monsieur le témoin 151 ?

Le Président : Ecoutez, je pense que, comme Monsieur TREMBLAY doit venir, vous poserez la question à Monsieur TREMBLAY.

Me. VERGAUWEN : Bon. Alors, j’ai une dernière question puisque vous ne voulez pas poser cette question, dans un climat inhabituel d’irritation que je ne comprends pas, je ne comprends vraiment pas, et j’en suis désolé. On va poser une autre question à Monsieur STASSIN. Monsieur STASSIN, nous avons tous reçus - toutes les parties concernées et le jury également - un procès-verbal de Monsieur STASSIN qui est ici devant vous : « L’an 2001, le 2 du mois de mai. Il serait souhaitable de faire témoigner devant la Cour d’assises, dans le dossier Sovu, le nommé le témoin 151 qui était conseiller de secteur à Sovu durant les événements ». Je voudrais demander à Monsieur STASSIN pourquoi il serait souhaitable de faire venir entendre Monsieur le témoin 151 ?

Le Président : A qui était adressé ce procès-verbal, Monsieur STASSIN ? A l’avocat général, je crois ?

Michel STASSIN : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Bien.

Me. VERGAUWEN : Nous en avons reçu une copie, tous ? Pourquoi est-ce que Monsieur STASSIN a-t-il estimé souhaitable de faire entendre Monsieur le témoin 151 devant la Cour d’assises ? Je ne peux même pas lui demander, je ne peux pas lui poser des questions à partir de Monsieur le témoin 151… je dois poser toutes des questions à Monsieur le témoin 151. Moi, je voudrais quand même savoir pourquoi Monsieur STASSIN estime souhaitable de faire entendre ce monsieur ? On reçoit un procès-verbal de Monsieur STASSIN, je crois qu’il me paraît élémentaire que je puisse poser cette question sans que ça fasse un tel tollé. Non ?

Le Président : Monsieur STASSIN ?

Michel STASSIN : Eh bien, tout simplement donc, vu le nombre relativement important de personnes qui ont été entendues, moi, je l’ai fait et je l’ai écrit et j’ai établi ce procès-verbal en âme et conscience. Pourquoi ? Parce que, en dehors de Monsieur REKERAHO qui est actuellement donc, détenu, comme l’a dit Monsieur le juge d’instruction, nous ne sommes pas parvenus à localiser RUREMESHA Jonathan, on n’a pas réussi non plus à localiser Monsieur RUSANGANWA Gaspard et bon, je me suis dit, comme c’était quand même quelqu’un qui était libre, je veux dire, de ses mouvements au moment des événements dans la région de Sovu, j’ai simplement demandé si la Cour n’estimait pas opportun de faire entendre ce témoin. Je l’ai fait en âme et conscience en tant qu’enquêteur. Voilà ma réponse, Monsieur le président.

Le Président : Bien.

Me. VERGAUWEN : Un commentaire, Monsieur le président ?

Le Président : Quand le témoignage sera clôturé.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie.

Le Président : Y a-t-il encore des questions ? Maître FERMON ?

Me. FERMON : Monsieur le président, j’ai trois petites questions à propos de l’audition de l’abbé le témoin 54 qui est la personne qui va accueillir les sœurs quand elles quittent le couvent et va les accueillir à la paroisse de Ngoma. L’abbé le témoin 54 ne va pas venir comme témoin, donc, je voudrais demander à Monsieur le juge d’instruction de confirmer trois passages de l’audition de cette personne quand il a été interrogé le 9 octobre 1995, spécifiquement à propos des faits de Sovu ?

Le Président : Oui.

Me. FERMON : Alors, le premier passage… si vous me permettez, je lis les passages, et je voudrais bien, ensuite, demander à Monsieur le juge d’instruction, que vous demandiez à Monsieur le juge d’instruction, si c’est bien cela que Monsieur le témoin 54 avait déclaré. Premier passage : « Durant leur séjour chez nous, c’étaient sœur Gertrude et sœurs Kizito et Hermelinda qui étaient actives et qui établissaient les contacts. Les autres sœurs étaient passives et avaient peur ».

