8.6.33. Audition des témoins: le témoin 17
Le Président : On a quelqu’un
d’autre ? Ah oui. Madame le témoin 33 n’est pas présente. Madame le témoin 33 n’est
pas présente, la police a fait savoir qu’en raison de son âge, 90 ans, elle
ne se présenterait pas. Les parties renoncent-elles à l’audition de Madame le témoin 33 ?
Oui ? Monsieur le témoin 17, par contre, est présent. Ceci dit, enfin rassurez-vous,
le témoin 33 n’est vraisemblablement pas la personne qui s’occupait du centre
de santé, hein. Je crois que la sœur Cécile…
[intervention venant de la salle sans micro incompréhensible]
Non Identifié : On l’a entendue,
Monsieur le président.
Le Président : On l’a entendue,
hein, sœur Cécile.
Alors, Monsieur le témoin 17 est présent ? Il peut approcher. Monsieur,
quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 17 : le témoin 17. Baudouin
est mon nom de religion.
Le Président : Ah. Quel
âge avez-vous ?
le témoin 17 : 78 ans.
Le Président : Quelle est
votre profession ?
le témoin 17 : Religieux.
Le Président : Quelle est
votre commune de résidence ?
le témoin 17 : Denée.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés ou une partie des accusés avant le mois d’avril 1994 ?
le témoin 17 : Pardon ?
Le Président : Connaissiez-vous
Monsieur NTEZIMANA ?
le témoin 17 : Non.
Le Président : Monsieur HIGANIRO ?
le témoin 17 : Non.
Le Président : Connaissiez-vous
sœur Gertrude ?
le témoin 17 : Oui.
Le Président : Connaissiez-vous
sœur Marie Kizito ?
le témoin 17 : Oui.
Le Président : Ces deux dernières,
les connaissiez-vous avant le mois d’avril 1994 ?
le témoin 17 : Oui.
Le Président : Etes-vous
de la famille des accusés ou des parties civiles ?
le témoin 17 : Non.
Le Président : Etes-vous
attaché au service, par un contrat de travail, des accusés ou des parties civiles ?
le témoin 17 : Non.
Le Président : Je vais vous
demander, Monsieur, de bien vouloir lever la main droite et de prononcer le
serment de témoin.
le témoin 17 : Je jure de parler
sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie,
vous pouvez vous asseoir. Si j’ai bien compris, vous êtes le père Baudouin en
religion ?
le témoin 17 : Oui.
Le Président : Vous avez
vécu au Rwanda ?
le témoin 17 : Oui.
Le Président : Vous pouvez
situer votre époque de vie là-bas ?
le témoin 17 : De 1975 à 1995.
Le Président : Avez-vous,
dans votre séjour au Rwanda, été particulièrement dans la région de Sovu ?
le témoin 17 : Oui, à deux kilomètres.
J’étais au Rwanda dans une fondation de l’abbaye de Maredsous, située à un ou
deux kilomètres du monastère de Sovu.
Le Président : Il s’agissait
là aussi d’une communauté de religieux ou… ?
le témoin 17 : Oui, oui, une fondation
de Maredsous, donc une fondation… un monastère de bénédictins.
Le Président : Donc… Et vous étiez donc plusieurs ?
le témoin 17 : Oui. Nous étions
environ à ce moment-là, nous étions treize ou quatorze.
Le Président : Etiez-vous
en contact avec le monastère des bénédictines de Sovu ?
le témoin 17 : Oh, j’allais souvent
y célébrer la messe et je connaissais donc un peu les religieuses, oui, bien
sûr.
Le Président : Avez-vous
vécu les événements d’avril et mai 1994, du couvent de Sovu ?
le témoin 17 : Non.
Le Président : Dans votre
propre communauté, y a-t-il eu des événements dramatiques à la même époque ?
le témoin 17 : Oui, deux de nos
confrères ont été assassinés, le monastère a été par deux fois, l’objet d’une
attaque à main armée pour cause de vol et en juillet 1994, le monastère a été
pillé complètement.
