assises rwanda 2001
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Instruction d’audience C. Mukangango, « sœur Gertrude » et J. Mukabutera, « sœur Kizito » Audition témoins compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction d’audience C. Mukangango, « sœur Gertrude » et J. Mukabutera, « sœur Kizito » > Audition témoins > le témoin 17
1. le témoin 19 2. M.le témoin 44 3. R. Tremblay 4. le témoin 110 5. le témoin 38 6. le témoin 72 7. le témoin 101 8. le témoin 79 9. le témoin 138 10. le témoin 57 11. le témoin 2 12. le témoin 66 13. le témoin 71 14. le témoin 64 15. le témoin 81 16. le témoin 151 17. le témoin 115 18. le témoin 136 19. le témoin 7 20. le témoin 75 21. le témoin 82 22. le témoin 80 23. le témoin 99 24. le témoin 152 25. le témoin 78 26. Commentaires sur textes rédigés à Maredret 27. le témoin 95 28. le témoin 133 et commentaires de défense 29. le témoin 74 30. le témoin 70 31. le témoin 20 32. le témoin 60 33. le témoin 17 34. le témoin 49 35. le témoin 127 36. le témoin 47 37. le témoin 46 38. le témoin 147 39. le témoin 51 40. A. JANSSENS 41. le témoin 48 42. le témoin 145 43. G. Dupuis
 

8.6.33. Audition des témoins: le témoin 17

Le Président : On a quelqu’un d’autre ? Ah oui. Madame le témoin 33 n’est pas présente. Madame le témoin 33 n’est pas présente, la police a fait savoir qu’en raison de son âge, 90 ans, elle ne se présenterait pas. Les parties renoncent-elles à l’audition de Madame le témoin 33 ? Oui ? Monsieur le témoin 17, par contre, est présent. Ceci dit, enfin rassurez-vous, le témoin 33 n’est vraisemblablement pas la personne qui s’occupait du centre de santé, hein. Je crois que la sœur Cécile…

[intervention venant de la salle sans micro ­ incompréhensible]

Non Identifié : On l’a entendue, Monsieur le président.

Le Président : On l’a entendue, hein, sœur Cécile.

Alors, Monsieur le témoin 17 est présent ? Il peut approcher. Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?

le témoin 17 : le témoin 17. Baudouin est mon nom de religion.

Le Président : Ah. Quel  âge avez-vous ?

le témoin 17 : 78 ans.

Le Président : Quelle est votre profession ?

le témoin 17 : Religieux.

Le Président : Quelle est votre commune de résidence ?

le témoin 17 : Denée.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés ou une partie des accusés avant le mois d’avril 1994 ?

le témoin 17 : Pardon ?

Le Président : Connaissiez-vous Monsieur NTEZIMANA ?

le témoin 17 : Non.

Le Président : Monsieur HIGANIRO ?

le témoin 17 : Non.

Le Président : Connaissiez-vous sœur Gertrude ?

le témoin 17 : Oui.

Le Président : Connaissiez-vous sœur Marie Kizito ?

le témoin 17 : Oui.

Le Président : Ces deux dernières, les connaissiez-vous avant le mois d’avril 1994 ?

le témoin 17 : Oui.

Le Président : Etes-vous de la famille des accusés ou des parties civiles ?

le témoin 17 : Non.

Le Président : Etes-vous attaché au service, par un contrat de travail, des accusés ou des parties civiles ?

le témoin 17 : Non.

Le Président : Je vais vous demander, Monsieur, de bien vouloir lever la main droite et de prononcer le serment de témoin.

le témoin 17 : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie, vous pouvez vous asseoir. Si j’ai bien compris, vous êtes le père Baudouin en religion ?

le témoin 17 : Oui.

Le Président : Vous avez vécu au Rwanda ?

le témoin 17 : Oui.

Le Président : Vous pouvez situer votre époque de vie là-bas ?

le témoin 17 : De 1975 à 1995.

