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5.3.1. Audition, questions, commission rogatoire et diapositives
Le Président : Nous allons donc, maintenant poursuivre les débats
en entendant une première fois, ce ne sera sans doute pas la seule, le premier
témoin. Monsieur le juge d’instruction VANDERMEERSCH peut approcher.
Le Président : Monsieur le juge d’instruction, quels sont vos
nom et prénom ?
Damien VANDERMEERSCH :
VANDERMEERSCH Damien.
Le Président : Quel est votre âge ?
Damien VANDERMEERSCH :
43 ans.
Le Président : Votre profession ?
Damien VANDERMEERSCH : Juge d’instruction,
ici à Bruxelles.
Le Président : Votre commune de domicile ou de résidence ?
Damien VANDERMEERSCH :
Auderghem.
Le Président : Connaissiez-vous les accusés avant les faits
mis à leur charge ?
Damien VANDERMEERSCH :
Non.
Le Président : Etes-vous parent ou allié des accusés ou des parties
civiles ?
Damien VANDERMEERSCH :
Non.
Le Président : Etes-vous attaché à leur service ?
Damien VANDERMEERSCH :
Non.
Le Président : Je vais vous demander de bien vouloir lever la
main droite et de prêter le serment de témoin.
Damien VANDERMEERSCH : Je jure
de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la
vérité.
Le Président : Je vous remercie,
Monsieur le juge d’instruction, vous pouvez vous asseoir. Monsieur le juge d’instruction,
vous aurez, sans doute, à revenir plusieurs fois pour exposer le contenu de
votre instruction. Dans un premier temps, premier contact du jury avec le magistrat
instructeur, je souhaiterais que vous puissiez exposer la manière dont vous
avez été saisi des faits reprochés aux accusés, la manière dont vous avez pu
diriger une enquête avec, j’imagine, des difficultés particulières par rapport
à ce que l’on considérait comme des enquêtes classiques, compte tenu de la nature
des faits qui sont reprochés aux accusés, compte tenu du lieu où ces faits se
seraient déroulés. Donc, peut-être de manière synthétique, globale, exposer
le cheminement que vous avez opéré pour appréhender les faits qui sont reprochés,
pour essayer, à charge et à décharge, comme c’est votre mission, de recueillir
les éléments de preuves, mais de manière globale parce que vous aurez à revenir
par la suite, pour exposer de manière plus précise, quels sont les éléments
recueillis à charge de chacun ou de chacune des accusé(es). Le dossier que vous
avez constitué est extrêmement volumineux et la nouvelle loi sur la procédure
en Cour d’assises n’étant pas encore applicable à ce procès-ci vous êtes au
courant et vous savez donc que malheureusement vous n’avez pas pu faire des
notes de synthèse pour vous rafraîchir la mémoire. Mais vous êtes pourtant,
peut-être, celui qui connaît le mieux le dossier ici, parce que, même le président
ou Monsieur l’avocat général n’a pas été plongé dedans pendant très longtemps.
Damien VANDERMEERSCH : Il est
toujours plus facile quand on peut suivre la chronologie d’un dossier, évidemment.
Le Président : Le président, en tout cas, ne pourra pas être d’un
grand secours pour vous rafraîchir la mémoire. Ce matin, on envisage d’entendre,
à partir de 10h30, le médecin psychiatre, donc, c’est vraiment la structure
de l’instruction qui devrait apparaître aujourd’hui matin. Cet après-midi, je
vous demanderais de revenir notamment pour des commentaires de diapositives
et d’une cassette vidéo, ORINFOR. En ce qui concerne les diapositives, ce seraient
les diapositives du contexte général, une cérémonie funèbre, des découvertes
de lieux où l’on retrouve des corps, des photographies de maisons détruites
à certains endroits. Ceci dit, j’avertis déjà le jury que certaines photographies,
certaines images que vous verrez au cours des vidéos sont peut-être difficiles
à supporter. Et d’autre part, ce dont vous devez être avertis, c’est que ces
vidéos, ces photographies n’ont pas nécessairement été prises à propos des faits
qui sont reprochés précisément aux accusés. Ce sont des reportages, ce sont
des photographies qui sont prises pas nécessairement aux lieux où on reproche
les faits aux accusés. C’est destiné à essayer, aussi bien pour la Cour que
pour vous-mêmes, de vous rendre compte quelle a été l’ampleur du phénomène,
quels sont les lieux géographiques où cela s’est passé, mais cela ne veut pas
dire que les images que vous allez voir seront par exemple les corps des victimes
dont on reproche aux accusés de les avoir assassinées. Ce seront, très vraisemblablement
d’ailleurs, de tout autres victimes que celles qui sont visées dans l’acte d’accusation.
Monsieur le juge d’instruction, je vous donne la parole.
Damien VANDERMEERSCH : Si vous
le permettez, je préfère me mettre debout, je suis plus à l’aise en étant debout,
ne fût-ce que pour pouvoir quand même essayer d’expliquer un peu au jury effectivement,
puisque c’est quand même le jury qui est appelé à prendre les décisions sur
les mérites d’une instruction. C’est vrai que la tâche du juge d’instruction,
c’est d’essayer de constituer le dossier le plus complet possible pour un autre
juge. Si l’autre juge, c’est vous, ce sont les jurés et c’est vrai que dans
le cadre de ce dossier, c’est un dossier évidemment tout à fait particulier.
Si l’on reprend la chronologie du dossier, ce dossier trouve sa source
dans un ordre du ministre de la justice. En droit belge, le ministre de la justice
peut donner comme instruction, au procureur général, de poursuivre, donc, d’ouvrir
un dossier d’instruction ; il ne peut pas arrêter un dossier mais il peut
bien entendu donner l’ordre d’ouvrir une instruction et c’est ce qui s’est passé
à l’époque, c’était en février 1995 où le ministre de la justice a donné ordre
au procureur général de Bruxelles, d’entamer les poursuites et cela veut dire
qu’à ce stade-là, c’était de confier le dossier il y avait déjà des procès-verbaux
qui avaient été établis, des premiers procès-verbaux de plaintes et des plaintes
avaient été déposées au niveau du parquet, non seulement de Bruxelles, mais
également d’autres parquets et donc, ces plaintes ont été mises à l’instruction.
J’ai reçu les premiers dossiers le 2 mars 1995. Ce qui est important, c’est
qu’on parle souvent du dossier Rwanda, en fait, c’est tout à fait inexact. J’ai
été chargé de plus d’une dizaine d’instructions. J’ai reçu dix dossiers d’instruction
qui concernaient chaque fois des volets différents. Le dossier qui est soumis
à votre juridiction aujourd’hui est un des dossiers, enfin plutôt trois dossiers
puisqu’il y a trois dossiers qui ont été rassemblés et là j’essaierai de vous
expliquer dans quelles conditions.
Mais il faut savoir et je dois vous en parler parce qu’il y a certaines
pièces du dossier qui sont communes aux différents dossiers. Quand j’ai été
en commission rogatoire avec les enquêteurs sur place au Rwanda, je n’ai pas
enquêté que sur les faits dont il est question aujourd’hui, mais également dans
le cadre des autres dossiers. Notamment, il y avait le dossier concernant l’assassinat
de dix para-commandos belges qui constitue un gros dossier important que j’ai
eu également à traiter. Il y a eu le dossier concernant le meurtre de trois
coopérants belges. Il y a eu un dossier contre un haut responsable de l’armée
qui, actuellement, a été déféré au Tribunal international d’Arusha. Il y a eu
encore le dossier par exemple de RTLM, toutes les personnes RTLM étant la radiotélévision
des Mille Collines, dont on soupçonnait ceux qui avaient, les animateurs notamment,
et il y avait notamment Monsieur RUGIU qui est un Belge et donc, il y avait
peut-être un intérêt de la Belgique à se soucier davantage de cette situation-là
à enquêter également sur le rôle qu’aurait pu jouer Monsieur RUGIU
ou d’autres personnes. Entre-temps, vous savez que Monsieur RUGIU - vous
ne le savez pas, je vous le dis - a été jugé par le Tribunal international d’Arusha
et d’ailleurs, il a été reconnu coupable et condamné. A ce propos d’ailleurs,
il a plaidé coupable devant le Tribunal international.
Donc, le 2 mars, j’ai reçu différents dossiers ; ils ne
sont pas arrivés nécessairement tous à la même date. Par exemple, le dossier
du meurtre des dix para-commandos est arrivé vers le mois d’avril. Cela veut
dire que je n’avais pas qu’un dossier mais j’avais plusieurs instructions que
j’ai dû mener de front. Quand j’ai été en commission rogatoire, je devais effectivement
avoir en tête et avoir l’attention pour essayer de recueillir le maximum d’informations,
non seulement dans ce dossier-ci, mais également dans les autres dossiers.
Pour la structure de ce dossier-ci, c’est un dossier qu’on a essayé
c’est le greffier qui se charge évidemment de tout l’inventaire du dossier,
mais c’est le magistrat, le juge, qui est chargé quand même de classer le dossier
de respecter l’ordre chronologique. Autant que faire se peut, ce dossier suit
la chronologie telle que les pièces sont rentrées. Pourquoi ? Parce que
cela permet, je crois, de suivre et de ne pas essayer que des informations se
croisent trop. S’il faut retrouver et je dirais que c’est peut-être pour cela
que je peux m’y retrouver plus facilement dans le dossier que d’autres, parce
que j’ai évidemment le souvenir de la chronologie, je dirais, des différents
devoirs qui ont été faits, des différents devoirs d’enquête qui ont été faits.
Ce dossier, pour bien comprendre la chronologie parce que c’est important,
c’est en fait de voir qu’il y a eu dans le dossier qui vous est soumis aujourd’hui,
trois dossiers ou trois pans de dossiers qui ont été traités. Le dossier a été
mis à l’instruction au départ concernant Monsieur NTEZIMANA Vincent, Monsieur
HIGANIRO et son épouse, donc, trois inculpés au départ mis à l’instruction le
2 mars. Par la suite, a été jointe à ce dossier-là, une instruction concernant
Monsieur KANYABASHI et Monsieur NDAYAMBAJE. KANYABASHI était le bourgmestre
de la ville de Butare même ; cela s’appelait la commune d’Ngoma mais
c’est un peu comme on a la Ville de Bruxelles, mais vous avez la commune de
Bruxelles. Ngoma était la commune centrale de Butare, donc, c’est Butare-ville.
Le bourgmestre a été détenu ici et le Tribunal international a souhaité avoir
le dossier de ce bourgmestre. La même chose pour Monsieur NDAYAMAJE, étant
bourgmestre de la commune de Muganza mais qui se situait dans la préfecture
de Butare, c’est un peu compliqué, il y a la préfecture et il y a la ville.
Mais quand on parle au point de vue administratif, il y a la préfecture de Butare
et puis il y a les communes et notamment la commune d’ Ngoma mais quand
on parle d’ Ngoma, c’est vraiment la ville elle-même de Butare. Par contre, Muganza
était une commune plus proche de la frontière du Burundi où également, ce bourgmestre
se trouvant en Belgique, il a fait l’objet d’une arrestation ; il a été également
déféré devant le Tribunal international d’Arusha. D’ailleurs ces deux personnes,
sauf erreur de ma part, ne sont pas toujours jugées mais elles sont toujours
détenues à Arusha.
Une petite précision que j’avais peut-être oublié de mentionner :
pourquoi est-ce que les juridictions belges et pas les juridictions rwandaises
sont amenées à s’occuper, à enquêter et à traiter ces différents faits ?
Il faut savoir qu’en ce qui concerne le Tribunal international, la situation
est assez simple. Le Tribunal international a primauté. Il souhaite un dossier,
il le demande, nous n’avons pas le choix, c’est l’engagement de la Belgique
vis-à-vis de l’ONU notamment, puisque le Tribunal international se situe dans
ce cadre-là, nous devons transmettre le dossier. Quand le Tribunal international
a demandé le dossier de Monsieur NDAYAMBAJE et le dossier de Monsieur KANYABASHI,
il a été transmis parce qu’il y a primauté du Tribunal international. Pour ce
qui est par rapport au Rwanda, il faut savoir qu’il n’y a pas de traité d’extradition
entre la Belgique et le Rwanda. S’il n’y a pas de traité d’extradition entre
la Belgique et un autre pays, il est légalement impossible, pour la Belgique,
d’extrader.
A partir du moment où certaines personnes étaient soupçonnées de
faits commis, peu importe, ici c’était au Rwanda, de faits de cet ordre-là,
la Belgique, nous avons d’ailleurs eu des demandes dans différents dossiers
de différentes personnes, des demandes d’extradition du Rwanda. Mais la réponse
est très simple parce que c’est la loi qui nous l’impose, nous ne pouvons pas
extrader. Que dit, en matière notamment de crimes de guerre, ce sont des conventions
internationales qui le prévoient en disant : « Si vous n’extradez
pas, c’est votre droit, mais à ce moment-là vous devez juger ». Donc, vous
devez vous-mêmes engager, le cas échéant, des poursuites. Et c’est la raison
pour laquelle nous nous trouvons ici.
A partir du moment où nous ne pouvions pas extrader vers le Rwanda,
les conventions internationales nous obligent, le cas échéant, à juger nous-mêmes.
C’est la raison juridique parce que, bien entendu, le parquet, il y a une règle
interne de décider si le parquet décide ou non de faire une instruction. Pour
le juge d’instruction, la question est beaucoup plus simple. C’est qu’à partir
du moment où il est compétent, il ne doit pas dire : « J’ai envie
ou je n’ai pas envie » ; il ne peut pas dire : « J’instruis
ou je n’instruis pas », sa mission légale est d’instruire à charge et décharge
de recueillir le maximum d’informations. Mais donc, le juge d’instruction, lui,
n’a pas du tout le choix de dire : « Je veux, question d’opportunité ».
Non, il est soumis à la loi et la loi dit qu’une fois qu’un dossier est confié
à un juge d’instruction, son rôle c’est d’instruire et de tenter de faire son
travail de la meilleure façon et au maximum. Voilà le contexte.
Pour la précision du troisième pan, c’est le dossier concernant les
deux derniers inculpés, je vais appeler peut-être pour la facilité, sœur Gertrude
ou sœur Kizito, je pense que ce sera plus facile à situer, c’est vraiment comme
cela qu’elles sont chaque fois désignées dans le dossier. En ce qui concerne
sœur Gertrude et sœur Kizito, cela fait l’objet d’une instruction séparée. D’ailleurs,
vous verrez ces dix classeurs qui ont été rajoutés tout à fait à la fin en disant,
cela a été décidé tout à fait, ce n’est pas moi qui ai décidé de joindre les
dossiers, c’est tout à fait à la fin des deux instructions, on a décidé en disant :
« On va juger ensemble », et on a mis les deux dossiers ensemble.
Ce qui explique que vous avez à peu près 54 ou 55 classeurs pour une instruction,
mais là-dedans, il faut songer que tout ce qui concerne Monsieur
KANYABASHI et Monsieur NDAYAMBAJE, normalement ne vous concerne pas directement
bien que ce qui a été recueilli par rapport à Monsieur KANYABASHI c’est quand
même toute la situation de Butare ville. Il peut y avoir des éléments ou des
déclarations qui peuvent être intéressantes. C’est la toute grosse partie du
dossier et puis vous avez l’autre partie, les dix cartons qui sont mis sous
62/95 c’est la référence de mon dossier, donc, c’est 37/95, ces dix classeurs
concernent tout à fait l’instruction concernant les sœurs. D’ailleurs, il y
a des documents qui se retrouvent des deux côtés. Je dirais par définition,
des documents généraux qui intéressaient toutes les instructions ; ces
documents généraux, je les ai mis dans toutes les instructions. Les dix derniers
classeurs concernent l’instruction relative à sœur Gertrude et sœur Marie Kizito.
2 mars, j’étais comme vous, je ne connaissais pas plus le Rwanda,
enfin peut-être que certains d’entre vous le connaissent davantage, mais moi,
je ne le connaissais pas plus que tout citoyen belge, et me voilà chargé d’une
instruction qu’on annonce effectivement assez difficile et elle s’est avérée
très, très difficile. Au départ, vous êtes chargés de fait. La première démarche
que vous faites, c’est d’essayer d’abord de vous informer, de recueillir des
informations générales. Et c’est comme cela que dans le dossier, vous avez,
au départ du dossier, notamment toute une série de rapports. Il y avait des
rapports qui avaient été établis par l’ONU. C’est quand même intéressant, je
pense, d’avoir ces rapports pour voir, l’ONU avait désigné un rapporteur spécial
qui avait été lui-même au Rwanda, Monsieur Degni SEGUI et qui avait fait
différents rapports. Ces rapports présentaient évidemment à mes yeux, une source
d’information générale intéressante dans la mesure où il avait été sur place
et on pouvait présumer qu’il bénéficiait quand même d’une certaine impartialité
puisqu’il représentait l’ONU, c’est-à-dire l’ensemble des nations. Il y a différents
autres rapports qui ont été joints également, des associations, je dirais, des
ONG qui s’étaient intéressées, Amnesty International, Human Rights Watch, African
Rights Watch.
Ce sont tous des documents qui se trouvent dans le dossier et qui
s’y trouvent parce qu’il me semblait intéressant de recueillir le maximum d’informations
pour moi, bien entendu, mais surtout pour ceux qui seront amenés à juger de
cette affaire. Première étape : essayer de recueillir des informations
pour savoir dans quel contexte, contexte que je ne connaissais pas du tout,
se situaient les faits. Je dois vous dire ici que, dès le départ, la loi c’est
la loi ; je connais, ou en tout cas je suis censé connaître la loi, je
savais que si un jour l’affaire devait être jugée par un juge de fond, c’était
la Cour d’assises.
Je dois vous dire que, dès le départ, quand j’ai fait cette instruction,
je savais que si ce dossier devait être jugé, je travaillais pour des jurés.
C’est un souci que j’ai toujours eu en me disant : « Mais comment
puis-je faire mon travail, recueillir le maximum d’informations pour qu’un juré
soit en possession de toutes les informations pour pouvoir saisir exactement
et juger en toute sérénité ». Cela a été un souci, c’est vous qui serez
seuls juges pour voir si les informations et le dossier constitué peuvent effectivement
répondre à vos attentes. Je crois que de toute façon, je dois déjà vous avertir,
qu’évidemment face à l’ampleur de tels faits, il y a inévitablement des lacunes.
On a eu des limites de fait au point de vue des moyens. L’idéal, c’était peut-être
de passer un ou deux ans au Rwanda et d’enquêter, aller au Zaïre, ce que malheureusement
on n’a pas pu faire, aller dans d’autres pays, peut-être avoir des moyens bien
plus importants tels que par exemple ceux du Tribunal international. Nous avons
travaillé avec les moyens que nous avons reçus.
Quels ont été ces moyens ? Un juge d’instruction qui a été déchargé
pendant huit mois des autres dossiers, pas déchargé, c’est-à-dire que j’ai gardé
tous mes dossiers que j’avais auparavant mais je n’en ai pas eu de nouveaux
pendant huit mois, c’est-à-dire à peu près de mai 1995 jusqu’au 31 décembre
1995, qui a été la partie la plus active de l’instruction. Par après, j’ai continué
à assumer les rôles de garde de juge d’instruction et, à titre d’exemple, dans
l’année 1996 qui a suivi, j’ai eu 400 nouveaux autres dossiers à côté, instructions
à mener. Il a fallu mener cela de tout bord. Si je n’avais eu aucun dossier
durant l’année 1996, je pense qu’effectivement j’aurais pu faire plus. Au niveau
des enquêteurs, la même chose. On a eu une équipe, une cellule qui a été constituée
au niveau de la police judiciaire, ce qui n’exclut pas la collaboration ponctuelle
d’autres enquêteurs, mais enfin, il y a eu cinq enquêteurs qui ont été désignés
à temps plein, pendant une certaine période à peu près équivalente, sauf erreur
de ma part, où ils ont été détachés à temps plein pour pouvoir traiter de ce
dossier plus, n’oubliez pas, tous les autres, parce qu’il y avait neuf autres
instructions qu’il fallait aussi bien traiter. Vous pensez bien que tout dossier
mérite la meilleure attention parce qu’il concerne toujours des gens. Un dossier,
ce n’est pas du papier, ce sont des personnes, que ce soit des personnes qui
sont plaignantes, qui sont mises en cause, ce sont toujours des personnes qui
sont derrière le dossier.
