assises rwanda 2001
recherche plan du site
Verdict sur peine Plaidoiries sur peine compte rendu intégral du procès
Procès > Verdict sur peine > Plaidoiries sur peine > Défense A. Higaniro
1. Défense V. Ntezimana 2. Défense A. Higaniro 3. Défense C. Mukangango 4. Défense J. Mukabutera
 

11.3.2. Plaidoirie sur la peine: Alphonse HIGANIRO

Le Président : Pour la défense de Monsieur HIGANIRO, Maître MONVILLE, vous intervenez seul ?

Me. MONVILLE : Je vais intervenir seul, Monsieur le président. 

Le Président : Vous avez la parole.

Me. MONVILLE : Je vous remercie. Ce n’est pas une plaidoirie sur la peine que je vais prononcer, c’est un contre-feu que j’allume. Nous y voilà, Monsieur HIGANIRO. Vous voilà coupable, vous voilà responsable de la mort de dizaines, de centaines, de centaines de milliers de personnes.  Vous êtes le mal absolu. Nous l’avons entendu : vous êtes le mal absolu.  Vos épaules seront-elles suffisamment solides pour résister à pareil séisme ? Je l’espère. Un homme, parmi quatre accusés, 300.000 morts, 800.000 morts, quelle horrible, quelle effrayante conclusion. Petite cause avons-nous plaidée, grands effets, effets dévastateurs. Voilà, Monsieur HIGANIRO, le jugement sans nuances, le jugement implacable auquel ce procès aura abouti. Un procès de génocide, il fallait figure génocidaire et désormais, vous en êtes, et malheureusement, ce n’est pas seulement votre nom, mais celui de toute votre famille qui, à jamais, sera maudit. 

Ce n’est pas une plaidoirie sur la peine, c’est un contre-feu que j’allume.  La justice, la justice internationale, elle vient de s’exprimer. Mais nous avons déjà, en dehors de ce prétoire, nous avons déjà vu poindre les signes avant-coureurs de certains renoncements, nous avons entendu une autre affaire qui semble retenir l’attention de la justice internationale. Oui, mais, pour autant qu’elle n’intervienne pas, qu’elle ne gène ni la diplomatie, ni la politique étrangère, mais dans ce prétoire, rien ne viendra perturber l’ordre des choses, chronique d’une perpétuité annoncée. « Condamnez HIGANIRO - vous a dit Monsieur l’avocat général - à la peine maximale. Ce sera montrer l’exemple, montrer la désapprobation face à l’horreur absolue, ce sera lancer un avertissement au futur candidat génocidaire ».  On y réfléchira avant deux fois. Il faut donc comprendre, et Monsieur l’avocat général l’a répété devant vous cet après-midi, que la peine n’a de fonction qu’exemplative, que rétributive, et qu’ils me semblent loin, qu’ils me semblent loin, tous ces écrits, tous ces discours que nous avons étudiés, que nous avons lus quand nous étions étudiants, sur l’individualisation de la peine, sa nécessaire adaptation, détermination à la personnalité de l’accusé, qu’effectivement, il semble dérisoire, le débat sur les circonstances atténuantes. Partez du maximum, c’est la règle, et vous ne pouvez descendre que s’il y a circonstances atténuantes. Comme si nous allions tenir compte, comme si vous alliez tenir compte d’un casier judiciaire, d’une famille, ou de déclarations faites à l’audience, présentant Monsieur HIGANIRO sous un meilleur jour.

Ce n’est pas une plaidoirie sur la peine, c’est un contre-feu que j’allume. Ainsi donc, Monsieur HIGANIRO, vous voilà aux portes de la prison pour de longues, de très longues années. Dois-je vous décrire l’univers dans lequel vous allez à nouveau évoluer ? Malheureusement, vous le connaissez déjà. Faut-il rappeler que la prison, quelque part, c’est la négation de la sanction utile. La prison rend les gens inutiles, mais elle frappe l’imagination, et c’est un peu ça que l’on vous demande : frapper l’imagination. Combien de temps, Monsieur HIGANIRO, allez-vous rester en prison ? Pas de comptes d’apothicaires, mais vous avez tous les mêmes chiffres que nous en tête, c’est Monsieur l’avocat général lui-même, qui, requérant sur la culpabilité, vous a dit 13 - 14 ans, on est sur les rails : libération conditionnelle, qui va croire cela ?