Le Président : Avez-vous
quitté le Rwanda à ce moment-là ou y êtes-vous resté ?
le témoin 17 : Nous avons quitté
tous ensemble, à la demande des jeunes frères rwandais, nous avons quitté le
monastère le 1er juillet 1994 et nous avons été évacués par l’opération
Turquoise.
Le Président : Le dernier
contact que vous avez eu avec le monastère de Sovu semble être une messe que
vous y avez célébrée le 17 avril 1994. C’est bien exact ?
le témoin 17 : Le 17 ?
Le Président : Moi, j’avais
noté ça dans le procès-verbal que vous aviez…
le témoin 17 : En tout cas c’est…
c’est la date ultime en tout cas, le 17 est la date ultime, j’aurais plutôt
dit le 15 ou le 16 mais, c’est possible.
Le Président : Alors, si
c’est une messe du dimanche, c’est le 17.
le témoin 17 : Il faudrait voir
si le dimanche était un 17.
Le Président : Le dimanche
était le 17.
le témoin 17 : Alors, c’est un
17.
Le Président : Vous avez,
à un moment, écrit au juge d’instruction qui s’occupait du dossier.
le témoin 17 : Pas au juge d’instruction
directement.
Le Président : Non, à qui
de droit.
le témoin 17 : A qui de droit,
oui.
Le Président : Votre lettre
s’intitule comme ça : « A qui de droit ».
le témoin 17 : Exactement.
Le Président : Et vous expliquez
là-dedans être particulièrement surpris des accusations de génocide qui sont
portées contre sœur Gertrude qui était la prière… la prieure du monastère de
Sovu, à l’époque des faits.
le témoin 17 : Oui, parce que
je suis retourné au Rwanda à la fin de 1994, en novembre-décembre 1994, et à
ce moment-là, je n’ai rien entendu dire d’accusations contre sœur Gertrude.
C’est pour cela qu’en avril 1995, j’écris que je suis surpris d’entendre des
accusations.
Le Président : Dans ce… ce
courrier que vous adressiez aux autorités judiciaires, dirons-nous, de manière
plus simple, vous expliquiez notamment que vous-même, étant Belge, vous trouvant
dans votre propre communauté bénédictine, vous étiez considéré comme un partisan
du FPR, et que vous étiez donc menacé dans votre intégrité ?
le témoin 17 : Oui, c’est exact…
Le Président : A…
le témoin 17 : Oui, les Belges…
Pardon.
Le Président : Oui, je vous
en prie.
le témoin 17 : Les Belges étaient
accusés de complicité dans l’assassinat du président de la République et par
conséquent, nous étions suspects, nous étions en danger.
Le Président : Auriez-vous
entendu dire, à l’époque, que sœur Gertrude ou que la communauté des religieuses
de Sovu était en danger parce que considérée comme étant complice du FPR ?
le témoin 17 : Non. Non, mais
la communauté de Sovu comptait plusieurs membres Tutsi qui, par le fait même,
étaient en danger, de même que dans notre communauté, il y avait des confrères
Tutsi qui se trouvaient en danger.
Le Président : Vous avez
exposé, tout à l’heure, que deux de vos confrères avaient trouvé la mort. S’agissait-il
de deux confrères Tutsi ?
le témoin 17 : Oui. Le troisième
a échappé par miracle.
Le Président : Les confrères
Hutu n’ont pas été, quant à eux, menacés ?
le témoin 17 : Non, pas directement,
non, non, non. Sinon, comme confrères des autres, mais non, ils n’ont pas été
menacés.