J’ai le souci d’essayer de faire le maximum avec les limites que
cela peut avoir, de faire le maximum dans chacun des dossiers, ce n’est pas
toujours facile et peut-être qu’on n’y arrive pas toujours. Là, je crois qu’on
ne peut que faire œuvre de témoigner de modestie en disant : « Mais
voilà ce qu’on essaie de faire, c’est de constituer le meilleur dossier, le
dossier le plus complet compte tenu des moyens qu’on a, compte tenu du contexte,
compte tenu également des circonstances », on ne choisit pas toujours,
mais en l’espèce, je pense qu’on a essayé en tout cas, d’exploiter tous les
moyens qui ont été mis à notre disposition pour essayer de recueillir le maximum
d’informations.
Dans le dossier, je vous ai parlé des informations tout à fait générales
qui concernent le contexte des faits, mais enfin, le contexte des faits, soit
dit en passant, n’est pas seulement important pour que vous compreniez dans
quel contexte se situent les faits mais c’est aussi une des conditions de la
compétence. Il faut savoir qu’il n’y a pas un crime de guerre s’il n’y a pas
un contexte de guerre. En l’espèce, le contexte des faits n’était pas seulement
des circonstances pour bien comprendre peut-être un élément tout à fait essentiel
à également établir, parce que c’était une des conditions pour que cela puisse
constituer l’infraction qui fonde notre compétence, donc, qui permette de dire
qu’on est compétent. En d’autres termes, s’il n’est question que d’un assassinat
unique qui ne se situe pas dans un contexte plus large, en principe nous n’étions
pas compétents. Je veux dire que le contexte était un élément d’enquête tout
à fait également essentiel, c’est la raison pour laquelle je m’y suis intéressé
de façon tout à fait rigoureuse parce que c’était un élément incontournable.
Les documents généraux, puis il faut savoir, et le dossier tout au
long de l’instruction, c’est que nous avions beaucoup de personnes, nous avons
entendu beaucoup de personnes qui se trouvaient en Belgique. On peut s’étonner
en disant : « Mais ce sont des faits qui se sont déroulés au Rwanda,
comment cela se fait-il qu’il y a tellement de témoins, c’est-à-dire des personnes
qui estiment pouvoir apporter une information par rapport à l’instruction »,
c’est cela un témoin, un témoin c’est quelqu’un qui vient avec une information
par rapport aux faits. Comment cela se fait-il qu’il y avait tellement de témoins
en Belgique ? Il faut savoir que les liens entre la Belgique et le Rwanda
étaient privilégiés, pas depuis récemment mais depuis très longtemps. Il y avait,
parmi ces témoins, des gens qui étaient en Belgique avant 1994 et
il y avait des personnes qui se trouvaient au Rwanda et qui étaient en contact
tout à fait étroit avec ces personnes. C’est vrai que ces personnes qui ont
été au Rwanda, qui sont venues en Belgique, qui avaient encore des liens importants,
avaient sans doute des informations intéressantes à fournir. Il y avait également
tous les gens qui ont quitté le Rwanda, après le mois de juillet 1994, puisqu’il
y a eu un changement de pouvoir. Ces témoins qui étaient sur place et qui sont
venus en Belgique, certains avaient vu certaines choses ou avaient des informations
à fournir. C’étaient des personnes qui pouvaient apporter des informations qui
me semblaient très intéressantes.
Sauf erreur de ma part, devant la Cour d’assises, je pense qu’il
y aura toute une série de témoins qui viendront devant vous qui habitent en
Belgique et c’est une explication pour laquelle nous avons quand même recueilli
beaucoup de témoignages de personnes qui étaient en Belgique, ce qui évidemment
est un peu plus aisé. Evidemment, pour entendre un témoin en Belgique, je n’ai
pas beaucoup de difficultés, je le fais venir ou je demande à la police judiciaire
d’aller l’entendre, cela pose moins de problèmes que de devoir le faire dans
le cadre d’une commission rogatoire.
Ceci pour expliquer quand même que vous aurez chaque fois ce qui
a été fait en Belgique, cela se retrouve dans ce qu’on appelle la farde « instruction
générale ». Dans cette farde, c’est par morceaux puisque j’ai respecté
la chronologie. L’instruction générale, c’est-à-dire l’ensemble des informations
recueillies mais dans le cadre ici en Belgique et qui font l’objet de procès-verbaux
établis soit par la police judiciaire, soit par moi-même et constituant le corps
de l’enquête menée ici en Belgique. Vous aurez chaque fois instruction générale
suite, puis elle est entrecoupée par des commissions rogatoires et d’autres
informations.
En ce qui concerne maintenant les commissions rogatoires. Que signifie
commission rogatoire ? Cela veut dire que le juge d’instruction, la police
judiciaire n’a, en principe, de compétences que sur le territoire belge. Je
ne peux mener des enquêtes qu’en Belgique. Je ne peux pas aller derrière le
dos d’un juge français et commencer à entendre des témoins en France. Je ne
peux pas aller à l’étranger faire une perquisition derrière le dos des autorités
étrangères, ce serait une violation de domicile. D’ailleurs, réciproquement,
un juge étranger, s’il souhaite que quelque chose soit fait en Belgique, un
devoir d’enquête, une audition, une perquisition, que fait-il ? Il adresse
une commission rogatoire, cela veut dire une demande de coopération. Ou il s’adresse
à son alter ego, le magistrat qui a les mêmes compétences que lui dans le pays
où on souhaite faire le devoir d’enquête et qui dit : « Voilà, je
souhaiterais que vous fassiez, pour mon compte, tel et tel devoir d’enquête ».
Ce sont des mécanismes qu’on applique classiquement. Par exemple, prenons une
toute autre matière, en matière financière, on voudrait savoir des extraits
de compte d’un compte qui se trouve par exemple en Suisse ou au Luxembourg,
on s’adresse au juge d’instruction suisse ou au juge d’instruction luxembourgeois
pour faire les démarches nécessaires et obtenir, par exemple, l’historique d’un
compte bancaire. Ce sont des mécanismes tout à fait classiques.
Ici, à partir du moment où cela me semblait évidemment important,
c’était de pouvoir recueillir des informations sur place, parce que sur place,
ce sont les lieux des faits, c’est quand même là qu’en principe on doit pouvoir
disposer d’informations importantes. A partir du moment où je souhaitais avoir
ces informations autant que faire se peut de première main également, et puis
de voir les lieux des faits. Dans toute affaire, il est important d’aussi voir
les lieux des faits et ce sera une des grandes difficultés, c’est que vous n’avez
malheureusement, parce que la procédure et les questions de procédure, la loi
n’a pas toujours envisagé évidemment des situations comme celle-ci. Il eût été
mieux, je crois pour tout le monde, c’est de pouvoir aller sur place. Maintenant,
les questions de procédure sont effectivement tellement difficiles que je pense
que ce n’est pas envisagé et donc, cela veut dire que le juge d’instruction,
mais également toutes les parties, on est obligé d’essayer, à travers le débat
ici, de vous donner toutes les informations, tous les éléments pour pouvoir
juger.
Le but des commissions rogatoires, c’était de demander à mes homologues
rwandais de faire une série de devoirs, de très nombreux devoirs puisque c’est
assez vaste comme enquête, avec la circonstance, c’est aussi tout à fait usuel,
dans les autres dossiers également, c’est que souvent on demande de pouvoir
assister, d’être présent à l’exécution des devoirs. Pourquoi ? Ici c’est
très précis, c’est parce que je peux davantage, si j’étais présent, vous dire
ce qui s’est passé puisque j’étais sur place, j’ai assisté aux auditions, donc
à tous les devoirs demandés nous étions présents. Cela permet d’exercer aussi
un certain contrôle sur la façon dont cela se passe. Cela me semble également
important. Et puis aussi, évidemment, comme je suis la personne qui souhaite
que cette enquête soit faite, si on veut bien qu’elle soit faite, rien de tel
que la personne qui souhaite les devoirs d’enquête soit là pour aussi repréciser,
pouvoir organiser tout cela. C’est la raison pour laquelle j’ai adressé des
commissions rogatoires aux autorités rwandaises. Il y a eu d’autres commissions
rogatoires qui ont également été exécutées, j’y reviendrai.
Il y avait une particularité, c’est qu’il n’y a pas de convention
entre la Belgique et le Rwanda qui fixe comment, quel cadre, quelles sont les
règles à appliquer lorsqu’on fait une commission rogatoire internationale. Cela
arrive avec beaucoup de pays. Il y a beaucoup de pays avec lesquels nous n’avons
pas de traité, de convention d’entraide judiciaire, de convention qui dise :
« Si vous voulez une coopération, il faut agir comme cela, il faut introduire
la demande ». A partir du moment où on n’a pas de convention, on agit avec
ce que l’on appelle les usages. Cela veut dire qu’on fait une demande aux autorités
rwandaises mais que les autorités rwandaises peuvent dire oui ou non et peuvent
elles-mêmes décider du cadre dans lequel cela se passera. J’en parle parce que
cela peut être aussi une participation, la présence ou le rôle de l’autorité
étrangère qui vient, on peut refuser. Vous pouvez toujours venir au Luxembourg,
essayer d’assister à une perquisition dans une banque ; le juge étranger
ne sera jamais autorisé, au Luxembourg, à assister à une perquisition dans une
banque. Le Luxembourg décide si la présence est tolérée ou pas. Nous-mêmes aussi,
si nous refusons qu’une autorité étrangère vienne et assiste, on dit :
« Non désolé, on refuse, nous avons ce droit de refuser ». Maintenant
l’usage veut, c’est que souvent il n’y a pas de motif de refuser. Le but est
quand même qu’il y ai une certaine efficacité dans les devoirs qui sont faits
et, la plupart du temps, on accepte et, d’ailleurs, cela se passe de façon beaucoup
plus efficace de cette façon-là parce que vous avez aussi les enquêteurs sur
place. Un dernier motif qui n’est jamais un motif qui est donné officiellement,
lorsque vous êtes sur place, je parle de façon tout à fait générale, pas uniquement
dans ce dossier, mais lorsque vous êtes sur place, les enquêteurs sur place
ou le juge sur place sont souvent beaucoup plus motivés parce que vous
êtes derrière et donc, il y a aussi une source de motivation qui montre l’importance
qu’on attache à la demande qui est faite.
J’ai fait quatre séjours sur place au Rwanda, avec chaque fois deux
enquêteurs, mais parfois, qui n’ont pas été les mêmes parce que c’étaient chaque
fois des déplacements assez importants, avec ma greffière et avec également
Monsieur VERHELST qui était procureur du roi en charge des dossiers. Nous avons
fait quatre déplacements. Premier déplacement : du 1er au 13
mai 1995. Donc, je suis saisi le 2 mars, le temps de constituer les éléments
d’enquête, déjà rassembler pas mal d’éléments et savoir éventuellement les témoins
qu’on devait entendre, les éléments qu’on pouvait recueillir. Deuxième commission
rogatoire : du 5 juin au 24 juin. Cela correspond d’ailleurs toujours au
moment des avions, c’est à peu près trois semaines, donc au point de vue jours
ouvrables, on arrivait le lundi et on repartait le vendredi soir pour arriver
le samedi matin à Bruxelles. Donc, 1er au 13 mai 1995, un peu moins
de deux semaines. Du 5 au 24 juin 1995, à peu près trois semaines en tout cas
en termes de jours ouvrables. Et du 25 septembre au 14 octobre 1995. Il
y a une commission rogatoire qui a été faite à cheval du 28 février au
5 mars 2000, qui était juste au moment de la clôture de l’instruction. Il y
avait un complément d’enquête qui me semblait indispensable à ce moment et je
dois vous dire aussi que, pour ce qui concerne l’enquête concernant sœur Gertrude
et sœur Kizito, cette instruction n’a été ouverte, au niveau de mon cabinet,
qu’au mois d’août. Par rapport à ce volet-là, je n’ai enquêté ni au mois de
mai ni au mois de juin pour la simple raison que je n’avais pas le dossier.
Pour ce volet, nous n’avons pu travailler que lors de la dernière commission
rogatoire. Et, en plus, lors de la commission rogatoire au mois de février 2000,
au moment de la clôture de l’instruction, moment où on avait l’information qu’un
témoin important et j’ai estimé important aussi de pouvoir assister à son audition,
bien entendu on y reviendra.
Le Président : La particularité peut-être de l’instruction à charge
des deux religieuses accusées, c’est que vous n’étiez pas tout à fait saisi,
au départ en tout cas, des faits dont elles sont accusées. Au départ, c’est
de tout autre chose dont vous avez été saisi ?
Damien VANDERMEERSCH : Il y a
eu une plainte avec constitution de partie civile qui a été déposée par sœur
Gertrude, contre un journaliste, pour un article de presse qui la mettait en
cause. Cela a été une plainte qui a été déposée chez un collègue. Et lorsqu’on
a estimé qu’il était opportun de, non seulement, parce qu’évidemment une des
façons de voir si ce que le journaliste disait était juste ou pas juste, il
fallait quand même vérifier ce qui était de l’ordre des faits reprochés.
De ce point de vue, le parquet a décidé en disant : « Non
seulement, je voudrais que l’enquête ne se dirige pas uniquement contre le journaliste
mais se dirige sur le fond, le problème finalement en lui-même, c’est-à-dire
les faits reprochés et qui étaient invoqués dans l’article du journal ».
A partir du moment où on dit : « Mais il faut que vous vous occupiez
de savoir si ce que dit le journaliste est exact ou non, puisque c’est cela
la plainte en calomnie et diffamation, si ce n’est pas exact c’est de la calomnie
et diffamation, si c’est exact, bien entendu, ce n’est pas de la calomnie et
diffamation ».
Le parquet a décidé d’aller plus loin en disant : « Oui,
mais alors soyons cohérents, enquêtons directement sur les faits mêmes, parce
que, si les faits sont avérés, cela mérite une instruction et cela mérite qu’on
s’y attache ». Et c’est à ce moment-là, quand le parquet a décidé qu’il
fallait enquêter également sur les faits, que logiquement le dossier a été,
ce qu’on appelle, redistribué, m’a été confié parce qu’à ce moment-là on devait
enquêter sur des faits qui s’étaient passés là-bas qui relevaient du même ordre
ou qui étaient proches des autres dossiers d’instruction dont j’étais chargé
puisque cela se situait durant les événements.
Vous savez, le terme génocide, moi je ne l’ai pas employé pendant
des années, je crois que je ne l’emploie toujours pas parce qu’à certains moments,
ce n’était pas dans ce dossier-ci, je précise, mais dans d’autres dossiers on
disait que quand on employait le terme génocide, c’est qu’on avait déjà un a
priori, qu’on avait un préjugement par rapport à ce qui s’était passé. Alors,
vous ne m’entendrez sans doute jamais parler de génocide, je parlerai de situation,
j’estime que c’est à vous à donner éventuellement la qualification qui devra
être donnée, mais j’estime devoir garder cette réserve parce que certains estimaient
que ceux qui employaient ce terme-là faisaient déjà peut-être un préjugement
sur ce qui s’était passé et le juge d’instruction n’a pas à préjuger, bien entendu,
des éléments d’instruction qu’il rassemble.
Donc, quatre commissions rogatoires, j’ai fixé les dates. Nous avons
été également à Arusha. Pourquoi ? Parce qu’il m’a semblé intéressant de
pouvoir entendre ou de tenter d’entendre des personnes qui, je dirais, étaient
soupçonnées et qui pouvaient fournir des informations, je trouve, intéressantes,
en disant, comme elles étaient elles-mêmes accusées et qu’elles contestaient,
elles étaient en tout cas sur place. Cela pouvait être des témoins qui me semblaient
pouvoir, notamment, être des témoins à décharge. Malheureusement, sur place,
on s’est heurté avec le droit anglo-saxon et les avocats anglo-saxons qui ont
imposé à leurs clients, c’est la pratique et c’est conforme d’ailleurs au droit
anglo-saxon, de se taire, de ne faire aucune déclaration. Nous n’avons pas eu
beaucoup de déclarations, beaucoup d’informations de ce côté-là.
Par contre, j’ai dépêché également une commission rogatoire à La
Haye. Pourquoi La Haye ? Parce que la personne que je voulais entendre,
qui était l’ancien premier ministre, donc le premier ministre pendant les événements,
Monsieur Jean KAMBANDA, on vous en reparlera encore. Je vais toujours essayer
d’être soucieux de vous parler de la fonction, c’est peut-être plus facile à
retenir, les noms, c’est vrai que, peut-être, c’est en fin de procès que vous
vous y retrouverez, mais ce sera peut-être un peu tard. Je vais essayer chaque
fois de vous donner surtout la fonction. D’ailleurs des fois, je me limiterai
aux prénoms moi-même parce que, pour s’y retrouver dans tous les noms, ce n’est
pas évident surtout que le nom de famille, on vous l’a peut-être expliqué n’est…
au Rwanda, deux frères ne portent pas nécessairement le même nom de famille,
cela complique beaucoup de choses et donc, deux noms qui se ressemblent, cela
ne veut pas du tout dire un lien de famille. Le premier ministre, il a également
exercé le droit au silence, mais j’ai reçu du Tribunal international toute l’audition
qui avait été faite par lui par les autorités du Tribunal international. Le
premier ministre qui était en place, j’ai reçu des autorités du Tribunal international,
toutes les auditions qu’il avait faites et comme il plaidait coupable, c’était
évidemment une audition qui pouvait être intéressante puisqu’il semblait en
tout cas révéler toute une série d’éléments de l’intérieur avec, en tout cas,
se mettant lui-même en cause puisqu’il plaidait coupable. Il ne disait pas :
« Je n’ai rien fait, ce sont les autres qui ont fait quelque chose ou il
ne s’est rien passé ». Il disait : « Oui il s’est passé des choses,
oui, j’ai fait des choses et voilà ce qui s’est passé ». C’était une audition
qui me semblait intéressante.
Par rapport à l’ensemble des éléments, informations générales, informations
recueillies en Belgique, informations recueillies sur place au Rwanda, informations
recueillies dans d’autres pays, on a fait d’ailleurs l’une ou l’autre commission
rogatoire également dans d’autres pays pour entendre l’une ou l’autre personne,
cela a été toujours un souci d’essayer de pouvoir recueillir le maximum d’éléments.
A la demande de la défense, et je dirais même sans la demande de
la défense, je l’avais envisagé, on avait espéré pouvoir aller également au
Zaïre. Je dis le Zaïre parce que c’était le Zaïre à l’époque où se trouvait
tout un ensemble de personnes réfugiées qui évidemment étaient présentes également
lors des événements. Malheureusement, le Zaïre, c’était des régions assez incontrôlées.
J’ai marqué la volonté de vouloir y aller, mais soyons très clairs, j’ai reçu
un veto de la part des autorités belges, je pense peut-être à bon droit. Les
autorités zaïroises avaient dit : « On ne peut pas assurer votre sécurité ».
Donc, quand vous faites une demande de coopération, on ne pouvait
même pas s’assurer d’avoir quelqu’un sur place. Je n’avais même pas d’alter
ego, mais en plus, on dit : « Vous savez, si vous allez sur place,
vous vous débrouillez », mais en d’autres termes, dans ces camps où on
disait qu’il y avait quand même peu de sécurité et qu’il y avait peut-être des
problèmes justement de tension, et on citait notamment les anciennes Forces
armées rwandaises, effectivement cela pouvait poser de graves problèmes. Maintenant,
je vais vous dire que pas mal de ces témoins dont on demandait l’audition et
qui se trouvaient au Zaïre, on a quand même pu les entendre plus tard parce
que, par la force des choses, ils sont soit rentrés au Rwanda, soit ils se sont
réfugiés, notamment certains se sont réfugiés en Belgique, donc, on a pu quand
même entendre toute une série de personnes qu’à l’époque on aurait voulu entendre
mais qu’on a pu entendre par la suite, parce que la situation a évolué, comme
vous le savez, au Zaïre qui est devenu entre-temps le Congo. C’était une limite.
