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Débats Répliques partie civile compte rendu intégral du procès
Procès > Débats > Répliques partie civile > Me. Lardinois
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9.6.3. Répliques de la partie civile: Maître LARDINOIS

Le Président : Maître LARDINOIS ? Peut-être, approchez le micro.

Me. LARDINOIS : Monsieur le président, si vous me le permettez, préalablement je souhaiterais que vous fassiez distribuer aux jurés le plan de Kigufi dessiné par Monsieur HIGANIRO, pièce qui est au dossier mais, pour la facilité des jurés, je souhaiterais qu’ils l’aient sous les yeux et j’en ai fait une copie.

Le Président : Plan dessiné par Monsieur HIGANIRO ?

Me. LARDINOIS : Donc, Monsieur HIGANIRO a, le 24 octobre 1995, à la police judiciaire, fait un plan de Kigufi et je souhaiterais… donc c’est une pièce du dossier que je souhaiterais qu’on distribue.

Le Président : Pas de remarques des autres parties ?

Me. LARDINOIS : Je leur ai d’ailleurs remis une copie aussi, pour leur facilité. 

Le Président : Bien. C’est donc une copie d’une des pièces du dossier.

Me. LARDINOIS : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les jurés, je vais intervenir très brièvement sur les faits qui se sont déroulés à Kigufi. Je ne vais pas reprendre avec vous le fil rouge de ces faits, je vais simplement m’attarder sur quelques points qui ont été questionnés par la défense.

Le premier point, c’est l’endroit exact où sont enterrés les parents d’Olivier. La question est importante puisque, s’il est enterré juste derrière la maison de ses parents qui jouxte la maison de Monsieur HIGANIRO, il est possible qu’il ait pu se cacher dans la haie de cyprès, et entendre les paroles de Monsieur HIGANIRO à ses domestiques. Si les parents sont enterrés de l’autre côté du chemin, près du dispensaire lui-même, cette affirmation, cette déclaration d’Olivier pose problème. A l’audience, Olivier, sur question de Monsieur le président, a répondu que ses parents étaient enterrés dans une parcelle proche de la maison de ses parents. Francine, la domestique qui vivait avec la famille le témoin 123, a déclaré, à l’audience, sur question de Maître EVRARD, que les parents, la famille d’Olivier, sont enterrés tout près de la maison de Benoît, et elle a précisé, sur une question complémentaire de Maître EVRARD, dans la concession. Elle avait déclaré, le 4 octobre 1995, quand elle avait été entendue par la police judiciaire, qu’ils étaient enterrés tout près de là où nous habitions, un peu plus haut que la concession. Le père le témoin 18, sur question du président, déclare : « Benoît et son épouse sont enterrés en contre-haut de la maison de l’assistant médical ». Monsieur le témoin 103, sur question de Monsieur le président, répond qu’ils sont enterrés au-dessus de chez Benoît.

Deux religieuses qui étaient au couvent de Kigufi ont également répondu à cette question. Sœur le témoin 137 déclare, le 13 novembre 1995, à Monsieur STASSIN - carton 28, pièce 64 - sur interpellation : « J’ai entendu dire que Benoît et son épouse ont été enterrés sur le terrain du dispensaire ». J’ai entendu dire… A l’audience, sur question de Monsieur le président, elle répond : « Je ne sais pas où ont été inhumés les corps ». Sœur Anastasie MUKASONI, qui n’a pas été entendue, sauf erreur de ma part, ici à l’audience, déclare dans le dossier que Benoît, avec sa famille, a été enterré près du dispensaire. C’est en s’appuyant sur ces deux déclarations des deux religieuses, dans le dossier, que Maître MONVILLE, avec la foi du charbonnier, nous a montré le plan fait par Olivier et vous a dit : « Les parents sont enterrés là ». Il a désigné le dispensaire, de l’autre côté de la route.

Je vous ai vu distribuer le schéma qu’a fait Monsieur HIGANIRO, le 24 octobre 1995, lorsqu’il est entendu par la police judiciaire sur les événements de Kigufi, schéma qu’il fait avant de prendre connaissance des déclarations d’Olivier et des différents témoins des événements. Et là, vous allez constater quelque chose d’extraordinaire, parce que vous voyez que sur le schéma, Monsieur HIGANIRO indique dispensaire à l’endroit où se situe la maison de Benoît. Et il met le logement du dispensaire à la maison de Benoît, derrière ce qu’il appelle le dispensaire, c’est-à-dire à l’endroit où se trouve, en fait, le dispensaire. Alors, je ne pense pas que Monsieur HIGANIRO ait été de mauvaise foi au moment où il fait ce schéma. Mais ce schéma est parfaitement révélateur que, même quelqu’un d’aussi avisé, le voisin de la famille le témoin 123, confond dispensaire et maison de Benoît le témoin 123. Et donc, il est très clair que quand on dit « dispensaire », quand les sœurs disent « dispensaire », elles pensent « la maison », elles visent la maison du témoin 123, comme Monsieur HIGANIRO sur son schéma.