Le Président : N’avez-vous
pas eu un contact, euh… en avril ou mai 1994 - et là, je vais peut-être vous
demander de préciser quand vous auriez eu ce contact - avec un certain Gaspard
RUSANGANWA qui était lui-même un ancien moine et qui habitait à proximité du
couvent de Sovu ?
le témoin 17 : Oui, à une date
que je ne puis pas déterminer avec exactitude mais qui doit se situer à la fin
du mois d’avril 1994, j’ai reçu, à ma grande surprise, la visite de Gaspard
RUSANGANWA. Il venait me dire que, jusqu’alors, avec l’aide du bourgmestre de
la commune de Huye, commune dont dépend le monastère de Sovu, il avait réussi
à faire protéger les sœurs de Sovu, mais que la sécurité de celles-ci ne pourrait
plus être assurée si les familles des sœurs et les familles de leurs travailleurs
continuaient à résider au monastère. Je lui ai répondu que ce qu’il fallait
faire, c’était sauver et les uns et les autres.
Le Président : Quel était
le but, selon vous, de cette démarche de Gaspard RUSANGANWA ?
le témoin 17 : Je l’ignore, je
me suis toujours demandé pourquoi il était venu me dire cela.
Le Président : A-t-il demandé
à ce que vous-même, vous interveniez, par exemple, auprès de la…
le témoin 17 : Non.
Le Président : …la prieure
de Sovu, pour lui faire comprendre que…
le témoin 17 : Non.
Le Président : …il fallait
absolument qu’elle se débarrasse…
le témoin 17 : Non.
Le Président : …des personnes.
le témoin 17 : Non, il ne m’a
rien demandé.
Le Président : Pour le surplus,
vous constatez, quand vous retournez fin 1995, c’est ça, fin 1994, pardon, au
Rwanda, dans la région de Sovu que, à cet endroit-là, dans la population, on
ne porte pas d’accusations contre sœur Gertrude ?
le témoin 17 : Je n’ai rien entendu
dire.
Le Président : Vous n’avez
pas davantage entendu d’accusations à l’égard de sœur Marie Kizito ?
le témoin 17 : Non.
Le Président : A part cela,
qu’est-ce qui vous fait dire que le comportement de sœur Gertrude et le comportement
de sœur Kizito n’a pas pu être celui qu’on leur reproche ?
le témoin 17 : Je laisse au jury
le soin d’en délibérer mais si c’est cela, si j’ai bien compris votre question,
personnellement…
Le Président : Avez-vous
éventuellement d’autres éléments que cette absence, je dirais, d’informations
recueillies immédiatement après… recueillies sur place, à Sovu. Fin de l’année
1994, vous n’entendez rien dire, avez-vous éventuellement d’autres éléments
qui sont de nature à disculper sœur Gertrude et sœur Kizito ?
le témoin 17 : Si… Non, sinon
la connaissance que j’ai d’elles personnellement et personnellement je… encore
une fois, je laisse au jury le soin de délibérer de la cause mais personnellement,
je ne les vois pas dans la peau de génocidaires.
Le Président : Pouvez-vous
décrire, des contacts que vous avez eus avec elles, si vous êtes en mesure de
le faire, la personnalité de chacune de ces deux religieuses, sœur Gertrude
et sœur Marie Kizito ? La perception que vous aviez de leur personnalité ?
le témoin 17 : Rien d’extraordinaire.
C’étaient des sœurs bénédictines, nous étions des bénédictins, nous nous voyions
de temps en temps. Je n’ai rien remarqué de spécifique dans leur comportement
ou dans leur attitude. C’étaient, pour nous, des consœurs comme des autres,
avec lesquelles nous avions de bons rapports.
Le Président : Je ne sais
pas, est-ce que sœur Gertrude, la prieure, était particulièrement autoritaire ?
Est-ce qu’elle vous semblait être une femme solide qui pouvait faire face à
n’importe quel événement ou, au contraire, d’une femme fragile, je ne sais pas ?
Rien de tout ça ?
le témoin 17 : Je ne vois pas
de solidité extraordinaire, je ne vois pas de fragilité spéciale.