On nous avait aussi invoqué au départ fort les questions de sécurité
au Rwanda. Au moment où on est allé, au mois de mai 1995 et au mois de juin
1995, pour des raisons de sécurité, les enquêteurs du Tribunal international
sont restés à Kigali. Nous avons pris l’autre option, nous avons estimé, et
je crois à raison, parce que les problèmes de sécurité pour moi ne correspondaient
à une réalité palpable sur place, c’est que ces raisons de sécurité me semblaient
contenues… c’est vrai que la situation dans le pays n’était vraiment pas évidente,
mais quant à notre sécurité, je n’ai pas eu le sentiment, même si on ne pouvait
jamais exclure un « coup » de personnes, je n’ai jamais eu le sentiment
qu’on était vraiment inconscient dans ce qu’on faisait. D’ailleurs, finalement,
le Tribunal international, plus tard, a travaillé comme nous sur les collines
là où s’étaient passés les faits. Je pense que cela ne sert à rien de rester
dans les bureaux à Kigali, il fallait faire à un moment donné la démarche pour
pouvoir se rendre sur les lieux des faits et rencontrer les témoins.
Sur place, c’est évidemment un élément important parce que, sur place,
il y a des éléments d’enquête importants qui ont été rassemblés, notamment tous
les documents vidéos qu’on verra ou les documents photographiques qui permettront
peut-être de voir un peu plus ou de situer un peu plus le contexte et le lieu
des faits. Nous allons, sauf erreur de ma part, Monsieur le président, voir
cet après-midi simplement des photos et là je précise très clairement et je
vais le rappeler cet après-midi, que ce ne sont pas des photos des lieux des
faits. Ce sont simplement des photos qui permettent de comprendre.
Dans les exhumations, il y en a eu partout. Il y aura notamment peut-être
les photos de Muganza mais cela concernait Monsieur NDAYAMBAJE, c’est pour
cela que je les ai prises. C’était malheureusement une situation qui était à
répétition sur tout le pays, ou en tout cas, dans certains lieux du pays. C’est
une réalité à laquelle on a été confronté. Sur place, c’est difficile quand
on est juge d’instruction de dire : « Voilà, c’est peut-être la première
fois où je me trouve dans une position vraiment quelque part de témoin ».
Habituellement, on peut raconter son instruction en disant : « L’instruction
s’est passée comme cela, vous verrez les témoins, etc… ». Ici, il y a un
peu plus parce que moi-même j’ai été sur place, et quand on est sur place, on
constate ou on apprend des choses qu’on n’apprendrait pas si on n’était pas
allé sur place. Et j’estime qu’il est de mon devoir d’essayer au moins de vous
transmettre ce que moi-même j’ai constaté sur place. On le ferait aussi pour
une descente ici mais l’avantage c’est qu’on a les photos, on a tous les éléments.
Sur place, la première chose, c’est d’abord d’admettre qu’il y a
des morts. Là, je peux vous dire, je ne peux pas m’empêcher d’être chaque fois
émotionné parce que c’est quelque chose qu’on ne peut pas comprendre. Des femmes
et des enfants, et c’est cela qui a été la confrontation la plus difficile.
Combien de fois je n’ai pas souhaité, mais je suis certain que je ne suis pas
le seul, à se dire : « Ce n’est pas vrai, ce n’est pas possible ».
Je parle vraiment de façon générale, ne vous méprenez pas. On est confronté
pas à un mort - un mort j’avais déjà été confronté très souvent - pas 10 morts,
pas 100 morts, pas 1.000 morts, mais notamment à Muganza, j’ai vu 20.000
morts qui avaient été exhumés. 20.000 morts, mais quand vous voyez le corps
d’un enfant, quand vous voyez les corps de 10 enfants, quand vous voyez les
corps de 100 enfants, quand vous voyez les corps de femmes, le premier réflexe
qu’on a envie de dire : « Ce n’est pas possible parce que sinon on
ne comprend pas, parce que sinon on ne peut pas survivre ». C’est vrai
que face à tous ces morts on a vraiment tous envie, je crois que c’est généralisé
pour tout le monde, de dire : « Mais pourvu que ce soit un cauchemar
et qu’on se réveille en se disant qu’heureusement, ce n’est pas vrai ».
Mais là, c’est vrai. C’est vraiment la première chose, dans l’enquête, c’est
se dire qu’il y a eu des morts.
Deuxième élément : ce n’est pas un tremblement de terre. Vous
avez des morts où vous pouvez dire encore que c’est la fatalité, c’est un tremblement
de terre, c’est très triste, c’est horrible, des femmes, des enfants, c’est
dramatique mais on ne pouvait quand même rien faire. Ici, ce n’est pas un tremblement
de terre, ces personnes ont été tuées, alors c’est complexe. Si on se dit qu’on
ne comprend pas, que ce n’est pas vrai, que c’est impossible, c’est vrai qu’on
ne peut pas raisonner tout à fait normalement, il faut comprendre qu’on est
dans un contexte tout à fait particulier et c’est à ce moment-là que l’enquête
commence, où on se rend compte sur quoi on doit enquêter. On doit enquêter sur,
pas un mort, sur pleins de morts, sur des femmes et des enfants qui sont morts.
Non seulement ils sont morts, mais ils ont été tués. Et s’ils ont
été tués, c’est vrai qu’en tant que juge d’instruction, c’est d’essayer de dépêtrer
comment cela a été fait, éventuellement par qui, là je dirais de façon plus
dirigée par rapport aux personnes qui sont éventuellement mises en cause, et
de voir les responsabilités éventuellement qui pourraient être dégagées, ou
en tout cas fournir le maximum d’informations. Je me demande parfois comment
on peut entendre ce qui dépasse l’entendement, ce qui dépasse la compréhension.
Je me suis dit à certains moments : « Heureusement que je ne comprends
pas vraiment, en d’autres termes, je ne m’y retrouve pas vraiment parce que
c’est vrai que cela interpelle jusqu’au creux de la nature humaine ». Ce
qui est peut-être, et ce n’est pas notre mission de juge d’instruction, mais
je souhaiterais que peut-être d’autres le fassent un jour, c’est trouver au
cœur de ce qui a de pire, mais on oublie peut-être aussi dans les situations
extrêmes on retrouve ce qu’il y a de pire mais des fois ce qu’il y a de meilleur.
Malheureusement, il n’y a pas un juge d’instruction qui est chargé
de mettre en évidence tous les actes héroïques qu’il y a eus. Je peux vous dire
qu’il y a eu des actes héroïques extraordinaires. Il y a des gens qui ont risqué
leur vie, qui sont morts pour sauver d’autres personnes. Malheureusement, cela
ne fait pas l’objet de l’instruction, bien qu’on en parle puisque ce sont les
récits qui en sont donnés. Il y a des gens et de tout bord, des Hutu, des Tutsi,
extrêmement courageux qui ont fait des actes héroïques et heureusement qu’il
y a cela aussi. On se trouve au cœur de l’extrême où il y a le pire et heureusement
aussi le meilleur. Là, malheureusement, et peut-être est-ce le rôle d’autres
personnes, de faire aussi l’histoire de tous ces actes héroïques parce que cela
peut restituer aussi davantage une réalité. Avec aussi toute la complexité d’une
situation quand on se trouve dans de tels extrêmes.
Vous vous trouvez confrontés à cela, vous recevez cela à travers
tous vos sens, cette réalité et puis il faut travailler avec rigueur. Il faut
essayer, à ce moment-là, de travailler dans des conditions qui étaient, qui
sont et qui restent extrêmement difficiles. Il faut savoir que le contexte est
évidemment tout à fait particulier. Il y a un contexte terrible de peur qui
existait avant les événements, pendant les événements et après les événements.
Il faut se rendre compte que c’était un contexte qui était vraiment difficile
et extraordinaire dans le sens propre du terme tant avant, que pendant, qu’après.
Cela détermine évidemment la façon dont vous pouvez recueillir le maximum d’informations.
Ce n’est pas pour rien que je dis : « Après également ».
On était un an après les faits, c’était au moment où on retirait tous les cadavres
des fosses communes mais souvent des latrines, parce que c’était là qu’ils avaient
été déposés et donc, il y avait un contexte qui était très dur, très lourd.
J’ai vraiment le sentiment de mes souvenirs, cela hantait les nuits et c’est
un peu aussi un sentiment de sinistrose en disant : « Mais c’est un
sinistre dramatique ». Il faut enquêter parce que c’est ma mission,
et il faut enquêter dans ce cadre-là avec, aussi, soyons clair, la peur de se
tromper, la peur peut-être aussi du contexte. Il faut savoir que le pouvoir
avait changé. Peutêtre que les témoins… Je ne peux que vous dire une chose,
c’est que par rapport aux témoins, on m’avait prévenu avant de partir, bien
avant de partir…
Dès que j’ai eu le dossier le 2 mars, très rapidement des personnes
de tout bord sont venues en disant : « Tu ne sais pas dans quoi tu
t’engages. Des témoins ? Personne ne parlera, ils ont trop peur. Ou bien,
s’il y en a un qui parle, ils seront manipulés. On va leur dire avant ce qu’ils
doivent faire, ce qu’ils doivent dire. Ou bien on va dire que de toute façon
c’est la culture du mensonge au Rwanda ». Je vous répète les avertissements
que j’ai reçus. Ce que je peux simplement vous dire, c’est que j’ai été averti.
Donc, on m’avait dit : « Fais attention ! ». Moi je ne savais
pas répondre, je ne connaissais pas. Je peux simplement dire que moi, juge d’instruction,
j’étais averti en disant qu’il y avait des risques dans les témoignages. Vous
pensez bien que c’est quelque chose qui m’est resté là et qui m’est resté en
tête en permanence. Un juge, vous êtes temporairement dans la fonction de juge,
je dis toujours que ma mission c’est de tenter d’innocenter ou d’apporter les
éléments qui permettraient d’innocenter un innocent et également d’apporter
des éléments de preuves, le cas échéant, pour condamner les personnes qui seraient
coupables. Mais condamner des innocents, je peux vous dire que c’est le cauchemar,
enfin en tout cas pour moi personnellement, ce serait vraiment ma grande inquiétude.
D’ailleurs, le juge d’instruction ne doit heureusement pas juger les affaires
qu’il instruit, c’est votre rôle, pas le mien. Je dis heureusement parce qu’on
ne peut pas instruire et juger à la fois, et c’est la loi qui le dit et je crois
que c’est très bien.
Sur place, que puis-je dire par rapport aux témoins ? D’abord,
il y a une réalité, c’est que, compte tenu de l’ampleur des événements, je ne
veux pas faire une bagarre de chiffres, on va prendre des tranches très larges,
entre 500.000 et 1 million de morts sur une population de 7.500.000, je crois
que tout le monde est d’accord sur ces chiffres, la fourchette étant tellement
grande. Prenons même le chiffre le plus bas de 500.000, vous vous rendez compte.
On n’a qu’à imaginer une ville de 500.000 habitants en Belgique sur une population
de 7.500.000. Cela veut dire compte tenu de l’ampleur des personnes tuées potentiellement
en tout cas, d’abord il reste des survivants, par rapport au Rwanda même il
y a eu peut-être 500.000 ou 1 million mais enfin il y a eu 6 millions ou 6,5
millions de survivants. Potentiellement, compte tenu de l’ampleur des événements,
il y a des gens qui ont vu des choses. Alors, qu’ils les aient vues en tant
qu’acteurs et peut-être du côté des gens qui tuaient, oui, ils ont vu des choses
ces gens-là. Ceux qui ont été simples témoins qui ont vu certaines choses, qui
effectivement n’ont pas été acteurs mais simplement ont vu certaines choses,
ce sont des témoins, ils étaient sur place, ils ont entendu et vu certaines
choses. Puis, il y a des victimes qui ont échappé aussi. Ces personnes peuvent
également fournir des informations. Une réalité sur place qui apparaît en tout
cas, c’est que potentiellement, il existe des personnes qui savent certaines
choses. C’est une réalité qui me semble quelque part incontournable, c’est qu’il
n'y a pas une personne qui a vu ce qui s’est passé, mais semble-t-il, quand
même un grand nombre qui peuvent fournir des informations. Je parle toujours
du terme témoin dans le sens de quelqu’un qui peut nous aider, fournir des informations
pour essayer de dépêtrer.
Par rapport à la question du témoignage même. En ce qui concerne
le témoignage même, ce n’est pas au juge d’instruction à dire : « C’est
faux, c’est vrai ce que vous dites ». Que doit faire le juge d’instruction ?
Je parle de l’enquêteur, quand je parle de juge d’instruction, je parle de façon
plus large. Ce qu’on doit faire à mon sens, c’est créer le champ d’écoute qui
permet à la personne de communiquer son information et le faire avec le plus
de rigueur possible. On recueille ce qu’elle dit, on ne doit pas commencer à
lui dire ce qu’elle doit dire, ce n’est pas notre rôle. S’il y en a d’autres
qui ont peut-être été avant leur dire ce qu’ils doivent dire, on essaie évidemment
de créer les conditions, on limite ce risque-là bien qu’il ne peut évidemment
jamais être totalement écarté. D’ailleurs, il reviendra au juge du fond, c’est-à-dire
aux jurés, à apprécier et ce n’est pas pour rien que les témoins viennent. Les
témoins viendront vous dire eux-mêmes les informations, et sous serment, qu’ils
doivent vous communiquer. Quelque part, cela me rassure parce que ce n’est pas
à moi à dire ce qu’ils doivent dire ou ce qu’ils ont dit ou ce qui etc… Ils
viendront eux-mêmes. Cela me semble une garantie importante.
Deuxième élément : ce sont les conditions de travail sur place.
Je vais être très clair. Je pense que c’est le rôle du juge d’instruction d’essayer
de travailler en toute transparence. Vous verrez que j’ai fait des comptes rendus
de commissions rogatoires, les plus détaillés possibles, c’est pour essayer
simplement de ramener, de reproduire de la façon la plus détaillée l’ensemble
du déroulement des commissions rogatoires. C’est pour pouvoir dire : « Voilà
ce qui s’est passé, voilà ce que nous avons fait à tel moment ». Vous avez
quelque part un emploi du temps de tout ce qu’on a fait et vous verrez qu’il
n’y a pas beaucoup de places vides. Sur les jours qu’on a passés là-bas, on
travaillait le jour et jusque tard des fois dans la soirée et la nuit, ça continuait
à travailler dans la tête, mais ce n’est pas la même chose, et puis on recommençait
le matin. Et c’était samedi et dimanche parce que d’abord on n’a pas tellement
envie de faire autre chose et je peux vous dire qu’il n’y a pas d’autres choses
à faire au Rwanda parce que le climat était tel, et puis qu’on devait traiter
de front une dizaine de dossiers, on avait un travail fou qu’on ne parvenait
jamais à boucler. A la fin de chaque commission rogatoire, on sentait bien que
ce n’était pas terminé et c’est pour cela d’ailleurs qu’on a fait trois déplacements.
Sur place, nous avons travaillé avec nos alter ego dans le système
judiciaire tel qu’il existait au Rwanda, c’étaient deux officiers de police
judiciaire. On nous a affecté deux officiers de police judiciaire rwandais qui
avaient compétence pour faire les procès-verbaux sur place et pour faire les
auditions conformément au droit rwandais, droit qui devait être appliqué à partir
du moment où on était au Rwanda. Pour la petite histoire, ces deux officiers
de police judiciaire rwandais avaient été formés par une ONG belge qui était
dirigée par Daniel de BEER, je ne sais plus exactement si cela s’appelait déjà
Avocats Sans Frontières à l’époque, mais Avocats Sans Frontières a pris un peu
le relais de cette ONG qui formait les officiers de police judiciaire et qui
avait été remise en place et on était au début. C’étaient des personnes qui
avaient été formées dans le cadre de la première formation. Effectivement, je
dois vous dire honnêtement, c’est que les autorités rwandaises m’ont laissé
une grande latitude d’organisation de la commission rogatoire dans le sens où
les deux officiers de police judiciaire qui étaient fraîchement formés, effectivement,
j’avais quand même un peu plus d’expérience qu’eux et cela se passait comme
cela, c’est que moi j’organisais exactement ce qu’on allait faire, quels témoins,
la répartition des tâches de tout un chacun.
Il nous est arrivé de travailler avec deux ou trois équipes, c’était
toujours mixte, c’est-à-dire deux équipes habituellement pour ce qui concernait,
quand on avait deux enquêteurs, mais ponctuellement on a reçu l’appui sur place,
par exemple à Butare, on a eu un officier de police judiciaire sur place qui
est venu en plus parce qu’on avait des témoins qu’il fallait entendre et avec
deux équipes ce n’était pas suffisant. N’oubliez pas qu’on traitait x dossiers
à la fois. Par exemple, moi je devais aller parfois à Muganza pour l’affaire
NDAYAMBAJE, j’étais parti pendant toute la journée dans une commune parce qu’on
mettait deux heures pour y aller, ce n’était pourtant pas très loin, mais on
mettait deux heures pour y aller. Il fallait qu’à ce moment-là qu’on progresse
dans les autres dossiers. Ce n’était pas utile pour les autres inculpés pour
les autres dossiers. On devait chaque fois se partager. Mais j’ai toujours le
souci, c’est que chaque fois il y avait une équipe je dirais mixte, il y avait
toujours au moins un enquêteur, une personne APJ, ou le procureur ou moi-même
avec un Rwandais parce que cela me semblait la façon la plus efficace de travailler.
Je peux vous dire également, pour les avoir côtoyés pendant plusieurs
séjours, personnellement, j’avais confiance dans les enquêteurs rwandais qui
nous ont été affectés. Pour vous mettre à l’aise, je pense qu’il faut appeler
un chat un chat parce que cela été posé sur place, on avait un Tutsi et un Hutu.
Dans les auditions aussi, il nous arrivait de dire : « Je suis Hutu,
je suis Tutsi ». Ce sont des questions qu’on a envie de dire : « On
ne veut pas reproduire mais à un moment donné il faut quand même la poser ».
Ici, au point de vue des enquêteurs, on avait une équipe mixte, aussi, bien
qu’on souhaite un jour ne plus devoir revenir sur cette distinction. Je peux
vous dire simplement, mais l’erreur est humaine, personnellement, dans ces deux
enquêteurs-là, j’avais autant confiance que dans mes enquêteurs belges qui m’accompagnaient.
Cela ne veut pas dire qu’aucun enquêteur belge ne m’a jamais roulé ou ne m’a
jamais caché quelque chose, mais je peux vous dire que pour moi, c’est simplement
ce que j’en tire, c’étaient des gens de qualité, des gens qu’on côtoyait quand
même jour et nuit parce que quand on était en mission, on était 24h sur 24 ensemble,
on se comprend, on déjeunait ensemble et on commençait à faire le planning de
la journée. Je peux vous dire également que c’est moi qui ai fait le planning
chaque fois, et que le matin, les autres ne savaient pas encore nécessairement
ce qu’ils allaient faire. Je disais : « Toi tu vas là, toi tu vas
là, etc… », c’est comme cela que ça fonctionnait.
