assises rwanda 2001
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Instruction d’audience C. Mukangango, « sœur Gertrude » et J. Mukabutera, « sœur Kizito » Audition témoins compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience C. Mukangango, « sœur Gertrude » et J. Mukabutera, « sœur Kizito » > Audition témoins > R. Tremblay
1. le témoin 19 2. M.le témoin 44 3. R. Tremblay 4. le témoin 110 5. le témoin 38 6. le témoin 72 7. le témoin 101 8. le témoin 79 9. le témoin 138 10. le témoin 57 11. le témoin 2 12. le témoin 66 13. le témoin 71 14. le témoin 64 15. le témoin 81 16. le témoin 151 17. le témoin 115 18. le témoin 136 19. le témoin 7 20. le témoin 75 21. le témoin 82 22. le témoin 80 23. le témoin 99 24. le témoin 152 25. le témoin 78 26. Commentaires sur textes rédigés à Maredret 27. le témoin 95 28. le témoin 133 et commentaires de défense 29. le témoin 74 30. le témoin 70 31. le témoin 20 32. le témoin 60 33. le témoin 17 34. le témoin 49 35. le témoin 127 36. le témoin 47 37. le témoin 46 38. le témoin 147 39. le témoin 51 40. A. JANSSENS 41. le témoin 48 42. le témoin 145 43. G. Dupuis
 

8.6.3. Audition des témoins: Réjean TREMBLAY

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Bien. Avant que nous n’entendions le prochain témoin, Monsieur TREMBLAY, à propos du mensonge dont il a été question hier, et j’ai donné l’explication qu’un accusé avait le droit de mentir, si c’est un droit, ça ne veut pas dire qu’il exerce ce droit, hein. Je tiens à apporter cette précision. Alors Monsieur TREMBLAY peut… peut approcher.

Ah oui, il semble aussi que des copies de traductions ou des traductions n’avaient pas été reçues par certaines des parties. Les pièces sont traduites, je pense qu’on vous les… elles sont distribuées, donc les traductions sont jointes au dossier.

Et nous nous enquérons du point de savoir si deux témoins qui devaient se présenter hier et n’étaient pas là, le témoin 105 et le témoin 89, avaient bien été, ou non, touchés et si on peut éventuellement les faire venir le 18, en fin de matinée, ou en début d’après-midi.

Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?

Réjean TREMBLAY : TREMBLAY Réjean.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

Réjean TREMBLAY : 54 ans.

Le Président : Quelle est votre profession ?

Réjean TREMBLAY : Enquêteur au Tribunal international pour le Rwanda, Monsieur le président.

Le Président : Quelle est votre commune de résidence ou de domicile.

Réjean TREMBLAY : Québec, province de Québec, Canada.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés, Monsieur NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO, Madame MUKANGANGO et Madame MUKABUTERA, avant le mois d'avril 1994 ?

Réjean TREMBLAY : D’aucune façon, Monsieur le président.

Le Président : Etes-vous de la famille des accusés ou des parties civiles ?

Réjean TREMBLAY : Non, Monsieur le président.

Le Président : Etes-vous attaché au service, travaillez-vous sous un lien de contrat de travail, avec les accusés ou les parties civiles ?

Réjean TREMBLAY : Non, Monsieur le président.

Le Président : Je vais vous demander, Monsieur TREMBLAY, de bien vouloir lever la main droite et de prononcer le serment de témoin.

Réjean TREMBLAY : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir.

Réjean TREMBLAY : Merci, Monsieur le président.

Le Président : Monsieur TREMBLAY, en votre qualité d’enquêteur pour le Tribunal pénal international, vous avez, au mois de février 1999, procédé à l’audition, notamment, de Monsieur REKERAHO Emmanuel.

Réjean TREMBLAY : C’est exact, Monsieur le président.

Le Président : Euh… Cette audition s’est faite à l’auditorat militaire de Kigali.

Réjean TREMBLAY : C’est exact, Monsieur le président.

Le Président : Vous avez averti Monsieur REKERAHO de votre qualité d’enquêteur auprès du Tribunal pénal international.

Réjean TREMBLAY : Oui, Monsieur le président. C’est exact.

Le Président : Et vous l’avez informé de ce qu’il pouvait être… qu’il deviendrait… qu’il pouvait devenir un accusé et un témoin à charge, pour ce Tribunal pénal international.

Réjean TREMBLAY : C’est exact, Monsieur le président.

Le Président : Monsieur REKERAHO vous a fait une très longue déclaration dont nous avons, dans notre dossier, une trace manuscrite. Cette déclaration a-t-elle été, comme c’est le cas pour d’autres déclarations du TPIR, enregistrée ?

Réjean TREMBLAY : Cette déclaration fut enregistrée mais pas comme accusé, mais comme témoin, tout simplement. Donc, ça ne… ça n’était pas en vertu des règles des articles 40 et suivants du TPIR et ce n’était tout simplement qu’un enregistrement informel, si on peut s’exprimer ainsi.

Le Président : Monsieur REKERAHO s’est-il exprimé en français avec vous ?

Réjean TREMBLAY : Selon les règles du TPIR, nous utilisons toujours les services d’un interprète afin de s’assurer que, le ou les témoins, comprennent bien le sens de nos questions. Dans le cas de Monsieur REKERAHO Emmanuel, nous avons utilisé les services d’un interprète, Monsieur Jean-Marie GATABAZI.

Le Président : Il s’était donc exprimé en Kinyarwanda ?

Réjean TREMBLAY : Oui. Monsieur REKERAHO pouvait s’exprimer en français, cependant, dans le cadre de nos entrevues, comme je viens de vous le mentionner, on… je posais les questions en français mais elles lui étaient transmises en Kinyarwanda afin de s’assurer qu’il en comprenait bien le sens.

Le Président : Et il vous répondait en Kinyarwanda ou en français ?

Réjean TREMBLAY : Il répondait plus souvent qu’autrement en Kinyarwanda, et l’interprète nous retransmettait, en français, la réponse.

Le Président : Pouvez-vous résumer le contenu de la déclaration que vous a faite Monsieur REKERAHO ? Plus particulièrement, ce qui concerne les événements qui sont survenus à Sovu mais pas seulement, je dirais, à partir du 22 avril, car il semble que Monsieur REKERAHO avait eu des contacts avec sœur Gertrude et avec sœur Kizito, avant le 22 avril 1994.

Réjean TREMBLAY : Oui, c’est exact, Monsieur le président. Si vous me le permettez, les autorités du TPIR nous ont mandatés, mon collègue Martin SETCHEU et moi, à faire enquête dans le dossier du monastère de Sovu, les événements qui se sont produits les 22, 23 et 24 avril 1994 et sur les lourdes présomptions de participation au génocide, des sœurs Gertrude et Kizito. Donc, à compter du 16 novembre 19… 98, pardon, nous avons commencé notre enquête qui nous a conduits à rencontrer plusieurs témoins. Nous avons rencontré des témoins euh… religieux, c’est-à-dire des religieuses qui étaient sœurs, qui étaient à l’intérieur du monastère de Sovu, lors des événements. Nous avons également rencontré des témoins, des témoins euh… survivants, des rescapés des massacres survenus à Sovu, aux dates précitées. Et nous avons également identifié, à l’intérieur même de ce… de tous ces témoignages, des individus qui auraient pu participer aux massacres, c’est-à-dire des gens qu’on pourrait qualifier de génocidaires. Et ce sont l’analyse, c’est l’analyse de tous ces témoignages-là qui nous a conduits… qui nous ont conduits, bien sûr, à Monsieur REKERAHO Emmanuel, à compter du 9 février 1999.

Lorsque nous avons rencontré Monsieur REKERAHO à l’auditorat militaire, ce dernier niait catégoriquement toute participation au génocide, de quelque façon que ce soit, se limitant à dire qu’il était responsable de la défense civile.

Nous avons invité Monsieur REKERAHO Emmanuel à réfléchir et que nous étions disposés à le rencontrer à nouveau pour discuter des faits et des événements. Nous avons rencontré, dans les jours et les semaines qui ont suivi, Monsieur REKERAHO. Il maintenait toujours euh… sa non-participation aux massacres malgré le fait qu’il était mentionné dans presque tous les témoignages incluant d’autres personnes qui ont collaboré avec lui, qui ont travaillé avec lui à Sovu en 1994.

Nous sommes en mars. Je reçois un document. Et avec mon collègue nous en prenons connaissance. C’est un document écrit par sœur Gertrude et qui est adressé au père KULEN ou CULLEN, et qui vient appuyer sa demande d’asile politique en Belgique. Lorsque nous prenons connaissance de ce document-là, mon collègue et moi, nous nous rendons compte que c’est tout à fait contraire à tous les témoignages recueillis jusqu’à ce jour. Nous prenons la décision de retourner voir Monsieur REKERAHO Emmanuel à l’auditorat militaire de Kigali, car c’est le seul endroit où nous pouvions le rencontrer.

Nous avons rencontré Monsieur REKERAHO fin mars et… 99, bien sûr, et nous l’avons informé des… des faits relatés par sœur Gertrude dans cet écrit. Nous lui en avons fait la traduction par l’entremise d’un interprète officiel du TPIR, Monsieur Jean-Marie GATABAZI. Et à la lecture de ce document, Monsieur REKERAHO a hoché la tête et d’un signe de la tête, a été en désaccord total avec les prétentions de sœur Gertrude. Il est devenu quelque peu agressif, prétextant que ce qui était écrit dans ce document-là était des mensonges et que ce n’était pas la vérité. Nous avons demandé à Monsieur REKERAHO s’il était disposé à reconsidérer sa position et s’il était maintenant disponible à relater les faits tels qu’ils s’étaient produits et tels que relatés par de nombreux témoins. Jusqu’à ce jour, nous en avions une vingtaine, tant des témoins provenant des religieuses de la communauté des sœurs bénédictines de Sovu, tant des rescapés de Sovu et tant de certaines personnes détenues et qui ont plaidé coupable au crime de génocide, devant la justice rwandaise.

Nous avons revu Monsieur REKERAHO vers la mi-avril, je crois que c’est vers le 11 avril. Et Monsieur REKERAHO nous a montré un petit… petit document, des feuilles de papier sur lesquelles il avait commencé à écrire ce qui s’était passé à l’époque. J’ai le document en ma possession, si la Cour veut en disposer, je suis prêt à lui… à leur remettre. Ce petit document était écrit en Kinyarwanda. Nous avons demandé, mon collègue et moi, à notre interprète, Monsieur Jean-Marie GATABAZI, de nous traduire, sur-le-champ, le contenu de ces écrits. Et c’est comme ça que Monsieur REKERAHO… après avoir entendu la traduction de ce document-là, nous avons demandé à Monsieur REKERAHO s’il était disposé à collaborer avec le TPIR, à plaider coupable aux accusations de génocide et à devenir un témoin à charge, non seulement dans le dossier de Sovu, mais dans tous les autres dossiers dans lesquels il a été impliqué, incluant les événements de Gihindamuyaga, monastère. Il a accepté. Et c’est comme ça que nous avons commencé à faire le récit, le long récit de cette déclaration que vous détenez et qui fut le reflet des événements qui se sont produits à Sovu.

Pour en faire un résumé tel que vous me le demandez, je ne voudrais pas, euh… en oublier des passages très importants, Monsieur le président, mais permettez-moi de vous dire que monsieur REKERAHO, dans sa… dans sa déposition, fait état comment on lui a présenté sœurs Gertrude et Kizito, qu’il rencontrait ces dernières chez un dénommé RUSANGANWA Gaspard qui est un ex-religieux, sauf erreur de ma part, qui avait la confiance totale des sœurs Gertrude et Kizito, toujours selon les dires de l’adjudant REKERAHO Emmanuel. Il a relaté, dans cette déposition, qu’il rencontra, avant bien sûr les événements du 21… du 22, 23 et 24 avril 94, qu’il rencontra régulièrement sœurs Gertrude et Kizito au domicile de RUSANGANWA Gaspard.

Dans les jours qui ont suivi la mort du président HABYARIMANA Juvénal, les choses ont commencé à changer à Butare, dans la préfecture de Butare. Il en était de même à Sovu. Il y a eu le discours du président SINDIKUBWABO, le 19 avril 1994. Et dans ce discours-là, le président reprochait à la population de Butare qui inclut bien sûr Sovu, de ne pas… d’agir comme des gens non-concernés et qu’ils devaient s’impliquer. Ces propos-là furent rendus, furent révélés à sœurs Gertrude et Kizito par RUSANGANWA Gaspard. Le soir-même du discours, soit le 19 avril, bien sûr en présence des sœurs Gertrude et Kizito, toujours selon la version de Monsieur REKERAHO Emmanuel, ce soir-là - quand j’utilise le soir, c’est que c’était après 18h00, donc, à la tombée de la nuit, au Rwanda - sœur Gertrude a manifesté son inquiétude, semble-t-il, face aux nombreux réfugiés qui se trouvaient dans le monastère. Elle prétendait, toujours selon les dires de Monsieur REKERAHO, que sa vie était en danger et qu’on la retrouverait morte, étranglée. RUSANGANWA Gaspard et REKERAHO Emmanuel ont rassuré sœur Gertrude, qu’ils étaient là et qu’ils la protégeraient, elle, sœur Kizito et toutes les autres sœurs. Je précise en passant que Monsieur REKERAHO vouait quand même une très grande admiration envers les… les sœurs de Sovu et que pour lui, les protéger, c’était… c’était un devoir, comme il nous l’a dit.

Suite au discours du président et à l’annonce faite à sœurs Gertrude et Kizito, semble-t-il, RUSANGANWA Gaspard et REKERAHO Emmanuel avaient reçu antérieurement des véhicules de la part de sœurs Gertrude et Kizito, de sœur Gertrude pardon. Pour Monsieur REKERAHO, c’était un véhicule ambulance et pour Monsieur RUSANGANWA Gaspard, sauf erreur de ma part, je crois que c’était une Volkswagen qui nous a été identifiée par Monsieur REKERAHO. Donc, ils avaient ces véhicules-là à leur disposition de manière à intervenir le plus rapidement possible dans le cas où il y aurait une attaque des Interahamwe, des miliciens, au monastère de Sovu. C’est les raisons qui nous ont été formulées.

Dans les jours qui ont suivi le discours du président SINDIKUBWABO, la tension montait à Butare et les maisons… des maisons étaient incendiées, des gens avaient commencé à être tués. Donc, les… la population Tutsi a commencé à fuir et plusieurs milliers de personnes se sont réfugiées au centre de santé qui est à quelques mètres du monastère de Sovu, et ont été encerclées par les Interahamwe dont le chef était REKERAHO Emmanuel. Il le reconnaît formellement dans sa déposition. Il était accompagné de… d’autres acolytes dont il fait mention dans sa déposition, je pense à KAMANAYO Jean-Baptiste, je pense à GATAYO, je pense à NIONDO, je pense également à un dénommé le témoin 151. Et tous ces gens-là étaient présents lorsque la population de Sovu, qui est rassemblée au monastère de ce nom, attend, attend les événements.

