assises rwanda 2001
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Verdict sur peine compte rendu intégral du procès
Procès > Verdict sur peine > Réquisitoire sur peine
1. Explication par président sur suite procès 2. Réquisitoire sur peine 3. Plaidoiries sur peine 4. Conclusions des accusés 5. Verdict
 

11.2. Réquisitoire sur la peine

Le Président : Monsieur l’avocat général vous avez la parole pour vos réquisitions.

L’Avocat Général : Je vous remercie, Monsieur le président. Madame, Monsieur le juge, Mesdames et Messieurs les jurés. Vous avez déclaré coupables, les quatre accusés, de la totalité ou de la plupart des faits qui leur étaient reprochés. Nous voilà donc arrivés à la toute dernière étape. C’est la dernière fois que je prendrai la parole, pour m’adresser à vous, Mesdames et Messieurs les jurés. Je prendrai effectivement encore éventuellement la parole pour m’adresser à la Cour. Je vais donc parler de la peine, du caractère de la peine, des fonctions de la peine, du taux de la peine.

La peine a plusieurs fonctions que je vais brièvement vous énumérer et vous commenter. Vous verrez que dans ce procès-ci, que, nonobstant les remarques qui ont été émises à ce sujet, je continue à considérer comme un procès unique et historique, certaines de ses fonctions prennent, elles aussi, des dimensions différentes de procès normaux.

La peine a tout d’abord une fonction rétributive, c’est un châtiment, c’est une souffrance imposée par l’autorité, à titre de sanction de la violation des règles fondamentales de la société et de la vie en groupe. Vous représentez cette société, vous représentez cette société universelle, les règles qui ont été violées ici, sont des règles universelles fondamentales de toute société démocratique. Toutes les affaires qui passent en Cour d’assises sont des affaires qui mettent à mal ces valeurs fondamentales, les affaires qui passent ici sont des crimes de sang, des assassinats, des homicides, des meurtres pour faciliter le vol, soit des crimes où il y a des morts, des crimes où il y a des corps. Ici, il n’y a pas qu’un mort, il n’y a pas qu’un corps, les massacres, le génocide, les tueries dans le cadre du génocide, - c’est pour reprendre l’expression qui a été utilisée ici par le juge d’instruction, Monsieur VANDERMEERSCH - c’est un mort, plus un mort, plus un mort, à l’infini. La vie d’autrui est probablement la valeur la plus fondamentale dans toute société civilisée. Et cette valeur-là a été ici bafouée, foulée des pieds, de manière exponentielle. C’est toute une ethnie, toute une civilisation qu’on a voulu, et qu’on a en grande partie réussi à exterminer.

Aucune société civilisée, aucune société démocratique digne de ce nom, ne peut tolérer cela. La société belge, la société internationale, la société universelle, ne peut admettre de tels actes inhumains, dont l’atrocité dépasse toute imagination. C’est un devoir, et je le rappelle, c’est un devoir d’humanité, d’arrêter de rejeter en bloc et sans faiblesse, en force, des crimes de guerres et dans la fonction rétributive de la peine, vous laisserez apparaître, sans aucune équivoque possible, sans hésitation, sans faiblesse, votre désapprobation, la désapprobation de toute la société, de toute l’humanité envers ces atrocités. La rétribution doit être fonction de la gravité des faits, de l’importance des valeurs fondamentales qui ont été niées, violées, écartées, rejetées. Ce que vous avez entendu ici pendant ces huit semaines, c’est l’horreur absolue, c’est l’atrocité organisée, planifiée, c’est l’inhumain à un niveau exponentiel. Votre sanction, votre rétribution sera donc en conséquence.

La peine a aussi une fonction exemplative. Elle doit empêcher d’autres de commettre de tels actes, elle doit avoir un effet dissuasif pour tout criminel potentiel. On vous dira que cette fonction exemplative est pure théorie, et que l'histoire démontre que la condamnation d’une personne n’empêche pas, pour autant, une autre de commettre la même chose. Soit, mais ici, n’est-ce pas, nous nous trouvons dans un contexte particulier. Ce procès a déjà eu le mérite de démontrer aux génocidaires de quels genres qu’ils soient, que fuir le lieu des massacres, que se réfugier dans un pays avec lequel, par exemple, on n’a pas de convention d’extradition, ou que même, obtenir le statut de réfugié, n’est pas une garantie d’impunité. Votre verdict, votre condamnation démontrera ici, ici aussi sans équivoque, ici aussi sans faiblesse, que la Belgique n’est pas et ne deviendra pas terre d’accueil pour des génocidaires.

