assises rwanda 2001
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compte rendu intégral du procès
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Témoignages de citoyens: Méthode Ndikumasabo
Commentaire de l’audience du 26 avril 2001

Bruxelles, le 7 mai 2001

Le 26 avril 2001 s’est poursuivi le procès dit des quatre de Butare, devant la Cour d’assises de Bruxelles, en Belgique. L’audience du jour était essentiellement réservée aux témoignages à charge de M.NTEZIMANA Vincent, l’un des accusés. Devant un procès pareil, d’application de ce qui est techniquement qualifié de compétence universelle en matière humanitaire, on ne peut manquer, même à l’occasion d’une seule audience, de sentiments, d’impressions et finalement d’un certain jugement.

Je suis de nationalité burundaise, étudiant et chercheur en droit pénal international, en résidence en Belgique. Le regard que j’ai porté sur l’audience en question que je voudrais dans toute la mesure du possible dégagé de tout préjugé : celui d’un « citoyen du monde », qui observe. Reproduit ci-après, il est articulé autour des points suivants :
- Le procès répond à une demande de justice.
- Le caractère très troublé des événements rend parfois la preuve directe compliquée.
- Point de vue sur une vérité « arrachée » par rapport à une véritable vérité « négociée ».

  1. Le procès répond à une demande de justice.
    Lors de cette première assistance au procès, j’ai été impressionné par la participation active de l’accusation (ministère public en principe, mais nous y incluons aussi les avocats des parties civiles) et de la défense aussi bien que par l’assistance au procès par le public. Sans que la certitude soit maximale, je pouvais deviner que ce dernier était majoritairement composé de Rwandais. Qui est proche des victimes, qui est proche des accusés, qui est encore simplement venu par curiosité, je ne saurais le dire.

    Tous ces éléments attestent du fait que l’audience, et donc le procès en général, répond à une demande de justice, à une soif de connaître la vérité.

    On pouvait observer aussi la sérénité de la Cour, et même des accusés qui par ailleurs comparaissent libres. Mais alors, le moment crucial, celui des témoignages, a révélé combien la situation était troublée et, par voie de conséquence, à quel degré la preuve des faits peut être difficile à établir.

  2. Le caractère très troublé des événements rend parfois la preuve directe des faits compliquée.
    Les témoignages ont restitué l’évidence du caractère très troublé des événements, ce qui fait que la preuve d’une implication directe de l’accusé, du moins sur le lieu même du crime, n’apparaissait pas de toute évidence.

    Aussi certains des collègues de l’université de Butare ( témoins :le témoin 9, le témoin 61) de M.NTEZIMANA concentraient-ils leurs accusations sur la liste qu’il aurait fait dresser, de « familles tutsi ».

    Prétendument destinés à servir de guide d'évacuation en lieu sûr, en l'occurrence le Burundi, si le pire devait arriver, les événements auront démontré, persistaient à affirmer les témoins, qu'ils devaient plutôt faciliter le « travail », ce mot si simple traduisant plutôt et après décortication - non pas par n'importe quel linguiste mais par celui profondément imprégné de la culture rwandaise - le fait d'exterminer ceux que le sort génocidaire attendait.

    Au lieu de dire que les victimes ont payé d'une certaine naïveté (les témoins ont tout naturellement respecté leur âme), les témoins louaient « l’intelligence » de NTEZIMANA par la capacité d'un double langage, d'une amitié plus chantée que vécue,etc… Bref, l'homme qui a déçu.

    Autre aspect du témoignage, la Cour posait-elle aux témoins et de façon répétée, la question de la connaissance de la tendance de Ntezimana en termes de Hutu « extrémiste » ou « modéré » (témoins interrogés : le témoin 126, M.le témoin 116, MUKAMUKAMA Donatilla, soeur de NTEZIMANA).

    Ou encore a-t-il été question d'un document intitulé “Les dix commandements ” dont NTEZIMANA aurait été l’auteur (témoins : M. BAYINGANA Bonfils, Mme LECERC Marie-Rose), qu’il aurait fait dactylographier dans une maison Copyfax à l’université de Louvain-La-Neuve et pour lequel il aurait joué une part active dans la diffusion en tant qu'annexe à un document plus volumineux intitulé: « Appel à la conscience des Bahutu » ? La paternité de ce dernier n'a pas été attribuée à l'accusé, du moins explicitement.