Monsieur REKERAHO Emmanuel nous confie qu’il a rencontré des militaires, le 21 avril 94, dans la soirée, vers les 18h00-18h30-19h00 et qu’il fut décidé que le lendemain matin, soit le 22 avril 94, il passerait à l’attaque, c’est-à-dire qu’il exterminerait les Tutsi rassemblés au monastère de Sovu, au centre de Sovu, au dispensaire. Si vous avez pris connaissance des lieux, à l’aide de photos, ce sont… c’est très près l’un de l’autre. Donc, il y avait beaucoup de monde à ce moment-là. Certains avaient réussi à entrer à l’intérieur de la cour en franchissant des barrières parce que le portail était fermé mais on avait quand même réussi à faire une brèche dans la clôture et on avait réussi à entrer à l’intérieur même de la cour du monastère de Sovu. Monsieur REKERAHO, dans sa déposition, Monsieur le président, nous raconte que, après avoir… s’être entendu avec les militaires dont il ignore d’où venaient les ordres - on lui pose la question : « Est-ce que les ordres venaient du lieutenant-colonel le témoin 151 Tharcisse ? », qui était commandant de place à l’ESO de Butare ;  il répond… il apparaît dans sa déposition qu’il ignore de qui viennent les ordres, mais ils sont formels : le 22 matin, très tôt, l’attaque est prévue pour exterminer les Tutsi rassemblés au centre de santé - le 21 au soir, après avoir… s’être entendu avec les militaires, il se serait rendu au monastère de Sovu avec RUSANGANWA Gaspard afin d’informer sœurs Gertrude et Kizito que l’attaque se produirait tôt, le 22 avril au matin. Par la suite, il aurait quitté le monastère et se serait rendu chez lui.

Le 22 avril au matin, vers les 7h00, selon les dires de Monsieur REKERAHO Emmanuel, il se serait rendu à Sovu où les miliciens sous ses ordres encerclaient toujours les… les réfugiés, les Tutsi en majorité. Et l’attaque a commencé. Toute la journée du 22, l’attaque s’est poursuivie, selon les dires de REKERAHO Emmanuel.

Toujours selon la déposition de l’adjudant REKERAHO Emmanuel, ce dernier s’est absenté. Sous les ordres du lieutenant-colonel le témoin 151 Tharcisse, il se serait rendu avec des militaires, à Gihindamuyaga, au monastère de Gihindamuyaga, qui est situé de l’autre côté du monastère de Sovu, de l’autre côté de la route qui conduit euh… à Gikongoro. Et là, il aurait fait à la demande… il se serait adressé au responsable du monastère de Gihindamuyaga et aurait exigé qu’on lui donne les neuf séminaristes ou novices qui se trouvaient à l’intérieur du monastère. Les responsables du monastère ont obtempéré à l’adjudant REKERAHO et neuf novices furent remis à REKERAHO et aux militaires. Ils furent identifiés à l’aide des cartes d’identités et toutes celles sur laquelle apparaissait l’inscription « Tutsi » furent remises aux militaires. Il y en avait deux qui possédaient des cartes d’identification Tutsi, qui furent remis aux militaires.

Toujours selon l’adjudant REKERAHO, un, parmi les neuf est venu lui dire à l’oreille : « Je suis Tutsi mais je n’ai pas de carte d’identité ». Pour des raisons inconnues, il aurait eu la vie sauve. REKERAHO ne l’a pas remis aux militaires. Il fut du nombre des sept qui fut retourné au monastère de Gihindamuyaga. Quant aux deux autres, il dit qu’il n’était pas présent lorsqu’ils furent exterminés mais que l’ordre provenant du lieutenant-colonel le témoin 151 Tharcisse était très clair : sa mission était d’aller chercher les Tutsi qui se trouvaient à l’intérieur du monastère de Gihindamuyaga et qu’ils devaient être exterminés. Cependant il prétend ne pas avoir été présent lors de… euh… de cet événement-là et il appris plus tard qu’ils avaient été exterminés dans des lieux inconnus.

Il est revenu au centre de Sovu. Après sa mission à Gihindamuyaga, REKERAHO est venu prendre connaissance si les miliciens avaient bien travaillé, entre guillemets. Des milliers de personnes avaient été massacrées. Vers les 15h30 ou 16h00, selon les témoignages recueillis, les attaques ont cessé ; on a arrêté de tuer.

Mais auparavant, il y a eu, lorsqu’il revient à Sovu, REKERAHO se fait dire… se fait informer par un dénommé NIONDO qui est un génocidaire qui était présent lors des événements, qu’il n’y a plus d’essence. REKERAHO aurait fait part à NIONDO qu’il n’y avait pas de problème, qu’il connaissait quelqu’un qui pouvait l’aider. Et selon toute vraisemblance il aurait envoyé ce NIONDO au monastère de Sovu pour aller chercher de l’essence. Dans sa déposition, l’adjudant REKERAHO prétend que, quelques minutes plus tard, NIONDO est revenu avec de l’essence et qu’il était suivi des sœurs Gertrude et Kizito. La présence des sœurs Gertrude et Kizito est également mentionnée dans d’autres témoignages provenant de rescapés, survivants, qui étaient même à l’intérieur du garage, au centre de santé.

Donc, lorsque REKERAHO nous fait part de ces commentaires-là, ils sont déjà corroborés, c’est-à-dire que la présence de sœur Gertrude et de Kizito sur les lieux-mêmes de l’incendie du garage en question au dispensaire, au centre de santé, est corroborée par d’autres témoignages que nous avions recueillis antérieurement. Il y a eu… euh… on a répandu l’essence sur les branchages qui avaient été déposés et on a allumé le feu. Dans les minutes qui ont suivi, les effets de l’essence et de la flamme, bien sûr, ont dégagé une fumée intense qui contribuait à faire suffoquer les gens qui étaient à l’intérieur. Et là, on a commencé… les gens ont commencé à crier, à hurler, toujours selon les… la déposition de l’adjudant REKERAHO et certains d’entre eux ont tenté de sortir par une brèche faite dans la porte. Et dès qu’on… dès que ces gens-là sortaient, on les frappait avec des armes traditionnelles, soit des machettes, des houes ou toute autre arme non-identifiée.

C’est un peu comme ça que l’adjudant REKERAHO nous relate l’incendie du garage au dispensaire de Sovu. Plusieurs personnes ont été… ont trouvé la mort. D’autres, par miracle, ont survécu. Vous avez entendu ou vous entendrez leurs témoignages, ultérieurement. Nous avons recueilli ces témoignages-là et c’est ça qui nous permettait de… d’échanger avec l’adjudant REKERAHO. Et dès que celui-ci voulait, pour une raison ou pour une autre, sortir des sentiers battus, si vous me permettez l’expression, nous le ramenions à l’ordre en lui disant : « Est-ce que c’est vraiment comme ça que les événements se sont déroulés ? ». Et plus l’entretien se déroulait et plus l’entretien avec… les échanges avec REKERAHO devenaient humains. Il n’était plus le génocidaire. Il n’était plus l’homme dont on se méfiait, l’homme qui menaçait tout le monde, dans Butare. REKERAHO Emmanuel, l’adjudant, était devenu un homme, un homme repentant, un homme qui regrettait avoir agit ainsi. Il l’a manifesté à deux reprises, en sanglotant, en prétextant qu’ils étaient devenus des bêtes, des animaux. Mais, comme nous le lui disions, nous n’étions pas là pour le juger. Nous étions là pour recueillir les faits, faire la lumière sur les événements.

Il a poursuivi son récit en disant que les massacres se sont poursuivis le 23 avril et que, tout au long de la journée, on a continué à tuer à Sovu. On a tué des milliers de personnes à l’aide de fusils, à l’aide de grenades, à l’aide d’armes traditionnelles. Et qu’on a exterminé jusqu’au dernier, tous ceux et celles qui s’étaient rassemblés à Sovu dans l’espoir d’avoir la vie sauve, dans l’espoir d’avoir de l’aide, ce qu’elles n’ont jamais reçu, toujours selon les témoignages recueillis jusqu’à ce jour.

REKERAHO, lui-même, dans sa déposition, Monsieur le président, reconnaît avoir massacré de ses propres mains plusieurs… plusieurs réfugiés rassemblés à Sovu. Il reconnaît également s’être rendu à l’arrière du dispensaire et y avoir retrouvé des réfugiés qui n’avaient pas encore été éliminés, avoir utilisé une arme traditionnelle et avoir fait lui-même le travail, c’est-à-dire les avoir massacrés. Vous entendrez un témoignage, ultérieurement si vous ne l’avez pas déjà entendu, où on voit REKERAHO revenir à Sovu avec le linge, ses vêtements immaculés de sang et les mains également. Il rencontre RUSANGANWA Gaspard et il rencontre le témoin 151. Il leur demande de l’accompagner au monastère de Sovu, semble-t-il, pour se laver les mains et se désaltérer.

Effectivement, un témoignage corrobore la présence de REKERAHO Emmanuel, de RUREMESHA Jonathan et de MUNVUNYI Jean-Baptiste, qui furent accueillis au monastère de Sovu. REKERAHO Emmanuel aurait demandé à sœur Kizito de lui apporter le nécessaire pour se laver ; elle serait revenue avec un plat d’eau, savon et essuie-mains. On leur aurait offert à boire. Dans le témoignage de Monsieur REKERAHO Emmanuel, qui est corroboré par un autre témoignage, il apparaît qu’on leur a servi du lait et que RUSANGANWA Gaspard aurait pris une Primus, qu’ils auraient échangé des paroles. Un autre fait important qui est également corroboré par un témoignage que cette Cour entendra ultérieurement, euh… l’adjudant REKERAHO se serait approché de sœur Kizito et lui aurait dit à l’oreille : « Sœur Kizito, si j’en avais le pouvoir, c’est toi que je nommerais directrice de ce couvent ». Suite à cette rencontre, après s’être désaltéré et lavé les mains, le trio aurait quitté les lieux. Je pense que le témoin 151 aurait même quitté avant, avec réserve.

Le 24, les massacres se sont poursuivis ou ce qui en restait, et on continuait d’enterrer les morts. Il semblerait également que REKERAHO Emmanuel aurait reçu une somme de 100.000 francs rwandais de la part de sœur Gertrude afin de payer les gens qui avaient ou qui finissaient d’enterrer les cadavres suite aux massacres du 22 et du 23 avril 94. 10.000 francs à… REKERAHO Emmanuel aurait gardé 10.000 francs pour se désaltérer avec ses amis et 90.000 francs rwandais auraient été distribués parmi ceux qui accomplissaient le travail, à savoir enterrer les cadavres sur le site de Sovu.

Dans les jours qui ont suivi, la tension montait toujours au monastère de Sovu. Bien sûr, il y avait toujours des réfugiés à l’intérieur. Il y avait les familles des sœurs. Il y avait beaucoup de monde encore à l’intérieur. Il y avait également les séminaristes ou des gens qui étaient en cours de formation ou en session d’étude, à Sovu. REKERAHO Emmanuel, dans son récit, fait également part que les sœurs ont quitté Sovu à destination de Goma ou de Butare et que, lorsqu’il en fut informé, il fut très choqué. Lorsqu’il arriva au… au monastère de Sovu, une sœur l’aurait reçu - il ignore le nom, une sœur, une religieuse âgée, selon ses termes employés - et c’est elle qui l’aurait informé du départ des… des sœurs. Avec RUSANGANWA Gaspard, ils se seraient dirigés à Butare ou dans les agglomérations de Butare, pour localiser sœurs Gertrude, Kizito et les autres. Effectivement, avec l’aide de RUSANGANWA Gaspard, ils ont communiqué par téléphone, ils ont rejoint sœur Gertrude et après discussion, toujours selon les prétentions de REKERAHO Emmanuel, sœur Gertrude aurait mentionné qu’elle avait commis une erreur et qu’elle serait de retour à Sovu vers les 18h00. L’adjudant REKERAHO aurait informé RUSANGANWA de cette communication téléphonique avec sœur Gertrude, de cette conversation. RUSANGANWA Gaspard aurait également conversé par téléphone avec sœur Gertrude et celle-ci aurait rassuré RUSANGANWA qu’elle serait bien de retour à 18h00, au monastère de Sovu.

Et effectivement, le groupe qui avait quitté Sovu était revenu au monastère vers les heures mentionnées. REKERAHO Emmanuel s’est présenté à Sovu. Et là, il aurait manifesté sa grande déception. Il était même colérique, à ses dires. Il était vraiment choqué de l’attitude des sœurs. Il en aurait fait la remarque d’ailleurs à sœur Kizito, en lui disant : « Toi, ma sœur, toi qui es notre sœur, pourquoi as-tu agi ainsi, pourquoi as-tu quitté Sovu ? ». Vous retrouverez les paroles précises, Monsieur le président, dans la déclaration.

Et par la suite, dans les jours qui ont suivi, REKERAHO Emmanuel, le chef des miliciens, raconte que sœur Gertrude lui demandait régulièrement de venir chercher les réfugiés, qu’elle ne pouvait pas les nourrir, que le monastère de Sovu n’était pas un lieu pour eux. REKERAHO Emmanuel prétend, toujours dans sa déposition, avoir refusé, ne pas avoir acquiescé à la demande de sœur Gertrude, ce qui, au fil des jours, a créé un certain froid entre les deux. Mais REKERAHO a toujours maintenu qu’il ne voulait pas que ces réfugiés-là, notamment les familles des sœurs, puissent être exterminés. Il est revenu à Sovu. Ils ont fait sortir tous les réfugiés, ils ont identifié les Tutsi, les Hutu, notamment parmi les séminaristes qui étaient présents à Sovu, et semble-t-il, les Hutu ont été mis de côté, à l’écart et les Tutsi ont été remis aux miliciens qui attendaient au portail et ils n’ont jamais été revus, c’est-à-dire qu’ils auraient été exterminés.

Quant aux familles des sœurs, REKERAHO a toujours maintenu sa position, à savoir qu’il se refusait systématiquement que ces gens-là soient tués. Il aurait même mentionné en la présence des sœurs dont nous avons de nombreux témoignages, il aurait dit ceci, en termes plus ou moins précis : « Ce ne sont pas eux qui vont gouverner le pays demain, donc, je n’ai pas intérêt, même si j’en ai le pouvoir, de les tuer », parce que REKERAHO a mentionné en présence des sœurs de Sovu, des sœurs bénédictines de Sovu, qu’il avait le pouvoir de tuer quiconque mais qu’il ne le ferait pas. Il parlait, bien sûr, des familles des sœurs. Il parlait également des sœurs. Tel que je l’ai mentionné antérieurement dans mon témoignage, au tout début de ce témoignage, REKERAHO semblait vouer une admiration sans borne aux sœurs de Sovu et les propos tenus par sœur Gertrude dans le document qui appuyait sa demande d’asile politique en 95 et qui fut relu intégralement à REKERAHO, fut l’élément déclencheur pour lequel l’adjudant REKERAHO a décidé, vous m’excuserez de l’expression, de se mettre à table, c’est-à-dire d’avouer sa participation, de relater les événements tels qu’ils se sont produits et qui sont corroborés par l’ensemble des témoignages recueillis.