Kigufi, Maître MONVILLE vous l’a rappelé, finalement, c’est quelques maisons isolées. On a le couvent, on a la villa de Monsieur HIGANIRO, on a la maison de Benoît et, un peu à côté, la maison d’un voisin et, enfin, plus loin, le domaine de la Trinité. Il n’y a pas beaucoup de monde à Kigufi. Qui d’autre, sinon que Monsieur HIGANIRO, pouvait en vouloir à Benoît et souhaiter l’assassinat de sa famille ? On le sait, il ne supporte pas les Tutsi. On a glosé, on s’est moqué, la défense l’a fait, concernant la déclaration de Jean-Marie Vianney le témoin qui dit : « Pourquoi vous ne tuez pas ce petit médecin Tutsi ? ». Il n’y a pas que le témoin 103 qui parle de la haine des Tutsi de Monsieur HIGANIRO. Il y a le père le témoin 18, le père le témoin 18 qui affabule - vous vous souvenez - qui affabule quand il dit qu’il a vu trois gardes présidentiels devant la maison de HIGANIRO mais dont on constate, après que les témoins, trois témoins à l’audience, convoqués par Monsieur HIGANIRO, disent qu’il y avait bien des gardes devant la maison, des gardes qui appartenaient à l’escorte.

Il y a Jean-Baptiste BUNGINGO, ce prêtre qui était caché dans les faux-plafonds du couvent jusqu’au 21 avril, qui déclare : « Il était anti-Tutsi ». Il y a Monsieur le témoin 85, Monsieur le témoin 85, ce n’est pas un Rwandais, il n’est pas concerné par ces problèmes Hutu-Tutsi, c’est un Congolais, un Zaïrois. Et Monsieur le témoin 85 déclare, carton 7, pièce 19 : « Alphonse HIGANIRO partageait l’idéologie ethniste du MRND qui voulait que les Tutsi n’aient pas de place au Rwanda ». Il y a sœur le témoin 52 également, qui fait part de la haine des Tutsi de Monsieur HIGANIRO. Il y a Monsieur le procureur NSANZUWERA, quand il est venu à l’audience, qui vous a rappelé qu’à l’occasion d’une rencontre, Monsieur HIGANIRO lui avait dit : « Vous ressemblez à Paul KAGAME ».

Monsieur HIGANIRO est le voisin direct de Benoît. Il ne s’attend pas à l’arrivée de ce petit assistant médical Tutsi. Il a construit sa maison bien avant, un an ou deux avant. Et quand Benoît arrive avec sa famille, je vous l’ai expliqué, c’est dans le courant de l’année 1990, ce n’est pas une date innocente, c’est un peu avant l’offensive du FPR sur Byumba. C’est à partir de ce moment-là qu’on va attiser la haine génocidaire des Tutsi. On va accuser tout Tutsi d’être un Inkotanyi, en particulier dans le Nord du pays, en particulier à Gisenyi, où on a déjà massacré moult familles Tutsi. Vous vous souviendrez aussi qu’à l’audience, l’épouse de Monsieur HIGANIRO a déclaré que la famille le témoin 123 était arrivée, c’était une question de Monsieur le 6e juré, que la famille le témoin 123 était arrivée quelques mois avant les événements, alors qu’elle est arrivée quatre ans plus tôt.

Il y a le comportement de Monsieur HIGANIRO quand il arrive à Kigufi, le 12 avril 1994 : cette totale indifférence par rapport à ce qui s’est passé. Il ne se préoccupe pas de ce qui s’est passé chez Benoît mais il ne se préoccupe pas non plus de ce qui s’est passé chez les sœurs, alors que le couvent a été pillé. Est-ce que vous pouvez imaginer une seule seconde que quelqu’un qui arrive dans un paysage aussi désolé puisse ne pas se préoccuper, ne pas se renseigner, ne pas s’inquiéter de ce qui s’est passé, s’il n’a pas été le commanditaire du crime ?

Après l’arrivée de Monsieur HIGANIRO, on vous l’a dit aussi, les choses ne se calment pas à Kigufi. On aurait pu penser qu’une personnalité de ce type, dans cet endroit un peu perdu de Gisenyi : il fait autorité, il peut calmer le jeu… « Les massacres reprennent de plus belle », c’est le prêtre le témoin qui nous le dit. Le père le témoin 18 fait état de l’attaque du domaine de la Trinité, le 6 mai 1994. Et sœur Béata a déclaré à l’audience qu’une deuxième attaque du couvent avait eu lieu. Ces attaques, elles ne passent pas inaperçues, ce n’est pas deux ou trois personnes, ce sont deux à trois cents Interahamwe hurlant, ivres de chanvre et de bière, criant, qui attaquent le couvent, juste à côté de Monsieur HIGANIRO. Et Monsieur HIGANIRO ne se rend compte de rien. Il n’intervient pas. Curieux, tout de même.

Sur beaucoup de points concernant ces événements, les déclarations d’Olivier sont bel et bien corroborées, contrairement à ce que soutient la défense, par d’autres témoignages. Mais il est vrai que sur certains points, c’est la parole d’Olivier contre celle de Monsieur HIGANIRO. C’est la parole de la souffrance, la parole de la meurtrissure, la parole de l’indicible, sans aucun doute, mais jamais la parole mensongère contre la parole du cacique du régime, du logicien calculateur qui nie l’évidence même, et qui n’en est pas gêné.

Mesdames et Messieurs les jurés, en âme et conscience, il vous faudra choisir entre ces deux paroles. J’ai dit et je vous remercie.

Le Président : Merci, Maître LARDINOIS.