Le Président : Dans le monastère
que vous occupiez avec votre confrère, des personnes étrangères au monastère
sont-elles venues se réfugier à la même époque, en avril-mai 94 ?
le témoin 17 : Au fur et à mesure
que les Tutsi se présentaient au monastère, les génocidaires les repoussaient
vers un bâtiment situé à environ 100 mètres du monastère, dans quel bâtiment
ils seraient quelques jours plus tard, c’est-à-dire le 22 avril, ils seraient
massacrés.
Le Président : Si je comprends
bien, la situation dans votre communauté a été que, je veux dire des Interahamwe
ou… était-ce des Interahamwe ?
le témoin 17 : Oui, oui.
Le Président : Où y avait-il
par exemple des militaires ?
le témoin 17 : Interahamwe surtout.
Le Président : Les Interahamwe
se trouvaient à proximité du couvent et empêchaient…
le témoin 17 : Oui, bien sûr.
Le Président : …qui que ce
soit d’en approcher et d’y pénétrer ?
le témoin 17 : D’y pénétrer, oui.
Ils permettaient qu’ils entrent dans le jardin mais comme le jardin est ouvert
sur un bois, ils les repoussaient vers un bâtiment que l’on appelle le camp
des jeunes, et qui est situé à environ 100 mètres du monastère. Et c’est là
qu’ils étaient hébergés.
Le Président : Et c’est le
22 avril également, comme à Sovu, semble-t-il…
le témoin 17 : Oui.
Le Président : …que ces gens
ont été tués ?
le témoin 17 : Oui.
Le Président : Vous avez
une idée du nombre de personnes qui ont été tuées le 22 avril dans ce bâtiment
ou à proximité de ce bâtiment ?
le témoin 17 : Quelques centaines,
oui, quelques centaines quand même.
Le Président : Votre couvent
en quelque sorte était sous surveillance Interahamwe, jour et nuit, depuis quand ?
Depuis quelle…quelle date à peu près ?
le témoin 17 : Depuis environ
le 22 avril jusque…jusqu’à…jusqu’au mois de juillet. Nous ne pouvions pas sortir.
Le Président : Il ne vous
était plus possible de sortir ?
le témoin 17 : Ah non, comme Belges,
nous étions dans l’incapacité absolue de quitter le monastère. Il y avait des
barrières. C’est pour cela que je n’ai plus eu aucun contact avec Sovu, après
le 17 avril, disons, parce qu’il y avait des génocidaires qui coupaient toute
communication entre nos deux monastères.
Le Président : Bien. Y a-t-il
d’autres questions à poser au témoin ? Maître FERMON ?
Me. FERMON : Monsieur le
président, vous avez parlé de l’attestation que le témoin a faite le 13 avril
1995, sur papier à en-tête de l’abbaye de Maredsous et qui est intitulée :
« A qui de droit ». Je voudrais poser quelques questions concernant
les circonstances dans lesquelles cette attestation a été faite.
Le Président : Oui.
Me. FERMON : Je voudrais d’abord
euh… je souhaiterais que vous posiez la question, Monsieur le président, à la
demande de qui cette attestation a été faite et elle était destinée à quoi.
Je crois avoir compris que le témoin a dit tout à l’heure : « Elle
n’était pas envoyée directement au juge d’instruction » . Elle était
destinée à quoi, alors ? Et à la demande de qui, elle a été établie ?
Le Président : Cette attestation,
Monsieur le témoin 17, d’avril 95, quelqu’un vous a demandé de la rédiger ?
le témoin 17 : C’est moi-même
qui me suis proposé à la rédiger, et je l’ai remise à une dame, mais je ne puis
absolument pas dire son nom, et ça se passait au monastère de Hermeton. Une
dame qui, de près ou de loin, était en relation avec le ministère de la justice,
mais je ne connais pas le nom de cette dame.
Le Président : L’attestation
était-elle éventuellement destinée à autre chose qu’un dossier judiciaire ?