En ce qui concerne les témoins, on a eu toutes les situations. On
a eu des témoins qui sont venus spontanément en disant : « On a appris
qu’il y avait une équipe d’enquêteurs belges qui enquêtait sur place et moi
j’ai quelque chose à dire », peut-être qu’il a envie de dire quelque chose,
peu importe, si quelqu’un dit : « Moi j’ai vu quelque chose et j’ai
quelque chose à dire », j’estime que je n’ai pas à lui fermer la porte,
j’ai à prendre acte de ce qu’il a à dire. On a eu des témoins dont on avait
les noms, qu’on cherchait, soit des noms donnés par les inculpés, soit des noms
donnés par d’autres témoins, soit des noms donnés par des personnes en Belgique
et qu’on a été vraiment chercher. Je peux vous dire qu’on a été chercher, on
passait de maison en maison, et là, les enquêteurs pourront le témoigner autant
que moi, il y a des moments où on passait une heure à chercher : il se
trouve là et puis il se trouve là et finalement on tombait dessus et on procédait
à son audition, habituellement immédiatement. Il y a des témoins également qu’on
a même rencontrés par hasard, c’est-à-dire en allant sur les lieux des faits.
Je vais parler généralement, par exemple à Muganza, qui n’est pas concerné
ici, dans le village, tout à coup, on s’arrêtait et puis on demandait à la personne :
« Est-ce que vous étiez là au moment des événements ? ». Beaucoup
de personnes nouvelles étaient là aussi. Si la personne disait qu’elle était
là au moment des événements, éventuellement on faisait une audition. Il y a
des témoins qu’on a eus également tout à fait à l’improviste. Au point de vue
des témoignages, c’était un peu comme une enquête normale. Il y a des gens qui
viennent vous dire : « Moi j’ai vu quelque chose ». Il y en a
d’autres qui disent : « Moi, je n’ai rien vu mais peut-être que telle
personne peut vous aider, je sais qu’elle était là ». On va la chercher,
on va la trouver. Et puis vous avez le témoin qui, quand vous faites l’enquête
de quartier, vous trouvez l’un ou l’autre témoin qui a vu quelque chose.
En ce qui concerne les attitudes des témoins, certains témoins n’avaient
pas envie tellement de témoigner, et c’est vrai qu’il y a des témoins où on
sentait qu’ils n’avaient pas confiance en nous en disant : « Qu’allez-vous
faire de ce témoignage ? ». On leur disait : « Ce témoignage
est destiné à rentrer dans l’instruction en Belgique concernant telle et telle
personne ». « Est-ce que cette personne pourra prendre connaissance
un jour de ce témoignage ? ». On répondait : « Oui ».
C’est la réalité, il pouvait avoir connaissance du dossier, cela fait partie
des droits de la défense, cela me semble tout à fait normal et on leur disait
ce qu’il en était.
Je dois dire que j’ai personnellement refusé toute audition sous
l’anonymat parce que j’estime que les conditions, et cela a été toujours un
problème que je ne savais pas solutionner. On fait toute une enquête au Rwanda,
sur place, il est évident que d’un point de vue des droits de la défense, ce
n’est pas évident. C’est vrai que les inculpés sont ici, ils ont sans doute
des inquiétudes mais qu’est-ce qui se passe là-bas ? Les avocats, très
légitimement disent : « Est-ce qu’il n’y a pas plein de choses qui
se passent derrière votre dos ? ». Ce sont des questions évidemment
qu’on se pose, auxquelles on est attentif. Ils disent eux-mêmes : « Vous
dites que cela s’est passé comme ça mais qu’est-ce qui nous le prouve ».
Oui, vous êtes là en disant : « Mais moi j’ai été sur place, je peux
simplement essayer de vous rapporter de la façon la plus rigoureuse, de la façon
la plus cohérente, la plus proche de ce que j’ai constaté, je ne sais rapporter
que ce que j’ai vu et je ne vais pas commencer des supputations ». Alors,
entrer dans les témoignages anonymes, c’est entrer dans des gens, je suis désolé,
à quoi cela sert-il que quelqu’un vienne dire : « J’ai vu quelque
chose mais ne dites surtout pas qui je suis ». Non, on pose la question,
justement parce que c’est important pour apprécier un témoignage. C’est dire qui
vous êtes, que faisiez vous, pourquoi vous étiez là, comment cela se fait-il
que vous avez vu quelque chose ? Si vous n’avez pas toutes ces circonstances-là,
vous ne savez pas apprécier la valeur d’un témoignage. Il me semblait essentiel,
et on posait les questions.
Des fois les auditions ont été plus approfondies, ou moins approfondies,
mais on essayait d’avoir justement beaucoup de détails qui permettent de vérifier
éventuellement les déclarations. Quand une personne vient ici témoigner en Cour
d’assises, elle ne vient pas avec une cagoule de façon anonyme, je le savais
aussi. Moi, j’avais dit que des témoignages anonymes, j’estime qu’on risquait
de tomber dans la rumeur, dans des choses qui ne sont pas vérifiables, et vous
verrez que dans les dossiers, dans toutes les commissions rogatoires, on a essayé
de rapporter de la façon la plus précise, mais on n’a pas commencé avec l’anonymat.
Et puis, je vais vous dire que si on commence à dire à un témoin : « Est-ce
que vous préférez l’anonymat ou vous ne le préférez pas ? », ils choisissent
tous l’anonymat, en Belgique comme au Rwanda d’ailleurs, soyons clairs. L’anonymat
pour le témoin c’est quelque part plus confortable. Je pense qu’on ne pouvait
pas travailler comme cela, notamment parce qu’il me semble indispensable de
permettre au moins à la défense de pouvoir savoir qui forme des accusations
et puis, soyons clairs, un témoin anonyme n’a aucune valeur de preuve et je
dirais, heureusement parce qu’il n’y a pas moyen de recouper en quoi que ce
soit éventuellement les détails ou le contexte. Voilà un aspect de toute la
difficulté des témoignages avec, je le répète, cette situation de peur, peut-être
de culpabilité qui effectivement est inhérente au contexte d’avant les faits,
pendant les faits et après les faits.
Et c’est aussi, évidemment, une des difficultés, c’est l’éloignement
géographique. Moi-même, j’ai dû rentrer dans un contexte historique que je ne
connaissais pas. Je ne vais d’ailleurs pas m’étendre sur l’histoire du Rwanda,
il y a des gens qui sont bien plus compétents que moi. Contexte historique,
contexte culturel, contexte de la langue. Alors, tout ce qui était plus intellectuel
parlait français. Evidemment, dès que les auditions pouvaient être faites en
français, on le faisait en français. Mais il est apparu que quand on avait des
témoins visuels de passage, des témoins sur place, on se trouvait confronté
avec beaucoup plus de personnes qui parlaient le kinyarwanda. Là, il y a deux
possibilités : ou bien, on travaillait comme le faisait le Tribunal international
ou le juge suisse a travaillé comme cela, il faisait appel à un traducteur sur
place et le traducteur traduisait, le P.V. était fait dans la langue traduite,
traducteur assermenté.
Moi, personnellement, il m’est apparu que si on prenait l’audition
en kinyarwanda, il y avait plus de possibilités pour la défense… vous savez,
une fois que c’est traduit, si la traduction est mauvaise on ne peut pas le
voir puisque vous n’avez que le texte français tandis que si vous le prenez
en kinyarwanda, on a fait traduire ici en Belgique et comme les accusés connaissent
le kinyarwanda, ils étaient les meilleurs juges de la bonne traduction. A un
certain moment, on a eu des remarques en disant : « Là, la traduction
n’est peut-être pas exacte ou n’est peut-être pas bonne », ça a été plutôt
marginal, ça a été ponctuellement qu’il y avait l’une ou l’autre traduction
qui n’était pas parfaite, mais en général les traductions n’ont pas suscité
tellement de problèmes. Les traducteurs aussi, je les avais avertis aussi en
disant : « Vous enverrez vos contrôleurs et des gens tout à fait expérimentés
qui seront là pour vous contrôler, c’est-à-dire des gens qui connaissent eux-mêmes
le kinyarwanda. Ceux-là vont passer les traductions au crible ». Je pense
que c’était la façon de pouvoir restituer, la façon la plus fidèle ce que les
gens nous disaient. Cela permettait aussi de relire l’audition exactement en
kinyarwanda. « Alors, Monsieur le juge, vous ne compreniez plus rien ? »,
non, quand une personne parlait kinyarwanda, je voyais comment la personne était
abordée. Des fois, elle parlait quelques mots de français. Je voyais comment
se passait l’audition. Vous sentez quand des réponses sont induites ou ne sont
pas induites. Personnellement, cela me permettait de contrôler exactement le
déroulement. Je demandais à l’enquêteur parce que, comme il n’y avait pas de
traduction, les deux officiers ou les autres officiers de police judiciaire
connaissaient le kinyarwanda et ils actaient en kinyarwanda. C’est vrai qu’on
a fait traduire ici en Belgique après.
Mais vous aurez des témoins qui viendront à la barre et qui ne vous
parleront pas en français, ils vous parleront en kinyarwanda. On aura également
une traduction mais on pourra contrôler la traduction ici sur place. Cela me
semble important d’avoir donné les moyens de pouvoir contrôler la traduction.
Soyons clairs. Si on dit, parce que c’est quelque chose dont on m’avait prévenu en
disant : « Attention, si le traducteur change des mots, je ne pourrai
pas le contrôler ». Et si on traduit immédiatement, je ne pourrai pas le
contrôler plus non plus. Les auditions en kinyarwanda sont là, elles sont faites
en kinyarwanda, elles sont signées par les gens. Je peux vous dire qu’on a relu
chaque fois les auditions. J’ai été attentif, j’ai vérifié que par exemple la
phrase qui était inscrite dure à peu près… en kinyarwanda vous avez des mots
français de temps en temps, c’est un peu comme en langue française on emploie
des mots anglais. Sans connaître le kinyarwanda, vous avez de temps en temps
un mot qui est tout à fait français. Donc, il y avait des petits repères, des
moyens de voir que c’était bien la relecture qu’on faisait, je peux l’assumer.
Comme j’avais l’audition sous les yeux, à côté, je vérifiais évidemment que
lorsqu’on relisait, que le mot français tombe au bon endroit. Je pense que c’est
un petit moyen pour quand même vérifier que ce qui était relu était bien ce
qui était écrit. Je pense que c’était un moyen quand même de pouvoir le vérifier.
Contexte des témoignages. Alors, peut-être aussi, vous me le permettez
encore, Monsieur le président ?
Le Président : Vous en avez pour combien de temps encore ?
Damien VANDERMEERSCH : Je dirais
une demi-heure pour la question des documents généraux retrouvés.
Le Président : Les experts ont insisté pour être entendus ce matin.
Damien VANDERMEERSCH : Sinon,
je veux bien le faire cet après-midi.
Le Président : Je pense qu’il vaudrait peut-être mieux suspendre
votre audition.
Damien VANDERMEERSCH : C’est-à-dire
que je souhaiterais peut-être parler, ce qui fait quand même parler du contexte
de l’instruction…
Le Président : Ils ne sont pas encore là…?
Damien VANDERMEERSCH : Je continue
si vous le permettez, si vous tenez toujours le coup ! Donc, contexte des
faits comme je vous l’ai expliqué. Vient alors à ce moment-là, effectivement,
lorsqu’on est confronté à ce qui s’est passé. Je vous ai dit qu’il y a les témoignages
mais également il y a toute une série de documents qui ont été retrouvés à l’époque,
documents antérieurs, documents concomitants aux faits. Notamment dans la préfecture
de Butare qui nous concerne, il y avait un ensemble de documents qui ont été
retrouvés sur place, en tout cas de personnes qui ont remis les documents. D’ailleurs,
tout document qui est dans le dossier, c’est indiqué de la façon dont on l’a
reçu. On a essayé, quand c’était par un intermédiaire, de remonter jusqu’à la
personne qui avait trouvé le document pour s’assurer que c’était bien à cet
endroit-là qu’il a été retrouvé. Pour tous les documents, normalement on a retracé
chaque fois l’historique de leur provenance.
Par rapport à ces documents, ce qu’il faut constater, c’est que,
contrairement à ce qu’on croirait peut-être apparemment, ce que je pensais,
moi, avec ma méconnaissance du Rwanda avant de commencer ces instructions, c’est
que si on parle d’une tradition fort orale sur certains aspects, radiotélévision
Mille Collines est un exemple que l’oral était quelque chose d’important, par
ailleurs, il y avait quand même une grande tradition, sans doute induite par
le colonisateur, c’est-à-dire la Belgique, des documents écrits. Et avec ce
côté, quand on dit quand on emploie beaucoup de papier chez nous, je constate
que tout document au Rwanda, vous voyez chaque fois : copie pour, en dessous
de chaque document. Mais il y a au moins chaque fois quatre, cinq, six personnes
qui reçoivent des copies. Donc, tout document, avant et après, il est normal
qu’on ait retrouvé ces documents parce qu’il y avait tellement de copies distribuées
à un peu tout le monde qu’effectivement on a retrouvé quand même pas mal de
documents avant, pendant et d’ailleurs la tradition continue après parce qu’on
voit toujours que c’était resté : copie à… C’est copie au préfet, au bourgmestre,
au ministre ou même à Monsieur le président, on voit vraiment que c’était tout
à fait inscrit dans les usages, c’est que quand on faisait un document qui avait
une vocation d’être officiel, il y avait beaucoup de copies. On tenait tout
le monde informé, toutes les différentes autorités.
A partir de ces documents, on peut en tout cas dire que l’attentat
contre l’avion présidentiel le 6 avril vers 20h30, jusqu'au 3 juillet,
prise de Butare, c’est la période sur laquelle on s’est focalisé bien entendu
pour l’enquête en ce qui concerne Butare, durant cette période, on retrouve
vraiment un ensemble de documents qui démontrent en tout cas que les institutions
administratives fonctionnaient. Ce n’est pas qu’il n’y avait plus de pouvoir
ou plus d’institution, non, les institutions semblaient continuer à fonctionner.
C’est un élément important par rapport au contexte. Il y avait des institutions,
il y avait des personnes en tout cas qui revendiquaient un certain pouvoir ou
une certaine organisation. Organisation par rapport au Rwanda, il y a toute
l’organisation civile par gouvernement, vous aviez préfecture, commune, les
secteurs, les cellules et les quartiers, il y a vraiment une subdivision, j’espère
que je ne me trompe pas sinon on rectifiera, chaque fois avec des responsables
à tous les niveaux. C’est vrai qu’on a retrouvé des documents d’un peu tous
les niveaux, qui ont été faits à l’époque. Ces documents, je dirais par rapport
aux événements, mais peut-être parlons en dehors de ces documents et puis je
reviendrai à l’analyse des documents, mais là, ou bien je commence et j’en ai
pour une demi-heure, ou bien je ferai cela cet après-midi.
Le Président : Il vaudra mieux faire cela cet après-midi.
Damien VANDERMEERSCH :
Je pense. Mais parlons simplement, pour clôturer cet aspect des choses,
c’est de dire que par rapport aux événements, la situation était quand même
très complexe. Je vous ai dit la peur, la peur des gens, les accords d’Arusha.
Ces accords incluaient le FPR, Front Patriotique Rwandais, représentant les
exilés Tutsi ou la toute grande majorité Tutsi, qui voulait revenir et avoir
une partie du pouvoir. Ces accords d’Arusha de 1993, tout le monde s’est exprimé
dans le dossier à propos de ces accords, certains disant qu’ils étaient équilibrés,
d’autres pas, tous les témoins viendront sans doute avec leur opinion par rapport
aux accords. Mais ce qu’on peut en tout cas constater, c’est que cela a été
source de déstabilisation au niveau de la population. La population a eu peur
de ce retour ou de ces accords d’Arusha ou quelque part elle se sentait sans
doute menacée aussi en disant : « Est-ce que je vais pouvoir garder
ma terre aussi ? ». Le problème, c’est que si tous les réfugiés
revenaient, où allaient-ils pouvoir s’établir ? C’est quelque chose qui
était rencontré dans les accords d’Arusha mais, en tout cas, qui semblait un
des points qui en tout cas suscitait le plus d’inquiétude au niveau de la population.
Puis, il y avait également la menace militaire du FPR. Et pendant
les événements, soyons très clairs, il y avait une guerre, il ne faut jamais
perdre cela de vue. Il y a eu une guerre entre le FPR, Front Patriotique Rwandais,
et les Forces armées rwandaises. Il y avait un front qui s’est d’abord développé
à partir de l’Ouganda-Nord, Nord-Est, mais également immédiatement à Kigali.
Il y a eu des affrontements parce qu’il y avait déjà un détachement. Dans le
cadre des accords de paix, il était prévu la fusion des deux armées. Donc, il
y avait déjà un détachement du FPR qui était à Kigali dans le cadre des accords
de paix, qu’on avait permis de venir à Kigali pour envisager la fusion des deux
armées. Mais ce détachement du FPR, au moment où les hostilités ont commencée,
dès le 7 avril, dès le lendemain, la guerre a commencé également à Kigali, dans
le Nord-Est. Il est important de voir que ce contexte de guerre créait effectivement
un contexte de peur. Pour la guerre, tout le monde est d’accord, il y avait
une guerre et un front. Puis se pose la question : « Une guerre, on
veut bien, mais une guerre en principe oppose deux armées. En principe, une
guerre devrait concerner des militaires ? ».
S’est posée évidemment toute la question pour ce que certains ont
appelé le massacre, le génocide, ce que d’autres appellent autrement, il y a
eu des morts, des femmes et des enfants et en très grande proportion. Et des
civils, des hommes également civils. Vous verrez dans tout le dossier, on retrouve
un peu de lecture, on les retrouve même à travers les documents. On parle de
guerre civile, on parle de colère spontanée de la population suite à l’attentat
contre le président. C’est vrai que le président rwandais a été assassiné, c’était
un missile tiré sur l’avion. On parle de la population qui se défendait et d’un
autre côté, on parle de massacre, de génocide, d’opération planifiée qui était
destinée à éliminer une partie de la population. Ce sont deux lectures des événements.
Il est évident que par rapport à la question de la guerre civile, la guerre
civile suppose qu’il y ait deux belligérants, deux opposants. Or, en tout cas
pour Butare, l’ensemble des témoignages semble indiquer qu’il y a eu peu d’affrontements
armés des deux côtés, je parle avant le 3 juillet. Avant le 3 juillet, il y
a eu peu d’affrontements, de conflits armés, c’est-à-dire des gens armés contre
d’autres gens armés. Il semblerait de l’ensemble des éléments recueillis que
c’était plus des gens armés qui tuaient des gens non armés.
Cette lecture des événements, je pense que ce sera peut-être l’intérêt
d’examiner et je précise de suite que cet après-midi je voudrais ne parler que
des documents faits par le premier ministre et par le ministre de l’intérieur
sur la question de l’autodéfense civile, qui sont deux documents généraux qu’on
a retrouvés, datant du 23 mai, ou je voudrais quand même donner le contenu de
ces documents avec quand même l’interprétation qu’en a donné le ministre KAMBANDA
dans son audition devant le TPIR. Ce qui est important, c’est de voir que par
après - ils existaient déjà avant- mais on trouve beaucoup de documents sur
la sécurité, sur la défense civile ou l’autodéfense civile. Ces documents devraient
concerner les faits dont il est question puisqu’ils concernent la sécurité des
citoyens, la guerre, on parlera de guerre, mais on parlera également de tout
ce qui est la défense et ce qu’éventuellement cela pouvait signifier ou impliquer.
Ces documents de contexte me paraissent importants parce que ce sont des directives
qui ont été données par le premier ministre et le ministre de l’intérieur aux
préfets, en ce compris le préfet de Butare. Et on retrouvera d’ailleurs, par
rapport à ces instructions, dans les réunions de quartier, etc., qu’ils font
chaque fois référence aux directives du premier ministre et du ministre de l’intérieur.
Pour terminer, deux mots sur la situation à Butare, mais d’autres
la situeront, mais pour avoir juste les petits repères, c’est que Butare semblait
être un bastion du Sud où le parti du président était moins fort, n’était pas
majoritaire à la différence d’autres endroits puisqu’il y avait le multipartisme.
