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7.1. Interrogatoire de Alphonse HIGANIRO
Greffier : La Cour.
Le Président : L’audience
est reprise. Vous pouvez vous asseoir et les accusés peuvent prendre place.
Bien, je vais demander aux cameramen de bien vouloir libérer l’espace.
Bien. Ce week-end, j’ai revu la planification de l’audition des témoins
en fonction essentiellement des éléments que j’avais à ma disposition en ce
qui concerne les témoins venant de Rwanda, auxquels il convient évidemment d’accorder
la priorité, ainsi qu’aux témoins qui avaient déjà été cités, venant de l’étranger.
Je vais faire distribuer aux membres du jury et aux parties, un nouvel horaire
prévisionnel et vous constaterez que nous risquons bien de ne terminer cette
session que le 8 juin. Si certains des jurés ont évidemment un problème, c’est
pour cela qu’il y en a 24… c’est pour ça qu’il y en a 24 et que donc, on espère
que le 8 juin, il en reste encore 12. Encore que vous termineriez au plus tard
le 7 juin pour les jurés, le 8 juin étant un jour réservé à la Cour puisque
ce seraient les débats sur les intérêts civils, pour autant que ces débats doivent
avoir lieu.
Ce matin, nous allons… donc, on peut distribuer, Monsieur le greffier ?
Ce matin, nous allons débuter par l’interrogatoire de Monsieur HIGANIRO
à propos des faits qui lui sont reprochés et nous aurons cet après-midi le témoignage
du juge d’instruction et des enquêteurs à propos de ce même volet du dossier.
Maître MONVILLE.
Me. MONVILLE :
Merci, Monsieur le président. Dans l’optique
de l’interrogatoire de Monsieur HIGANIRO et de la venue du juge d’instruction
et des enquêteurs concernant la partie relative aux accusations portées contre
Monsieur HIGANIRO, je voudrais vous demander deux choses, Monsieur le président.
D’une part, en ce qui concerne les documents qui ont été repris, dactylographiés,
serais-je tenté de dire, par le parquet général dans l’acte d’accusation, nous
souhaiterions que les pièces, telles qu’elles ont été trouvées et versées au
dossier, soient distribuées aux jurés. Deux raisons à cela : d’une part,
pour qu’on puisse constater dans quelles conditions ces pièces ont été tracées,
parce qu’évidemment ce qu’on a sous les yeux n’est pas du tout ce qui se trouve
au dossier et d’autre part, et cela concerne plus particulièrement le troisième
document, c’est la lettre, la fameuse lettre-rapport du 23 mai 1994, certains
passages semblent illisibles. Je crois que si la pièce est soumise à l’ensemble
des parties et aux jurés, et notamment que Monsieur HIGANIRO peut y apporter
certains commentaires, il pourra peut-être lire les passages qui restent illisibles.
Ca, c’est une première demande. Je crois que ça permettra une meilleure compréhension
des débats pour tout le monde.
Et alors, je voudrais également vous faire une seconde observation.
Nous allons avoir le plaisir de revoir Monsieur le juge d’instruction et les
enquêteurs, cet après-midi. Nous souhaiterions que, en présence du magistrat
instructeur, en tout cas, on puisse visionner deux cassettes.
Alors, je vais vous donner un court mot d’explication : il y
en a une qui concerne la SORWAL. C’est un document, je crois, qui a été transmis
par un journaliste de la VRT qui est allé sur place très récemment, et il nous
semble important, parce qu’on voit très bien les lieux, que l’on puisse visionner
en présence des enquêteurs et du juge d’instruction, cette cassette, pour voir
s’ils confirment que les lieux qu’ils ont filmés sont bien ceux qu’ils ont vus
et s’il n’y a eu aucune modification. Ces plans sont vraiment impeccables et
nous souhaiterions que l’on puisse soumettre cette cassette, notamment au juge
d’instruction et aux enquêteurs. Et alors, il y a un deuxième volet du dossier
pour lequel nous souhaiterions la projection de quelques minutes d’une vidéo
qui a été tournée par la famille de Monsieur HIGANIRO, pendant des vacances
à Kigufi. C’était une villa de vacances, et je crois que c’est un document qui
est également intéressant, parce qu’il permet de bien situer le cadre de l’action
qui a pu se dérouler à Kigufi ; on voit très bien les parcelles de l’aide-soignant,
la parcelle de Monsieur HIGANIRO. On voit très bien où se situe le couvent des
sœurs. La seule chose que je voudrais souligner, Monsieur le président, c’est
un document qui n’a pas la qualité du premier document, ce sont des prises qui
ont été faites à l’occasion de vacances et donc vous verrez des personnes qui
n’ont rien à voir avec le dossier, mais on voit en tout cas très bien les lieux
et nous souhaiterions que ces deux cassettes puissent être visionnées cet après-midi,
en présence des enquêteurs, éventuellement, si certaines parties souhaitent
les visionner avant que les enquêteurs ne viennent, on pourrait peut-être le
faire sur le temps de midi.
Le Président :
Il y aura de toute façon des vidéos de
la PJ aussi…
Me. MONVILLE :
En tout cas, on souhaiterait que celles-ci
soient également projetées.
Le Président :
Eh bien, nous verrons ça cet après-midi. Bien,
Maître BEAUTHIER.
Me. BEAUTHIER : Je
viens de prendre connaissance de la liste. Elle est pour nous importante,
au niveau de notre organisation. Le 4 mai, est-il
normal qu’entre 9h et 9h30, on ait toute cette nomenclature de témoins, ou y
a-t-il une petite erreur qui s’est glissée ?
Le Président :
Il n’y a pas d’erreur. Ce sont des témoins
qui vraisemblablement ne seront pas là, ne sont pas venus, et donc, il faut
bien qu’ils se situent quelque part sur la liste pour qu’un sort puisse être
réservé à ces personnes, mais le sort étant vraisemblablement que…
Me. BEAUTHIER :
On ne les entendra pas.
Le Président :
On ne les entendra pas.
Me. BEAUTHIER : Ca
va. Merci bien.
Le Président : Même chose
peut-être à d’autres endroits du timing. Vous verrez parfois que plusieurs personnes
sont reprises à la même heure. Il s’agit le plus souvent de personnes qui ont
fait savoir qu’elles n’étaient pas disponibles à cette date ou qui, pour des
raisons de santé, ne se déplaceront pas. Il faut leur réserver un sort dans
l’horaire, mais ce sont des personnes qui, en principe, ne devraient guère prendre
plus de temps que l’appel de leur nom.
Bien. Monsieur HIGANIRO, je vais vous demander de bien vouloir vous
lever pour votre interrogatoire sur les faits. Monsieur HIGANIRO, vous connaissez
par l’acte d’accusation, les faits qui vous sont reprochés. A l’attention des
jurés, je vous rappelle que les faits reprochés à Monsieur HIGANIRO font l’objet
de l’exposé qui commence à la page 20 de l’acte d’accusation.
Je crois qu’il serait important, Monsieur HIGANIRO, dans un premier
temps, que vous rappeliez votre emploi du temps à partir du 6 ou du 7 avril
1994 parce qu’en réalité, un des arguments que vous avancez, c’est que des faits
qu’on vous reproche, que vous auriez commis à Butare l’ont été à une époque
où vous n’étiez pas à Butare. D’autres faits qu’on vous reproche à Gisenyi auraient
été commis avant que vous n’y arriviez et donc, je crois qu’il est important
que vous puissiez retracer votre emploi du temps à partir du 6 avril 1994 ou
du 7 avril 1994, lorsque vous apprenez que l’avion transportant le président
le témoin 32 a été abattu, que
dans cet avion se trouvait votre beau-père et que donc, lui aussi est décédé.
Vous pouvez m’exposer, exposer cet emploi du temps de manière à ce que
nous situions bien les endroits où vous étiez à diverses dates.
Alphonse HIGANIRO : Je
vous remercie, Monsieur le président. Le 7 ou le 6 soir, plus exactement, j’apprends que l’avion
qui transportait le président, est abattu, et à bord de cet avion se trouve
aussi mon beau-père. Je suis seul à Butare. Mon épouse est à Kigali. Je cherche
donc à rejoindre mon épouse à Kigali pour pouvoir voir comment organiser la
récupération du corps de mon beau-père. Le lendemain matin, donc, le 7 vers
5 heures du matin, la radio annonce qu’il y a couvre-feu général, c’est dire
donc que je ne sais pas, moi tout seul, par mes propres moyens, rejoindre Kigali.
Je contacte alors le commandant de place, qui était à ce moment-là le colonel le témoin 27 Marcel,
pour qu’il puisse
m’arranger le voyage de Butare vers Kigali, d’autant plus qu’on avait annoncé
aussi à la radio que c’était lui qui allait devenir le nouveau chef de l’état-major
des Forces armées rwandaises. J’arrive…
Le Président :
Avant que vous n’alliez plus loin. A Butare,
à ce moment-là, vous étiez avec qui ? Est-ce que votre épouse n’était pas,
elle, déjà à Kigali ?
Alphonse HIGANIRO :
Mon épouse était déjà à Kigali, Monsieur
le président. J’étais avec les enfants et un beau-frère à moi.
Le Président :
Donc, un frère de votre épouse ?
Alphonse HIGANIRO :
Exactement, Monsieur le président.
Alors, je rejoins donc le colonel le témoin 27 à son bureau, à l’école de sous-officiers et je lui fais part de mon problème.
Il me confirme effectivement qu’il va se rendre à Kigali et il me dit d’attendre
que son escorte fasse mouvement. Pendant que j’attendais, je vois Monsieur SiNdiKuKWabO arriver,
lui aussi devait se rendre à Kigali pour ses fonctions de président
de la République et il voulait, lui aussi, profiter de l’escorte de Monsieur le témoin 27 pour pouvoir y arriver. Vers
11h, midi comme ça, l’escorte se met en mouvement et nous arrivons à Kigali
vers 15 h de l’après-midi. Et nous sommes donc le 7, Monsieur le président.
Je passe par l’état-major, là où l’escorte devait déposer le colonel
le témoin 27. Je reste là quelques
heures, en attendant le moyen de faire la route qui va de l’état-major à la
résidence de mon beau-père, et dès que cela est arrangé, je rejoins donc la
résidence de mon beau-père dans les environs de 16 heures. J’arrive là. Je trouve
que la maison est vide. Il n’y a que les domestiques. Mon épouse et ses frères
et sœurs sont déjà partis à Kanombe. Mais entre-temps aussi les combats ont
commencé à Kigali le 7 matin. C’est dire donc que je ne sais pas rejoindre les
miens là où se trouve le corps de mon beau-père. Je reste donc à la résidence
de mon beau-père toute cette journée-là, sans contacts avec ce qui se trouve
du côté de la résidence du président. La situation demeure comme ça jusque vers
le 9, jour où la famille du président est évacuée vers Mandi et les corps sont
aussi retirés de la résidence du président et sont amenés à la morgue du camp
militaire de Kanombe. Et à ce moment-là donc mon épouse, ses frères et sœurs
devraient rejoindre la résidence de mon beau-père. Et effectivement, ce jour-là,
ils sont arrivés vers midi, le 9.
Nous sommes restés là et la guerre évidemment, fait rage dans Kigali.
Elle avait commencé du côté de là où se trouvait le bataillon du FPR mais ça
avançait cette fois-ci donc, vers le centre ville. Mais en fait, pour quelqu’un
qui n’a pas l’habitude d’écouter les bombes et tout ça, ça fait vraiment très,
très peur, d’autant plus que de temps en temps, des obus tombent sur les maisons
à côté ou sur la toiture de notre maison et certaines personnes d’entre nous
commencent à avoir peur. D’autres personnes qui habitaient la colline plus bas,
commencent à monter vers le sommet de la colline, ce qui signifie donc que je
ne suis plus seul à la résidence de mon beau-père, il y a d’autres personnes
qui y sont, qui sont venues entre-temps.
Et vers le 11, j’apprends de l’épouse du pasteur le témoin 21, pasteur Musabe plutôt, qui est le frère du colonel BagOsora, que le colonel BagOsora a pris les dispositions pour
évacuer sa famille vers Gisenyi. Alors, comme j’avais logé Monsieur Musabe, parce que sa maison se trouvait
justement là où était le bataillon du FPR, donc, elle est vite tombée dans la
zone de combats, quand il est revenu de la résidence du président, il n’est
pas allé chez lui, il ne pouvait pas mais il est allé plutôt, il est venu plutôt
avec mon épouse à la résidence de mon beau-père. Donc, il m’apprend que les
dispositions ont été prises pour que la famille de BagOsora rejoigne Gisenyi. Je lui dis alors : « Ca
nous plairait aussi de pouvoir profiter de cette escorte pour sortir aussi de
la ville de Kigali dans laquelle la sécurité devenait absolument inexistante ».
C’est donc le 12, à 10h, que nous quittons la ville de Kigali, pour arriver
à Gisenyi le même jour, dans l’après-midi.