Est-ce qu’elle n’était pas éventuellement destinée à être jointe à une demande
de statut de réfugié politique ?
le témoin 17 : Je ne pensais pas,
en tout cas, que cette demande arriverait un jour en Cour d’assises. C’était…je
disais ce que je pensais, ma surprise, et expliquant aussi la visite de Gaspard
RUSANGANWA, mais c’est de mon propre chef que j’ai fait cette attestation.
Le Président : Oui, une autre
question ?
Me. FERMON : Oui, Monsieur
le président. Est-ce que ce jour-là, à sa connaissance, le témoin était le seul
à établir ce genre d’attestation ou est-ce que les autres sœurs ont établi,
ou d’autres personnes, ont établi des attestations, le même jour ?
Le Président : Savez-vous
si vous avez été le seul à rédiger une attestation ou si d’autres personnes,
le même jour… ?
le témoin 17 : Je l’ignore, je
l’ignore.
Le Président : Votre attestation,
vous l’avez rédigée alors que vous étiez à Maredsous ou alors que vous étiez
à Hermeton ?
le témoin 17 : Je l’ai tapée à
la machine à Maredsous, mais…
Le Président : Et vous êtes
allé la porter ou quelqu’un est venu la chercher ?
le témoin 17 : Je ne me rappelle
plus, Monsieur le président, à qui j’ai remis cette attestation. Est-ce que
c’est à sœur Gertrude ou est-ce que c’est à cette dame ? Je ne me rappelle
plus. Ça se passait il y a six ans.
Le Président : Oui. Maredsous,
Hermeton, ce n’est pas très distant, hein ?
le témoin 17 : Non, il y a cinq
ou six kilomètres.
Le Président : Oui, une autre
question, Maître FERMON ?
Me. FERMON : Peut-être, Monsieur
le président, sur cette question de… Ne serait-ce pas, par hasard, la mère Aloïse
à qui l’attestation a été remise ?
le témoin 17 : Absolument pas,
elle est tout à fait en dehors de cette question, tout à fait.
Me. FERMON : Le témoin, Monsieur
le président, n’a donc pas connaissance non plus, que le même jour, le 13 avril
1995, il y a une flopée d’attestations qui ont été établies par différentes
personnes au couvent de Hermeton, en faveur de mère Gertrude ?
Le Président : Je pense que
le témoin a répondu qu’il savait avoir fait, lui, une attestation, mais ne pas
savoir si d’autres en avaient fait.
le témoin 17 : C’est très possible,
je vous crois, qu’il y a eu d’autres attestations, mais je l’ignore.
Me. FERMON : Et alors, la
dernière question, Monsieur le président. Dans cette même attestation, le témoin,
dans la deuxième partie de l’attestation qu’il a intitulée « annexe »,
il cite abondamment le récit que sœur Gertrude a établi elle-même, le long récit
dont il a été question ici, pendant les débats, des événements du 5 février
1995 et remis à ses supérieurs. Est-ce que le témoin peut expliquer comment
il avait eu accès à ce récit établi par sœur Gertrude ?
le témoin 17 : C’est sœur Gertrude
qui me l’avait communiqué, je ne vois pas d’autres possibilités.
Me. FERMON : Je vous remercie,
Monsieur le président.
Le Président : Une autre
question ? Maître VERGAUWEN ?
Me. VERGAUWEN : Oui, je vous
remercie, Monsieur le président. La première question que je souhaiterais voir
poser au témoin, concerne ce dont le témoin nous a parlé au sujet de l’attaque
d’Interahamwe et du fait que deux frères du monastère de Gihindamuyaga, donc,
avaient été assassinés. Est-ce que le témoin, s’il s’en souvient, et si ce n’est
pas trop pénible, pourrait nous décrire cette scène. Comment les choses se sont
passées ? Est-ce que les Interahamwe… est-ce qu’il y avait plusieurs personnes ?
Est-ce que le témoin pourrait nous dire qui il a vu, comment c’est arrivé, comment
la scène s’est passée ?