Butare représentait les gens du Sud, c’est-à-dire le président étant du Nord,
cela représentait donc un peu l’opposition et jusqu’au 19 avril, Butare, je
parle de la ville, a été relativement épargnée, il n’y a pas eu de massacre,
aux alentours un peu plus. Il y avait un préfet Tutsi qui a été démis vers le
16 ou 17 avril. Et le commandant de place, le préfet semble-t-il qu’on met en
place, était parvenu à maîtriser la situation et à éviter les massacres. Le
commandant de place a été muté. Le 19 avril, le nouveau président SINDIKUBWABO,
ce qu’on appelle le président du gouvernement intérimaire, quand on parle du
gouvernement intérimaire c’était le gouvernement qui était en place à partir
du 8 avril jusqu’à la fin des hostilités au mois de juillet : premier ministre KAMBANDA,
président SINDIKUBWABO.
Le président, avec le premier ministre, se sont déplacés à Butare
et suivant la majorité en tout cas des personnes et des témoins et des personnes
qui ont analysé les événements, il a fait un discours qui était effectivement
toujours à mots voilés mais qui a en tout cas a été compris, semble-t-il, par
la population comme un discours en disant : « Comment cela se fait-il
qu’à Butare tous les gens qui disent que cela ne me concerne pas, ces gens-là,
qu’on m’en débarrasse ». C’est l’interprétation qui a été donnée par de
très nombreux témoins, c’est de dire que le président disait : « Comment
cela se fait-il que partout ailleurs dans le pays, il semblerait qu’on travaille
(terme employé en tout cas par d’aucuns, et notamment par la radio RTLM) et
qu’à Butare on reste dans l’inaction ». Compris par la population : absence
de massacre. Effectivement, dès le 19 au soir, mais surtout dans les jours qui
ont suivi, les massacres ont commencé en série, à Butare, alors que jusque-là
Butare avait été épargnée.
Des massacres très importants fin du mois d’avril et puis après cela
a continué mais, semble-t-il, de façon plus… par le biais à ce moment là…, plus
les gens, le gros des massacres a eu lieu dans un premier temps, et puis… de
l’ordre peut-être du ratissage ou en tout cas ce que disent certains témoins,
ratissage, contrôle et c’est à l’occasion des contrôles des barrières qu’on
tuait les personnes qui s’étaient cachées, qu’on essayait de débusquer les gens
qui se sont cachés. C’est simplement pour avoir les repères au point de vue
de Butare. 6 avril, l’attentat sur l’avion, jusqu’au 19 avril, Butare est
restée relativement calme et c’est à partir du 19 avril que malheureusement,
et on fait un lien entre le discours du président SINDIKUBWABO et du premier
ministre, et de KANYABASHI qui a été un des bourgmestres et donc, je m’y
suis intéressé fortement parce qu’il a répondu en disant : « Nous
allons suivre vos directives ». A partir de ce moment, semble-t-il, il
y a eu un renversement et en tout cas la réalité est telle qu’à partir du 19
avril, malheureusement il y a eu des massacres en très grand nombre. Pour Butare,
on parle quand même de près de 100.000 personnes qui auraient pu être tuées,
dans la préfecture, je parle. Les chiffres sont toujours très approximatifs.
J’en reste là.
Le Président : Je voulais vous faire préciser quand même que le
19 avril, le FPR n’est pas à Butare ?
Damien VANDERMEERSCH :
Non. Pour ce qui concerne la progression du FPR, vous avez plusieurs
documents. C’est assez compliqué comme situation. Du 7 avril jusqu’au, sauf
erreur de ma part, 4 juillet ou même un peu plus tard encore, au 10 juillet,
il y a eu l’enjeu des conflits armés à Kigali même parce qu’il y avait ce contingent
du FPR qui était déjà sur place. Ce contingent contrôlait une partie de Kigali,
il y avait toujours un conflit à Kigali dans la capitale et qui a perduré pendant
quasi tous les événements jusqu’à la défaite des Forces armées rwandaises. D’ailleurs
la chute de Kigali, il y a eu quelques jours et puis les deux villes du nord
sont tombées et je dirais que la guerre était finie. Par contre, le front a
débuté surtout à partir de l’Ouganda, le FPR venant de l’Ouganda, et a progressé
mais très lentement. Kigali a tenu encore jusqu’au début du mois de juillet. Gitarama
qui se trouve entre Kigali et Butare est tombée, sauf erreur de ma part, le
13 juin. Mais le but était l’encerclement de Kigali, ce n’était pas de progresser
vers ailleurs. En tant que conflit armé au niveau de Butare, il y a très peu
parce que cela s’est passé le 3 juillet et les Forces armées rwandaises, à ce
moment-là, étaient plutôt en fuite et songeaient à partir si bien qu’il n’y
a pas eu vraiment en tant que tel, de conflit armé entre le FPR et le FAR au
niveau de Butare même.
Le Président : Nous allons peut-être suspendre votre audition,
Monsieur le juge d’instruction. Les experts sont-ils arrivés finalement ?
De toute façon, nous reprendrons votre audition cet après-midi, on prendra contact
avec votre bureau pour vous signaler plus précisément l’heure à laquelle votre
retour est souhaité. Nous allons aussi suspendre l’audience un quart d’heure
avant de procéder à l’audition des médecins psychiatres. L’audience est suspendue
et reprend à 11h05.
[Suspension
d’audience]
Le Président : Monsieur VANDERMEERSCH est de retour ? Un
autre problème que monsieur l’huissier va régler. Les deux témoins qui avaient
été demandés par Monsieur NTEZIMANA, Monsieur le témoin 39 et Madame le témoin 135
Marie sont en fait présents, mais on ne saura pas les entendre aujourd’hui ;
apparemment, il semblerait que ce ne sera pas le moment idéal pour eux. Il faudrait
donc signaler à ces deux personnes, dont j’ai les cartes d’identité ici, qu’elles
devraient revenir le mardi 24 avril 2001 à 13h30, avec les excuses de la
Cour.
L’Huissier : Est-ce que les témoins parlent français ?
Sinon, il y a besoin d’un traducteur.
Le Président : On va savoir peut-être tout de suite.
Me. CARLIER : Ils parlent français,
sans problème.
Le Président : Un des témoins
a écrit un livre, semble-t-il, en français ?
Me. CARLIER : Tout à fait.
Le Président : L’écrire en français, ça va.
L’Huissier : La procédure est orale, bien entendu.
Le Président : Mardi 24 avril 2001 à 13h30, c’est-à-dire le moment
qui précéderait normalement, s’il n’y a pas de nouveaux bouleversements d’ici
là, l’interrogatoire de Monsieur NTEZIMANA à propos des faits qui lui sont reprochés.
Ceci étant fait, Monsieur le juge d’instruction, toujours sous le bénéfice bien
entendu du serment que vous avez prêté ce matin, je vais vous demander de bien
vouloir compléter votre déclaration. Vous en étiez arrivé à aborder le sujet
des documents d’ordre général que vous avez pu obtenir ou recueillir et vous
alliez, si je ne m’abuse, essayer d’en dégager le contenu.
Damien VANDERMEERSCH : Oui, tout
à fait. J’avais dit que dans le cadre du dossier, on avait des documents généraux,
qu’on avait des témoignages mais ce qui me semble évidemment important, donc
documents, c’est-à-dire des rapports postérieurs aux faits mais ce qui semble
évidemment intéressant dans le cadre d’une enquête, c’est éventuellement des
documents qui datent de l’époque, qui ont été écrits sans connaître l’évolution
d’après, ce sont des documents, ce qu’on appelle « in tempore non suspecto », cela veut dire dans des temps
qui ne sont pas douteux puisqu’ils ont été faits au moment même, concomitamment
à ce qui se passait.
A ce sujet-là, je vous avais dit que, dans le climat qui s’était
développé à partir du 6 avril, on retrouve des documents qui font état de réunions
de sécurité qui se passent à différents niveaux, et également des circulaires
plus générales qui concernent la défense civile ou l’autodéfense civile. Et
je m’attacherai davantage à deux documents qui ont été retrouvés dans la préfecture
de Butare, pour cause, puisqu’ils étaient adressés aux préfets, c’est-à-dire
aux préfets de toutes les préfectures, dont c’étaient des directives générales
qui sont datées sur le document du 25 mai 1994, durant les événements, et il
y a une directive qui émane du premier ministre, Monsieur KAMBANDA et une autre
du ministre de l’intérieur, Monsieur KAREMERA.
La directive du premier ministre est intitulée : « Directive
du premier ministre concernant l’autodéfense civile ». L’autodéfense civile
où il est question au départ de l’attaque du FPR qui est une réalité puisqu’il
y a un front entre le FPR, le Front Patriotique Rwandais, et les Forces armées
rwandaises, donc, un front avec deux armées qui font face l’une à l’autre mais
comme il a été précisé ce matin, ce front se situe plus sur Kigali même et plus
dans la région du Nord-Est, disons entre Kigali et la région du Nord-Est, Butare
étant tout à fait au sud, donc assez éloignée du front. Donc, directive adressée
à toutes les préfectures et, ce qui a retenu mon attention dans le document
du premier ministre, il y a toutes les questions de mise en œuvre mais il y
a surtout des objectifs. Et quand on lit ce document, le premier ministre précise :
« Voilà, les objectifs de la défense civile sont… », et il énumère
différents points.
Premier point : « Essayer de sensibiliser la population
pour se défendre contre le FPR et ne pas abandonner ses biens », on peut
en déduire ne pas fuir, ce qui semble une directive tout à fait normale quand,
pour un pays en état de guerre, de dire : « Il faut apprendre éventuellement
à se défendre de l’ennemi qui nous attaque », puisque c’était vécu comme
cela ou en tout cas de l’armée qui nous attaque. Deuxième élément : « Objectif
de l’autodéfense civile, défense des infrastructures et des biens d’intérêt
commun ». Cela peut paraître effectivement quelque chose de tout à fait
cohérent. Et puis les autres objectifs, à mon sens, compte tenu de la situation
qui se passe à l’époque, posent un peu plus des interrogations. Puisque l’objectif
suivant, c’est de « Fournir toute information sur la présence ou l’action
de l’ennemi », on ne parle plus du FPR, on parle de l’ennemi et là on parle
dans la commune, dans la cellule ou dans le quartier. On parle vraiment de la
présence de l’ennemi dans la commune et donc signaler, donner des informations
sur l’action. Point suivant, « Dénoncer les infiltrés et les acolytes de
l’ennemi ». On laisse entendre qu’il y a des infiltrations qui existent,
et les acolytes de l’ennemi, il y a l’ennemi et puis il y a les acolytes de
l’ennemi, on voit déjà qu’il y a une notion plus large de l’ennemi, ce ne sont
pas les acolytes du FPR, ce sont les acolytes de l’ennemi. L’objectif suivant,
c’est « Désorganiser l’action ennemie avant l’intervention des forces armées ».
Le terme « Désorganiser l’action ennemie », on voit que la population,
ou en tout cas l’autodéfense civile, les structures d’autodéfense civile sont
appelées à désorganiser l’action ennemie avant l’arrivée des forces armées ;
j’en déduis un peu en dehors du front puisque c’est avant l’intervention, ce
n’est en tout cas pas au front. Et le dernier élément, dernier objectif, « Servir
d’antenne pour l’armée rwandaise », donc, pour les militaires et pour la
gendarmerie en disant : « On est appelé à servir d’antenne, on peut
penser éventuellement à des dénonciations ou des éléments de cet ordre-là ».
Il y a la circulaire du ministre de l’intérieur datée du même jour,
25 mai, qui est la mise en œuvre des directives concernant l’autodéfense civile.
Et il est question, à ce moment-là, de la formation de la jeunesse, « il
faut former la jeunesse à l’autodéfense civile », et il est question d’armement
et là, c’est vrai que dans l’armement, en tout cas un paragraphe qui interpelle
un peu en disant « qu’il faut sensibiliser la population pour se procurer
des armes blanches », et il est marqué, entre parenthèses : arcs,
flèches, lances. On peut penser évidemment à machettes aussi. Dans les armes
blanches classiques, cela veut dire un objet tranchant, on peut penser évidemment
à quelque chose de cet ordre-là. On peut se demander aussi pourquoi il faut
armer la population, se procurer des armes blanches. Je dois dire, et c’est
un témoin qui l’a fait remarquer dans le cadre de l’instruction, en disant que : « Par
rapport au FPR, l’arme blanche, alors que là ils étaient vraiment, semble-t-il,
bien armés, cela n’avait pas tellement de sens ». Vient également où, dans
cette directive du ministre de l’intérieur, il est question des barrières des
rondes et on insiste sur le rôle important des barrières et des rondes.
Pourquoi ces documents me paraissent importants ? C’est qu’un
des auteurs du premier document, Monsieur KAMBANDA, a été interrogé par les
enquêteurs du Tribunal international au sujet de cette directive. C’est un document
très long parce que les auditions faites par le Tribunal international, par
les enquêteurs, ce sont des auditions enregistrées qui sont par la suite transcrites.
Je dois vous avouer que c’est assez indigeste comme lecture parce que, d’abord,
c’est très long et puis il n’y a pas de synthèse, c’est vraiment l’audition
mot à mot de l’ensemble des paroles qui sont données. Mais cela se trouve, pour
ceux qui le veulent, dans le carton 44, le premier carton qui concerne l’audition
de Monsieur KAMBANDA, parce que, sauf erreur de ma part, il y en a six, six
classeurs qui contiennent une seule audition qui a été faite en plusieurs jours,
je le précise évidemment immédiatement.
Monsieur KAMBANDA déclare à ce sujet - il faut savoir que Monsieur
KAMBANDA à plaidé coupable devant le Tribunal international et a d’ailleurs
été condamné - Monsieur KAMBANDA, donc, c’est une audition, sauf erreur de ma
part, de septembre 1997, dit : « En fait, cette directive d’autodéfense
civile ne faisait que codifier, mettre sur papier, des pratiques qui existaient
déjà et une organisation qui existait déjà ». Il dit en fait : « Moi,
je n’ai fait que mettre sur papier quelque chose qui était déjà organisée, planifiée
à l’avance et qui existait déjà bien avant ». Il explique d’ailleurs que
cette autodéfense civile, en fait, au départ, c’était principalement les jeunesses
de deux partis, du MRND, le parti du président, et de la CDR, qui est un parti
que plusieurs témoins en tout cas ou plusieurs analystes déclarent que c’est
un parti qui émanait du MRND mais qui était un parti que d’aucuns qualifient
de plus extrémiste et donc, la Coalition pour la Défense de la République. Monsieur
KAMBANDA explique qu’en fait c’étaient les jeunesses de ces partis-là qui déjà
avant les événements, étaient armées.
Il faut savoir que la jeunesse du MRND, ce sont les Interahamwe,
c’est un terme auquel on s’est fort référé durant les événements comme étant
les milices qui étaient responsables des massacres, ça ce sont les milices du
MRND et il y avait également les milices de la CDR qui sont les Impuzamugambi,
si je me souviens bien du terme, mais ce n’est pas facile à se rappeler et à
prononcer. Monsieur KAMBANDA explique qu’à partir d’un moment, ces milices constituées
des jeunes des partis qui étaient donc armées dans le cadre des partis, c’étaient
ces personnes-là qui massacraient sur les barrières. Et on a donné, à ce moment-là,
le nom… on a collé sur ces barrières l’action des jeunesses mais qui avaient
été élargies d’ailleurs aux autres partis après les événements, puisqu’il y
avait un gouvernement intérimaire qui représentait plus de partis, que ça s’était
élargi et que c’est sous ce couvert de l’autodéfense civile que l’action des Interahamwe,
et plus largement des miliciens, des milices et des jeunes armés qui massacraient
sur les barrières, donc, l’action des barrières a reçu ce nom, ce label quelque
part pour pouvoir officialiser cette action qui se déroulait.
C’est vrai qu’on retrouve, au niveau des documents déjà antérieurs
même au 25 mai, des mises en application des directives où il est question effectivement
d’armement des jeunes, de recrutement de dix jeunes par cellule, de procurer
des fusils, de procurer des armes à ces jeunes. Il est question de rondes, de
barrières. Il faut savoir que les rondes et barrières existaient avant pour
des raisons de sécurité peut-être différentes évidemment. Il y a beaucoup de
réunions de sécurité à l’époque et de comptes rendus de réunions de sécurité
et ce qui frappe quand même, c’est que, dans toutes ces réunions de sécurité
dont il est question bien entendu également après le 19 avril, ce sont toutes
des réunions notamment dans les secteurs autour de Butare. Il est toujours question
de sécurité et de défense par rapport à l’ennemi mais très bizarrement on ne
parle jamais des massacres de Tutsi ou massacres de milices, de personnes, ou
bien on parle simplement de désordres mais c’est un peu étonnant que dans la
sécurité, le premier objectif, ce n’est pas ce qui semble se passer à ce moment-là
puisque le massacre commence le 19 avril. On parle très peu dans ces réunions
de sécurité, on parle de ramener la sécurité, effectivement, mais on semble
ne pas rencontrer le problème et on semble continuer à le diriger plutôt vers
l’autodéfense civile tel que l’a décrit Monsieur KAMBANDA en disant que c’était
l’action sur les barrières des milices, notamment des Interahamwe. Une des explications
avancées par rapport à, parce qu’évidemment on se pose toujours la question
en disant : « Mais il y avait une guerre, comment peut-on en arriver
à ce que ce soit élargi et étendu à des civils, à des hommes, à des femmes et
des enfants ? ». Une des hypothèses avancées et qui peut trouver sa
base dans certains documents, c’est en fait la définition de l’ennemi.
On trouve déjà, je crois en septembre 1992, un document qui a été
d’ailleurs remis à l’auditeur militaire qui avait été, tout au départ de l’enquête,
chargé principalement pour les responsabilités des militaires par rapport à
la mort des casques bleus. Il a reçu un document qui était un document secret
de l’état-major des Forces armées rwandaises qui définit l’ennemi. Et on voit
qu’il y a une notion de l’ennemi qui est définie au départ dans le document
comme le FPR, incontestablement l’ennemi des Forces armées rwandaises c’est
le FPR. Mais alors on parle de l’ennemi principal dans ce document, qui est
bien désigné très clairement comme étant le FPR. Et puis on parle des partisans
de l’ennemi.
Le Président : Monsieur le juge d’instruction, je crois que le
document en question ne parle pas spécialement du FPR ou pas seulement du FPR
mais définit l’ennemi principal comme « Le Tutsi de l’intérieur et de l’extérieur ».
C’est peut-être quand même une notion plus large que le FPR.
Damien VANDERMEERSCH : Si je me
souviens bien, c’est qu’on parle après l’ennemi principal et les partisans et
les partisans de l’ennemi, en dessous on parle Tutsi de l’intérieur et de l’extérieur.
Je pense que c’est une notion qui englobait les deux, sauf erreur de ma part.
Ce qui est important, c’est quand on voit dans la définition de l’ennemi, on
a tous ceux qui collaborent avec l’ennemi. Et puis, vient à un moment donné
qu’est également ennemi celui qui ne combat pas l’ennemi, ce qui est évidemment
très différent. Cela veut dire quelque part, celui qui est neutre, celui qui
ne combat pas l’ennemi est aussi un ennemi. On voit l’élargissement de cette
notion d’ennemi. Et quand on voit dans le même document : « L’ennemi
se recrute où ? ». On marque : « Les réfugiés Tutsi ».
C’étaient les Tutsi à l’extérieur, qui étaient notamment le FPR. On voit les
Tutsi de l’intérieur, on y revient en disant : « Les Tutsi de l’intérieur ».
Et puis on voit plus loin : « Les Hutu qui sont mécontents
du régime », donc, les opposants Hutu deviennent également l’ennemi. Or,
il faut savoir qu’il y a eu quand même beaucoup de Hutu qui ont été tués également
et une des hypothèses avancées c’est que c’étaient les Hutu modérés qui étaient
peut-être… et d’ailleurs, le 7 avril ou même dans la nuit du 6 au 7 avril, cela
a été fort examiné dans le cadre du dossier des dix casques bleus, on constate
que ce sont surtout les personnalités Hutu qui sont d’abord visées, peut-être
pourquoi ? Parce qu’elles étaient les seules capables d’arrêter l’extrémisme.
