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6.1. Interrogatoire de Vincent NTEZIMANA
Le Président : Je vais vous
demander, Monsieur NTEZIMANA, de bien vouloir vous lever. Je rappelle aux membres
du jury que les faits qui sont reprochés à Monsieur NTEZIMANA sont exposés dans
l’acte d’accusation aux pages 9 à 19. Avant que je n’entame, je vais demander,
pour autant que les parties soient d’accord, à ce que soit distribué aux membres
du jury un exemplaire de « L’appel à la conscience des Bahutu » et
« Les dix commandements » qui est l’exemplaire dactylographié qui
figurait dans le dossier de presse retrouvé au Rwanda, par Monsieur DUPACQUIER
et qui est annexé au procès-verbal d’audition de Monsieur DUPACQUIER. Lorsqu’il
remet à la police judiciaire ce document, il y a à la fois l’exemplaire de Kangura
et le document qui a servi de base à la rédaction de cet article, à l’impression
de cet article dans Kangura et c’est donc une annexe à la pièce qui figure dans
le clas… dans le dossier 3795, classeur 27, sous-farde 93, pièce 1. Si vous
voulez… Les parties sont d’accord pour qu’il soit procédé de la sorte ?
Parce que, Monsieur NTEZIMANA, bien que ce document ait été établi en 1990,
et publié d’ailleurs au Rwanda en 1990, c’est-à-dire à une époque où la loi
de 1993 n’existait pas encore, la loi belge de 1993 qui permet de poursuivre
en Belgique, des faits commis à l’étranger, par des étrangers qualifiés de crimes
de droit international, et que donc, on ne puisse pas, en tant que tel, vous
reprocher ce document, il n’empêche qu’il apparaît que c’est quelque chose qui,
dans l’instruction et dans l’acte d’accusation, même si cela vient à la fin
de l’exposé des faits, semble prendre une importance considérable. Mesdames
et Messieurs les jurés, vous avez maintenant, j’imagine, sous les yeux ce document.
Vous allez pouvoir l’examiner. C’est un document dont on peut résumer qu’il
s’agit d’un appel à la haine raciale ou ethnique.
Vincent NTEZIMANA : Je suis
d’accord avec vous, Monsieur le président, c’est un document ignoble, mais
je réfute toute accusation visant à affirmer que j’en serais l’un des rédacteurs
ou des diffuseurs.
Le Président : Et si j’en
viens d’abord à ce document-là, c’est parce que, chronologiquement, il est quelque
part bien avant les autres faits qu’on vous reproche. Les autres faits se situent
en avril-mai 1994, hein. C’est vrai qu’on ne sait pas vous le reprocher en tant
que tel mais, si vous êtes l’auteur d’un tel document, il est vrai que cela
fait, j’imagine, mauvaise impression, cela fait… cela fait un peu mal dans le
tableau de votre personnalité.
Vincent NTEZIMANA : Monsieur
le président, si j’avais participé à la diffusion de ce tract, j’aurais honte
de moi-même. Et je dois vous dire, les premières accusations concernant cet
« Appel à la conscience des Bahutu » ont démarrées à Louvain-la-Neuve
par un témoin qui a déclaré : « Voilà, la personne qui était avec
moi dans mon bureau, dans les années entre 1987 et 1992, affirmait l’avoir aperçu
sur l’écran de mon ordinateur ». Ceci étant, le texte, en tout cas la forme
que j’ai aperçue au dossier, a une forme typographique complètement différente.
On peut, les experts pourraient le vérifier, il y a des témoins qui ont été
entendus à ce propos, eh bien, c’est un caractère typographique qui diffère
complètement du caractère typographique du type de traitement de texte que nous
employions au laboratoire du département de l’unité d’astronomie. Ensuite, cette
version ayant raté, eh bien, notre version est venue, la première version date
déjà d’août 1994.
Le Président : Est-ce que
vous pouvez… ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
Monsieur le président ?
Le Président : Cette première
version, elle vient de qui ?
Vincent NTEZIMANA : Elle
vient du témoin 76 qui signale aux enquêteurs, le 27 février…
Le Président : Un petit instant.
le témoin 76 est la personne dont un témoin vient de nous dire cet après-midi
qu’il s’agit d’un faux témoin qui ferait d’ailleurs l’objet d’une mise en examen,
qui aurait été déchue ou expulsée du Parlement, parce qu’elle fait, contre diverses
personnes, de fausses accusations ?
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Donc, le 27 février 1995, entendue par la PJ, la police judiciaire, elle déclare
que le témoin 124 lui a dit avoir aperçu, donc, le libéré du tract…
Le Président : le témoin 124
est quelqu’un qui vient du Rwanda comme vous, qui étudie comme vous, qui fait
des recherches comme vous à cette époque-là, à l’UCL ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact, Monsieur le président.
Le Président : Qui partage
également votre bureau ?
Vincent NTEZIMANA : Exact,
Monsieur le président.
Le Président : Pour situer
un peu la personne.
Vincent NTEZIMANA : Ah! oui,
merci Monsieur le président. J’essaierai de donner des précisions si je sens
que c’est nécessaire, Monsieur le président. Eh bien, le témoin 76 fait
cette déclaration-là, où BONFILS lui aurait dit que, soit dit au passage, BONFILS
était à l’époque trésorier de la section du FPR en Belgique, à l’époque où moi,
j’étais secrétaire de la section du MDR en Belgique. On avait des relations
professionnelles mais on savait bien que nos idées, que nos politiques étaient
différentes. Et bien plus tard, le 9 mai 1995 précisément, le témoin 124, entendu
par la première commission rogatoire, signale au juge VANDERMEERSCH que l’étudiant
zaïrois qu’il connaît très bien, pour qui… qui a dactylographié sa thèse…
Le Président : Un petit instant,
n’allez pas trop vite. le témoin 124 qui est entendu lors d’une des commissions
rogatoires du juge d’instruction VANDERMEERSCH, ne va pas dire avoir vu ce texte
sur votre ordinateur ?
Vincent NTEZIMANA : Non,
ce n’est pas ce qu’il dit cette fois-là, ce n’est pas la version qu’il donne.
Entre-temps, il est rentré au Rwanda, il est enseignant à la faculté des sciences.
Donc, il va dire : « Voilà, le texte a été dactylographié par
un étudiant zaïrois jobiste au magasin Copy Fac ». Et je le connais…
Le Président : A Louvain-la-Neuve ?
Vincent NTEZIMANA : C’était
à Louvain-la-Neuve. Il dit : « Je le connais », parce qu’il a
dactylographié ma thèse, il donne sa description, sa morphologie, les études
qu’il fait et sa situation familiale. Au retour des enquêteurs du Rwanda, on
m’interroge. Je m’insurge contre la déclaration, en signalant que c’est une
nouvelle version et en demandant que l’on identifie cet étudiant zaïrois, que
je ne connais pas, qui aurait pu déclarer des choses pareilles, qu’il soit entendu.
J’ai constaté que, le 16 mai précisément 1995, par apostille du juge d’instruction,
il a demandé à l’enquêteur Jean de STEXHE, commissaire de police de Louvain-la-Neuve,
d’identifier cet étudiant zaïrois. Depuis cette date-là, je n’ai pas cessé d’insister
auprès des enquêteurs pour que cet étudiant zaïrois soit identifié. Il faudra
aller jusqu’en novembre, précisément le 28 novembre, je crois, que la police
d’ici, donc la PJ, fasse une descente à Louvain-la-Neuve, l’enquêteur d’Ottignies-Louvain-la-Neuve
n’ayant rien fait. Ils arrivent à Copy Fac, ils demandent au patron de Copy
Fac s’ils ont conservé des dactylographies qui datent d’il y a cinq ans. Le
patron dit : « Non ». On lui dit au motif, ils demandent s’il
y a un étudiant zaïrois qui travaillait. Il signale que oui. Alors, le monsieur
dit : « Il faudra le trouver parce qu’il n’y a plus, il n’y a personne
d’autre qui pourrait vous renseigner parce que ma fille qui y travaille était
en congé de maternité ».
Eh bien, cet étudiant zaïrois identifié, on lui montre le texte que
l’on prétend qu’il a dactylographié, qu’il a signalé qu’i l’a dactylographié,
qu’il était très, euh…très gêné de constater en le dactylographiant que c’était
un texte extrémiste, qu’il aurait même demandé à le témoin 124 : « Mais
comment êtes-vous les Rwandais ? ». Eh bien, quand cet étudiant aperçoit
le texte qu’on lui montre, il est étonné. C’est une déclaration qui date du
12 décembre 1995, Monsieur le président, le 12 décembre 1995. C’est une pièce,
je pourrais vous en citer la référence qui figure au dossier. Il s’étonne, il
ne comprend pas. Il signale qu’il connaît BONFILS, qu’il le connaît bien, qu’il
me connaît de vue, mais que je ne lui ai jamais donné ce texte et qu’il ne l’a
jamais dactylographié. Eh bien, deux jours plus tard, le patron de Copy Fac,
d’initiative, prend contact avec l’enquêteur, enfin d’après les procès-verbaux,
l’enquêteur d’Ottignies-Louvain-la-Neuve, en disant : « Vous savez,
j’ai le témoin que vous cherchez qui a rédigé l’appel à la conscience des Bahutu
». La personne en question déclare que Vincent NTEZIMANA…
Le Président : Qu’il s’agit
de Madame le témoin 50…
Vincent NTEZIMANA : Madame
le témoin 50.
Le Président : …qui est la
fille du gérant.
Vincent NTEZIMANA : La fille
du patron, oui, du patron de Copy Fac. Elle dit qu’elle reconnaît le texte et
quand l’enquêteur lui demande : « Est-ce que tu le reconnaîtrais parmi
les photos ici ? Est-ce que vous reconnaissez parmi les photos que… ici,
la personne qui vous a commandé la dactylographie ? ». Eh bien, l’enquêteur
avait pris soin, la PJ lui avait envoyé une dizaine de photos de format carte
d’identité, et parmi ces photos figurait une des miennes. Eh bien, il a ajouté
un agrandissement pratiquement 2/3 de A4, un agrandissement d’une autre photo
de moi, c’est la n° 4, je crois, dans la confrontation des photos. « Alors
Madame ? », Madame qui dit : « Parmi les personnes que vous
me montrez, ah oui, c’est celui-là, la grande photo ». L’enquêteur dit :
« Ah oui, c’est bien Vincent NTEZIMANA dont il s’agit ». Donc, on l’interroge,
elle confirme que je lui aurais donné, donc… Elle dit : « Oui, c’est
lui qui m’a donné ce texte-là ».
On nous a confrontés, plus tard, je crois que c’est le 19 janvier
1996. Elle a persisté dans ses déclarations que je démens, mais j’avais lu sa
déclaration et… elle avait ajouté qu’elle me connaissait très bien parce que,
dit-elle, j’étais un client régulier du magasin, que je lui apportais d’autres
documents d’une association d’étudiants, la Communauté des étudiants rwandais
en Belgique. Que j’en étais, à ce moment-là, elle avait un doute, elle disait :
« Président, ou secrétaire général », dans sa précédente déclaration.
Mais alors, à ce moment-là, lors de la confrontation, j’ai tenu à demander des
précisions, des indices sur lesquels elle se basait pour affirmer que j’aurais
été secrétaire ou président de l’association. Et elle dit : « Puisque
vous me les ameniez tout le temps et que vous les signiez, ces documents ».
Des documents de l’association. Je dis : « Vous voulez donc dire… »,
et elle affirme qu’on avait sympathisé, qu’il n’y avait pas lieu de se tromper
à mon sujet. Et j’ai dit… j’ai demandé aux enquêteurs de consigner sa déclaration
au procès-verbal, donc, c’est une confrontation du 19 janvier 1996.
Et donc, je dis, je demande à l’enquêteur de lui demander si, comme
elle prétend qu’on avait sympathisé et qu’elle dit que je signais les documents,
est-ce que je les ai signés devant elle, je prenais le soin d’aller vérifier.
Elle dit : « Non, peut-être pas, mais à partir du moment où je mettais
en bas des textes, votre nom pour signature, je vous connaissais très bien,
il n’y a pas d’erreur possible », me dit-elle. Eh bien, à ce moment-là,
j’ai dit à l’enquêteur que je ne voulais plus faire de déclaration en présence
du témoin parce que j’avais effectivement… que j’ai donnée, eh bien, ma déclaration
était la suivante : « J’ai recueilli tous les documents de l’association,
la Communauté des étudiants rwandais en Belgique, qui a été créée le 6 octobre
1990 ». J’ai recueilli tous les documents qui datent du 6 octobre 1990
au… 31 janvier ? Ou 31 mars ? 31 janvier 1991, tout, c’est une pile
comme cela. J’ai dit aux enquêteurs : « Messieurs, si vous identifiez,
ne fût-ce que mon nom, même sans signature, ne fût-ce que mon nom, eh bien le
témoin prétend qu’on avait sympathisé, que j’étais un client régulier du magasin,
et que donc, elle ne pouvait pas se tromper sur moi, qu’elle mettait mon nom
en bas, pour signature. Eh bien, si vous identifiez mon nom, même sans signature,
eh bien, je ne vous dirai plus rien, je… je serai incapable de me défendre à
ce moment-là. Mais, mais, alors soyez conséquents, j’ai dit : « Soyez
conséquent. Elle vous affirme que la personne qui lui remettait… qui lui a remis
« L’appel à la conscience des Bahutu », lui remettait les documents
de la Communauté des étudiants rwandais en Belgique et que cet individu-là avait
son nom en bas des documents de la Communauté des étudiants rwandais en Belgique,
qu’il les signait, il faudra se poser la question… ». Parmi le public, s’il
y a une personne qui connaît, qui a aperçu un document de la CERB que j’aurais
signé, où j’aurais figuré, éventuellement comme membre du comité exécutif de
coordination ou ne fût-ce que la signature comme membre, eh bien, là, Monsieur
le président, je m’inclinerai.
En revanche, en revanche, si on n’en trouve pas, alors je pose la
question fondamentale : « Pourquoi est-ce que le témoin persiste à
affirmer que j’étais secrétaire général de cette Communauté des étudiants rwandais
en Belgique et que je signais ces documents ? ». Je signalerai au
passage que des déclarations antérieures ressortaient des déclarations de mon
accusateur, GASANA Ndoba, qui disaient que j’étais membre du comité exécutif
de la CERB. Eh bien, je n’ai jamais, jamais alors, été membre du comité exécutif
de la CERB, c’étaient 4 personnes ; ni du comité de coordination de la
CERB, c’étaient 12 personnes ; ni du commissaire aux comptes, c’étaient
2 personnes. Je n’ai jamais figuré dans les organes dirigeants de cette communauté.
Je me demande pourquoi est-ce que mon accusateur, quand il déclare devant
la PJ : « vérification faite, j’ai constaté que Vincent NTEZIMANA
était membre du comité exécutif de la Communauté des étudiants rwandais en Belgique »,
et que, du coup, Madame le témoin 50 commet la même erreur, Monsieur le président,
je m’interroge. J’ajouterai qu’au dossier, figure un tract, un tract…
Le Président : Nous allons
y venir, si vous voulez bien parce que, même si, chronologiquement, c’est sans
doute, sans doute, le dernier document qu’on vous reproche, parce qu’il n’est
pas daté, ce document. Il s’agit d’un tract AREL.
Vincent NTEZIMANA : Oui,
c’est exact, Monsieur le président.
Le Président : Un tract…
je dis vraisemblablement le dernier qu’on vous reproche, chronologiquement,
parce que ce dont parle ce document semble être postérieur aux faits qui se
sont déroulés au Rwanda en avril-mai 1994. Il semble être adressé à la communauté
Hutu qui se trouve dans des camps de réfugiés.
Vincent NTEZIMANA : Exact,
Monsieur le président.
Le Président : Et, euh… semble
donner des conseils pour se mêler aux autres et se faire passer pour des victimes
soi-même alors que l’on est… auteur du génocide. En gros, c’est cela. Mais ce
document n’est pas daté…
Vincent NTEZIMANA : Exact,
Monsieur le président.
Le Président : …ce document
n’est pas daté, et AREL signifie, selon ce document, Association Rwandaise d’Entraide
et de Liaison, communiqué du comité directeur, concerne tous les représentants
régionaux. Et il y a une série d’explications, de conseils, qui sont donnés,
et on suppose que c’est… tout aussi…, je dirais, Monsieur NTEZIMANA, s’il est
l’auteur de « L’appel à la conscience des Bahutu » de 1990, après
les événements, quelque part il persiste et signe, puisque… la devise de cette
association est et restera : « Vigilance, intolérance, efficacité ».
Et je dis : « Persiste et signe », parce que, sur ce document,
qui parvient à la police d’Ottignies-Louvain-la-Neuve par Monsieur GASANA Ndoba,
qui est partie civile mais qui lui-même reste très prudent sur la signature
figurant sur le document, il est indiqué en bas de ce document : « Pour
le comité directeur, le président de l’AREL, NTEZIMANA Vincent »,
et figure une signature, manuscrite, prétendue être votre signature.
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact, Monsieur le président.
Le Président : Et l’expertise
en graphologie a été faite à propos de cette signature et l’expert exclut que
vous puissiez être l’auteur de cette signature.
Vincent NTEZIMANA : J’ajouterais,
Monsieur le président, que l’introduction signale : « Faisant suite aux recommandations qui vous ont été données antérieurement
et qui sont parues dans nos médias, Kangura, la RTLM et autres… »,
eh bien, voilà, c’est un texte que je ne vais pas évoquer, c’est un texte ignoble,
c’est… c’est de la même gravité, de la même horreur que « L’appel à la
conscience des Bahutu », si pas plus en fait, hein, qui donne une série
de consignes disant qu’il faudrait liquider les rescapés parce que l’élimination
aurait été un échec, parce qu’il y aurait des rescapés, enfin, bref… et on me
l’attribue, effectivement, on me l’attribue. Je l’ai aperçu à Louvain-la-Neuve
au mois de février 1995, Monsieur le président, et je me suis plaint, j’ai déposé
une plainte pour faux et usage de faux. Jusqu’à mon arrestation, il n’y avait
pas encore eu d’enquête là-dessus mais, comme vous le signalez, effectivement,
une enquête graphologique m’a mis hors de cause. Et, et… tout de même on peut
s’interroger : Pourquoi ? Je ne demande qu’à savoir pourquoi. Je signalerai
aussi, c’est vrai, on en a envoyé un exemplaire à la PJ mais le témoin 76
en a envoyé un aussi le… 15 mars à la police d’Ottignies-Louvain-la-Neuve. Le
15 mars 1995.
Le Président : Alors, dans
le dossier, Monsieur NTEZIMANA, entre ce document-là, de 1990, ce document postérieur
à mai 1994 mais non daté, figure dans le dossier, à propos de votre personnalité
que l’on décrit, de 1990 à 1994, comme étant celle d’un Hutu extrémiste, par
ces deux documents, dont un, vous dites : « Ce n’est pas moi qui l’ai
écrit - L’appel à la conscience des Bahutu - je n’ai pas participé à sa
rédaction, je n’ai pas participé à sa diffusion » ; et l’autre, qui
n’est pas moins Hutu Power que le premier. Pendant ces quatre ans, qu’est-ce
qui se passe ? Pendant ces quatre ans, quelle est la personnalité de Monsieur
NTEZIMANA ? Premier document, vous dites : « Je n’y ai pas mis
la main ni la pensée. L’autre, l’expertise graphologique démontre que je ne
peux pas être la signature de cette lettre ». Entre les deux, dans le dossier
d’instruction, il y a des gens qui sont entendus à propos de vous. Vous nous
avez fait votre curriculum vitae et votre parcours à la fois professionnel et
politique. Mais dans le dossier, on entend des gens à propos de vous. Quel genre
d’homme est ce, Monsieur NTEZIMANA ? Alors, il y a des gens qui disent :
« Monsieur NTEZIMANA, effectivement, depuis 1990 et peut-être même bien
avant, Monsieur NTEZIMANA c’était un Hutu extrémiste ». Et puis il y en
a d’autres qui disent : « Non, Monsieur NTEZIMANA, c’est… c’est un
modéré ».
Vincent NTEZIMANA : Oui,
Monsieur le président. J’ai effectiv…
Le Président : Alors, je
vais même jusqu’à dire que pour certains, la démonstration de votre extrémisme,
ce sont des conversations dans un train ou dans un bus, et avec une phrase qui
est extraite de la conversation que vous avez, hein…
Vincent NTEZIMANA : Mais,
Monsieur le président, donc... j’ai consulté, comme vous sans doute, ces déclarations-là.
Il y a un certain nombre de témoins qui, qui prétendent que je serais un extrémiste-né,
pratiquement, hein. Et, si vous le permettez, si vous le permettez, parce qu’entre-temps,
vous avez effectivement raison du dire, il y a 4 ans entre les deux documents,
mais entre-temps, d’autres documents, j’ai publié d’autres documents, en tant
que militant politique affilié au MDR. Et j’ai dénoncé, je crois savoir, je
suis parmi les tout premiers, les toutes premières personnes à avoir dénoncé
la création en cours de la milice Interahamwe, j’ai publié à cet effet un communiqué,
publié le 9 janvier 1992, parce que j’avais des informations comme quoi un groupe,
une milice, était en cours de création. Je l’ai diffusé en Belgique, ce document
a été retrouvé aussi par la PJ, qui a été fouillé tous les documents que je…,
donc, sur mon ordinateur où je travaillais, entre 1987 et 1995. Ils l’ont retrouvé
mais il a été aussi répercuté dans la presse, après. J’ai vraiment été parmi
les premiers à avoir dénoncé cette milice. Les massacres dont on a parlé, de
Bugesera, qui se sont produits en mars 1995, si vous permettez…
Le Président : En mars 1992.
Vincent NTEZIMANA : En mars
1992, Monsieur le président. Si vous me permettez que je lise simplement un
passage, vous permettez ? Oui ?
Le Président : Tous les documents
auxquels vous faites allusion, et dont vous avez peut-être, au cours de cet
interrogatoire, souhaité lire des extraits, sont des documents que vous avez
transmis au juge d’instruction ou qui ont été trouvés chez vous, euh… donc,
qui se trouvent aussi dans le dossier. Ce ne sont pas des pièces comme cela,
je le dis à l’attention du jury, que vous sortez de votre chapeau maintenant ?
Vincent NTEZIMANA : Non,
Monsieur le président. En fait, les enquêteurs ont passé plusieurs semaines
au laboratoire où j’effectuais des recherches à Louvain-la-Neuve, à l’Institut
d’astronomie. Eh bien, il y a donc des copies de fichiers qui sont effectuées
tous les jours au laboratoire depuis des années et qui concernent tous les textes.
Eh bien, les enquêteurs s’y sont rendus à plusieurs reprises fin 1995. J’étais
alors à la prison, pour… parce qu’ils avaient des déclarations, enfin, de… de
témoins, me qualifiant d’extrémiste né, pour vérifier, donc. Ils ont imprimé
tout un tas de pages, plusieurs milliers de pages, et ils avaient des mots de
code pour identifier des textes qui auraient pu inciter à la haine. Eh bien,
ils ont trouvé le contraire, je crois.
Et, donc, ce sont des documents qui se trouvent au dossier. J’en
ai transmis certains mais ils ont été retrouvés sur l’ordinateur où je travaillais,
donc, ce sont des documents dont l’authenticité pourrait être difficilement
contestée, en tout état de cause, Monsieur le président. Alors, si vous le permettez,
je lis le petit passage, euh… un extrait. C’est un document que je publie en
juin 1992, suite aux massacres… Avant, avant juin 1992, je m’étais exprimé dessus
aussi mais ici, c’est un document qui fait le récapitulatif suite aux massacres
de mars 1992. Je dis : « Au début du mois de mars 1992, un document
d’une prétendue commission interafricaine pour la non-violence, qui énumérait
une liste de personnalités que le FPR devait assassiner avec la complicité du
PL, a été diffusé à plusieurs reprises à la radio nationale. Après la diffusion
de ce communiqué et des tracts incitant à la haine, des violences se sont déclenchées
au Bugesera. Le comportement du bourgmestre RWAMBUKA, alors membre du Comité
national du MRND, au cours de ces violences, a été dénoncé à plusieurs reprises
mais il n’a pas été inquiété ». Vous comprendrez bien, Monsieur le président,
qu’un éventuel auteur de « L’appel à la conscience des Bahutu » aurait
réagi tout autrement, suite à ces massacres. Ce n’est pas le seul document,
Monsieur le président.
Le 26 mars 1992, c’est un communiqué de presse que j’ai publié, suite
à des violences du même style qui s’étaient produites dans la commune de Nyakabanda,
au Nord-Ouest de la préfecture de Gitarama. Je signale que des militaires de
la garde présidentielle, accompagnés de 50 gendarmes et de miliciens armés de
machettes et de gourdins, ont fait une chasse à l’homme. Je veux bien qu’on
me qualifie d’extrémiste, mais tout de même, on doit se rendre compte de l’évidence.
Un extrémiste… un extrémiste ne réagit pas comme cela, suite à des violences.
C’est vrai, il y a des déclarations qui m’étiquettent d’extrémiste,
qui font l’impasse sur mes réactions, mon attitude. Quand la violence se produit,
quand des pressions sur les partisans de la démocratie se produisent, j’aimerais
tant savoir, Monsieur le président, j’aimerais tant savoir pourquoi ces déclarations
sont faites.