Damien VANDERMEERSCH : Je peux tout à fait…

Le Président : Oui, Monsieur le juge d’instruction.

Damien VANDERMEERSCH : Enfin, je préfère que ce soit fait sous cette façon-là, parce que moi, je ne suis évidemment pas supposé savoir que tel témoin ou tel témoin vient ou ne vient pas, ce n’est pas toujours facile à savoir. Donc, je peux tout à fait confirmer, d’ailleurs sœur Kizito a été entendue sur cet élément-là et elle euh… enfin, dans son audition, sauf erreur de ma part, elle a plutôt dit, effectivement, qu’elle avait joué ce rôle un peu plus actif que les autres sœurs. D’ailleurs, sœur Kizito a été entendue sur ce passage-là, donc, je m’en souviens bien.

Le Président : Oui.

Me. FERMON : Alors, si vous me permettez, Monsieur le président. Deuxième passage parlant de sœur Gertrude : « Quand j’ai entendu (lors de cette conversation au téléphone), comment elle parlait au commandant militaire du camp de Ngoma qui était le grand responsable des massacres de la région, je me suis dit qu’elle ne devait rien craindre. J’entendais d’ailleurs dans sa façon de parler qu’elle était à l’aise avec lui et qu’elle ne semblait pas se sentir réellement menacée ».

Damien VANDERMEERSCH : Donc, c’est le passage auquel j’ai fait allusion qui serait donc, avec le lieutenant HATEGEKIMANA, donc, sauf erreur de ma part, il en est fait état, c’était avec le lieutenant. Enfin, c’est ce que j’en ai comme souvenir, qu’il était question donc, pas du commandant de place lui-même, mais plutôt du lieutenant… Je n’ai pas la pièce sous les yeux.

Le Président : Oui, elle a « voulu joindre » le commandant de place, mais « avoir joint » est autre chose, effectivement.

Damien VANDERMEERSCH : Sœur Gertrude dit d’ailleurs qu’elle est tombée après sur le lieutenant.

Me. FERMON : Et alors troisième élément, si vous me le permettez, Monsieur le président, toujours de cette même déclaration. L’abbé le témoin 54 aurait déclaré : « J’étais surpris de la réaction de sœur Gertrude. Avec sa carte d’identité Hutu, elle n’était pas menacée directement. Elle pouvait bien rester dans la maison et essayer de protéger les réfugiés. Sur interpellation, il y avait, parmi les sœurs, des Tutsi. Les trois sœurs qui étaient restées étaient Tutsi, elles ont préféré rester et peut-être mourir avec leur famille. Je ne comprends pas, en tant que responsable d’abord, en tant que Hutu ensuite, et enfin vu les relations qu’elle avait avec les autorités civiles et militaires, pourquoi elle n’est pas restée protéger ces sœurs et leurs familles ». Est-ce que c’est bien dans ces termes-là que l’abbé le témoin 54 a parlé de sœur Gertrude ?

Damien VANDERMEERSCH : C’est bien ce qui a été acté. Maintenant, bien entendu, c’est ce qu’il déclare, lui, on est bien d’accord, hein. Mais tout à fait, c’est ce qui a été repris, qui se trouve d’ailleurs repris dans son audition. Cela a été fait sur place au Rwanda, dans le cadre de la commission rogatoire 3.

Me. FERMON : Merci, Monsieur le président.

Le Président : Une autre question ? Maître JASPIS ?

Me. JASPIS : Tant qu’on est dans les confirmations, Monsieur le président. Est-ce que les enquêteurs peuvent nous confirmer qu’il y a eu, concernant l’utilisation de l’essence contenue dans un jerricane, en une fois ou en plusieurs fois, donc une autre utilisation que le fait de faire brûler la porte du garage où ont péri plusieurs centaines de réfugiés ? Y a-t-il eu un autre épisode où il est question d’essence associée à une mort très violente ?

Le Président : Monsieur STASSIN ?