Je suis retourné à Butare le 29, vers le 29, le 29 ou le 30, je ne
me souviens pas très bien de la date, mais c’est à la fin du mois d’avril que
je retourne à Butare, suite à un appel qui a été lancé par le gouvernement qui
demandait à ce que toutes les activités puissent reprendre partout où il y a
de la sécurité, notamment que les usines puissent re-fonctionner. C’est un communiqué
donc, qui est passé à la radio aux environs du 27. C’est donc que je suis allé
à Butare, c’est certain, après le 27 et je crois que mes avocats se sont trompés
dans les conclusions qu’ils ont déposées, dans l’acte de défense qu’ils ont
déposé en disant que je suis allé à Butare le 26, c’est pas le 26, c’est après
le 27.
Je pensais aller Butare ce jour-là et revenir à Gisenyi, mais la
route était vraiment difficile. Il pleuvait. Un morceau, un long morceau de
la route n’était pas asphalté de sorte que, même avec un véhicule 4x4, il était
difficile de faire plus de 20 km/h.
Je suis donc arrivé à Butare avec un grand retard dû évidemment aussi
au fait qu’il y avait énormément de barrages, de barrières sur la route, énormément
de contrôles et, arrivé donc à Butare, je n’ai pas pu tenir la réunion que je
me proposais de tenir. Je suis allé dormir à ma maison de fonction, à Butare
et le lendemain, je suis allé voir mon remplaçant statutaire, c’est-à-dire le
directeur technique, Monsieur le témoin 21, je suis allé le voir chez lui pour
lui dire l’objet de ma visite à Butare. Je lui ai dit : « Suite à
l’appel du gouvernement, j’aimerais que nous puissions reprendre les activités
de l’usine, mais je ne resterai pas parce que j’ai des problèmes à Gisenyi.
Je vais vous donner tout le nécessaire, vous déléguer la signature au niveau
des banques et puis vous, vous prenez les dispositions nécessaires pour commencer
dès que possible ». Il est allé chercher le directeur administratif et
financier, il l’a trouvé. Je suis sûr que j’ai fait la réunion au moins avec
ces deux personnes-là, mais je pense aussi qu’il y avait quelques cadres moyens,
mais je ne me souviens pas de qui était là en plus.
Alors, après avoir délégué les signatures et tout, je leur ai dit
au revoir et je suis remonté à Gisenyi, avec les mêmes difficultés de barrage,
avec les mêmes difficultés de pluie, route non asphaltée et tout ça. Je suis
arrivé à Gisenyi, dans l’après-midi du lendemain du jour où j’étais arrivé à
Butare.
Depuis, je ne suis plus retourné à Butare, ni à Kigali, ni ailleurs,
jusqu’au 4 juin, date à laquelle j’ai pris l’avion pour venir ici en Belgique.
Venir en Belgique, ce n’était pas pour fuir le Rwanda que j’étais venu ici,
je tiens à le souligner, Monsieur le président. En fait, j’avais envoyé la famille,
le 14 mai et j’étais resté seul à Gisenyi avec d’autres amis que j’avais hébergés
chez moi, mais ma famille, donc ma femme, mes enfants, ma belle-famille, était
en Belgique depuis déjà le 14 mai. Quand je leur ai téléphoné via Goma pour
leur demander quelle était la situation, ils m’ont dit que la situation de séjour
était difficile, qu’ils n’avaient plus de moyens financiers suffisants pour
survivre. Alors, je me suis dit que je devais venir ici pour pouvoir les installer
un peu plus convenablement, et ensuite retourner au Rwanda, d’autant plus que
mon beau-père n’avait toujours pas été enterré et entre-temps son corps était
arrivé à Gisenyi. Il était à la morgue de la BRALIRWA, comme je l’ai déjà signalé.
J’ai passé donc une semaine ici, du 4 au 11, mais les nouvelles que j’attendais
du Rwanda n’étaient pas du tout rassurantes : le FPR progressait de plus
en plus, et chaque semaine qui passait, il s’apprêtait pratiquement à prendre
tout le pays. De sorte que le FPR a pris Gisenyi…
Le Président :
A quelle date ?
Alphonse HIGANIRO :
Je pense que ça doit être dans les
deux premières semaines de juillet. Je n’ai donc pas pu retourner au Rwanda,
je suis définitivement resté, et j’ai demandé asile politique avec les miens.
Je dois dire, Monsieur le président, que quand j’ai quitté Butare,
je pensais revenir à Butare pratiquement rapidement, parce que l’objectif de
partir à Kigali, c’étaient les funérailles de mon beau-père. Donc, j’ai laissé
chez moi en l’état tout à fait normal tel que ça… tout était là-dedans. Quitter
Gisenyi, c’était la même chose. Je suis parti pour revenir. J’ai laissé mes
domestiques et la maison fermée comme d’habitude, les domestiques de jour, etc.,
etc. mais rien n’était déplacé, tout était en ordre dans la maison parce que
je comptais, dans une semaine ou deux, revenir. Donc, si je me résume, Monsieur
le président, j’ai quitté Butare le 7, vers 10h…
Le Président :
Le 7 avril…
Alphonse HIGANIRO :
Le 7 avril, Monsieur le président,
bien sûr. Je suis arrivé à Kigali le même jour. J’ai quitté Kigali le 12 avril.
Je suis arrivé à Gisenyi le 12 dans l’après-midi. Et j’ai quitté Gisenyi vers
le 29 pour Butare et je suis revenu le lendemain et ensuite le 4 juin, je suis
venu ici en Belgique. Voilà mon emploi du temps, Monsieur le président.
Le Président :
C’est ça. Vous voulez bien rappeler encore
une fois qui a assuré, je dirais, votre sécurité et celle des gens qui voyageaient
avec vous, à votre départ de Butare le 7 avril ?
Alphonse HIGANIRO : C’est le colonel le témoin 27. Il est actuellement,
je pense, officier dans l’armée à Kigali, dans l’armée du FPR actuellement à
Kigali. Donc, c’était lui qui allait devenir le chef d’état major des Forces
armées rwandaises, le témoin 27.
Le Président : C’est ça.
Et vous avez, je dirais dans ce convoi de Butare à Kigali, voyagé en même temps
que celui qui allait devenir le président intérimaire, Monsieur SIDIKUBWABO…
Alphonse HIGANIRO : SINDIKUBWABO.
Oui, exactement, Monsieur le président. Lui aussi, il a pris part dans ce convoi
pour aller prendre ses fonctions.
Le Président : Vous pouvez
rappeler également, je dirais, la personne qui a organisé la sécurité de votre
trajet de Kigali… de Kigali oui à Gisenyi ou une partie en tout cas de ce trajet ?
Alphonse HIGANIRO : C’est ça.
Nous sommes partis de Kigali à Gisenyi. Nous étions dans l’escorte de la famille
du colonel BAGOSORA. Le colonel BAGOSORA nous a accompagnés jusqu’au sortir
de la ville, jusqu’à peu près 5 ou 6 km au-delà de la ville, donc pour ceux
qui connaissent, c’est l’endroit jusqu’au pont qui se trouve sur le Nyabarongo
et là, il est retourné à Kigali. Et nous avec l’escorte qu’il avait donnée à
son épouse, nous avons donc continué sur Gisenyi.
Le Président : C’est ça.
Le colonel BAGOSORA était, à l’époque, chef de ou directeur du cabinet du ministre
de la défense ?
Alphonse HIGANIRO : Exactement,
Monsieur le président.
Le Président : C’est lui
qui est suspecté d’avoir, à Kigali, dès le 6 avril au soir ou de 7 avril au
matin, organisé des réunions en vue de faire disparaître certains membres de
l’opposition ou des personnes qui devaient normalement assurer l’intérim telle
que la première ministre, le président du Conseil constitutionnel…
Alphonse HIGANIRO : Oui, c’est
ce qu’on dit, Monsieur le président, mais moi, je ne peux rien savoir évidemment.
Le Président : Bien, je vais
peut-être demander à Monsieur le greffier, pendant que nous allons parler de
ceci, de retirer des classeurs pour faire des photocopies des pièces, parce
que nous allons maintenant parler de, je dirais, la première série de faits
qu’on vous reproche qui sont des faits d’ordre intellectuel, puisqu’on vous
reproche d’avoir, au fond, par des écrits, que vous avez soit écrits de votre
main, soit dictés, soit participé d’une manière prépondérante à la rédaction,
même si ce n’est pas toujours vous qui avez tenu la plume pour écrire ces documents,
on vous reproche d’avoir, par ces documents, incité à des massacres, incité
à des assassinats, à des meurtres, d’avoir même, dit l’acte d’accusation, compte
tenu de la place que vous auriez occupée dans la société rwandaise en quelque
sorte, donné des ordres pour que des meurtres soient commis.
L’acte d’accusation relève un premier document qui est une lettre
que vous avez adressée au président le témoin 32 le 16 janvier 1993. L’acte d’accusation
précise que ce document, en tant que tel, ne vous est pas reproché dans la mesure
où la loi de 1993 qui permet la poursuite en Belgique de faits commis à l’étranger,
n’était pas encore, à cette date-là, entrée en vigueur. Donc, on va faire des
photocopies au cours de la matinée, de ce document, mais je vais déjà en donner
lecture ici, pour assurer l’oralité des débats, notamment. Vous écrivez ceci :
« Butare, le 16 janvier 1993, janvier 93, le
16 janvier 93,
Excellence, Monsieur le président,
Je souhaite que vous lisiez les quelques lignes qui
suivent en rapport avec nos problèmes de leurre. Il est apparu au grand jour
que, parmi les objectifs poursuivis par le bloc FPR, MDR, PSD, PL, ne figurent
pas ceux que nous connaissons, tels que la fin de la guerre et le retour de
la paix, la mise en place des institutions de transition préparant les élections
d’ici fin 93, le retour des déplacés de guerre dans leurs biens et la réconciliation
nationale. Il devient plus qu’évident également que l’objectif du bloc est la
prise du pouvoir à Kigali par des astuces, et en contournant les élections.
On aurait l’impression que l’adoption du protocole du 7 avril 92 n’avait comme
vrai objectif pour le bloc, que d’avoir dans leurs rangs, le premier ministre
et le ministre des affaires étrangères pour pouvoir trafiquer les négociations
d’Arusha en dehors de tout consensus gouvernemental. Les résultats des négociations
d’Arusha sur le partage du pouvoir confirment, s’il en était encore besoin,
que le bloc sus-évoqué ne vise que le transfert du pouvoir et non le partage,
et peu importe les conséquences de ce coup d’état sur la sécurité de l’Etat
et sur la réconciliation nationale.
En conséquence, le MRND ou plutôt l’Alliance pour
le Renforcement de la Démocratie doit vite agir.
Primo : le MRND ne devrait plus supporter seul
d’autres concessions. Il en a, en effet, fait suffisamment ; aux autres
d’en faire aussi.
Secundo : le MRND pourrait revoir son approche
de la défensive pour se placer au niveau de l’attaque aussi. Cela suppose qu’il
connaisse à fond et au mieux, tous les plans de l’opposition, y compris ceux
du FPR (tâche prioritaire de nos services spéciaux), par exemple, il importe
de savoir d’urgence si la menace de guerre civile qui pointe à l’horizon fait
partie actuellement du plan de prise de pouvoir par l’opposition et le FPR,
comment et où, par quelle stratégie le FPR/MDR compte-t-il conduire la stratégie
de la transition sans le couple MRND/CDR au gouvernement. Sur cette base, le
MRND élaborera des plans d’action tous azimuts et des contre-plans.
Tertio : tout militant du MRND doit être mobilisé
à la réussite de ce plan, chacun en ce qui le concerne. Les postes de responsabilité
ne revenant qu’aux Barwanashyaka… ». C’est exact ?
Alphonse HIGANIRO : C’est exact,
Monsieur le président.
Le Président : …qui ont fait preuve de leur militantisme, le critère d’équilibre
régional n’intervenant que quand il ne nuit en rien.
Quarto : les stratégies à adopter pourraient
prendre en considération les éléments suivants :
a. Le gouvernement de transition, tel que conçu dernièrement
à Arusha, ne devrait pas voir le jour, quel qu’en puisse être le dérapage mais
naturellement contrôlé.
b. Le gouvernement actuel de Monsieur NSENGIYAREMYE
pourrait être remplacé par un autre (si rien de grave ne s'y oppose) car le
premier ministre et son ministre des affaires étrangères ont trahi le pays et
ont désobéi au chef de l'état en signant le dernier accord d’Arusha. J'ignore
toutefois ce que pourraient en être les conséquences. Les chercheurs et les
planificateurs politiciens de notre parti pourraient s'y pencher et très rapidement
car le peuple attend impatiemment savoir - je suppose de savoir - ce que le
chef de l'état réservera aux manipulations d’Arusha.
c. Le cas de la nécessaire adhésion - non pardon,
le cas de la nécessaire cohésion - au sein des Forces armées rwandaises devrait
également retenir l'attention particulière de l'alliance, le Nord du pays devrait
être défendu par des officiers d’élite et de confiance car, en cas de reprise
de la guerre, le FPR s'acharnera à le détruire.
C'est là quelques idées brutes, Excellence, Monsieur
le président. En vous en faisant part, mon espoir surtout est que vous puissiez
provoquer des réflexions plus approfondies au niveau de la direction de notre
parti et de l'alliance.
Veuillez agréer, Excellence, l'expression de ma très
haute considération et de mon profond dévouement.