Donc, les familles des sœurs étaient toujours au petit séminaire… au… au monastère de Sovu, pardon, et sœur Gertrude demandait toujours à REKERAHO d’intervenir afin que celles-ci soient expulsées du monastère. A un certain moment donné, REKERAHO raconte qu’il s’est rendu au monastère de Sovu avec RUSANGANWA Gaspard et qu’à ce moment-là, sœur Gertrude lui aurait exhibé, lui aurait montré, un document, une lettre adressée au bourgmestre, qui demandait à ce dernier de prendre les dispositions nécessaires pour venir chercher les réfugiés au monastère de Sovu, plus précisément les familles des sœurs. Nous sommes… le document est daté du 5 mai 1994. REKERAHO n’était pas d’accord avec ça et il aurait précisé à sœur Gertrude : « Si le bourgmestre vient chercher les réfugiés, où va-t-il les envoyer ? Il y a que de l’insécurité dans le pays. Où vont-ils aller ? ». Donc, il était très clair que REKERAHO savait que ces gens-là couraient à la mort. Le 6 mai 94, selon les témoignages recueillis, REKERAHO était absent, le bourgmestre est… Jonathan, RUREMESHA Jonathan, est venu au monastère de Sovu et a pris charge de… des familles des sœurs dont la totalité, je crois, ont trouvé la mort, soit aux abords du monastère ou à l’arrière du monastère mais dans les alentours du monastère de Sovu, le 6 mai 1994. REKERAHO Emmanuel raconte dans sa déposition qu’il en fut informé par RUREMESHA Jonathan beaucoup plus tard.

Dans les semaines qui ont suivi le massacre du 22 et du 23 avril 94, REKERAHO se rendait régulièrement au monastère afin de s’assurer que tout allait bien pour les sœurs de Sovu. Afin d’augmenter la sécurité au monastère de Sovu, il aurait planifié l’installation de la Croix-Rouge à Sovu, vers le 30 mai. Ceux-ci seraient demeurés à Sovu jusque vers le 29 ou le 30 juin 1994. REKERAHO Emmanuel explique dans sa déposition qu’il le fait justement pour apporter encore plus de sécurité au monastère de Sovu et aux sœurs qui l’habitent. Il précise dans sa… dans sa déposition, qu’il n’y avait aucun danger pour la sécurité des sœurs Gertrude et Kizito et même des autres sœurs, tant et aussi longtemps qu’il était le chef des Interahamwe, miliciens ; entre parenthèses, il s’assurait de faire tout en son pouvoir pour assurer la sécurité du monastère de Sovu. Et effectivement, durant la présence des membres de la Croix-Rouge, il y a eu un incident où certains miliciens qui avaient participé aux massacres du 22 et 23 avril 94, ont tenté de s’en prendre à certains membres de la Croix-Rouge que l’on avait identifiés d’ethnie Tutsi. REKERAHO fut informé de cet événement-là, il s’est rendu sur les lieux, aurait menacé de son arme à feu, les miliciens et aurait ordonné à ces derniers de quitter les lieux et de ne plus jamais y revenir, tel qu’il l’avait ordonné antérieurement, soit après le 22 et 23 avril 94.

Voilà, Monsieur le président, et lorsqu’il est arrivé l’évacuation, c’est encore REKERAHO qui aurait, toujours selon ses prétentions, tel qu’il apparaît dans sa déposition du 7 juin 1999, qu’il a, lui-même, procédé à l’évacuation des sœurs et des pères du monastère de Gihindamuyaga ; il les a conduits à Butare. Sœurs Gertrude et Kizito lui auraient manifesté leur reconnaissance, l’auraient embrassé à la méthode rwandaise, à savoir des baisers sur les joues à trois reprises, et que c’est la dernière fois qu’il aurait vu les sœurs de Sovu. Il a toujours prétendu que celles-ci n’avaient jamais été en danger - je pense que c’est le dernier paragraphe de sa déposition - et que les sœurs Gertrude et Kizito, tout au long des événements, savaient ce qu’il était pour se produire le 22 et le 23 avril puisqu’elles en avaient été informées lors de la réunion chez RUSANGANWA Gaspard le… précédemment et informées de l’attaque, le 21 au soir, par REKERAHO Emmanuel.

Voilà, Monsieur le président, en résumé. J’ai pu omettre involontairement certains détails de la déclaration mais vous comprendrez qu’une déposition de 50 et quelques pages, je ne peux qu’avoir des passages les plus pertinents et les plus importants, à mon avis.

Le Président : Je vais vous demander quelques précisions après ce long exposé.

Réjean TREMBLAY : Allez, Monsieur le président.

Le Président : Notamment, vous avez exposé que Monsieur REKERAHO déclarait avoir rencontré sœur Gertrude et sœur Kizito chez Monsieur Gaspard RUSANGANWA, bien avant le 22 avril…

Réjean TREMBLAY : Oui. Dans sa déposition, Monsieur le président, l’adjudant REKERAHO mentionne qu’on lui a présenté, qu’on lui aurait présenté, c’est un dénommé CASSIDO, je crois, qui aurait présenté sœurs Gertrude et Kizito, euh… vers le mois de janvier 1994.

Le Président : Alors, il semble bien que sœur Kizito, sœur Gertrude, Gaspard et Monsieur REKERAHO, lorsqu’ils se rencontraient, discutaient de la situation du pays.

Réjean TREMBLAY : Oui. A l’intérieur même de la déposition de l’adjudant REKERAHO, ce dernier mentionne qu’ils discutaient de la situation politique et que même sœur Gertrude aurait mentionné à un certain moment donné, qu’elle était en désaccord avec la nomination du premier ministre, Madame Agathe, et qu’elle préférait la nomination d’un autre, d’une autre personne, qu’elle… qu’elle jugeait Madame Agathe euh… de hautaine et qu’elle ne rassemblait pas les qualités pour occuper une telle fonction. On discutait également des accords d’Arusha et c’est un peu ce que l’adjudant REKERAHO raconte lorsque ces gens-là se rencontraient au domicile de RUSANGANWA Gaspard et il mentionne également de quelle façon sœurs Gertrude et Kizito… le sentier qu’ils utilisaient par rapport au monastère de Sovu, pour se rendre à la maison de RUSANGANWA Gaspard qui était à… à quelques mètres, 200 mètres peut-être, ou 300 mètres du monastère.

Le Président : Monsieur REKERAHO dit avoir bénéficié de… d’un véhicule de la part de sœur Gertrude, hein, ce véhicule qui était l’ambulance du centre de santé, un véhicule Toyota en tout cas, de couleur beige, si mes souvenirs sont bons, dans la déclaration de Monsieur REKERAHO. Il situe cela dès le 7 ou 8 avril 1994 ?

Réjean TREMBLAY : C’est exact, Monsieur le président, c’est suite à une rencontre à la maison de RUSANGANWA Gaspard, le 8, je crois, ou le 7 peut-être, que sœur Gertrude, après la rencontre à la maison de RUSANGANWA, ils sont tous partis, les 4, c’est-à-dire sœur Gertrude, sœur Kizito, RUREMESHA Jonathan… RUSANGANWA Gaspard, pardon, et REKERAHO Emmanuel, tous se sont dirigés dans le stationnement. Et c’est à cet endroit-là bien précis que sœur Gertrude aurait remis les clés de la voiture ambulance à REKERAHO, qu’il en a pris possession immédiatement. Quant à RUSANGANWA Gaspard, toujours selon les dires de REKERAHO, il aurait reçu les clés mais n’aurait pas disposé de la voiture immédiatement ; c’était un Volkswagen.

Le Président : Dans les discussions, les réunions, les rencontres qu’il y avait entre sœur Gertrude, sœur Kizito, Gaspard et Monsieur REKERAHO, il y a eu, notamment le 19 avril, après le discours du premier ministre intérimaire… pardon, du président intérimaire, Monsieur SINDIKUBWABO, un commentaire qui a été fait de ce discours ?

Réjean TREMBLAY : En fait…

Le Président : Vous ne…

Réjean TREMBLAY : …en fait, lorsque RUSANGANWA Gaspard informe sœurs Gertrude et Kizito des propos tenus par le président, à savoir que le président SINDIKUBWABO, le 19 avril, reprochait à la population de Butare de ne pas être… d’agir comme des gens non-concernés et qu’ils devaient… devaient modifier leur attitude et qu’ils devaient, euh… ils devaient s’en prendre à l’ennemi, ils devaient se défendre contre l’ennemi, ces propos-là ont été rapportés par RUSANGANWA Gaspard à sœurs Gertrude et Kizito en présence de REKERAHO Emmanuel, le soir du 19 avril, c’est-à-dire après le discours du président.

Le Président : Lorsque sœur Gertrude a manifesté des craintes, Monsieur REKERAHO parle-t-il des craintes de sœur Gertrude à l’égard des milices, des militaires, des… des personnes qui pouvaient poursuivre les Tutsi ou des craintes pour sa vie et la vie des sœurs de la communauté, provenant des réfugiés eux-mêmes ?

Réjean TREMBLAY : Selon les propos tenus par l’adjudant REKERAHO, sœur Gertrude aurait manifesté son inquiétude pour sa propre vie en mentionnant qu’elle serait étranglée. Elle parlait, bien sûr, des réfugiés qui étaient au monastère, à ce moment-là. Et elle aurait mentionné dans sa déclaration, dans la déclaration de REKERAHO, elle aurait mentionné qu’on la retrouverait étranglée. Donc, pour répondre à votre question, Monsieur le président, je pense que les propos étaient pour sa propre personne. Monsieur euh… l’adjudant REKERAHO Emmanuel n’a pas mentionné qu’elle s’inquiétait pour la vie des autres sœurs. Les propos étaient visés sur sa personne.

Le Président : Vous avez rappelé qu’à un moment donné, Monsieur REKERAHO a, après le 22, 23 avril, a eu de nouveau des contacts avec sœur Gertrude et sœur Kizito, que sœur Gertrude insistait pour que les réfugiés qui se trouvaient à l’intérieur du couvent soient… soient à tout le moins évacués et que Monsieur REKERAHO en tout cas avait pris la position de dire, en ce qui concerne les familles des sœurs du couvent, qu’il ne voulait pas intervenir et certainement pas les tuer, en expliquant d’ailleurs que c’étaient des personnes qui ne présentaient pas les capacités, parce que c’étaient des vieux ou des enfants qui n’avaient pas les capacités de diriger le pays. Selon le témoignage, enfin, selon ce qu’exposait Monsieur REKERAHO, sauf erreur de ma part, il dit que lorsqu’il a donné ces explications, sœur Kizito et sœur Gertrude étaient présentes ?

Réjean TREMBLAY : Oui. Sœur Gertrude et sœur Kizito étaient présentes, et sœur Gertrude n’était pas contente de la réaction de REKERAHO Emmanuel. Elle… elle aurait souhaité que ce dernier acquiesce à sa demande et qu’elle… et qu’il s’occupe de faire évacuer ces gens-là de son monastère. C’est le sens que REKERAHO Emmanuel nous a donné lors de sa déposition.

Le Président : Vous avez exposé aussi que Monsieur REKERAHO s’est toujours présenté, dans ses déclarations, comme étant le protecteur non seulement de sœur Gertrude et de sœur Kizito mais de l’ensemble de la communauté religieuse de Sovu.

Réjean TREMBLAY : Oui. REKERAHO Emmanuel, tel que je vous l’ai mentionné, Monsieur le président - et c’est ça qui a… qui a… qui lui a fait très mal sur le plan humain - lorsque je vous parlais du document accompagnant la demande d’asile politique, il s’est rendu compte, lorsque ce document lui est traduit en Kinyarwanda, il s’est rendu compte que la reconnaissance qu’il manifestait à l’endroit des sœurs, n’était pas réciproque et que les propos tenus dans ce document-là par sœur Gertrude, n’étaient pas du tout… ne lui étaient pas du tout favorables puisqu’elle lui reprochait d’être le responsable des massacres de Sovu.

Le Président : Vous avez également exposé que Monsieur REKERAHO avait déclaré que, dans le cadre de cette… de ce rôle de protecteur, il avait organisé, vous avez parlé de planifier, l’installation de… d’une équipe de la Croix-Rouge au couvent de Sovu. Monsieur REKERAHO n’a-t-il pas, notamment, précisé que sœur Gertrude pourtant, pour sa part, a refusé que les tentes de la Croix-Rouge, soient installées à l’intérieur de la clôture du couvent et qu’elle a refusé que certaines personnes protégées par la Croix-Rouge, prennent place à l’intérieur du couvent.

Réjean TREMBLAY : C’est exact. Il apparaît, dans la déposition de l’adjudant REKERAHO, les faits que vous venez de relater et qu’il a eu un refus de sœur Gertrude afin de permettre à certains membres de la Croix-Rouge de monter des tentes à l’intérieur de la cour du couvent, du monastère de Sovu. Il… il n’y avait plus de collaboration, si vous me permettez l’expression, entre sœur Gertrude et REKERAHO, dû justement au fait qu’il n’avait pas acquiescé à sa demande. Il le mentionne lui-même : « La situation était devenue, euh… le climat était devenu très, très tendu » et l’attitude des sœurs Gertrude, euh… de sœur Gertrude à son endroit, à son égard, avait radicalement changé.

Le Président : Bien. Les membres du jury, les assesseurs, les parties ont-ils des questions à poser au témoin ? Monsieur le 6e juré.

Le 6e Juré : Merci, Monsieur le président. Vous pouvez demander, euh… oui, qui lui a apporté l’essence pour mettre le feu au hangar ?

Le Président : Alors, selon Monsieur REKERAHO, quelle est la personne qui a amené l’essence pour mettre le feu au garage du centre de santé.

Réjean TREMBLAY : Selon le témoignage de REKERAHO Emmanuel, lorsque ce dernier revient de Gihindamuyaga, du monastère de Gihindamuyaga où il a accompli la mission ordonnée par le lieutenant-colonel le témoin 151, il s’est rendu au centre de santé et là, on l’aurait informé, je crois que c’est NIONDO qui l’aurait informé, qu’il n’avait plus d’essence. REKERAHO aurait mentionné à ce moment-là que ça ne semblait pas être un problème pour lui, qu’il connaissait quelqu’un qui pouvait lui en donner. Il aurait envoyé quelqu’un au monastère, euh… par crainte de me tromper, je ne voudrais pas mentionner le nom, mais je crois, dans la déclaration, c’est peut-être NIONDO qui se serait rendu au monastère pour aller chercher de l’essence. Quelques minutes plus tard, REKERAHO déclare qu’on est revenu avec de l’essence et que sœurs Gertrude et Kizito suivaient derrière. Par contre, nous avons recueilli d’autres témoignages qui euh… qui font état que sœurs Gertrude et Kizito apportaient l’essence elles-mêmes, mais à ce niveau-là, REKERAHO dit que sœurs Gertrude et Kizito suivaient celui qui apportait les bidons d’essence, les jerricanes.

Le Président : D’autres questions ? Madame le 4e juré suppléant.

Le 4e Juré suppléant : Merci, Monsieur le président. Euh… le témoin nous parle d’une lettre écrite par sœur Gertrude qui aurait déclenché la colère de REKERAHO. Mais je ne comprends pas très bien. Est-ce que REKERAHO avait demandé que sœur Gertrude écrive une lettre pour lui ?

Le Président : Oui, donc, euh… le document établi par sœur Gertrude dont vous avez donné connaissance à Monsieur REKERAHO et qui a provoqué, je dirais, comme vous l’avez expliqué, quelque part le revirement de Monsieur REKERAHO dans ses déclarations (auparavant, il ne voulait pas reconnaître sa participation quelconque au génocide). C’est un document établi par sœur Gertrude en Belgique, qui était destiné à obtenir le statut de réfugié politique en Belgique, c’est bien cela ?