Michel STASSIN : Non, donc des événements, enfin de l’événement relatif à l’incendie du garage, moi, je n’ai pas connaissance, donc, d’autres faits où donc, du carburant, de l’essence, aurait été utilisé.

Damien VANDERMEERSCH : On parle assez, de façon très typique, qu’il y avait du branchage et puis il y avait de l’essence pour, sûrement, un épisode qui est bien identifié par beaucoup de témoins. Maintenant il y avait aussi les véhicules, l’usage de véhicules.

Le Président : Maître JASPIS ?

Me. JASPIS : Oui, on y reviendra lors des auditions de témoins, mais il y a un épisode où effectivement de l’essence a été jetée sur une personne qui était d’ailleurs un ouvrier du couvent, qui est mort après avoir brûlé comme une torche. C’était cet épisode-là que je souhaitais évoquer. Mais il est effectivement extrêmement discret dans le dossier. Je vous remercie.

Le Président : Une autre question ? Maître VERGAUWEN et puis Maître BEAUTHIER.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie, Monsieur le président. Toujours à propos de confirmation, je crois que c’est Monsieur WATERPLAS qui a entendu sœur Gertrude le 25 janvier 1996. En fait, ma question est relative à un passage de cette audition concernant la fameuse lettre. Je précise qu’à ce moment-là, Monsieur le juge d’instruction nous l’a rappelé, le contenu de la lettre n’est pas encore à la connaissance des enquêteurs, est-ce que les témoins pourraient simplement nous confirmer ce que sœur Gertrude a dit à ce sujet.

Je cite : « Finalement, voyant qu’il n’y avait plus d’issue, j’ai écouté le conseil de Gaspard RUSANGANWA qui m’a dit de laisser partir les réfugiés qui auraient ainsi une petite chance de survivre plutôt que de les garder au couvent où ils étaient voués à la mort. Il a adressé une lettre au bourgmestre lui demandant de venir prendre des réfugiés au couvent. J’ai signé cette lettre espérant que c’était une échappatoire, j’ai fait pour bien faire. Tel que je l’ai déjà expliqué, le bourgmestre m’a ensuite trompée en emmenant les réfugiés et en les faisant tuer malgré tout, chose que je n’ai apprise que bien après, maintenant on me reproche cela mais je vous assure que j’ai cru bien faire ».

Damien VANDERMEERSCH : Tout à fait. D’ailleurs, cette audition précédait mon audition de quelques, enfin pas de quelques minutes, je suppose quelques… une ou deux heures, puisque c’était dans le cadre des 24 heures, suite à la privation de liberté et devant moi - donc, elle a exactement utilisé ces termes-là devant Monsieur WATERPLAS, je m’en souviens bien - et devant moi, elle a été plus courte, mais je l’ai entendue de façon moins détaillée. Elle a dit : « J’ai envoyé une lettre ». Si je me souviens bien, chez moi, elle n’a pas repris en disant qu’elle avait adressé une lettre mais, sauf erreur de ma part, elle avait bien dit que c’était sur conseil également de Gaspard, en tout cas cela apparaît tout à fait à ce moment-là.

Me. VERGAUWEN : Oui, je vous remercie, Monsieur le président. Alors, une autre demande de confirmation qui concerne cette fois-ci l’audition de sœur Gertrude du 11 octobre 1995, par Monsieur BOGAERT. A la toute fin de cette audition, sœur Gertrude est interrogée au sujet des témoignages qui l’accusent et je voudrais demander aux témoins de confirmer ce que sœur Gertrude a déclaré à cet égard-là : « En ce qui concerne ces témoignages, je voudrais préciser que je ne connais pas les gens qui les ont rapportés. La seule personne que je connais, c’est la nommée Consolata et comme je l’ai déclaré, je ne comprends pas ses motifs de m’accuser. Je sais que sœur Marie-Bernard et sœur Scholastique sont à la base des accusations qui pèsent sur moi, je ne connais pas leurs motivations, néanmoins, j’ai le sentiment que les problèmes internes à notre communauté qui s’étaient apaisés devant l’ampleur de ce que nous vivions, sont réapparus. Ces deux sœurs ont toujours contesté mon autorité et je crains que leur attitude ne soit guidée par la volonté de m’écarter de la communauté. Elles n’ont jamais évoqué les événements qui sont aujourd’hui décrits, elles ont eu l’occasion de rencontrer les journalistes alors que nous étions réfugiés à Gikongoro, à Banghi et en Belgique et n’ont jamais éprouvé le besoin de parler ». Je demande confirmation.