C'est bien le texte de votre lettre que je viens de lire ?
Alphonse HIGANIRO : C'est bien
le texte, Monsieur le président.
Le Président : C’était bien
un texte écrit de votre main, et signé par vous ?
Alphonse HIGANIRO : Tout à fait,
Monsieur le président.
Le Président : Alors, Monsieur
HIGANIRO, vous écrivez cette lettre de Butare, le 16 janvier 1993 ?
Alphonse HIGANIRO : Oui.
Le Président : Vous êtes
à Butare, à ce moment-là, depuis environ un an ?
Alphonse HIGANIRO : Depuis le
13 février 1992, Monsieur le président.
Le Président : Donc, un peu
moins d'un an ?
Alphonse HIGANIRO : Oui.
Le Président : Vous avez
expliqué, dans plusieurs de vos auditions, que, une fois arrivé à Butare, une
fois d'ailleurs, je dirais, n'étant plus, une fois que vous n'étiez plus ministre,
vous aviez cessé toute activité politique. Ce courrier du 16 janvier 1993 semble
quand même avoir une portée politique. Alors, est-ce que vous pouvez expliquer
à la fois la circonstance que vous dites ne plus faire de politique, et la circonstance
que nonobstant ce que vous dites, le 16 janvier 1993, vous adressez au président
de la République, des idées brutes. Est-ce que cela ne démontre pas aussi qu'il
y avait, entre vous et le président le témoin 32, une certaine intimité qui
vous permettait, à vous, Monsieur HIGANIRO d’écrire de telles choses au président
de République ?
Alphonse HIGANIRO : Je vous remercie,
Monsieur le président.
Le Président : Je ne vous
parle pas de l’Akazu, je parle d’une certaine intimité.
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, quand je dis que je n'avais plus d'activités politiques à Butare,
je songe à des activités, à certaines activités qui caractérisent un militant
d'un parti. Les activités d'alors dans notre pays, c'était participer à des
meetings populaires, parce que c'était la façon dont les partis utilisaient
pour s'exprimer, pour transmettre leurs instructions - leurs idées, pardon -
aux militants qui adhèrent à leur parti. Je pense aussi aux manifestations des
partis, organisées par les partis dans les rues. Je pense aussi à certaines
réunions organisées par les partis dans le cadre de la vie quotidienne du parti.
A toutes ces activités-là, j'ai mis fin. Je n'ai participé à aucune des activités
de ce genre, organisées par mon parti MRND. C'est d'ailleurs pour ça…
Le Président : Vous êtes
bien resté membre du MRND. Vous n'êtes pas passé au parti CDR.
Alphonse HIGANIRO : Non, Monsieur
le président.
Le Président : Votre épouse
par contre, semble-t-il, a adhéré à ce mouvement CDR.
Alphonse HIGANIRO : Elle a adhéré
au mouvement CDR, Monsieur le président. Je pourrais, peut-être après, fournir
quelques explications à ce sujet si vous le souhaitez. Mais donc, je suis resté
membre du MRND, mais ce que je dis est « membre non actif » dans le
sens que je viens de définir. Donc, je n'ai pas participé aux meetings populaires.
Je n'ai pas participé aux manifestations. Je suis resté membre du parti mais
sans ces activités-là. D'ailleurs, ça se voit bien parce que si j'avais participé
à ces activités, je n'aurais pas fait cette lettre. Parce que j’aurais alors,
parce que je serais alors passé par la direction du parti parce que je demande
au président de provoquer une réflexion au niveau de la direction du parti.
Ceci dit, Monsieur le président, en ce qui concerne mes relations
intimes avec le président, je ne sais pas. Ce que je peux dire, c’est que je
l'estimais. J’avais des…j'étais très proche de lui, j'étais son ami mais ce
que je dois aussi ajouter, Monsieur le président, c'est que, dans toutes ces
relations, le témoin 32 est resté
président de la République pour tout le monde, aussi pour moi. Il était d'une
génération autre, il n’était pas de mon âge. Donc, dans notre relation se trouve,
quand même permanente, cette relation de respect que l'on doit à un chef d'état
et que l'on doit à une personne plus âgée que soi. Cette intimité, ce n'est
pas une intimité qu'on peut avoir avec un copain. C'est une relation, moi vis-à-vis
de lui, c’est une relation de respect mais aussi tout en lui étant proche dans
les conditions que j'ai déjà expliquées, Monsieur le président.
Le Président : Alors, à propos
de cette proximité que vous aviez avec le président, je relève encore peut-être
deux éléments du dossier. Un premier, c’est une lettre qui ne vous est pas reprochée
en tant que telle, une lettre du 30 décembre 1993 que vous adressez à son Excellence
le général-major le témoin 32 Juvénal,
président de la République rwandaise.
Excellence Monsieur le président,
Le 14 janvier 1994, je fête le 10e anniversaire
de mon mariage. Aussi mon épouse, moi-même et nos enfants avons-nous l’insigne
honneur, Excellence, Monsieur le président, de faire part de cet heureux événement
et de vous inviter, vous et votre famille, à partager le vin d'honneur que nous
offrons à cette occasion à Kigufi, les 14 et 15 janvier 1994. Je voudrais aussi,
en ce début d'année, profiter de cette heureuse opportunité pour vous souhaiter,
ainsi qu'à votre famille, nos meilleurs vœux de Nouvel An.
Veuillez agréer Excellence, Monsieur le président,
l'expression de ma très haute considération.
Donc, je dirais que vous invitez le président à participer à des
festivités qui sont quand même très familiales et que, apparemment, le vin d'honneur
dure longtemps chez vous, ça dure deux jours : les 14 et 15 janvier 1994.
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, cette lettre-là, c'est plus un faire-part. Comme il est dit dans
la lettre « de vous faire part ». C'est plus un faire-part qu'une
invitation à participer, à partager le vin d'honneur avec nous. D'ailleurs il
n’est pas venu dans ses activités. Mais comme c'était mon 10e anniversaire
de mariage, j'ai pensé que ça serait bien que je lui en fasse part, d'autant
plus que j'avais invité aussi mon beau-père et d'autres. C'était pour qu'il
soit informé que cette activité a eu lieu et s'il pouvait m’honorer de sa présence,
évidemment, ça ne m'aurait pas déplu mais je ne l'attendais pas vraiment. C'est
plutôt un faire-part.
Le Président : C’est un événement
que vous avez fêté à Kigufi ?
Alphonse HIGANIRO : A Kigufi,
Monsieur le président.
Le Président : Le président
le témoin 32, comme vous-même,
avait une résidence à Kigufi.
Alphonse HIGANIRO : Le président
n’avait pas une résidence à Kigufi. Ce qui est dit dans l’acte d’accusation
est inexact, Monsieur le président. Lui, il avait une résidence à Gisenyi, face
à la ville. Moi, j'avais ma maison à Kigufi, c’est-à-dire à plus de 10 km de
la ville de Gisenyi.
Le Président : Tout ça se
situe quand même le long du lac Kivu ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, le long
du lac Kivu, effectivement, oui. Lui aussi, il est le long du lac Kivu.
Le Président : Donc vous
n'étiez pas voisins ?
Alphonse HIGANIRO : Non, pas du
tout. Il y avait plus de 10 km entre les deux.
Le Président : Un autre élément
que je relève à propos de cette proximité avec le président le témoin 32, c’est que, quelques jours
avant l'attentat qui va lui coûter la vie, il se trouvait chez vous ? Le
3 ou le 4 avril 1994, le jour de Pâques 1994, le président se trouvait chez
vous ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : Il se trouvait
chez vous, pas tout seul. Il y avait d'autres personnes qui étaient chez vous,
avec lui. Vous pouvez rappeler quelles étaient les personnes qui étaient présentes
?
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur
le président. Disons, j'avais invité le président et sa famille, bien sûr, pour
les fêtes de Pâques. J'avais appris de mon beau-père qu'il allait passer les
fêtes de Pâques à Gisenyi. J'ai demandé à mon beau-père de lui demander s'il
ne me ferait pas l'honneur de venir manger avec nous à midi, le dimanche de
Pâques.
Quand il est arrivé, donc là je résume, moi, j’avais invité le pasteur,
la personne que j'avais hébergée à Kigali qui m'avait permis de prendre part
à l’escorte de son frère. J'avais invité donc le pasteur pour qu'il vienne m'aider
à accueillir le président. Donc, nous n'étions que deux. Quand le président
est arrivé, il est arrivé avec Monsieur BoOH-bOoH donc, le représentant du Secrétaire
général des Nations Unies au Rwanda à cette époque-là, et il est venu avec le
ministre NZIRORERA qui n’était plus ministre, il était secrétaire général du
parti MRND et les deux personnes, j'ai eu l'impression qu'ils venaient de tenir
une réunion de travail, la veille de ce matin-là. Et quand ils ont terminé la
réunion, il leur a dit : « Je vais prendre un verre chez Monsieur
HIGANIRO, est-ce que vous venez avec moi ? ». Je les ai vus donc, le président
est arrivé avec ces deux personnes-là. Ce qui signifie que donc, ils ont participé
au repas qu'on avait prévu à cette occasion.
C’était une visite, je le redis et je le confirme, c’était une visite
donc de courtoisie et qui n'avait rien, rien de politique. D’ailleurs, pour
certaines photos qui peuvent être disponibilisées ou qui sont dans le dossier,
vous verrez qu’il est venu avec tous ses enfants, et le pasteur est venu avec
tous ses enfants. Nous étions avec nos épouses, nous étions tous là, dans ce
contexte-là, et il n’est pas d'usage pour qui connaît les pratiques des Rwandais
de tenir une réunion politique dans un contexte où il y a et les enfants, et
les femmes et les enfants. Quand on fait intervenir toute la famille dans leur
composition, c’est une rencontre familiale.
Le Président : Donc, au Rwanda,
lors de réunions familiales, lorsque des politiciens se rencontrent, ils parviennent
à parler d'autre chose que de politique.
Alphonse HIGANIRO : Oui. Quand
ils se rencontrent dans un cadre familial, pour un mariage ou pour une visite
comme celle que j'avais reçue du président, ils parlent de tout et de rien.
Mais quand ils se rencontrent pour un sujet à débattre, d'ordre politique, c'est
rare que les femmes soient associées, c'est rare que les enfants soient associés.
Je dirais même que ça se fait pas.
Le Président : Et donc, ce
jour-là, on n'a pas parlé du tout de politique ?
Alphonse HIGANIRO : Du tout, du
tout. Enfin, moi, ce que j'ai pu vivre…
Le Président : Ah oui, lors
de cette réunion, je veux dire, je ne parle pas de ce qui se serait passé en
dehors de votre présence…
Alphonse HIGANIRO : On n’a pas
du tout parlé, c’était pas politique. Je ne vois même pas pourquoi les trois
personnes, le président de la République, le représentant du Secrétaire général
des Nations Unies et le Secrétaire général du MRND, je ne vois pas pourquoi
ils auraient poursuivi leurs discussions politiques chez moi alors qu'ils étaient
ensemble la veille, et qu'ils venaient chez moi en sortant d'une réunion.
Le Président : Bien. Alors,
revenons-en, si vous voulez bien, au contenu de cette lettre du 16 janvier 1993.
Je dirais que, en gros, votre opinion c'est que les accords d’Arusha ou, en
tout cas, ceux qui existent à la date du 16 janvier 1993, c'est pas bon ?
Alphonse HIGANIRO : Oui. Je dois
d'abord signaler ceci, Monsieur le président. Le texte sur lequel, à partir
duquel je fais cette lettre au président, ce texte-là, c’est exprès que je me
repère car cet accord-là n'existe pas encore, c'était pas encore un accord.
C'était un pré-accord comme vous appelez. Donc, c'étaient des textes encore
discutables. Il n'y avait pas encore de signature qui était intervenue, comme
vous le savez, les accords ont été signés le 4 août 1993. Ma lettre date du
16 janvier 1993. J'ai donc émis un avis sur un projet d'accord et je pense à
ce stade-là, on discute, chacun émet son avis mais une fois le texte signé,
tout le monde s'incline, à partir du 4 août, les accords sont signés. C'est
les accords, on cherche à les mettre en application, on ne les discute plus.
Mais à cette époque-là, c'était encore un pré-accord. C'était un projet. C'était
un texte soumis, en fait, à discussion. Voilà le contexte dans lequel cet avis-là,
mon avis-là, a été donné au président.
Le Président : Donc, le 16
janvier, les accords d’Arusha ne sont pas définitifs, il y a des négociations
qui sont en cours. Vous dites : « Il y a encore lieu à discussion,
donc moi, comme un autre, j’exprime mon opinion à ce sujet ». Le 4 août
1993, les accords d’Arusha sont signés.
Alphonse HIGANIRO : Exactement,
Monsieur le président.
Le Président : Quelle a été,
selon vous, d'une part la position du MN… du MRND ou MNRD et votre position
personnelle par rapport aux accords tels qu'ils sont conclus le 4 août 1993 ?
Est-ce que quelqu'un a encore bronché, a encore voulu revenir sur ces accords ?