Le Président : Pour en revenir
maintenant aux faits qui font l’objet précisément de l’acte d’accusation, il
y a 8 chefs d’accusation en ce qui vous concerne qui peuvent peut-être être
regroupés, parce que… la manière dont vous avez… dont il vous est reproché d’avoir
quelque part participé à ces faits est parfois la même, et parfois différente
aussi. Premier fait : on vous reproche d’avoir, dans le courant du mois
d’avril 1994, confectionné des listes… reprenant les noms de certains de vos
collègues et des membres de leur famille, quand je dis de vos collègues, je
veux dire de vos collègues à l’université de Butare et de leur famille, qui
souhaitaient fuir Butare. Ah, ils ne voulaient pas tous fuir dans la même direction,
ils ne voulaient sans doute pas tous fuir pour les mêmes motifs. On vous reproche
d’avoir établi ces listes qui reprenaient non seulement, les noms des personnes
qui désiraient fuir, mais également le numéro de leur carte d’identité, d’avoir
établi ces listes de votre propre initiative en votre qualité de président de
l’APARU, l’APARU étant le cercle académique ou…
Vincent NTEZIMANA : Vous
permettez ?
Le Président : Oui.
Vincent NTEZIMANA : L’Association
du personnel académique rwandais de l’université, c’est… c’était notre syndicat,
si vous voulez, Monsieur le président.
Le Président : Voilà. En
cette qualité-là et de votre propre initiative, vous auriez établi ces listes,
remises au vice-recteur de l’université, qui s’appelait, c’est nom…, c’est un
des noms les plus compliqués du dossier, Monsieur NSHIMYUMUREMYI, listes qui
n’ont jamais été retrouvées. Dans le cadre de l’instruction, on n’a pas mis,
à un moment donné, la main sur cette liste, des listes dont vous dites que vous
en avez effectivement été le rédacteur, qu’il s’agissait de listes manuscrites
et non dactylographiées. Vous dites que ce n’est pas de votre initiative mais
à la demande de divers collègues qui ont demandé à ce que ces listes soient…
soient établies. Vous pouvez rappeler quelles étaient les trois directions vers
lesquelles certains de vos collègues et leur famille voulaient fuir ?
Vincent NTEZIMANA : Si vous
le permettez, Monsieur le président…
Le Président : Oui, mais
je voudrais que vous répondiez à cette question-là.
Vincent NTEZIMANA : Oui,
les trois directions étaient Akanyaru, Cyangugu, (Akanyaru, c’est vers la direction
de Bujumbura, donc à la frontière rwando-burundaise, Cyangugu, c’est le Sud-Ouest
du Rwanda) et Gisenyi, c’est le Nord-Ouest du Rwanda, Monsieur le président.
Mais si vous permettez une petite rectification.
Le Président : Oui…
Vincent NTEZIMANA : Je crois bien que j’ai précisé
que j’ai écrit une lettre au vice-recteur, à laquelle j’ai annexé des listes
qui m’avaient été soumises par mes collègues, Monsieur le président.
Le Président : Oui…
Vincent NTEZIMANA : Ce n’est
donc pas moi qui ai rédigé les listes, ce sont les personnes qui demandaient
l’évacuation qui se sont fait inscrire auprès des personnes qui partaient dans
la même direction. Ils m’ont remis les listes, j’ai rédigé une lettre que j’ai
adressée au vice-recteur en annexant ces listes-là. J’avais demandé au vice-recteur
s’il y avait… si c’était envisageable, il m’avait dit : « En principe,
oui ».
Le Président : Donc…
Vincent NTEZIMANA : Suite
à une demande de mes collègues.
Le Président : Qu’est-ce
qui était envisageable ?
Vincent NTEZIMANA : L’évacuation.
Le Président : L’évacuation…
Vincent NTEZIMANA : Ah, oui,
oui.
Le Président : L’évacuation
de ces personnes qui souhaitaient être évacuées, avec notamment des véhicules
qui auraient pu être mis à disposition de ces personnes, par l’université ?
Vincent NTEZIMANA : Par l’université,
Monsieur le président. Et donc, après la demande de mes collègues, j’ai soumis
la question au vice-recteur, et il m’a dit : « L’évacuation est envisageable,
il faut m’adresser une lettre avec la liste des gens qui veulent partir ».
Je me suis adressé aux principaux intéressés, les personnes qui me l’avaient
demandé : « Eh bien, faites-le savoir aux personnes qui partent dans
la même direction que vous, qu’elles s’inscrivent. Vous m’amenez les listes
et j’écris une lettre où j’annexe les listes et je la transmettrai au vice-recteur ».
La démarche a été effectuée, si mes souvenirs sont bons, mais c’est vraiment
vague, ce n’est pas au jour près, je dirais à commencer, les premières demandes
m’ont été adressées, peut-être entre le 11 et le 13.
Et alors, donc, les gens, donc les gens, les personnes, je pourrais
citer les noms, donc vers Akanyaru, c’est le professeur KARENZI qui m’avait
contacté et à qui j’avais dit : « Il faut s’adresser aux personnes
qui partent avec vous pour que je fasse la démarche ». Vers Cyangugu, c’était
le témoin 15. Vers Gisenyi, si mes souvenirs sont bons, ce sont deux personnes,
Denis MUTAGOMA et François BANYERETSE, je crois. J’avais dit à chacun, eh bien,
de s’organiser, de me fournir des listes de gens qui veulent partir et je les
annexerai à la lettre que j’adresserais au vice-recteur. Et, ça a duré 3-4 jours.
Une fois les démarches terminées, j’ai rédigé la lettre effectivement, j’ai
annexé les listes, je les ai amenées moi-même, moi-même, chez le vice-recteur.
J’ai frappé à la porte. Une dame est venue, elle m’a dit : « Le vice-recteur
n’est pas là ». Je lui ai dit : « Voici une lettre. Là-dedans,
il y a une demande que je formule auprès du vice-recteur, il faut bien la lui
donner ». J’ai eu confirmation que le vice-recteur a eu la lettre, parce
que je lui ai téléphoné. J’ai dit : « J’ai déposé les listes chez
vous, Monsieur le vice-recteur, j’attends la réponse ». Il m’a dit :
« Je vais réfléchir ». Le lendemain, il m’a téléphoné pour me dire
qu’il avait appris que des barrages s’intensifiaient le long des routes et qu’il
était très risqué de laisser partir les Tutsi.
Donc, quand il me répond, nous sommes, je dirais, entre le 15 et
le 17, quelque chose comme cela. C’est très risqué d’envoyer des gens. Les Tutsi
se feront tuer sur les routes parce qu’il y a des barrages qui trient les Tutsi
sur base des cartes d’identité. Et il m’a dit : « Dans ces conditions,
je n’effectue pas d’évacuation parce qu’il faut se rendre compte que les plus
menacés sont les Tutsi, on ne peut pas évacuer les seuls Hutu alors que les
Tutsi sont les plus menacés », Monsieur le président.
Le Président : Il ne vous
a pas restitué cette… ces listes ?
Vincent NTEZIMANA : Quand
on adresse une correspondance à une autorité, quelle que soit la réponse, on
ne va pas récupérer la correspondance, autant que je sache, Monsieur le président.
Le Président : Oui, je ne
sais pas, il aurait pu se dire : « Au fond, vous voyez ces listes,
cela ne sert à rien puisqu’à la réflexion il y a maintenant des barrières. Je
vous ai dit déjà il y a quelques jours : « Peut-être bien qu’on peut
l’envisager mais maintenant c’est totalement exclu en tout cas pour une partie
de ces gens qui seraient des Tutsi et qui risqueraient d’être contrôlés ».
Il aurait pu dire : « Eh bien voilà, puisqu’on ne sait pas l’organiser,
on ne l’organise ni pour les Tutsi ni pour les autres…, je n’ai plus besoin
des listes, je vous les restitue ».
Vincent NTEZIMANA : Il n’a
pas dit qu’il n’avait plus besoin de listes, mais une correspondance est classée.
Quand on a une correspondance, quelle que soit la réponse, j’imagine qu’elle
est classée dans le courrier, quelle que soit la réponse, à mon avis. Je dois
dire, de penser à récupérer la correspondance, hein, la correspondance… Parce
que je n’avais pas en tête un quelconque usage néfaste dans le chef de ce recteur
à l’époque. Parce qu’à Butare même, le climat est calme. Dans le chef même du
vice-recteur, je n’avais pas idée de ce que le vice-recteur puisse les manipuler,
puisse s’en servir à mauvais escient, Monsieur le président.
Le Président : Vous avez
entendu ici un témoin qui disait, il y a quelques minutes, que selon qu’on figurait
sur une liste ou sur une autre, on pouvait être curieusement directement classé…
Vincent NTEZIMANA : Oui,
je l’ai entendu,
Le Président : …dans des
pro-KAMBANDA, pro-FPR…
Vincent NTEZIMANA : Oui,
je l’ai entendu, Monsieur le président mais je signalerai tout de même…
Le Président : Ceci dit,
cela se passe à un autre endroit et à un autre moment, mais je veux dire que…
Vincent NTEZIMANA : Monsieur
le président, je signalerai tout de même que plusieurs dizaines de personnes
avaient postulé pour l’évacuation et que, tant que je sache, parmi ces personnes-là
qui figuraient sur les listes, deux familles ont été malheureusement tuées mais
les autres sont encore en vie et pourraient en témoigner.
Le Président : Ce sont deux
familles qui se trouvaient sur la liste, qui souhaitaient gagner le Burundi ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact, Monsieur le président.
Le Président : Donc, c’est
la famille de Monsieur KARENZI et la famille de Monsieur… KANAMUGIRE ?
Vincent NTEZIMANA : Non,
ce n’est pas Hyacinthe… ce n’est pas Hyacinthe , euh… Hyacinthe… le, le nom
m’échappe.
Le Président : KANAMUGIRE,
ce n’est pas cela ?
Vincent NTEZIMANA : Non,
ça, cela m’étonnerait. Non, non, c’est, allez, Le prénom est Hyacinthe. Le nom
m’échappe… KAYISIRE, Monsieur le président.
Le Président : KAYISIRE ?
Vincent NTEZIMANA : KAYISIRE.
Le Président : Et donc ces…,
ces deux familles figuraient sur la liste à destination du Burundi. Il s’agissait
de deux familles de professeurs Tutsi ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
Monsieur le président. Mais je signalerai, je crois que…
Le Président : Vous dites
que sur cette liste il n’y avait pas que ces deux noms-là ?
Vincent NTEZIMANA : Il n’y
avait pas que ces deux noms-là. Il y avait d’autres personnes.
Le Président : Quand on dit :
« Ces deux noms-là », il y avait plus que leurs deux noms puisque
c’étaient eux leur famille, j’imagine.
Vincent NTEZIMANA : Oui,
oui, bien sûr, il y avait plus que… donc, j’ai parlé de familles, hein. J’ai
parlé de… oui, c’est vrai, j’ai dit : « 50 personnes », mais
en fait, j’avais à l’idée des petites familles. C’est le chef de famille qui
se faisait inscrire, en fait.
Le Président : Il y avait
uniquement le chef de famille qui s’inscrivait ou on mettait le nom et le numéro
de la carte d’identité de tout le monde ?
Vincent NTEZIMANA : Je n’ai
pas vérifié en détail, puisque je n’ai pas moi-même, constitué les listes, je
les ai annexées à ma lettre, je n’ai pas vérifié en détail, mais je ne vois
pas pourquoi ils auraient inscrit les membres. Peut-être. C’est possible. J’ai
annexé les listes, euh… je ne sais pas.
Le Président : Est-ce qu’il
y avait des numéros de cartes d’identité ?
Vincent NTEZIMANA : Pour
certains, c’est possible. Ils ont adopté une modalité de s’inscrire, je leur
ai demandé de se faire inscrire, ils m’ont donné des listes et je les ai transmises
au vice-recteur. Et, euh…
Le Président : Les cartes
d’identité, elles étaient délivrées par quelle administration ? La préfecture,
la commune ?
Vincent NTEZIMANA : La commune.
La commune, Monsieur le président.
Le Président : Sur les
cartes d’identité figurait l’ethnie.
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact, Monsieur le président.
Le Président : Depuis…
depuis le colonisateur belge de 1933, qui mesurait les têtes, les nez, les oreilles,
et tout cela ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact, Monsieur le président. Et je signalerai tout de même qu’à supposer que
je veuille ou que l’université veuille la liste des Tutsi et toutes les statistiques,
à chaque inscription, chaque recrutement demandait beaucoup de personnel, d’étudiants,
à chaque occasion, l’identification de la personne mettait systématiquement
l’ethnie. Si les autorités de l’université avait souhaité connaître les noms
des Tutsi parmi ses employés, ce n’était pas compliqué d’aller vérifier les
listings des membres du personnel. Ils n’avaient pas besoin de demander aux
gens de s’inscrire. C’était très facile d’aller chercher les listings des membres
du personnel, de voir quelle est leur ethnie. Les élèves, quand ils s’inscrivaient,
le recrutement quand il se faisait, on dit son nom, son prénom, le nom de son
père, de sa mère, son ethnie, son sexe… L’ethnie figurait systématiquement dans
toutes les statistiques, Monsieur le président. Donc, à mon estime, si les autorités
de l’université avaient voulu connaître quelle est l’ethnie des membres… quelle
est l’ethnie parmi les personnes qui figurent parmi les membres du personnel,
elles auraient été consulter les listings, elles n’auraient pas eu besoin de
demander au président de l’APARU. C’était, à ce moment-là, risquer de louper
ceux qui n’auraient pas voulu se faire inscrire, à ce moment-là, alors…
Le Président : Est-ce qu’il
n’y avait pas eu aussi un autre mode de recensement ? Je ne parle pas de
l’université, mais pour Butare même, il n’y avait pas une espèce de recensement
par habitation, savoir qui habitait normalement à telle adresse ou à tel… où
dans telle maison ?
Vincent NTEZIMANA : Quand
je suis rentré, en 1993, j’ai entendu dire, mais je ne l’ai pas vu personnellement,
qu’il y avait un système qui, donc… on a parlé de la manière dont le système
était contrôlé. Il y avait… les communes étaient subdivisées en secteurs, en
cellules, mais j’ai appris, j’ai appris en rentrant qu’il y avait aussi une
sous-division de « Nyumbakumi » comme on disait, un groupement
de 10 maisons, mais personnellement je n’ai pas pu le constater. Je l’ai entendu
dire, c’est peut-être cela, je n’en sais rien.
Le Président : Dans cette
division administrative, donc c’est : commune, secteur, cellule ?
Une cellule, cela représente… ? Et puis il y a encore autre chose en dessous
de la cellule ?
Vincent NTEZIMANA : Les Nyumbakumi.
Nyumbakumi, c’est donc… une expression swahili qui dit : « 10 maisons ».
Le Président : Et même, même
une cellule, cela représente combien de maisons ou de foyers, de… ?
Vincent NTEZIMANA : Les cellules
du MRND, cela dépendait, par exemple : des entreprises qui employaient
plus de 50 personnes. Dès lors qu’un groupement de personnes dépassait 50, cela
pouvait former une cellule…
Le Président : Ce n’était
pas nécessairement géographique, une cellule ?
Vincent NTEZIMANA : Il y
avait des cellules géographiques et des cellules dites spécialisées, qui seraient
par exemple associées à des employés d’un ministère, à des employés d’un établissement.
Cela formait une cellule, que l’établissement soit public ou privé. Et…
Le Président : Et dans ces
cellules, il y avait un chef de cellule ou un responsable de cellule ?
Vincent NTEZIMANA : Il y
avait 5 responsables de cellule. Mais cela, c’est… je crois que des témoins
l’ont expliqué assez, cela, c’est du temps du parti unique. Et, avec le
multipartisme, ce processus a été suspendu mais, donc, la cellule était dirigée
par un comité de… 5 membres, 5 membres, si mes souvenirs sont bons.
Le Président : Qui eux, nécessairement,
devaient connaître les 45 autres qui s’y trouvaient ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
les membres des cellules étaient dotés de pouvoirs… de sécurité, de justice,
enfin… bref. Ils connaissaient… ils connaissaient mieux les gens sous leur…
Le Président : Et quand on
connaît les chefs de cellules, on sait connaître qui est dans la cellule, on
sait et…
Vincent NTEZIMANA : Je m’en
doute.
Le Président : On sait… je
n’ose pas dire le mot, « travailler ». ?
Vincent NTEZIMANA : Je ne
me forcerai pas jusque-là, mais tous ceux qui veulent travailler, ceux qui voudraient
travailler dans le sens où je crois que vous le dites, eh bien…
Le Président : Ah, c’est
à vous de deviner. Parce qu’on va commencer à parler comme vous, en disant :
« Moi je vous dis quelque chose, mais devinez ce que je dis, parce que… ».
Vincent NTEZIMANA : Pour
ceux qui veulent perpétrer des massacres, je crois, je crois, je ne suis pas
certain, je crois que le plus facile serait d’utiliser le système existant de
contrôle : les 10 maisons, ensuite la cellule, le secteur et la commune.
C’est un système cadenassé, où tout le monde connaît tout le monde.
Le Président : Mais par
exemple, Butare, c’est combien d’habitants avant le 6 avril 1994 ?
Vincent NTEZIMANA : Je peux
juste vous donner une approximation, au pif, empirique, Monsieur le président,
je dirais : entre 30 et 50.000. Butare, le centre-ville, je veux dire.
La préfecture, cela je ne sais pas, je ne suis pas démographe, Monsieur le président.
Le Président : Bien. Ces
listes, elles ont existé. Vous dites, vous, ne pas les avoir établies vous-même.
Vous dites ne pas avoir pris l’initiative de ces listes.
Vincent NTEZIMANA : Monsieur
le président, dire que je ne les ai pas établies ne signifie pas que je ne les
assume pas. J’ai effectué la démarche d’évacuation. Je les assume.
Le Président : Oui, mais
ce n’est pas vous qui êtes allé chez vos collègues en disant : « Toi,
tu ne veux pas partir ? Où est-ce que tu veux aller ? Je mets ton
nom ici ? ».
Vincent NTEZIMANA : Non,
non. Ce sont les gens qui sont venus me trouver. Je n’ai jamais été chez personne.
Ils sont venus me trouver pour me demander, en tant que représentant du personnel
académique de l’université auprès des autorités, pour effectuer une démarche
d’évacuation. Après la réponse affirmative, donc provisoirement affirmative
du vice-recteur, je me suis adressé à mes collègues pour dire : « Voilà,
tu me l’avais demandé. Adressez-vous aux gens qui veulent partir dans la même
direction que vous et faites-vous inscrire. Je, je rédigerai une lettre à laquelle
j’annexerai les listes ». Donc, j’ai bel et bien effectué la démarche,
j’assume ces listes-là, mais ce n’est pas moi qui les ai rédigées, Monsieur
le président.
Le Président : L’assassinat
de la famille de Monsieur KARENZI. Monsieur KARENZI était plus âgé que vous ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
Monsieur le président.
Le Président : C’était un
voisin ? Il était…
Vincent NTEZIMANA : C’était
un collègue. Nos bureaux étaient contigus. Il était voisin, nos maisons étaient
séparées par, si mes souvenirs sont bons, 4-5 maisons, quatre maisons je crois.
Nous étions voisins effectivement.
Le Président : Vous vous
entendiez bien avec lui ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact.
Le Président : Il n’y avait
pas un problème de rivalité ? De poste de professeur, éventuellement…
Vincent NTEZIMANA : Oh, vous
savez…
Le Président : …ou de grade ?
J’imagine que cela existe aussi, les chargés de cours, les professeurs ordinaires,
extraordinaires ?
Vincent NTEZIMANA : Vous
savez, il n’y a pas de rivalité entre un jeune professeur qui rentre et un professeur
qui a 26 ans de carrière. Ce serait tout de même trop prétentieux. Nos bureaux
étaient contigus. Je me souviens, quand je rédigeais des projets de recherche,
nos bureaux étaient contigus, pendant les pauses je les lui soumettais pour
lui demander son avis là-dessus, c’était un bon collègue. Il n’y avait aucune
forme de rivalité entre nous, Monsieur le président.
Le Président : Il semble
en tout cas que lui avait confiance en vous, si lui notamment, et peut-être
d’autres, se sont entretenus avec vous de possibilités qu’il pourrait y avoir
par l’intermédiaire de l’université, d’organiser des évacuations, j’imagine
que, s’il s’est adressé à vous, même pour que vous ne fassiez que le relais,
c’est quand même qu’il…
Vincent NTEZIMANA : Pour
l’évacuation ?
Le Président : Oui.
Vincent NTEZIMANA : Euh…
je crois bien qu’il avait confiance en moi et moi j’avais confiance effectivement
en lui aussi, c’est exact.
Le Président : Butare reste
relativement calme, pour ne pas dire même tout à fait calme, jusqu’au… 19-20
avril ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact, Monsieur le président. Le centre-ville, ici, parce que, du haut des collines
où nous habitions, on voyait… le feu, la fumée. La fumée montait dans les collines
voisines… donc des maisons incendiées, et on se doutait bien qu’il s’agissait
de massacres. En fait, les massacres, un témoin en a parlé, qui était à Butare
comme moi en a parlé, il était du côté de Gikongoro, de notre côté c’est le
versant vers le Bugesera, donc c’est le Sud-Est…, oui, de Kigali, donc les massacres
se rapprochaient de Kigali et de l’autre côté de Gikongoro, et en fait…
Le Président : Une sorte
d’encerclement.
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Donc la ville, le centre-ville de Kigali était dans une sorte d’étau, oui. Euh,
les massacres dans le centre-ville, dans le centre-ville, ont éclaté, je crois,
le 20 ou le 21…
Le Président : Beaucoup des
personnes qu’on a entendues semblent dire que la violence qui éclate à Butare
le… le 20 avril, ou le 21 avril, fait suite à un discours qui est prononcé le
19 avril 1994, à Butare, par Monsieur SINDIKUBWABO, le président intérimaire,
qui était, je crois, originaire de Butare ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
il était originaire de Butare, Monsieur le président.
Le Président : Et qui a fait
un discours qui… qui semble être compris par une série de personnes comme étant
une incitation à commettre à Butare, des massacres comme il s’en passe ailleurs.
Vincent NTEZIMANA : Monsieur
le président, en fait… c’est un discours que… vous permettez ? C’est un
discours que j’ai personnellement entendu à la radio. C’est un discours qui
était pour le moins ambigu pendant une période de massacres. Nous avons l’art…
il y a un proverbe rwandais qui dit : « Abwirwa benshi akumva beneyo »,
je traduis : « La parole s’adresse à tout le monde mais seuls les
initiés la comprennent ». Autrement dit : « Un sage est celui
qui sait dire un discours qu’on peut interpréter différemment ». Les extrémistes
pouvaient facilement interpréter son discours comme un appel au « travail »
entre guillemets, un appel au « travail ». D’autres personnes ont
pu, je l’ai entendu ce discours-là, ont pu éventuellement l’entendre comme un
appel à la résistance au FPR. Ceci étant, ceci étant, je n’ai pas entendu, par
exemple, que les massacres étaient en cours. Et le président n’a pas prononcé
un seul mot pour dire : « Voilà, il y a des massacres, cessez de massacrer,
cessez de… ». Il n’a pas fait un appel. Autrement dit, l’interprétation
qu’on est censé y faire, selon les deux sens, est un appel, effectivement. Il
est ambigu mais, vu qu’on est en période de massacres, il ne dit rien à la population.
Le Président : Il ne s’y
oppose pas en tout cas?
Vincent NTEZIMANA : Il ne
s’y oppose pas…
Le Président : « Ici
c’est bien, vous ne vous êtes pas encore entretués, montrez l’exemple aux autres,
allez prêter »…
Vincent NTEZIMANA : Oui,
c’est plutôt la version que la population va comprendre, c’est que les massacres
en cours constituent le travail dont il parle, c’est tout à fait possible. Je
n’exclus pas l’éventualité que d’autres personnes aient compris : « Allez
vaquer à vos occupations », parce qu’effectivement il y avait aussi des
appels à ce que, je cite : « Compte tenu de la situation de guerre,
pour que la population puisse survivre, continuer à vivre, à ne pas mourir de
faim, il faut vaquer à ses occupations dans les champs ». Cela a aussi
été dit, mais plus explicitement, à d’autres occasions, Monsieur le président.
Le Président : En même temps
que survient ce discours, ou quelques heures auparavant, le préfet le témoin 32
est démis de ses fonctions et peut-être bien aussi, le responsable militaire de
Butare ?
Vincent NTEZIMANA : Ce que
j’ai entendu à la radio, c’est que le préfet était démis et remplacé par quelqu’un
d’autre. Pour ce qui concerne le commandant de la gendarmerie, je l’ai entendu
par d’autres sources. Même si cela avait été dit à la radio, je ne l’ai pas
entendu personnellement.
Le Président : Il semble
bien qu’il y a, à la fois, un discours et en tout cas des sanctions administratives
qui sont prises ? Alors il semble bien, d’après ce que nous avons entendu
des divers témoignages ici, que notamment le préfet était parvenu à garder le
calme à Butare, ne s’était pas lancé dans tous les processus dits de défense
civile ou de comité de défense, tout cela, il n’avait pas voulu le mettre en
place, il n’avait pas voulu distribuer d’armes, il n’avait pas voulu se lancer
dans des moyens qui permettaient peut-être l’escalade ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
vrai, c’est une coïncidence assez étonnante, Monsieur le président, et s’agissant
justement de Monsieur le préfet, je peux témoigner d’une réunion populaire.