Damien VANDERMEERSCH : Donc, je peux dire exactement, donc, que cette audition avait été demandée par moi-même. Sauf erreur de ma part, c’est le 11 octobre, cela correspond bien à ça. J’étais au Rwanda et j’avais demandé, par téléphone, de procéder à une audition, je dirais, générale, sans entrer… ce que j’appelle une audition libre, un récit libre, j’avais demandé à Monsieur BOGAERT, donc, de procéder à un récit libre au cours duquel on demanderait notamment le nom de certains témoins que nous pourrions éventuellement, comme nous étions sur place, entendre. Si nous rentrions et qu’après… en tout cas il n’y avait pas de perspective à ce moment-là de nouvelle commission rogatoire dans un avenir immédiat, c’est la raison pour laquelle j’ai souhaité que Monsieur BOGAERT procède à ce récit libre, si on peut s’exprimer ainsi, et d’ailleurs davantage ciblé pour la question des témoins et donc, c’est effectivement dans ce cadre-là que sœur Gertrude a fait cette déclaration.

Le Président : Oui.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie, Monsieur le président. Une dernière question. En ce qui concerne les démarches qui ont été faites par Monsieur COMBLAIN au mois d’août 1995, août et septembre 1995, est-ce que vous pourriez demander aux témoins de nous dire à la demande de qui ces démarches ont été effectuées ? Voilà la question.

Le Président : Selon les éléments…

Me. VERGAUWEN : Selon les éléments du dossier.

Damien VANDERMEERSCH : Selon les éléments du dossier, sauf erreur de ma part, c’était  la démarche de l’abbé CULLEN, parce qu’après, enfin, je veux dire, les documents… il est question, dans les documents de l’abbé CULLEN, de l’abbé DAYEZ. Il y avait un conflit évidemment de deux sœurs qui étaient en conflit de désobéissance, c’était effectivement une affaire de la compétence du président de la congrégation et, sauf erreur de ma part, les rapports étaient adressés à la plus haute autorité de la congrégation, c’est-à-dire l’abbé CULLEN.

Le Président : Ce n’était donc pas à la demande ni de sœur Gertrude, ni de sœur Kizito.

Damien VANDERMEERSCH : Ah, non ! Pour moi, pas du tout. Là, soyons clairs.

Le Président : Une autre question ?

Me. VANDERBECK : Très brève, Monsieur le président, je vous remercie. Plutôt à Monsieur STASSIN puisque Monsieur BOGAERT n’est pas là et ce sont Messieurs BOGAERT et STASSIN qui ont auditionné sœur Kizito la première fois, le 25 janvier 1996. Est-ce que, dans le jeu des confirmations, Monsieur STASSIN peut nous confirmer que, parlant de REKERAHO et des événements lors du retour de la communauté après être revenue de Ngoma vers le couvent de Sovu, c’est-à-dire le 24 en soirée, Monsieur REKERAHO, voilà l’audition, le passage de sœur Kizito : « Puis, il (‘il’ c’est REKERAHO) s’est retourné vers moi, et m’a demandé pourquoi j’avais fui. Il a ajouté que je n’avais rien à craindre puisque j’étais de la colline. Je lui ai dit que j’appartenais d’abord à ma communauté et que si mes sœurs partaient, je devais les suivre. Il m’a alors insultée et giflée, en me disant que j’étais une complice ».

Damien VANDERMEERSCH : Tout à fait, enfin, moi, je peux tout à fait confirmer que cette déclaration, telle quelle, figure au dossier.