Les personnalités Hutu modérées étaient peut-être celles qui le plus facilement
pouvaient se lever en disant : « Stop, surtout pas, il faut continuer
les accords d’Arusha malgré effectivement l’assassinat du président »,
et donc, de façon étonnante ce sont des Hutu modérés qui ont été les premières
cibles très rapidement dans les jours qui ont suivi.
On retrouve les Hutu mécontents du régime puis alors les sans emploi,
on retrouve également les étrangers mariés à des femmes Tutsi, tout cela semble
en fait un agglomérat. Et c’est vrai qu’on retrouve dans les documents, notamment
par exemple, ceux qui se cachent. On a ceux qui ne collaborent pas, qui ne combattent
pas l’ennemi mais on voit dans certains documents de mise en œuvre, notamment
dans les réunions du conseil de sécurité, la traduction des directives, que
ceux qui se cachent sont aussi les ennemis, deviennent suspects. Or, ceux qui
se cachaient, c’étaient peut-être malheureusement les futures victimes ou en
tout cas ceux qui se sentaient visés par les massacres. Et on peut se demander
si en fait il n’y a pas eu un glissement dans la notion d’ennemi, c’est-à-dire
que c’était le FPR au départ et puis on a fait glisser aux yeux, je dirais,
des gens qui avaient peur sans doute, cette notion de peur du FPR, c’est un
ennemi de l’extérieur et cela pouvait effectivement changer la vie, c’était
l’ennemi du pays en tout cas aux yeux effectivement de ceux qui ne partageaient
pas les mêmes idées.
Puis, il y avait les partisans du FPR ceux qui partageaient les idées
du FPR que je dirais, de façon logique, on assimilait à l’ennemi. Il faut savoir
que parallèlement le FPR se rapprochait puisqu’il y avait une guerre et que
le FPR, ce n’est pas une idée théorique, le FPR voulait… à partir du 7 avril,
il y a eu une guerre, il y avait déjà, à partir de 1990, un état de guerre du
FPR mais il y avait eu cessez-le-feu avec les accords d’Arusha mais après le
7 avril, c’était assez clair qu’on était en état de guerre, avec le FPR qui,
quand même, constituait une menace pour le pays. Cela s’est traduit puisqu’il
a gagné la guerre. Mais donc, on avait les partisans du FPR et puis on peut
se demander si justement on n’a pas mis aux yeux de toute une série de personnes
qui se sentaient déstabilisées et qui avaient peur puis c’est devenu les Tutsi
qui, très naturellement, si le FPR était là, le Tutsi s’alliait avec le FPR
et puis c’est devenu… ce qui a été une réalité, c’est qu’il y a beaucoup de
Hutu qui ont protégé les Tutsi. Les Tutsi qui se faisaient tuer, sachant qu’il
y avait des massacres et des tueries, il y a beaucoup de Hutu qui ont abrité
chez eux, des Tutsi. Et on a vraiment l’impression qu’il y avait un glissement
à ce moment-là : si vous protégez des Tutsi, c’est que vous êtes dans l’autre
camp. Et avec le glissement, peut-être évidemment le plus tragique en fin de
course, c’est que les enfants étaient les soldats du FPR de demain, l’enfant
Tutsi devenait alors, aux yeux de certains, le soldat FPR de demain et la femme
était celle qui était susceptible de donner naissance à d’autres Tutsi.
C’est, en tout cas, une analyse qui est faite comme explication possible
à cet élargissement qui expliquerait qu’à côté de la guerre il y a eu des massacres
dans des lieux qui n’étaient plus du tout des endroits de front ou de guerre.
Une des explications serait peut-être effectivement, cet élargissement, ce glissement
de la notion d’ennemi vers des catégories de plus en plus larges qui finalement
ont englobé, semble-t-il, femmes et enfants aussi puisque, parmi les victimes,
il y a eu pas mal de femmes et enfants. Je pense qu’au point de vue de ces documents,
je pensais que c’était important parce que sont des documents nationaux qui
ont été faits par le gouvernement. Monsieur KAMBANDA a donné cette explication
à ce propos-là, qui est une explication quand même qui semble avoir été retenue
par le Tribunal international aussi dans certains jugements, de cet élargissement
en tout cas de la notion d’ennemi. J’avais dit que j’en avais pour une demi-heure,
vous voyez…
Le Président : Est-ce que le témoin, Monsieur RICHARD, serait
déjà arrivé ? On n’a pas de nouvelles de ce témoin ?
Damien VANDERMEERSCH : Il y a
peut-être des questions ?
Le Président : On peut peut-être faire un premier tour de questions
s’il y en a, à propos de ce que c’est qu’une instruction, comment cela a été
fait, comment cela a été fait, en particulier dans ce cas-ci. Y a-t-il de la
part des assesseurs, des questions ? De la part des membres du jury, y
a-t-il des questions sur l’exposé qu’a fait Monsieur le juge d’instruction ce
matin et cet après-midi ?
Damien VANDERMEERSCH : Je reviendrai,
donc, il ne faut pas s’inquiéter.
Le Président : Oui, ce n’est pas parce qu’on a fini un chapitre
qu’on ne peut plus reposer des questions.
Damien VANDERMEERSCH : J’ai essayé
volontairement, parce que je pense que c’est impossible d’avoir tout à la fois,
de donner les données générales, de vous soumettre, d’un point de vue général,
les résultats, mais évidemment ce sont des questions qu’on pourra réaborder
après.
Le Président : Pas de questions pour l’instant de la part des
membres du jury ? De la part des parties ? Monsieur l’avocat général ?
Les parties civiles ? La défense ? Maître GILLET ?
Me. GILLET : Une question qui fait référence aux documents que
nous avons reçus. Vous parlez de la directive émanant des autorités centrales
et adressée à tous les préfets ; quelle traduction cette directive a-t-elle
reçue sur le terrain parce que dans les documents qui se trouvent dans le dossier
et dont vous fournissez une synthèse ici, on voit qu’il y a une certaine réception
du message qui se fait et une certaine traduction sur le terrain, comment les
gens comprennent les choses et quelle suite y donnent-ils ?
Damien VANDERMEERSCH : Je dirais
que ce document, je précise bien 25 mai, Monsieur KAMBANDA déclare que ce document
n’est qu’une codification des directives qui étaient déjà en cours, de ce qui
se passait déjà. On rencontre des documents au mois de juin qui se réfèrent
explicitement à cette directive-là où il est question de barrières ; il
y a même, je me souviens, un document où il est question que la barrière n’est
pas assez bien tenue. On sent que cela se traduit en tout cas par rapport à
toutes les barrières qui sont placées par rapport à avant, on retrouve cette
notion de chercher l’ennemi qui se cache, on parle d’ailleurs de débroussaillage,
ce sont tous des documents - mais on y reviendra sans doute pour des questions
plus sur Butare puisque là il y a des documents concernant plus Butare - mais
qu’il me semble important d’aborder.
En tout cas, les réunions de secteur, on voit que cela se traduit
par un appel à la population par la vigilance, par l’armement, on a des documents
où l’on remet des armes à des jeunes, notamment des kalachnikovs, alors
qu’il n’y a pas de front là, on ne les envoie pas au front, c’est pour rester
sur place et assurer la sécurité sur place. On retrouve toutes des réunions
qui font, à tous les niveaux, référence à ces directives-là. On dit qu’on tient
ces réunions-là pour assurer la sécurité. Et la sécurité, c’est notamment être
vigilant. Les expressions, il y a toujours un danger d’essayer de toujours interpréter,
d’autre part, il faut quand même dire que, parallèlement, il y avait des massacres,
pendant ce temps-là il y avait des morts, les morts sont là. Effectivement,
il faut quand même mettre en parallèle ces documents, ces réunions, etc., avec
ce qui se passait sur le terrain. On est un peu étonné de voir que ces réunions
ne font pas fort état aux massacres mais font plutôt état à cette nécessité
de sécurité par rapport à ce qu’on a l’impression, à un ennemi extérieur ou
à un ennemi infiltré. On parle d’ailleurs à plusieurs reprises d’infiltrations.
Ce sont sûrement des éléments qui reviendront plus particulièrement par rapport
à la situation de Butare.
Le Président : D’autres questions parmi les parties ou pas ?
Je crois que Monsieur RICHARD n’est toujours pas là.
Damien VANDERMEERSCH : Moi, j’avais
une question, mais ce n’est pas l’habitude qu’un témoin pose une question au
président. Vous avez évoqué la cassette de ORINFOR. Je tiens à signaler qu’elle
est quand même de qualité assez médiocre, et puis, je ne cache pas que c’est
un document, pour expliquer la genèse de ce document, c’est un document qui
montre des morts, des cadavres et c’est vrai que c’est beaucoup de cadavres.
La qualité, pour ce que j’en ai vu, est mauvaise. On montre parfois des blessures,
mais on ne les voit pas tellement bien, on se demande si c’est l’image qui n’est
pas très bonne. Et puis, soyons clairs, c’est également un document qui est
fait par le FPR, par le gouvernement qui est venu en place, par les vainqueurs.
Le Président : S’il faut faire un choix, ce n’est pas ce document
vidéo qui est peut-être à la fois…
Damien VANDERMEERSCH : Les dias
que nous avons prises, je peux les assumer. Ce document de ORINFOR, je peux
simplement dire qu’il nous a été remis. Le ORINFOR, c’est radiotélévision officielle
du Rwanda, qui existait déjà avant, ce n’est pas RTLM, qui existait après puis
qui a été repris. Mais il nous a été remis par-là. Je dis très clairement que
je n’assume pas ce document puisque je n’y ai pas participé, j’ai pris réception
de cette cassette, dont acte. Il ne faut pas oublier que dans les faits - c’est
par objectivité bien entendu que je le dis - c’est qu’on reproche des massacres
des deux côtés. On parle aussi qu’il y a eu peut-être des massacres, il y a
beaucoup de témoins qui parlent de massacres commis également par le FPR. Ce
document montre des morts, ce qui est une réalité.
Le Président : Maître BEAUTHIER ?
Me. BEAUTHIER : L’instruction, sans que ce soit dirigé contre qui
que ce soit, est-ce que, quand vous étiez au Rwanda…
Le Président : Maître BEAUTHIER !
Me. BEAUTHIER : Oui, c’est à vous que je pose la question, Monsieur
le président, vous avez raison. Monsieur le président, voulez-vous poser la
question à Monsieur le juge d’instruction de savoir si, au Rwanda, il a eu l’impression
d’avoir indirectement ou directement des pressions. Il a parlé ce matin d’une
instruction très, très difficile. Nous avons tous noté cette insistance. Est-ce
qu’à son estime il y avait des pressions au Rwanda pour que cette instruction
prenne un tour X ou Y ? A-t-il subi de la part de personnes, quand il était
seul, quand il était avec les enquêteurs, des pressions ? Quel a été le
climat, notamment de ceux des opposants, mais de ceux qui sont au pouvoir actuellement ?
Le Président : Vous est-il possible de répondre. J’irais peut-être
encore un peu plus loin encore. Pressions sur votre instruction, sur votre personne,
sur vos enquêteurs, y en a-t-il eu et avez-vous éventuellement, puisque vous
avez personnellement assisté à l’audition de certains témoins, eu le sentiment
que ces témoins faisaient l’objet de pressions ? Ou vous ont-ils fait part
de pressions ?
Damien VANDERMEERSCH : On peut
même élargir la question pour savoir pression ici aussi. C’est un genre de dossier
où vous vous sentez sous pression. Pour ce qui est des pressions au niveau du
juge d’instruction, je vais répondre très clairement. Il y a toujours, ce n’est
pas qu’il y a toujours, mais il y a des dossiers et plus particulièrement celui-ci
où il y a des personnes qui vous donnent des conseils, des personnes qui vous
disent ce que vous devez faire, des personnes qui vous donnent des mises en
garde pour ne pas dire que ce ne sont presque pas des menaces. Mais là je suis
très clair. Nous sommes dans un pays où on a la chance, en tout cas je parle
à titre personnel, oui on reçoit des pressions, mais je dirais qu’on a la liberté
totale et on a le devoir de résister aux pressions. Là, soyons clairs que s’il
y a eu des pressions quelles qu’elles soient et de quelque bord que ce soit,
je peux dire qu’au niveau de ma personne, et je crois pouvoir parler au niveau
des enquêteurs également, cela n’a pas eu d’effet, là je peux assumer sans problème.
Mais je ne vais pas dire qu’il n’y a pas eu de pression. Mais les
pressions, cela peut être très indirect, c’est un ami qui vous veut du bien,
qui vous téléphone, qui vous dit : « Est-ce que vous n’êtes pas en
train de… Vous vous rendez compte de… », cela peut être 36.000 choses.
Peu importe. Moi, je dis qu’au niveau personnel, et cela je crois qu’on peut
le dire de façon, et cela vaut pour tous les dossiers, on est dans un pays où,
heureusement encore à l’heure actuelle, la justice, si elle subit des pressions,
peu importe, elle doit suivre son cours et nous avons la liberté, c’est-à-dire
qu’on n’est pas sanctionné jusqu’à nouvel ordre, si on instruit dans un sens
ou dans un autre sens, heureusement, il n’y a pas de conséquence au niveau du
juge d’instruction parce qu’il n’y a pas une obligation de résultat dans le
sens où il ne faut pas aboutir à un résultat. Non, le résultat c’est de faire
le dossier le plus complet et donc, de ce point de vue-là, nous avons, j’estime
que j’ai eu la pleine liberté de faire mes choix sans devoir penser que je risquais
peut-être quelque chose et même si c’était le cas, on a l’obligation légale,
soyons quand même clairs, de ne se laisser influencer par aucune pression d’où
que ce soit. Non seulement, il y a la liberté mais il y a aussi l’obligation
sinon on n’est plus juge d’instruction. Si je devais subir et céder à des pressions,
subir, on subit peut-être mais céder à des pressions, j’estime qu’à ce moment-là
je ne suis plus juge d’instruction.
Pour ce qui est des autres personnes, des témoins. La question vaut
autant pour la Belgique qu’au Rwanda. Pour les autorités, je pourrais dire simplement
ce qui suit : c’est que l’autorité locale, si elle avait voulu suivre ce qu’on
faisait, bonne chance, parce qu’on était à un tel rythme, et je vous dis, le
matin c’était à 5h du matin où je décidais ce qu’on allait faire la journée.
Alors, pour nous devancer de ce que je ne savais pas encore ce que j’allais
faire à 6h du matin, puisque je le décidais à 5h du matin, c’est que là, vraiment,
cette autorité qui voudrait faire pression et nous devancer devait être très
forte. Maintenant, il est un fait qu’on était au Rwanda et qu’en commission
rogatoire internationale, tout ce qu’on faisait, je crois qu’effectivement les
autorités rwandaises savaient a posteriori, après, ce qu’on avait fait. C’est
normal, cela se passe sur leur territoire et de toute façon, c’est incontournable,
c’est prévu. Le résultat de ma commission rogatoire passait par le ministère
de la justice. Mais dire qu’avant j’avais des pressions pour dire que je devais
faire ceci ou cela, je peux répondre : « Non ».
J’ai eu vraiment pleine liberté, on ne m’a jamais demandé à l’avance
ce que j’allais faire, je n’aurais pas répondu parce qu’à ce moment j’aurais
vraiment senti que c’était pour éventuellement essayer de devancer ce que je
risquais de devoir faire. Là je peux répondre de façon très nette, c’est qu’être
devancé et savoir ce que j’allais faire, moi-même je ne le savais pas, même
les enquêteurs, vous pouvez peut-être leur poser la question ce serait utile,
ne savaient pas nécessairement ce qu’ils allaient faire le lendemain. Cela se
décidait au fur et à mesure. C’est un peu comme en Cour d’assises, on a peut-être
des fois un programme et puis tout est bouleversé du jour au lendemain. C’est
exactement la même chose. On pouvait faire même un beau programme, je peux vous
dire qu’on ne l’a pas toujours suivi, des fois on a dû vraiment le changer à
tout moment parce qu’on avait un témoin et puis si le témoin il fallait absolument
l’entendre parce qu’on ne pouvait plus l’entendre après, il fallait l’entendre
immédiatement. Moi, je n’ai même pas pu terminer un repas parce que tout à coup
il y avait un témoin qui était là. On interrompt le repas et puis on mangeait
l’assiette froide, c’était à ce point-là. Ne fût-ce que même déjà nous suivre
n’était pas évident. Et puis on se séparait, donc, c’était vraiment à mon avis
très difficilement contrôlable en temps réel. Les documents, les résultats,
peut-être oui, je n’en disconviens pas, c’était la loi, cela passait par les
autorités, notamment le ministère rwandais.
En ce qui concerne les témoins, j’ai l’impression, mais les impressions,
je dis toujours : « L’intuition masculine, qu’est-ce que cela vaut ? ».
Je peux parler puisque je suis un homme. Il faut se méfier, sans doute peut-être
des intuitions mais ce que je peux dire, c’est que j’ai l’impression que le
climat pour les témoins, et d’ailleurs il y a un témoin qui l’a dit, en Belgique
n’est sûrement pas plus facile, si pas plus difficile qu’au Rwanda. Je pense
qu’il n’est pas plus facile pour un témoin de faire une déclaration en Belgique
que de faire une déclaration au Rwanda. Pourquoi ? Parce que la communauté
rwandaise est mélangée en Belgique, elle est mélangée également au Rwanda, mais
au Rwanda on est tous un peu dans cette situation, tandis qu’en Belgique on
est quand même dans un pays étranger où les compatriotes et tout cela, c’est
très difficile à vivre pour les rwandais de toutes les situations. Avoir connu
cela et puis avec Tutsi, Hutu, etc., avec peut-être des images qu’on a sur l’autre
qui ne sont peut-être pas exactes, je crois que c’est difficile à vivre pour
chacun. Je pense que le climat pour les témoins n’est pas plus facile en Belgique.
Il ne faut pas croire que c’est parce qu’on est en Belgique qu’on se dit :
« Il n’y aura pas ». Je pense qu’il peut y avoir également des pressions.
J’ai envie de dire les sentiments par rapport à ce que dit un témoin,
ce que je peux dire c’est qu’il y a des témoins qui sont venus parce qu’ils
avaient envie de nous dire quelque chose, soyons clairs, je ne les ai pas poussés,
en tout cas moi. Alors, est-ce qu’ils étaient téléguidés ou poussés par quelqu’un
d’autre ? On ne peut pas l’exclure mais on peut aussi penser que quelqu’un
qui a perdu, je crois que cela peut valoir pour tout témoin, son enfant, son
père, son mari, son épouse, on peut penser aussi qu’il a peut-être envie d’aider
la justice qui essaie de voir clair. Cela ne me paraît quand même pas tout à
fait irraisonnable de penser que quelqu’un qui a été victime a peut-être envie
que justice soit faite correctement en identifiant les vraies personnes. J’ai
l’impression que les témoins venaient, et c’est vrai qu’il y a beaucoup de témoins
qui avaient été touchés par des proches et qui venaient parce qu’il y avait
un espoir qui était placé dans une certaine forme de justice. Oui, je sais,
on m’a dit : « Mais est-ce que ces témoins ne sont pas téléguidés
par le pouvoir en place, par le FPR ? ». Oui, je dis qu’il y a quand
même une garantie, c’est la seule réponse que je peux essayer de donner, c’est
qu’à partir du moment où on essaie de faire une audition détaillée, en plaçant
la personne, en disant ce qu’elle a vu, où elle était, cela permet, bien que
je pense que dans tout témoignage il y aura toujours des contradictions parce
qu’on ne se souvient pas toujours et quand on vit ce qu’on vit, quand on voit
ce qu’on voit, si c’est vrai ce qu’ils ont vu, on peut comprendre que les souvenirs
soient un peu brouillés. Donc, la toute belle déclaration, peut-être qu’elle
me paraît plus suspecte que la déclaration qui est humaine, où il y a des mélanges,
on ne se souvient pas très bien, il y a beaucoup de témoins, et c’est noté dans
les auditions, qui disent : « Ecoutez, les dates, je ne m’en souviens
plus très bien, vous comprenez ? ». Oui, on n’avait pas tellement
de difficulté à comprendre.