Quand on parle de réunions populaires, les autorités appellent la population
à une réunion et reçoivent des instructions ou des communications officielles.
Donc, une réunion qui se situe, je dirais… le 16 ou le 17, où le préfet a été,
il y avait un représentant de l’armée, il y avait un représentant de la gendarmerie,
et il évoque des massacres perpétrés dans les communes périphériques dans Butare
et invite la population à rester solidaire, à s’organiser pour se serrer les
coudes et invite la gendarmerie et l’armée à soutenir la population pour lutter
tant contre une attaque éventuelle, parce qu’il y avait des rumeurs qui disaient
que du Burundi proviendrait une attaque, contre une attaque éventuelle du FPR,
contre les miliciens, contre les pillards, l’invitation était de se serrer les
coudes pour nous protéger mutuellement. Et je me souviens, un lieutenant de
la gendarmerie a dit : « Si la population nous soutient, ce qui s’est
passé à Kigali ne se produira pas ». Il est effectivement tout de même
étonnant, cette coïncidence, cette coïncidence entre son limogeage et le discours,
effectivement, tout de même, étonnante… Et conséquemment, le lendemain, les
massacres se sont produits, effectivement, oui.
Le Président : Bien. Monsieur
KARENZI, votre collègue qui occupe le bureau à côté du vôtre à l’université,
qui habite quelques maisons plus loin que chez vous, à partir du 6 avril 1994,
même s’il ne se passe rien de bien grave dans Butare même, j’imagine qu’on ne
se sent quand même pas très à l’aise. La guerre est en train de reprendre, peut-être
effectivement y a-t-il des bruits venant du Burundi aussi, peut-être bien que
le FPR pourrait attaquer, peut-être bien deux fronts. On ne doit effectivement
pas se sentir, malgré tout, tout à fait à l’aise à Butare à partir du 7 avril
au matin. Monsieur KARENZI, vous et d’autres, n’aviez-vous pas mis entre vous
une espèce de système de sécurité ou de gardiennage au point, sans pour autant
que cela ne revête le caractère de monter des barrières, etc. etc., d’être dans
cette fameuse défense civile. Est-ce qu’entre vous, vous n’aviez pas notamment
convenu d’appels téléphoniques, de choses de ce genre ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
c’est exact, Monsieur le président. Suite à une réunion du style de celle dont
je viens de vous parler, organisée par les autorités qu’il fallait se serrer
les coudes, nous nous sommes réunis dans la rue, enfin je veux dire les habitants
de la rue, pour voir dans quelle mesure on pouvait le faire. Et nous avons convenu
d’échanger les numéros de téléphone pour nous téléphoner, pour éventuellement
signaler, pour, si jamais quelqu’un est attaqué, pour éventuellement le secourir,
c’est exact, Monsieur le président.
Le Président : En ce qui
concerne la mort de Monsieur KARENZI, de son épouse et de ses enfants, qui ne
se passent pas d’ailleurs… toutes ces morts n’interviennent pas en même temps,
au même moment précis, mais elles se suivent dans le courant d’une journée pratiquement,
il existe un récit d’un témoin, Madame… je cherche… le témoin 134, qui se
trouvait dans la famille depuis un certain temps. En gros, elle explique que
dans le courant de la journée, je crois, du 21 avril 1994, vers 15h00, Monsieur
KARENZI, qui est à la maison, reçoit un appel téléphonique. Tout le monde est
à la maison, et ce compris les enfants parce qu’on fait la sieste à la maison
à ce moment-là. On craint certaines choses, on va parfois dormir la nuit à l’extérieur
dans la bananeraie, on essaie de ne pas être trop présent dans la maison
même, en tout cas la nuit parce qu’on craint qu’il se passe des choses et, donc,
quand on peut rentrer pendant la journée, on essaie aussi de prendre le repos
qu’on n’a pas pu prendre pendant la nuit. Monsieur KARENZI recevra un appel
téléphonique vers 15h00. Un appel téléphonique où, semble-t-il, il n’y a pas
de correspondant, ou en tout cas il n’y a pas de réponse qui est faite à Monsieur
KARENZI. Monsieur KARENZI semble intrigué par cet appel téléphonique alors qu’il
semblait avoir pourtant confiance dans ce système mis en place par les voisins
comme système de sécurité. S’opposant même à ses enfants et à son épouse, finalement
il n’avait pas pris la fuite, il ne s’était pas réfugié ailleurs. Monsieur KARENZI
reçoit cet appel, il n’y a pas de correspondant. Il semble comprendre qu’il
s’agit d’une vérification de savoir s’il est présent. On partage vite l’argent
que l’on a, on cache les enfants, ainsi d’ailleurs que la personne qui sera
seule survivante et qui sera témoin des faits.
Et puis, Monsieur KARENZI va recevoir la visite de militaires, il
va être emmené apparemment par ces militaires. On n’entend pas, à ce moment-là,
de coups de feu ni de violence ; il semble que Monsieur KARENZI soit emmené
par ces militaires. Les militaires reviennent voler, je ne sais plus, la télévision…
ou des appareils électroménagers. Un militaire cherche à savoir aussi où se
trouvent les enfants, parce qu’on ne voit pas d’enfants dans la maison. Les
militaires s’adressent à Madame KARENZI. Ils lui demandent si… elle est Tutsi,
en fait. Elle dit que non et on lui demande : « Est-ce que quelqu’un
peut attester que vous n’êtes pas Tutsi ». Elle dit : « Vincent ».
Et ce militaire téléphonerait à Vincent. Vincent aurait dit que… à ce militaire,
que Madame KARENZI était bien une Tutsi. Madame KARENZI va être, pas tout à
fait immédiatement, mais elle va être abattue par ce militaire. Les enfants
vont vouloir se réfugier avec le témoin dans un couvent ; ils vont s’y
réfugier et puis, dans les jours qui suivent, ce couvent lui-même va être attaqué.
On va rechercher en particulier, semble-t-il, mais pas seulement, les enfants
de Monsieur KARENZI, qui vont être tués, avec d’autres personnes. Je pense qu’on
pourra entendre ce témoin. Ce témoin qui a, semble-t-il, dans les jours mêmes
qui ont suivi, écrit le récit dans un petit cahier d’écolier, là, qui est arrivé
en possession de Monsieur GASANA Ndoba, Monsieur GASANA Ndoba étant le frère
de Monsieur KARENZI.
Ce témoin a été entendu lors de la commission rogatoire, a exposé,
je ne vais pas dire mot à mot mais presque mot à mot, ce qu’elle avait décrit
dans son petit cahier d’écolier, les mêmes étapes, les mêmes paroles, les mêmes
échanges avec, peut-être, sans doute, des divergences, et je dirais que c’est
peut-être ce qui rend la chose un peu moins suspecte, c’est que quand c’est
mot à mot la même chose, on dit que c’est la fable de La Fontaine qu’on a appris
à l’école et qu’on continue à réciter, tandis que lorsqu’on varie un peu dans
la manière d’expliquer les choses, c’est que ce n’est pas du par cœur. Ce qui
est troublant, ce qui est troublant dans cette affaire, c’est que personne ne
dit que vous avez envoyé les militaires ou en tout cas, dans ce témoignage,
on ne dit pas que c’est vous qui avez envoyé les militaires chez Monsieur KARENZI,
mais ce qui semble curieux, c’est cet appel téléphonique qui est fait par un
militaire, depuis la maison de Monsieur KARENZI, alors que Monsieur KARENZI
est déjà emmené. C’est cet appel téléphonique qui est fait à ce moment-là, à
quelqu’un dont le témoin dit qu’il s’agit d’un prénommé Vincent, et que le résultat
de cette conversation serait que le nommé Vincent dise à ce militaire :
« Madame KARENZI, elle est bien une Tutsi », que les enfants expliquent
à ce témoin que le Vincent doit être un collègue de leur papa à l’université,
et que des Vincent à l’université, il semble qu’il n’y en n’a pas 36, qu’il
n’y en n’a qu’un, et que ce Vincent, ce serait vous.
Vincent NTEZIMANA : Je peux… ?
Le Président : Ah oui, vous
pouvez vous exprimer, bien sûr.
Vincent NTEZIMANA : J’émets
une petite rectification par rapport à mes déclarations. J’ai dit effectivement
que j’étais le seul Vincent, mais c’était une erreur. Il y a un autre Vincent,
qui figure d’ailleurs parmi la liste des témoins, qui s’appelle le témoin 61
et qui était mon prédécesseur à l’APARU, qui était président de l’APARU juste
avant que je sois élu. Ceci étant, tel que vous me le dites, j’ai été interrogé
sur le témoignage lors de mon arrestation et je dois vous dire que les témoins
étaient surpris quand ils m’ont dit : « Monsieur KARENZI, est-ce qu’il
aurait pu faire appel à vous ? ». J’ai dit : « Sans doute,
oui ». Et c’est d’ailleurs cela qui m’a poussé à dire : « Je
crois que je serais sans doute le seul Vincent à qui Monsieur KARENZI pourrait
faire appel s’il était menacé ». Et je leur ai dit : « Ce n’est
pas parce qu’on m’accuse de l’avoir tué que je devrais le renier ». Je
devrais… je dois aussi vous signaler, Monsieur le président, en parcourant la
presse de l’époque, j’ai constaté dans un numéro, le 14 ou 16, de Kangura une
dénonciation où Kangura disait que des ennemis de la République, dont KARENZI,
dont KARENZI… je pourrais vous fournir un exemplaire, je ne l’ai pas ici avec
moi, il ne figure pas au dossier, mais je crois bien que c’est le n° 14 ou 16
de Kangura, Monsieur le président, dont KARENZI, dont KANYABUGOYI, et d’autres.
Je l’ai lu tard, récemment. C’est un écrit qui date de 1991 ou 1992, de Kangura,
qui le pointe du doigt, déjà à l’époque. Je signale que le professeur KARENZI
avait été membre du Comité central du parti au pouvoir à l’époque, pendant 10
ans. Pendant dix ans, donc jusqu’en 1991. De 1981 à 1991, il était membre du
Comité central. Les membres du Comité central ont un rang protocolaire de pouvoir
étatique, ils passaient en premier, ils étaient 24.
Donc, il a figuré vraiment pendant 10 ans, parmi les premières 24
personnalités de l’Etat. KARENZI était connu pratiquement de tous les Rwandais,
c’est un autre élément que je voudrais évoquer. Et figure au dossier une autre
déclaration d’un certain le témoin 103 au dossier, je n’ai
pas les références ici, qui dit que, peu de temps avant le déclenchement des
massacres, parce qu’il dit qu’il était voisin, donc c’est un rescapé Tutsi,
peu de temps avant le déclenchement des massacres, il a vu des policiers qui
passaient devant les maisons, qui inscrivaient des notes, dont il n’a pas connaissance.
Donc, ils sont passés chez lui, ils sont passés aussi devant la maison du professeur
KARENZI et, dit-il, ils ont continué ainsi de suite. Il cite le témoin de son
frère qui, dans un café, les policiers disent : « Voilà, nous avons
fini d’inventorier les Inyenzi », c’est un témoignage qui figure au dossier.
Donc, à mon estime, le professeur KARENZI était véritablement ciblé. On peut
se demander, parce que, d’après le récit, il n’a pas été la cible de bandits
ou de pilleurs. Et le témoin, le témoin 134, d’après son témoignage, signale que,
quand les militaires sont entrés, ils ont demandé où étaient Madame et les enfants,
ils sont devenus furieux à la réponse de Monsieur KARENZI qui leur dit que les
enfants n’étaient pas là. Ils étaient furieux.
D’après ce témoignage aussi, toute la famille KARENZI était recherchée,
je suppose, je ne peux pas l’exclure, en tout cas ce serait difficilement, difficile
à exclure. J’ajoute un élément, je n’étais pas personnellement à la maison,
j’étais chez des voisins, mais cela viendra plus tard. Je m’interroge si des
militaires, on dit que ce sont des militaires de la garde présidentielle, ont
attaqué un notable parmi les premiers, qu’ils soient venus comme des pilleurs,
comme le signale le témoin, s’ils ont demandé à Madame KARENZI quel est le nom
de la personne amie Hutu qui pouvait la sauver, ne serait-ce pas une stratégie
de torture, par exemple, Monsieur le président ? En tout cas, je n’ai pas
reçu de coup de fil, Monsieur le président.
Le Président : Vous dites,
en effet, je crois, qu’à ce moment-là vous n’êtes pas chez vous…
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Le Président : vous vous
trouvez dans…
Vincent NTEZIMANA : Chez
des voisins, en face…
Le Président : Chez des voisins,
qui étaient dans la villa de Madame le témoin 143, mais qui n’était pas occupée
par Madame le témoin 143 à l’époque ?
Vincent NTEZIMANA : Non,
c’était occupé par d’autres personnes qui avaient fui Kigali et qui logeaient
dans sa maison et qui étaient par ailleurs à plusieurs. J’ai cité les noms au
cours de l’instruction, je pourrais les citer à nouveau, s’il le fallait.
Le Président : Personne qui,
elle, ne va pas confirmer votre présence dans la maison de Madame le témoin 143
cet après-midi-là
Vincent NTEZIMANA : Oui,
mais…
Le Président : Mais dont
on dit : « Oui, mais… ». Madame le témoin 143 reprend contact en
disant : « Oui, mais cette personne m’a dit qu’elle avait subi des
pressions pour dire ce qu’elle avait dit ». C’est cela ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
c’est cela, c’est cela. J’ai vu les déclarations mais je signale tout de même,
le témoin, quand je l’ai cité, on l’a recherché au cours de la première… la
deuxième commission rogatoire, je crois ? à plusieurs reprises. Il a donné
rendez-vous et puis il n’est pas venu. Ensuite, il a dit qu’il ne voulait pas…
à la troisième commission rogatoire qu’il ne voulait pas faire de déclaration
parce que cela pouvait lui nuire, il a dit cela, avant sa déclaration. Ensuite,
il a effectué une déclaration où il me charge, effectivement, mais une déclaration
qu’il a refusé, refusé de signer, Monsieur le président, il a refusé de la signer.
Pourquoi a-t-il manqué au rendez-vous ? Pourquoi s’est-il caché ?
Pourquoi a-t-il dit qu’il n’entendait pas, en étant à Kigali, témoigner dans
cette affaire ? Pourquoi a-t-il refusé de signer sa déclaration, Monsieur
le président ? Si, si… parce que plus tard, une commission rogatoire va
l’interroger, il dira qu’il n’a subi aucune pression, qu’en fait, voilà maintenant,
il va déclarer en âme et conscience qu’il n’aurait rien à dire à ma charge,
ni à charge ni à décharge.
Donc, il se présente spontanément, parce qu’il est un peu bizarre.
Le juge VANDERMEERSCH envoie une commission rogatoire pour interroger le témoin 142,
la personne présumée avoir fait des pressions, et entendue début avril. Quelques
jours plus tard, Jean-Bosco SEMINEGA se présente, soi-disant spontanément, pour
dire qu’il n’a subi aucune pression et d’ajouter : « Je ne peux pas
témoigner ni à charge ni à décharge contre Vincent NTEZIMANA ». Je vous
signale tout de même que la déclaration qu’il n’a pas voulu signer et qu’il
a effectivement corrigée de sa main, me charge.
Le Président : Cela vous
charge sans vous charger. Il a dit que vous n’étiez pas là, cet après-midi là.
Vous dites : « Je n’étais pas chez moi, j’étais chez ma voisine, enfin,
dans la villa de Madame le témoin 143 ». Et celui-là dit: « Je ne l’y
ai pas vu ».
Vincent NTEZIMANA : Oui.
En fait, la discussion se trouve à ce niveau. Est-ce que cette personne-là a
pu dire la vérité ? Est-ce que cette personne-là était dans des conditions
de dire la vérité ? J’espère que la suite nous révélera ce qui s’est passé
réellement.
Le Président : On va peut-être
encore aborder un autre sujet, parce que le fond de l’affaire KARENZI, c’est
cela, c’est… Enfin c’est cela… Personne ne dit que vous avez porté le fusil,
que vous avez tiré… ni sur Monsieur KARENZI ni sur sa femme ni sur les enfants.
Vincent NTEZIMANA : Vous
savez, Monsieur le président, si, si… j’avais eu l’occasion de sauver, j’ai
pu sauver d’autres personnes, j’ai oublié du signaler, j’ai sauvé d’autres
personnes menacées, que je ne connaissais même pas, même pas, et qui le confirment.
Qui disent : « Nous l’avons rencontré à tout hasard, il nous a proposé
de nous héberger ».
Le Président : Eh bien, venons-en
justement aux gens que vous hébergez dans le courant avril-mai 1994. Votre épouse
n’est pas là.
Vincent NTEZIMANA : Elle
n’est pas là.
Le Président : Elle est
en mission à l’étranger, je crois , ou en études…
Vincent NTEZIMANA : Aux Etats-Unis.
Le Président : Aux Etats-Unis.
Vos enfants ?
Vincent NTEZIMANA : …sont
dans ma famille, dans la région d’où je proviens.
Le Président : Depuis quand ?
Vincent NTEZIMANA : Oh, depuis
le moment où, quand on organisait l’évacuation, j’ai eu une occasion, une personne
qui passait par chez moi en venant de Kigali, qui les a pris, qui connaissait
chez moi, c’est vers, je dirais, le 14 ou le 15 avril.
Le Président : 14 ou 15 avril.
Vous n’avez pas mis les noms de vos enfants sur une liste ?
Vincent NTEZIMANA : Ce n’était
pas une camionnette officielle, Monsieur le président.
Le Président : Vous êtes
sûr que ce n’est pas un camion de la SORWAL ou… ?
Vincent NTEZIMANA : Non.
Le Président : Parce que
Monsieur HIGANIRO n’aime pas qu’on utilise les véhicules à d’autres fins que
les fins de la fabrique d’allumettes ?
Vincent NTEZIMANA : Je ne
dis pas cela. J’ai voyagé dedans plus tard. Cela aurait été le cas, je le dirais
sans aucun problème. Je n’ai pas de problème là-dessus, je le dirais. J’ai voyagé
là-dedans plus tard. Je le dirais si c’était là-dedans. Ici, il s’agit d’une
camionnette d’un ami.
Le Président : A Butare,
vous fréquentez, dit-on, de manière assez assidue, sinon quotidienne, le capitaine
NIZEYIMANA.
Vincent NTEZIMANA : Oui,
enfin, on peut faire un jeu de mots mais je n’ai jamais nié avoir eu des contacts
avec lui. Je l’ai connu après mon retour au Rwanda. J’avais déjà dit que je
suis retourné au Rwanda en avril 1994, 93, pardon. J’étais retourné juste avant
le génocide. Je l’ai rencontré en juin. Il était accompagné d’un ami d’enfance,
un autre capitaine, nous nous connaissions depuis l’école de Byimana, que j’avais
fréquentée à de nombreuses reprises. Donc, il était aussi à Butare. Il m’avait
invité pour un verre. On le boit au guesthouse et donc, on se donne rendez-vous
au guesthouse, à la maison d’accueil universitaire où les employés de l’université
allaient souvent. Quand il est arrivé, il était accompagné d’un autre capitaine.
Il le présente : il s’appelait le capitaine NIZEYIMANA. Donc je l’ai rencontré
en juin. A ce stade, on fait connaissance. Quelque temps après, on a aussi partagé
un verre à la même maison d’accueil. Plus tard, ce qui va se passer c’est, quand
je rentre, en avril, Butare est assaillie par des réfugiés qui ont fui, en avril
1993, qui ont fui la guerre, la reprise de la guerre le 8 février 1993, où un
million de personnes avaient fui vers Kigali. Et, parmi ceux-là, ceux qui avaient
les moyens allaient dans d’autres villes, donc Butare était assaillie.
En plus, le campus universitaire de Ruhengeri avait été muté vers
Butare et, donc, il n’y avait pratiquement pas de logement. Et quand je loue
une maison, je loue en avril, je l’obtiens seulement pour trois mois jusqu’au
15 juillet, je signe un contrat jusqu’au 15 juillet. Avant le 15 juillet, j’ai
cherché longtemps, je n’ai pas trouvé de maison, j’ai dû même loger chez un
proche parent avec ma famille. J’ai dû abandonner, enfin, laisser à Butare tous
mes biens, les meubles et tout, pour aller loger chez un proche parent à Kigali
pendant… un mois, oui, un mois et demi, avec ma femme et mes deux enfants, à
l’époque c’était encore deux. Je reste à Kigali mais, entre-temps, je fais donc
la navette. Ma famille reste à Kigali mais entre-temps je fais la navette à
Butare pour chercher un logement et je rentre à Kigali. Alors, début septembre,
la rentrée académique commence. Je signale au départ que ma femme était aussi
assistante à l’université, et donc, il fallait absolument retourner à Butare.
Le seul, enfin, l’un des moyens que j’ai trouvé, Ildephonse, donc le capitaine
Ildephonse NIZEYIMANA, je l’ai prié de me loger avec ma famille. Il m’a logé
pendant deux semaines, après quoi j’ai obtenu, enfin, j’ai pu louer une maison
et je suis resté chez lui deux semaines avec ma famille, ma femme et mes enfants.
C’est comme cela que nous nous sommes connus, et puis on s’est fréquenté effectivement
régulièrement depuis lors. En avril 1994, je confirme que je continuais à le
fréquenter.
Le Président : Vous allez
alors héberger plusieurs personnes ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact, Monsieur le président.
Le Président : le témoin 142 ?
Vincent NTEZIMANA : En fait,
il y a le témoin 142…
Le Président : Jean-Marie
Vianney…
Vincent NTEZIMANA : Longin
le témoin 118. Ce sont deux personnes. Donc je rentre pendant la journée,
je ne sais plus quelle date de fin avril, je crois, et je fais un passage chez
le capitaine NIZEYIMANA et, en fait, NZEYIMANA hébergeait deux familles. Je
suis certain que l’une des familles était Tutsi mais l’autre je ne sais pas.
Et souvent, quand je me rendais chez NIZEYIMANA, NIZEYIMANA n’était pas nécessairement
là, parce que j’avais pu nouer des connaissances avec cette famille-là. Donc,
quand je passe là, la journée, NIZEYIMANA n’était pas là et je suis conscient
qu’il n’est pas là, mais il y a d’autres personnes pour passer le temps. Arrivé
là-bas, j’ai vu deux messieurs qui venaient d’arriver. Il y a le témoin 142
Vianney et le témoin 118. On me les a présentés. On a dit que Longin avait
fui les massacres, en fait que sa famille avait été massacrée à Nyundo près
de Gisenyi. J’ai compris qu’il fuyait. le témoin 142 ne m’a rien dit mais… je ne sais
même pas quelle est son ethnie, je n’ai pas cherché à vérifier. Je signale tout
de même que son grand-père était un blanc, donc il a un teint clair, c’est un
métis.
A l’époque, les miliciens recherchaient autant les Tutsi que les
métis, parce qu’il y avait une propagande qui disait que les métis étaient des
enfants croisés de Tutsi et de Belges. Là, je n’ai même pas cherché à savoir,
j’ai compris. On a causé un petit peu. Ils m’ont dit qu’ils allaient loger à
l’hôtel Faucon. A l’hôtel Faucon, il y avait un sinistre barrage où, d’ailleurs
le professeur KARENZI avait été tué. Il y avait un sinistre barrage. Je leur
ai dit : « Mais vous allez vous faire tuer ! » Ils m’ont
dit qu’ils n’avaient pas où aller. J’ai dit : « Venez chez moi, si
nous devons mourir, nous mourrons tous ensemble ». Ils sont venus chez
moi. Vous verrez, dans leurs déclarations, ils signalent, ils le confirment,
qu’on s’est croisé par hasard, qu’on ne se connaissait pas, qu’ils ont même
hésité à me suivre. Je n’ai pas cherché à savoir. J’ai compris qu’ils étaient
menacés. Ils sont venus chez moi. Je les ai logés juste parce qu’il y a eu des
menaces des militaires. Oui. Il y a une chose que je vais expliquer. Un témoin
en à parlé tout à l’heure, il était difficile de sauver des gens. C’était vraiment
difficile, il fallait être sur place pour le savoir. Je crois, le seul moyen
de sauver quelqu’un, c’était la ruse. Mais quand ils sont arrivés chez moi,
je me suis dit : « Les cacher, les gens les ont vus venir… »,
parce qu’auparavant j’avais aussi caché deux dames. Deux dames. Quand elles
étaient arrivées, leur arrivée avait été suivie par des coups de fil anonymes,
c’était intenable. Finalement, j’ai pu… j’ai pu… j’ai demandé au capitaine NIZEYIMANA
s’il pouvait les amener à l’E.S.O. pour les cacher là-bas parce que j’étais
vraiment menacé, et elles aussi bien entendu, elles étaient menacées avec moi.
Je me suis dit que seule la ruse a plus de chance. C’était risqué, c’était un
pari difficile.
Le Président : Le fait que
vous ayez été l’ami ou une connaissance proche du capitaine NIZEYIMANA était
peut-être aussi quelque part une protection supplémentaire par rapport à celui
qui ne connaissait pas un militaire ?
Vincent NTEZIMANA : Ah, cela,
c’est vrai. C’est vrai. C’était un point qui a pu éventuellement, je ne sais
pas dans quelle mesure, a pu compter pour qu’on ne soit pas tué. Quand ils sont
arrivés chez moi, nous nous sommes dit : « Voilà… ».