Le Président : Ça vous est
possible ?
le témoin 17 : D’expliquer comment
ça s’est passé, l’assassinat des deux confrères ?
Me. VERGAUWEN : Est-ce que le
témoin a, je vais peut-être être plus précis alors, a eu un contact avec celui
qui se présenterait comme étant le chef des miliciens que nous appelons dans
le dossier, un certain Monsieur REKERAHO. Est-ce que ça lui dit quelque chose ?
le témoin 17 : Bien sûr.
Le Président : Le nom de
Emmanuel REKERAHO vous dit-il quelque chose ?
le témoin 17 : C’est celui qui
est venu, par ruse, demander de la part d’un soi-disant colonel, que tous les
jeunes confrères du monastère, de mon monastère bénédictin, que tous les jeunes
confrères se rendent à un endroit précis. Alors, évidemment, le supérieur du
monastère a fait des représentations et a dit : « Si ce colonel veut
voir nos jeunes confrères, tous (neuf, c’est-à-dire six Hutu et trois Tutsi),
si ce colonel veut voir nos confrères, il n’a qu’à venir les voir ici. Et ils
ne bougeront pas d’ici ». Mais REKERAHO a dit : « Vous savez,
c’est un ordre formel du colonel, il faut obéir ». Et il nous a laissé
entendre que sinon, il y aurait des représailles. Alors, bon, les jeunes confrères,
tous ensemble, tous les jeunes, sont partis et il y en a deux qui ne sont pas
revenus, deux Tutsi qui ne sont pas revenus. Et ça se passait le 22 avril.
Le Président : Vous n’avez
pas assisté à la scène au cours de laquelle…
le témoin 17 : Non.
Le Président : …les deux
confrères ont été tués ?
le témoin 17 : Non.
Le Président : Monsieur REKERAHO
s’est-il présenté seul pour…
le témoin 17 : Non, ils étaient
plusieurs.
Le Président : Avait-il éventuellement
un véhicule ?
le témoin 17 : Je ne me rappelle
pas. Mais ils étaient plusieurs en tout cas.
Le Président : Une autre
question ?
Me. VERGAUWEN : Oui, Monsieur
le président. Est-ce que le témoin se souvient éventuellement de l’apparence
physique de Monsieur REKERAHO que personne d’entre vous… d’entre nous n’a vu ?
Est-ce qu’il s’en souvient éventuellement ? Est-ce qu’il peut nous… donner
des informations, s’il s’en souvient ?
Le Président : Alors. Vous
souvenez-vous de l’aspect physique de Monsieur REKERAHO ? Grand ?
Petit ? Gros ? Mince ?
le témoin 17 : Plutôt corpulent.
J’ai vu une photo de lui récemment dans la presse, et je l’ai reconnu quoique
ne l’ayant vu que deux fois dans ma vie.
Le Président : Vous pouvez
situer les deux moments où vous l’avez vu ? Je suppose qu’il y a ce 22
avril…
le témoin 17 : La première fois,
quand il est venu chercher les jeunes Rwandais…
Le Président : Oui.
le témoin 17 : …et la deuxième
fois, quand il est venu demander à fouiller le monastère. Et comme c’est moi
qui avais été ouvert le porte, euh… c’est moi qui avais été ouvrir la porte,
j’ai refusé. Et il s’est retiré, mécontent.
Le Président : Et cette fouille
du monastère se passe à quel moment ? Après le 22 avril ?
le témoin 17 : Oui, assez bien
après le 22 avril, mais encore une fois, je n’ai pas pris note, malheureusement,
des événements au fur et à mesure de leur déroulement, je ne pourrais donc pas
vous dire avec précision la date à laquelle il s’est présenté cette deuxième
fois au monastère.
Le Président : Alors, en
ce qui concerne la visite du 22 avril, celle où il vient pour emmener les neuf
jeunes confrères.
le témoin 17 : Oui.