Me. VANDERBECK : Je voulais le faire souligner parce qu’il avait été sous-entendu que c’était la première fois que sœur Kizito en parlait lors de son interrogatoire d’inculpée… d’accusée, pardon.

Le Président : Une autre question ? Maître BEAUTHIER.

Me. BEAUTHIER : Merci, Monsieur le président. Au moment où Monsieur le témoin 54 est interrogé, si j’ai bien compris, les sœurs viennent de subir à Sovu le premier gros massacre, elles arrivent donc en deux camionnettes. Alors, je voudrais simplement savoir, et c’est une phrase que je vais lire, je ne vais rien lire d’autre, pourquoi les enquêteurs se sont inquiétés de l’état de sœur Gertrude, en disant ceci : « Sur interpellation - donc on demandait à le témoin 54 - Sur interpellation », le témoin 54 dit : « Sœur Gertrude ne m’a pas ­ c’est plus simple de prendre le micro ­ sur interpellation, sœur Gertrude ne m’a pas parlé, à ce moment, des autres réfugiés, ni d’éventuelles attaques ou massacres qui auraient eu lieu à Sovu ».

Damien VANDERMEERSCH : Donc, c’est une audition qui se situe dans le cadre de la troisième commission rogatoire, on est bien d’accord. Tout à l’heure, j’ai fait une confusion entre les deux auditions de Monsieur le témoin 54, donc qui a été entendu deux fois, une fois dans le cadre du dossier KANIABASHI, de façon générale, sur les événements, donc, dans sa paroisse, dont cet épisode-là, bien entendu, et la seconde, l’audition évidemment, lors de la troisième commission rogatoire. Etant saisi de ces faits-là, j’en prends tout à fait la responsabilité, j’ai donné comme instruction qu’il puisse être entendu, par rapport à cet épisode-là, de façon beaucoup plus détaillée puisque là, j’étais saisi, et c’est un moment qui me semblait évidemment intéressant pour pouvoir, je dirais, « checker » et comparer les différentes auditions. Et donc, effectivement, il a… c’est une question qui, disons, paraissait pertinente dans la mesure où dire : « Eh bien voilà, il y avait déjà une première série d’événements, est-ce qu’elle en a parlé ? ». Et donc, c’est la réponse qu’il a effectivement donnée.

Le Président : Oui ?

Me. VERGAUWEN : J’ai encore une question, Monsieur le président. Pourriez-vous demander aux témoins qui a occupé le couvent après les faits, donc, en fait, à partir du mois d’octobre 1994 ?

Le Président : Cela a apparu un peu notamment dans les dias qu’on a projetées.

Damien VANDERMEERSCH : Je l’ai cité, notamment lors du commentaire des dias, donc c’est une ONG Terre des Hommes qui a occupé le couvent et c’était également, aussi à ce moment-là, une question de…

[Interruption d’enregistrement]

  

Damien VANDERMEERSCH : …n’est pas la propriété, le terme est mauvais mais, je dirais, le droit de décider de l’occupation du couvent. Vous avez vu que c’était quand même un espace assez important et donc, après les événements, ça a été occupé par une sorte de home d’enfants, d’accueil d’enfants rescapés. Et il y a d’ailleurs tout un ensemble de pièces et d’échange de courriers qui se trouvent dans le dossier sur, et d’ailleurs un rapport de longue réunion pour savoir qui a le droit, est-ce que c’est l’évêché qui a le droit de dire l’affectation, de décider de l’affectation du couvent ou bien est-ce que c’est la congrégation. Il y a tout un litige qui a tourné durant une certaine période sur cette question-là.

Le Président : Oui ?

Me. VERGAUWEN : Monsieur le président, le témoin pourrait-il bien nous confirmer, parce que cela me paraît important, que c’est bien sœur Gertrude qui a donné l’autorisation à Terres des Hommes et je cite la lettre qu’elle leur a adressée le 23 octobre 1994, qui est au dossier : « Je reçois votre fax du 22 et vous marque notre accord pour mettre à votre disposition notre monastère de Sovu en vue d’accueillir les enfants non accompagnés ou orphelins de Butare ».