De ce point de vue des témoignages, je pense que l’important c’est
aussi d’essayer de recueillir le maximum d’informations et puis après on peut
à ce moment-là, et c’est le travail justement de l’œuvre de juger, c’est de
savoir ce qu’on doit en penser. Mais c’est vrai que plus on a de témoins, plus
je pense, on peut à un certain moment, se faire une idée. Si on veut mon sentiment
absolument, je dirais que je n’ai pas l’impression que les autorités rwandaises
souhaitaient nous devancer dans mes résultats d’enquête, je pense que je m’en
serais rendu compte, il y a toujours un ami qui vous veut du bien qui me l’aurait
dit, or, cela ne m’a quand même pas été dit.
J’ai eu deux témoins qui ont eu des versions différentes. J’en parlerai
parce que je pense que ce sont des éléments. J’ai eu deux témoins mais sur 300-400
témoins qui ont donné une version différente à une personne et à moi-même dans
une audition. Là effectivement, j’ai deux versions. Qu’est-ce que j’ai quand
j’ai deux versions différentes ? Ces deux versions différentes se trouvent
et il appartiendra bien entendu à qui de droit, c’est-à-dire à vous, de voir
ce que vous devez en penser, c’est tout. Je n’ai pas reçu, et là, pour ces deux
témoins, effectivement, surtout pour un, on a parlé de pression. Je m’en rappelle
bien, parce que comme ce témoin n’avait pas eu de pression, j’ai souhaité le
rencontrer moi-même. Et devant moi-même il m’a confirmé une version. Je sais
que par ailleurs, un autre témoin que j’ai entendu, qui a été entendu sous serment
et je n’ai pas de raison de mettre sa parole en doute, il a donné l’autre version.
Moi, je dis simplement que mon rôle est de dire : « Je me suis donné
la peine de rencontrer ce témoin pour m’assurer moi-même que c’est bien ce qu’il
avait dit et il l’a bien confirmé devant moi ». Maintenant ce n’est pas
parce que vous confirmez une déclaration devant un juge d’instruction que vous
dites spécialement la vérité, c’est autre chose, surtout que quand il y a contradiction,
il y a bien un des deux qui n’a pas dit la vérité ou en tout cas il y a quelque
chose qui s’est passé.
En dehors de cela, c’est vrai qu’on a quand même eu beaucoup de témoins,
qu’on a dû plutôt convaincre de nous faire confiance. Il ne faut pas confondre,
ce n’est pas nous qui faisions pression sur eux, mais il y a beaucoup de personnes
qui venaient dire : « Je viens vous donner l’information mais du moment
qu’elle n’apparaît pas ». Quand vous faites une enquête, si c’est pour
recueillir une information du moment qu’elle n’apparaisse pas, je ne vois pas
l’utilité de cette information. Là, je répondais très franchement en disant
à la personne : « Alors, ce n’est rien ». Je ne veux pas
commencer à recueillir des informations que je dois soi-disant garder en tête,
je dois faire une gymnastique de l’esprit, cela ne va pas, on doit travailler
en transparence. Je n’ai accepté que les informations qu’on était d’accord de
mettre sur papier et qu’elles puissent apparaître dans le dossier, c’est un
respect des droits de la défense aussi. De ce point de vue-là, il est vrai qu’il
y a certains témoins qui ne nous faisaient pas confiance parce qu’ils avaient
peur de rétorsion, peut-être d’autre chose mais je dirais que c’est un peu normal.
Je vous ai dit le climat de peur avant, le climat de peur pendant, le climat
de peur après, cela me paraît assez normal et quand on a peur et quand on a
vécu peut-être certaines choses qui ne sont pas faciles à vivre, il n’est peut-être
déjà pas facile d’en parler et puis faire confiance à un juge étranger, un juge
belge en plus, parce que la Belgique n’avait pas trop bonne image, ce n’est
pas évident. A ce moment-là on joue en disant : « On n’a rien d’autre
à dire que qui on est, qu’est-ce qu’on fait et expliquer ». Et certains
témoins visiblement n’ont pas voulu parler. Il y a plein de témoins qui nous
paraissaient, ou en tout cas dont on savait qu’ils étaient sur place et qui
ont dit qu’ils n’ont rien vu, qu’ils ne savaient rien. Je ne suis pas très convaincu
de ce qu’ils m’ont dit à ce moment-là. C’est évident, c’est la liberté du témoin
en tout cas dans ce cadre-là, j’estimais que je n’avais pas de moyens pour,
bien entendu, leur imposer de témoigner et puis cela n’avait peut-être pas beaucoup
de sens. Il faut respecter aussi le rythme des gens et le rythme des témoins.
Je l’ai expliqué tout à l’heure, je crois que j’ai essayé de créer
le champ d’écoute, essayé de gagner la confiance du témoin pour qu’il dise,
en insistant, je vais être franc avec vous en disant : « Pour moi,
le témoin qui voudrait faire une fausse déclaration pour enfoncer quelqu’un,
je parle de façon générale, c’est la meilleure façon pour torpiller le dossier
parce que vous arrivez immédiatement à d’abord un sentiment qu’il y a quelque
chose qui ne va pas et puis tôt ou tard, cela se sent, il y a des contradictions,
c’est une audition qui ne va pas et c’est rendre le plus mauvais service ».
En tout cas, un dossier c’est pour un témoin, c’est d’arriver en disant :
« Je vais aider le juge, entre guillemets, en disant ce que je n’ai pas
vu ». Pour moi c’est le témoin qui est le plus mauvais. Et on a dit aux
gens, c’est quelque chose sur lequel on a insisté à chaque moment, je ne sais
pas si cela a été reçu 10/10 mais on a insisté en disant : « Ne dites
que ce que vous avez vu et si vous n’avez pas vu… », parce qu’il y a des
gens qui disent : « Oui, il y a eu cela ». Et puis on posait
toujours la question, j’essayais toujours de faire poser la question :
« Comment le savez-vous ? Comment l’avez-vous appris ? ».
Des fois on me disait : « J’ai entendu dire que… ». Cela n’a
évidemment pas du tout la même portée que s’il l’avait vu directement.
Donc, on a essayé de travailler avec rigueur. Je dois avouer que
pour moi, mais plutôt dans d’autres dossiers, que pour moi, il y a des témoignages,
dans le volet par exemple de Monsieur NDAYAMBAJE, qui sont tellement sommaires
mais qui avaient été faits par le parquet local, que je ne vous cache pas que
je suis très sceptique. Quand on dit : « Oui, il y a eu cela, etc… »,
pour moi cela ne suffit pas. Il faut qu’on puisse aller plus loin : comment,
pourquoi ? Et d’ailleurs, c’est la démarche aussi d’entendre les témoins
ici en Cour d’assises, c’est pour qu’on puisse aller plus loin. Je suis heureux
que tout ne repose pas sur mon témoignage ou sur mes sentiments. Heureusement,
il y a des gens que vous allez voir et qui seront entendus comme j’ai essayé
de les entendre. Je crois que par des questions, on parvient peut-être à essayer
d’apprécier.
Le Président : Mais certains témoins - je vais être plus précis
bien que votre témoignage porte sur la généralité pour le moment - des religieuses
au Rwanda, n’ont-elles pas fait état auprès de vous ou auprès des enquêteurs,
de ce qu’elles avaient subi des pressions pour modifier leurs témoignages ?
Damien VANDERMEERSCH : Pour moi,
il me semble plus cohérent d’en parler au moment où en parlera. Je n’ai pas
abordé cette question parce que ces religieuses-là, me semble-t-il, ont fait
une déclaration qu’elles voulaient faire malgré la pression qu’elles auraient
subie, mais enfin il y a des documents qui l’attestent qu’il a eu, semble-t-il,
quand même une démarche assez particulière. Mais je propose qu’on y revienne
parce que là, c’est vraiment dans tout ce volet-là où il faut peut-être parler
aussi parce qu’on a entendu des personnes en Belgique aussi. Je pense qu’il
faut vraiment resituer. Je crois qu’il ne faut pas faire des généralités. Ce
dont j’ai un peu peur, c’est pour cela que je n’ai volontairement pas indiqué
les personnes parce que, pour moi, on ne peut pas en tout cas en faire une généralité
en disant que tous les témoins ont été sous pression, ce n’est pas le sentiment
que j’ai en tout cas. Je pense qu’il y aurait eu des grains de sable.
Ce que je veux dire, c’est que j’étais prévenu du danger de manipulation.
On m’avait dit que tous les témoins allaient être téléguidés par le FPR,
on m’avait dit qu’il n’y aurait aucun témoin qui allait parler parce qu’ils
ont trop peur. Dans l’autre sens aussi : « Vous savez, les témoins
ne vont pas parler, ils auront peur de représailles, de leurs anciens voisins,
etc… ». Je pense que quand vous êtes confrontés à ces situations-là, la
nature humaine est quand même capable aussi à certains moments, après un drame,
d’essayer quand même un peu de l’assumer et de participer à l’œuvre de justice.
Je dis toujours : « Un dossier, ce n’est pas dans mon cabinet que
je trouve les éléments, j’ai besoin des gens, des citoyens qui fassent confiance ».
La même question se pose en Belgique. Vous avez une agression, si
vous n’avez aucun témoin : « Oui, mais on a peur, on va être dérangé ».
Oui, mais alors vous n’arrivez nulle part. Je pense aussi qu’en Belgique, il
y a encore des gens qui ont été témoins qui ont le courage de venir témoigner
même s’ils doivent se déranger trois fois parce qu’ils pensent que c’est important
et ils se disent peut-être aussi : « Si un jour j’étais à la place ».
Je pense que les citoyens rwandais, ceux qui sont en Belgique parce que finalement
je ne fais pas tellement de différences, de toute façon tout se sait tôt ou
tard ne fût-ce que par l’accès au dossier. J’ai toujours dû dire que tant les
parties civiles que les inculpés, inculpés c’est à mon stade, accusés c’est
à ce stade-ci, auront, et c’est un droit, accès à l’entièreté du dossier. Je
n’ai donc jamais pu garantir en disant : « Tout cela restera secret,
ne vous en faites pas, il n’y a personne qui le saura ». J’ai toujours
été correct avec les gens parce que je trouve qu’il faut être correct vis-à-vis
d’un témoin, si on ne peut pas vous faire confiance, c’est de dire : « Oui,
il y aura cette transparence ». Mais c’est la richesse du débat aussi,
cela permet à tout le monde de critiquer, d’arriver avec tous les éléments et
peut-être, après cela, d’apprécier mieux la valeur qu’il y a lieu de donner
aux témoignages.
Le Président : Maître BEAUTHIER ?
Me. BEAUTHIER : Une toute petite question, je reste dans les trois
dossiers qu’a indiqués Monsieur le juge d’instruction, je reste dans le cadre
général de sa déposition de cet après-midi et de ce matin. Il y a tout de même
une question que je vous demanderais de poser et qui, depuis plusieurs mois,
pour les parties civiles, est lancinante. Trois dossiers sont présentés à la
Cour d’assises de Bruxelles Capitale, il y en a sept autres, pourquoi ces trois
dossiers d’abord ? Pourquoi pas ceux des trois coopérants ? Pourquoi
pas ceux des paras ? Qu’est-ce qui a fait que ces trois dossiers arrivent
maintenant et pas les autres ?
Le Président : Moi, je n’ai pas envie de poser la question au
juge d’instruction, parce que nous avons déjà bien assez avec ce dossier-ci
que pour parler des autres.
Me. BEAUTHIER : Je reste dans ce dossier-ci, Monsieur le président.
Je ne pose pas la question de savoir…
Le Président : Si vous demandez pourquoi pas les autres, ce sont
des autres qu’on parle et pas de celui-ci, donc, la question n’est pas posée.
Me. BEAUTHIER : Pourquoi ce dossier… ?
Le Président : La question n’est pas posée. Y a-t-il d’autres
questions ? Monsieur RICHARD n’est toujours pas là ? Je crois qu’effectivement,
si nous devons faire un choix entre les vidéos, il vaut mieux passer des vidéos
de qualité plutôt que de mauvaise qualité. La vidéo que Monsieur RICHARD aurait
commentée, encore que je suppose qu’il y a le son, elle est déjà commentée,
c’est une émission de télévision ?
Damien VANDERMEERSCH : C’est une
vidéo qui se suffit à elle-même.
Le Président : Je dirais que la seule chose que j’aurais pu demander
à Monsieur RICHARD éventuellement, c’était dans quelles circonstances le ou
les reportages avaient pu être réalisés, mais s’il ne se présente pas, est-ce
que les parties renoncent à l’audition de Monsieur RICHARD ? Ce qui ne
veut pas dire qu’il n’y aura pas projection de cette vidéo. Monsieur le juge
d’instruction, je vais vous demander de rester d’ailleurs parce qu’après il
y aura alors éventuellement des explications à donner sur la manière dont c’est
parvenu en votre possession mais je crois que c’est tout simple, c’est Monsieur
RICHARD qui a fait parvenir…, qui a été diffusée publiquement.
Damien VANDERMEERSCH : C’est une
émission qui a été diffusée publiquement. Toujours dans cette optique aussi
de recueillir le maximum d’informations, il appartient évidemment à la juridiction
du jugement de faire le choix dans l’ensemble des informations, il me semblait
que c’était une émission qui présente un intérêt, c’est de ne pas être faite
par la Belgique, c’est une émission française. Cela ne s’inscrit en tout cas
pas dans la problématique de dossiers en Belgique, etc., d’ailleurs on n’évoque
nullement et c’est antérieur. C’est une émission assez proche où il n’y avait
pas encore, pour moi elle a été tournée dans les semaines et les mois qui ont
suivi la fin des hostilités, en 1994, l’intérêt c’est d’être très proche. On
voit d’ailleurs des séquences où effectivement les lieux ne sont pas habités,
les lieux sont tout à fait abandonnés encore, qui sont arrivées de la façon
la plus proche des faits et alors ne s’inscrit de nouveau pas cet effet pour
un procès, cela a été fait pour informer simplement le public, des journalistes
qui ont travaillé. Je ne peux pas dire comment ils ont travaillé, dans quelle
optique, etc., mais je peux dire que c’est une émission qui en tout cas apporte
toute une série de questions par rapport au Rwanda et qui les présente de façon
journalistique. C’est un travail de journaliste. Maintenant, Monsieur le président,
je ne sais pas, vous m’aviez parlé de dias.
Le Président : Oui, mais le matériel qui est installé, c’est pour
la vidéo. A moins que nous fassions comme ceci. Le film va durer à peu près
70 minutes, deux cassettes.
Damien VANDERMEERSCH : Peut-être
que Monsieur RICHARD viendra entre-temps.
Le Président : Nous allons suspendre l’audience un quart d’heure,
la reprendre à 15h30 de manière à ce que pendant ce temps-là on change le matériel,
on met le matériel dia plutôt que vidéo et si entre-temps Monsieur RICHARD vient,
on verra bien ou on rechangera, on resuspendra.
Damien VANDERMEERSCH : Non, ou
bien vous passez… Je pense que de toute façon l’émission télévisée prend 1h10.
Je suppose que si Monsieur RICHARD n’est pas là après 1h10, on n’aura plus beaucoup
d’espoir à le voir arriver. Cela ne me dérange pas de rester et à ce moment-là
on embraiera sur les dias pour ne pas devoir rechanger tout, surtout si Monsieur
RICHARD vient entre-temps.
Le Président : On va avoir évidemment, parce que la porte de la
salle doit rester ouverte, un problème au niveau de la visibilité. Ca ira ?
Que fait-on ? On fait la première cassette en tout cas ? S’il faut
faire une suspension, on peut faire une suspension entre les deux cassettes.
Prenez place peut-être par ici, Monsieur le juge d’instruction. Peut-être effectivement
que certains avocats ne sont pas trop bien placés pour voir l’écran, parmi les
jurés, je vais vous demander de venir plus par ici, ceux qui sont mal mis, de
reculer un peu pour avoir une meilleure vue. Nous allons voir la première cassette.
Il y a deux cassettes pour cette émission, nous allons voir la première. On
fera une petite suspension après cette cassette-ci.
[Suspension d’audience]
Le Greffier : La Cour.
Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir.
Les accusés peuvent reprendre place.
Le Président : Le juge d’instruction peut revenir. Et si certains
se trouvent dans de mauvaises positions puisqu’on va projeter maintenant les
diapositives, ils peuvent peut-être reprendre les places qu’ils avaient tout
à l’heure pour mieux visualiser les choses. Monsieur le juge d’instruction,
selon les indications qui figurent sur la préparation qui m’a été faite, il
s’agit de la farde 45 du classeur 12, dossier 37/95.
Damien VANDERMEERSCH : Cela ne
m’aide pas encore beaucoup.
Le Président : Cela ne vous dit pas grand-chose. Maisons détruites
dans la commune d’Ngoma.
Damien VANDERMEERSCH : Je peux
peut-être expliquer le contexte dans le cadre duquel nous avons pris ces photos.
Je tiens à rappeler qu’ Ngoma était la commune de Butare ville. Butare ville,
c’est l’agglomération, ce qu’on appelait la commune urbaine d’ Ngoma. Une
des personnes inculpée dans le cadre de mon instruction et qui a été déférée
devant le Tribunal international, était Monsieur KANYABASHI. Il avait été
déclaré et on en retrouve une trace dans un document, d’une réunion faite dans
un des secteurs où on faisait état qu’il fallait raser les maisons des victimes
parce qu’il y avait peut-être une délégation internationale qui allait venir,
une délégation étrangère et qui aurait pu, à ce moment-là, constater des traces
de massacres, la thèse étant qu’il n’y avait que la guerre et qu’il n’y avait
pas eu de massacres. On a été prendre des photos de maisons qui effectivement
avaient été… ici c’est une des maisons qui était sur pied encore parce qu’il
y a des maisons qui se retrouvaient tout à fait à plat. Ce sont, comme cela
nous a été indiqué, mais cela sous réserve, des maisons de personnes qui auraient
disparu, entre guillemets, durant les événements.
Le Président : Vous pouvez passer à la suivante.
Damien VANDERMEERSCH : Ce
sont toutes des maisons du même style. On nous a indiqué chaque fois plus ou
moins le nom de telle personne mais c’était principalement par rapport au bourgmestre
que ces photos avaient été prises puisque là c’était sous sa responsabilité
et sur son territoire. Je pense qu’on peut aller assez vite pour toutes ces
photos parce qu’elles sont assez semblables. Peut-être peut-on dire en passant
simplement qu’on voit que chaque fois, chaque maison est entourée d’une petite
parcelle donc, même dans la commune urbaine, il y avait souvent une petite parcelle
qui entourait la maison et qui était des fois d’ailleurs le champ de culture
de la famille. Ce sont toutes des maisons qui existaient avant les événements
et qui auraient été rasées à la fin des événements, la végétation, en un an,
ayant déjà repoussé à certains endroits. C’était évidemment pour montrer aussi
qu’il y avait des traces quand même aussi d’élimination de maisons de façon
assez radicale puisqu’il ne restait plus grand-chose de la maison.
Le Président : On va mettre un autre chargeur. Dans la préparation,
on a dit qu’il s’agit de la fosse commune de Muganza.
Damien VANDERMEERSCH : Oui, en
ce qui concerne la fosse commune de Muganza, je vous dirai que pour moi, c’est
un des souvenirs les plus pénibles…
Le Président : Non c’est le chargeur n° 14.
Damien VANDERMEERSCH : Non, ceci est la photo de Muganza prise lors de
la deuxième commission rogatoire alors que la fosse commune, je pense que c’est
la troisième commission rogatoire.
Le Président : Je l’ai au n° 14.