    Ou enfin a-t-on appris l'existence de relations privilégiées avec les militaires ou les Interahamwe dans les moments forts des événements ? Sous cet aspect, le témoignage qui m’ a personnellement laissé dans un grand suspens fut celui de Mlle le témoin 134, habitant avec la famille KARENZI, qui a suivi la scène de la mort de cette dernière, en particulier celle de la femme de KARENZI. Cette dernière, interrogée par les militaires qui assiégeaient la maison à propos d’une personne pouvant attester qu’elle n’était pas “inyenzi” (complice du FPR), elle aurait indiqué NTEZIMANA. Ce dernier aurait été contacté par téléphone et le sort de Mme KARENZI aurait été réglé à cette occasion.

    L’objectif de ce dernier paragraphe n’était pas de jouer le rôle de la Cour en balançant les arguments, mais de faire remarquer qu’elle a du pain sur la planche, pour se faire l’intime conviction à propos des faits reprochés à NTEZIMANA. Elle saura certainement bien aligner le professionnalisme et la sagesse, qu'on pouvait lire sur les visages du président, des assesseurs et des jurés.

    Cela étant dit, c’est quand même une grande expérimentation de ce qui est juridiquement qualifié de « compétence universelle », c’est-à-dire le fait de juger un étranger pour des faits commis à l’étranger contre des victimes étrangères. Je n’évoquerai pas ici l’autre titre de compétence fondé sur les victimes belges, c’est à dire les paras belges. A cet égard, j’ai pu noter le fait que presque toute l’assistance était curieuse, certains ne revenant même pas du fait qu’un juge belge, le ministère public belge, le barreau belge puissent manifester autant d’intérêt à des événements qui se sont passés à des milliers de kilomètres. La compétence universelle était perçue dans la salle comme une compassion universelle. Mais surtout, avec une confiance en la neutralité de la Cour qui ne s’identifie ni aux accusés ni aux accusateurs. C’est un pas à louer déjà, en attendant le verdict.

    Mais jusqu'où peut aller ce procédé de recherche de vérité par la justice? Autant dire que la satisfaction tirée de cette première assistance au procès s'est accompagnée d'une inquiétude, que je fais partager ci-après en lançant une réflexion.

  3. Point de vue sur une « vérité arrachée » par rapport à une éventuelle « vérité négociée ».
    Dans un procès pareil, c’est un combat judiciaire. A l’audience du 26 avril, l’accusation a bien mis à profit ses moyens. Dans une grande sérénité, les accusés, en particulier NTEZIMANA Vincent, attendaient la comparution des témoins peut-être plus tendres (témoins à décharge). C’est une gymnastique qui m’ a semblé dure, mais c’est le prix à payer pour obtenir justice. Et, à supposer que le nombre de suspects résidant en Belgique approche ou dépasse des milliers, je me demande si l’on pourrait espérer que cette procédure se poursuive.

    Si l’on pouvait se permettre une réflexion en dehors du cadre de cette audience, je m’interroge sur la faisabilité d’une alternative, celle d’un compromis, d’une promesse d’une modération de la peine pour un accusé qui reconnaîtrait spontanément sa culpabilité. Ce serait devant un organe judiciaire similaire à la Cour d’assises. Ce qui est connu dans les systèmes de Common Law sous la dénomination de « pleading guilty » (le fait de plaider coupable) et appliqué aussi bien dans les procès qui se déroulent au Rwanda qu'au Tribunal Pénal International pour le Rwanda sis à Arusha (TPIR). Ce serait également applicable devant un organe quasi-judiciaire à l’exemple des Commissions vérité et réconciliation. Mais, alors que la première alternative (pleading of guilty) est possible même dans un pays étranger aux événements, la deuxième (vérité contre modération de la peine ou même contre amnistie) se conçoit difficilement dans l’optique de la compétence universelle.
    Plutôt qu’apporter des réponses à ces interrogations, je les mets sur la table du débat, pour qu’on s’interroge d’abord s’il valait la peine qu’elles soient posées et que dans l’affirmative chaque participant(e) au débat ou tout lecteur y apporte sa contribution.

NDIKUMASABO Méthode
J uriste.

 

 
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