Le Président : Bien, vous
logez ces deux personnes-là ?
Vincent NTEZIMANA : Oui…
Le Président : Vous logiez
encore d’autres personnes ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
oui, oui. D’autres personnes, j’y arriverai. Les deux, quand ils arrivent, je
dis : « Je vais chercher des médaillons de l’ancien MDR Parmehutu
pour dire voilà, ce sont des Power ». Ce sont des Power, je veux dire,
ce sont des gens qui sont favorables au MDR Power. Quand quelqu’un arrivait
chez moi, je m’empressais du présenter, qu’il soit un ami ou pas, parce qu’à
l’époque, un ami… bon, je disais : « C’est un Power, vous savez, ce
sont des amis, ce sont des frères, enfin, des cousins ». C’est comme cela
qu’on a fait, et quand j’ai été obligé d’effectuer la ronde auquel je m’étais
opposé, eux aussi sont venus avec moi.
Le Président : Si vous voulez
bien, on parlera des rondes et tout cela demain. Je voudrais simplement maintenant
que vous me disiez…
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Les autres personnes…
Le Président : …avant que
ne clôture avec quelques minutes de retard sur le programme… quelles étaient
les autres personnes, simplement les citer, qui logeaient encore chez vous ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
je vais les citer seulement. Il y avait Aster RUTIBABARIRA, qui était un ancien
collègue, c’était un Hutu, c’était un collègue professeur à la faculté des sciences
économiques. Il y avait chez moi Caritas, qui était la fille qui s’occupait
de mes enfants. Il y avait deux jeunes filles, dont j’ignore le nom, franchement,
et un jeune homme qui s’appelle Innocent NKUYUBWATSI.
Le Président : Il logeait
vraiment chez vous, lui, ou bien il logeait parfois chez vous, parfois chez
le capitaine NIZEYIMANA ?
Vincent NTEZIMANA : En fait,
quand ils sont arrivés, lui et les deux filles sont arrivés en même temps, parce
que NIZEYIMANA se plaignait que chez lui c’était petit, il y avait plein de
gens, et je lui ai dit : « Chez moi, il y a de la place ». Ils
sont venus en même temps. Mais c’étaient des Hutu tous les trois, ils avaient
la liberté de mouvement. Je me disais : « Tant que je peux aider quelqu’un,
tant que j’ai des haricots, tant que j’ai du riz, il faut partager ». Je
ne demandais pas à savoir s’ils sont Hutu ou Tutsi, s’ils sont… Pour moi, ils
étaient dans le besoin, ils sont venus chez moi. Ils sont… ils étaient libres
de mouvement et, par exemple, les filles logeaient avec Caritas… Vous savez,
j’avais une maison avec des dépendances, je ne surveillais pas si les filles
étaient rentrées ou pas. Il y a une étape, qui interviendra sans doute dans
les débats concernant ces filles-là mais, c’est vrai, il était libre de mouvement
et, des fois, il ne rentrait pas, c’est vrai.
Le Président : Nous aborderons
ce problème-là demain mais c’est notamment une de ces jeunes filles qui aurait
été tuée, ou achevée en tout cas, dans le jardin ou sur la parcelle de votre
habitation, par Innocent ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact.
Le Président : Sous vos yeux ?
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Le Président : Vous voulez
bien ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
je l’ai moi-même dénoncé au cours de l’interrogatoire, début mai 1995, après
mon arrestation, parce que j’estimais en âme et conscience que j’avais échoué.
J’avais échoué. Alors que mon intention était de pouvoir loger des personnes
qui en avaient besoin, eh bien, il se fait qu’un jour de la mi-mai, je rentre,
je crois que c’est le 14 mai, je rentre de la réunion, il en sera peut-être
question aussi, où le président KAMBANDA… le premier ministre KAMBANDA avait
visité l’université. Non, c’est une étape après. Précédemment, en rentrant,
Caritas me dit : « NKUYUBWATSI a amené les deux filles brutalement
avec un militaire », alors que d’habitude, ils partaient tous les trois
calmement et ils revenaient calmement, cette fois-ci, elle m’a dit : « Ils
les ont emmenées de force ». Quand NKUYUBWATSI est rentré le soir, la nuit,
je lui ai demandé : « Où sont les filles ? ». Il m’a dit :
« Pourquoi cherches-tu à savoir où elles sont ? Elles sont rentrées
chez elles ». Je me suis douté qu’il y avait bel et bien quelque chose.
Et… le cœur a balancé, j’ai eu… j’ai eu la panique en fait. Je me suis dit :
« Je sais qu’il y a les tueries, il y a des coups de feu à gauche et à
droite, il y a des détonations à gauche et à droite…», j’avais juste un doute
et j’étais Hutu, donc c’était possible. Je me disais : « Si elles
sont parties librement, je sais qu’elles sont parties par force sans me dire
au revoir alors que j’avais fait du bien pour elles, donc ce n’était pas une
fugue ». Là, je me suis douté de quelque chose.
Mais d’un autre côté, j’ai vraiment réfléchi par rapport aux autres
personnes qui étaient chez moi. Il y avait donc Caritas qui était Tutsi, il
y avait le témoin 142, dont j’ai parlé, il y avait Longin. Soit, je jouais le héros
ou alors je jouais… comment… je faisais le petit. J’ai réfléchi. Ce n’est pas
gai de faire le petit quand on croit… quand on a sa fierté, faire le petit devant
un plus petit que soi en quelque sorte, ce n’est pas vraiment gai, Monsieur
le président. Je me suis dit… je crois que j’ai commencé à suspecter cet individu
de malfaisance. S’il en est capable, il suffit… il suffirait de lancer une rumeur,
ne fût-ce qu’une rumeur, ou dire à des militaires : « Là-bas, ces
gens-là je les connais, ce sont des Inyenzi, qu’ils soient Hutu ou Tutsi,
pour que nous soyons tués ». Je me suis dit : « La meilleure
manière de nous en tirer est d’adopter le profil bas ». Là, j’ai vraiment
échoué. Et , euh… je rentre deux ou trois jours… donc l’étape suivante, c’est
2-3 jours plus tard quand je rentre, il y avait une réunion le 14 mai 1995.
Le premier ministre KAMBANDA avait visité l’université et j’avais été à cette
réunion-là. Quand je rentre, le témoin 142 et Longin sont assis au salon et je viens,
je les salue et je cause avec eux, je leur demande comment cela a été, cela
s’est passé. Quelques minutes après, Caritas me fait signe : « Tu
sais, les filles, il y en a une qui est revenue, elle était blessée à la tête,
mais un soldat la suivait, il l’a assommée d’une barre de fer, elle est en train
d’agoniser derrière ». Alors, elle est allée me montrer. Je suis passé
par la cuisine. Caritas était derrière moi. Je descends les escaliers. Je la
vois effectivement agoniser. Mais je, je tombe face à face avec NKUYUBWATSI
qui sortait. Donc, j’avais une dépendance, un garage et un logement du « Zamu »,
du…
Le Président : …gardien
Vincent NTEZIMANA : …du gardien.
Il sortait un couteau du logement du gardien et puis il… il l’a achevée. Il
l’a achevée et puis… et j’étais mort de trouille (Voix chargée de pleurs). Puis,
je suis rentré, puis je suis rentré, j’ai été à mon bureau, je me suis… je me
demandais comment gérer la situation. Puis, j’ai dit à le témoin 142 et Longin :
« Qu’est-ce qu’on va faire ? » On s’est tu, on s’est tu. Le type
est parti. Il est parti. Il fallait évacuer le corps. Il était parti même sans
s’en soucier. J’ai demandé au frère de Longin qui était chez le capitaine NIZEYIMANA,
il avait une voiture. Je suis allé le voir. Je lui ai dit : « Voilà,
j’ai un problème, il y a un cadavre chez moi ». Il est venu avec sa voiture
et nous avons évacué le corps. Monsieur le président, là, franchement, j’ai
dénoncé cela mais je crois… franchement, j’ai échoué là…, j’ai échoué mais j’ai
réfléchi et chaque fois je me dis, c’est une chose à laquelle je pense toujours,
Je me dis : « Est-ce qu’il y avait, est-ce que je pouvais avoir une
autre attitude ? Est-ce que j’ai été moins courageux que je ne l’aurais
été ? ». Ce n’était pas évident, hein, ce n’était pas évident, mais
c’est la réalité, Monsieur le président.
Le Président : Bien. Nous
aborderons la suite demain si vous voulez bien ?
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Le Président : L’audience
va donc être suspendue. Elle reprend demain à 9h00 du matin. Nous poursuivrons
l’interrogatoire de Monsieur NTEZIMANA. Il faudra avertir que Monsieur GASANA
Ndoba ne vienne pas avant 10h00 et que le juge d’instruction et les enquêteurs
certainement pas avant… 10h30.
[Suspension
d’audience]
Le Président : L’audience
est reprise. Vous pouvez vous asseoir et les accusés peuvent prendre place…
Ah oui, qui est présent ? Dites-lui de venir par ici. Je v ais prescrire
un droit à la police judiciaire… pas à la police judiciaire, à la police fédérale,
dans la mesure où il semble que certains témoins venus du Rwanda souhaitent
être entendus à huis clos. Euh… je vais donc demander à ce que ce soit vérifié.
Que l’on sache qui, et pourquoi… de manière à ce que, s’il faut notamment faire
droit à cette demande, ou s’il y a des réquisitions ou des demandes de la part
des parties quant à ce huis clos, que l’on ait pas, à chaque témoin, à rendre
un arrêt disant si oui ou non, on ordonne le huis clos, et si l’on ordonne à
chaque fois de ne pas faire vider la salle, et réordonner l’accès au public.
Donc, je crois qu’il y a… c’est pour un problème notamment de… de peut-être
meilleure organisation, dans la mesure où ces témoins venant du Rwanda sont
regroupés pour le moment. On pourrait donc modifier l’horaire de leur comparution,
tout en restant dans le laps de temps où il séjournent en Belgique (rires).
Alors,
si ici il y a un inspecteur de la police fédérale, je lui demande de bien vouloir
s’approcher… Oui ? Monsieur, je vous confie le devoir suivant, dont je
donne donc lecture en audience publique, avec prière de bien vouloir demander
aux témoins qui résident actuellement à l’école royale militaire, qui d’entre
eux demanderait éventuellement à être entendu à huis clos, ainsi que les motifs
qui étayent cette demande. Je vous remets ce devoir et je vous remercie de bien
vouloir faire parvenir le procès-verbal dès que possible. Je vous remercie.
Nous allons poursuivre ce matin l’interrogatoire de Monsieur NTEZIMANA.
Je vais vous demander, Monsieur, de bien vouloir vous lever pour la poursuite
de cet interrogatoire. Nous en étions arrivés, hier en fin de journée, au problème
d’une jeune fille qui aurait été donc tuée sous vos yeux par Monsieur NKUYUBWATSI,
ou achevée en tout cas sous vos yeux par Monsieur NKUYUBWATSI. Vous avez exposé
qu’il s’agissait d’une jeune fille qui avait résidé, que vous aviez hébergée
pendant un temps chez vous. Vous confirmez bien que c’est au moyen d’une arme
blanche, d’un couteau…
Vincent NTEZIMANA : Je le
confirme, Monsieur le président.
Le Président : …que
Monsieur NKUYUBWATSI aurait achevé cette jeune fille ?
Vincent NTEZIMANA : Je le
confirme, Monsieur le président.
Le Président : Vous
confirmez bien, également, qu’il y avait deux jeunes filles qui résidaient à
cette époque chez vous, et ces deux jeunes filles ont disparu ?
Vincent NTEZIMANA : Je le
confirme, Monsieur le président. Il y en avait trois.
Le Président : Oui, il y
avait votre… gouvernante, la personne qui s’occupait de vos enfants qui s’appelait
Caritas. Les deux autres jeunes filles, vous n’en connaissez pas l’identité ?
Vincent NTEZIMANA : Non.
Le Président : Mais ces deux
jeunes filles ont bien disparu ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact, Monsieur le président.
Le Président : L’une d’entre
elles, avez-vous expliqué, avait été achevée sous vos yeux, par NKUYUBWATSI
Innocent, à l’aide d’un couteau ?
Vincent NTEZIMANA : Exact,
Monsieur le président.
Le Président : Vous avez,
je pense, pu prendre connaissance de la déclaration faite par Monsieur NKUYUBWATSI
au procureur de la République de Butare ? Je ne parle pas de ses interviews
à des journalistes, je parle de son audition faite par Monsieur le témoin 31.
Vincent NTEZIMANA : Oui,
j’en ai pris connaissance, Monsieur le président.
Le Président : Selon cette
déclaration, Monsieur NKUYUBWATSI, en ce qui concerne ces deux jeunes filles,
dit d’abord que vous ne logiez pas chez vous à l’époque, que lui y logeait,
ainsi par exemple que Longin et Jean-Marie Vianney mais que vous logiez à l’époque,
non pas chez vous, vous permettiez à des gens d’être hébergés dans votre maison
mais vous n’y habitiez plus. Vous résidiez chez le capitaine NIZEYIMANA. Sur
ce point-là, qu’avez-vous à dire ?
Vincent NTEZIMANA : Monsieur
le président, j’ai effectivement pris connaissance de cette déclaration et le
témoin affirme que Longin, le témoin 142, moi-même, mes enfants et un de mes frères,
logions chez NIZEYIMANA, dans sa déclaration, si mes souvenirs sont bons. Les
déclarations de Longin et le témoin 142 sont claires à ce sujet : nous logions
chez moi. Ce témoin, NKUYUBWATSI, j’ignore pourquoi, il dit que j’avais quitté
ma résidence, que les gens que j’ai logés, alors qu’ils le confirment eux-mêmes,
logeaient chez NIZEYIMANA. J’ignore les raisons qui le poussent à le dire. Je
signale au passage qu’il dit que ma maison abandonnée était gardée par des militaires
alors que, lorsque le témoin 142 et Longin disent qu’une personne en tenue militaire
venait chez moi, ils parlent de NKUYUBWATSI Innocent. NKUYUBWATSI Innocent portait
de temps à autre un…
Le Président : Un uniforme
militaire ?
Vincent NTEZIMANA : Non,
pas un uniforme. Un… un veston, je dirais, un veston, une sorte de veston mais
le pantalon, les baskets, la chemise, c’était en civil, en fait. Mais le veston,
parfois, il le portait, militaire. Et quand le témoin 142 et Longin parlaient d’un
militaire chez moi, c’est bel et bien, ils le précisent, NKUYUBWATSI. Il n’y
a jamais eu de militaire à… qui, qui ait logé chez moi. Les déclarations de
le témoin 142 et Longin le confirment, et confirment également qu’ils ont logé chez
moi, alors que NKUYUBWATSI dit : « Vincent, Longin, le témoin 142, les enfants
de Vincent et son frère logeaient chez NIZEYIMANA ». On peut tout de même
vérifier, ne fût-ce que la présence, chez moi, de moi et mes hôtes, c’est vérifiable
par les autres témoignages. La présence de militaires qui auraient logé chez
moi, c’est aussi vérifiable par ces deux autres témoignages. Eh bien, c’est
démenti catégoriquement et NKUYUBWATSI, qui formule des accusations par ailleurs,
je suppose qu’on y reviendra, affirme le contraire. Je me demande pourquoi il
le fait, dans quel intérêt, qu’est-ce qui l’amène à le faire ? Je signalerai
aussi, quand il est interrogé, il est interrogé sur base de ma dénonciation,
que j’ai faite déjà en 1995, après mon arrestation. Il était en liberté jusque
fin mars le mois dernier, jusqu’il y a un mois.
Le Président : Oui, il a
été interrogé le 22 mars.
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact. Il était en liberté. Quand il était interrogé, il nie qu’il ait participé
au génocide. On lui montre ma déclaration, où je le dénonce comme ayant assassiné
une jeune fille, et il dit : « Ah, tiens, non, mais au fait, c’est
vrai, je l’ai tuée mais c’est Vincent qui m’avait demandé de l’assassiner ».
Et il continue en formulant d’autres accusations. Ceci étant, pour étayer ses
accusations, il fait des déclarations que vous pourrez, Monsieur le président,
vérifier par d’autres témoignages, en l’occurrence le fait que je n’ai pas logé
chez moi, que j’ai logé chez le capitaine NIZEYIMANA, un, jusqu’à mon départ
et, deux, que ma maison aurait été gardée par des militaires, ce qui n’est pas
le cas du tout.
Le Président : Les accusations
de Monsieur NKUYUBWATSI, en ce qui concerne les jeunes filles, sont que vous-même
et le capitaine NIZEYMANA, vous l’avez ou vous lui avez tous les deux donné
l’ordre et même payé pour tuer les deux jeunes filles, en raison de ce que ces
deux jeunes filles avaient appris trop de choses sur le rôle que vous-même et
le capitaine NIZEYIMANA auriez joué ou étiez en train de jouer dans les massacres
à Butare. En gros, c’est cela ?
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Le Président : Bien. On va
peut-être aborder alors un autre sujet et, je signale aussi qu’en ce qui concerne
la famille KARENZI que nous avons abordée hier, le problème de la famille KARENZI,
Monsieur NKUYUBWATSI dit, lui, ne pas avoir participé au meurtre de cette famille
personnellement. Il dit qu’il se trouvait chez vous lorsqu’un militaire est
venu, de votre part et de la part du capitaine NIZEYIMANA, le trouver pour qu’il
indique où se trouvait la maison de Monsieur KARENZI et qu’il avait été incapable
de donner ce renseignement, que ce militaire a obtenu le renseignement d’une
autre personne, et puis il aurait appris, sans en être même le témoin, que les
enfants de Monsieur KARENZI auraient été tués devant l’hôtel Faucon, Monsieur
KARENZI aussi, Madame KARENZI dans la maison… mais il n’en aurait pas été témoin.
La seule chose qu’il dit en rapport avec Monsieur KARENZI et vous, c’est que
ce serait à votre demande et à la demande du capitaine NIZEYIMANA qu’un militaire
se serait présenté à votre maison où se trouvait à ce moment-là, Monsieur NKUYUBWATSI
pour se renseigner sur l’endroit où se trouvait la résidence de Monsieur KARENZI.
Vincent NTEZIMANA : Je peux
donner une petite précision avant de passer à cette question ?
Le Président : Oui.
Vincent NTEZIMANA : NKUYUBWATSI
dit que les jeunes filles sont venues chez Vincent pour y être tuées, c’est
ce qu’il affirme. Mais les témoins le témoin 142 et Longin confirment que ces filles-là
étaient libres de mouvement, qu’elles partaient avec NKUYUBWATSI, qu’elles revenaient
quand elles voulaient. Je suppose, vous le comprendrez, Monsieur le président,
si des jeunes filles avaient été amenées chez moi pour y être tuées, elles auraient
été tuées, ne fût-ce que pendant les deux premiers jours. On peut se demander
aussi pourquoi elles n’auraient pas été amenées autre part, aux autres lieux
de tuerie, et chez moi précisément. Donc, c’est une affirmation tout de même
qui mérite une réflexion et une réponse. Quant à ce militaire dont il parle,
c’est vrai, cela ne fait pas partie d’une même déclaration, mais j’ai aussi
regardé le témoignage, donc son interrogatoire, par le procureur de Butare sous
la caméra, où il affirme que lorsqu’un militaire est arrivé, que j’étais avec
NKUYUBWATSI chez moi devant ma maison, qu’il a demandé à NKUYUBWATSI où était
la maison des KARENZI, que lui a dit qu’il ne savait pas mais que je lui ai
indiqué alors où se trouvait la maison des KARENZI. Dans un autre récit, effectivement
tel que vous le dites, il dit que j’ai envoyé ce militaire pour demander où
se trouvait la maison des KARENZI et que, lui n’ayant pas voulu ou ne sachant
pas où était la maison des KARENZI, un autre passant aurait indiqué cette maison.
On dit que les contradictions, j’ai entendu le témoignage de Monsieur le juge
d’instruction qui dit : « C’est vrai, il y a des contradictions, mais
tout de même, vous savez… ». A quoi rime cette contradiction ? Pourquoi ?
Dans un temps, il dit : « Vincent NTEZIMANA était avec moi, c’est
lui qui a indiqué la maison ». Et dans une autre déclaration, il dit que
j’ai envoyé le militaire, qu’il n’a pas indiqué la maison et que c’est un autre
passant qui a indiqué la maison. Pourquoi ce genre de contradiction ? Est-ce
que ce genre de contradiction rime avec la vérité, Monsieur le président ?
Le Président : Bien. Monsieur
NKUYUBWATSI Innocent travaillait à la SORWAL à l’époque ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact.
Le Président : C’est notamment
un des éléments qui ferait le lien entre vous par l’intermédiaire de la SORWAL
et Monsieur HIGANIRO. Cela ne veut pas dire que vous étiez pour autant - parce
que NKUYUBWATSI était à la SORWAL - tous ensemble dans un grand complot, ce
n’est pas cela que je veux dire, mais… Monsieur NKUYUBWATSI travaillait à l’époque
à la SORWAL ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact, Monsieur le président.
Le Président : Venons-en
au problème d’un jeune homme qui aurait été tué sur une barrière de contrôle,
dans Butare. Vous avez, à un moment donné, expliqué que vous aviez, au cours
soit d’une ronde, soit en tout cas de ce que vous étiez en rue, assisté comme
témoin, vu un jeune homme en train de se faire tuer, molester, battre à une
barrière. Entendues à ce propos au Rwanda, deux des personnes que vous hébergiez,
Monsieur le témoin 142 Vianney et Monsieur le témoin 118, dont l’un,
semble-t-il, ne viendra pas témoigner ici et dont l’autre n’est pas actuellement
présent mais pourrait peut-être bien arriver lors d’un prochain vol en provenance
du Rwanda. Donc, le témoin 142 ne viendrait pas. le témoin 118 n’est pas là pour le moment
mais pourrait arriver plus tard. Selon le témoin 142, il vous aurait vu agresser personnellement
ce jeune homme sur la barrière, lui porter des coups, et il aurait vu que NKUYUBWATSI,
à nouveau lui, Innocent, se serait mêlé également à cette bagarre au cours de
laquelle finalement ce jeune homme aurait perdu la vie. le témoin 118, qui
pendant tout un temps a dit ne pas même avoir assisté à quoi que ce soit à ce
sujet, va dans une de ses dernières déclarations, ou sa dernière déclaration
au Rwanda, dire qu’effectivement il était présent, qu’il était là dans la rue,
que vous y étiez, que le témoin 142 y était, que vous vous êtes peut-être bien approché
de cette barrière, mais qu’il n’a pas vu réellement ce que vous auriez fait
ou ce que le témoin 142 aurait fait ou ce que d’autres auraient fait.
Dans son audition par Monsieur HABIMANA, NKUYUBWATSI Innocent dit
effectivement qu’il était présent, que vous y étiez aussi, que vous avez contrôlé
les papiers d’identité de ce jeune homme, que vous lui avez remis, à lui Innocent,
les papiers pour qu’il les vérifie aussi, que vous auriez demandé à ce qu’on
vérifie l’habillement de ce jeune homme et qu’on aurait constaté notamment qu’il
portait deux pantalons. Deux pantalons c’était, semble-t-il, suspect à l’époque,
dans la mesure où on disait que les Tutsi étaient toujours porteurs de deux
pantalons l’un au-dessus de l’autre. Vous auriez dit aux gens de la barrière,
selon NKUYUBWATSI Innocent, que, constatant que ce jeune homme avait deux pantalons,
ne s’agit-il pas d’un… d’un Inyenzi ou d’un… et puis vous seriez parti. Vous
n’auriez donc, ni lui, ni vous, porté la main contre ce jeune homme. Alors,
qu’en est-il ?
Vincent NTEZIMANA : Je pars
de cette dernière déclaration qui parle de carte d’identité. Quand nous sommes
passés à cette barrière, il était aux environs de 7h du soir. 7h du soir au
Rwanda, la nuit est tombée, le soleil se couche à 6h00 précises pratiquement,
il fait noir. Matériellement, matériellement, je vois mal comment, même si je
l’avais souhaité, même si je l’avais fait… envisagé, pardon, comment j’aurais
pu consulter une carte d’identité pendant l’obscurité. Deuxièmement, lorsque
le témoin 142 m’accuse, il dit : « Nous avons…, nous sommes passés à la barrière.
Il y avait des militaires qui frappaient un jeune homme entouré par des civils
et, dit-il, Vincent s’est joint au groupe ».
Manifestement, ces deux déclarations sont contradictoires, parce
qu’une des déclarations affirme que le tabassage de ce garçon aurait commencé
après une vérification de carte d’identité. En outre, le témoin 142 prétend qu’il m’aurait
laissé avec Innocent NKUYUBWATSI à la barrière, partant tout seul et Longin.
Longin et le témoin 142 étaient des personnes qui n’auraient pas pu se déplacer dans
le quartier sans la présence d’une personne qui puisse… qui les connaisse, à
7h du soir. Ceci est aussi sujet à caution parce que je suis rentré avec eux.
En outre, le témoin 142 a été, selon une déclaration qui figure au dossier, demander
à un autre témoin à décharge, Jean-Bosco SEMINEGA, de me charger, d’aller dans
le même sens. Je m’interroge, vous pouvez sans doute vous interroger aussi,
parce que je suppose que vous allez me dire : « Mais tiens, vous l’avez
hébergé et donc, il ne vous en veut pas, pourquoi fournit-il ces accusations ? ».