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, je peux affirmer, selon mes propres convictions, qu'à partir du moment
où le président de la République a signé ces accords avec l'accord de son parti,
je ne vois pas, je ne vois pas comment son parti, le MRND, pouvait encore ne
pas être pour ces accords-là. Il les a signés parce que son parti lui a autorisé
de les signer.
Je dois dire ceci : quand le préaccord est sorti, en janvier 93,
le MRND n'était pas effectivement d'accord avec le texte, sur le partage du
pouvoir pour des raisons, Monsieur le président, qu’étant un parti naguère puissant
et unique, il se retrouve sans élections pour pouvoir dire : « Voilà
le peuple a donné sa préférence à d'autres programmes ».
Sans élections rien du tout, il se retrouve dans l'opposition. Il
se retrouve remis à la place de ceux qui sont dans l'opposition. Il n’a donc
pas été d'accord avec ce protocole sur le partage du pouvoir. Il a même envisagé,
le MRND, il a envisagé de ne pas participer au gouvernement, aux instances de
transition. Il a envisagé de ne pas y participer. Je pense qu’il y a eu des
concertations diplomatiques avec les diplomates accrédités à Kigali pour faire
comprendre au MRND que sa participation aux accords d’Arusha, aux institutions
résultant des accords d’Arusha, était une nécessité.
Le parti a accepté de participer aux institutions de la transition
ayant à l'esprit surtout, qu'avec les élections qui allaient suivre, l'équilibre
se rétablirait et parce qu’il avait confiance, le MRND, à sa force politique,
à sa place dans la population. Il pensait bien qu'avec des élections, l'équilibre
reviendrait.
Il a donc soutenu les accords d’Arusha. Le Comité central du parti
a autorisé le président à signer les accords d’Arusha. Le président de la République
a signé les accords d’Arusha. À mon sens, le président le témoin 32 était sincère
quand il a signé ces accords d’Arusha. Il était sincère, et le parti MRND était
sincère aussi. Je sais qu'il y a dans certains écrits, chez certaines personnes
qui disent que le président le témoin 32 a joué un double jeu. Moi, je n’ai pas
eu du tout cette impression, je n'ai pas eu cette impression.
Il croyait aux objectifs qui étaient visés par ces accords d’Arusha.
Je les ai rappelés, Monsieur le président, dans ma lettre que je lui ai adressée
pour lui dire qu’il n'est pas question de mettre en doute ces objectifs qui
sont l'arrêt de la guerre et le retour de la paix. C'était l'objectif principal
de ces accords, je ne vois pas qu’un seul Rwandais normal s'oppose à un objectif
comme celui-là.
Le deuxième objectif c'était que les institutions de transition puissent
être mises en place pour, précisément, organiser les élections transparentes.
Et ça, c'est la démocratie et je crois que, et le MRND et les partis de l'opposition,
la démocratie leur était chère. Je ne suis pas sûr que c'était le cas pour le
FPR, parce que le FPR et les élections, ça avait toujours posé un problème.
Mais en tout cas, le MRND comptait sur ces élections, comme je le disais tout
à l'heure.
Le troisième objectif, c'était que les réfugiés retournent dans leurs
biens. Ils étaient à 1.000.000 à 20 km de Kigali. Je ne vois pas un politicien
qui pouvait dire : « Je fais de la politique avec 1.000.000 de réfugiés
qui se trouvent à ses portes ». Il fallait bien que les conditions soient
telles qu'ils puissent retourner dans leurs biens. Et enfin, au bout du compte,
il y avait cette réconciliation nationale, il y avait ce FPR et les partis de
l'intérieur qui devaient se retrouver autour d'une table, tout à fait démocratiquement,
pour voir ensemble comment gérer le pays.
Ces objectifs, je ne sais pas si c'étaient les mêmes objectifs du
côté du FPR. Mais du côté du MRND, du côté des partis de l'opposition MRND,
dans l'intérieur, ces objectifs-là, je crois que tous les politiciens y croyaient
vraiment. C'est dire donc que le point de vue du MRND était aussi mon point
de vue parce que c'est mon parti. Je suivais l'opinion de mon parti. Donc, je
n’étais pas divergent avec mon parti. Donc, mon opinion personnelle à moi, c'est
celle-là, c’est l'opinion, c'est l'avis, c'est la façon de voir du parti MRND.
Voilà, Monsieur le président, je peux peut-être rajouter des précisions, si
vous le souhaitez.
Le Président : Alors, on
va venir à d'autres documents dont vous n'êtes pas le scripteur, ce n'est pas
vous qui les avez écrits mais qui concernent des réunions du…de la Commission
politique du Comité directeur des fonctionnaires affectés à Butare, adhérents
au MRND. Il y en a un qui est intitulé : « Rapport numéro deux »,
et qui est daté, lui, du 13 février 1994. Il y a un autre de ces documents qui
n'est pas daté, qui n'est pas daté et qui s'intitule « Suggestions émises
par la Commission politique du Comité directeur des fonctionnaires affectés
à Butare et adhérents aux MRND ».
Alors, bien que ce document ne soit pas daté, je me demande si on
ne sait pas le situer quand même, ce document sans date, vers la fin du mois
de novembre 1993 parce que, dans les documents que l'on retrouve - il y en avait
un en kinyarwanda qui a été traduit, moi, je ne comprends évidemment que la
traduction de ce document - et qui est relatif aux conclusions de la réunion
de ceux qui ont constitué le Comité des fonctionnaires de la ville de Butare,
membres du MRND, qui s'est tenue le 21 novembre 1993. On dit que, participait
à cette réunion, une série de personnes dont vous-même, Monsieur HIGANIRO. Et
on dit là-dedans qu'on va constituer un Comité directeur du plus grand Comité,
on va faire un Comité directeur dont vous devriez faire partie, si je ne m’abuse…
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : …hein ?
Il y a un Comité de dix personnes, vous apparaissez comme le 9ème
dans cette liste de dix personnes, constituant le Comité directeur. Le souhait
de, notamment du Comité des fonctionnaires et des Comités de base qui sont constitués,
vous avez apparemment, vous êtes apparemment à la tête d'un des Comités de base…
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : …dans lequel
on retrouve des personnes qui font partie de la SORWAL comme vous, notamment
le témoin 21 et le témoin 40 Paul. On retrouve également, dans ce Comité de base
dont vous seriez le responsable, BAGAMBIKI Zéphirin, NDAIRIWE Nicolas et BARARENGANA
Séraphin. Hein ? Alors, je vois qu’à la fin de ce document, qui est donc
relatif à une réunion tenue le 21 novembre 1993, on indique, c'est le dernier
point du compte-rendu, « Les membres du Comité directeur
se réuniront pour la 1ère fois jeudi 25 novembre 1993 à 17h15 à la
Maison d'accueil de l’UMR à Butare ». Donc, je me demande si le
premier document qu'on vous reproche, qui n'est pas daté, ne peut pas être situé
le 25 novembre 1993, ce qui correspondrait peut-être à cette première réunion
des membres du Comité directeur ?
Alphonse HIGANIRO : Non, Monsieur
le président. Ca ne peut pas être comme ça. D'abord, Monsieur le président,
la réunion qui s'est tenue le 21 novembre, et dont le procès-verbal est en kinyarwanda
et qui a été traduit après en français, cette réunion-là peut être considérée
comme l'assemblée générale de tous ces fonctionnaires, le terme est impropre,
le terme de fonctionnaires est impropre, c'est le terme de salariés, plutôt,
qu'il faut plutôt utiliser parce qu’il s'agit en kinyarwanda du terme « Abakozi »,
« Abakozi » ça veut dire « des salariés ». Ce ne sont pas
seulement les fonctionnaires qui sont les salariés de l'état, mais c'est aussi
les salariés des secteurs privés. Donc, c'est plutôt les salariés, réunions
des salariés de Butare, qui sont adhérents au parti MRND. Le procès-verbal,
là-bas, indique surtout, en additionnant les membres des différents petits Comités,
on arrive à peu près à une trentaine de personnes. Et ceux-là, les 30, constituent
ce que ce jour-là, on a appelé le Comité.
Alors, ce jour-là aussi, on a mis en place un Comité directeur, c’est-à-dire
dix personnes parmi les 30. Ce Comité directeur, sa mission était de coordonner,
pour le compte du grand Comité, les activités des Comités de base.
Les Comités de base, on en a créé six, je crois. Oui, on en a créé
six, à raison de cinq personnes par Comité de base. Les critères, pour mettre
les gens dans les Comités de base étaient simplement ceci : qu’on mette
ensemble des gens qui peuvent se rencontrer facilement, c’est-à-dire qui travaillent
par exemple ensemble ou bien qui habitent le même quartier ou qui sont des amis,
pour pouvoir faciliter leurs rencontres et leurs discussions. C’est ainsi que
je me retrouve avec les membres de MRND qui travaillent à la SORWAL et qu'on
y ajoute deux autres personnes qui ne travaillent pas à la SORWAL mais qui habitent
là où j'habite, du côté de Buye.
Donc, un Comité de base est constitué, on ne se pose plus la question
de savoir : « Quel sera l'équilibre ethnique là-dedans ? »,
parce que ce n'est pas le critère. On ne se pose pas la question de savoir :
« Quel sera l'équilibre régional là-dedans ? », parce que ce
n’est pas le critère. Mais, de toute façon, contrairement à ce qui est dans
l'acte d'accusation, quand on regarde les membres, les origines géographiques
de ces Comités, on se trouve immédiatement devant la réalité qu’ils proviennent
de Gisenyi, Ruhengeri, Byumba, Kigali et Butare et cela est tout à fait normal
parce que c'est cela le fief du MRND. C'est le fief du MRND. Ça répond à la
loi normale, de distribution normale. C'est le fief du MRND, c’est Gisenyi,
Ruhengeri, Byumba, Kigali et, comme nous étions à Butare, plus Butare.
Le Président : Donc, vous
dites, la composition de ce Comité de 30 personnes, l'ensemble des Comités de
base formant un…
Alphonse HIGANIRO : C’est ça,
l’ensemble…
Le Président : …vous dites,
il y a là des gens de toutes origines, géographiques en tout cas…
Alphonse HIGANIRO : …géographiques…
Le Président : …régionales…
Alphonse HIGANIRO : Oui, tout
à fait.
Le Président : Mais, y a-t-il,
dans ce Comité de 30 personnes, des Tutsi ?
Alphonse HIGANIRO : La question
pourrait être aussi, Monsieur le président : « Est-ce que dans le
grand Comité - parce que c'est là-dedans qu'il faut puiser pour faire les petits
Comités - est-ce qu'il y avait des Tutsi ? », parce que si on…
Le Président : Oui, mais
c’est bien de ça que je parle. La trentaine de personnes, le grand Comité, ces
30 personnes, est-ce que dans ces 30 personnes, il y avait les Tutsi ?
Alphonse HIGANIRO : Je crois,
je n’ai pas vraiment vérifié, mais je crois qu'il devait y en avoir. Je crois
qu'il devait y en avoir. Maintenant que vous me posez la question, je n'ai pas
la liste en tête, mais les Tutsi intellectuels, je vais dire salariés, adhérant
au MRND et résidant à Butare, devaient être dans ce Comité, certainement.
Le Président : Bien, et dans
le Comité, Comité du Comité dites-vous, on va l'appeler, pour nous comprendre,
le Comité directeur parce que dans d'autres documents, on dit en plus Commission
politique du Comité directeur, on se dit que c’est encore un plus petit Comité
que le petit Comité.
Alphonse HIGANIRO : Non, non,
c’est le petit Comité qui a été mal appelé, qui a reçu un mauvais nom. La Commission
politique, ça n’existe pas. C'est le petit Comité.
Le Président : En tout cas,
le texte, qui lui n'est pas kinyarwanda, à propos de deux rapports de réunions,
c’est un texte écrit par Monsieur le témoin 21, qui a servi de secrétaire, ce texte
est écrit en français.
Alphonse HIGANIRO : Oui, ça c’est
le petit Comité.
Le Président : Alors là,
on parle de la Commission politique du Comité directeur.
Alphonse HIGANIRO : C’est une
erreur, c’est une erreur, Monsieur le président.
Le Président : Donc, c’est
Monsieur le témoin 21 qui, lui-même, commet des erreurs en traduisant ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, tout
à fait, je le reconnais, Monsieur le président.
Le Président : Bon, d'accord.
Alphonse HIGANIRO : Mais c’est
une erreur, c'est le petit Comité.
Le Président : Alors, ce
petit Comité de dix personnes, dans lequel vous êtes ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : Ces dix personnes,
je vais vous les rappeler, c’est le Docteur IRAGATE Lesfort, Monsieur le témoin 108
Maurice, Monsieur BICAMUMPAKA Evariste,
le Docteur NSHIMYUMUREMYI Jean-Baptiste, c’est pas le vice-recteur de l’université,
ça ?
Alphonse HIGANIRO : Non, Non.
C’est pas dans le petit Comité à moi, Monsieur le président.
Le Président : Ah si !
C’est le petit Comité. Je vous lis ce qui…
Alphonse HIGANIRO : Non.