Réjean TREMBLAY : C’est exact, Monsieur le président.

Le Président : Et c’est donc parce que dans ce document dont la traduction lui a été donnée en Kinyarwanda, que Monsieur REKERAHO s’est rendu compte que la position qu’avait sœur Gertrude à son égard, n’était certainement pas une position de protection, qu’elle le décrivait comme le responsable des massacres à Sovu et c’est donc ce document, cette traduction qui lui a été faite de ce document qui a provoqué la colère et le revirement de Monsieur REKERAHO ?

Réjean TREMBLAY : C’est exact, Monsieur le président.

Le Président : Ce document étant établi, bien entendu, après les événements de Sovu, hein, c’est pas…

Réjean TREMBLAY : Oui. C’est écrit… ça aurait été écrit en 1995 et adressé au père CULLEN. J’ai le document en ma possession. Si la Cour veut en disposer.

Le Président : Je pense qu’il est au dossier. C’est la… c’est sa version des… des faits.

Réjean TREMBLAY : Voilà.

Le Président : Oui. Madame le 12e juré suppléant.

Le 12e Juré suppléant : Merci, Monsieur le président. J’aurais voulu savoir si, dans l’ensemble des témoignages que le témoin a recueillis, il y a parfois des confusions entre sœur Kizito et une autre sœur ?

Le Président : Oui. Euh… dans les témoignages que vous avez recueillis, pensez-vous qu’il soit possible que les témoins ne se trompent de personne, lorsque ces témoins citent sœur Kizito ?

Réjean TREMBLAY : A notre connaissance personnelle, les enquêteurs qui ont œuvré dans ce dossier, que ce soit Monsieur Martin SETCHEU, DIAREFFE PAILLE, Georges BERGEON ou Jean-Guy FOYE et moi-même nous n’avons jamais rencontré de témoins qui ont mis… qui ont mis en doute l’identification de sœurs Gertrude et Kizito. Tous les témoignages recueillis, qu’ils proviennent des sœurs de Sovu, qu’ils proviennent des rescapés ou qu’ils proviennent des génocidaires qui ont bien accepté de collaborer avec les TPIR, en aucun temps, ces personnes ont mis en doute l’identité des personnes concernées, soit sœurs Gertrude et Kizito.

Le Président : Une autre question. Monsieur le 6e juré.

Le 6e Juré : Oui, Monsieur le président. Vous pouvez demander au témoin quand sœur Gertrude lui a montré la lettre qu’elle avait adressée pour le bourgmestre ?

Le Président : Ah ! Oui.

Le 6e Juré : Est-ce qu’elle lui a dit que c’était elle qui l’avait écrite, ou qu’on… qu’on l’avait écrite et qu’elle avait signé ?

Le Président : Monsieur REKERAHO, à un moment donné, déclare que sœur Kizito… sœur Gertrude lui présente un document adressé au bourgmestre de Huye pour le départ des derniers réfugiés. Monsieur REKERAHO vous a-t-il précisé si sœur Gertrude a dit qu’elle était l’auteur, elle-même, de cette lettre ou si c’était quelqu’un d’autre qui l’avait écrite ?

Réjean TREMBLAY : Hum. Pardon. Je pense, Monsieur le président, que lors des entretiens avec REKERAHO Emmanuel, il nous a fait part que RUSANGANWA Gaspard qui était un ex… un ex-moine, je pense, avait beaucoup de crédibilité auprès de sœurs Gertrude et Kizito et je crois que REKERAHO Emmanuel prétendait que c’était RUSANGANWA Gaspard qui aurait… qui aurait… euh… je ne peux pas confirmer si ce document-là aurait été écrit de la main même de sœur Gertrude. Ce que je sais, c’est que le document a été signé de… de la main de sœur Gertrude. Maintenant, est-ce qu’il l’a été sur les conseils de RUSANGANWA Gaspard ? REKERAHO n’est pas en mesure de nous éclairer sur cet élément.

Le Président : Alors, une précision en ce qui concerne les jerricanes d’essence. Apparemment, Monsieur REKERAHO ne cite pas le nom du jeune homme qui serait allé chercher l’essence et revenu avec les jerricanes, accompagné de sœur Gertrude et de sœur Kizito. Mais par contre, lorsque vous avez, si je puis dire, été confronté à Monsieur REKERAHO devant Monsieur le juge d’instruction VANDERMEERSCH, il ne cite toujours pas le nom de ce jeune homme, mais il dit avoir donné le jerricane à NIONDO.

Réjean TREMBLAY : Voilà.

Le Président : Pour que lui-même, ce NIONDO, remette alors au groupe qui allait mettre le feu au garage, le jerricane.

Réjean TREMBLAY : C’est fort possible, Monsieur le président, que REKERAHO… quand je vous mentionne le nom de NIONDO, il est fort possible que ce soit la personne qui a disposé des jerricanes d’essence par la suite. D’ailleurs, REKERAHO Emmanuel, dans sa déclaration, déclare qu’il ne peut pas se souvenir de tous les… de toutes les personnes, de tous les miliciens qui pouvaient se trouver sur les lieux et qu’il en connaissait certains mais que d’autres, il ignorait leur nom, selon toujours ses prétentions.

Le Président : D’autres questions parmi les membres du jury ? Alors, moi je voudrais quand même encore aussi vous poser une question, enfin l’une ou l’autre question.

Il semble, parce que le document n’est pas au dossier, mais certaines… certains avocats ont fait allusion à l’existence d’un article ou de plusieurs articles publiés dans la presse belge - et le président, lui en tout cas, suit les conseils qu’il donne aux jurés, c’est-à-dire qu’il ne lit pas la presse pour ne pas être influencé par ce qui est écrit - il semblerait qu’un article fasse la critique de votre enquête et notamment que Monsieur REKERAHO, entendu par un journaliste, aurait dit qu’il revenait sur une partie de ses déclarations, qu’au fond il aurait été trompé par vous dans la mesure où vous lui auriez promis qu’il passerait devant le Tribunal pénal international et pas devant les juridictions rwandaises. Et donc, la question qu’on peut se poser, c’est de savoir si ce… - et ça n’a pas été le cas parce qu’il est passé devant les juridictions militaires rwandaises - si le fait qu’il ait bénéficié, ou qu’il aurait pu bénéficier, je dirais, d’un accusé et d’un témoin à charge au Tribunal pénal international, pouvait quelque part l’inciter à faire des déclarations qui ne correspondraient pas à la réalité.

Parce que je lis, notamment dans l’article 101 du règlement du Tribunal sur les preuves et le jugement, qu’en ce qui concerne les peines qui sont à prononcer par le Tribunal en première instance, cet article 101 au paragraphe b, dit ceci : « Lorsqu’elle prononce une peine, la chambre de première instance tient compte des dispositions prévues au paragraphe 2 de l’article 23 du statut ainsi que de l’existence de circonstances aggravantes, de l’existence de circonstances atténuantes y compris le sérieux et l’étendue de la coopération que l’accusé a fourni au procureur avant ou après sa déclaration de culpabilité ». Etait-ce, par exemple, un élément dont vous aviez informé Monsieur REKERAHO ?

Réjean TREMBLAY : Lorsque nous rencontrons l’adjudant REKERAHO Emmanuel, Monsieur le président, le 9 février 1999, nous avons… nous avions recueilli de nombreux témoignages l’identifiant positivement. Nous l’avons informé que nous étions au fait des événements qui s’étaient déroulés, que nous savions sa participation mais que nous désirions l’entendre personnellement. Comme je l’ai mentionné au début de ce témoignage-là, REKERAHO Emmanuel a prétendu qu’il n’avait, qu’il n’était pas impliqué dans le génocide survenu à Butare en 94. Nous avons invité l’adjudant REKERAHO à réfléchir, ce qu’il a fait. J’ai mentionné dans ce témoignage qu’à un certain moment donné, sous la traduction du document écrit par sœur Gertrude, ce dernier avait fait volte-face et qu’il avait manifesté son désir de collaborer avec le Tribunal. A partir de ce moment-là, les échanges avec l’adjudant REKERAHO ont été très clairs ; nous avons établi les règles conformément aux statuts du Tribunal, à savoir qu’il pouvait devenir un témoin à charge dans le dossier de Sovu, dans le dossier de Gihindamuyaga ou tout autre dossier dans lequel il pouvait être impliqué, qu’il devait s’engager à témoigner contre les auteurs de ces crimes, qu’il devait plaider coupable. Nous lui avons demandé de réfléchir encore une fois sur cette collaboration éventuelle avec le TPIR. Ce n’était pas une promesse. C’était une entente de principe.

Le 2 juin 1989, lors d’une autre rencontre avec REKERAHO Emmanuel, ce dernier reçoit ce qu’on appelle au Rwanda, une exploitation d’assignation à détenu dont j’ai copie et qui l’informe, on lui signifie que son procès va avoir lieu le 14 juin de la même année, 1989. A ce moment-là, il nous dit qu’il va être jugé par la Cour militaire, par le Conseil de guerre, que les procédures devraient être expéditives, et qu’il sera reconnu de génocide. Nous lui offrons l’opportunité de plaider coupable immédiatement devant les autorités rwandaise, dans la formule Gacaca qui existe présentement au Rwanda. Il a refusé, prétextant qu’il n’avait pas confiance aux autorités rwandaises. Nous lui avons dit, à ce moment là, qu’il fallait qu’il fasse sa déposition - nous sommes le 2 juin, il n’a pas encore signé sa déposition -et que, pour demander aux autorités du Tribunal d’intervenir auprès des autorités rwandaises, il doit tout d’abord signer sa déposition dans laquelle il reconnaît les faits qu’il nous a relatés.

Le 7 juin 1989, il accepte de signer la déposition, les faits relatés lors des entrevues antérieures. Le 9 juin 1989, mon collègue Martin SETCHEU et moi-même, avons rédigé un rapport destiné aux autorités du Tribunal international pour le Rwanda, leur demandant d’adresser, par l’entremise de notre réviseur légal, une requête en désistement, c’est-à-dire que le Tribunal international pour le Rwanda demandait aux autorités rwandaises de surseoir aux procédures judiciaires contre REKERAHO Emmanuel, que ce dernier serait… devait plaider coupable aux crime de génocide et crime contre l’humanité, conformément aux statuts du TPIR et qu’il s’engageait à témoigner dans tous les autres dossiers dans lesquels il était impliqué. Nous avons rédigé une entente de principe adressée aux autorités du TPIR, dont j’ai copie actuellement et je peux remettre à cette Cour, et à l’intérieur même de ces documents, vous… nous retrouvons un résumé complet des aveux de REKERAHO Emmanuel. Nous retrouvons les engagements des parties concernées, à savoir les engagements de REKERAHO, ce à quoi il doit s’engager comme… comme homme, à savoir plaider coupable, et comme témoin, témoin à charge, rendre témoignage, et en contre partie, les autorités du Tribunal doivent le… le transférer à Arusha où il rendra témoignage, où il sera détenu, où nous assurerons sa sécurité. Ces documents-là, Monsieur le président, je peux vous les remettre ce matin-même et ces documents-là furent remis aux autorités du TPIR.

Le 14 juin 1989, REKERAHO Emmanuel a subi son procès devant le Conseil de guerre au Rwanda, tel que prévu par lui-même. Les charges retenues contre lui pour génocide, confirment sa culpabilité. Les témoignages entendus confirment sa participation au génocide. Il est reconnu coupable, il est condamné à mort.

Je suis en vacances au Canada. Et lors d’une communication téléphonique, mon collègue Martin SETCHEU m’informe qu’il vient d’apprendre que REKERAHO Emmanuel a été jugé et condamné à mort.

Lors de mon retour au Canada… du Canada, pardon, vers le 2 septembre, j’ai rencontré REKERAHO Emmanuel. Ce dernier était très amer et très déçu, prétextant que je l’avais trompé. Je lui ai expliqué que la procédure dont il fut l’objet, à savoir le procès devant le Conseil de guerre, avait précipité les choses et que le dossier soumis aux autorités du Tribunal n’avait pas pu suivre son cours normal, la justice rwandaise étant plus rapide cette fois-ci que le Tribunal international pour le Rwanda. Toujours en présence de l’interprète Jean-Marie GATABAZI, ce dernier lui a fait comprendre dans sa langue maternelle ce qui avait été fait par les enquêteurs. Nous lui avons lu le document dont je viens de faire mention. Il a compris. Cependant, il m’a informé que dans l’éventualité qu’il n’y aurait pas de suite, qu’il n’y aurait pas de transfert devant le tribunal d’Arusha, toute personne qu’il rencontrerait, il dirait qu’il a menti, qu’il n’a pas dit la vérité. J’ai répondu à l’adjudant REKERAHO que je ne pouvais pas l’empêcher de dire quoi que ce soit, qu’il avait fait une déclaration librement, volontairement, sans promesse ni contrainte, sans rémunération de quelque façon que ce soit et que s’il voulait euh… agir de cette façon-là, je n’y pouvais rien, que nous avions fait tout en notre pouvoir pour respecter l’entente de principe que nous avions eue avec REKERAHO Emmanuel. Encore une fois, Monsieur le président, ce document-là, je le possède maintenant et si vous jugez qu’il est pertinent à la cause, je suis disposé à vous le remettre.

Le Président : Vous avez d’ailleurs parlé aussi d’un autre document dont vous avez…

Réjean TREMBLAY : Oui, en fait…

Le Président : Un document manuscrit de Monsieur REKERAHO également.

Réjean TREMBLAY : Oui. Il y a un document manuscrit, signé de la main même de REKERAHO et ça, c’est… c’est au mois de… c’est lorsqu’il prend connaissance du document, des propos tenus par sœur Gertrude dans… qui appuie sa demande d’asile politique, et c’est là qu’il… qu’il commence à écrire dans sa cellule, lorsqu’on le revoit, il nous remet ce document-là, il l’a signé d’ailleurs.

Le Président : Eh bien, je vous, je vous demanderai, peut-être tout à l’heure, à la fin de votre témoignage, de bien vouloir remettre l’ensemble de ces documents.

Réjean TREMBLAY : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Monsieur TREMBLAY, avez-vous, comme enquêteur du TPIR, subi une quelconque sanction disciplinaire parce que vous ne feriez pas bien votre travail ?

Réjean TREMBLAY : Non, Monsieur le président. Depuis cinq ans que je suis à l’emploi du TPIR, vous pouvez le vérifier, euh… je n’ai fait l’objet d’aucune sanction, de quelque façon que ce soit.

Le Président : Disposez-vous de budgets pour payer les témoins ?

Réjean TREMBLAY : Nous disposons de budgets, le TPIR a mis à la disposition des enquêteurs, des budgets pour permettre de rencontrer des témoins. C’est-à-dire que dans le cas de Sovu par exemple, nous avons fait venir des témoins de Butare que nous avons interrogés à Kigali pour assurer leur sécurité. Nous avons défrayé le transport, nous avons défrayé le logement, nous avons défrayé la nourriture. Et si nécessaire, nous défrayons même l’habillement. C’est… c’est comme ça.

Le Président : Avez-vous connaissance d’un certain… un Monsieur MORGAN ? C’est, comme moi je ne lis pas la presse, euh… c’est un certain Monsieur MORGAN  qui serait aussi enquêteur au TPIR ?