Le Président : C’est effectivement
ce qu’il dit : « Pourquoi est-ce que j’accuserais Monsieur NTEZIMANA
qui a eu la bonté quelque part de m’héberger ? ».
Vincent NTEZIMANA : Mais
ce que j’ai pu consulter dans le dossier, c’est qu’il a été aussi solliciter
un faux témoignage auprès de Jean-Bosco SEMINEGA. Monsieur le président, les
débats vont sans doute continuer autour de ces questions, autour de la question :
« Est-ce que le témoin 142 a été solliciter un faux témoignage auprès de Jean-Bosco
le témoin 150, oui ou non ? ». Je suppose qu’on aura une réponse, et je
l’espère. Je l’espère. Et s’il l’a fait, pourquoi ? Je m’interroge. L’ingratitude
existe, Monsieur le président.
Le Président : Bien. Avez-vous
assisté comme témoin, à une agression d’un jeune homme sur une barrière ou à
une barrière ?
Vincent NTEZIMANA : Mais
celui-là, Monsieur le président, c’est moi qui l’ai dénoncé déjà aussitôt après
mon arrestation. Et quand on interroge le témoin 142 et Longin, on les interroge sur
base de ma déclaration. Ils disent : « Ah! oui, c’est vrai »,
donc le témoin 142 qui dit : « Oui, c’est vrai mais il a rejoint le groupe
qui tabassait le jeune homme ». Donc, je confirme cette déclaration, que
j’ai constaté l’agression d’un jeune homme à cette barrière.
Le Président : Vous n’êtes
pas intervenu ?
Vincent NTEZIMANA : Non,
je n’ai pas intervenu.
Le Président : Je dirais :
« Ni pour - comme diraient certains - aller vous aussi agresser ce jeune
homme… »
Vincent NTEZIMANA : Non,
je n’ai pas…
Le Président : …ni pour faire
cesser cette agression ?
Vincent NTEZIMANA : Je n’ai
pas intervenu, Monsieur le président. Ce jeune homme était en train d’être tabassé
par des militaires avec des crosses de fusils. Autour d’eux se trouvaient des
civils. Je serais… A supposer que j’aie envisagé, j’aie eu l’intention… je ne
suis pas plus fort que des militaires dans… allez… dans… dans le fait de tabasser,
pourquoi je l’aurais fait ?
Le Président : Oui, je ne
dis pas que vous seriez physiquement plus fort, ce n’est pas là que je veux
en venir. Mais si, dans l’hypothèse où le capitaine NIZEYIMANA serait le chef,
ou celui qui dirigeait les massacres pour les militaires à Butare, et si vous
êtes à ce point lié au capitaine NIZEYIMANA que… que l’on se demande qui est
le bras gauche ou le bras droit de l’autre, on pourrait s’imaginer dans cette
hypothèse-là que, même à l’égard de militaires, même si vous, vous ne l’êtes
pas, vous auriez pu, en quelque sorte par délégation, exercer les pouvoirs qu’aurait
eus le capitaine NIZEYIMANA ?
Vincent NTEZIMANA : Si j’avais
eu l’intention de participer au massacre, la première chose que j’aurais faite
serait de me méfier des personnes que j’ai rencontrées pour la première fois
et qui allaient à l’hôtel Faucon, à qui j’ai dit : « Vous allez vous
faire tuer », et à qui j’ai proposé d’initiative d’aller les loger, Monsieur
le président. Donc, il n’était pas dans mon intention, à aucun moment, d’assassiner
les gens. Je ne me suis méfié de personne qui ne soit armé, Monsieur le président.
Le Président : Bien. Venons-en
maintenant au meurtre, non pas de Victor NDUWUMWE mais de sa femme et de son
enfant et de… peut-être bien de sa domestique. Il y a pour cela deux témoins,
que nous ne verrons pas : Monsieur le témoin 129, détenu au
Rwanda là où il est d’ailleurs accusé, lui, du meurtre de Victor NDUWUMWE, et
son épouse le témoin 91, qui devait venir, ne vient pas. Le pouvoir
discrétionnaire du président de la Cour d’assises dans un procès normal, cela
a effectivement un certain poids parce qu’on peut, lorsque le témoin réside
en Belgique, lancer un mandat d’amener pour le contraindre à venir. Je ne peux
pas, je n’ai pas la possibilité de lancer un mandat d’amener à l’égard de Madame
le témoin 91 ni à l’égard d’autres témoins résidant au Rwanda pour les contraindre
à venir ici. Hein, il faut bien se rendre compte qu’on va faire avec ce qu’on
a et comme on peut. Il faudra sans doute en tirer certaines conséquences. On
pourra peut-être rapporter ce qui a été dit, mais il faudra peut-être tirer
certaines conséquences de la circonstance qu’effectivement ces gens ne sont
pas là, qu’on ne sait pas les interroger de manière précise, qu’on ne sait pas
éventuellement les houspiller pour les faire se contredire éventuellement, qu’on
ne sait pas approcher de manière plus précise ce qu’ils ont vu et de faire la
part des choses entre ce qu’ils ont vu, ce qu’ils ont entendu, ce qu’ils ont
cru entendre, ce qu’ils ont cru voir. Voilà. Je dirais qu’il y a aussi des témoins
à charge qui ne seront pas présents. Il y a des témoins à décharge qui ne viennent
pas et il y en a qui sont à charge et qui ne viennent pas non plus.
Il y a deux témoins, qui ne disent pas vous avoir vu utiliser une
machette, une lance, un bâton, un fusil pour tuer la femme, l’enfant et la domestique
de Victor NDUWUMWE ; il y a deux témoins qui disent vous avoir vu avec
un, ou avec des militaires, à proximité de leur habitation ; il s’agit
de Monsieur le témoin 129 et de son épouse le témoin 91,
à proximité de leur habitation qui se situe dans une rangée de maisons, une
rangée de 10 maisons. Leur maison, ils la situent comme étant la deuxième de
la rangée ; c’est peut-être la deuxième à partir de la gauche ou la deuxième
à partir de la droite, c’est la deuxième pour eux. Et vous vous seriez présenté
à leur habitation, en compagnie d’un ou de deux ou de plusieurs militaires,
pour vous enquérir du point de savoir si cette habitation-là, devant laquelle
vous vous trouviez, était bien celle de Victor NDUWUMWE. Et un domestique de
Monsieur TWAGIRAMUNGU et de son épouse, ou un enfant de domestique, aurait dit
que ce n’était pas la maison de Victor NDUWUMWE, que la maison de Victor NDUWUMWE
c’était l’autre deuxième maison, c’est-à-dire la deuxième à partir de l’autre
côté de la rue.
Alors, ces témoins auraient entendu le domestique le dire, ou ne
l’auraient pas vraiment entendu mais le domestique serait venu dire après ce
qu’il avait dit, et on vous aurait vu désigner alors du doigt, à ce ou à ces
militaires, la maison de Victor NDUWUMWE, donc la deuxième, pas de ce côté de
la rue mais la deuxième de l’autre côté. Et on aurait entendu, les deux témoins
le témoin 91 et TWAGIRAMUNGU auraient entendu, dans les minutes qui ont suivi,
des coups de feu, et auraient appris que les occupants de la maison de Victor
NDUWUMWE, mais pas Victor NDUWUMWE lui-même, auraient été tués à cette occasion-là
dans un bois en face de la maison, ou en contrebas…, et on aurait retrouvé le
corps de sa femme, de sa fille, encore qu’un des témoins parle d’un fils…
Vincent NTEZIMANA : Je peux
répondre ?
Le Président : Mais oui,
bien sûr.
Vincent NTEZIMANA : Vous
avez parlé de deux témoins mais je crois savoir qu’il y a plusieurs témoins
qui ont été entendus là-dessus, Monsieur le président. Ces deux témoins m’accusent
mais il y en a d’autres qui disent le contraire. Alors, au sujet de ce qu’affirment
Madame le témoin 91 et son mari, c’est tel que vous l’avez effectivement rapporté,
mais Madame le témoin 91, pour confirmer ses accusations, cite le nom d’une voisine
qui dit… en disant : « Voilà, elle a vu la même chose que nous, elle
pourrait vous le confirmer. Si vous vous rendez chez elle, je la connais très
bien, je pourrais vous y conduire ». J’avais dénoncé auparavant le fait
que, quand un témoin en cite un autre, quand il raconte la même chose, je l’avais
dénoncé auprès des enquêteurs de la PJ, quand ils disent la même chose, cela
peut effectivement correspondre à la vérité, tout comme cela peut correspondre
à un témoignage qu’ils ont concocté ensemble.
Eh bien, l’enquêteur a eu le réflexe à ce moment-là de ne pas consulter
le premier témoin pour se rendre chez le deuxième, c’est Madame… la veuve de
MURANGO, d’après le dossier. Eh bien, quand on arrive chez elle, on lui montre
sa photo. Non, on lui demande d’abord, je crois, de réciter la manière dont
la famille de Victor a été tuée. Elle dit : « Tout ce que je peux
vous assurer - elle dit qu’elle a été tuée par des miliciens et des militaires,
qu’elle les a vus et tout ce que je peux vous assurer, c’est qu’ils ont été
tués dans le bois de Rwasave à la machette et au gourdin ». On lui montre
ma photo. Elle dit : « Je ne reconnais pas cette personne, je ne l’ai
jamais vue ». Cela, c’est un témoin qui avait été cité par le premier témoin.
Alors, dans le récit de Madame le témoin 91, il y a tout de même des choses étonnantes.
Vous avez bien fait de dire qu’elle dit avec son mari : « Un ou deux
militaires en compagnie de Vincent NTEZIMANA », je ne sais plus s’ils ont
dit NTEZIMANA ou Vincent. Un ou deux militaires, donc, il y a un doute dans
ce qu’ils ont observé mais là, je ne veux pas dire que : « Voilà,
je mets en cause que si jamais… ». Seulement, ce doute sur la manière dont ils
auraient vécu, on aurait pu dire, parce qu’ils ont dit qu’ils ont eu peur, qu’elle
est allée voir derrière… On aurait pu dire : « Oui, c’est vrai, la
peur a fait que l’observation est un peu obscure, enfin obscure… obscurcie »,
et dire : « Un ou deux c’est tout à fait acceptable ». Seulement,
plus tard, quand elle dit qu’elle a entendu des coups de feu, elle n’a pas dit :
« Des coups de feu », elle n’a pas dit : « Cinq coups de
feu », elle n’a pas dit : « Sept », elle n’a pas dit :
« Quelques coups de feu », elle a dit : « Six coups de feu ».
Cette précision tranche avec le doute dans la manière dont on aurait vécu les
événements dont elle parle.
Mais il y a pire, parce qu’elle dit : « Je me suis enfuie,
je suis allée voir derrière ». Eh bien, les enquêteurs s’y sont rendus.
La cassette vidéo qu’on verra, vous avez signalé qu’on la verrait, je l’ai vue.
L’enquêteur s’y est rendu, derrière la maison de Victor… de… de Bernadette.
Vous verrez l’enquêteur dire : « Ah! d’ici on ne sait pas voir chez
Victor, c’est matériellement impossible ». Alors, on me dit que la déclaration
du témoin 91 aurait été faite dès janvier 1995, avant mon arrestation.
Que, par conséquent, cela apporte un grain de crédibilité. Vous avez compris
que matériellement, vous le constaterez, Monsieur le président, ce qu’elle dit
est matériellement impossible. Le 10 janvier 1995, certains de mes accusateurs
étaient déjà rentrés au Rwanda. Je signale qu’ils avaient déjà déclaré que j’avais
menacé de mort à Butare, le témoin 76. Il s’est avéré que le témoin 76
n’était pas à Butare, elle était à Kibuye. Elle était à Kibuye, elle n’était
pas à Butare. Je n’aurais pas pu la menacer. Ils avaient déclaré que j’ai menacé
les enfants de Madame Berina NYIRANDIBWAMI à Gisenyi, menacé de mort. Cette
dame va déclarer, peu avant mon arrestation, que plusieurs Tutsi ont pris contact
avec elle pour lui demander si elle pouvait témoigner contre Vincent NTEZIMANA.
Elle a dit : « Je ne veux pas mentir sans preuve ». Et d’ajouter :
« J’ai bien senti que GASANA Ndoba et Jean-Bosco KARASIRA n’étaient pas
contents que je n’ai pas voulu témoigner contre Vincent NTEZIMANA ».
Il y a d’autres accusations de meurtres qui ont été perpétrées à
Butare. Un collègue, Emmanuel GATWAZA, qui a été assassiné, selon les informations
que j’ai eues à Gisenyi, au mois de juin. Il y a au dossier, des témoignages
qui disent que je suis impliqué dans sa mort, j’étais déjà à Gisenyi et il y
a des preuves irréfutables matérielles qui peuvent montrer que j’étais à Gisenyi
parce que je voulais contacter ma femme, donc, je traversais la frontière bénino…
la frontière zaïro-rwandaise au poste douanier de Gisenyi et j’ai un tas de
tampons. Le 27, j’étais déjà à Gisenyi ; il y a des dates qui peuvent confirmer
que j’étais déjà en permanence à Gisenyi, depuis le 27. Cette personne-là est
décédée, Emmanuel GATWAZA et son beau-frère, dont on m’accuse aussi dans le
dossier, ce n’est pas retenu mais c’est tombé. C’est tombé. J’étais à Gisenyi.
On m’accuse aussi d’avoir assassiné, j’étais à Gisenyi. Alors, Monsieur le président,
c’est vrai, il y a des témoignages, des témoignages sur des choses qui ne sont
pas encore tombées, mais j’aime autant savoir pourquoi est-ce qu’on m’accuse
d’avoir assassiné une personne qui est morte en juin à Butare alors que j’étais
déjà à Gisenyi. Pourquoi est-ce qu’on sollicite des témoins de m’accuser d’avoir
voulu assassiner leurs enfants ? Qui s’en plaint, enfin, à la PJ ?
A quoi cela rime tout cela, Monsieur le président ? Est-ce que cela rime,
franchement, avec une volonté de déclarer la vérité, Monsieur le président ?
Le Président : Bien. Venons-en
à un aspect un peu plus général aux faits qu’on vous reproche, ce sont les rondes.
A un moment donné, il a été décidé, par mesure de sécurité, de faire des rondes
dans des quartiers où vous habitiez et de constituer des équipes pour faire
ces rondes. Si je ne me trompe pas, mais je peux me tromper… vous avez étudié
le dossier depuis plus longtemps que moi, il semble que vous étiez dans une
équipe dirigée par le Dr le témoin 93 ?
Vincent NTEZIMANA : Bernard
le témoin 93 était le responsable de zone ; l’équipe dans laquelle j’étais
était dirigée par quelqu’un d’autre, Monsieur le président.
Le Président : Oui… Il semble
aussi, d’après les explications en tout cas que vous donnez, que vous n’étiez
pas partisan d’effectuer ces rondes. Pouvez-vous expliquer pourquoi ? Je
vous demanderai ensuite d’expliquer pourquoi, malgré votre opposition à ce système
qui ressemble un petit peu à l’autodéfense et à d’autres choses, pourquoi, malgré
votre opposition à ce système de ronde, vous y avez quand même participé, quelques
fois en tout cas ? J’aimerais savoir cela. Pourquoi votre opposition ?
Pourquoi, malgré cette opposition, avoir quand même, à quelques occasions, participé
à ces rondes ? En quoi ont consisté aussi ces rondes ?
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Je voudrais confirmer, effectivement, que je me suis opposé aux rondes et donc
le dossier le confirme par des déclarations de témoins, de témoins qui sont
à charge aussi. Par exemple un témoin qui dit, alors que tout le monde était
invité à effectuer les rondes, Vincent NTEZIMANA a refusé des rondes mais il
n’encourait aucun reproche ni aucun rappel à l’ordre. Et de conclure, le témoin
conclut : « Cela veut dire qu’il était de connivence avec les autorités
qui les avaient mises en place ». Un autre témoin dit : « Il
a refusé de faire les rondes parce qu’il avait perdu au FPR ». D’autres
témoins disent, sous d’autres formes mais ils confirment bel et bien que
je me suis d’abord opposé à l’idée des rondes. Pourquoi ? Pour plusieurs
raisons mais les principales sont les suivantes. On nous disait que les rondes,
nous devions sortir de nos maisons pour lutter contre d’éventuelles attaques
du FPR et pour lutter contre les miliciens tueurs.
Officiellement, c’est la raison qu’on nous donnait. Je n’en étais
pas personnellement convaincu parce que les mains nues, vous ne pouvez pas affronter
les personnes armées qu’étaient les soldats du FPR et qu’étaient les miliciens.
C’était une première raison. Quand on nous a dit qu’on adjoindrait des militaires
à nos équipes, tout le monde était au courant que des militaires, pas tous les
militaires nécessairement, des militaires participaient aux massacres. Alors,
de nous dire qu’on nous enverrait deux ou trois soldats pour une équipe de dix
professeurs, je me suis dit : « En fait, quand ils vont envoyer ces
gens, imaginons qu’ils fassent des massacres ou des pillages, nous en serons
responsables ». On a souvent évoqué la responsabilité des intellectuels
à Butare, n’est-ce pas ? Quoique, à mon estime, il y a beaucoup de suiveurs
là-dedans. Je crois que nous aurions été moralement responsables des faits commis
par des soldats alors que nous n’avions aucun contrôle sur eux. Pour ces deux
motifs, je me suis opposé aux rondes. Finalement, j’y ai participé. Pourquoi ?
parce que…
Le Président : Vous pouvez
dire combien de fois ?
Vincent NTEZIMANA : Deux
ou trois fois. Pour la suite, j’ai donné des motifs en disant : « Voilà,
je vais voir mes enfants ou alors je vais au marché », parce que c’est
le motif qui passait le plus. Donner un motif rationnel, cela ne passait pas.
Après, j’ai recouru à des motifs du style… social en fait, parce que quelqu’un
d’autre l’avait fait à la même réunion, je l’avais refusé et cela lui avait
été accordé mais à moi pas, parce que je disais : « Non, mais c’est
insensé ». Finalement, j’ai été suivi par une seule personne, nous étions
une trentaine, tous les autres se sont rangés. Le lendemain, un militaire est
venu chez moi. D’après… non, ce que je veux, je vais… cela m’a été rapporté
par le témoin 93, qui était le responsable des rondes dans la zone,
il était un de mes voisins. Il voit les militaires arriver chez moi. Ils repartent,
furieux parce que je n’étais pas là et le témoin 93 leur dit… Ou alors ils ne
sont pas arrivés chez moi, ils sont venus furieux en demandant où était Vincent,
cet incivique. Il a compris, il a dit : « Je suis le responsable des
rondes, Vincent NTEZIMANA n’a rien à voir avec le FPR ». Il l’a dit, enfin…
il m’a défendu. Il leur a dit : « Je vais le convaincre d’effectuer
les rondes, comme cela vous n’aurez pas à vous inquiéter en quelque sorte ».
Quand je suis rentré, il m’a dit : « Ecoute, soit tu fais les rondes
ou alors tu fais une croix sur ta vie ». Ben, le choix était clair. Quand
j’ai fait les rondes, naturellement les personnes qui logeaient chez moi ont
été obligées à le faire aussi parce qu’autrement, les gens nous avaient vus
ensemble, autrement, après mon acceptation, cela aurait été leur tour parce
que les personnes hébergées devaient aussi faire les rondes.
A ce titre, vous constaterez que sur… que dans l’équipe où je me
suis fait inscrire, suivaient les noms de tous mes locataires… mes locataires
réguliers, pas les jeunes filles, pas NKUYUBWATSI, parce qu’eux partaient et
revenaient quand ils le voulaient. J’ai fait inscrire Aster RUTIBARIRA, le témoin 142
Jean-Marie et le témoin 118 dans l’équipe. Nous l’avons fait ensemble, quand
nous l’avons fait à deux ou trois reprises, effectivement. A ce sujet, je voudrais
tout de même évoquer un élément qui m’a fort étonné. Les procès-verbaux de ces
réunions relatives aux rondes ont été transmis par deux témoins, le témoin Pie-Joseph
le témoin 96 qui sera entendu ici je crois, qui était vice-président du CRDDR,
donc adjoint de GASANA Ndoba. Il les avait obtenus de quelqu’un à Butare et
d’autres ont été fournis par Madame Alison DESFORGES dans les documents qu’elle
a envoyés à Monsieur le juge d’instruction. J’ai constaté, étonnamment, que
tout, tout concorde concernant ces procès-verbaux, sauf une ligne qui à mon
sens en dit long. Les documents transmis par le témoin 96, dans mon
équipe, le nom du témoin 142 Vianney est « tipexé ». Il est « tipexé »
alors que la source est la même que les documents de Madame Alison DESFORGES,
qui sont tout à fait complets. Les documents envoyés par le témoin 96
ont rayé, « tipexé » le nom du témoin 142 Vianney. Monsieur
le président, cela pose des problèmes, cela me pose questions. Pourquoi ?
Pourquoi ce nom a-t-il a été rayé ? Pourquoi est-ce qu’on veut cacher la
vérité ?
Le Président: Vous étiez
opposé, vous avez quand même participé, vous venez d’expliquer pourquoi. Je
trouve pourtant dans le dossier, une curieuse lettre que vous avez cosignée
avec Monsieur RUTAYISIRE Jean-Népomucène. Cette lettre est signée par vous et
par Monsieur RUTAYISIRE Jean-Népomucène qui lui, se dit professeur à la faculté
des sciences appliquées et président du conseil de sécurité de Kibuye. Votre
signature est précédée de la mention, pardon… suivie de la mention « Professeur
à la faculté des sciences et président de l’Association du Personnel Académique
Rwandais de l’Université », de l’APARU, fonction dont on a déjà parlé précédemment,
hier à propos des listes de personnes qui souhaitaient évacuer. C’est une lettre
qui est datée du 25 avril 1994, adressée au commandant de place de la zone Butare-Gikongoro
et je vous donne lecture, ainsi d’ailleurs qu’aux membres du jury de cette lettre :
« Objet : Demande d’entraînement au
tir à l’arme à feu.
Monsieur le commandant de place,
Référence faite à la recommandation du gouvernement
rwandais en matière de mobilisation générale pour la défense de l’intégrité
de notre pays, compte tenu du fait que les efforts des forces armées rwandaises
dans la situation actuelle méritent un appui concret et considérable de la population
civile pour barrer la route à l’ennemi, vu que les membres du personnel-cadre
de l’université nationale du Rwanda ne peuvent pas rester les bras croisés et
qu’ils doivent participer à la défense des quartiers qu’ils habitent, les membres
du personnel-cadre de l’université nationale du Rwanda nous chargent d’adresser
auprès de votre autorité une demande pour l’apprentissage au tir à l’arme à
feu. En ce qui concerne l’octroi des armes, nos collègues préfèrent laisser
à votre appréciation le choix du moment approprié. Dans l’espoir que notre requête
sera examinée attentivement, nous restons à votre disposition pour des précisions
éventuelles et nous vous prions d’agréer, Monsieur le commandant de place, l’expression
de notre haute considération.
Signé : pour les membres du personnel-cadre
de l’UNR,
RUTAYISIRE Jean-Népomucène, NTEZIMANA Vincent ».
Le Président : Vous pouvez
vous expliquer à propos de cette lettre ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
Monsieur le président. Je reconnais tout à fait cette lettre. J’ai expliqué
tout à l’heure que je me suis opposé aux rondes pour leur inefficacité. Vu la
situation où nous étions, nous étions incapables de lutter contre les miliciens.
Ni contre les miliciens ni contre le FPR, parce qu’ils étaient armés. Si cela
avait été le FPR et les miliciens et si on avait été capable pour les rondes,
j’aurais été parfaitement d’accord de lutter contre les miliciens et contre
le FPR, armé. Alors, lorsque des bruits ont circulé à Butare comme quoi le FPR
allait attaquer à partir du Burundi, je rappelle tout de même que le FPR opérait
des assassinats, essentiellement de l’élite Hutu mais toute la population essentiellement
Hutu avait peur du FPR, donc le souci de se défendre contre le FPR, à mon avis,
à mon estime en tout cas…
Le Président : Ca, c’est
ce que vous affirmez.
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Bien sûr.
Le Président : Si on entend
des gens du FPR comme certains témoins hier, le FPR, cela fait la guerre, la
guerre aux soldats, cela ne fait pas la guerre aux civils.
Vincent NTEZIMANA : Mais
le fait est que les gens avaient peur du FPR et qu’ils avaient l’intention de
se défendre contre lui et que par conséquent, se défendre contre lui de manière
efficace, en légitime défense, je l’estimais tout à fait justifié. Je signale
au passage que nous disons, pour barrer la route à l’ennemi.
Le Président : A l’ennemi,
oui, oui. Vous ne dites pas au FPR.
Vincent NTEZIMANA : Barrer
la route à l’ennemi. Il y en a qui veulent faire sous-entendre qu’il s’agit
de l’ennemi de la RTLM ou de Kangura, pour dire : « Voilà en fait,
pour eux c’étaient des Tutsi ». Barrer la route, c’est du français, à l’ennemi,
c’était l’ennemi qui avance. Barrer la route. On n’a pas dit : « Chasser
l’ennemi », on a dit : « Barrer la route », c’était l’ennemi
qui avance, l’ennemi qui avançait à ce moment-là était bel et bien le FPR, Monsieur
le président.