Le Président : Avez-vous, dans votre séjour au Rwanda, été particulièrement dans la région de Sovu ?

le témoin 17 : Oui, à deux kilomètres. J’étais au Rwanda dans une fondation de l’abbaye de Maredsous, située à un ou deux kilomètres du monastère de Sovu.

Le Président : Il s’agissait là aussi d’une communauté de religieux ou… ?

le témoin 17 : Oui, oui, une fondation de Maredsous, donc une fondation… un monastère de bénédictins.

Le Président : Donc… Et vous étiez donc plusieurs ?

le témoin 17 : Oui. Nous étions environ à ce moment-là, nous étions treize ou quatorze.

Le Président : Etiez-vous en contact avec le monastère des bénédictines de Sovu ?

le témoin 17 : Oh, j’allais souvent y célébrer la messe et je connaissais donc un peu les religieuses, oui, bien sûr.

Le Président : Avez-vous vécu les événements d’avril et mai 1994, du couvent de Sovu ?

le témoin 17 : Non.

Le Président : Dans votre propre communauté, y a-t-il eu des événements dramatiques à la même époque ?

le témoin 17 : Oui, deux de nos confrères ont été assassinés, le monastère a été par deux fois, l’objet d’une attaque à main armée pour cause de vol et en juillet 1994, le monastère a été pillé complètement.

Le Président : Avez-vous quitté le Rwanda à ce moment-là ou y êtes-vous resté ?

le témoin 17 : Nous avons quitté tous ensemble, à la demande des jeunes frères rwandais, nous avons quitté le monastère le 1er juillet 1994 et nous avons été évacués par l’opération Turquoise.

Le Président : Le dernier contact que vous avez eu avec le monastère de Sovu semble être une messe que vous y avez célébrée le 17 avril 1994. C’est bien exact ?

le témoin 17 : Le 17 ?

Le Président : Moi, j’avais noté ça dans le procès-verbal que vous aviez…

le témoin 17 : En tout cas c’est… c’est la date ultime en tout cas, le 17 est la date ultime, j’aurais plutôt dit le 15 ou le 16 mais, c’est possible.

Le Président : Alors, si c’est une messe du dimanche, c’est le 17.

le témoin 17 : Il faudrait voir si le dimanche était un 17.

Le Président : Le dimanche était le 17.

le témoin 17 : Alors, c’est un 17.

Le Président : Vous avez, à un moment, écrit au juge d’instruction qui s’occupait du dossier.

le témoin 17 : Pas au juge d’instruction directement.

Le Président : Non, à qui de droit.

le témoin 17 : A qui de droit, oui.

Le Président : Votre lettre s’intitule comme ça : « A qui de droit ».

le témoin 17 : Exactement.

Le Président : Et vous expliquez là-dedans être particulièrement surpris des accusations de génocide qui sont portées contre sœur Gertrude qui était la prière… la prieure du monastère de Sovu, à l’époque des faits.

le témoin 17 : Oui, parce que je suis retourné au Rwanda à la fin de 1994, en novembre-décembre 1994, et à ce moment-là, je n’ai rien entendu dire d’accusations contre sœur Gertrude. C’est pour cela qu’en avril 1995, j’écris que je suis surpris d’entendre des accusations.

Le Président : Dans ce… ce courrier que vous adressiez aux autorités judiciaires, dirons-nous, de manière plus simple, vous expliquiez notamment que vous-même, étant Belge, vous trouvant dans votre propre communauté bénédictine, vous étiez considéré comme un partisan du FPR, et que vous étiez donc menacé dans votre intégrité ?

le témoin 17 : Oui, c’est exact…

Le Président : A…

le témoin 17 : Oui, les Belges… Pardon.

Le Président : Oui, je vous en prie.

le témoin 17 : Les Belges étaient accusés de complicité dans l’assassinat du président de la République et par conséquent, nous étions suspects, nous étions en danger.