Réjean TREMBLAY : Monsieur, j’ai rencontré Monsieur MORGAN pour la première fois, lors d’une de mes dernières missions à Butare, dans le cadre de… d’autres dossiers. Il sortait de la prison de Karubanda. Il s’est présenté comme enquêteur pour la défense, notamment dans le dossier de KANYABASHI. Monsieur MORGAN n’est pas un enquêteur du TPIR, il est un enquêteur, selon ses dires mêmes, pour la défense.

Le Président : C’est un enquêteur… un enquêteur privé. Un peu comme cela existe dans la procédure anglo-saxonne.

Réjean TREMBLAY : Oui. C’est ça, Monsieur le président, si on peut s’exprimer ainsi.

Le Président : Bien. Y a-t-il d’autres questions à poser au témoin ? Monsieur l’avocat général.

L’Avocat Général : Je voudrais simplement revenir à une… un passage de la déclaration de Monsieur REKERAHO. Donc, lorsque euh… après le premier massacre, Monsieur REKERAHO, Monsieur le témoin 151 se sont rendus au monastère pour aller se laver et aller boire du lait et de la bière, Monsieur REKERAHO mentionne que l’atmosphère était détendue - et c’est ça que je voudrais que vous confirmiez - qu’on se demandait comment il était possible que les réfugiés avaient pu offrir tant de résistance vu le fait qu’on les avait affamés depuis plusieurs jours. Est-ce que vous pouvez confirmer cela ?

Réjean TREMBLAY : Oui. Dans la déposition de l’adjudant REKERAHO, il… il mentionne que lorsqu’il se rend au monastère de Sovu, accompagné de RUSANGANWA Gaspard et du témoin 151, pour se laver les mains, l’atmosphère est détendue. Et après que sœur Kizito lui ait apporté le plat d’eau, le savon et l’essuie-mains, ils auraient consommé lait et Primus. Il mentionne également que sœur Gertrude lui aurait fait part de son étonnement en lui demandant : « REKERAHO, tu es obligé de faire le travail, que se passe-t-il ? », et euh… et sœur Gertrude aurait rajouté qu’ elle était surprise de la résistance offerte par les réfugiés puisque ceux-ci n’avaient pas mangé depuis plusieurs jours. C’est en substance ce que REKERAHO mentionne dans son témoignage.

Le Président : D’autres questions ? Maître BEAUTHIER.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, j’avais parlé évidemment - je pose ma question directement - de cette demande de statut de réfugié de sœur Gertrude qui se trouve dans les premières pièces du dossier, qu’elle a elle-même donnée à la justice belge. Et je voulais poser cette question au témoin. Quand il a lu cette lettre où sœur Gertrude demande aux autorités belges d’avoir leur protection, sœur Gertrude s’exprime sur les faits et quand on a lu ces faits à l’adjudant REKERAHO, qu’est-ce qui l’a fait le plus sursauter parmi ces trois phrases (il y en a bien d’autres). Le fait qu’elle ait dit que les miliciens, donc sans doute REKERAHO, souhaitaient tous et toutes les tuer en disant ceci : « Le bourgmestre a demandé à la milice de ne pas s’attaquer aux sœurs mais ils étaient déterminés à nous tuer », première phrase qui visait REKERAHO. Deuxième phrase (est-ce que c’est plutôt celle-là qui a fait sursauter Monsieur REKERAHO ?) : « Le chef de la milice venait chaque jour. Il disait qu’il allait chercher une grenade et il venait chaque jour fouiller le monastère » ; on a vu dans les dépositions que ce n’était pas ça. Ou la troisième phrase (je dis qu’il y en a bien d’autres) qui est à la fin de la lettre, quand sœur Gertrude dit ceci : « Nos deux monastères ont été pillés complètement et sont fort endommagés, celui de Sovu a été occupé par les militaires ». Qu’est-ce qui a fait le plus réagir REKERAHO ?

Réjean TREMBLAY : Euh… je dirais, Monsieur le président, qu’à la lecture, sans interruption par l’interprète, Monsieur Jean-Marie GATABAZI, euh… REKERAHO ne faisait que hocher la tête, comme ça. Et à la fin de la lecture de ce témoignage-là, il a tout simplement dit : « Ce ne… ce n’est que des mensonges. Ce n’est pas ça qui s’est passé. Pourquoi sœur Gertrude dit ça ? » ; ça a été sa réaction à l’ensemble de la lecture du témoignage. Il est difficile pour moi de… de prêter des intentions au témoin REKERAHO, à l’époque. Ce serait mentir devant ce tribunal de prétendre que lors d’un certain passage, il a réagi, lors d’un autre passage, il a souri. Non. C’est l’ensemble du témoignage qui résume sa réaction.

Le Président : Oui. Une autre question ?

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, vous me permettrez de poser une question. Devant Monsieur le juge d’instruction, en présence de Monsieur TREMBLAY, Monsieur REKERAHO a, je l’ai dit la fois dernière, un tout petit peu modifié sa version sur l’essence. Monsieur TREMBLAY, quand il était en présence du juge d’instruction, a-t-il vu une différence notoire dans ce qui a été dit, est-ce qu’on peut parler de rétractation ou bien simplement de précision à propos de son rôle éventuel que Monsieur REKERAHO aurait joué ? Pour rappel, parce que le témoin ne le sait pas, devant le juge d’instruction, la première fois, il a dit que manifestement, si je me souviens bien, il ne savait pas et puis il a dit : « Oui, en fait, je savais très bien, c’était telle personne qui a apporté l’essence et ce sont les sœurs qui la lui ont donnée ». Est-ce qu’il se souvient de ça et quelles précisions il peut apporter sur l’ambiance du moment, lors de cette confrontation à trois ?

Réjean TREMBLAY : Monsieur le président, lorsque le juge d’instruction demande des précisions à l’adjudant REKERAHO concernant l’essence, il apporte une précision, à savoir, qu’il a bien envoyé quelqu’un au monastère pour chercher de l’essence mais il est incapable de préciser qui rapportait l’essence et il confirme que sœurs Gertrude et Kizito suivaient derrière. C’est… c’est tout ce qu’il a apporté comme précision.

Me. BEAUTHIER : Est-ce qu’à ce moment-là, il était particulièrement virulent ou devant vous, éventuellement, à l’égard des Rwandais, des Belges, des Américains ?

Réjean TREMBLAY : Lorsque j’ai introduit le juge VANDERMEERSCH dans le cadre de sa commission rogatoire et que j’ai informé, Monsieur le président, l’adjudant REKERAHO euh… qu’il devait être entendu devant le juge VANDERMEERSCH, il a manifesté un certain mécontentement, non pas à… à… contre le juge VANDERMEERSCH lui-même mais contre les Belges. Mais ça a été quand même d’une très courte durée. J’ai introduit le juge VANDERMEERSCH, nous avons expliqué à REKERAHO les raisons de sa… de sa présence et il a… il a acquiescé, il a discuté avec le juge VANDERMEERSCH et il a répondu aux questions que ce dernier lui a posées.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, avant-dernière question. Monsieur REKERAHO semble faire beaucoup de déclarations pour le moment. Est-ce que d’autres enquêteurs du TPIR ont pu l’interroger ? Est-ce que d’autres personnes peuvent facilement l’interroger ? Est-ce qu’il est comme ça, à la disposition de personnes qui vont et qui viennent ?

Réjean TREMBLAY : Interroger l’adjudant REKERAHO Emmanuel, il faut s’adresser au responsable de l’auditorat militaire et c’est ce que nous avons fait tout au long de nos entretiens. Il a été interrogé par d’autres enquêteurs en 1997, décembre 1997, il fut interrogé par euh… NIMETINMA Traore et Jacques LEGROS. NIMETINMA Traore est toujours enquêteur au Tribunal international pour le Rwanda.

Et dans cette déclaration que l’adjudant REKERAHO a signée à l’époque, il reconnaît avoir exécuté une mission à l’ordre… à la demande du lieutenant colonel le témoin 151 et de s’être rendu à Gihindamuyaga pour aller y chercher les Tutsi. Il ne fait pas mention des événements de Sovu.

Quant à la… quant aux entretiens que nous avons eus avec REKERAHO, tous les entretiens qui ont eu lieu, la grande majorité des entretiens a… s’est faite en présence de mon collègue Martin SETCHEU qui est toujours à l’emploi du Tribunal international, euh… toujours en présence du… de l’interprète Jean-Marie GATABAZI, qui est toujours à l’emploi du TPIR, et également, il y a eu deux autres enquêteurs qui se sont joints à nous dans ce travail et il s’agit de Monsieur DIAREFPAIE et Monsieur Georges BERGEON qui sont également à l’emploi du TPIR

Me. BEAUTHIER : Une toute dernière…

Réjean TREMBLAY : Et… pardon. Et devant qui Monsieur REKERAHO a relaté les faits tels que contenus dans sa déposition.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, une toute dernière question. On a parlé de l’enregistrement. Euh… cet enregistrement existe, il doit être entreposé, scellé. Est-ce qu’il y a eu des tentatives, est-ce que certaines personnes ont demandé cet enregistrement ? Première question. Deuxième question. Lors de cet enregistrement, y a-t-il eu des interruptions ou bien cela se passe d’une traite, avec une seule bande ? Y a-t-il des techniciens qui sont là ou bien c’est l’ordinateur, l’enregistreur du témoin, qui procède à cet enregistrement, sans coupure ?

Réjean TREMBLAY : Monsieur le président, j’ai mentionné au début de ce témoignage que, à une question que vous m’aviez posée, que ce fut un enregistrement informel, compte tenu que c’était un témoin et non un accusé. Donc, conformément au statut du TPIR, il y a des dispositions qui régissent un enregistrement d’un interrogatoire et non pas avec un témoin. L’enregistrement s’est fait d’une façon informelle avec un petit enregistreur que je possède, avec des cassettes, et pour répondre à la seconde question euh… posée, l’enregistrement s’est fait page par page, c’est-à-dire que je relisais le contenu de chacune des pages de la déclaration et après chaque phrase, l’interprète traduisait en Kinyarwanda le contenu de… de la déclaration et Monsieur REKERAHO Emmanuel répondait : « C’est la vérité que j’ai dite ». Ces cassettes-là, je les détiens. Elles peuvent être remises au tribunal, si vous le désirez.

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, je crois que c’est une précision importante. Donc, Monsieur REKERAHO fait d’abord une déposition en Kinyarwanda, qu’on traduit. On lit ensuite chaque page qu’on lui demande de signer, sur l’enregistreur, je veux dire qu’on lit la page qui est enregistrée puis alors, il signe puisqu’il signe chacune des 51, ou c’est 54 pages.

Réjean TREMBLAY : Oui. C’est la… c’est la politique du TPIR de faire signer chacune des pages d’une déclaration. Donc, chaque page est relue et traduite en Kinyarwanda et à la fin, le document est signé par le témoin REKERAHO Emmanuel en présence de l’interprète et en présence de mon collègue.

Me. BEAUTHIER : C’est ma toute dernière question. Combien de temps, au total a duré approximativement ce… cet interrogatoire ?

Réjean TREMBLAY : Ecoutez, on a eu plusieurs entretiens, Monsieur le président, avec le témoin. Ça a commencé le 9 février, les premiers échanges, tel que je vous l’ai… j’ai informé ce tribunal, ont été quand même relativement courts, puisque Monsieur REKERAHO s’obstinait et prétendait n’avoir participé à aucun massacres. Donc, les premiers entretiens ont été courts. On a commencé vraiment à échanger au mois de mars-avril. A partir du 11 avril, les entretiens étaient d’une durée d’environ deux heures. Il faut comprendre que, lorsque nous demandons la veille aux responsables de l’auditorat militaire de nous amener le témoin, il est toujours prévu que le témoin va arriver à 9h00, sauf que dans les faits ce n’est pas toujours le cas. Et souvent, le témoin peut arriver à 11h00 comme il peut arriver à midi, comme nous soyons obligés d’envoyer un transport pour le chercher. Donc, différents facteurs font en sorte que le témoin peut être à notre disposition pour deux heures, trois heures mais que, par la suite, il doit regagner sa cellule. Donc, encore là, le maximum, l’heure maximale est 16h00. Donc normalement, lorsque nous rencontrions REKERAHO, c’était pour une période de deux heures, trois heures au maximum.

Me. BEAUTHIER : Donc, il n’était pas fatigué, je m’excuse, il n’était pas fatigué après une journée d’interrogatoire ?

Réjean TREMBLAY : Monsieur REKERAHO, lorsque nous le rencontrions Monsieur le président, dans certains cas manifestait une certaine fatigue. Je me souviens entre autres d’une fois où il nous a informés qu’il souffrait d’hémorroïdes et qu’il était très inconfortable, ça se comprenait. Donc, nous avons… j’ai envoyé chercher des médicaments que le tribunal a payés, par le traducteur, par l’interprète, Monsieur Jean-Marie GATABAZI. Nous lui avons remis ces médicaments-là et nous l’avons retourné. Nous avons informé les… les autorités militaires que Monsieur REKERAHO n’était pas disposé et qu’il ne se sentait pas bien. Ce que je ne peux dire, j’ignore l’heure exacte que l’adjudant REKERAHO a été reconduit à la prison. Ça, je ne peux répondre. Dans une autre circonstance, REKERAHO souffrait de malaria. Bien sûr, nous avons reporté l’audience, l’entretien, à une date ultérieure parce que nous jugions qu’il était impensable, compte tenu des difficultés de détention que… dans lesquelles REKERAHO vit, il est difficile, il est difficile euh… il était difficile pour nous d’exiger de sa part, euh… que ce dernier fasse le récit des événements, alors qu’il… qu’il était indisposé soit par la malaria ou tout autre malaise. Nous avons toujours respecté ça.

Le Président : D’autres questions? Oui.

Me. GILLET : Monsieur REKERAHO, au cours de ses déclarations, a-t-il jamais évoqué le fait que la sœur Marie Kizito, le 22 avril, lors de l’incendie du garage du centre de santé, aurait elle-même participé à… au dépôt de l’essence et qu’elle aurait également participé à l’extension, au fait qu’on aurait attisé le feu en allant… en faisant chercher des herbes sèches ? A-t-il jamais évoqué ce… ?

Réjean TREMBLAY : Monsieur le président, je ne crois pas que Monsieur REKERAHO ait mentionné dans sa déclaration un commentaire semblable. Quand il est question de sœur Kizito et de l’essence, ça provient de… d’autres témoins et c’est pas l’adjudant REKERAHO qui déclare cela. 

Le Président : D’autres questions ? Maître VERGAUWEN.

Me. VERGAUWEN : Merci, Monsieur le président. Monsieur le président, simplement pour l’attention  du jury, est-ce que nous ne pourrions pas avoir cinq minutes de suspension étant donné que nous avons quand même beaucoup de questions à poser au témoin, et que ça prendra un certain temps.

Le Président : Bien. Alors, on reporte tous les témoins de ce matin à cet après-midi, ceux de cet après-midi à vendredi après-midi et nous aurons…

Me. VERGAUWEN : Ou alors, on continue. Si vous préférez, c’est si…

Le Président : Moi, je veux bien. Je veux bien.

Me. VERGAUWEN : Vous préférez qu’on continue ?