Le Président : Ou Jean Berckmans
peut-être, c’est JB, donc c’est peut-être Jean Berckmans, Monsieur HAKIZAMUNGU
Etienne,
Alphonse HIGANIRO : Vous lisez
le grand Comité…
Le Président : Ah non, ça
fait dix personnes, je vais vous dire les dix personnes. Un Comité de dix personnes…
Alphonse HIGANIRO : Le Comité
directeur, oui.
Le Président : Le Comité
directeur, bon.
Alphonse HIGANIRO : Oui, c’est
ça, c’est ça, Monsieur le président.
Le Président : Donc, je continue,
Monsieur HAKIZAMUNGU Etienne, Madame KARIMUNDA Béatrice, Monsieur MUGANGA Joseph,
le Docteur BARARENGANA Séraphin, Monsieur HIGANIRO Alphonse, Madame BARABWIRIZA
Winifried. Il y a des Tutsi là-dedans, dans ces dix personnes ?
Alphonse HIGANIRO : Je ne les
connais pas bien tous, Monsieur le président. Je ne les connais pas tous, je…
je… je ne sais pas vous dire qui est Tutsi et qui ne l'est pas, parce que tous,
je ne les connais pas.
Le Président : Bien.
Alphonse HIGANIRO : Il y en a
que je connais, que je peux dire, ça, ils sont Hutu, mais il y en a d’autres
que je connais pas…
Le Président : Quel était
le but de ce grand Comité, de ces petits Comités ? Quelle était la… hein,
parce que vous dites : « Je ne fais pas de politique à Butare en tout
cas, je ne participe pas aux réunions publiques, aux meetings… », mais
vous faites de la politique avec ce, ces adhérents du MRND qui sont salariés ?
Alphonse HIGANIRO : Effectivement,
Monsieur le président. D’ailleurs, la Commission, cette Commission-là, la Commission
que je dirigeais, était effectivement un Comité chargé des questions politiques.
Le Président : Et c’est vous
qui dirigiez ce petit Comité de dix personnes ?
Alphonse HIGANIRO : Oui. Le tout
petit, petit, c’est moi qui le dirigeais.
Le Président : C’est ça,
parce que vous apparaissez dans la liste comme le 9ème mais c’est
vous qui en étiez le dirigeant ?
Alphonse HIGANIRO : Non, ça, c'est
le Comité directeur. Et là, je devais vous donner une précision, Monsieur le
président, c’est que ce Comité directeur, la réunion qui devait se faire le
25 novembre n'a pas eu lieu parce que le Comité directeur n'a pas fonctionné
étant donné qu'on n’a pas désigné son bureau. Si vous regardez le point 2…
Le Président : Oui, il faut :
président, vice-président, trésorier.
Alphonse HIGANIRO : Exactement,
Monsieur le président, parce que le point 2 du procès-verbal en kinyarwanda
traduit en français disait que dans les jours qui allaient suivre, on allait
mettre en place le président, le vice-président, le trésorier, pour pouvoir
faire fonctionner le Comité directeur. Cela n'a pas eu lieu. On n'a jamais tenu
une quelconque réunion. En fait, il s'est tenu deux réunions : la grande
réunion qui a mis en place ces petites choses-là, et la réunion de mon petit
Comité. C'est tout ce qu’il y a eu comme réunion.
Le Président : Donc, c’est
une réunion d'un Comité de base ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, c'est
ça.
Le Président : Ce qui explique
notamment que ce soit Monsieur le témoin 21 qui figurait dans les membres de votre
Comité de base…
Alphonse HIGANIRO : Oui.
Le Président : Qui a été
le secrétaire et qui a donc tenu la plume pour rédiger le compte-rendu de ces
réunions du Comité de base, si je comprends bien ?
Alphonse HIGANIRO : C'est ça,
Monsieur le président.
Le Président : Et ça, c'est
vous qui en étiez effectivement le président ?
Alphonse HIGANIRO : Le président.
Alors, mais quel était le rôle de cette petite organisation ? Le rôle de
cette petite organisation est ceci : d'abord, c’était une initiative totalement
privée, qui n'a rien à voir avec les dirigeants du MRND. D'ailleurs, aucun dirigeant
du MRND local là-bas ne figure dans aucun Comité. Et aucun, d’ailleurs, n'a
participé même à la réunion, la grande réunion qui a mis en place ces éléments.
Parce qu'on voulait précisément raisonner librement sans être contraints de
rester dans la logique ou la politique du parti MRND.Et notre réflexion sortait
du fait que, notre réflexion était motivée par le fait que la mise en place
des accords d’Arusha prenait du temps et s’enlisait. Et nous, on a dit :
« Mais cette question, elle est capitale. Est-ce que nous pouvons contribuer
à ce que notre parti politique MRND puisse y trouver une solution ? ».
Alors, nous avons créé cette espèce de club-là, de club de réflexion
qui, par ailleurs aussi, ça se retrouvait dans d'autres partis politiques. Les
autres partis politiques aussi avaient des petits groupes de réflexion sur des
questions bien précises.Et c'était pas seulement le MRND qui pouvait faire ça,
nous n'avons pas pensé en disant que nous, nous sommes les seuls ou les premiers
à le faire. Nous avons été inspirés par ce qui se faisait dans le MPR, dans
le parti PL, dans le parti PSD. Nous devrions donc émettre des idées qui, suivant
la hiérarchie de ce Comité, allaient, dans notre entendement, arriver à la table
de la direction du parti, pour pouvoir les exploiter. Mais seulement, quand
j'ai fait la réunion…
Le Président : Donc, si je
vous comprends bien, il y avait des réflexions politiques faites par des gens
qui adhéraient au MRND mais en dehors des structures du MRND.
Alphonse HIGANIRO : C’est ça…
en dehors des structures du MRND, en dehors des structures du MRND, c'était
vraiment de la libre pensée, réfléchir, se rencontrer, débattre d'un sujet et
émettre des opinions qui en sortent aux organes du MRND ainsi que d'ailleurs,
cela est dit dans le procès-verbal, le procès-verbal de la première réunion
le précise bien.
Le Président : Oui, on va
en parler.
Alphonse HIGANIRO : Je vais dire,
le procès-verbal en kinyarwanda le précise bien.
Le Président : Oui.
Alphonse HIGANIRO : La mission
de ce petit Comité.
Le Président : Alors donc,
vous avez expliqué que le Comité directeur, les dix personnes, n'a jamais été
constitué. On n’a jamais désigné de président, vice-président etc.
Alphonse HIGANIRO : Il n'a jamais
été constitué.
Le Président : Donc seul,
en tout cas un Comité de base, celui dont vous étiez responsable, celui-là au
moins a fonctionné. Est-ce que les autres Comités de base ont fonctionné ?
Alphonse HIGANIRO : Je ne pense
pas. Je n’ai pas l’information. Je peux pas être catégorique, affirmatif, mais
j'ai l'impression qu'ils n'ont pas fonctionné. Parce que nous aussi, nous n'avons
tenu qu'une seule réunion parce que la deuxième réunion c'était pour approuver…
Le Président : Mais, curieusement,
on a deux rapports. On en a un qui n'est pas daté et un autre qui est daté.
Alors, comment est-ce que, si on n'a tenu qu'une seule réunion, il y a deux
rapports ?
Alphonse HIGANIRO : Vous voyez,
quand nous avons tenu la première réunion, le témoin 21 a été chargé de faire
le procès-verbal. Il a fait le procès-verbal qu'il a intitulé : « Suggestions
faites par… »
Le Président : Oui…
Alphonse HIGANIRO : Ce procès-verbal,
il nous l'a soumis pour approbation, à la deuxième réunion du Comité, mais cette
deuxième réunion du Comité n'avait à l'ordre du jour que l'approbation du document
du témoin 21.
Le Président : Alors, pourquoi
est-ce que ça s'appelle « Rapport numéro deux ? ».
Alphonse HIGANIRO : C'est là où
je vais vous fournir l'explication. Donc, nous avons transformé le texte que
le témoin 21 nous proposait. Nous l'avons réécrit. Nous avons approuvé le procès-verbal,
mais aménagé. Nous ne l'avons pas adopté tel qu'il nous l’a donné.
Le Président : Donc, il y
a une réunion qui se tient à quelle époque ? En tout cas après le 21 novembre
1993 ?
Alphonse HIGANIRO : Après le 21
novembre, quelque part je pense vers fin 1993.
Le Président : Donc, fin
93…
Alphonse HIGANIRO : Oui, ou bien
alors dans les tous premiers jours de janvier 94.
Le Président : D’accord,
il y a une réunion de ce Comité de base que vous dirigez, qui se tient fin 93,
début 94. Monsieur le témoin 21 rédige, suite à cette réunion, un texte qui s’appelle
« Suggestions émises etc. » Vous tenez alors une autre réunion en
février 1994…
Alphonse HIGANIRO : Pour l’approuver.
Le Président : Le 13 février
1994, pour approuver, puis on n’approuve pas vraiment, on rédige ce qui s'appelle
« Rapport numéro deux » ?
Alphonse HIGANIRO : C’est ça.
On garde le sujet. Le point, c’est le même, tout à fait le même si vous comparez
mais les conclusions sont rédigées autrement que l'avait rédigé le témoin 21 mais
c'est le même point. C'est le même sujet, c’est les mêmes conclusions, mais
c'est rédigé autrement.
Le Président : D'accord.
Alphonse HIGANIRO : Et il l’appelle,
le témoin 21, au lieu de continuer à l'appeler « Suggestions », il l’appelle
« Rapport numéro deux ». Ca, il n’y a aucune raison de l’appeler « Rapport
numéro deux » parce que c'est la même réunion, le même document. Mais l’un
est projet, l'autre définitif.
Le Président : Alors ces
deux textes, un projet, un définitif qui, dans le fond, ne relatent que ce qui
s'est discuté au cours d’une seule réunion…
Alphonse HIGANIRO : Exactement.
Le Président : …au cours
d’une seule réunion, fin 93, début 94. A ce moment-là, les accords d’Arusha
sont signés ?
Alphonse HIGANIRO : Ils sont signés,
Monsieur le président.
Le Président : Bien. Qui
participait, selon vous, à cette unique réunion, fin 93, début 94 ? Il y avait
vous ? Vous étiez là ?
Alphonse HIGANIRO : J’étais là.
Le Président : Monsieur le témoin 21
apparemment était là puisqu’il a pris des notes. Est-ce que Monsieur le témoin 40
était là aussi ?
Alphonse HIGANIRO : Il n’y était
pas.
Le Président : Monsieur le témoin 40
n’y était pas.
Alphonse HIGANIRO : Il n’y était
pas. Il est venu à l’approbation, mais il n’y a vu que du feu parce que les
discussions, il ne les avait pas suivies. Il n’y était pas.
Le Président : Oui. Est-ce
qu’il y avait encore d’autres personnes ?
Alphonse HIGANIRO : A la première
réunion, il y avait aussi… Zéphirin.
Le Président : BAGAMBIKI
Zéphirin ?
Alphonse HIGANIRO : Exactement.
Le Président : Est-ce que
N’DAIRIWE Nicolas était là ?
Alphonse HIGANIRO : Dans la première
réunion, il y était mais dans la dernière d’approbation, il n’y était pas.
Le Président : Et Monsieur
BARARENGANA Séraphin ?
Alphonse HIGANIRO : Il n’est jamais
venu.
Le Président : Jamais venu.
Donc, finalement, c’est l’opinion de peu de monde qui est exprimée…
Alphonse HIGANIRO : Ca fait, nous
étions 5 au total, moins…
Le Président : 5, moins le témoin 40
qui n’était pas à la première réunion, moins BARARENGANA, ça fait plus que…
Vous étiez six au total ?
Alphonse HIGANIRO : Nous étions
six.
Le Président : Vous, plus
5 personnes.
Alphonse HIGANIRO :
C’est ça, Monsieur le président.
Le Président : Six personnes
moins le témoin 40, ça ne fait déjà plus que cinq, moins BARARENGANA, ça fait déjà
plus que 4, hein ?
Alphonse HIGANIRO : Quatre. Quatre
sur six. Démocratiquement parlant, on pouvait décider.
Le Président : Alors, selon…
je crois que c’est Monsieur le témoin 40, qui dit ça, effectivement avoir participé
à une seule réunion. Je crois que c’est lui qui l’a déclaré.
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : Ces textes,
les deux, seraient le reflet de votre seule opinion à vous, ou en tout cas,
quasiment de vous parce que vous aviez une position tellement dominante dans
ce groupe que ce qui figure sur les rapports, c’est quasiment uniquement votre
opinion. Vous dites par contre, je crois, que c’est le reflet de l’échange d’opinions
de ceux qui étaient là, c’est-à-dire l’échange d’opinions, si je comprends bien,
de quatre personnes.
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, c’est le témoin 40 qui dit ça. C’est le témoin 40 qui dit que c’est le reflet
de mes opinions à moi. Nous notons d’abord qu’il n’était pas là lors des débats,
donc il ne peut vraiment pas dire comment se sont passés les débats. Deuxièmement,
il est venu à l’approbation du dernier texte et cette réunion, il le dit lui-même,
ça n’a fait qu’une demi-heure. Quand on approuve, à un procès-verbal, le président
doit y jouer un rôle. Donc, dans l’approbation du procès-verbal, je dicte à
celui qui rédige le texte, le consensus. C'est la direction des débats.