Damien VANDERMEERSCH : Tout à fait, il faut savoir qu’à ce moment-là il n’y avait plus de sœurs du tout, donc, le couvent était complètement abandonné. Et donc, effectivement, il résulte tout à fait qu’une autorisation qu’on a qualifiée après à titre précaire, enfin peu importe, là, je vous dis franchement que je ne suis pas rentré dans… parce que cela ne me semblait pas en lien direct avec les faits, mais donc effectivement, l’autorisation, comme ça s’est passé, je dirais, par rapport à beaucoup de bâtiments abandonnés, d’ailleurs les maisons privées aussi, donc des personnes disparues, souvent les autorités ou d’autres personnes autorisaient d’occuper. Et je dois vous dire, juste après les événements, c’était effectivement une nécessité pour, je veux dire, il y avait beaucoup d’organismes qui avaient besoin de locaux qui étaient quand même plus ou moins encore en bon état et donc, c’étaient des demandes, je veux dire, qui se sont passées à différents, ce n’était pas une demande unique.

Me. VERGAUWEN : C’était donc bien avant le retour des sœurs…

Damien VANDERMEERSCH : Tout à fait. Tout à fait. Et le retour des deux sœurs posait d’ailleurs comme question le fait que deux sœurs revenaient dans un bâtiment qui était occupé par d’autres personnes, et de là, naissait un peu, effectivement, un conflit, enfin le problème de savoir que les sœurs pouvaient occuper le couvent et qui pouvait décider quoi. Il y a eu toute une discussion à ce sujet-là.

Le Président : Une autre question ? Oui, Maître CUYKENS.

Me. CUYKENS : Monsieur le président, j’ai entendu tout à l’heure Monsieur le juge d’instruction dire quelque chose à propos des commissions rogatoires que je n’avais pas entendu lors de son exposé général. Est-ce qu’il peut nous confirmer que, lui et les enquêteurs, lorsqu’ils se déplaçaient de Butare à Kigali, étaient arrêtés à des barrages ? J’ai bien entendu ?

Damien VANDERMEERSCH : Oui, tout à fait, donc, en… je parle en 1995. Et d’ailleurs, c’est relaté dans les commissions rogatoires, principalement dans la première, parce que c’est quelque chose qui nous a frappés, en disant qu’on a, je me souviens que dans une des commissions rogatoires on a parlé notamment de près de huit ou neuf contrôles. Et c’est quelque chose qu’on a tout à fait mis dans notre commission rogatoire parce que c’est quelque chose auquel on n’était pas tellement habitué et donc, qui était, semble-t-il, dans les mœurs rwandaises et donc, là, parce que… bien entendu, pas le même type de barrières que ce qu’on a dit, mais l’usage, le fait de faire des barrières de contrôle c’est quelque chose qui, même peut-être encore aujourd’hui au Rwanda, peut exister à l’entrée d’une ville. Mais là, c’était effectivement pour des raisons de contrôle des mouvements, donc, on devait effectivement passer par plusieurs barrières, enfin barrière, c’est un petit fil qu’on tend, un petit fil corde, ce ne sont pas des barrières nadars, je précise, c’est une petite corde très symbolique qui est simplement tendue entre deux chaises et qu’on dépose et qu’on retend.

Me. CUYKENS : Je vous remercie.

Le Président : D’autres questions ? S’il n’y a plus de questions, les parties sont-elles d’accord pour que les témoins se retirent ? Alors, Monsieur le juge d’instruction, Monsieur STASSIN, Monsieur DELVAUX, même double question. Est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler ? Persistez-vous dans vos déclarations ?

Damien VANDERMEERSCH : Oui, Monsieur le président.

André DELVAUX : Oui, Monsieur le président.

Michel STASSIN : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Je vous remercie. Vous restez encore à la disposition de la Cour mais il n’y a plus de programmation dans l’immédiat en tout cas.

Damien VANDERMEERSCH : C’est peut-être encore pire !