Le Président : Apparemment,
les armes à feu, cela vous intéresse ?
Vincent NTEZIMANA : Vous
permettez, Monsieur le président… ?
Le Président : Oui…
Vincent NTEZIMANA : …d’ajouter
un témoin qui a fourni son témoignage aux enquêteurs, Gustave MUNYANEZA, précise
bien que les gens étaient réquisitionnés pour faire des entraînements au cas
où le FPR arriverait. C’est un témoignage qui figure également au dossier.
Le Président : Oui, mais les armes,
cela vous intéresse depuis plus longtemps que le mois d’avril 1994.
Vincent NTEZIMANA : Les armes…
Le Président : …parce que je constate
que le 2 juillet 1993, le ministre de la défense, le Docteur le témoin 25, vous
a établi une autorisation d’acquisition d’armes et de munitions. Il vous écrit
dans cette autorisation :
« Monsieur,
En réponse à votre lettre n° (il n’y a pas de
numéro) du 10 juin 1993, dont l’objet est en marge, je marque mon accord à votre
demande pour l’importation d’un pistolet 7,65mm et vous invite à contacter le
service chargé du contrôle des armes pour remplir les formalités ad hoc munies
des attestations communales d’usage ».
Je constate que le 27 juillet 1993, un document établi par le colonel
BAGOSORA Théoneste, directeur de cabinet de Minadef, je suppose que c’est le
ministère de la défense ou quelque chose comme cela, indique que vous êtes autorisé
à importer, acquérir aussi, un pistolet 7,65 et 50 cartouches calibre 7,65.
Le 13 août 1993, c’est une lettre qui est dactylographiée mais qui ne porte
pas de signature, donc je… ce sont des documents qui ont été transmis par la
gendarmerie rwandaise, et cela figure au classeur 8, sous-farde 31, pièce 30.
Lors de la commission rogatoire, les enquêteurs rwandais reçoivent de la gendarmerie
rwandaise ces documents. Le troisième document dont je parle est une lettre,
qui ne porte pas votre signature manuscrite mais qui est une lettre dactylographiée
datée du 13 août 1993, adressée au ministre de la défense nationale à Kigali :
« Monsieur le ministre,
Par la présente, j’ai l’honneur de m’adresser
à votre autorité pour solliciter le prêt d’un pistolet et des munitions auprès
du département ministériel dont la direction vous est confiée. En effet, Monsieur
le ministre, mes revenus mensuels provenant de mon salaire et de mes indemnités
de service ne me permettraient pas d’acquérir directement l’arme sur le marché,
compte tenu de son prix. Pour y arriver, je dois encore faire des économies
pendant au moins 12 mois. Aussi je vous serais très reconnaissant de me voir
prêter le pistolet et les munitions par vos services pendant la période où je
réunis encore les moyens de les acquérir. Pour de plus amples informations,
je joins une copie de l’autorisation d’acquisition à la présente. Dans l’espoir
que ma requête sera analysée de près, je vous prie d’agréer, Monsieur le ministre,
l’expression de ma très haute considération ».
Vincent NTEZIMANA : Monsieur
le président, je confirme bel et bien que ce courrier a existé. Mais on a déjà
souligné les difficultés pour la défense de pouvoir réunir les documents dans
la mesure où les documents qui ont été transmis l’ont été, dans une certaine
mesure, par des personnalités privées. Pourquoi je viens à ce problème-là ?
C’est parce que le ministre répond à une demande que j’avais effectuée pour
justifier ma demande de port d’armes. J’ai déjà dit qu’Emmanuel GAPYISI, président
du Forum Paix et Démocratie, une association à laquelle j’adhérais, membre du
MDR, un leader du MDR, a été assassiné au mois de mai 1993, aussitôt après mon
arrivée au Rwanda. A la même époque, les partisans de l’opposition et d’autres
membres politiques, d’autres militants politiques étaient assassinés. Cela créait
de la peur et le sentiment de me protéger m’a gagné et j’ai fait une demande
régulière de port d’armes avec copie au bourgmestre, au préfet. Vous constaterez,
Monsieur le président, que la réponse que m’a envoyée le ministre est accompagnée
d’une copie au bourgmestre et au préfet. Au commandant de place, je crois aussi,
mais le préfet, c’était Jean-Baptiste le témoin 32. Vous comprendrez que si j’avais
eu l’intention d’avoir accès à une arme pour des intentions délictueuses, je
n’aurais pas donné copie au bourgmestre et au préfet, le préfet Jean-Baptiste
le témoin 32. C’était une demande légitime pour me défendre au cas où, parce
que, donc, c’était très risqué de prendre des positions politiques dans le climat
de l’époque au Rwanda, Monsieur le président.
Le Président : Pourquoi cette
arme alors ? Je ne comprends pas bien. Vous qui me semblez peut-être vouloir
à la fois vous opposer à… au pouvoir en place, au président le témoin 32 et au
FPR, pourquoi avez-vous besoin d’une arme ?
Vincent NTEZIMANA : Mais
justement.
Le Président : Parce que
vous vous sentez menacé, vous ? Par qui ?
Vincent NTEZIMANA : Absolument,
Monsieur le président. Les menaces viendraient de tous côtés, justement, par
le fait même que je m’oppose, et publiquement. Je vous signale tout de même
qu’à l’époque, il n’y avait pas beaucoup de gens qui osaient parler. Quand je
m’oppose au régime d’un côté et que je m’oppose au FPR de l’autre côté, cela
ne fait qu’augmenter le nombre d’adversaires et j’observais, tous les témoins
pourraient vous le confirmer, il y avait des assassinats d’hommes politiques.
J’avais des positions politiques qui auraient pu m’attirer des ennuis. Eh bien,
j’ai pris peur. Je me suis dit : « Au cas où je serais attaqué chez
moi, au cas où je serais attaqué chez moi, je pourrais éventuellement me défendre ».
Par la même occasion, je vous signale que cela m’a aussi influencé dans la recherche
d’une maison, j’ai cherché une maison clôturée. J’ai dû demander les services
d’un gardien, ce qui n’était pas toujours le cas pour tous mes collègues, et
d’un chien qui pouvait l’aider pour protéger ma maison. Donc, ce n’est pas le
seul moyen que j’ai envisagé pour me défendre. Il y a ces mesures-là que j’ai
prises mais j’ai aussi demandé de pouvoir avoir accès, de pouvoir avoir une
arme chez moi pour le cas où je serais attaqué, Monsieur le président, les attaques
pouvant émaner de gens que je critiquais, des blocs que je critiquais, le MRND,
le régime et le FPR, Monsieur le président. Les crimes étaient bel et bien là,
les crimes politiques existaient, tous les témoins pourraient le confirmer,
Monsieur le président.
Le Président : Vous semblez
donc déjà, en juillet 1993, ne plus avoir confiance en un règlement pacifique
de tous ces problèmes ? Si vous vous sentez menacé, si vous vous dites :
« Il faut que je m’arme, c’est que… », « Il serait utile
que je sois armé pour pouvoir me défendre », c’est que vous n’avez pas,
déjà en juillet 1993, une très grande confiance dans un règlement pacifique
de la situation. Or, août 1993, un mois plus tard, ce sont les accords d’Arusha.
Vincent NTEZIMANA : Il y
avait une forte crainte, effectivement, il y avait une forte crainte. Tous les
observateurs vous le diraient : alors qu’on signait, il y avait des discours
à gauche et à droite tendant à réfuter les accords d’Arusha, il y avait des
assassinats qui continuaient. Les leaders politiques, y compris ceux de l’opposition,
plutôt que de s’atteler à résoudre ces problèmes de violence, étaient plutôt
concentrés sur des querelles intestines entre les partis, des insultes, et c’était
inquiétant, Monsieur le président, et un témoin a déjà fait part d’un courrier
que je lui ai transmis en juillet 1993 et qui figure au dossier, où je lui fais
part de mes craintes et où je lui dis que les violences s’accentuent de jour
en jour et que j’ai l’impression que les dirigeants ne prennent aucun… aucune
disposition pour les combattre et que cela fait peur. Donc, c’est une crainte
qui existait et que j’ai exprimée. Je l’ai exprimée. Effectivement, la crainte
était là. Il y avait des violences. J’espérais toujours. J’espérais toujours
qu’elles ne se produiraient pas, mais la crainte était là.
Le Président : Bien. Les
membres du jury ou les assesseurs souhaitent-ils, à ce stade-ci, déjà poser
des questions à Monsieur NTEZIMANA ? Les membres du jury, oui ? Oui,
Monsieur le 6e Juré ? Il faudrait qu’on vous apporte un micro.
Le 6e Juré : Je voudrais
demander à Monsieur NTEZIMANA si, pour lui, Monsieur KARENZI était un ami proche.
Vincent NTEZIMANA : KARENZI
était un proche, oui.
Le 6e Juré : Et quand
il a appris la mort de Monsieur KARENZI?
Le Président : Quand avez-vous
appris la mort de Monsieur KARENZI ?
Vincent NTEZIMANA : Quand
je l’ai appris, je ne sais pas dire la date exacte, le 20 ou le 21, c’était
dans le courant d’un après-midi. Je l’ai appris précisément de Jean-Bosco SEMINEGA,
j’étais chez lui avec d’autres et il nous a appris la mort de KARENZI. Je venais
de passer quelques heures chez eux.
Le 6e Juré : Et après avoir appris
la mort de Monsieur KARENZI, qu’est-ce qu’il a fait ?
Le Président : Vous avez
fait quelque chose de particulier en ayant appris la mort de Monsieur KARENZI
?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
j’ai téléphoné dans le courant de la soirée pour voir…
Le Président : A qui ?
Vincent NTEZIMANA : Chez
lui, j’ai téléphoné chez lui mais personne n’a répondu. J’ai téléphoné chez
lui, je l’ai déclaré, Monsieur le président, je l’ai déclaré déjà, dès mon arrestation.
Et je me suis rendu le lendemain chez lui pour voir.
Le Président : Vous êtes
allé chez lui le lendemain ?
Vincent NTEZIMANA : Je suis
allé chez lui le lendemain. Et…
Le Président : Seul ?
Vincent NTEZIMANA : Je suis
allé avec Bernard.
Le Président : le témoin 93.
Vincent NTEZIMANA : le témoin 93.
Et quand j’ai ouvert la porte, il y avait le corps de sa femme qui gisait,
qui gisait sur le sol.
Le Président : Est-ce que
vous avez fait quelque chose à ce moment-là en ce qui concernait le corps de
l’épouse de Monsieur KARENZI ? A ce moment-là ?
Vincent NTEZIMANA : A ce
moment même, non. J’ai refermé la porte. Il y avait une réunion de quartier
au sujet de l’insécurité et j’ai évoqué la présence d’un corps au cours d’une
réunion de quartier, d’un corps chez les KARENZI, oui.
Le Président : Est-ce que
vous avez entrepris quelque chose à un autre moment en ce qui concerne ce corps ?
Vincent NTEZIMANA : En ce
qui concerne, s’il vous plaît ?
Le Président : Avez-vous,
à un autre moment, entrepris quelque chose en ce qui concernait le corps de
Madame KARENZI ?
Vincent NTEZIMANA : A ce
moment-là, quand j’ai signalé la présence du corps de KARENZI, les responsables
de zone dans les réunions s’occupaient aussi de contacter les autorités préfectorales
pour leur dire qu’il y a des corps ici et là dans les rues, dans les maisons.
Le Président : Est-ce que
vous êtes retourné à un autre moment dans la maison de Monsieur KARENZI pour
voir ce qu’il était advenu du corps de son épouse ?
Vincent NTEZIMANA : A un
autre moment, je ne m’en souviens plus. Je ne me souviens plus, Monsieur le
président.
Le Président : Qui était
votre chef de zone à vous ?
Vincent NTEZIMANA : C’était
le témoin 93, donc c’est…
Le Président : Ca, c’est
le chef de zone ?
Vincent NTEZIMANA : Local,
c’était le chef de zone local. En fait il y avait des zones et des sous-zones
en quelque sorte. Le chef de zone était RUTAYISIRE Jean-Népomucène, je crois.
Le Président : Celui avec
lequel vous avez signé ce document destiné au commandant de place de Butare ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact.
Le Président : Relatif à
l’entraînement de tir à l’arme à feu ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact. Mais à la réunion, je l’ai signalé, se trouvait presque tout le monde
qui habitait le quartier.
Le Président : Bien. D’autres
questions ?
Le 6e Juré : Est-ce
qu’il a reçu l’arme qu’il a demandée ?
Le Président : Vous n’avez
pas reçu l’arme que vous avez demandée ? Vous aviez une autorisation d’acquérir
une arme, mais vous n’en avez pas acquise, et vous n’avez pas reçu d’arme en
prêt ?
Vincent NTEZIMANA : Non,
je ne l’ai pas reçue. J’ai eu une réponse négative.
Le Président : D’autres questions
parmi les membres du jury ?
Juré non précisé : Pourrait-on
savoir à quel moment de la journée ou de la nuit avaient lieu lesdites rondes ?
Le Président : Oui, les rondes,
cela se passait quand ? Pendant la journée ? Pendant la nuit ?
A partir d’une certaine heure ?
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Les équipes se relayaient de 6h à 6h. Il y avait des équipes de jour et des
équipes de nuit.
Le Président : Donc, cela
fonctionnait 24h sur 24 ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact, Monsieur le président.
Le Président : D’autres questions ?
Madame le 3e Juré suppléant ?
Le 3e Juré suppléant : Oui.
Monsieur le président, je voulais demander le relais des rondes qui se faisaient
la nuit et le jour, le relais se faisait à quelle heure ?
Vincent NTEZIMANA : A…
Je peux ?
Le Président : Oui, oui,
je vous en prie.
Vincent NTEZIMANA : A
6h. De 6h à 6h.
Le Président : C’était de
6h du matin à 6h du soir, de 6h du soir à 6h du matin ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact, Monsieur le président.
Le 3e Juré suppléant : Monsieur
le président, je voudrais aussi demander une autre chose. Est-ce que Monsieur
NTEZIMANA peut confirmer qu’à 19h il fait noir ?
Vincent NTEZIMANA : Tout
à fait. Au Rwanda, il fait noir à 19h.
Le 3e Juré suppléant : Merci.
Le Président : Autre question.
S’il fait noir, est-ce qu’il y a de l’éclairage public, éventuellement, qui
fonctionne à Butare, notamment à proximité de la barrière où on dit qu’on a
tué un jeune homme ? Est-ce qu’il y a un lampadaire ?
Vincent NTEZIMANA : En fait,
Butare avait été alimentée en éclairage public mais suite à la guerre, une station…
une centrale électrique avait été endommagée et donc les villes n’étaient plus
fournies en électricité depuis un bout de temps. Surtout l’éclairage public
était stoppé pour pouvoir, quand il y en avait, quand il y avait du courant,
les villes alternaient ou alors des quartiers alternaient, et quand il y en
avait, il n’y avait pas d’éclairage public. Avec la reprise de la guerre, le
6 avril, cela s’est empiré, on n’a plus eu d’électricité.
Le Président : Et vos rondes
de nuit, vous ne vous cassiez jamais la figure dans les chemins de Butare, ou
vous aviez peut-être des lampes de poche, je ne sais pas ?
Vincent NTEZIMANA : On marchait
dans la rue.
Le Président : Dans le noir ?
Sans utiliser aucun moyen d’éclairage ?
Vincent NTEZIMANA : Non.
Parfois il y avait qui avaient des lampes…
Le Président : Des lampes
camping gaz ? Je veux dire qu’il y a toutes sortes de modes d’éclairage.
Vincent NTEZIMANA : Moi,
je n’avais pas de lampe torche. Il y en avait probablement qui en avaient mais,
théoriquement, on n’avait pas nécessairement une lampe torche.
Le Président : Monsieur le
6e Juré ?
Le 6e Juré : Est-ce
que sur les barrières, ceux qui tenaient les barrières, ils avaient des lampes
torches ?
Vincent NTEZIMANA : Dans
la rue où j’habitais, nous n’avons pas tenu les barrières. Nous avons…
Le Président : Le jury voudrait
savoir si, aux barrières, il y avait des gens qui avaient des lampes torches.
Vincent NTEZIMANA : Quand
je suis passé à la barrière, si vous visez précisément la barrière…
Le Président : Aux barrières,
c’est la question du juré, est-ce qu’il y avait des gens qui avaient des lampes
torches ?
Vincent NTEZIMANA : Vous
comprendrez, Monsieur le président, que je n’ai pas pu circuler aux barrières.
Le Président : Enfin, vous
faisiez des rondes…
Vincent NTEZIMANA : Ah oui,
si vous le permettez, les rondes se faisaient dans la rue où l’on habitait.
Quand on passait…
Le Président : Sans passer
les barrières ?
Vincent NTEZIMANA : Il y
a des rues qui étaient… où il y avait des croisements et les barrières se trouvaient
dans des carrefours, en fait, les barrières se trouvaient dans des carrefours
et la barrière dont il a été question était un carrefour entre deux rues. Devant
la maison où j’habitais, la rue n’était pas coupée par un carrefour et il n’y
avait pas de barrage, nous faisions des mouvements de…
Le Président : D’allées et
venues, d’un bout à l’autre.
Vincent NTEZIMANA : D’allées
et venues dans la rue. Alors, on me demande de dire si aux barrières, il y avait
des lampes torches. Il aurait fallu que j’y aille. Je ne suis pas allé contrôler
des barrières d’autres personnes.
Le Président : Bien. Donc,
vous êtes passé une seule fois à une barrière. Cette fois-là, y avait-il à cette
barrière, des gens avec une lampe torche ?
Vincent NTEZIMANA : A cette
barrière-là, je suis passé plusieurs fois pendant la journée et cette fois-là,
c’était en début de soirée, je n’ai pas vu de lampe torche.
Le Président : D’autres questions
de la part des membres du jury ? Madame le 10e Juré ?
Le 10e Juré : Monsieur
le président, j’aurais voulu poser une question d’ordre un peu plus général
qui n’est pas destinée à l’accusé, mais je voulais savoir en fait s’il y avait
moyen de recueillir, via les centraux téléphoniques, des informations sur les
communications qui étaient passées ?
Le Président : Cela a été
tenté par le juge d’instruction lors de l’exécution d’une ou des commissions
rogatoires. Chez nous, c’est possible. Là il a été répondu que ce n’était, en
tout cas à ce moment-là, pas possible.
Le 10e Juré : Merci.
Le Président : Sinon effectivement,
de manière générale je peux vous dire, d’ailleurs la loi le prévoit, il y a
des dispositions du Code d’instruction criminelle qui prévoit la manière dont
le juge d’instruction doit procéder pour obtenir, il doit justifier, il doit
rendre une ordonnance pour obtenir des renseignements en ce qui concerne, ne
fût-ce que l’identification des numéros appelés dans le passé, dans le futur,
entrants et sortants, cela existe effectivement. Il peut aussi même demander
des écoutes téléphoniques. Cela se pratique aussi de manière légale chez nous
lorsque les centrales le permettent. Cela n’a pas été possible de vérifier.
Ceci a été effectivement un problème puisqu’il y aurait eu, selon un témoin,
un appel téléphonique parti de la maison de Monsieur KARENZI à destination d’un
prénommé Vincent. La vérification aurait été évidemment intéressante mais il
n’y a pas eu de résultat à cette demande du juge d’instruction. Euh… voilà.
Donc, théoriquement c’est possible, en l’espèce il n’y a pas eu de renseignements
obtenus. D’autres questions ?
L’Avocat Général : L’accusé
peut-il nous resituer la date exacte à laquelle les listes ont été établies ?
Le Président : Les listes
des personnes ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
comme je vous l’ai dit, Monsieur le président, les démarches ont commencé, donc
les premières demandes… j’ai reçu les premières demandes, je dirais, aux alentours
du 12, mais je ne peux pas être précis au jour près, je n’avais pas d’agenda
pour marquer : voilà, tel jour je fais ceci, je fais cela.
Le Président : Aux environs
du 12 avril ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
du 12 avril. D’autres demandes ont suivi et donc je leur disais qu’ils devaient
se concerter entre eux. La démarche d’inscription a dû durer 3-4 jours. Quand
j’ai écrit au vice-recteur, je fais une estimation, je peux dire le 14-15, et
la réponse m’a été fournie le lendemain ou deux jours après, donc ce serait,
je dirais le 15-16.
L’Avocat Général : Autre
question. L’accusé peut-il nous éclairer sur sa relation avec le vice-recteur,
Monsieur NSHIMYUMUREMYI parce que certains témoins, dont un viendra témoigner
ici, qui disent que Monsieur NTEZIMANA était le bras droit du vice-recteur.
Vincent NTEZIMANA : J’ai
consulté comme vous ce témoignage. Comme je l’ai expliqué, j’étais président
de l’APARU et donc président du syndicat de notre association. Nous avions,
fin 1993, un problème. Nous contestions la manière dont les logements étaient
attribués aux professeurs de l’université et nous avons fait une grève. Nous
avons arrêté les cours pendant trois jours et nous nous sommes organisés pour
discuter avec les autorités de l’université afin de faire valoir nos droits.
Mes collègues m’ont choisi comme porte-parole, je vais vous donner une anecdote.
Je me souviens quand nous sommes allés voir le vice-recteur, sa secrétaire,
dont le bureau était en face, nous a dit qu’il n’était pas là. Nous n’en étions
pas convaincus. Nous avons frappé à la porte, j’étais devant. J’ai ouvert la
porte. J’ai constaté qu’il n’y avait personne. Il y avait d’autres de mes collègues
derrière moi. La personne qui était juste derrière moi a dit : « La
chaise est vide ». Quand le vice-recteur, vous imaginez quand le vice-recteur…
en fait, les bruits ont couru comme quoi c’est moi qui l’aurais dit. La réalité,
c’est la personne qui était derrière moi qui a dit que la chaise était vide
mais le vice-recteur a appris que c’était moi parce que la fois suivante, quand
on a été le voir, il était furieux. Il m’a dit textuellement : « Si
tu veux prendre ma chaise, vas-y ». Alors, on a beau dire des choses, cela
n’est pas le cas d’un bras droit du vice-recteur. Le témoin fait des affirmations
mais j’ignore sur quelles bases il se fonde, Monsieur le président.
L’Avocat Général : L’accusé
connaissait-il les opinions politiques ou ethniques du vice-recteur qui, par
plusieurs survivants, est indiqué comme un des principaux responsables de massacres
à Butare ?
Vincent NTEZIMANA : Je savais
que le vice-recteur était membre du MRND. Ceci étant, je n’ai jamais discuté
de politique avec lui, donc je ne peux pas donner un avis ou une opinion sur…
une opinion politique de quelqu’un avec qui je n’ai pas discuté de politique.
L’Avocat Général : L’accusé
peut-il confirmer qu’il a assisté, avec d’autres d’ailleurs, à une réunion où
est venu parler le premier ministre intérimaire… euh… le premier ministre du
gouvernement qu’on appelle le gouvernement génocidaire, Monsieur KAMBANDA ?
Vincent NTEZIMANA : Je le
confirme parfaitement.
L’Avocat Général : Une autre
question, Monsieur le président, si vous permettez. J’ai bien cru comprendre
que Monsieur NTEZIMANA est allé porter la liste au domicile du vice-recteur.
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact.
L’Avocat Général : Que le
vice-recteur n’était pas là ou ne pouvait pas le recevoir et qu’il l’a donc
remise à la personne qui lui a ouvert la porte ?
Vincent NTEZIMANA : Je le
confirme.
L’Avocat Général : Est-ce
que, ça c’est une autre question. Cette liste contenait donc des noms de personnes
désirant quitter le Rwanda, c’était donc une liste extrêmement sensible. Est-il
concevable que Monsieur NTEZIMANA remette cette liste à une personne qui n’est
pas le vice-recteur et sans s’enquérir plus tard quoiqu’il en arrive, qu’il
n’a pas vérifié que cette liste soit effectivement remise entre les mains du
destinataire ?
Le Président : Oui. Je crois
que vous avez dit avoir reçu un accusé de réception ?
Vincent NTEZIMANA : Non,
j’ai téléphoné pour lui demander quelle en était la réponse. Il m’a dit ce jour-là,
ce soir-là : « Je vais réfléchir ». Le lendemain, il m’a dit
au téléphone qu’il avait appris qu’il y avait des barrières qui étaient déjà
installées sur la route qui mène de Butare vers Akanyaru et que, par conséquent,
il ne pouvait pas envoyer des convois de l’université sur la route, parce que
les Tutsi seraient triés et tués. J’ai bel et bien vérifié parce que je lui
ai téléphoné le soir et il m’a confirmé qu’il avait reçu ma demande.
L’Avocat Général : Oui, mais
je ne mets pas du tout en doute que le vice-recteur ait reçu cette liste, d’ailleurs
les résultats sont là pour le prouver. Ce que je mets… ce que je me demande,
c’est s’il est normal que Monsieur NTEZIMANA remette cette liste non pas en
mains propres mais la confie à une personne qui l’a apparemment remise à Monsieur
le vice-recteur, mais qu’il remette comme cela, une liste qui contient quand
même des données extrêmement sensibles, à cette personne-là ?
Vincent NTEZIMANA : J’ai
remis un courrier auquel étaient annexées les listes. Le courrier était fermé.