Le Président : Ah, moi je suis prêt. Le jury est-il prêt ? Le jury est prêt.

Me. VERGAUWEN : Très bien.

Le Président : Maître VANDERBECK

Me. VANDERBECK : J’aurais quelques questions à poser au témoin, Monsieur le président. Je pense que le témoin nous a dit, en début d’entretien, que les autorités du Tribunal pénal international lui avaient demandé d’enquêter sur les événements de Sovu. Je souhaiterais que le témoin puisse nous confirmer qu’il est ce qu’on appelle un enquêteur à charge et qu’il est engagé, non pas par le tribunal, mais par le procureur auprès du Tribunal pénal international.

Le Président : Etes-vous bien engagé par le procureur auprès du Tribunal pénal international ?

Réjean TREMBLAY : Nous euh… nous renouvelons annuellement, nous signons un contrat qui est acheminé aux Nations Unies, mais bien sûr, qui est recommandé et par le député, le… le député euh… le procureur adjoint à Kigali et par Madame del PONTE à La Haye. Et lorsque ces formalités-là suite aux… à l’évaluation de chacun des enquêteurs sur le plan administratif, le dossier est acheminé à New York, où il y a renouvellement du contrat, d’année en année.

Me. VANDERBECK : Les noms que le témoin vient de citer sont justement les noms des procureurs auprès du Tribunal international.

Le Président : Nous avons bien compris.

Me. VANDERBECK : Il y a donc des enquêteurs qui sont chargés par le Tribunal pénal, d’enquêter sur certains événements puis, d’autre part, il y a aussi des enquêteurs qui sont engagés, je pense que vous avez utilisé le terme, tout à l’heure par les avocats chargés de la défense des différents accusés soumis à la compétence du Tribunal pénal international. Est-ce qu’il existe une différence, je dirais, de traitement entre ces deux types d’enquêteurs en ce qui concerne la force probante ou non probante des éléments qu’ils recueillent dans le cadre de leur enquête ?

Réjean TREMBLAY : A ma connaissance personnelle, Monsieur le président, il n’y a qu’une seule sorte d’enquêteurs au TPIR, c’est ceux qui sont engagés par cet organisme et les Nations Unies. Quant aux enquêteurs engagés par la défense, je pense que la défense a un contrat avec le Tribunal pénal international, les Nations Unies et qu’ils doivent être… faire partie d’une liste mais que ça revient à la défense - il faudrait poser la question à qui de droit - et que ça revient à la défense de défrayer les coûts qu’engendrent les services d’un enquêteur privé.

Me. VANDERBECK : Est-ce que ce n’est pas le… les Nations Unies qui procèdent justement au paiement des avocats de la défense ainsi que leurs enquêteurs ?

Le Président : Ecoutez, nous n’allons pas passer notre temps sur la procédure du Tribunal pénal international. Encore une fois, je me permets de rappeler que nous avons à juger quatre accusés à propos de faits qui leur sont reprochés…

Me. VANDERBECK : Mais…

Le Président : …et que ce témoin n’est pas ici pour témoigner de la procédure devant le tribunal.

Me. VANDERBECK : …elle a semblé vous intéresser, Monsieur le président, puisque vous avez…

Le Président : Alors, cette question-là, je ne la pose pas. Posez des questions au témoin…

Me. VANDERBECK : Bien sûr…

Le Président : …à propos de faits dont il a eu connaissance, de témoignages qu’il a recueillis mais pas à propos d’autres choses.

Me. VANDERBECK : Est-ce que le témoin peut nous expliquer simplement ce qui est de la procédure de mise en preuves ?

Le Président : La question n’est pas posée.

Me. VANDERBECK : Mais, Monsieur le président, je pense qu’honnêtement vous… 

Le Président : La question n’est pas posée, Maître VANDERBECK !

Me. VANDERBECK : Mais je… je devrai la poser, parce qu’il me semble que vous évoquez vous-même le règlement du Tribunal pénal international, c’est-à-dire que vous faites référence à l’existence de ce tribunal…

Le Président : Je ne pose pas la question, Maître VANDERBECK !!!

Me. VANDERBECK : Je pense, Monsieur le président, qu’à ce moment-là, je voudrais bien que vous actiez, fassiez acter par Monsieur le greffier que vous ne souhaitez pas poser cette question concernant le mode de fonctionnement du Tribunal pénal international…

Le Président : Tout à fait.

Me. VANDERBECK : Qu’il soit acté…

Le Président : Tout à fait.

Me. VANDERBECK : Nous estimons que c’est indispensable à l’éclairage…

Le Président : Déposez des conclusions. La Cour répondra.

Me. VANDERBECK : Je déposerai des conclusions s’il le faut, Monsieur le président. Je souhaiterais pouvoir même faire citer des témoins alors, qu’ils puissent nous parler du Tribunal pénal international puisque nous n’avons pas été…

Le Président : Nous ne sommes pas le Tribunal pénal international.

Me. VANDERBECK : Mais je le sais pertinemment bien…

Le Président : Ne nous égarons pas, Maître ! 

Me. VANDERBECK : Bon. Je vais poser des questions au témoin, Monsieur TREMBLAY. Lorsque Monsieur TREMBLAY, le témoin, procède à son enquête à charge, concernant les événements qui se passent à Sovu, il dit lorsqu’il entend Monsieur REKERAHO qu’il dispose déjà d’une vingtaine de témoignages qu’il a recueillis à trois niveaux différents, si j’ai bien compris : auprès de sœurs, auprès de certains rescapés et enfin, auprès de certaines personnes qui sont elles-mêmes soupçonnées, voire accusées de crimes de génocide. Est-ce que le témoin peut nous confirmer que les témoignages dont il fait état, notamment en ce qui concerne les sœurs, sont exclusivement les témoignages des quatre sœurs qui ont témoigné à charge de sœur Kizito et sœur Gertrude et qu’il n’a jamais, par exemple, été entendre les dix sœurs qui, ici en Belgique, n’avaient manifestement pas le même avis que les quatre sœurs ?

Le Président : Avez-vous entendu des sœurs provenant de Sovu, de la communauté de Sovu, qui résidaient en Belgique ?

Réjean TREMBLAY : Monsieur le président, nous n’avons pas entendu le témoignage des sœurs résidant en Belgique pour la simple et bonne raison, c’est que les autorités du TPIR nous ont demandé d’interrompre l’enquête en juin 1999.

Le Président : Une autre question ?

Me. VANDERBECK : Oui, bien sûr, Monsieur le président. Donc, vous n’avez pas entendu ces autres personnes parce que c’était… on vous a… on vous enlevait votre mandat et qu’il n’était plus question d’enquêter sur les événements de Sovu.

Le Président : Le témoin a répondu.

Me. VANDERBECK : Mais, ça amène…

Le Président : Une question.

Me. VANDERBECK : Mais, ça amène la question suivante. Quel sort alors a-t-il été fait par le Tribunal pénal international, au dossier que vous meniez - à charge de qui d’ailleurs - à Sovu ?

Le Président : La question n’est pas posée. Ça ne concerne pas les faits qui sont reprochés aux accusés. Veuillez avancer.

Me. VANDERBECK : Monsieur le président, je trouve que c’est éminemment capital de savoir ce que le Tribunal pénal international a pensé de la valeur des témoignages que Monsieur TREMBLAY leur apportait, quelle a été sa décision ? Est-ce que ça a été seulement…

Le Président : La décision du tribunal n’est pas du ressort du témoignage de ce témoin…

Me. VANDERBECK : Est-ce que ce dossier était mis en accusation au Tribunal pénal international ? Est-ce qu’il y a eu une mise en accusation de personnes de Sovu, au Tribunal pénal international ? Voilà la question suivante. Est-ce que vous voulez bien poser ces questions-là au témoin, Monsieur le président ?

Le Président : Non.

Me. VANDERBECK : Mais, Monsieur le président, je ne vais pas passer ma matinée à vous poser des questions pour que systématiquement vous vous y opposiez. Je ne comprends pas votre réticence. A ma connaissance, quand on parle de la procédure, quand la défense demande comment ont lieu les interrogatoires, ce ne sont pas des questions en relation avec les faits, ce sont des questions…

Le Président : Ce sont…

Me. VANDERBECK : …par rapport à la technique…

Le Président : Ce sont…

Me. VANDERBECK : …d’interrogation du Tribunal pénal international…

Le Président : …ce sont des questions dont le témoin est directement témoin, si je puis me permettre de vous répondre, hein.

Me. VANDERBECK : Mais il est directement témoin de ce qui s’est passé…

Le Président : Alors…

Me. VANDERBECK : …étant enquêteur…

Le Président : Veuillez avancer, Maître VANDERBECK !!!

Me. VANDERBECK : Mais je suis désolé. Je reste sur ma question, Monsieur le président.

Le Président : Bien, l’audience est suspendue. Je demande à ce que Monsieur le bâtonnier soit convoqué et vous venez dans mon bureau.

Me. VANDERBECK : Il n’y a pas de problème, Monsieur le président.

[Suspension d’audience]

Le Greffier : La Cour.

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place ainsi d’ailleurs que Monsieur TREMBLAY.

Bien. L’incident d’il y a quelques minutes étant aplani, certaines limites étant fixées, euh… certains devoirs complémentaires étant éventuellement sollicités par la suite, par la défense, nous allons poursuivre l’interrogatoire de Monsieur TREMBLAY. Y a-t-il des questions à lui poser ? Maître VERGAUWEN.

Me. VERGAUWEN : Oui. Merci, Monsieur le président. Première question que je souhaiterais voir posée au témoin. Le témoin nous a rappelé tout à l’heure, l’engagement de Monsieur REKERAHO lorsqu’il avait décidé de passer aux aveux, de collaborer avec le TPIR. Je vous demanderais simplement de bien vouloir lui confirmer les termes de l’engagement écrit pour que les choses soient bien claires, que Monsieur REKERAHO a signé et qui est l’engagement qui date du 16 avril 1999, et qui est le suivant : « Je, REKERAHO Emmanuel, déclare être disposé à collaborer avec le TPIR relativement aux événements survenus au monastère de Sovu, le 22 et 23 avril 1994 et 6 mai, et autres crimes commis à Butare lors du génocide au Rwanda en 1994. Cette collaboration implique ma propre participation à certains événements, à dénoncer ceux de qui je recevais les ordres et toutes autres personnes qui ont collaboré au génocide à cette époque. Je comprends que je deviendrai un accusé et un témoin à charge pour le TPIR qui devra assumer ma sécurité durant les procédures judiciaires ».

Le Président : C’est bien le terme de cet engagement ?

Réjean TREMBLAY : C’est les termes de cet engagement, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie, Monsieur le président.

Le Président : D’autres questions ?

Me. VERGAUWEN : Le témoin pourrait-il nous dire si Monsieur REKERAHO lui a parlé de ses activités politiques ou de ses fonctions politiques que Monsieur REKERAHO avait à l’époque des faits ?

Le Président : Ne vous a-t-il pas dit notamment avoir été le représentant, pour participer à certaines réunions, d’un parti politique ?

Réjean TREMBLAY : Il était le chef d’un parti politique.

Le Président : MDR ?

Réjean TREMBLAY : Oui. Euh… Power et euh… il avait participé, d’ailleurs dans sa déclaration, je crois qu’il en fait état, où il a participé à certaines réunions des chefs et euh… et pendant lesdites réunions il se serait… il serait intervenu personnellement pour entraîner la population à se défendre contre les Inkotanyi.

Le Président : Une autre question ?

Me. VERGAUWEN : Oui. Je vous remercie Monsieur le président. Le témoin nous a dit tout à l’heure que Monsieur REKERAHO avait déclaré qu’il avait rencontré sœur Gertrude et qu’il avait eu des réunions avec elle, notamment chez Gaspard. Le témoin pourrait-il nous dire à partir de quand Monsieur REKERAHO déclare avoir eu ces réunions avec sœur Gertrude ?

Le Président : Oui.

Réjean TREMBLAY : Monsieur le président, dans sa déposition, REKERAHO Emmanuel, à ma connaissance, a commencé à rencontrer sœurs Gertrude et Kizito entre… à partir de janvier 94, qui lui avaient été présentées par un dénommé KASSIM, je crois, KASSIM KADO et tout au long des semaines qui ont suivi, jusqu’à la date des événements, ils se rencontraient régulièrement chez RUSANGANWA Gaspard ou au monastère. C’est les révélations que REKERAHO Emmanuel nous fait à l’époque.

Le Président : Oui.

Me. VERGAUWEN : Oui. Je vous remercie, Monsieur le président. Le témoin pourrait-il nous confirmer que Monsieur REKERAHO a déclaré qu’il rencontrait sœur Gertrude deux… une à deux fois par semaine ?

Réjean TREMBLAY : Il m’est difficile de… de confirmer. Je ne sais… je ne me souviens pas, Monsieur le président, si dans sa déclaration, il mentionne une à deux fois par semaine. Sauf que je me souviens très bien qu’il rencontrait régulièrement sœurs Gertrude et Kizito. De là à confirmer que c’est une ou deux fois par semaine, je ne peux me prononcer.

Le Président : Vous avez peut-être la phrase sous les yeux ?

Me. VERGAUWEN : Oui. Je vous remercie, Monsieur le président. Alors, je vais demander au témoin s’il veut bien confirmer la phrase et la suite de cette phrase, au sujet de l’attitude de sœur Gertrude. Monsieur REKERAHO déclare ceci : « A cette époque, nous nous rencontrions une à deux fois par semaine. Lors de ces réunions, nous discutions de ce qui se passait dans les partis politiques du régime en place et des accords d’Arusha qui avaient été signés le 4 août 1993 ».

Réjean TREMBLAY : C’est exact, Monsieur le président. C’est ce qui a été écrit suite aux révélations de Monsieur REKERAHO.

Me. VERGAUWEN : Donc, le témoin confirme que Monsieur REKERAHO avait des discussions politiques avec sœur Gertrude ?

Réjean TREMBLAY : Selon les dires de Monsieur REKERAHO, je confirme.

Me. VERGAUWEN : Est-ce que le témoin pourrait confirmer que Monsieur REKERAHO a déclaré ceci, à propos d’une des réunions : « Je me souviens d’une discussion où sœur Gertrude avait manifesté son désaccord suite à la nomination de Madame UWILINGIYIMANA Agathe comme premier ministre en remplacement de Dismas NSENGIYAREMYE. Sœur Gertrude n’était pas contente que celui-ci fut démis de ses fonctions car il était originaire de la même préfecture que sœur Gertrude, soit Gitarama, et elle considérait UWILINGIYIMANA Agathe comme étant une femme hautaine et prétentieuse. Elle ne l’aimait pas et elle était en colère contre cette nomination ».

Réjean TREMBLAY : Monsieur le président, je pense avoir relaté une partie de ce… de ce passage-là dans mon témoignage, antérieurement. Je confirme les faits relatés dans la déposition de REKERAHO Emmanuel.

Le Président : Oui ?

Me. VERGAUWEN : Oui, Monsieur le président. Le témoin pourrait-il nous confirmer que Monsieur REKERAHO lui a déclaré que c’est à la date… à partir du 8 avril que sœur Gertrude lui a donné le véhicule ambulance du monastère ?