Damien VANDERMEERSCH : En fait, le seul intérêt de cette photo, c’est
au mois de juin et au mois de juin les exhumations n’avaient pas encore été
faites et ce n’est qu’entre juin et septembre que toute une série d’exhumations
ont été pratiquées dans la commune de Muganza. Ces photos ont été
prises pour le motif évidemment que Monsieur NDAYAMBAJE était le bourgmestre
de Muganza. Il faut savoir que beaucoup de corps, de très nombreux corps, pour
des questions d’hygiène publique, avaient dû être, je dirais, enterrés si on
peut s’exprimer ainsi rapidement et ce qui avait été une des façons très rapides
d’ensevelir les corps, c’était de les mettre dans les fosses septiques, dans
les latrines. C’est comme cela que les fosses septiques et les latrines étaient
comblées et lorsqu’on a exhumé, c’est vrai que les corps étaient entassés.
Ici en fait, j’ai demandé, j’avais été la première fois à Muganza
où tout était encore ouvert et en fait, lorsque je suis revenu avec un appareil
photo, ils avaient déjà recouvert toute une partie mais donc c’est une fosse
qui, si je me souviens bien, allait en U et on dénombrait 20.000 cadavres donc
20.000 personnes qui auraient été ensevelies à cet endroit, en fait qui auraient
été exhumées et auraient été rassemblées ici. 20.000 personnes, je n’ai évidemment
pas eu l’occasion de compter, mais quand c’était tout à fait à ciel ouvert,
c’était par milliers. Le nombre de 20.000 ne m’étonnerait sûrement pas. Pour
savoir, ce sont en fait des prisonniers, des détenus qui étaient chargés de
ces travaux qui étaient des travaux effectivement assez pénibles. C’étaient
des prisonniers, soyons clairs, suspectés d’avoir participé aux massacres. Ils
avaient cette tâche qui était quand même très pénible et au point de vue hygiène,
pas évidente du tout. Les photos sont assez petites mais là, ce sont tous des
corps qui sont alignés. Vous voyez que c’est vraiment très important. Ici, c’est
un ensemble de corps. C’était la commune de Muganza, donc c’était important
de voir pour notamment la question de Monsieur NDAYAMBAJE, le nombre de personnes,
de voir l’ampleur des événements.
Mais je dois vous dire qu’on voit là des corps d’enfants. C’est pour
moi un des souvenirs, c’est quelque chose d’indescriptible, la vision,
mais l’odeur aussi. Là vraiment, à ce moment-là je me suis dit : « Vraiment
ce n’est pas possible ». On voit des corps qui étaient souvent de tailles
d’enfants. Ici, vous voyez aussi chaque fois des dépouilles. On voit vraiment
que c’est en nombre incalculable. On voit là, et heureusement que c’est en dimension
plus réduite parce que sinon c’est de l’ordre de l’insupportable. Je précise
donc ici que c’est la commune de Muganza qui est située à peu près à 1h, 1h30
de route de Butare. Ici ce sont tous des crânes. Là, c’étaient des exhumations,
donc, ce sont, semble-t-il, toutes des dépouilles qui ont été exhumées, des
personnes qui avaient été ensevelies dans la terre et dont la décomposition
a été beaucoup plus rapide. Les corps qu’on avait vus avant, c’étaient des corps
de personnes qui s’étaient retrouvées dans les fosses septiques et dans les
latrines où la décomposition avait été beaucoup plus lente. Vous voyez que ce
sont des quantités assez importantes, impressionnantes, avec bien entendu les
odeurs et tout, c’était vraiment très lourd. On voit encore sur certains corps,
il y a des dépouilles qui ont encore leurs vêtements.
Le Président : Il y a deux cassettes mais je suppose que ce sont
deux copies de la même émission puisque, apparemment, le présentateur en tout
cas, signalait la fin de l’émission. Nous n’avons toujours pas de nouvelles
de Monsieur RICHARD ? Est-ce que les parties renoncent à l’audition
de Monsieur RICHARD ? Personne ne s’oppose en tout cas ? Nous allons
quand même suspendre un quart d’heure pour permettre le changement de matériel.
Monsieur le juge d’instruction, on pourra alors voir quelques diapositives après
la suspension ?
Damien VANDERMEERSCH :
Pas de problème.
Le Président : Nous reprendrons à 16h45.
[Suspension de séance]
Le Président : Alors, le chargeur n° 18.
Les diapositives suivantes sont relatives à une cérémonie funéraire
du 30 septembre 1995, à Butare
Damien VANDERMEERSCH : Donc nous étions en partance à ce moment-là, on devait partir à Gisenyi
et donc ? on nous avait informés qu'il y avait une cérémonie funéraire
à Butare donc qui concernait toutes les victimes qui avaient été retrouvées
sur la commune de Ngoma donc qui concernait évidemment directement les faits
alors ce ne sont pas nécessairement évidemment des victimes puisque là c'était
pour… Il y avait notamment Monsieur KANYABASHI qui était le bourgmestre mais
il nous est apparu important évidemment de bon le problème d'identification
on se rend compte évidemment, à partir du moment devant un tel nombre de personnes,
que les identifications, je dirais individuelles, avaient presque peu de sens.
A un moment donné, on avait pensé, un peu comme je dirais dans une instruction
classique, d'identifier les victimes, mais je dois vous dire que je me sentais,
je me sentais presque… c'était vraiment impossible à demander aux Rwandais de
commencer à identifier les victimes, enfin il y en avait certaines, bon vous
avez vu que, bon, il y en a beaucoup qui sont méconnaissables mais savoir les
listes de personnes disparues, il n'y a pas de choses qui ont été faites mais
pour les identifications, je crois que les Rwandais avaient d'autres urgences
que de procéder aux identifications mais plutôt de rendre un dernier hommage
vous verrez de façon très globale qui rendait très collectif comme hommage
et c'est effectivement assez impressionnant, parce que toute la collectivité…
c'était vraiment un deuil collectif. Et parmi les dépouilles, les gens présumaient
qu'il y avait sans doute un des membres de leur famille qui était disparu ou,
du moins, ils espéraient, que c'était une des personnes qui avaient été exhumées
à qui on pouvait rendre un dernier hommage.
Donc, en fait, la voiture amenait… donc, on voit
ici en fait toutes les personnes mises dans une sorte de grand sac en plastique,
grand sac en plastique assez résistant quand même. On voit ici on décharge,
vous avez ici c'est chaque fois une dépouille. Il y avait un nombre assez impressionnant
également. Donc, vous voyez ce sont toutes des dépouilles qui sont anonymes.
Parce que souvent pas identifiables. Pour les identifications, parfois un vêtement
ou peut-être un document mais c'était rare, permettait d'identifier la personne
mais c'était plutôt l'exception. Donc, il y a une grande fosse qui avait été
faite et alors on déposait donc dans l'immense fosse l'ensemble des dépouilles.
On voit ici on commence à déposer tous les corps.
Ça c'étaient des corps qui avaient été identifiés
dont la famille avait payé un cercueil, avait pu se payer un cercueil. Mais
c'était dans le cadre de la même cérémonie donc là, le caractère collectif était…
Le Président : Les diapositives suivantes sont relatives à des exhumations dans le
secteur de Ngoma.
Damien VANDERMEERSCH : Donc là, c'est en fait la veille au point de vue chronologie, c'était
la veille où des inspecteurs de la police judiciaire - je crois que c'était
Monsieur STASSIN, avec je ne me souviens plus la personne qui l'accompagnait
- qui ont été, enfin moi j'ai rejoint simplement en fin de journée mais donc,
qui avaient été et là c'était on leur avait montré tous les endroits dont
les corps, enfin certains que nous avons vu par la suite donc, provenaient
où ils avaient été déterrés. Donc ça, c'est tous les endroits où les corps ont
été découverts, et puis ils ont été réenterrés par la suite lors de la cérémonie.
Donc, lorsque nous sommes allés au mois de septembre c'était vraiment, on sentait
que c'était une nécessité du peuple rwandais d'exhumer ces morts et de pouvoir
leur rendre un dernier hommage de cette façon-là.
Là on voit au moment où donc on met soit dans un
cercueil soit dans un grand sac en plastique.
Le Président : Les photos sont très impressionnantes par la suite, hein. Certaines
d'entre elles. Enfin, quelques-unes.
Damien VANDERMEERSCH : Oui, donc ce sont des dépouilles exhumées. C’est une réalité à laquelle
on était confronté et qui fait partie évidemment de l'instruction dans la mesure
où c'était évidemment un des aspects tragiques malheureusement des événements.
Le Président : Bien, il n'y a plus de projections. On va rallumer
dans la salle. Bien, y a-t-il des questions à poser au juge d'instruction à
propos de son témoignage de ce matin, de cet après-midi, des commentaires faits
à propos des diapositives de la part des membres du jury, de la part des parties ?
Alors s'il n'y a plus de questions, je vais quand même vous demander maintenant,
Monsieur le juge d'instruction, bien que vous soyez amené à revenir, si c'est
bien des accusés ici présents dont vous avez parlé, si vous persistez dans vos
déclarations.
Damien VANDERMEERSCH : Oui, Monsieur le président.
Le Président : Donc, je vous demande évidemment de rester à la disposition de la
Cour pour, tout au fil des débats, pouvoir encore amener les précisions utiles.
Mais vous êtes autorisé pour le moment, à disposer de votre temps.
Damien VANDERMEERSH
: Hum… disposer de mon temps, de toute façon,
j'ai du travail, ne vous en faites pas.
Le Président :
Oui. Bien, nous en aurions terminé pour aujourd'hui. Madame DE TEMMERMAN était
convoquée également pour aujourd'hui. Elle est au Canada jusqu'au 23 avril inclus.
Euh… je suggère que l'on essaie de trouver un moment où elle puisse venir mais
en tout cas elle ne pourra pas venir avant le 24 puisque… euh… Madame DE TEMMERMAN
est également une personne qui a fait un reportage mais qui est en langue néerlandaise
donc, il serait souhaitable qu'elle puisse commenter peut-être en français ou
par l'intermédiaire d'un interprète, le reportage qu'elle a réalisé. Euh… à
quel moment ? Moi je pensais peut-être, parce que je ne suis pas certain
que des témoins Avocats Sans Frontière viennent ou ne viennent pas, je ne sais
pas il y a un problème de visa semble-t-il, je ne sais pas mais… même le président
de la Cour d'assises, il a des pouvoirs que l'on dit tellement étendus qu'ils
sont discrétionnaires, n'a pas encore autorité pour donner les ordres au ministre
ni des injonctions aux États étrangers. Alors, je me proposais, et il faudra
par l'intermédiaire du mari de Madame DE TEMMERMAN, communiquer cette date à
Madame DE TEMMERMAN de la faire venir le mardi 24 avril à 11 heures.
Oui, Maître GILLET.
Me. GILLET : C'est que… j'ai une inquiétude pour l'ordre du jour de demain parce
que quand je vois le timing et le temps réservé à chacun, des experts qui doivent
venir demain, on a là des experts, je dirais qui ont des choses inégales à dire
sur Butare. Donc, c'est le dossier qui nous concerne directement. Alors je pense
à Monsieur REYNTJENS et Madame DESFORGES Madame DESFORGES elle, avec la
circonstance qu'elle est certainement la seule experte au monde à avoir étudié
le génocide à Butare et j'ai bien peur que pour l'un ou pour l'autre, mais
surtout pour elle, une heure soit vraiment extrêmement peu et je dirais même
déraisonnablement peu de temps. Alors, bon évidemment on peut toujours aussi
leur demander de revenir, c'est vrai, mais je ne connais pas du tout leur disponibilité.
Le Président : Mais je vais vous dire autre chose, c'est que pour demain, Monsieur
NSANZUWERA François-Xavier ne saura pas venir, parce qu'il est actuellement
à Arusha.
Me. GILLET :
Ça nous permettra de gagner un petit peu de temps effectivement.
Le Président : Et il n'est disponible qu'à partir du 7 mai, ce qui, en ce qui me
concerne, me semble vraiment très très loin dans le temps pour entendre encore
quelqu'un sur le contexte général ou alors on les réentend, ces gens-là, tout
à fait à la fin, après que l'on ai instruit. En tout cas, quelqu'un comme Monsieur
NSANZUWERA, je ne vois pas le moyen du mettre, alors qu'on est en
train d'interroger les témoins de moralité, de HIGANIRO ou de…
Me. GILLET : Ça pourrait
se justifier plus pour Madame DESFORGES, éventuellement de la faire revenir
mais encore une fois sous réserve de ses disponibilités.
Le Président : Mais ce que nous pouvons faire, puisque Monsieur
NSANZUWERA ne viendra pas demain, c'est une impossibilité pour
lui, c'est qu'il y a là une heure en plus qui est…
Me. GILLET : Il y a quelqu'un qui se trouve exactement dans la même situation que
lui, parce qu'il témoigne aussi à Arusha, c'est Monsieur GUICHAOUA, que l'on
voit lundi, je crois en principe.
Le Président : Oui, il est retenu…
Me. GILLET : Est-ce qu'on ne pourrait…
Le Président : Le 23 et 24 et le 25 et pour lui… pour lui je me demandais si le mieux
ne serait pas de faire venir tout à la fin. Euh… c'est-à-dire le vendredi 11
mai dans le courant de l'après-midi. Le vendredi 11 mai dans le courant de l'après-midi.
Me. GILLET : C'est ça.
Le Président : Euh… il faudra lui laisser peut-être même tout ce vendredi 11 mai
après-midi, parce que certes, il n'a peut-être pas spécialement étudié le problème
de Butare mais je crois que lui est…
Me. GILLET : Ah, sur le contexte tout à fait général il est certainement beaucoup…
Le Président : …sur le contexte général, sur la culture, sur euh…
Me. GILLET : …sur la politique
Le Président : …la politique, alors que nous aurons peut-être donc tout appris ou
presque tout ce que nous pourrons apprendre.
Me. GILLET : Il pourra nous aider à faire…
Le Président : …il pourra peut-être par cette synthèse de ce que lui connaît, nous
permettre de situer des faits précis, dans un contexte plus général. C'est vraiment
un témoin très important, quand je vois le nombre de jours qu'il va témoigner
chaque fois à Arusha, ça dure trois jours, trois jours et demi, peut-être qu'une
demi-journée pour lui, à la fin de notre instruction d'audience, ne serait pas
inutile.
Me. GILLET : Alors, j'aurais peut-être dans la foulée de ça une dernière suggestion
à faire, c'est d'utiliser son créneau de lundi pour reporter là encore quelqu'un
d'autre de demain. Je pense à Monsieur SEBUDANDI ou
Monsieur MATATA, par exemple, qui pourraient venir plutôt lundi et on regagne
encore une heure.
Le Président : Monsieur SEBUDANDI vient demain…
Me. GILLET : Est-ce qu'il a reçu la convocation ?
Le Président : Alors, une autre personne…
Me. GILLET : Ou Monsieur MATATA ?
Le Président : Une autre personne, qui lundi risque de ne pas venir, c'est Monsieur
Degni SEGUI, parce que je ne suis pas certain qu'il ait pu être contacté. Le
rapporteur de l'ONU on a des boîtes postales à gauche ou à droite mais…
Me. GILLET : Mais on peut reporter Monsieur MATATA éventuellement parce que ça
permettrait, à ce moment-là, d'avoir une quasi demi-journée avec Madame DESFORGES,
ce qui je crois est le minimum raisonnable.
Le Président : Je ne vois pas d'inconvénient. Est-ce qu'il y a des observations des
autres parties ? Monsieur MATATA habite en Belgique ?
L’Avocat Général : Je ne sais pas si Monsieur SEBUDANDI
effectivement a reçu déjà sa convocation. Madame DESFORGES
l'a reçu. Mais elle est en Belgique ou pas ?
Le Président : Alors voilà, moi je vous suggère ça pour le moment, Maître BEAUTHIER ?
Me. BEAUTHIER :
NSANZUWERA je crois que c'est important de lui fixer un timing peut-être maintenant,
c'est quelqu'un également qui va beaucoup en Afrique, qui a beaucoup à faire,
son témoignage me paraît capital. Vous avez retenu le 11 mai, peut-être qu'on
pourrait lui proposer, ne serait-ce que comme date relais, le 11 mai.
Le Président : Oui ce sera le… je crois pour le moment en tout cas ne pas mettre
autre chose…
Me. BEAUTHIER : Il faudrait peut-être pouvoir… ce sont des personnes, qui malheureusement
pour nous, heureusement peut-être pour elles et pour ceux à qui elles s'adressent,
sont souvent sur les routes et donc, si on lui fixait le 11 mai, il pourrait
vous dire qu'il n'est pas libre le 11 mais le lundi suivant.
Le Président : Oui.
Me. BEAUTHIER : Je vous remercie.
Le Président : Voilà. Donc, demain nous entendrons Monsieur REYNTJENS, Madame DESFORGES,
Madame BRAECKMAN, Monsieur NSANZUWERA on ne l'entendra pas demain. Monsieur
SEBUDANDI et alors on va faire déplacer Monsieur MATATA, Monsieur MATATA on
devrait le déplacer au lundi 23 à 14 heures 30 disons. Nous aviserions déjà
que Monsieur NSANZUWERA François, qu'on retient actuellement la date du 11 mai
à 14 heures, mais ce serait peut-être aussi pour Monsieur GUICHAOUA ou alors,
on fait venir Monsieur GUICHAOUA carrément le lundi suivant. A moins qu'on ne
soit dans un pont, il faudrait que je vérifie ça. Pour le moment retenons toujours
ça. Retenons toujours ça. Ceci dit, ces dates sont encore provisoires parce
que ça risque de se prolonger, hein. Evidemment, il y aurait peut-être des gens
qui ne viendront pas non plus mais on sait déjà, notamment, que Madame le témoin 91
Bernadette, qui est prévue le mercredi 25 avril à 16 h 10, ne viendra pas, on
est, dans, là déjà dans des témoins particuliers et le témoin 76 le 26 avril
a signalé qu'elle ne viendra pas, Monsieur le témoin 142 Vianney a signalé
qu'il ne viendrait pas. Messieurs le témoin 3 et le témoin 12, les autorités rwandaises
ne souhaitent pas qu'ils viennent parce qu'ils font l'objet de dénonciation
là-bas semble-t-il, et de poursuites et que les autorités rwandaises craignent
que vous pouvez peut-être donner une autre explication que celle donnée par…
le motif en ce qui les concerne, je crois qu'on a reçu un courrier en ce qui
les concerne. Ça vient d'où ? Du procureur de la République à Gisenyi,
les témoins à décharge encore qu'ils étaient à charge pour le moment considérés
comme étant à charge. Cités par Monsieur HIGANIRO Alphonse donc, le témoin 3
et le témoin 12 Anastase ont été accusés des mêmes faits. Alors ? il y a le témoin 123
Olivier qui avait porté plainte vous comprendrez alors qu'il est pratiquement
impossible que quelqu'un puisse être à la fois auteur et/ou complice et témoin
à décharge dans une même affaire. Encore faudra-t-il assurer leur retour s'ils
partaient, de peur qu'ils n'échappent à la justice rwandaise ?
Me. HIRSCH : On peut vous
demander de faire joindre cette lettre au dossier.
Le Président : Oui, mais tout ça se trouve au dossier et vous
savez, se trouvera au dossier. Madame le témoin 76… sont des procès-verbaux que
la police judiciaire, qui essaie d'organiser sur place l'arrivée des témoins
rwandais, adresse pour faire rapport de ce qui se passe. Hein, Madame le témoin 76
Rose et Monsieur le témoin 142 ne viendront pas pour des raisons professionnelles.
le témoin 91, nous n'avons pas su la contacter, donc il est fort possible
qu'elle ne soit pas contactée ou contactable et ne puisse donc pas recevoir
son visa. Son mari est détenu mais pas elle. Voilà. Mais je dirais que ces petits
temps qui sont prévus dans les auditions ne sont pas suffisants que pour permettre
de remettre, par exemple, Monsieur GUICHAOUA hein. Voilà. Donc, pour aujourd'hui
nous en avons terminé. L'audience va être suspendue, elle reprendra demain matin
à 9 heures. Je vous souhaite à tous une bonne soirée. |
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