Le Président : Vous souvenez-vous
éventuellement de l’habillement qu’avait Monsieur REKERAHO ?
le témoin 17 : L’argument, c’était
un ordre du colonel.
Le Président : Non, non,
l’habillement, excusez-moi, l’habillement de Monsieur REKERAHO. Avait-il un
uniforme militaire ? Avez-vous constaté, parce que certains parlent de
ce qu’il aurait été déguisé avec…
le témoin 17 : Je ne me rappelle
pas. Si cette question m’avait été posée un mois après le 22 avril, j’aurais
pu répondre, maintenant, sept ans après, je ne puis pas répondre.
Le Président : Etait-ce un
homme qui avait un air qui physiquement faisait peur quelque part ?
le témoin 17 : Un air ?
Le Président : Un homme
ou un être qui, ne fût-ce qu’à sa vue, du voir, faisait physiquement peur,
je dirais ?
le témoin 17 : Oui, un peu, oui,
il avait l’air assez dur.
Le Président : Une autre
question ?
Me. VERGAUWEN : Oui, Monsieur
le président. Pourriez-vous demander au témoin de confirmer les termes précis
de son attestation au sujet de la visite de Monsieur Gaspard RUSANGANWA, qui
sont les suivants. Vous avez fait état d’une partie de sa déclaration, mais
je voudrais citer la phrase qui suit, donc, d’après son attestation, le témoin
dit ceci : « Il voulait simplement me faire part
de ce qu’avec le bourgmestre de la commune de Huye, dont fait partie la colline
de Sovu, il avait essayé jusqu’alors de protéger les sœurs, mais que la sécurité
de celles-ci ne pourrait plus être assurée si les familles, tant des sœurs que
de leurs travailleurs, continuaient à recevoir l’asile du monastère ».
Et voici la suite : « Je compris aussitôt l’horrible
vérité et l’atroce dilemme que les sœurs de Sovu, et leur supérieure en tout
premier lieu, allaient devoir affronter. Atterré mais impuissant, je ne pus
que conjurer Gaspard RUSANGANWA de faire tout ce qui était en son pouvoir pour
sauver la vie de tous ».
Le Président : Il s’agit
bien des termes de votre attestation ?
le témoin 17 : Oui.
Le Président : Une autre
question ?
Me. VERGAUWEN : Oui, Monsieur
le président. Est-ce que le témoin pourrait-il nous dire ce qu’il sait du climat
au monastère de Sovu, antérieurement aux faits ? Est-ce qu’il a connaissance,
éventuellement, de tensions dans ce monastère, avant avril 1994 ?
Le Président : Avant les
atroces événements qui vont frapper le Rwanda en avril 1994, à partir d’avril
1994, par les contacts que vous aviez, en tout cas occasionnellement, avec le
couvent de Sovu, y avez-vous constaté qu’il pouvait y régner des tensions, des
difficultés de relations éventuellement, entre certaines des religieuses ?
le témoin 17 : Nous n’avons pas
entendu parler de tensions spéciales, extraordinaires. Comme dans toute communauté,
il y a toujours un peu des tiraillements et des petites tensions, mais pas de
tensions extrêmes, non.
Le Président : Avez-vous
éventuellement entendu dire que l’élection de sœur Gertrude aurait amené des
difficultés au sein de la communauté ?
le témoin 17 : Oui, une certaine
jalousie. J’ai lu dans un journal que cette jalousie entre deux sœurs de Sovu,
c’était le secret de polichinelle à Butare.
Le Président : Une autre
question ? Maître BEAUTHIER ?
Me. BEAUTHIER : Monsieur
le président, le témoin lit les journaux. J’aurais voulu poser la question…
Le Président : C’est son
droit, Maître BEAUTHIER.
Me. BEAUTHIER : Oui, tout
à fait, il n’est pas président de Cour d’assises ! Le témoin pourrait…
le témoin pourrait-il nous dire ce qu’il avait comme connaissance de Gaspard.