La peine a aussi une fonction symbolique, cette fonction rejoint d’ailleurs celle de la fonction rétributive. Votre sanction sera proportionnelle à la gravité des faits, à l’importance des valeurs bafouées, la peine doit être à la hauteur du mal infligé. Le mal infligé ici, les 800.000 à 1.000.000 de morts pour la totalité du Rwanda, les 300.000 morts pour la préfecture de Butare, les centaines de morts, les milliers de morts à Sovu, tout cela ici, tout ce mal ici, est immense, incommensurable, permanent pour les morts, permanent aussi, toujours présent, toujours lancinant pour les survivants. Le tort fait, le mal infligé, l’ampleur de l’horreur, ici, est incalculable. Votre sanction sera également fonction de cela.

Finalement, la peine a une fonction réparatrice. Par-là, on veut dire que la peine a, ou devrait avoir, une fonction de resocialisation. On espère que la peine fera prendre conscience aux accusés de la gravité de leurs actes, sera le premier pas dans un processus de réinsertion sociale. Je crois que ce procès a démontré que cette fonction ne sera probablement pas remplie ici, les accusés qui, c’est leur droit le plus strict, je vous l’ai dit, ont nié et ont nié contre les évidences, n’ont pas, donc apparemment, de vœux de resocialisation, en reconnaissant, ou en admettant, ou en prenant conscience des faits qui leur sont reprochés et pour lesquels vous les avez déclarés coupables. La fonction réparatrice, et je serai très bref à ce sujet, est à mettre en relation avec la libération conditionnelle. On vous a déjà parlé de ça dans le courant de ce procès, on vous a dit, et c’est exact que, quelle que soit la peine que vous allez prononcer, tôt ou tard, un jour ou l’autre, les accusés seront remis en liberté. La loi a été modifiée à cet égard. Il y a des commissions maintenant, il y des enquêtes, on demandera l’avis du magistrat qui a siégé ici à l’audience comme ministère public. Je peux vous assurer qu’en ce qui me concerne, je prendrai mes responsabilités, et je m’opposerai à de telles mesures. On demandera aussi l’avis des victimes ou des parties civiles. Tout cela est une procédure connue, organisée, je ne suis pas du genre à vous demander une peine en fonction d’une libération conditionnelle qui pourrait intervenir à une date que j’ignore. Je ne vais pas faire ici des comptes d’apothicaire, je me base sur le dossier, et moi, je vous demanderai de prononcer une peine en relation avec ce qui s’est passé à Butare, avec ce qui s’est passé à Sovu, et, contrairement à ce qui a été dit ici à plusieurs reprises, je ne dois vraiment pas en rajouter.

J’ai lu le dossier, j’ai entendu les témoignages, j’ai mesuré le mal, j’ai mesuré l’horreur, et je vais maintenant en déduire les conséquences, et je vais vous demander Mesdames et Messieurs les jurés, Monsieur le président, Madame, Monsieur de la Cour, je vais vous demander d’en tirer avec moi, les conséquences. C’est au moment de statuer sur la peine que l’on fait appel à l’image de la justice, à la balance, aux deux plateaux de cette balance. Et dans l’un de ces plateaux, on met le négatif et dans l’autre, on place le positif. Dans le négatif, il y a bien entendu la victime, les victimes, ici, les innombrables victimes. Si je mettais dans le plateau les 800.000 à 1.000.000 de morts du Rwanda, qu’y aurait-il encore à ajouter ? Rien. Je ne le ferai pas. Monsieur NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO, Madame MUKANGANGO et Madame MUKABUTERA ne sont pas à eux quatre, seulement eux seuls, responsables de l’ampleur, de l’horreur, et du génocide au Rwanda. Ce que je vais faire c’est d’y mettre les personnes dont vous avez déclaré que les accusés sont coupables. Vous avez dit, tant en ce qui concerne Monsieur NTEZIMANA que Monsieur HIGANIRO, qu’ils sont coupables d’avoir, par action, omission et je ne vais pas vous répéter tous les modes comme ils sont, participé à la mort d’un nombre indéterminé de personnes, à Butare. Donc, un nombre indéterminé de ces 300.000 victimes.