Le Président : Auriez-vous entendu dire, à l’époque, que sœur Gertrude ou que la communauté des religieuses de Sovu était en danger parce que considérée comme étant  complice du FPR ?

le témoin 17 : Non. Non, mais la communauté de Sovu comptait plusieurs membres Tutsi qui, par le fait même, étaient en danger, de même que dans notre communauté, il y avait des confrères Tutsi qui se trouvaient en danger.

Le Président : Vous avez exposé, tout à l’heure, que deux de vos confrères avaient trouvé la mort. S’agissait-il de deux confrères Tutsi ?

le témoin 17 : Oui. Le troisième a échappé par miracle.

Le Président : Les confrères Hutu n’ont pas été, quant à eux, menacés ?

le témoin 17 : Non, pas directement, non, non, non. Sinon, comme confrères des autres, mais non, ils n’ont pas été menacés.

Le Président : N’avez-vous pas eu un contact, euh… en avril ou mai 1994 - et là, je vais peut-être vous demander de préciser quand vous auriez eu ce contact - avec un certain Gaspard RUSANGANWA qui était lui-même un ancien moine et qui habitait à proximité du couvent de Sovu ?

le témoin 17 : Oui, à une date que je ne puis pas déterminer avec exactitude mais qui doit se situer à la fin du mois d’avril 1994, j’ai reçu, à ma grande surprise, la visite de Gaspard RUSANGANWA. Il venait me dire que, jusqu’alors, avec l’aide du bourgmestre de la commune de Huye, commune dont dépend le monastère de Sovu, il avait réussi à faire protéger les sœurs de Sovu, mais que la sécurité de celles-ci ne pourrait plus être assurée si les familles des sœurs et les familles de leurs travailleurs continuaient à résider au monastère. Je lui ai répondu que ce qu’il fallait faire, c’était sauver et les uns et les autres.

Le Président : Quel était le but, selon vous, de cette démarche de Gaspard RUSANGANWA ?

le témoin 17 : Je l’ignore, je me suis toujours demandé pourquoi il était venu me dire cela.

Le Président : A-t-il demandé à ce que vous-même, vous interveniez, par exemple, auprès de la…

le témoin 17 : Non.

Le Président : …la prieure de Sovu, pour lui faire comprendre que…

le témoin 17 : Non.

Le Président : …il fallait absolument qu’elle se débarrasse…

le témoin 17 : Non.

Le Président : …des personnes.

le témoin 17 : Non, il ne m’a rien demandé.

Le Président : Pour le surplus, vous constatez, quand vous retournez fin 1995, c’est ça, fin 1994, pardon, au Rwanda, dans la région de Sovu que, à cet endroit-là, dans la population, on ne porte pas d’accusations contre sœur Gertrude ?

le témoin 17 : Je n’ai rien entendu dire.

Le Président : Vous n’avez pas davantage entendu d’accusations à l’égard de sœur Marie Kizito ?

le témoin 17 : Non.

Le Président : A part cela, qu’est-ce qui vous fait dire que le comportement de sœur Gertrude et le comportement de sœur Kizito n’a pas pu être celui qu’on leur reproche ?

le témoin 17 : Je laisse au jury le soin d’en délibérer mais si c’est cela, si j’ai bien compris votre question, personnellement…

Le Président : Avez-vous éventuellement d’autres éléments que cette absence, je dirais, d’informations recueillies immédiatement après… recueillies sur place, à Sovu. Fin de l’année 1994, vous n’entendez rien dire, avez-vous éventuellement d’autres éléments qui sont de nature à disculper sœur Gertrude et sœur Kizito ?

le témoin 17 : Si… Non, sinon la connaissance que j’ai d’elles personnellement et personnellement je… encore une fois, je laisse au jury le soin de délibérer de la cause mais personnellement, je ne les vois pas dans la peau de génocidaires.