Le Président : Oui, c’est peut-être pire ! Bien. Nous allons… il y a Monsieur le témoin 19 qui est présent. C’est quelqu’un qui est cité par Monsieur l’avocat général mais à la demande, je crois, de la défense de je ne sais pas qui, la défense de sœur Gertrude ou des deux sœurs ? Oui. Alors, le problème est de savoi,r parce qu’il n’y a pas d’audition de cette personne au dossier, si c’est une audition qui va être longue ou pas ? Je ne sais pas, je vous écoute.

Me. VANDERBECK : …texte par rapport auquel une seule… l’une ou l’autre toute petite question qu’on voudrait poser, Monsieur le président, je ne pense pas que ce sera très long.

Le Président : Bien. On a le choix : ou bien on suspend maintenant, ou bien on l’entend maintenant ?

Me. VANDERBECK : Mais, pour répondre, enfin peut-être pour anticiper sur votre décision, je pense que Maître VERGAUWEN et moi-même souhaitons faire un mini-commentaire par rapport aux témoignages des témoins qui viennent de nous quitter, donc peut-être…

Le Président : Oui, alors, vous avez la parole pour le commentaire.

Me. VERGAUWEN : Je vais commencer par mon premier commentaire, je vous remercie, Monsieur le président. A propos donc, Mesdames et Messieurs les jurés, de Monsieur le témoin 151. Monsieur STASSIN a rencontré Monsieur le témoin 151, le 3 mars 2000. Monsieur le témoin 151 était ex-conseiller de secteur à Sovu. Ce monsieur est en liberté mais lorsque vous prendrez connaissance de la déclaration de Monsieur REKERAHO devant Monsieur TREMBLAY, vous constaterez que Monsieur REKERAHO dit de lui - ce monsieur qui va venir témoigner et qui est en liberté - vous constaterez que Monsieur REKERAHO dit de lui qu’il donnait des directives aux Interahamwe et concernant le massacre de Sovu du 22 avril, Monsieur REKERAHO dit de lui qu’il supervisait ces massacres et qu’il s’assurait que le plan d’action était bien suivi. Je vous remercie.

Le Président : D’autres remarques ?

Me. VANDERBECK : Très brièvement, Monsieur le président. Pour en revenir à cette notion d’inculpation, rassurez-vous, je ne vais pas faire un grand cours, juste un tout petit commentaire et je me base sur des écrits, et plus particulièrement un extrait de l’ouvrage des professeurs BOSLY et VANDERMEERSCH qui vient de nous quitter à l’instant, qui nous définit la notion d’inculpé. Je sais que le jury, ce ne sont pas des juristes et ils ne savent pas nécessairement ce que c’est un inculpé : « La personne contre laquelle il existe des indices sérieux de culpabilité ». Cette appréciation relève du juge d’instruction, ce n’est pas nécessairement la personne contre laquelle un mandat d’arrêt doit, ou non, être décerné. Et quant au moment de l’inculpation, ces mêmes professeurs VANDERMEERSCH et BOSLY nous disent : « Théoriquement, le juge d’instruction doit procéder à l’inculpation d’une personne dès le moment où il constate l’existence d’indices sérieux de culpabilité à sa charge ». Pour être très précis, je précise que cette définition qui est donnée est postérieure à la réforme dite Franchimont, c’est-à-dire qu’il y a une modification dans certaines notions du Code d’instruction criminelle en 1998 et qu’avant, il n’y avait tout simplement pas de définition légale de ce qu’était un inculpé. Voilà.

Le Président : Bien. Alors, nous entendons Monsieur le témoin 19 maintenant ? On ne reprendra pas à 1h30 de toute façon, puisqu’il est déjà 13h18, on reprendrait vers 14h30 sans doute cet après-midi. Notamment, Madame le témoin 44 qui était prévue ce matin est rentrée, je crois, et reviendra avec les autres témoins. Elle est peut-être déjà revenue. Donc, on ne reprendra pas avant 14h30. Alors, faisons venir peut-être Monsieur le témoin 19 et puis nous suspendrons l’audience.