La personne qui est venue m’ouvrir la porte, je suppose, était une personne
de confiance du vice-recteur. Donc, je lui ai remis le courrier en lui demandant
du lui remettre et j’ai vérifié dans la soirée, par téléphone, s’il avait
bien reçu mon courrier. J’ai pris les dispositions au cas où il ne l’aurait
pas reçu. Je me serais inquiété. Mais là, il m’a confirmé qu’il avait reçu mon
courrier.
L’Avocat Général : L’accusé
peut-il confirmer qu’il utilisait, je suis dans un autre plan du dossier, le
fax de l’ESO, donc le fax du capitaine NIZEYIMANA, pour, par exemple, communiquer
ici avec l’UCL ?
Vincent NTEZIMANA : S’il
vous plaît ?
L’Avocat Général : Est-ce
que vous pouvez confirmer que vous utilisiez pendant les événements le fax de
l’ESO de Monsieur NIZEYIMANA, pour communiquer ici avec l’UCL, entre autres
avec Monsieur GALLEE ?
Vincent NTEZIMANA : Pendant
les événements, non. Je le nie. Je n’ai pas fait… je n’ai jamais communiqué
avec Monsieur GALLEE pendant les événements, vous avez dit, après le 6 avril,
par fax.
L’Avocat Général : Est-ce
que vous avez utilisé le fax de l’ESO ?
Vincent NTEZIMANA : J’ai
demandé en 1993, à Ildephonse NIZEYIMANA d’envoyer un fax chez lui. Il faut
savoir que les fax étaient très rares, que cela coûtait très cher, de m’envoyer
un fax, un courrier, à des connaissances, effectivement. Mais c’est en 1993,
et pas en 1994.
L’Avocat Général : Une dernière
question. Vous avez fait allusion à certains documents, Monsieur le président.
Parmi les documents qui ont été retrouvés dans le bureau de Monsieur NTEZIMANA,
il y a un document.
Le Président : Le bureau
de Monsieur NTEZIMANA…
L’Avocat Général : A l’UNR
à Butare, il y a un document qui est en kinyarwanda, dont la traduction figure
ici au dossier, qui est du 10 février 1994 et qui est adressé, qui commence
par : « Chère famille ». Est-ce que Monsieur NTEZIMANA sait de
quel document il s’agit, sinon je donnerai la référence : c’est le classeur
32, sous-farde 111, j’ai le texte ici.
Vincent NTEZIMANA : J’ai
constaté la présence de documents que je n’ai pas reconnus dans le dossier et
j’ai appris, en consultant le dossier, que ces documents avaient été transmis
par GASANA Ndoba en 1997 en prétendant que ces documents provenaient du bureau
que j’occupais avant le 6 avril 1994 à l’université. Je signale, je signale
que ce bureau était occupé depuis 1994 jusque 1997, et je signale
aussi que, lors des commissions rogatoires, on a fait état de cartes de la CDR,
de foulards de la CDR, de cartes vierges de la CDR, de slogans de la CDR dans
mon bureau mais qu’un autre enquêteur rwandais, cela se trouve au dossier, un
certain HATSINDINTWARI je crois, qui a pisté, qui a suivi la piste de ces documents,
a pu constater que ces documents provenaient du bureau de la Sûreté de Butare,
ce qui n’a pas empêché un témoin d’affirmer que ces documents provenaient de
mon bureau. Je n’ai pas vu, je n’ai pas vu, nulle part, dans le dossier où l’on
évoque la présence chez moi, de documents du MDR, du PRD, du… du… de l’APARU.
Il est à se demander si ces documents dont on parle proviennent bel et bien
de mon bureau. J’étais tout de même secrétaire général du PRD. J’étais… j’avais
été membre du MDR, je possédais des documents du parti auquel j’ai appartenu,
il est tout de même étonnant, étonnant, qu’on amène des documents d’autres
partis, des documents non signés, alors que pistés, un enquêteur constate qu’ils
proviennent de la Sûreté, de la Sûreté et qu’on dise qu’on les a obtenus, qu’on
les a recueillis dans mon bureau.
L’Avocat Général : Ici, je
ne parle pas d’un document politique. Je parle d’une lettre qui est adressée
à la famille, sur laquelle figurent votre nom, votre adresse, votre numéro de
téléphone, et qui est datée du 10 février 1994. Une autre petite sous-question :
votre troisième enfant est né quand ?
Vincent NTEZIMANA : Mon enfant
est né, le troisième, il est né le 22 mai 1994.
L’Avocat Général : Je me
demande parce que cette lettre dit :
« Chère famille,
Comment allez-vous ? Désiré nous a appris
que la famille s’est agrandie avec la naissance d’une fille. Nous vous en félicitons.
Nous aussi nous sommes dans l’attente d’un autre dans quelque cinq mois ».
Donc, la personne… votre thèse est de dire que cette lettre n’est
même pas de vous ?
Vincent NTEZIMANA : Cette
lettre n’est pas de moi. Cette lettre n’est pas de moi. Je rappellerai…
L’Avocat Général : Peut-être
une personne qui vous connaît fort bien alors, et qui connaît très bien votre
situation familiale, et même plus loin que cela.
Vincent NTEZIMANA : Je rappellerai,
Monsieur le président, que d’autres faux qui me sont attribués, là ils ont été
malins, ils n’ont pas mis d’imitation de ma signature, il y a d’autres faux
qui correspondraient aux déclarations que des témoins m’attribuent, où la vérification
concrète faite a révélé que ce n’étaient pas mes documents. Je ne suis pas dans
l’esprit des gens qui fabriquent des faux, de pouvoir évaluer leur art.
L’Avocat Général : Je m’arrêterai
ici, je ne donnerai pas de commentaires sur le contenu. J’utiliserai cela en
d’autres termes, le contenu que je lirai à ce moment-là, est fort clair.
Le Président : Bien. Maître
Clément de CLETY ?
Me. de CLETY : Monsieur le
président, il y a une chose qui, dans les déclarations de l’accusé NTEZIMANA,
échappe à mon entendement et je voudrais que vous demandiez quelques éclaircissements.
Si je reprends la chronologie des faits, l’avion présidentiel est abattu le
6 et la région… et le génocide commence dans les heures qui suivent, et dès
le 7, c’est en fait à peu près tout le Rwanda qui est à feu et à sang si ce
n’est la région de Butare qui reste un havre de paix jusqu’au 20, lendemain
du discours du président SINDIKUBWABO. Alors, moi je m’interroge et je voudrais
comprendre pourquoi est-ce que le 12, quelles étaient les motivations le 12,
des gens qui habitaient Butare pour vouloir fuir ce havre de paix et aller s’installer
à Gisenyi par exemple qui était déjà en pleine situation de tueries d’autant
qu’on savait - puisque la radiotélévision des Mille Collines répétait à qui
voulait l’entendre - qu’il y avait des barrages partout et invitait d’ailleurs
la population à y participer. C’est un peu comme si, entre 40 et 42, c’était
les Français qui voulaient fuir la zone libre pour aller en zone occupée. Donc,
je voudrais comprendre quelles étaient les motivations de ces gens qui fuyaient
cette zone tranquille pour aller rejoindre la guerre et le génocide.
Vincent NTEZIMANA : Monsieur
le président, j’ai répondu à une demande de mes collègues. Chacun avait ses
motivations. Mes collègues m’ont demandé d’effectuer une démarche d’évacuation
pour rejoindre les lieux où ils se sentaient le plus en sécurité. Chacun allait
où il souhaitait. J’ai effectué la démarche d’évacuation en fonction des demandes,
je n’ai pas examiné le bien-fondé ou pas des raisons. Je ne leur ai pas demandé
les raisons. Ils se sont fait inscrire et j’ai effectué la démarche en leur
nom et je n’ai pas demandé les raisons à chacun, je ne les ai même pas rencontrés
tous, j’ai rencontré ceux qui m’ont apporté leur liste.
Le Président : D’autres questions ?
Oui, Maître HIRSCH.
Me. HIRSCH : Monsieur le
président, Monsieur NTEZIMANA nous a appris aujourd’hui, en tout cas en ce qui
me concerne, deux choses sur le déroulement des faits en ce qui concerne la
mort de Monsieur KARENZI. La première chose qu’il a dite et qui ne figure pas
au dossier, c’est qu’il a appris la mort de Monsieur KARENZI, non pas par la
rumeur comme il l’a déclaré dans le dossier en premier lieu, mais par Jean-Bosco
le témoin 150 qui est donc un voisin de Monsieur NTEZIMANA. La première question
que je voulais… que je souhaiterais que vous posiez à Monsieur NTEZIMANA, c’est :
où se trouvait-il au moment où il apprend, donc par Monsieur Jean-Bosco SEMINEGA,
la mort de Monsieur KARENZI et environ quelle heure est-il ?
Le Président : Vous vous
souvenez de cela ?
Vincent NTEZIMANA : Je crois
l’avoir précisé au cours des interrogatoires, que quand j’ai appris la mort
de KARENZI à l’hôtel Faucon, quand je l’ai appris, j’étais chez des voisins,
je l’ai déjà précisé. Je n’ai pas évoqué, effectivement, le nom du témoin qui
me l’avait dit, dans l’espoir qu’il l’aurait confirmé aux enquêteurs, parce
que j’ai demandé aux enquêteurs qu’ils puissent l’entendre. Je ne l’ai pas…
à cette époque-là, je n’ai pas cité le nom, on ne me l’a pas demandé mais je
l’aurais cité, ce n’était pas dans l’intention du cacher.
Le Président : C’est curieux
de ne pas citer le nom d’un témoin dont on aimerait bien qu’il vienne confirmer.
C’est peut-être mieux que les enquêteurs sachent de qui il s’agit pour pouvoir…
Vincent NTEZIMANA : Je l’ai
cité comme témoin. Je l’ai cité comme témoin et j’ai dit : « Voilà,
quand j’ai appris la mort des KARENZI, j’étais chez Madame le témoin 143 ».
Le Président : Donc, dans
la maison de Madame le témoin 143 qui était à l’époque occupée, où logeait Monsieur
le témoin 150 Jean-Bosco.
Vincent NTEZIMANA : le témoin 150
Jean-Bosco et d’autres personnes. Et j’ai dit : « Certaines de mes
déclarations pourraient être confirmées par le témoin 150 Jean-Bosco ». Je l’ai
dit.
Le Président : Et donc, c’est
le témoin 150 Jean-Bosco qui vous l’a appris ou la rumeur ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
le témoin 150 Jean-Bosco qui me l’a appris.
Le Président : Bien. Vous
vous trouvez chez… enfin, dans cette maison, la maison de Madame le témoin 143
et de son mari, mais occupée par d’autres, dont le témoin 150 Jean-Bosco. A quelle
heure est-ce qu’il vous apprend cela ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
dans l’après-midi. Je ne sais pas dire si c’est 14h00, 15h00 ou 15h et demie,
c’est dans le courant de l’après-midi.
Le Président : Dans le courant
de l’après-midi du… ?
Vincent NTEZIMANA : Du 20
ou du 21. Pour la date, là vous m’excuserez.
Le Président : Du 20 ou du
21 ?
Vincent NTEZIMANA : Du 20
ou 21.
Le Président : Du 20…
Vincent NTEZIMANA : Du 20
ou 21.
Le Président : Du 20 ou du
21 avril. C’est la réponse de Monsieur NTEZIMANA.
Me. HIRSCH : Je vous remercie,
Monsieur le président. Elle est… Monsieur NTEZIMANA a manifestement une excellente
mémoire pour certaines choses mais il ne se rappelle pas de la date de la mort
de Monsieur KARENZI. Donc, le décès de Monsieur KARENZI est du 21 avril et dans
le dossier, Monsieur NTEZIMANA a effectivement déclaré à un moment qu’il se
trouvait chez des voisins quand il a appris, vers 13h00 ou 14h00, la mort de
Monsieur KARENZI. Alors, la deuxième question que j’aurais voulu poser, Monsieur
le président, par votre intermédiaire, rejoint la question qui a été posée par
Monsieur le 6e Juré qui a demandé : « Qu’est-ce que Monsieur
NTEZIMANA avait fait quand il avait appris la mort de ce proche collègue à l’université,
proche voisin, donc vers 13h00 ou 14h00 ? ». Dans le dossier, Monsieur
NTEZIMANA nous dit que, comme il en avait l’habitude, il a été passer l’après-midi
à jouer aux cartes avec des copains. J’aimerais savoir ce qu’il a fait entre
le coup de téléphone qu’il aurait donné dans la soirée et l’après-midi, après
13-14h00.
Le Président : Dans l’après-midi,
13h-14h00, 14h30, vous apprenez par Jean-Bosco SEMINEGA le décès de Monsieur
KARENZI.
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Le Président : Vous avez
expliqué tout à l’heure que dans la soirée, vous aviez, depuis chez vous, téléphoné
au numéro attribué à la famille KARENZI sans obtenir de réponse.
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact.
Le Président : Entre le moment où vous apprenez
le décès de Monsieur KARENZI et cet appel téléphonique, qu’est-ce que vous faites ?
Vincent NTEZIMANA : Ce que
j’ai fait, j’ai quitté, c’est dans l’après-midi, pour l’heure, Monsieur le président,
on peut se tromper, hein, entre 14h00 et 15h00 ou 13h00, j’ai bien précisé que
c’est dans l’après-midi. Quand je quitte la maison où étaient Jean-Bosco et
d’autres, je me suis rendu là où était Jean-Baptiste MUKIMBILI, chez le capitaine
NIZEYIMANA, où je suis resté un peu de temps et je suis rentré, euh… en fin
d’après-midi.
Le Président : Vous êtes
allé chez le capitaine NIZEYIMANA.
Vincent NTEZIMANA : Oui mais…
Le Président : Il n’était
pas là. Vous y avez fait quoi ?
Vincent NTEZIMANA : J’ai
discuté avec les personnes qui étaient chez lui.
Le Président : Vous discutiez
de quoi comme cela ?
Vincent NTEZIMANA : On jouait
aux cartes, on passait le temps.
Le Président : Vous jouiez
aux cartes… Il y a quelque chose qui me surprend assez chez un homme comme vous,
Monsieur NTEZIMANA, qui êtes vice-président d’un parti politique qui vient de
se créer au mois d’août 1993, qui sembliez être quand même impliqué très politiquement,
je ne critique pas vos opinions politiques, je dis que vous êtes actif, actif
politiquement, ici en Belgique quand vous êtes étudiant, au Rwanda aussi. Et,
curieusement, pour un homme qui aime tant être actif politiquement, quand vous
êtes avec des gens… Vous êtes avec le vice-recteur, vous ne parlez pas de politique ;
vous êtes avec vos collègues, vous ne parlez pas de politique ; vous êtes
avec le capitaine NIZEYIMANA, vous jouez aux cartes… Il y a quelque…
Vincent NTEZIMANA : Excusez-moi…
Le Président : Quelque chose
que je ne comprends pas. Il y a des heures pour parler politique ou…
Vincent NTEZIMANA : Excusez-moi,
Monsieur le pr…
Le Président : …est-ce qu’on
ne fait que parler politique sans en parler ? C’est-à-dire en écrivant
des choses uniquement ?
Vincent NTEZIMANA : Excusez-moi,
Monsieur le président, je n’ai pas dit que le capitaine NIZEYIMANA était là.
Le Président : Non, non.
Mais à d’autres endroits, vous dites : « On se rencontrait, on allait
jouer aux cartes, on se rencontrait aussi dans un autre établissement, parfois
on joue aux cartes ».
Vincent NTEZIMANA : Je n’ai
pas nié qu’on discutait de politique avec le capitaine NIZEYIMANA. Je crois
que la question ne m’a pas été soumise, Monsieur le président. Je n’ai pas dit
que je n’ai jamais discuté de politique avec lui. Quant au vice-recteur, nous
avions des relations professionnelles, je ne me suis jamais rendu chez lui dans
sa maison, j’ai été chez lui, la, donc, la…
Le Président : La seule fois
où vous êtes allé chez lui, c’est pour porter les listes ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
exact. Pour porter le courrier.
Le Président : Pour porter
le courrier auquel étaient annexées les listes.
Vincent NTEZIMANA : Pour
porter le courrier. Et, donc, j’avais des relations professionnelles avec le
vice-recteur. Je n’ai pas eu l’occasion de discuter avec lui de politique. En
1994, quand je me suis rendu chez le capitaine NIZEYIMANA, où logeaient deux
autres familles avec qui j’avais… j’ai passé le temps, ce sont des personnes
qui avaient fui. Je crois que parler de politique, venir leur parler des partis
politiques n’était pas le moment privilégié, Monsieur le président.
Vincent NTEZIMANA : Bien.
Oui, Maître HIRSCH.
Le Président : Si vous le
permettez, Monsieur le président, je note, ce que nous ne savions pas jusqu’à
présent non plus, que Monsieur NTEZIMANA a passé une partie de l’après-midi
chez le capitaine NIZEYIMANA qui habite également le même quartier que Monsieur
KARENZI, que Monsieur NTEZIMANA et donc que le capitaine NIZEYIMANA, a joué
ou a parlé avec des gens, j’aimerais savoir qui d’ailleurs, puisque le capitaine
NIZEYIMANA n’était pas là. On sait d’ailleurs que l’après-midi du 21 avril est
une après-midi particulièrement meurtrière puisque plusieurs centaines d’étudiants
sont massacrés à l’université l’après-midi du 21. Donc, la première question :
avec qui était-il chez le capitaine NIZEYIMANA qui n’était pas là l’après-midi
du 21 avril ?
Et deuxième chose : nous avons donc également appris, et c’est
la troisième information que nous recueillons aujourd’hui, que dans la soirée,
Monsieur NTEZIMANA a donné un coup de téléphone, euh… à Madame KARENZI, puisqu’il
savait que Monsieur KARENZI était mort. Je souhaiterais savoir, en deuxième
question : qu’est-ce qui s’est passé ? Qui a répondu ? Est-ce
que quelqu’un a répondu ? Et, dans la mesure où personne n’aurait répondu,
comment se fait-il qu’il ne se soit pas inquiété de Madame KARENZI, de Malik,
de Solange, des enfants, qu’il connaissait parfaitement bien puisque Monsieur
KARENZI était un proche de Monsieur NTEZIMANA ?
Le Président : Bon. Je crois
qu’à une de ces questions, il a déjà été répondu qu’il n’avait pas eu de réponse
à cet appel téléphonique. L’appel téléphonique chez Monsieur KARENZI le soir,
il n’y a pas de réponse ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
et je m’y suis rendu le lendemain matin. Et pour ce qui concerne les personnes
qui logeaient chez NIZEYIMANA, sa femme était souvent à la maison. Donc, la
famille qui logeait était Jean-Baptiste MUKIMBILI, sa femme et ses deux enfants.
Il y avait une autre famille d’un dénommé Callixte mais je ne sais pas dire
s’il est Tutsi ou Hutu, il avait deux ou trois enfants, et sa femme était là
aussi.
Me. HIRSCH : Pourquoi avez-vous
envoyé vos enfants dans votre famille d’origine, le 11 avril ?
Vincent NTEZIMANA : Parce
que, en fait, c’était un climat d’insécurité. Même s’il n’y avait pas de violence
à Butare, les gens qui venaient de Kigali donnaient des nouvelles de ce qui
se passait à Kigali, et il y avait la propagande, il y avait aussi des bruits
qui disaient que le FPR pourrait attaquer du Burundi. Donc, j’en ai conclu que
le mieux… parce que je me disais : « Tiens, peut-être à la campagne,
les guerres sont moins ravageuses », donc je les ai envoyés sur ma colline
natale.
Le Président : Oui, Monsieur
l’avocat général.
L’Avocat Général : Je voudrais
simplement demander confirmation. Monsieur NTEZIMANA nous a expliqué que Monsieur
KARENZI était une figure de proue à l’université, une cible privilégiée, cible
symbolique. Monsieur NTEZIMANA, par contre, lui, est responsable de l’APARU,
président de l’APARU. Il apparaît du dossier que, le 21 avril, vers 13h, 14h
ou 15h, il apprend le décès, enfin l’assassinat de Monsieur KARENZI. Est-ce
qu’il en a avisé le vice-recteur ou est-ce qu’il a entrepris quelque chose en
tant que président de l’APARU, vu sa qualité à lui et vu la stature et la qualité
de la victime ? Sauf de jouer aux cartes bien entendu.
Vincent NTEZIMANA : Quand
j’ai appris la mort de KARENZI, la personne qui me l’a dit a dit qu’il avait
été tué devant l’hôtel Faucon et que tout le monde pratiquement était au courant.
Je me suis… je n’ai pas pensé : « Tiens, le vice-recteur est au courant ».
Mais, presque tout le monde, disait-il, est au courant. Il a été abattu dans
la rue, devant l’hôtel Faucon.
Le Président : Maître BEAUTHIER,
qui avait soulevé son doigt un peu avant vous ?
Me. BEAUTHIER : Oui, Monsieur
le président, j’ai trois questions à poser à Monsieur NTEZIMANA. J’essaie de
comprendre un dossier qui est particulièrement complexe et je voudrais bien
qu’on nous explique peut-être, pour les jurés certainement, la topographie de
ces parcelles. Parce qu’enfin il y a, au moment des événements, et Maître HIRSCH
le dit, beaucoup de bruit, beaucoup de personnes qui meurent dans une ville
qui n’est tout de même pas énorme, il y a des rondes et voilà la maison de Monsieur
KARENZI qui est envahie à plusieurs reprises par des miliciens ou par des soldats.
Est-ce que, première question, Monsieur NTEZIMANA qui était au-dessus des rondes,
à côté ou dans les rondes, a entendu que quelqu’un lui a dit que la ronde avait
été prise en défaut et qu’on avait attaqué la maison de Monsieur KARENZI ? C’est
ma première question.
Le Président : Est-ce qu’on
vous a signalé quelque chose à propos des rondes qui n’auraient pas fonctionné
dans la rue où habitait Monsieur KARENZI ?
Vincent NTEZIMANA : Mais
je… je l’ai déjà dit, une des raisons pour lesquelles j’ai refusé de faire les
rondes, c’est parce que j’estimais qu’elles étaient inefficaces. Je ne sais
pas si je réponds à la question.
Me. BEAUTHIER : Non.
Vincent NTEZIMANA : Ben…
je l’ai mal comprise, alors…
Me. BEAUTHIER : Ces rondes
sont organisées, Monsieur y participe, bien forcé, comme, semble-t-il d’autres,
dit-il. Elles sont là. C’était l’objet de ma deuxième question : est-ce
qu’il ne se situait pas au-dessus des rondes au point qu’il estimait que son
statut, représentant syndical, membre d’un parti, secrétaire général d’un parti,
ne l’obligeait pas à accomplir ces rondes qui pourtant étaient là, existaient ?
Ces rondes devaient sécuriser. Il y a participé. Alors, qu’est-ce qui a fait
que, pour les KARENZI, cela n’a pas marché ?
Vincent NTEZIMANA : Dans
notre quartier, les rondes obligatoires ont commencé, si je ne me trompe pas,
le 25 ou le 26 avril, les rondes obligatoires dans notre quartier. Auparavant,
à l’époque du préfet Jean-Baptiste le témoin 32, on pouvait s’organiser comme
on l’entendait et la manière qui convenait, qui nous convenait, était d’échanger
les numéros de téléphone pour, éventuellement, le cas échéant, nous porter secours.
Avant…
Le Président : Donc, quand
un témoin dit qu’il y a eu un appel téléphonique, ce n’est peut-être pas…
Vincent NTEZIMANA : Qu’il
y a un ap…
Le Président : …de la maison
de Monsieur KARENZI vers un prénommé Vincent, c’est peut-être bien une utilisation
du système normal de sécurité à cette époque-là, dans votre quartier ?
Vincent NTEZIMANA : Monsieur
le président, je vous ai expliqué hier que, quand on m’a interrogé lors de mon
arrestation, sur la mort de KARENZI, on m’a demandé si nous étions proches,
si nous avions échangé les téléphones, on n’a même pas dû me le demander, je
l’ai signalé moi-même. Et j’ai été étonné parce qu’ils m’ont dit : « Ah
bon, voilà, tu as reçu un coup de fil auquel tu as répondu qu’il fallait tuer
la femme », donc, la femme de KARENZI. Le coup de fil ne m’a jamais été
donné.
Le Président : Vous ne l’avez
jamais reçu ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
je ne l’ai jamais reçu.
Me. BEAUTHIER : Monsieur
le président, la deuxième question. Monsieur KARENZI est donc un professeur
reconnu dont Monsieur NTEZIMANA a dit qu’il était, et Monsieur l’avocat général
l’a rappelé, quelque part sous le feu des critiques et en tout cas convoité
par ses ennemis. C’était un homme assez âgé, c’était un homme qui forçait l’estime.
Voilà donc un de ses voisins tout proche, si j’ai bien entendu hier, c’était
à 15 mètres ou 20 mètres, la distance qui sépare les deux habitations, alors
comment Monsieur NTEZIMANA, qui accueille des gens chez lui, peut-il m’expliquer
que quelqu’un qui est la cible reconnue depuis longtemps, passe après, en fait,
d’autres personnes comme les deux jeunes filles qui vont être tuées ? Pourquoi,
alors que sa maison était pratiquement vide, n’a-t-il pas proposé, puisqu’elle
était protégée, que Monsieur KARENZI et sa famille viennent éventuellement habiter
chez lui ?
Le Président : Oui.