Je mettrai dans cette balance, Monsieur Pierre-Claver KARENZI, je mettrai, en ce qui concerne Monsieur HIGANIRO, dans cette balance, l’épouse de Monsieur KARENZI, ses enfants, Solange, Malik, Mulunga, je mettrai dans la balance, Thierry et Emeri KANYABUGOYI, Séraphina, la jeune fille, le jeune homme, Benoît le témoin 123, son épouse Constance NIWEMUKOBWA, les enfants Olive le témoin 123, Aline le témoin 21. Je mets dans cette balance les survivants le témoin 123, Sylvie NIWEMUKOBWA, Louise UWERA et Yvette UMWARI. Je mets dans cette balance Déo GATETE, Placide SEPT, Chantal MUSABYEMARIYA et Arnaud Crispin BUTERA. Je mets dans ce plateau les agricultrices des collines de Sovu, les femmes survivantes que vous avez vues ici, victimes de tentatives, les victimes que vous n’avez pas vues ici, victimes d’actes accomplis et menés à leurs extrémités. Je mets dans ce plateau les 3.500 à 7.000 morts du centre de santé, et du garage de ce centre de santé. Et je mets finalement les victimes non déterminées, ni en nombre, ni quant à leur identité, auxquelles par votre verdict, vous avez rendu une réalité, une voix, une reconnaissance. Et ma question reste la même : quand vous mettez tout cela dans le plateau de la balance, qu’y a-t-il à mettre dans l’autre ? Et ma réponse est, et reste : rien.

Les faits sont déjà assez horribles, assez atroces comme cela. Mais cette atrocité sera portée à son apogée lorsqu’à ces faits, à ces dizaines de milliers de morts, vous allez devoir ajouter la qualité de l’auteur. Un brillant professeur d’université, ambitieux, intelligent, charmeur, mais doublé d’un ethniste impitoyable. Un proche du régime, un cacique, un privilégié qui, au bout de son raisonnement, au bout de ses opinions, au bout de ses écrits, pour garder ce pouvoir, lui donne tout. Vous allez devoir ajouter dans ce plateau, la qualité des religieuses, des deux sœurs. On a posé la question et je vous réponds : « Oui » Mesdames et Messieurs les jurés, oui, la condition de religieuse des deux sœurs, comme la condition d’intellectuel de Monsieur NTEZIMANA et la condition de financier des proches du régime de Monsieur HIGANIRO, ce sont, à mon estime, des circonstances aggravantes de faits. Vous avez ici, devant vous, des personnes qui avaient un statut spécial, soit en raison de leur éducation, soit en raison de leur position financière, soit en raison de leur vocation, de leur mission. Ils en ont abusé. En ce qui concerne les sœurs, les personnes qui font vœux de charité, de fraternité, d’aide et d’accueil, de commisération et de miséricorde, et qui ont renié en bloc, rejeté, un à un, tous ces vœux pieux, eh bien oui, cela ne fait qu’aggraver leur responsabilité.

Je serai donc clair, on va peut-être vous dire qu’il y a des circonstances atténuantes, je me demande lesquelles. Le fait que les accusés n’aient pas de casier judiciaire, ou le fait qu’ils ne recommenceront plus ? On va vous demander, on va vous faire, peut-être, une description de la prison, et on va vous demander de faire montre, de faire preuve de clémence, de pitié, de laisser un espoir aux accusés. Je vous demande de réfléchir, Mesdames et Messieurs les jurés, et de vous poser, avec la Cour, la question de savoir si les victimes ont eu droit, de la part des accusés, à un seul geste de clémence, de charité, de pitié. Non. Au contraire. Est-ce que Monsieur NTEZIMANA a avisé son ami, son voisin, son collègue, Monsieur KARENZI, du danger imminent qu'il courrait. Est-ce que la famille le témoin 123, Benoît le témoin 123, son épouse, ses enfants Olivier, est-ce qu’ils ont eu droit à la clémence, à la charité des assassins envoyés par Alphonse HIGANIRO ? Non. Benoît le témoin 123 a été tué de la pire manière, devant les siens, littéralement découpé en morceaux. Les réfugiés au Centre de santé au couvent monastère ont eu, à un seul moment, un geste de pitié de miséricorde, ou simplement un geste humain, émanant des deux sœurs, à leur égard. Aucun, à aucun moment.

Je vous demande donc, Mesdames et Messieurs les jurés, Monsieur le président, Madame, Monsieur le juge, de tenir compte de tout cela. De tenir compte des dizaines de milliers de victimes, de tenir compte de l’atrocité intrinsèque à laquelle va s’ajouter l’insoutenable atrocité des circonstances de personnes, de qualité des auteurs, de temps et de lieu. Je requiers donc, à charge des quatre accusés, à charge des quatre coupables, la peine qui est prévue dans la loi pour ces faits, la réclusion à perpétuité.

Le Président : Merci, Monsieur le procureur général.

 
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