Le Président : Pouvez-vous décrire, des contacts que vous avez eus avec elles, si vous êtes en mesure de le faire, la personnalité de chacune de ces deux religieuses, sœur Gertrude et sœur Marie Kizito ? La perception que vous aviez de leur personnalité ?

le témoin 17 : Rien d’extraordinaire. C’étaient des sœurs bénédictines, nous étions des bénédictins, nous nous voyions de temps en temps. Je n’ai rien remarqué de spécifique dans leur comportement ou dans leur attitude. C’étaient, pour nous, des consœurs comme des autres, avec lesquelles nous avions de bons rapports.

Le Président : Je ne sais pas, est-ce que sœur Gertrude, la prieure, était particulièrement autoritaire ? Est-ce qu’elle vous semblait être une femme solide qui pouvait faire face à n’importe quel événement ou, au contraire, d’une femme fragile, je ne sais pas ? Rien de tout ça ?

le témoin 17 : Je ne vois pas de solidité extraordinaire, je ne vois pas de fragilité spéciale.

Le Président : Dans le monastère que vous occupiez avec votre confrère, des personnes étrangères au monastère sont-elles venues se réfugier à la même époque, en avril-mai 94 ?

le témoin 17 : Au fur et à mesure que les Tutsi se présentaient au monastère, les génocidaires les repoussaient vers un bâtiment situé à environ 100 mètres du monastère, dans quel bâtiment ils seraient quelques jours plus tard, c’est-à-dire le 22 avril, ils seraient massacrés.

Le Président : Si je comprends bien, la situation dans votre communauté a été que, je veux dire des Interahamwe ou… était-ce des Interahamwe ?

le témoin 17 : Oui, oui.

Le Président : Où y avait-il par exemple des militaires ?

le témoin 17 : Interahamwe surtout.

Le Président : Les Interahamwe se trouvaient à proximité du couvent et empêchaient…

le témoin 17 : Oui, bien sûr.

Le Président : …qui que ce soit d’en approcher et d’y pénétrer ?

le témoin 17 : D’y pénétrer, oui. Ils permettaient qu’ils entrent dans le jardin mais comme le jardin est ouvert sur un bois, ils les repoussaient vers un bâtiment que l’on appelle le camp des jeunes, et qui est situé à environ 100 mètres du monastère. Et c’est là qu’ils étaient hébergés.

Le Président : Et c’est le 22 avril également, comme à Sovu, semble-t-il…

le témoin 17 : Oui.

Le Président : …que ces gens ont été tués ?

le témoin 17 : Oui.

Le Président : Vous avez une idée du nombre de personnes qui ont été tuées le 22 avril dans ce bâtiment ou à proximité de ce bâtiment ?

le témoin 17 : Quelques centaines, oui, quelques centaines quand même.

Le Président : Votre couvent en quelque sorte était sous surveillance Interahamwe, jour et nuit, depuis quand ? Depuis quelle…quelle date à peu près ?

le témoin 17 : Depuis environ le 22 avril jusque…jusqu’à…jusqu’au mois de juillet. Nous ne pouvions pas sortir.

Le Président : Il ne vous était plus possible de sortir ?

le témoin 17 : Ah non, comme Belges, nous étions dans l’incapacité absolue de quitter le monastère. Il y avait des barrières. C’est pour cela que je n’ai plus eu aucun contact avec Sovu, après le 17 avril, disons, parce qu’il y avait des génocidaires qui coupaient toute communication entre nos deux monastères.

Le Président : Bien. Y a-t-il d’autres questions à poser au témoin ? Maître FERMON ?

Me. FERMON : Monsieur le président, vous avez parlé de l’attestation que le témoin a faite le 13 avril 1995, sur papier à en-tête de l’abbaye de Maredsous et qui est intitulée : « A qui de droit ». Je voudrais poser quelques questions concernant les circonstances dans lesquelles cette attestation a été faite.

Le Président : Oui.

Me. FERMON : Je voudrais d’abord euh… je souhaiterais que vous posiez la question, Monsieur le président, à la demande de qui cette attestation a été faite et elle était destinée à quoi. Je crois avoir compris que le témoin a dit tout à l’heure : « Elle n’était pas envoyée directement au juge d’instruction » . Elle était destinée à quoi, alors ? Et à la demande de qui, elle a été établie ?