Vous savez, Monsieur HIGANIRO on ne vous a fait aucun cadeau, et à l’avenir, on ne vous en fera aucun. Permettez-moi, pour illustrer mon propos, d’utiliser un raccourci vertigineux. Vous êtes âgé de 52 ans, Monsieur HIGANIRO, Monsieur l’avocat général vous l’a dit : « Si moi, je dois donner mon avis sur une procédure de libération conditionnelle, je prendrai mes responsabilités ». Mais, Monsieur l’avocat général, le magistrat qui serait éventuellement amené à examiner la demande de libération conditionnelle, le représentant du ministère public, qui sera amené éventuellement à s’opposer à cette demande de libération conditionnelle eh bien, ils ne savent même pas qui est Monsieur HIGANIRO, et ils ne savent même pas, au moment où je vous parle, qu’ils seraient éventuellement amenés un jour à vous rencontrer, Monsieur HIGANIRO.  Et pourquoi ? Parce que, dans 20 ans, dans 20 ans, les choses auront évoluées, et ceux qui, aujourd’hui, commencent une licence en droit, seront peut-être ceux-là qui, demain, seront appelés aux fonctions que je viens de rappeler.  20 ans, 20 ans. 

Et puis, soyons réalistes, soyons réalistes. Qui va croire qu’un jour, cette libération conditionnelle, qui n’est pas un droit, vous sera accordée ? Puis-je rappeler, outre ce que vient d’évoquer Maître BELAMRI, qu'il y a deux conditions fixées par la loi, sur la libération conditionnelle, qui sont des obstacles dirimants à celle-ci.

Un : le condamné doit présenter un programme de reclassement. Soyons sérieux, Monsieur HIGANIRO, vous êtes, et vous resterez, persona non grata en Belgique. Cette condition ne sera jamais remplie.

Deux : obligation de prendre en considération l’attitude du condamné à l’égard des victimes de ses actes, des victimes de ses actes. Vous avez entendu le nombre de parties civiles qui se sont constituées contre Monsieur HIGANIRO, rien que l’énumération de ces noms vous convaincra qu’à nouveau, une telle condition, Monsieur HIGANRIRO ne pourra jamais la remplir.

Alors, Monsieur HIGANIRO, votre peine, c’est jusqu’au dernier jour que vous la subirez, et j’espère que ce ne sera pas jusqu’à votre dernier jour, mais à nouveau, je n’ai aucune certitude en ce qui concerne ce point. 

Ce n’est pas une plaidoirie sur la peine, disais-je, et j’en termine, c’est un contre-feu que j’allume. Monsieur HIGANIRO, vous vous êtes battu durant toutes ces années, durant toutes ces sessions d’assises, vous avez été, et je sais que vous le resterez, digne dans cette adversité. A chaque fois qu’on vous a attaqué, vous avez réagi, vous avez fourni des réponses, malheureusement en vain. Demain, demain, Monsieur HIGANIRO, une porte se refermera sur la vie d’un homme, définitivement, j’en ai peur. 

Alors non, Monsieur l’avocat général, vous savez, comme moi, ni vous-même, ni votre successeur ne marquera son accord quant à cette hypothétique libération conditionnelle. Vous l’avez dit avec des mots encore plus clairs qu’aujourd’hui, il y a quelques jours : « Je ferai tout, tout ce qui est en mon pouvoir - et je fais confiance en votre éventuel successeur - tout ce qui est en mon pouvoir pour qu’il soit, et reste, à sa place, c’est-à-dire en prison. Mais la prison, réellement à vie ».

Mesdames, Messieurs les jurés, Madame, Messieurs de la Cour, je vous demande, après avoir été l’expression d’une conscience universelle devant laquelle je m’incline, de ne pas devenir, de ne pas incarner le refus de l’espérance.

Le Président : Merci, Maître MONVILLE.