Mais les membres de ce petit Comité, ce Zéphirin BAGAMBIKI c’était
un ancien conseiller du gouvernement, c’est un universitaire, le témoin 21 c’est un
ingénieur civil et le témoin 40 lui-même, c’est un universitaire. Parce que déjà de
son niveau de formation, de cette expérience dans la société, je vois pas comment
je peux leur dicter ce qu'ils ne veulent pas accepter. Je ne vois pas comment
un groupe d'un aussi bon niveau et homogène du point de vue de la formation,
il y aurait un qui dicterait ses idées aux autres. Je ne partage pas, Monsieur
le président, ce qu'a dit Monsieur le témoin 40.
Le Président : Donc, nous
sommes fin 1993, début 1994, pour l’approbation du procès-verbal de la réunion,
à un moment où les accords d’Arusha sont conclu, et vous nous avez dit, il y
a quelques minutes, qu'à partir du mois d'août 1993, les accords d’Arusha ayant
été signés par le président le témoin 32,
le MRND suivait ces accords, le président ayant d'ailleurs signé avec l'accord
de son parti. Je vais quand même lire ces deux textes. Le premier est donc celui
qui n'est pas daté et qui, historiquement, vient le premier et il est intitulé :
« Suggestions émises par la Commission politique du
Comité directeur des fonctionnaires affectés à Butare et adhérents au MRND ».
Vous avez précisé qu'en réalité cette réunion ne concernait que les membres
de votre Comité de base composé de six personnes, réunion à laquelle d'ailleurs,
tous les six n'ont pas participé.
Alphonse HIGANIRO : D’accord,
Monsieur le président.
Le Président : « Compte tenu de la situation grave du pays… ». Ceci
dit, si vous relisez ce qui est mis dans l'acte d'accusation, vous verrez qu'il
y a parfois des choses qui manquent, et vous verrez, quand on aura les photocopies,
que même sur les photocopies, il y a des choses qui parfois sont manquantes
et que c'est peut-être parfois de l'interprétation des mots, mais je crois que
ça semble assez logique.
« Compte tenu de la situation grave du pays,
lequel sombre dans les suites du coup d'état civil amorcé par les accords d’Arusha,
les membres de la Commission politique susmentionnés demandent au Comité national
de veiller à informer rapidement les Comités préfectoraux des événements politiques
actuels. Suivant les informations dont nous disposons, tout serait mis en œuvre
pour parachever le coup d'état civil véhiculé par les accords d’Arusha.
Face à cet état de choses, il est impératif que l'union
des Hutu se fasse à tous les niveaux pour barrer la route aux Tutsi assoiffés
de pouvoir. À notre avis, cette union existe d'ores et déjà à la base chez les
adhérents des partis MDR, CDR et MRND.
En outre, les membres de la Commission suggèrent que
face à ce danger, les préoccupations partisanes cèdent la place à l'union, les
négociations en vue des concessions entre partis, devant être engagées à ultérieurement.
Enfin, d'après des informations concordantes, des
plans d'extermination existent et il est indispensable d'organiser une défense
collective. Celle-ci pourrait passer par le canal des cellules, lesquelles malheureusement
ne fonctionnent plus en raison du litige des indemnités des membres des Comités
de cellule, qui restent impayés.
Le second texte
est celui qui est daté du 13 février 1994 et qui est intitulé :
« Rapport numéro deux de la Commission politique du Comité directeur des
fonctionnaires affectés à Butare adhérents au MRND ».
Et vous dites : « Le premier texte était en quelque sorte le brouillon.
Celui-ci, c’est celui qui a été approuvé lors de la seconde réunion qui n'a
servi qu'à approuver ce texte ».
Alphonse HIGANIRO : C’est ça,
Monsieur président
Le Président : « Les extrémistes Tutsi assoiffés de pouvoir continuent leur route
pour parachever le coup d'état véhiculé par les accords d’Arusha. La Commission
pense que, dans ces conditions, les Hutu n'ont aucun intérêt à ce que les institutions
de transition soient mises en place sans le PL MUGENZI, car ces mêmes Hutu vont
se faire « gandagure », et ça veut dire quoi, ça
« gandagure » ?
Alphonse HIGANIRO : Ca veut dire
« évincer ».
Le Président : …vont se faire gandagure aussitôt. En outre, la Commission regrette
que l'union des Hutu n'a pas pu être effective au niveau de la tête, notamment
à cause de la médiocrité des leaders Power du MDR. Elle demeure néanmoins convaincue
que cette union existe et peut être mise à profit à la base, au niveau des adhérents
des partis MDR, CDR et MRND.
1. le président de la République en tant que… soit
gérant - mais moi je crois que
c'est plutôt garant…
Alphonse HIGANIRO : C’est garant,
Monsieur le président.
Le Président :
…en tant que garant de
la stabilité du pays et les accords d’Arusha ayant été signés pour la réconciliation
nationale, doit se convaincre qu'il ne serait pas opportun que la mise en place
des institutions de transition, exclue ou retarde l'entrée des forces importantes
comme celles appartenant PL MUGENZI. Il faut donc différer la mise en place
des institutions de transition.
2. Ce délai devrait permettre aux Hutu de faire, jusqu'à
l'obtention de gain de cause, une véritable démonstration de force (marches
populaires, arrêt des activités, blocage des routes, séquestration… en un mot :
pays mort) pour montrer le désaveu de la population vis-à-vis de la non-application
intégrale des accords d’Arusha en ce qui concerne les pouvoirs conférés au parti
et sa détermination pour que son point de vue soit tenu en compte. Ce petit
délai devrait permettre également aux militants du MNDR particulièrement d'exprimer
clairement leur opinion.
3. Sur le plan strictement juridique, le texte de
l'Assemblée nationale ne peut être mis en place sans le PL (présidence ou vice-présidence)
ou sans modification de certains passages des accords d’Arusha. Or, qui en a
la compétence pour qu'il s'exprime d'abord ?
4. Enfin, si le fait de retarder la mise en place
des institutions de transition ne permettait pas à la population de faire savoir
son point de vue, il serait inutile de différer encore plus longtemps la mise
en place de ces institutions, surtout que le FPR, sur le plan économique, en
profiterait pour nous avoir par asphyxie ».
Alors, est-ce qu’il n'y a pas des gens adhérents au MRND qui ne sont
plus d'accord avec les autres membres du MRND, avec la direction, qui se posent
des questions, je sais pas ?
On a dans ces deux textes en tout cas, une division ethnique :
c’est les Hutu, c’est les Tutsi. C’est pas seulement le FPR, c’est « les
Tutsi assoiffés de pouvoir ». Il y a quelque chose d’assez surprenant.
Alphonse HIGANIRO : Je comprends
que vous disiez cela, Monsieur le président, parce qu'en fait les expressions
qui sont utilisées dans ce procès-verbal, il faut les replacer dans leur contexte
historique, dans leur contexte du moment. Et il y a certaines expressions qui
sont clés, qui sont importantes pour pouvoir comprendre le texte.
Prenons par exemple le coup d'état civil. « Le coup d’état civil
véhiculé par les accords d’Arusha », c'est une expression qui était courante
dans le langage politique du moment. C’est une expression qui a été introduite,
je pense, même deux ans plus tôt, donc, qui a été introduite vers 92, qui a
été introduite par l'Alliance pour le renouveau démocratique c’est-à-dire le
parti MRND et les autres partis qui étaient dans la mouvance présidentielle.
C'étaient cinq partis. Ils ont utilisé, vers novembre 92, cette expression pour
dire que… simplement pour dire que le MRND n'a pas rien à dire dans les accords
d’Arusha. Donc, qu’il n'a ni majorité de décision ni minorité de blocage. C'est
cette expression qui a été introduite à ce moment-là. Nous l'avons trouvée en
cours d'utilisation et comme nous traitions des problèmes…
Le Président : Comment est-ce
que vous pouvez encore utiliser cette expression alors que vous venez de dire,
il y a quelques minutes, et que le MRND avait approuvé les accords d'Arusha,
accordé les pleins pouvoirs ou, en tout cas, accepté que le président le témoin 32
les signe tels qu'ils ont été signés.
Alors, comment peut-on dire : « Nous sommes d'accord avec
les accords d'Arusha », et d'un autre côté quelques mois plus tard, dire :
« Les accords d'Arusha, c’est un coup d'état civil ». De deux choses
l'une : ou ce sont des accords, point à la ligne ou ce sont… et on n'est
pas d'accord, et alors cet accord, ce n'est pas des accords, c'est un coup d'état
civil, et on s'est fait rouler dans la farine et on n'est pas d'accord avec
ce qui a été signé.
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, je pense qu’en démocratie quand on discute des choses, on se rallie
à l'avis de la majorité mais au moment où vous discutez de cette chose-là, les
arguments et les raisons pour lesquelles vous n'étiez pas d'accord, ces raisons-là,
elles sont là mais vous avez adhéré à l'opinion de la majorité.
Le MRND, comme je vous l’ai expliqué, a accepté les accords d'Arusha,
parce que c'était la voie qu'il espérait pour pouvoir sortir le pays de la guerre.
Mais il reste toujours vrai que le MRND n'avait… ces accords là-bas, le préaccord
qu'il n'accepte pas, n'a jamais été revu. Il a été adopté comme tel. Il l’a
accepté, mais la réalité quant à ce qui est de sa participation aux décisions,
reste qu’il n'a plus de, il n'a plus de parole comme auparavant. Mais cela n'empêche
qu’il y participe avec les autres, avoir les voies et moyens nécessaires pour
mettre en application des accords d'Arusha. Et je le dis, et si vous voyez bien
le texte, il n'est pas question, le texte n'est pas contre les accords d'Arusha.
Le Président : Il est question,
soit de retarder, soit, si c’est pas possible, alors il faut pas retarder, il
faut, il faut…
Alphonse HIGANIRO : Il faut faire…
et retarder, nous disons un tout petit délai, et je vous explique alors d'où
vient cette idée de tout petit délai. Mais entre-temps, les partis politiques
se sont scindés en deux. Ils se sont scindés en deux ailes. Personnellement,
j’ai eu l'impression que la ligne de division était ethnique. Je prends par
exemple le parti PL. Le parti PL avait un président qui s'appelait MUGENZI dont
nous parlons dans ce procès verbal. Lui, il était Hutu. Il avait un vice-président
qui s’appelait NDASINGWA. Lui, il était Tutsi.
NDASINGWA a dit un jour à la radio : « MUGENZI doit aller
fonder son parti. Le PL est devenu pour lui le parti des Tutsi ». Naturellement,
il s'est passé effectivement que Monsieur MUGENZI a fait son congrès à part,
et Monsieur NDASINGWA a fait son congrès à part et le parti était scindé en
deux. Et le FPR proposait lui alors que l’aile MUGENZI soit exclue des institutions
de la transition. C’est sous cet angle-là que nous parlons de l’aile MUGENZI
dans le procès-verbal.
Le MDR, c’était la même chose. C’était le principal parti de l'opposition.
Il s'était scindé aussi en deux, mais cette fois-ci, ce n'était pas la fracture
vraiment ethnique mais c'était la fracture pro ou anti-FPR. Et là aussi se trouvait
un problème de pouvoir dire quelle est l’aile qui entre dans les institutions
de transition. Pour commencer, pour le FPR évidemment, les ailes à retenir,
ce sont les ailes qui lui sont proches. C’est pourquoi le FPR proposait que
l’aile MUGENZI soit exclue. Mais de l’autre côté aussi, dans la mouvance du
MRND, ce qu’il fallait retenir c’était l’aile qui lui était favorable, c’est-à-dire
les ailes Hutu.
Nous, qui sommes en dehors de ce débat de politicien, de chefs de
partis, nous trouvons cela quelque chose qui contribue à freiner la mise en
place des institutions, et voilà, nous proposons une solution pour s'en sortir.
La solution pour s'en sortir, c'est que d'abord il n'existera pas un parti Hutu,
être Hutu n'étant pas un programme politique. Nous disons : « Les
Hutu, où qu'ils soient, dans leurs partis respectifs, s'ils se trouvent en présence
d'un comportement, notamment du FPR, tendant à ne pas permettre aux accords
d’Arusha d'atteindre leurs objectifs - nous pensions notamment au problème des
élections que le FPR ne voulait pas - nous nous proposons, nous disons ceci
:
« Vous les Hutu, où que vous soyez dans vos partis respectifs,
défendez ce principe démocratique et imposez-le au FPR. Faites l’union autour
de cette idée pour que vous puissiez les imposer au FPR. Vous êtes plus nombreux ».
Je ne vois pas comment on peut responsabiliser un groupe qui fait 15% et le
groupe qui fait 90% dit : « On n'a pas pu pour prendre telle décision
ou telle décision… ».
Le Président : Vous êtes
mathématicien mais 90 + 15, ça fait 105%.
Alphonse HIGANIRO : Oui, oui,
oui, excusez-moi, Monsieur le président, disons 90% et 10%.