Le Président : Cette attestation, Monsieur le témoin 17, d’avril 95, quelqu’un vous a demandé de la rédiger ?

le témoin 17 : C’est moi-même qui me suis proposé à la rédiger, et je l’ai remise à une dame, mais je ne puis absolument pas dire son nom, et ça se passait au monastère de Hermeton. Une dame qui, de près ou de loin, était en relation avec le ministère de la justice, mais je ne connais pas le nom de cette dame.

Le Président : L’attestation était-elle éventuellement destinée à autre chose qu’un dossier judiciaire ? Est-ce qu’elle n’était pas éventuellement destinée à être jointe à une demande de statut de réfugié politique ?

le témoin 17 : Je ne pensais pas, en tout cas, que cette demande arriverait un jour en Cour d’assises. C’était…je disais ce que je pensais, ma surprise, et expliquant aussi la visite de Gaspard RUSANGANWA, mais c’est de mon propre chef que j’ai fait cette attestation.

Le Président : Oui, une autre question ?

Me. FERMON : Oui, Monsieur le président. Est-ce que ce jour-là, à sa connaissance, le témoin était le seul à établir ce genre d’attestation ou est-ce que les autres sœurs ont établi, ou d’autres personnes, ont établi des attestations, le même jour ?

Le Président : Savez-vous si vous avez été le seul à rédiger une attestation ou si d’autres personnes, le même jour… ?

le témoin 17 : Je l’ignore, je l’ignore.

Le Président : Votre attestation, vous l’avez rédigée alors que vous étiez à Maredsous ou alors que vous étiez à Hermeton ?

le témoin 17 : Je l’ai tapée à la machine à Maredsous, mais…

Le Président : Et vous êtes allé la porter ou quelqu’un est venu la chercher ?

le témoin 17 : Je ne me rappelle plus, Monsieur le président, à qui j’ai remis cette attestation. Est-ce que c’est à sœur Gertrude ou est-ce que c’est à cette dame ? Je ne me rappelle plus. Ça se passait il y a six ans.

Le Président : Oui. Maredsous, Hermeton, ce n’est pas très distant, hein ?

le témoin 17 : Non, il y a cinq ou six kilomètres.

Le Président : Oui, une autre question, Maître FERMON ?

Me. FERMON : Peut-être, Monsieur le président, sur cette question de… Ne serait-ce pas, par hasard, la mère Aloïse à qui l’attestation a été remise ?

le témoin 17 : Absolument pas, elle est tout à fait en dehors de cette question, tout à fait.

Me. FERMON : Le témoin, Monsieur le président, n’a donc pas connaissance non plus, que le même jour, le 13 avril 1995, il y a une flopée d’attestations qui ont été établies par différentes personnes au couvent de Hermeton, en faveur de mère Gertrude ?

Le Président : Je pense que le témoin a répondu qu’il savait avoir fait, lui, une attestation, mais ne pas savoir si d’autres en avaient fait.

le témoin 17 : C’est très possible, je vous crois, qu’il y a eu d’autres attestations, mais je l’ignore.

Me. FERMON : Et alors, la dernière question, Monsieur le président. Dans cette même attestation, le témoin, dans la deuxième partie de l’attestation qu’il a intitulée « annexe », il cite abondamment le récit que sœur Gertrude a établi elle-même, le long récit dont il a été question ici, pendant les débats, des événements du 5 février 1995 et remis à ses supérieurs. Est-ce que le témoin peut expliquer comment il avait eu accès à ce récit établi par sœur Gertrude ?

le témoin 17 : C’est sœur Gertrude qui me l’avait communiqué, je ne vois pas d’autres possibilités.

Me. FERMON : Je vous remercie, Monsieur le président.

Le Président : Une autre question ? Maître VERGAUWEN ?