Si je me souviens bien, Gaspard était un ancien moine.
le témoin 17 : Oui.
Me. BEAUTHIER : Alors, quand
Gaspard, dont il connaît bien, j’imagine, les idées, vient le voir pour ça,
est-ce qu’il ne flaire pas un piège ? Est-ce que…c’est vrai que vous avez
dit que vous étiez inquiet, mais Gaspard n’était tout de même pas un tendre ?
Le Président : Aviez-vous
connaissance… Comment est-ce que vous… Vous nous avez décrit très, très brièvement,
les personnalités des gens mais Gaspard RUSANGANWA, c’était quel genre d’homme ?
le témoin 17 : Mais, j’ai été
très étonné d’apprendre par après, parce que tout, tout, je l’ai appris par
après, j’ai été très étonné d’apprendre par après, sa collusion avec les autorités
et les génocidaires de l’époque.
Le Président : Selon vous,
c’était pas un homme non plus à participer à un génocide ?
le témoin 17 : J’ai été très surpris.
Me. BEAUTHIER : Je vous remercie,
Monsieur le président.
Le Président : Une autre
question ? Maître NKUBANYI ?
Me. NKUBANYI : Oui, merci
Monsieur le président. Le témoin nous a dit qu’il est allé sur place pour écrire
des informations sur une possible implication des sœurs dans ce qui s’est passé
à Sovu et qu’il n’a pas eu, disons, d’éléments pouvant les inculper. Est-ce
que le témoin aurait eu des éléments sur leur comportement pendant les événements,
des personnes qu’elles auraient sauvées ou quelque chose comme ça ?
Le Président : Apparemment,
bon, je crois que le témoin n’a pas dit s’être rendu sur place, mais peut-être
était-ce le cas, pour recueillir des informations. Le but de votre visite, de
votre retour en fin 94, au Rwanda, était-ce pour aller sur place, recueillir
des témoignages ?
le témoin 17 : Non. Si j’ai été
sur place recueillir des témoignages ?
Le Président : Oui.
le témoin 17 : Non.
Le Président : Non. Vous
y retourniez pour revivre dans votre communauté ?
le témoin 17 : Oui.
Le Président : Et à l’occasion
de votre retour, vous n’avez rien entendu dire ?
le témoin 17 : Non.
Le Président : Alors, vous
n’avez rien entendu dire, je dirais, de… le contraire, comme on dit, hein.
le témoin 17 : A ce moment-là,
non.
Le Président : A ce moment-là,
avez-vous éventuellement entendu des choses qui étaient favorables aux religieuses,
de ce qu’elles avaient… qu’elles étaient intervenues pour sauver telle ou telle
personne, par exemple ?
le témoin 17 : Ni l’un, ni l’autre.
Me. NKUBANYI : Une autre petite
question, Monsieur le président. Le témoin nous a dit que les sœurs n’avaient
pas la peau d’un génocidaire. Est-ce qu’il pourrait être précis et nous dire
par exemple au sujet de REKERAHO, est-ce qu’il avait la peau d’un génocidaire,
au sujet de Gaspard, pour lui, il dit qu’il est étonné de sa…
Qu’est-ce qu’il veut dire par « la peau d’un génocidaire » ?
le témoin 17 : Je n’ai pas compris
la question, veuillez m’excuser.
Me. NKUBANYI : Je pourrais peut-être
la…
Le Président : Oui, mais
je ne suis pas sûr que je vais la poser. Y a-t-il une autre question ?
Bien. Les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Monsieur
le témoin 17, confirmez-vous les déclarations que vous venez de faire ? Persistez-vous
dans ces déclarations ?
le témoin 17 : Oui.
Le Président : La Cour vous
remercie pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement de votre temps.
le témoin 17 : Merci.
Le Président : Bien. Nous
allons suspendre l’audience un quart d’heure. Est-ce qu’il y a encore des témoins
présents ? Donc, on reprend à 4 heures moins 20. |