Alors que, si vraiment le FPR ne veut pas les élections, pour des
raisons qu'on comprend, il va, il risque de les perdre. S'il ne veut pas les
élections, c'est pas pour cela que les élections n'auraient pas lieu si les
Hutu de ces différents partis en veulent. Il suffit qu'ils votent pour les élections
dans leurs partis respectifs. Ça c'est l'objet, l'objectif de l’union de ces
Hutu, tous partis confondus, nous ne disons pas un parti comme le parti CDR
le préconisait. Nous n'étions pas de cette voie-là.
Donc, dans ce procès-verbal, nous cherchons les voies et moyens pour
mettre en application les accords d’Arusha. Le coup d'état, il est là, il demeure,
il a été fait, l'accord a été signé. Nous le constatons, mais il ne faut pas
que ce coup d'état-là continue à produire ses effets, si nous voulons le partage
du pouvoir. Si nous voulons le partage et non le transfert, on doit y mettre
un frein. Et comment y mettre un frein ? Il ne faut pas que le FPR demande
aux ailes qui lui sont favorables et arrive à mettre en place et le gouvernement
et le Parlement, rien que des pro- FPR. Il n'y aura alors pas d'élections du
tout parce qu'il n'en veut pas. Alors, nous disons : « Ecoutez, il
faut veiller à ce que d'abord les accords d’Arusha soient respectés ».
Qu'est-ce que cela veut dire ? L'article 52 du protocole sur
le partage du pouvoir, il est dit : « Ce n'est pas le premier ministre
qui met en place les ministres, c'est les partis ». Il le fait en concertation
avec les partis. C'est pas en consultation, c’est avis conforme, prendre un
avis conforme. Monsieur TWAGIRAMUNGU qui est le premier ministre désigné, il
est pro-FPR tout le monde le sait et il commence par des astuces, des manœuvres
tout ça, à prendre les ailes pro FPR, à dire : « Le PL MUGENZI, pas
question ». Dans son propre parti, il y a le bureau politique. Il le court-circuite.
Il fait sa petite liste à côté de ceux qui lui sont proches. Il amène :
« Voilà ce qui composera le gouvernement », alors qu'il sait que les
partis, les principaux partis de l'opposition ont déjà éclaté. Il doit en tenir
compte. Comment ces partis qui ont éclaté vont-ils présenter leurs candidats
ainsi que l'exigent les accords d’Arusha ? C'est ça, c'est que nous sommes
en train d'expliquer dans notre examen de la situation et la proposition que
nous trouvons pour résoudre ce problème là-bas, c'est donc cela qui est dans
le document.
Quant à la défense collective, Monsieur le président, l'autodéfense
collective. Je signale d'abord qu’il ne s'agit pas de l'autodéfense civile.
Il s'agit de l'autodéfense collective. Cette autodéfense collective fonctionne
encore maintenant dans le Rwanda actuel. Elle a fonctionné en 1990 quand le
FPR a attaqué le Rwanda. En 1990, on a mis en place un système d'autodéfense
collectif qui permettait que la population, chaque membre de la population n'ait
pas peur tout seul, mais qu'il puisse partager sa peur avec le voisin. Alors,
il se rendait tout de suite compte qu'il n'y avait pas lieu d'avoir peur. C'est
peut-être un monsieur qui a péter quelque chose là-bas ou même un infiltré du
FPR qui tire une balle et c'est toute la colline qui détalle. Ils abandonnent
leurs biens. Et quand nous faisions cela, il y avait déjà 1.000.000 de gens
tout près de Kigali qui avaient quitté leurs biens dans ces conditions-là.
Mais plus grave encore, c’est qu’en novembre 93, dans la préfecture
de Ruhengeri, il y a eu des massacres, des exterminations. Dans la nuit du 17
au 18 novembre, une cinquantaine d'élus locaux et de commerçants et qui étaient
proches du FPR ont été retrouvés assassinés. Toutes les familles, hommes, femmes
et enfants. Ces images-là sont passées par la télévision. Le jour suivant, une
usine à thé dans la même région perd toute sa direction, mais c'est pas seulement
les hommes qui dirigent, qui travaillent ou qui sont des cadres là-bas. C'est
aussi leurs femmes et aussi leurs enfants qui ont été tués, chez eux, dans leur
sommeil. Ca aussi, c'est passé à la télévision. Ca c'est… Quand nous parlons
des exterminations, que des plans d'extermination existent, nous pensons, nous
faisons allusion à ces phénomènes. Ca suivait directement… Nous nous sommes
réunis quelque temps après que ces massacres aient eu lieu.
Qu’est-ce qu’il faut faire ? Est-ce qu’il faut mettre des soldats
sur toutes les collines rwandaises pour protéger ces gens-là ? C’est impossible.
Il y a la guerre. La guerre continue, pardon, il y a pas la guerre mais il y
a, la région, toute la région du Nord, nous ne pensions pas à la région de Butare.
La région de Butare n'a jamais eu ce genre de problèmes, bien que l'autodéfense
collective existait, et c’est le préfet le témoin 32 qui, lui-même, avait institutionnalisé,
et il était Tutsi, il était même PL, même pro FPR, mais il avait, on en a parlé
ici, institutionnalisé cette défense collective. Nous avons proposé cette défense
collective parce qu'elle a fait ses preuves en 1990, parce que cette défense
collective était organisée par les responsables locaux de l'administration,
parce que les cellules dont nous demandons la re-dynamisation, ce n'est rien
d'autre que le premier canton électoral comme on en trouve ici, le tout premier
canton électoral. C'est ça, la cellule. C'est une subdivision administrative
qui a des responsables élus par la population, qui sont des Hutu, qui sont des
Tutsi. Nous ne préconisons pas une structure qui se superpose sur une structure.
Non, cette structure a fonctionné en 1990. Il n'y a pas eu de déplacés de guerre
à une quantité que l'on connaissait.
Nous disons donc, qu’on revienne à cette organisation, mais cette
organisation ne pouvait plus fonctionner, parce que les partis de l'opposition,
à un certain moment, ils ont dit : « Les cellules, ça sonne MRND ».
Si nous maintenons la notion, le jour où nous allons nous présenter devant les
élections, on va dire : « Les cellules, c'est MRND ». Et comme
ça a réussi, comme ça a bien fonctionné, ça risque de favoriser les candidats
du MRND. Alors, ils ont dit : « On supprime leurs salaires sans changer
la loi parce que ces structures se trouvent dans la loi communale ».
Le Président : Mais, par
exemple, à Butare, le MRND représentait peu de choses, avait un poids politique
moins important donc, les cellules par exemple à Butare, ça devait pas être
tellement MRND ?
Alphonse HIGANIRO : Non, non,
il n’y avait pas beaucoup de MRND. Nous pensions surtout au Nord du pays, en
fait. L'autodéfense collective, c'était surtout au Nord du pays, là où il y
avait ces massacres-là et tout ça. Je me souviens d'ailleurs qu'on avait demandé
à la MINUAR de pouvoir faire l'enquête là-dessus pour établir les responsabilités.
La MINUAR n’a jamais déposé son rapport de sorte qu’on ne sait pas qui les a
tués, mais on suspectait bien sûr le FPR, mais le rapport n'a jamais confirmé
ça.
Il n'y a rien de répréhensible, nous semble-t-il, dans cette organisation,
dans cette autodéfense collective comme je vous le disais, même maintenant,
ça fonctionne. Ce qu'on appelle des « Nyumbakumi » c’est-à-dire dix
maisons par dix maisons, il y a des chefs qui assurent la sécurité des gens,
même actuellement. Nous demandions simplement que les partis de l'opposition
soient un peu raisonnables, que, puisque s'il s'agit de la sécurité des populations,
qu'ils ne regardent pas les élections, qu'ils y veillent, qu'ils laissent le
système de protéger la sécurité des gens puisse fonctionner puisque ça ne faisait
un tort à personne, et je vous rappelle, Monsieur le président, que j'ai dit
que ces rondes, parce que c'étaient des rondes finalement, le modus
operandi de cette défense collective c’étaient des rondes, elles étaient
faites par les Hutu et par les Tutsi, ensemble.
Le Président : Dans les moyens
à mettre en œuvre aussi, on parle quand même de, hein, « démonstration de force », « marche
populaire », ça je crois que ça semble pas être illégal, « arrêt des activités », bon Dieu, ça, la Belgique connaît
aussi des grèves, « blocage des routes »,
on a connu ça aussi effectivement avec les transporteurs routiers, mais on se
dit : « Tiens, au Rwanda, quand on dit blocage des routes, est-ce
que ce n'est pas mettre des barrières pour faire des contrôles d'identité ethnique
ou des choses comme ça ? ». « Séquestration »,
ça…
Alphonse HIGANIRO : « Séquestration »,
Monsieur le président, ça c'est simplement prendre un otage.
(rires de l’assemblée)
Le Président : Oui, mais
ça, ça je pense que c'est quand même illégal.
Alphonse HIGANIRO : Les chefs
de partis, ces décideurs qui ne décident pas, comme je viens de dire.
Le
Président : Puis alors, il y a l'expression qui pèse lourd quand
on sait la suite : « En un mot :
pays mort ».
Alphonse HIGANIRO : C’est une
expression.
Le Président : C’est pour
bloquer toutes les activités économiques, j'imagine, enfin, je ne sais pas moi…
Alphonse HIGANIRO : Oui !
Oui ! Oui, tout à fait. C’est pour bloquer les activités économiques…
Le Président : Ou c’est supprimer
une partie la population ?
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, nous sommes en face d'un refus d'appliquer les accords d’Arusha.
Nous sommes en présence d'une situation où…
Le Président : Est-ce qu'on
se trouve pas plutôt dans une situation, en raison de la scission des partis
politiques, les accords d’Arusha tels qu’ils ont été signés, sont impraticables.
Parce que les uns veulent quand on parle de autant de postes pour le MDR, autant
de postes pour le PSD, etc. que ça aille, les uns aux pro-FPR, les autres disant :
« Non, c'est à l’autre aile que ça doit venir », et donc, on se trouve
bloqué en raison de cette scission des partis ?
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, exactement, oui. Mais j'ajouterai aussi quand le FPR dit : « Exclure
le PL parce qu'il a évolué », il a demandé, cette fois-ci, l'exclusion
de tout le PL. Mais nous savons qu'il y a un article des accords d’Arusha qui
dit : « Le bureau de l'Assemblée nationale sera dirigé par le PL et
le PSD ». Mais le FPR dit : « Excluez le PL des institutions ».
C'est notre dernier paragraphe. Mais comment compte-t-il faire ? Donc, il nie
carrément que l'on puisse mettre en place l'Assemblée. Donc, il est en train
de dire : « Les accords d’Arusha, c'est quoi ? ». Comment
est-ce que, si l'accord dit : « C'est le PL qui sera président ou
vice-président », et que l'autre dit : « Pas de PL dans les institutions
de transition », quelle solution donne-t-il à l'application de cet article-là ?
Là, nous, là où on était, on trouvait ces politiciens de Kigali, on n’avait
plus tellement confiance, et ça n’allait pas. Ca n’allait pas. Alors, on s’est
réuni. On a donné des suggestions. C’est là où l’on dit : « S’il y
a quelqu’un qui est capable de changer les accords d’Arusha, qu’il s’exprime
d’abord. Quand il les aura changés et qu’il trouve une solution après les avoir… ».
D’ailleurs, c’est une façon de parler. Il va les changer comment ? Puisque
les accords d’Arusha prévoient eux-mêmes que c’est l’Assemblée nationale qui
peut les changer. Mais il nie, il nie les possibilités de mettre en place l’Assemblée
nationale. Devant une situation comme ça, on réfléchit.
Le Président : Alors, cette
situation que vous venez d’expliquer et vous venez d’expliquer pourquoi ces
suggestions, pourquoi ce rapport numéro deux… Est-ce qu’on peut mettre également
dans la même lignée le communiqué de presse émanant des intellectuels de l'université
nationale du Rwanda sur la situation politique du moment qui est de quelques
jours auparavant, du 4 janvier 1994, donc un mois et demi avant, où on critique
Monsieur Twagiramungu.
Alphonse HIGANIRO : Oui.
Le Président : Document
qui est signé notamment par Monsieur NTEZIMANA
et notamment par vous, vous n'êtes pas les seuls, mais donc, une série d'intellectuels
signent ce document qui dit ceci : « En ce moment le pays est
en train de vivre des moments critiques de son histoire, qui risquent de lui
porter un coup fatal si les hauts responsables de ce pays n'assument pas correctement
et honnêtement leur rôle. Le premier ministre désigné du gouvernement de transition
à base élargie… », donc ça, c'est l'accord d’Arusha ?
Alphonse HIGANIRO :
C'est ça, Monsieur le président.
Le Président : « …Monsieur TWAGIRAMUNGU
Faustin qui est parmi les plus concernés par la mise en place des institutions
de transition se complaît dans la poursuite de ses intérêts personnels en faisant
fi des autres forces vives, parties prenantes à la mise en place de ces institutions.
En effet contrairement à l'esprit et à la lettre des accords d’Arusha, Monsieur
TWAGIRAMUNGU Faustin se permet de se substituer aux partis politiques, dans
la désignation des membres du gouvernement…».
Alphonse HIGANIRO :
Voilà le problème.
Le Président :
« …et le Parlement de transition
à base élargie. » C’est ce que vous avez expliqué
Alphonse HIGANIRO :
Oui, c'est exactement le problème.