Me. VERGAUWEN : Oui, je vous remercie, Monsieur le président. La première question que je souhaiterais voir poser au témoin, concerne ce dont le témoin nous a parlé au sujet de l’attaque d’Interahamwe et du fait que deux frères du monastère de Gihindamuyaga, donc, avaient été assassinés. Est-ce que le témoin, s’il s’en souvient, et si ce n’est pas trop pénible, pourrait nous décrire cette scène. Comment les choses se sont passées ? Est-ce que les Interahamwe… est-ce qu’il y avait plusieurs personnes ? Est-ce que le témoin pourrait nous dire qui il a vu, comment c’est arrivé, comment la scène s’est passée ?

Le Président : Ça  vous est possible ?

le témoin 17 : D’expliquer comment ça s’est passé, l’assassinat des deux confrères ?

Me. VERGAUWEN : Est-ce que le témoin a, je vais peut-être être plus précis alors, a eu un contact avec celui qui se présenterait comme étant le chef des miliciens que nous appelons dans le dossier, un certain Monsieur REKERAHO. Est-ce que ça lui dit quelque chose ?

le témoin 17 : Bien sûr.

Le Président : Le nom de Emmanuel REKERAHO vous dit-il quelque chose ?

le témoin 17 : C’est celui qui est venu, par ruse, demander de la part d’un soi-disant colonel, que tous les jeunes confrères du monastère, de mon monastère bénédictin, que tous les jeunes confrères se rendent à un endroit précis. Alors, évidemment, le supérieur du monastère a fait des représentations et a dit : « Si ce colonel veut voir nos jeunes confrères, tous (neuf, c’est-à-dire six Hutu et trois Tutsi), si ce colonel veut voir nos confrères, il n’a qu’à venir les voir ici. Et ils ne bougeront pas d’ici ». Mais REKERAHO a dit : « Vous savez, c’est un ordre formel du colonel, il faut obéir ». Et il nous a laissé entendre que sinon, il y aurait des représailles. Alors, bon, les jeunes confrères, tous ensemble, tous les jeunes, sont partis et il y en a deux qui ne sont pas revenus, deux Tutsi qui ne sont pas revenus. Et ça se passait le 22 avril.

Le Président : Vous n’avez pas assisté à la scène au cours de laquelle…

le témoin 17 : Non.

Le Président : …les deux confrères ont été tués ?

le témoin 17 : Non.

Le Président : Monsieur REKERAHO s’est-il présenté seul pour…

le témoin 17 : Non, ils étaient plusieurs.

Le Président : Avait-il éventuellement un véhicule ?

le témoin 17 : Je ne me rappelle pas. Mais ils étaient plusieurs en tout cas.

Le Président : Une autre question ?

Me. VERGAUWEN : Oui, Monsieur le président. Est-ce que le témoin se souvient éventuellement de l’apparence physique de Monsieur REKERAHO que personne d’entre vous… d’entre nous n’a vu ? Est-ce qu’il s’en souvient éventuellement ? Est-ce qu’il peut nous… donner des informations, s’il s’en souvient ?

Le Président : Alors. Vous souvenez-vous de l’aspect physique de Monsieur REKERAHO ? Grand ? Petit ? Gros ? Mince ?

le témoin 17 : Plutôt corpulent. J’ai vu une photo de lui récemment dans la presse, et je l’ai reconnu quoique ne l’ayant vu que deux fois dans ma vie.

Le Président : Vous pouvez situer les deux moments où vous l’avez vu ? Je suppose qu’il y a ce 22 avril…

le témoin 17 : La première fois, quand il est venu chercher les jeunes Rwandais…

Le Président : Oui.

le témoin 17 : …et la deuxième fois, quand il est venu demander à fouiller le monastère. Et comme c’est moi qui avais été ouvert le porte, euh… c’est moi qui avais été ouvrir la porte, j’ai refusé. Et il s’est retiré, mécontent.

Le Président : Et cette fouille du monastère se passe à quel moment ? Après le 22 avril ?

le témoin 17 : Oui, assez bien après le 22 avril, mais encore une fois, je n’ai pas pris note, malheureusement, des événements au fur et à mesure de leur déroulement, je ne pourrais donc pas vous dire avec précision la date à laquelle il s’est présenté cette deuxième fois au monastère.