Réjean TREMBLAY : C’est bien à compter du 8 avril que REKERAHO et RUSANGANWA Gaspard auraient reçu de sœur Gertrude, les clés pour les deux véhicules, l’un ambulance, véhicule ambulance, minibus de couleur blanche ou beige, mis à la disposition de REKERAHO et l’autre, une Volkswagen dont RUSANGANWA Gaspard n’aurait pas pris possession immédiatement, et que c’était afin d’assurer leur sécurité et d’intervenir en tout temps. Je confirme.

Le Président : Oui ?

Me. VERGAUWEN : Alors, une petite précision à cet égard-là. Est-ce que le témoin peut confirmer que monsieur REKERAHO a déclaré que sœur Gertrude, je cite : « Sœur Gertrude a convenu de fournir le carburant et l’huile à chaque fois que nous le demanderions ».

Réjean TREMBLAY : Le… le témoin REKERAHO Emmanuel confirme que lorsqu’il a… ils ont pris possession des véhicules, il fut entendu que l’essence, le carburant et l’huile, seraient fournis, distribués par… par le monastère de Sovu, pour la durée de l’utilisation du… desdits véhicules. Je confirme.

Le Président : Oui ?

Me. VERGAUWEN : Bien. Alors, pour avancer dans le temps, est-ce que le témoin peut nous confirmer ce que Monsieur REKERAHO a déclaré au sujet de la période qui suit la mort du président. Il dit ceci : « Suite à la mort du Président, RUSANGANWA Gaspard, sœurs Gertrude et Kizito et moi-même, nous nous rencontrions très souvent afin d’échanger des informations sur la situation qui prévalait, les réunions rassuraient les sœurs Gertrude et Kizito ».

Réjean TREMBLAY : Je confirme les faits relatés par REKERAHO Emmanuel.

Me. VERGAUWEN : Bien. Alors, au sujet de ce qui se serait euh… passé euh… après le discours du président SINDIKUBWABO, donc du 19 avril, Monsieur REKERAHO, dans sa déclaration, fait allusion à une réunion qu’il a eue… qu’il aurait eue avec Gaspard et sœur Gertrude et il y a fait allusion tout à l’heure mais je souhaiterais voir confirmer les termes. Il a dit que, donc, d’après Monsieur REKERAHO, je cite : « Sœur Gertrude a dit : « Moi, vous risquez de me retrouver morte, étranglée par ces réfugiés qui se trouvent chez nous ». A ce moment, elle a cité les sœurs Tutsi, les membres de leur famille et les gens en formation ».

Réjean TREMBLAY : Alors, Monsieur le président, je pense avoir mentionné ce passage-là antérieurement également et je confirme que REKERAHO Emmanuel nous a bien déclaré que sœur Gertrude aurait mentionné cette crainte d’être étranglée par les membres qui s’étaient réfugiés au monastère de Sovu à l’époque et s’il a mentionné également les sœurs Tutsi, hum… pardon, c’est qu’elle l’a déclaré et nous l’avons écrit dans la déposition.

Le Président : Oui ?

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie, Monsieur le président. Une autre confirmation. Nous en sommes, cette fois-ci, à la date du 23 avril, c’est-à-dire au moment où les religieuses sont parties à Ngoma. Le témoin pourrait-il confirmer ce que Monsieur REKERAHO déclare en page 27 de son audition. Il dit donc qu’il s’est rendu au monastère et il précise ceci : « En nous rendant au monastère, nous avions l’intention d’aller chercher les réfugiés qui se cachaient dans le monastère. J’étais attristé et choqué d’apprendre que les sœurs avaient quitté le monastère car je craignais qu’elles puissent être attaquées sur les routes puisqu’il y avait beaucoup de pièges à ce moment-là ».

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie, Monsieur le président. Alors, au sujet du retour des sœurs, le témoin pourrait-il confirmer que Monsieur REKERAHO a déclaré que les sœurs étaient revenues le soir même ? 

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Et qu’il a déclaré ceci, que : « Sœur Gertrude semblait satisfaite d’être revenue à Sovu malgré le fait que beaucoup d’énergie avait été dépensée. Par contre les autres sœurs Tutsi semblaient inquiètes d’être revenues à Sovu ».

Réjean TREMBLAY : Je confirme également ce passage de la déposition de Monsieur REKERAHO.

Me. VERGAUWEN : Bien. Alors, j’en viens maintenant au 24 avril, donc, le jour suivant. Le témoin pourrait-il confirmer que Monsieur REKERAHO a rencontré sœur Gertrude et que lors de cette rencontre, je cite : « Sœur Gertrude nous disait qu’elle n’avait pas suffisamment de nourriture pour ces gens-là (les réfugiés qui étaient au monastère) et qu’elle voulait se débarrasser des réfugiés qui se cachaient dans le monastère parce qu’elle craignait d’être tuée par… par ces gens-là, tel qu’elle nous l’avait déclaré auparavant ».

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Bien. Alors, le témoin pourrait-il nous confirmer qu’à cette occasion-là, Monsieur REKERAHO lui a déclaré ceci : « Je précise que j’ai demandé à sœur Gertrude de dresser une liste des réfugiés, considérant que je ne voulais pas tuer tout le monde. Je crois que cette liste fut rédigée immédiatement après la réunion, par la petite sœur de KIBONGO, à la demande de sœur Gertrude ». 

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Bien. Le témoin nous a parlé tout à l’heure du fait que Monsieur REKERAHO avait dit qu’après les massacres, sœur Gertrude lui avait remis de l’argent et je voudrais simplement lui faire confirmer la phrase que Monsieur REKERAHO a dite ; je cite : « Et il fut convenu avec sœur Gertrude de leur remettre de l’argent pour les récompenser. C’est à ce moment-là que sœur Gertrude m’a remis environ 100.000 francs rwandais ». Il s’agissait donc ici, de récompenser les personnes qui enterraient les cadavres.

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Bien. Alors, une dernière précision. Euh… le témoin pourrait-il nous confirmer ce que Monsieur REKERAHO lui a déclaré au sujet de sa détention. Monsieur RREKERAHO a déclaré ceci en page 52 de son audition, il déclare donc qu’il a été arrêté en 1997, le 4 septembre 1997, « date à laquelle je fus arrêté par l’APR et ils m’ont ramené au Rwanda où je suis détenu depuis, à la prison militaire de Murindi ». Et il précise ceci, je demanderai au témoin de bien vouloir le confirmer : « A mon arrivée au camp, je fus torturé jour et nuit, du 12 au 22 septembre 1997, en me disant que j’étais un Interahamwe et un génocidaire. Par la suite, je fus transféré dans le bloc 4 où les détenus ne reçoivent ni nourriture, ni eau et on fait ses besoins là où on se trouve. Cette situation a duré jusqu’au 5 mai 1998, date à laquelle on a commencé à recevoir un peu de nourriture et de l’eau pour se laver et des médicaments du CICR. Le 26 mai 1999, je fus transféré dans le bloc 1 où je reçois de la nourriture ­ entre parenthèses - pâtes de maïs, petits pois bouillis, 1 fois par jour, soit à 17h00 ».

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie, Monsieur le président.

Le Président : D’autres questions ?

Me. VERGAUWEN : Oui, je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur le président, avant d’en revenir à l’audition de Monsieur REKERAHO, je crois que le témoin a rencontré d’autres personnes et notamment, je veux en venir à cette audition, il a rencontré Monseigneur Jean-Baptiste GAHAMANYI qui était à l’époque des faits, je crois, évêque de Butare. Est-ce qu’il se souvient de cette audition et peut-il nous en parler ?

Réjean TREMBLAY : J’ai effectivement rencontré Monseigneur GAHAMANYI à Butare alors qu’il était évêque, quelques semaines avant son décès.

Me. VERGAUWEN : Et est-ce que le témoin se souvient de ce que Monseigneur GAHAMANYI lui a dit à propos de ce qui s’était passé à la paroisse de Ngoma ?

Réjean TREMBLAY : Honnêtement, Monsieur le président, je ne peux répondre à cette question, je ne me rappelle pas des propos tenus par Monseigneur GAHAMANYI.

Me. VERGAUWEN : Je peux le comprendre, alors je vais rappeler à l’attention du témoin ce que Monsieur… Monseigneur GAHAMANYI avait dit à ce propos : « Le 24 avril 1994, dit-il, j’ai reçu un appel d’un abbé de la maison des prêtres qui m’informait de la présence des sœurs de Sovu à Ngoma. J’ai rencontré les sœurs. Je leur ai recommandé de retourner à Sovu et qu’avec l’Opération turquoise, nous avions la promesse d’être évacués ». Est-ce que le témoin confirme cette déclaration ?

Le Président : Oui ?

Réjean TREMBLAY : Monsieur le président, je me souviens d’avoir pris une déposition écrite de Monseigneur GAHAMANYI en 1999. Je me souviens également qu’il m’a entretenu, parce que nous le rencontrions dans un autre dossier et non pas celui de Sovu. Et… mais dans le cadre de cette entrevue, il a effectivement rapporté certains éléments dont la présence des sœurs de Sovu et qu’il leur avait recommandé pour leur propre sécurité de retourner à Sovu.

Me. VERGAUWEN : C’est bien cela. Mais il a déclaré également qu’il les avait rencontrées à Ngoma et qu’il avait alors recommandé aux sœurs de retourner à Sovu.

Réjean TREMBLAY : Je ne peux confirmer davantage, Monsieur le président, ce que je viens de dire, je m’en tiens à ça.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie. J’en viens maintenant, Monsieur le président, si vous le voulez bien, à l’audition de Monsieur REKERAHO et je voudrais uniquement m’arrêter sur les passages qui concernent un certain Monsieur le témoin 151. Alors, simplement un commentaire à l’attention des membres du jury. On vous a parlé du colonel le témoin 151 et on vous a également parlé de le témoin 151. Ce sont deux personnes différentes. Moi, j’interroge aujourd’hui le témoin à propos du témoin 151, ex-conseiller de secteur qui, nous l’avons appris, va venir témoigner devant la Cour d’assises.

Première question, Monsieur le président. Page 7 de votre audition, le témoin a entendu Monsieur REKERAHO lui dire, peut-il le confirmer : « Le 9 avril, vers 11h00, je me suis rendu à la maison du témoin 151, conseiller de secteur, à bord du véhicule ambulance et ensemble, nous nous sommes rendus au monastère de Sovu pour s’assurer que tout allait bien ». Peut-il confirmer ?

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie. Page 8 de votre audition : « Dans les jours qui ont suivi la mort du président, il y a eu des réunions des chefs des partis politiques. A l’occasion d’une réunion qui s’est tenue un peu avant le 19 avril 1994 à Gako, nous sommes peut-être le 14 avril, j’étais le seul représentant du parti à y assister avec le bourgmestre RUREMESHA. Il y avait également le témoin 151. Lors de cette réunion, nous avons décidé d’établir des rondes nocturnes dans le but de nous protéger. Des comités de secteurs ont été formés et des représentants de chacun des partis y avaient été nommés sous la supervision du conseiller le témoin 151. Peut-il confirmer cette déclaration ?

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Page 15 de votre audition : « Le 21 avril 1994, j’ai donné ordre au groupe qui m’accompagnait et à d’autres personnes, parmi le conseiller le témoin 151, de repousser les réfugiés Tutsi jusqu’au centre de santé. Suite à cet ordre, la population Hutu, en grand nombre, a encerclé le centre de santé où s’étaient rassemblés les Tutsi, dans le but de les empêcher de fuir ». Pouvez-vous confirmer cette déclaration ?

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Page 16 de votre audition : « Avant le départ des militaires, nous avons discuté avec ces derniers. Participaient aux discussions, le témoin 151, RUSANGANWA Gaspard et moi-même. Au terme de ces discussions, il fut convenu que les militaires reviendraient le lendemain matin vers les 7h00, afin d’éliminer et de tuer les réfugiés du centre de santé ». Confirmez-vous cette déclaration ?

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Page 19 de votre audition et page 20 de votre audition : « Le 22 avril 1994, j’ai quitté mon domicile et je me suis rendu chez le témoin 151. J’ai invité celui-ci à m’accompagner. Nous nous sommes rendus chez Gaspard RUSANGANWA et tous les trois, nous nous sommes dirigés au centre de santé. Mes acolytes, le témoin 151, RUSANGANWA, avaient la responsabilité de superviser et de s’assurer que le plan d’action serait suivi ». Confirmez-vous cette déclaration ? 

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Page 26 : « Le 23 avril, tôt le matin, à bord du véhicule ambulance, j’ai ramassé le témoin 151 et nous nous sommes rendus à la maison du père de RUSANGANWA et nous nous sommes dirigés au centre de santé ». Page 31 de votre audition : « Le 24 avril 1994, vers les 6h30, toujours accompagné du témoin 151, nous sommes retournés au centre de santé. Sur les lieux, nous avons distribué les tâches à la population Hutu Interahamwe et pendant ce temps, accompagné de RUSANGANWA et du témoin 151, je me suis rendu au monastère pour aller chercher les réfugiés qui s’y cachaient ». Confirmez-vous cette déclaration ?

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Page 36 de votre audition : « Pendant les massacres de Sovu, les 21, 22, 23 avril 94, je veux préciser, dit Monsieur REKERAHO, qu’en plus de donner des ordres aux miliciens Interahamwe, j’ai massacré des milliers de réfugiés. Lorsque je me suis rendu aux toilettes, à l’arrière du centre de santé et que j’ai constaté qu’on avait commencé à tuer les réfugiés, il restait encore trois ou quatre jeunes qui avaient résisté aux miliciens. C’est à ce moment-là, en utilisant une houe appartenant à un des miliciens, que j’ai massacré ces jeunes. Par la suite, toujours à l’aide de la houe, j’ai achevé les autres réfugiés qui avaient été frappés par les miliciens mais qui n’étaient pas encore morts. J’ai tué ces gens, au nombre d’une dizaine en présence de RUSANGANWA, le témoin 151 et devant plus d’une cinquantaine de miliciens Interahamwe ». Le témoin peut-il confirmer cette dernière déclaration ?

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie.

Le Président : D’autres questions ? Maître WAHIS.

Me. WAHIS : Oui, je vous remercie, Monsieur le président. Le témoin nous a parlé de réunions de REKERAHO avec sœur Gertrude et sœur Kizito, qui se seraient passées chez Gaspard RUSANGANWA. Est-ce que le témoin peut nous dire si REKERAHO lui a fait part de réunions qui se seraient tenues au couvent de Sovu, avec REKERAHO Gaspard ?

Le Président : Avec euh… ?

Me. WAHIS : Et les deux sœurs, bien sûr.

Réjean TREMBLAY : Je crois qu’il est mentionné dans la déclaration, Monsieur le président, que REKERAHO Emmanuel avec RUSANGANWA Gaspard, lorsqu’ils se rendaient au monastère de Sovu afin de rencontrer sœurs Gertrude et Kizito, parlaient très peu, craignant d’être… n’ayant pas confiance à l’entourage. Je crois que c’est mentionné dans la déposition de REKERAHO Emmanuel.

Me. WAHIS : Est-ce que le témoin peut confirmer qu’en page 4, il figure ceci : « A certains moments, RUSANGANWA Gaspard et moi, nous nous rendions visiter sœurs Gertrude et Kizito au monastère de Sovu. Pour s’y rendre, nous utilisions l’entrée principale du couvent. A notre arrivée, sœurs Gertrude et Kizito nous introduisaient dans une salle de réception ».