Vincent NTEZIMANA : Nous
étions voisins mais pas de 20 mètres. Il y avait trois maisons entre nos résidences
et comme je l’ai dit, j’ai proposé à… à le témoin 142 et Longin de venir chez moi parce
qu’ils envisageaient d’aller loger à l’hôtel Faucon et je leur ai dit :
« C’est très dangereux ». J’ai proposé aux deux jeunes filles et à
Innocent NKUYUBWATSI parce que le capitaine NIZEYIMANA se plaignait que sa maison
était débordée. En ce qui concerne le professeur KARENZI, avec qui j’avais eu
des échanges, il ne m’est pas apparu inquiet. Si… on a… allez, au centre-ville,
on a été surpris en fait. Au centre-ville, on a été surpris. Aussi, s’il me
l’avait demandé, je l’aurais accueilli.
Le Président : Pas de commentaires
dans la salle ! Peut-être une dernière question ?
Me. BEAUTHIER : Oui, j’espère
que ce sera une dernière question, Monsieur le président. Il est difficile,
parce qu’on est tous un peu tentés, quand on voit quelqu’un qui s’enfonce, de
se demander pourquoi on en arrive là. Je veux parler de Monsieur NTEZIMANA.
Moi, cela me gêne toujours de charger quelqu’un, mais je voudrais tout de même
lui poser la question de savoir quelle explication il donne à l’assassinat de
cette jeune fille si, pour lui, ce n’est pas parce qu’elle en savait trop. Pourquoi
tue-t-on cette jeune fille ? Pourquoi donne-t-il l’ordre, d’après certains,
de tuer cette jeune fille, si ce n’est pas parce qu’elle en savait trop ?
Quelle est la raison ? Il a donné hier l’origine, je m’excuse, ethnique
de cette jeune fille, alors, quelle est la raison de cette tuerie ?
Le Président : Monsieur NTEZIMANA.
Vincent NTEZIMANA : Oui,
j’ai expliqué effectivement comment cette fille-là, donc les deux… ont été emportées
et la manière dont l’autre a été tuée. On peut toujours faire des hypothèses.
A mon estime…
Me. BEAUTHIER : Chez vous,
à la maison, c’est à la maison chez vous. On sait tout de même pourquoi on tue
des gens chez soi !
Vincent NTEZIMANA : Ce n’est
pas toujours évident, Monsieur le président, ce n’est pas toujours évident de
connaître la vérité. Ce n’est pas toujours évident. On peut échafauder des hypothèses
mais ça n’est que des hypothèses. J’allais dire : « A mon estime,
je les voyais parfois ensemble, ils s’entendaient plutôt bien ». J’ai pensé
dans l’immédiat que ces filles auraient pu être victimes d’une jalousie par
exemple, parce que la moindre chose pouvait entraîner la mort, la vie était…
avait été désacralisée, la moindre chose pouvait entraîner la mort. C’est l’hypothèse
que j’ai faite dans l’immédiat. Maintenant, s’il y a une autre hypothèse qui
pourrait se vérifier, cela se pourrait, c’est tout à fait possible. Ce que je
dis n’est qu’une hypothèse.
Le Président : Cette jeune
fille, elle avait quel âge, selon vous ?
Vincent NTEZIMANA : Je dirais
entre 20 et 25 ans.
Le Président : Et NKUYUBWATSI,
il avait quel âge ?
Vincent NTEZIMANA : Egalement
entre 20 et 25 ans.
Le Président : C’était des
personnes du même âge ?
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Le Président : Maître HIRSCH.
Me. HIRSCH : Monsieur le
président, deux questions. Nous représentons, Maître GILLET et moi, la famille
KARENZI, c’est pour cela que je pose autant de questions à ce propos. Nous savons
l’importance que représente un enterrement pour les victimes, le fait de savoir
où sont enterrés les corps des personnes qui ont été assassinées. Monsieur NTEZIMANA
dit dans le dossier, il l’a redit ici, qu’il est avec son voisin, qui était
chargé de la coordination des rondes et de la sécurité dans le quartier, qu’il
a trouvé, qu’il a découvert le corps de Madame KARENZI et je rejoins une des
questions que vous avez posées, Monsieur le président : a-t-il pris des
dispositions pour que ses enfants puissent se recueillir sur la tombe de Madame
KARENZI ? Dans le dossier, Monsieur NTEZIMANA ne dit qu’une seule chose,
c’est qu’on a procédé à l’évacuation des corps. La question que je souhaiterais
que l’on pose, c’est : est-ce que Monsieur NTEZIMANA peut nous dire où
Madame KARENZI a été enterrée ?
Vincent NTEZIMANA : Monsieur
le président, je ne sais pas le dire parce que je ne sais pas où elle a été
amenée mais la question que pose Maître HIRSCH est une question que je pourrais
poser aussi, mais c’était une gageure. C’était vraiment un défi difficile d’entreprendre
des choses qu’on aurait entreprises…
Le Président : En temps normal.
Vincent NTEZIMANA : En temps
normal, c’était vraiment difficile.
Le Président : Oui.
Me. HIRSCH : La deuxième
question, Monsieur le président. On a parlé des rondes, et on a parlé du système
mis en place de communications téléphoniques entre voisins. Le système des rondes,
il faut le savoir, a été une initiative de Monsieur KARENZI lui-même, qui a
pris contact avec ses voisins, professeurs d’université comme lui pour - avant
le début des massacres, et il a été un des premiers à être massacrés - pour
organiser cela dans le quartier. Je pense personnellement que les rondes, et
également le système téléphonique qui a été mis en place, étaient destinés à
rassurer Monsieur KARENZI. A cet égard, je voudrais qu’une question soit posée
à Monsieur NTEZIMANA. Le jour de son arrestation, Monsieur NTEZIMANA a dit quelque
chose qui me paraît extraordinaire et qu’il n’a plus redit après. Il l’a dit
à deux reprises devant les enquêteurs et également devant le juge d’instruction.
Il a dit que le capitaine NIZEYIMANA avait mis en place une unité téléphonique
pour recevoir les appels téléphoniques des gens menacés et pour les secourir.
Et Monsieur NTEZIMANA, dans sa première déclaration, a dit également ceci :
« L’après-midi du 21 avril, NOUS n’avons reçu aucun appel téléphonique
émanant de la famille KARENZI ». Je souhaiterais savoir comment cet appel
« télé-accueil » fonctionnait, organisé par les militaires et par
le capitaine NIZEYIMANA. Et deuxièmement : Que veut dire Monsieur NTEZIMANA
quand il dit : « NOUS n’avons reçu aucun appel téléphonique » ?
Vincent NTEZIMANA : Quand
on m’a posé la question concernant le fait que je fréquentais NIZEYIMANA et
qu’on me demande : « Est-ce que tu lui as posé la question de savoir
ce que faisait l’armée vis-à-vis des massacres ? ». Je lui avais posé
la question. J’ai dit : « Mais les militaires participent aux massacres,
que se passe-t-il ? » Il m’a précisément dit : « Voilà,
presque tous les militaires sont au front » je vous cite la réponse qu’il
m’a donnée « La situation n’est pas sous contrôle mais, dit-il, nous
avons créé une unité de militaires pour s’en occuper, ainsi que, allez !
une sorte de télé-accueil, effectivement, pour répondre au cas où des personnes
seraient menacées ». Cela, je l’ai confirmé aux enquêteurs, c’est la réponse
qu’il m’a donnée. Mais quand je lui posais la question, il dit : « L’armée »,
le camp militaire je suppose, je ne peux pas savoir comment fonctionnent des
appels téléphoniques ou de la gendarmerie ou de l’armée, je ne peux pas savoir.
Je ne peux pas savoir non plus quelles mesures ont été prises pour communiquer
à la population par exemple que cette mesure existait, mais c’est la réponse
que j’ai reçue. Je crois qu’il y avait une autre question ? Je crois qu’il
y avait une autre question.
Le Président : Pourquoi,
quand vous avez expliqué n’avoir pas reçu d’appel téléphonique de la maison
de Monsieur KARENZI, avez-vous dit, n’avez-vous pas dit : « JE n’ai
pas reçu » ? Avez-vous dit : « NOUS n’avons pas reçu d’appel
téléphonique » ?
Vincent NTEZIMANA : Parce
que je n’étais pas seul à la maison. Je n’étais pas seul à la maison.
Le Président : Alors, est-ce
que vous vous êtes renseigné auprès d’autres qui étaient à la maison pour savoir
s’ils avaient reçu un appel téléphonique ?
Vincent NTEZIMANA : A la
maison, il y avait Aster, aussi, RUTIBABARIRA et Caritas. Et Caritas, quand
elle recevait un coup de fil de quelqu’un, elle nous le disait, tout comme d’autres
personnes qui étaient chez moi. Quand je dis « nous », c’est parce
que, même en mon absence …
Le Président : Parce que
vous personnellement, vous ne l’aviez pas reçu et parce que des personnes, si
vous n’aviez pas été là, ne vous ont pas dit avoir, pendant votre absence, reçu
un appel téléphonique ?
Vincent NTEZIMANA : C’est
cela, exactement. Je n’étais pas là et, si j’avais reçu un coup de fil et que
quelqu’un de chez moi l’avait reçu, il me l’aurait signalé, je suppose.
Le Président : Hum… bien.
Oui, Maître NKUBANYI.
Me. NKUBANYI : Monsieur le
président, la question que je vous soumets est relative à l’établissement des
listes. Monsieur NTEZIMANA a dit que ce n’est pas lui qui a établi les listes,
qu’il a seulement joint une lettre à des listes établies par les personnes désirant
quitter l’université de Butare. Connaissant en fait le caractère délicat des
listes, sachant que, sur les listes et si on choisissait une destination, on
pouvait savoir si on était Tutsi ou Hutu, de l’opposition, que par conséquent
on courait un risque, pourquoi est-ce que l’accusé n’a pas d’abord demandé un
accord de principe auprès du vice-recteur avant de demander aux personnes de
confectionner les listes ? Parce que, si c’est vrai que pour les Tutsi,
on pouvait voir les archives…
Le Président : Non. Ou bien
vous posez une question, ou bien vous donnez la réponse vous-même, mais posons
la question. Et il me semble d’ailleurs qu’on a déjà eu un aperçu de réponse
hier. (A Vincent NTEZIMANA ) Lorsque vous avez été contacté, dites-vous,
par des collègues qui souhaitaient évacuer, est-ce qu’avant que ces listes ne
soient établies, pas par vous mais par des collègues qui étaient concernés,
qui souhaitaient évacuer, le reproche, ou la question qui se pose : pourquoi
- avant de se lancer dans la confection de listes qui pouvaient avoir des conséquences
simplement par l’existence des listes - pourquoi ne pas avoir obtenu, au préalable,
un accord de principe du vice-recteur ?
Vincent NTEZIMANA : Mais
si, mais si, je…
Le Président : Hein, c’est
cela la question. Il me semble que cela a été abordé hier mais vous pouvez peut-être
rappeler votre réponse.
Vincent NTEZIMANA : Mais
oui, je crois l’avoir déclaré. J’ai téléphoné au vice-recteur pour lui dire :
« Voilà, il y a des collègues qui me soumettent une demande ». Il
m’a dit que c’était envisageable, qu’il fallait que je lui adresse une lettre
à laquelle seraient annexées les listes des personnes avec les directions où
ils iraient. C’est comme cela que je me suis adressé à mes collègues pour leur
dire : « Tiens, j’ai un accord de principe, il y a un accord de principe,
c’est tout à fait possible ».
Le Président : Monsieur NTEZIMANA,
savez-vous ce que, parce que je ne pense pas qu’il a été entendu dans le cadre
de ce dossier, ce qu’est devenu le vice-recteur NSHIMYUMUREMYI ?
Vincent NTEZIMANA : Aux dernières
nouvelles, mais qui datent déjà de 1996-1997, il était au Gabon. Aux dernières
nouvelles, qui datent de 1996-1997, 1998.
Le Président : Une autre
question encore ? Maître JASPIS.
Me. JASPIS : Monsieur le
président, on a parlé jusqu’à présent des voisins, des professeurs. Se pose
aussi la question de l’attitude de Monsieur NTEZIMANA par rapport aux étudiants,
j’ai envie de dire pas par rapport aux étudiants mais par rapport à ses étudiants.
Quelles dispositions est-ce qu’il a éventuellement prises, quel souci est-ce
qu’il a éventuellement manifesté de savoir ce qui se passait sur le campus
pour ses étudiants, qui y logeaient vraisemblablement ? Merci.
Le Président : Est-ce que
vous vous êtes inquiété du sort de vos étudiants, de ceux qui étaient dans votre
classe, je veux dire, pas des étudiants en général, mais ceux avec lesquels
vous avez pu avoir quand même pendant l’année académique des relations de professeur
à étudiants ?
Vincent NTEZIMANA : Oui,
le quartier où résidaient les professeurs n’est pas sur le même site que le
campus universitaire où logeaient les étudiants. Quand les événements se sont
passés le 6 avril, nous étions en vacances de Pâques. Dans mon entendement,
comme professeur, en vacances de Pâques, le campus n’est pas fréquenté. Ceci
étant, j’ai pu consulter le dossier et en consultant le dossier, je me suis
rendu compte que, d’après les personnes qui étaient chargées de la gestion quotidienne
de l’université, il y avait des étudiants déplacés, il y avait d’autres personnes
qui restaient, d’autres étudiants qui restaient pour leur confection de mémoire,
mais ce n’était pas, ni dans mes compétences… et il n’y avait aucun élément
qui puisse m’indiquer que cela était, nous étions en vacances de Pâques. Les
étudiants étaient censés être chez eux, en tout cas aux yeux d’un professeur.
Le Président : Vous ne vous
êtes pas dit : « Bon, il faudrait peut-être qu’on fasse le tour, qu’on
aille voir s’il n’y a pas des gens qui sont en difficulté ? ».
Vincent NTEZIMANA : Les étudiants
étaient dans un tout autre quartier.
Le Président : Vous avez
une attitude comme cela un peu curieuse, hein. Vous rencontrez deux personnes
qui veulent aller loger à l’hôtel Faucon, que vous ne connaissez ni d’Eve ni
d’Adam et vous dites : « N’allez pas là, vous allez vous faire tuer,
venez chez moi ». Vous avez des étudiants, enfin, vous avez vous-même été
étudiant, évidemment vous étiez étudiant peut-être à l’étranger ce qui ne permettait
pas de rentrer toujours pendant les vacances à la maison… mais il y a des gens
qui sont proches de vous, plus proches que ces gens, que ces inconnus que vous
croisez là devant l’hôtel Faucon ou près de l’hôtel Faucon ? Vous vous…
Vous ne vous inquiétez pas de vous dire : « Mais enfin, il faut aller
voir, est-ce qu’il n’y a pas du danger ? ».
Vincent NTEZIMANA : Monsieur
le président, il faut aussi voir, je crois qu’un témoin vous l’a déjà dit, il
faut aussi voir quels moyens j’aurais pu avoir pour m’y rendre, d’abord, parce
que le campus se trouve… il y avait plusieurs barrières, je suppose. En tout
cas, il y avait une barrière devant l’hôtel Faucon et quand nous avons été conduits
le 14 mai à une réunion, j’ai aperçu d’autres barrières. Donc, ce n’était pas
évident. C’est vrai, j’étais Hutu, mais le risque était là aussi. Maintenant,
à supposer que je me rende au campus, par quels moyens ? Quels moyens j’aurais
utilisés, pour aller frapper au kot de chacun des étudiants ? Pour aller
voir ? C’est un campus, chacun a un kot. Qu’est-ce que j’aurais fait ?
Frapper à la porte de chacun des étudiants ? Qu’est qu’on serait en train
de me dire maintenant ? On serait en train de dire: « Voilà, il a
recensé des étudiants ».
Le Président : Ceci dit,
peut-être qu’aucun autre professeur n’a pris l’initiative, hein. Mais est-ce
que vous, les professeurs, avez-vous à un seul moment, pensé à ces étudiants ?
Ou bien est-ce qu’à cette époque-là, c’était chacun pour soi et advienne que
pourra ?
Vincent NTEZIMANA : Je crois
que, ce que j’ai pu constater c’est que chacun a fait ce qu’il a pu et j’ai
constaté, quand j’ai refusé de faire les rondes, que j’étais minorisé, j’étais
gravement minorisé, nous n’étions que deux sur une trentaine de participants.
Alors, euh… je n’ai pas pu faire tout seul une entreprise qui aurait nécessité
la mobilisation de toute l’université. Eventuellement des propositions, des
propositions des professeurs, et mobilisant les autorités de l’université. La
mobilisation des autorités de l’université que j’avais tentée avait déjà échoué,
Monsieur le président.
Le Président : Bien. Y a-t-il
encore d’autres questions ? Oui.
Me. WAHIS : Monsieur NTEZIMANA,
le capitaine NIZEYIMANA, qu’est-il devenu ?
Vincent NTEZIMANA : S’il
vous plaît ?
Me. WAHIS : Actuellement,
est-ce que vous connaissez le sort du capitaine NIZEYIMANA ?
Vincent NTEZIMANA : Je n’en
ai aucune idée. J’ai eu vent, à l’époque où il y avait encore les camps de réfugiés
au Zaïre, qu’il était à Bukavu. Ensuite, des rumeurs ont dit qu’il était au
Cameroun. J’ai cherché à vérifier s’il était effectivement là-bas, je n’ai pas
pu obtenir de confirmation.
Le Président : Vous vous
inquiétez de son sort ?
Vincent NTEZIMANA : S’inquiéter
parce que… On m’accusait d’avoir fait ceci, fait cela avec lui, je voulais bien
savoir où il était, pour éventuellement le signaler aux enquêteurs pour lui
demander sa version, pour une éventuelle confrontation avec mes déclarations.
Ce n’est pas son sort qui m’intéresse.
Le Président : Eh bien, profitons
de la présence de la presse internationale pour faire un appel à Monsieur NIZEYIMANA.
Qu’il vienne ici. Ce serait le scoop du procès !
Vincent NTEZIMANA : Mais,
Monsieur le président, je vous ai donné les informations que j’ai à ma disposition.
Le Président : Oui. Je comprends
bien que vous n’avez pas les moyens de vous lancer dans… dans des recherches
personnelles pour retrouver ce capitaine. Mais peut-être que le tapage qui est
fait, les accusations portées contre vous, peut-être bien que si le capitaine
NIZEYIMANA lit les journaux quelque part ou à la télévision quelque part, va
se dire : « Moi, je vais aller en Belgique expliquer… ».
Vincent NTEZIMANA : A mon
estime, ce serait intéressant pour mettre la main sur lui pour qu’éventuellement
il puisse s’exprimer, qu’il s’explique ou s’exprime sur un certain nombre de
faits que j’ai lus dans le dossier sur les déclarations le concernant.
Le Président : Bien. Oui ?
Me. WAHIS : Je voudrais savoir
avec précision quel a été le rythme de vos rencontres avec Monsieur NIZEYIMANA,
avec le capitaine ?
Vincent NTEZIMANA : Le rythme
de nos rencontres…
Me. WAHIS : Pendant le mois
d’avril ?
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Alors, il y a deux choses qu’il faut séparer. Quand je me rendais chez lui,
ce n’était pas nécessairement lui que j’allais voir. J’avais fait connaissance
avec les personnes qu’il hébergeait et que j’allais voir naturellement. Lui
n’était pas souvent à la maison. Donc, je me suis rendu souvent chez lui. Mais
je l’ai rencontré aussi à plusieurs reprises. Alors, est-ce que c’est cinq fois,
six fois ? En tout cas, c’est à plusieurs reprises, oui. Je tiens à signaler
que le capitaine NIZEYIMANA a été muté de Butare, je ne connaissais pas la date
mais je m’en suis rendu compte en consultant la déclaration d’un autre témoin,
il a été muté, d’après le témoin Jean-Baptiste MUKIMBILI, a été muté pour l’entraînement
des jeunes recrues à Gikongoro le 26 avril. Le 26 avril 1994.
Me. WAHIS : Donc, vous l’avez
rencontré cinq ou six fois entre, disons quoi, le 7 avril et le 26 avril ?
Vincent NTEZIMANA : Non.
Après, il revenait de temps en temps aussi. Après sa mutation, il revenait de
temps en temps aussi à Butare et j’ai eu l’occasion du rencontrer.
Me. WAHIS : Et vous le rencontriez
chez lui ou à l’école des sous-officiers ou…?
Vincent NTEZIMANA : Je ne
me suis jamais rendu à l’école des sous-officiers pendant le mois d’avril. C’est
chez lui que je l’ai rencontré.
Me. WAHIS : Et les rencontres
duraient longtemps ?
Vincent NTEZIMANA : Quand
il passait par exemple à la maison et que j’étais là, il nous saluait, toutes
les personnes qui étaient là. Quand j’y allais, ce n’était pas pour le rencontrer.
Mais je ne dirais pas que je ne l’ai pas rencontré puisque je l’ai vu, je l’ai
rencontré chez lui. Est-ce que cela durait longtemps ? J’ai passé quelques
heures chez lui, en compagnie des personnes qu’il hébergeait, et il est arrivé
qu’il soit là.
Me. WAHIS : Merci.
Le Président : Oui,
Monsieur l’avocat général.
L’Avocat Général : Si j’ai
bien compris, l’accusé vient de nous dire qu’il n’avait pas la possibilité de
se rendre de son domicile à Butare au campus de Butare qui est éloigné, je ne
connais pas les lieux, mais je suppose que ce n’est pas des milliers de kilomètres ?
Vincent NTEZIMANA : Non.
Je peux répondre ?
Le Président : Oui.
L’Avocat Général : Je n’ai
pas dit que je n’avais pas la possibilité, j’ai dit que c’était difficile.
L’Avocat Général : Vous ne
l’avez pas fait, donc ?
Vincent NTEZIMANA : Je ne
l’ai pas fait.
L’Avocat Général : Mais,
est-ce pendant… entre la période du 12 avril 1994 et du 25 mai 1994, là nous
sommes en plein génocide et en pleine guerre, est-ce que vous avez eu la possibilité
de quitter Butare pour vous rendre à Gisenyi ?
Vincent NTEZIMANA : Oui.
Mais si vous le permettez, je complète tout de même la question précédente,
parce que la difficulté de me rendre au campus n’est pas la seule, le seul empêchement.
Ici, nous sommes… il faut bien s’imaginer, autour de nous, on entend des détonations,
on apprend qu’il y a des morts, on n’est pas dans un climat normal. Donc, c’est
tout à fait normal, je suis un être humain vous savez, que je trouve difficile,
relativement difficile, mais ce n’est pas la seule raison. Une mobilisation,
j’ai bien dit une mobilisation de tous les professeurs, de toutes les autorités
de l’université, aurait pu, éventuellement, permettre de faire quelque chose.
Ceci étant, je ne savais pas qu’il y avait au campus, des étudiants. Il y a
plusieurs éléments qui ont concouru à ce que je ne puisse pas y aller. Je confirme
effectivement que j’ai pu me rendre dans ma région natale pour voir mes enfants
et, deux fois donc, par l’entremise, c’est comme demander un lift, j’ai demandé
un lift, j’avais demandé au capitaine NIZEYIMANA parce qu’ils envoyaient des
camions, des véhicules, pour ravitailler l’armée en pommes de terre, en bière,
en vivres, à Gisenyi donc, et je lui avais demandé, à l’occasion de l’un de
leurs convois, qu’il me donne un lift, qu’il permette que j’obtienne un lift.
L’Avocat Général : Donc,
votre position, c’est qu’il était plus difficile pour un professeur de l’université,
président de l’APARU, de demander par exemple un lift, comme vous le dites,
au capitaine NIZEYIMANA pour vous conduire à une centaine de mètres, cela c’était
difficile, mais en plein combat, il n’était pas difficile de se rendre, avec
un camion ou un lift fourni par Monsieur NIZEYIMANA, à Gisenyi où se trouvait
le front. Donc, il était plus facile d’aller au front que d’aller au campus.
Vincent NTEZIMANA : Monsieur
le président, j’ai dit qu’il était relativement difficile de se rendre au campus.
Il était tout autant difficile de se rendre à Gisenyi. J’ai pu m’y rendre par,
effectivement, l’entremise du capitaine NIZEYIMANA. Ne pas me rendre au campus,
ce n’est pas la seule difficulté de pouvoir m’y rendre qui m’en a empêché. D’abord,
je n’avais pas d’information qu’il y avait des étudiants au campus. Ensuite,
il fallait réaliser que : « Tiens, s’il y a des étudiants, il fallait
voir, et ensuite mobiliser des professeurs et les autorités de l’université ».
Donc, je rappelle que, quand j’ai tenté une mobilisation, elle avait échoué.
Quand j’ai tenté, au sujet des rondes, de dire : « Mais vous savez,
les rondes c’est… donc, les rondes ne sont pas efficaces, les rondes, il y aura
des militaires », nous n’avons été que deux, nous n’avons été que deux
à nous opposer aux rondes ; nous étions 30. La difficulté relative de me
rendre au campus n’est pas l’unique raison qui ait fait que je ne me sois pas
rendu au campus, Monsieur le président.
Le Président : Nous allons
peut-être suspendre un quart d’heure et en principe, après, nous allons quand
même entendre Monsieur GASANA Ndoba ce matin ; et les enquêteurs et le
juge d’instruction, ce sera sans doute en début d’après-midi. Donc, l’audience
est suspendue. |
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