Le Président : Alors, en ce qui concerne la visite du 22 avril, celle où il vient pour emmener les neuf jeunes confrères.

le témoin 17 : Oui.

Le Président : Vous souvenez-vous éventuellement de l’habillement qu’avait Monsieur REKERAHO ?

le témoin 17 : L’argument, c’était un ordre du colonel.

Le Président : Non, non, l’habillement, excusez-moi, l’habillement de Monsieur REKERAHO. Avait-il un uniforme militaire ? Avez-vous constaté, parce que certains parlent de ce qu’il aurait été déguisé avec…

le témoin 17 : Je ne me rappelle pas. Si cette question m’avait été posée un mois après le 22 avril, j’aurais pu répondre, maintenant, sept ans après, je ne puis pas répondre.

Le Président : Etait-ce un homme qui avait un air qui physiquement faisait peur quelque part ?

le témoin 17 : Un air ?

Le Président : Un  homme ou un être qui, ne fût-ce qu’à sa vue, du voir, faisait physiquement peur, je dirais ?

le témoin 17 : Oui, un peu, oui, il avait l’air assez dur.

Le Président : Une autre question ?

Me. VERGAUWEN : Oui, Monsieur le président. Pourriez-vous demander au témoin de confirmer les termes précis de son attestation au sujet de la visite de Monsieur Gaspard RUSANGANWA, qui sont les suivants. Vous avez fait état d’une partie de sa déclaration, mais je voudrais citer la phrase qui suit, donc, d’après son attestation, le témoin dit ceci : « Il voulait simplement me faire part de ce qu’avec le bourgmestre de la commune de Huye, dont fait partie la colline de Sovu, il avait essayé jusqu’alors de protéger les sœurs, mais que la sécurité de celles-ci ne pourrait plus être assurée si les familles, tant des sœurs que de leurs travailleurs, continuaient à recevoir l’asile du monastère ». Et voici la suite : « Je compris aussitôt l’horrible vérité et l’atroce dilemme que les sœurs de Sovu, et leur supérieure en tout premier lieu, allaient devoir affronter. Atterré mais impuissant, je ne pus que conjurer Gaspard RUSANGANWA de faire tout ce qui était en son pouvoir pour sauver la vie de tous ».

Le Président : Il s’agit bien des termes de votre attestation ?

le témoin 17 : Oui.

Le Président : Une autre question ?

Me. VERGAUWEN : Oui, Monsieur le président. Est-ce que le témoin pourrait-il nous dire ce qu’il sait du climat au monastère de Sovu, antérieurement aux faits ? Est-ce qu’il a connaissance, éventuellement, de tensions dans ce monastère, avant avril 1994 ?

Le Président : Avant les atroces événements qui vont frapper le Rwanda en avril 1994, à partir d’avril 1994, par les contacts que vous aviez, en tout cas occasionnellement, avec le couvent de Sovu, y avez-vous constaté qu’il pouvait y régner des tensions, des difficultés de relations éventuellement, entre certaines des religieuses ?

le témoin 17 : Nous n’avons pas entendu parler de tensions spéciales, extraordinaires. Comme dans toute communauté, il y a toujours un peu des tiraillements et des petites tensions, mais pas de tensions extrêmes, non.

Le Président : Avez-vous éventuellement entendu dire que l’élection de sœur Gertrude aurait amené des difficultés au sein de la communauté ?

le témoin 17 : Oui, une certaine jalousie. J’ai lu dans un journal que cette jalousie entre deux sœurs de Sovu, c’était le secret de polichinelle à Butare.

Le Président : Une autre question ? Maître BEAUTHIER ?

Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, le témoin lit les journaux. J’aurais voulu poser la question…

Le Président : C’est son droit, Maître BEAUTHIER.