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Me. WAHIS : Je vous remercie. En ce qui concerne la fameuse escapade des sœurs, Monsieur le président, à Ngoma, REKERAHO semble dire que tout ça ne prend qu’une journée. Est-ce bien la journée du 24 avril où les sœurs sont… seraient parties le matin et revenues vers 18h00, le soir ?

Réjean TREMBLAY : Je crois, Monsieur le président, que ça serait le 24. Les massacres ont eu lieu… la plus grande partie des massacres ont eu lieu le 22 et le 23, il est possible que ce soit le 24. La déposition le confirme, mais de mémoire, je ne peux le préciser.

Me. WAHIS : Je vous remercie. En ce qui concerne la scène où Gaspard… où REKERAHO avec Gaspard viendraient au monastère pour se laver les mains, où sœur Kizito distribuerait du lait, de la Primus, des sourires et des paroles aimables, cette scène aurait-elle, dès lors, lieu le 23 avril, soit la veille de l’escapade des sœurs ?

Réjean TREMBLAY : C’est effectivement le 23 que cette rencontre a eu lieu puisque les… les jeunes qui furent massacrés derrière les… le dispensaire des sœurs, le dispensaire du centre de santé de Sovu, a eu lieu le 23 et c’est après cet événement-là que REKERAHO, accompagné de RUSANGANWA et du témoin 151, se sont rendus effectivement au monastère pour se laver les mains et se désaltérer.

Me. WAHIS : Je vous remercie. En ce qui concerne les événements du 22 avril, est-ce que REKERAHO a déclaré ceci : « Les sœurs, sœur Gertrude et sœur Kizito, sont revenues quelque 30 minutes plus tard avec 2 jerricanes remplis d’essence, l’un des jerricanes était en plastic de couleur jaune et l’autre en métal. C’étaient des jerricanes de 20 litres chacun ».

Réjean TREMBLAY : C’est ce que monsieur REKERAHO nous a déclaré. Je confirme.

Me. WAHIS : Enfin une dernière question, Monsieur le président. Dans le cadre des investigations sur le massacre de Sovu, est-ce que le témoin a été appelé à investiguer, essayer de localiser Gaspard RUSANGANWA et Jonathan RUREMESHA et qu’est-ce que ça a donné comme résultat ?

Réjean TREMBLAY : Monsieur le président, à la demande de la justice belge et du juge d’instruction Monsieur VANDERMEERSCH, ce dernier nous demandait le 30 mars 2000 de… de tout mettre en œuvre pour tenter de localiser RUSANGANWA Gaspard et RUREMESHA Jonathan, entre autres. Nous avons, avec l’autorisation des… de la direction du TPIR, effectué une mission au Burundi, Bujumbura, et les recherches, plus précisément à Ngozi, ont permis de localiser certaines personnes mais les informations reçues faisaient que RUSANGANWA Gaspard aurait été vu la dernière fois par ces personnes-là, en 1993. Par contre, les renseignements obtenus de l’équipe de… que nous appelons au Tribunal international « Intelligence and Tracking Unit » nous font… nous a fait part que certains renseignements nous confirment toujours la présence de RUSANGANWA Gaspard au Burundi, mais jusqu’à ce jour, les efforts se poursuivent toujours pour les localiser mais jusqu’à ce jour, elles sont demeurées vaines.

Le Président : Oui ? Maître VANDERBECK.

Me. VANDERBECK : Je vous remercie, Monsieur le président. Une dernière petite question. Le témoin a rencontré plusieurs fois Monsieur REKERAHO. Est-ce qu’il peut nous le décrire physiquement ? Etait-ce ce qu’on appelle un petit gringalet ou plutôt un grand costaud ? 

Réjean TREMBLAY : L’adjudant REKERAHO, bon, je pense que c’est mentionné dans la déclaration, avait 62 ans lorsque nous l’avons rencontré. Le poids des années se fait sentir, si je puis m’exprimer ainsi. Les… la… la détention, les conditions de détention carcérale dans laquelle il vit depuis de nombreuses années, apparaissent sur cet homme, et euh… lorsque nous le rencontrions, il était vêtu de l’uniforme que tout détenu militaire porte, c’est-à-dire un genre de short et chemisier vert, vêtu de chaussures et de bas et à certaines occasions, tel que je vous l’ai mentionné, sa condition physique faisait pitié à voir.

Me. VANDERBECK : Ça ne répond pas...

Le Président : Est-ce que c’était un grand homme, un petit homme ?

Réjean TREMBLAY : Bon. Pour répondre à la question, euh… disons qu’il pouvait peut-être mesurer 1,72 m, peut-être, et… dans cet ordre de grandeur-là, et il était, bon, un petit peu grassouillet. Mais c’est tout ce que je peux vous dire sur le physique de cet homme.

Le Président : Une autre question ? S’il n’y a plus de question, disposez-vous des documents dont vous avez parlé dans votre témoignage, ici-même ?

Réjean TREMBLAY : Oui, Monsieur le président.

Le Président : Je vais vous demander alors peut-être de les déposer… 

Réjean TREMBLAY : Est-ce que vous voulez que je vous explique les documents que je vais remettre à l’huissier ou si vous préférez en prendre simplement connaissance ?

Le Président : Je préférerais simplement que vous les déposiez pour éviter des problèmes de lecture par le témoin, de pièces qu’il aurait lui-même rédigées. Dans notre procédure, c’est un peu compliqué.

Réjean TREMBLAY : C’est… bon, bougez pas. J’ai un autre document… Ça c’est les documents, la première partie des documents que je vous remets, c’est le rapport adressé aux autorités, OK ? Les informant du résumé du contenu de la déclaration de Monsieur REKERAHO Emmanuel et de l’entente de principe intervenue entre les parties, à savoir, les enquêteurs et le témoin. Cette entente-là est soumise aux autorités pour approbation. Et suite à cette entente-là qui fut lue intégralement et traduite en Kinyarwanda à Monsieur REKERAHO, nous demandions aux autorisés d’intervenir auprès des autorités rwandaises afin d’adresser une requête en désistement, tel que je l’ai expliqué antérieurement, et également de… de… d’analyser l’entente de principe telle que soumise.

Le Président : Alors, vous aviez un autre document qui était le… je dirais, la déclaration manuscrite de Monsieur REKERAHO ?

Réjean TREMBLAY : Oui. En fait, le deuxième document est un document écrit de la main même du témoin REKERAHO, qu’il a écrit dans… dans sa cellule. Il a commencé à écrire après avoir pris connaissance des propos tenus par sœur Gertrude dans son document appuyant sa demande d’asile politique, que nous lui avons lu, traduit en Kinyarwanda. Nous l’avons laissé, REKERAHO Emmanuel, réfléchir sur tout ça et lorsqu’il nous est revenu, il avait ce document-là qu’il avait commencé à écrire et que je dépose devant cette Cour.

Le Président : Très bien. 

Réjean TREMBLAY : C’est l’original, Monsieur le… le procureur.

Le Président : L’original.

Réjean TREMBLAY : Oui, parce que photocopie, je pense que ça aurait été très difficile à lire. C’est en Kinyarwanda.

Le Président : Bien. Donc, ça nécessitera une traduction.

Bien. Y a-t-il encore d’autres questions à poser au témoin ? S’il n’y en a plus, les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Monsieur TREMBLAY, est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler, le sens de cette question étant simplement de savoir si vous persistez dans les déclarations que vous venez de faire ?

Réjean TREMBLAY : Les déclarations que nous avons recueillies de la part des témoins…

Le Président : Oui, oui, non. Je vous demande simplement si vous confirmez, si vous maintenez si vous persistez dans les déclarations que vous venez de faire maintenant ? 

Réjean TREMBLAY : Je confirme, Monsieur le président.

Le Président : Je vous remercie. La Cour vous remercie pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement de votre temps.

Bien. Alors, il est midi. On avait encore Monsieur le témoin 22 qui est présent. Euh. Mesdames et Messieurs les jurés, je crois qu’il faut s’attendre aujourd’hui, demain et même vendredi, à ne pas pouvoir aller au Delhaize, ou au GB, ou au Match.

Non Identifié : Il y a Cora aussi.

Le Président : Si vraiment c’est comme ça, il faudra que la Cour se passe de vos services, peut-être. Ce serait dommage. Ce serait dommage. Non, il faut s’attendre à… à devoir siéger jusqu’à 6h30-7h00. Le problème étant que de nombreux Rwandais sont venus avec le dernier vol et qu’ils ne sont là que jusqu’au 12.

Me. SLUSNY : On peut faire une session samedi, hein ?

Le Président : Que par ailleurs, il faut que nous ayons absolument terminé le 8 juin. Que des témoins belges pourraient éventuellement encore être reportés, mais je crois qu’il n’y en a plus de belges dans cette série-ci, enfin des… résidant en Belgique, je veux dire. Et donc, on est… on est absolument coincés. Ce qu’on pourrait peut-être envisager, mais c’est… c’est peut-être difficile aussi, c’est de commencer un peu plus tôt l’audience, à 8h30 du matin. A 7h00 ?

Me. SLUSNY : Mais une audience le samedi, c’est pas interdit par la loi, hein ?

Le Président : On va essayer de faire le maximum pour que vendredi ça soit le plus court possible, mais… Etes-vous disposés éventuellement à vous présenter jeudi et vendredi à 8h30, pour essayer de gagner un peu de temps ?

J’aimerais aussi que, tout comme cela fut convenu avec les avocats de Madame MUKANGANGO et MUKABUTERA, s’il y a des questions à poser à des témoins qui sont en principe des témoins de faits, que l’on se limite à poser des questions à propos des faits dont ces personnes sont témoins, et pas à propos de tout et n’importe quoi. Cela permet déjà, indépendamment de ce que d’autres demandes pourraient être formulées à propos d’autres choses…

Me. VERGAUWEN : Oui, enfin, Monsieur le président, nous nous baserons sur… sur les déclarations, les autres questions n’étant pas nécessairement tout et n’importe quoi.

Le Président : Ah, non, non.

Me. VERGAUWEN : D’accord.

Le Président : Je suis bien… je suis bien d’accord, ce n’est pas… il ne faut pas nécessairement se tenir à la déclaration…

Me. VERGAUWEN : Je voulais qu’il n’y ait pas de malentendu…

Le Président : …mais il faudrait en tout cas que les questions portent sur des choses vues, vécues, éventuellement entendues, sur des précisions éventuellement sur la manière dont le témoin rapporte les choses mais qu’on se… qu’on ne se lance pas dans… dans des questions relatives à des choses dont le témoin ne serait pas témoin. Oui, Maître SLUSNY.

Me. SLUSNY : Monsieur le président, pour ce samedi-ci, ce n’est pas possible mais pour samedi prochain, la loi n’interdit pas qu’on tienne…

Le Président : Ni le dimanche.

Me. SLUSNY : Ni le dimanche, hein.

Le Président : Ni les jours fériés.

Me. SLUSNY : Voilà. 

Le Président : Oui, Madame… Pardon ? Oui, mais ne vous inquiétez pas, il n’y aura pas d’audience le samedi ni le dimanche, ni même les jours fériés. Il se peut d’ailleurs que les témoignages qui vont suivre cette semaine-ci, soient peut-être plus courts que ce que nous avons assisté, d’abord, parce qu’ici, il y a des témoins qui parlent Kinyarwanda donc, ça prend plus de temps, euh… il n’est pas certain en tout cas que tous les témoins qui doivent encore venir soient des témoins beaucoup… enfin très longs. Il y en a certains qui sont des témoins purement de moralité. Ceux-là seront plus courts. Euh… voilà.

Mais ici, on est bien coincé par ce problème-là. Donc demain, vendredi, 8h30, et on essayera de terminer en tout cas vendredi, le plus tôt possible. Maître JASPIS ?

Me. JASPIS : Monsieur le président, toujours à propos du timing, je pense que vous avez eu votre attention attirée par le… dans le calendrier…

Le Président : Oui, mais ça c’est fait, hein, ça c’est fait.

Me. JASPIS : Oui, oui, mais pas le fait que les personnes qui sont invitées à témoigner cet après-midi, seront forcément dans un état de fatigue qui complique sérieusement leur témoignage. Est-ce que je pourrais me permettre de vous suggérer de ne pas terminer trop tard aujourd’hui, pour un petit peu compenser le fait que demain, lorsque ces personnes seront reposées…

Le Président : Maître JASPIS, si nous ne terminons pas…

Me. JASPIS : Oui, je sais mais… il y a aussi la qualité… 

Le Président : Si nous ne parvenons pas à les entendre, dites-moi que vous renoncez à leur audition, hein.

Me. JASPIS : Oui, je.. je vous comprends bien. Nous essayons tous ensemble…

Le Président : Dites-moi que vous renoncez à leur audition. Il n’y a pas de problème, alors. Il n’y a vraiment pas de problème.

Me. JASPIS : Je voulais simplement suggérer de peut-être ne pas trop insister aujourd’hui pour, par contre demain alors, prendre effectivement une grosse journée autant au début de la journée qu’à la fin de la journée. Tandis qu’aujourd’hui, ça ne va pas résoudre le problème de la qualité de ces témoignages et donc, de ce que ces personnes doivent vivre pour pouvoir s’exprimer ici dans des conditions correctes.

Le Président : Eh bien, que tout le monde en tienne compte, peut-être.

Me. JASPIS : Il serait dommage…

Le Président : Bien, nous allons quand même entendre…

Me. JASPIS : …que ce soit au détriment de la manifestation de la vérité évidemment, c’est notre souci aussi. Nous sommes pris dans des impératifs contradictoires, nous en sommes bien conscients. Tout à fait. 

L’Avocat Général : Je maintiens la nécessité d’entendre encore Monsieur GICHAOUA qui est un témoin de contexte et qui prend toute une après-midi à lui seul.

Me. GILLET : Non, je suis tout à fait d’accord sur le fait qu’on n’a pas besoin d’une après-midi avec monsieur GICHAOUA.

L’Avocat Général : Non, mais ma question est : a-t-on besoin de Monsieur GICHAOUA ?

Me. GILLET : Oui. Ca, nous insistons pour qu’il soit entendu, mais enfin, je n’ai pas vérifié le timing mais euh… en une heure, une heure et demie au maximum pour moi, on doit en avoir terminé avec Monsieur GICHAOUA. Ce n’est pas moi qui ai réservé une après-midi pour lui, hein. Je n’ai pas demandé ça non plus.

Le Président : Nous n’avons pas… nous avons jusqu’à présent, je crois, nous avons lu une audition, hein, de personnes qui ne se sont pas présentées.

Me. GILLET : Oui, mais s’il est, s’il est…

Le Président : Il faut prévoir du temps aussi pour ça.

Me. GILLET : S’il est prévu pour une après-midi, on va regagner beaucoup de temps là.

Le Président : A moins qu’on fasse ça un samedi ou un dimanche.

Me. GILLET : De toute façon.

Le Président : Alors. Monsieur le témoin 22.

Me. de CLETY : Monsieur le président, pour alléger le rythme de la Cour, Monsieur le président, je veux bien renoncer à l’audition de Monsieur de STEXHE dont j’avais demandé le témoignage. C’est également un témoin de contexte.

Le Président : Ça lui permettra peut-être de rentrer dans la salle.