Me. BEAUTHIER : Oui, tout à fait, il n’est pas président de Cour d’assises ! Le témoin pourrait… le témoin pourrait-il nous dire ce qu’il avait comme connaissance de Gaspard. Si je me souviens bien, Gaspard était un ancien moine.

le témoin 17 : Oui.

Me. BEAUTHIER : Alors, quand Gaspard, dont il connaît bien, j’imagine, les idées, vient le voir pour ça, est-ce qu’il ne flaire pas un piège ? Est-ce que…c’est vrai que vous avez dit que vous étiez inquiet, mais Gaspard n’était tout de même pas un tendre ?

Le Président : Aviez-vous connaissance… Comment est-ce que vous… Vous nous avez décrit très, très brièvement, les personnalités des gens mais Gaspard RUSANGANWA, c’était quel genre d’homme ?

le témoin 17 : Mais, j’ai été très étonné d’apprendre par après, parce que tout, tout, je l’ai appris par après, j’ai été très étonné d’apprendre par après, sa collusion avec les autorités et les génocidaires de l’époque.

Le Président : Selon vous, c’était pas un homme non plus à participer à un génocide ?

le témoin 17 : J’ai été très surpris.

Me. BEAUTHIER : Je vous remercie, Monsieur le président.

Le Président : Une autre question ? Maître NKUBANYI ?

Me. NKUBANYI : Oui, merci Monsieur le président. Le témoin nous a dit qu’il est allé sur place pour écrire des informations sur une possible implication des sœurs dans ce qui s’est passé à Sovu et qu’il n’a pas eu, disons, d’éléments pouvant les inculper. Est-ce que le témoin aurait eu des éléments sur leur comportement pendant les événements, des personnes qu’elles auraient sauvées ou quelque chose comme ça ?

Le Président : Apparemment, bon, je crois que le témoin n’a pas dit s’être rendu sur place, mais peut-être était-ce le cas, pour recueillir des informations. Le but de votre visite, de votre retour en fin 94, au Rwanda, était-ce pour aller sur place, recueillir des témoignages ?

le témoin 17 : Non. Si j’ai été sur place recueillir des témoignages ?

Le Président : Oui.

le témoin 17 : Non.

Le Président : Non. Vous y retourniez pour revivre dans votre communauté ?

le témoin 17 : Oui.

Le Président : Et à l’occasion de votre retour, vous n’avez rien entendu dire ?

le témoin 17 : Non.

Le Président : Alors, vous n’avez rien entendu dire, je dirais, de… le contraire, comme on dit, hein.

le témoin 17 : A ce moment-là, non.

Le Président : A ce moment-là, avez-vous éventuellement entendu des choses qui étaient favorables aux religieuses, de ce qu’elles avaient… qu’elles étaient intervenues pour sauver telle ou telle personne, par exemple ?

le témoin 17 : Ni l’un, ni l’autre.

Me. NKUBANYI : Une autre petite question, Monsieur le président. Le témoin nous a dit que les sœurs n’avaient pas la peau d’un génocidaire. Est-ce qu’il pourrait être précis et nous dire par exemple au sujet de REKERAHO, est-ce qu’il avait la peau d’un génocidaire, au sujet de Gaspard, pour lui, il dit qu’il est étonné de sa…

Qu’est-ce qu’il veut dire par «  la peau d’un génocidaire » ?

le témoin 17 : Je n’ai pas compris la question, veuillez m’excuser.

Me. NKUBANYI : Je pourrais peut-être la…

Le Président : Oui, mais je ne suis pas sûr que je vais la poser. Y a-t-il une autre question ? Bien. Les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Monsieur le témoin 17, confirmez-vous les déclarations que vous venez de faire ? Persistez-vous dans ces déclarations ?

le témoin 17 : Oui.

Le Président : La Cour vous remercie pour votre témoignage. Vous pouvez disposer librement de votre temps.

le témoin 17 : Merci.

Le Président : Bien. Nous allons suspendre l’audience un quart d’heure. Est-ce qu’il y a encore des témoins présents ? Donc, on reprend à 4 heures  moins 20.