Le Président :
Normalement l'article 52 prévoit une concertation
avec les partis, entre le premier ministre et les partis, et lui veut en faire
à sa guise sans tenir compte des partis. « Nous
insistons pour que cette opération ne relève que de la seule compétence des
partis politiques concernés, à travers leurs bureaux politiques, donc, désignation
des membres du gouvernement ou du Parlement. Nous sommes d'avis qu'il est salutaire
que la population ne prête plus le flanc aux opérations de supercherie de
Monsieur Twagiramungu. Nous appelons
tout le peuple rwandais à se lever comme un seul homme, pour combattre Monsieur Twagiramungu
Faustin qui conduit le pays dans un sombre abîme. Nous demandons au parti
MRND de procéder, sans délai, à la désignation d'une personnalité plus compétente
et plus digne, pour la mise en place des institutions de transition ».
Donc, c'est dans la même ligne d'esprit.
Alphonse HIGANIRO : Tout à fait.
Oui, c'est dans la même ligne, Monsieur le président. Là, l'article 52 est évoqué
presque dans sa formulation, dans les accords d’Arusha.
Le Président : Bien. Nous
allons peut-être suspendre quelques minutes l'audience, avant de poursuivre
l'interrogatoire.
Alphonse HIGANIRO : Merci, Monsieur
le président.
Le Président : On reprend
à 11h10 ?
[Suspension d’audience]
Le Greffier : La Cour.
Le Président : L’audience
est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place.
Alors, avant de poursuivre l'interrogatoire de Monsieur HIGANIRO,
on va donc distribuer aux membres du jury, copie de la lettre adressée par Monsieur
HIGANIRO, le 16 janvier 1993, au président le témoin 32. Un petit instant si vous permettez. Copie du rapport
de la petite commission « Suggestions émises… », copie du rapport
numéro deux de cette petite Commission et copie de la lettre adressée par Monsieur
HIGANIRO, le 23 mai 1994 à Monsieur le témoin 21, lettre dont nous allons parler maintenant,
dans quelques instants.
Alors, Maître… la porte doit rester ouverte. Maître NKUBANYI.
Me. NKUBANYI : Oui, Monsieur
le président. En fait, je sollicite une petite intervention juste pour demander
la correction d'une faute de traduction faite par l'accusé tout à l’heure, au
sujet du mot « gandagure » et si vous pouvez demander aux traducteurs
de nous dire la signification exacte.
Le Président : Les traducteurs
ne sont pas témoins.
Me. NKUBANYI : Oui, je ne sais
pas si je peux traduire.
Le Président : Les traducteurs
sont repartis mais, si vous avez envie de dire que, selon vous, ça ne signifie
pas ça, dites-le, puisque...
Me. NKUBANYI : Le terme gandagure
signifie « tuer ». Lui, il a dit « évincer » mais ça signifie
« tuer » et ce terme ici est mis entre guillemets parce que ce terme
vient en fait du Burundi où ça signifie « tuer une haute personnalité ».
On faisait référence en fait à l'assassinat du président NDADAYE et qui a été
tué le 21 octobre, et ici en fait, cela signifie que l’on se réfère à ce terme-là
« tuer », en référence au président NDADAYE.
Le Président : Monsieur HIGANIRO,
vous entendez la remarque faite par un avocat des parties civiles à propos de
la traduction de ce terme.
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, c’est un terme effectivement qui vient du Kirundi. Donc ,je crois
que lui, Maître étant, je crois, si mes informations sont bonnes, de nationalité
burundaise, il connaît mieux le sens, je crois, de ce mot-là. Nous pourrions
l’avoir mal compris. Mais nous, nous l’avons utilisé dans le sens que j’ai évoqué,
Monsieur le président.
Le Président : Cela veut
peut être vouloir dire tuer politiquement
Alphonse HIGANIRO : Évincer, pour
nous, c'est ça.
Le Président : Un parti qui
n'a plus de pouvoir, politiquement, il est tué, il est mort.
Alphonse HIGANIRO : Il est évincé
en tout cas.
Le Président : Bien. Je vais
vous demander, Monsieur HIGANIRO, de vous relever pour que nous parlions maintenant
du dernier document dont on vous fait reproche d'avoir écrit et d'avoir par
ce document donné des instructions ou des ordres ou d'avoir incité à des tueries.
C’est une lettre qui est datée de Gisenyi, donc, l'endroit où vous étiez à l'époque,
le 23 mai 1994 et qui était adressée, ou en tout cas reçue, par Monsieur Martin
le témoin 21 qui était, en votre absence, à la SORWAL ; c’est lui qui vous remplaçait
pour diriger les activités dans cette usine.
Alphonse HIGANIRO : C’est ça,
Monsieur le président.
Le Président : Je peux vous
demander… Cette lettre, avez-vous expliqué, est une réponse à une lettre-rapport
que vous avait faite Monsieur le témoin 21. Puis-je vous demander quand vous avez
reçu la lettre-rapport de Monsieur le témoin 21, à laquelle votre lettre du 23 mai
94 serait la réponse, quand avez-vous reçu cette lettre-rapport de Monsieur
le témoin 21 ?
Alphonse HIGANIRO : Je l’ai reçue,
Monsieur le président, le même jour, je crois. En tout cas, si c'est plus tôt,
ça ne peut pas être plus tôt que la veille parce que je crois l'avoir rédigée,
même en n’étant pas sur un bureau. Je crois que je l'ai rédigée comme ça, debout,
quand j'ai reçu celle du témoin 21, j'ai répondu immédiatement, Monsieur le président.
Le Président : Ce ne serait
pas une lettre que vous aviez reçue quelques jours plus tôt ?
Alphonse HIGANIRO : Non, parce
que le chauffeur qui a amené…
Le Président : Oui, par qui
justement avez-vous reçu cette lettre et par qui votre réponse est-elle parvenue
à Monsieur le témoin 21 ?
Alphonse HIGANIRO : J'ai reçu
cette lettre, Monsieur le président, par le chauffeur qui amenait les allumettes
à Gisenyi, suite à la visite du directeur commercial chez moi et à qui j'avais
dit de ne plus revenir, que j'allais m'occuper de la prospection commerciale
localement. Donc, le camion qui a livré les allumettes à Gisenyi, m’a amené
cette lettre-là. Le chauffeur de ce camion, le même chauffeur qui a amené la
lettre de mon adjoint, c'est le même chauffeur qui est reparti avec ma réponse.
Le Président : Et vous connaissez
le nom de ce chauffeur ?
Alphonse HIGANIRO : Je pense que
c'est KANYANDEKWE. Je crois que c’est KANYANDEKWE parce que c’est lui…
Le Président : KANYANDEKWE ?
Alphonse HIGANIRO : KANYANDEKWE,
je crois, oui. C’est lui qui conduisait le camion. C’est le gros camion de 10
tonnes donc, ça doit être KANYANDEKWE, je pense.
Le Président : Est-ce que
dans une de vos déclarations, vous n’aviez pas dit que c'était Monsieur le témoin 40
qui vous avait apporté la lettre-rapport de Monsieur le témoin 21 ?
Alphonse HIGANIRO : Non, Monsieur
le président, non. J’ai pas dit ça. Lui, il m'a rendu visite le 14, le 14 mai.
Le Président : Le 14 mai,
c'est le jour où votre épouse et vos enfants quittent Gisenyi ?
Alphonse HIGANIRO : Exactement.
Ils ont quitté le matin et lui, il est arrivé dans l'après-midi.
Le Président : Pour gagner
la Belgique ? votre épouse et vos enfants ?
Alphonse HIGANIRO : C'est ça.
Le Président : C'est ça ?
Alphonse HIGANIRO : Oui.
Le Président : Et donc, à
partir du 14 mai, si je vous comprends bien, 94, vous avez eu, dans la région
de Gisenyi, une activité, non plus de directeur général de la SORWAL, mais de
délégué commercial dans cette région-là ?
Alphonse HIGANIRO : Oui. Disons,
c'est pas tout à fait dans la région, Monsieur le président, c'est dans la ville,
dans la ville de Gisenyi.
Le Président : Dans la ville…
oui.
Alphonse HIGANIRO : Parce que
la SORWAL étant une entreprise, étant une usine qui produit et ne vend pas au
détail, il vend aux grossistes, donc, c’est avec des grosses quantités. On ne
vend pas carton par carton. Et c’est pas donc, sur les collines que je faisais
la prospection, mais auprès des gros commerçants qui sont dans la ville de Gisenyi.
Le Président : C’est ça.
Donc, vous avez dit à Monsieur le témoin 21 le 14 mai : « Ne venez
plus prospecter ici, en tout cas ne venez plus faire votre travail de prospection
ici, moi, je m’en occupe ». Et lui, il devait s’occuper de la prospection
ailleurs ?
Alphonse HIGANIRO : Ailleurs.
Exactement. A Butare, à Gitarama ou… ailleurs. C’est simplement le côté Gisenyi,
là où je lui ai dit, puisque par la force des choses, je suis là, ça serait
très peu économique…
Le Président : De faire des
trajets, avec éventuellement d’ailleurs des difficultés de passer des barrages…
Alphonse HIGANIRO : Exactement.
C’est ça.
Le Président : La lettre-rapport
de Monsieur le témoin 21 à laquelle vous répondez le 23 mai 1994, n’a jamais
été retrouvée.
Alphonse HIGANIRO : Elle n’a pas
été produite au dossier, Monsieur le président.
Le Président : Vous exposez
que vous répondez point par point à cette lettre-rapport. Monsieur le témoin 21 explique
que tous les mois, je crois, il devait faire un rapport d’ordre technique surtout,
et peut-être pas seulement technique sur la manière dont fonctionnait l’usine,
quoi, hein ? Et les difficultés qu’il pouvait y avoir…
Alphonse HIGANIRO : C’est ça.
Il y a deux choses à signaler à ce niveau-ci, Monsieur le président. La première,
c'est que nous avons, la SORWAL avait un contrat dit d'assistance technique
avec la Swedish Match, la société suédoise qui fabrique des allumettes, et ce
contrat consistait à nous conseiller notamment sur les facteurs de production,
la maîtrise des facteurs de production. Cela impliquait donc, que, chaque mois,
nous puissions évaluer le coût de production de nos produits et pour évaluer
ces coûts de production, le directeur technique devait établir chaque mois un
rapport.
Et ce rapport portait sur quoi ? Sur les consommations, donc
les consommables, le bois d'abord, ensuite tous les produits chimiques qui servent
à faire la tête de l'allumette. Il devait faire rapport sur les quantités qu’on
a consommées et donc, chaque mois, un inventaire exhaustif. On devait arrêter
un jour à la fin du mois pour faire l'inventaire de tous les consommables que
l'on a utilisés afin que ça soit transmis à la comptabilité pour que la direction
administrative et financière puisse évaluer le coût, ce mois-là, de l'allumette
produite. Et ce rapport-là, une fois que… il me le transmettait à moi, le directeur
général, ensuite je le donnais à la direction financière pour faire le bilan
et à la fin de chaque mois, tout ce travail là-bas était envoyé à un certain
Monsieur BRETECHE qui représentait l'assistance technique et il examinait les
variables, les facteurs que nous avons utilisés pour produire et il disait :
« Là-bas il faut faire attention, ici c'est très bien etc. etc. etc ».
C'était ça, c’était ça, l'assistance technique.
Ca, c’est la première chose. Mais nous faisions aussi le bilan, le
bilan tel qu'on en fait à la fin de l'année, mais nous, nous le faisions, ce
bilan, à la fin de chaque mois. Et à la fin de chaque trimestre, nous faisions
un bilan que nous transmettions à tous les administrateurs. Le bilan mensuel
n’était transmis qu’au Conseil, donc l'assistance technique qui nous conseille.
Mais tous les trois mois, on envoyait alors un bilan au conseil d'administration.
Et alors chaque année, on faisait le bilan classique que font toutes les entreprises.
Le Président : Bien. Alors,
le texte de votre réponse, donc du 23 mai 1994, est le suivant :
1. Merci pour votre "lettre-rapport"
et pour le carburant (que j'espère acquis au prix normal) qui me permet de "travailler". C’est
un des termes qui va nécessiter de votre part des explications.
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur
le président.
Le Président :
2. La situation militaire
est grave, faute surtout d'armes et munitions. Ces fournitures demeurent la
grande préoccupation du gouvernement.
5. Ne m'envoyez plus le bilan trimestriel ou le budget
ou bien ni le budget corrigé 94…
Alphonse HIGANIRO : C'est ni le
budget, ni le budget, Monsieur le président et…
Le Président : …Ni le budget 94. Je passerai à Butare pour les examiner dès que possible.
Je m'occupe pour le moment de la défense de la République surtout en relation
avec le Zaïre, notre seule voie de sortie actuelle », mais avec
un petit « est » donc c'est peut-être l'abréviation du mot…
Alphonse HIGANIRO :
Actuellement
Le Président :
Actuellement.
Alphonse HIGANIRO :
Exactement, Monsieur le président.
Le Président :
6. On a eu beaucoup de
pertes en personnel. Il faut donc (raison de plus) tourner en une seule équipe,
réformer le veilleur MBONYUMWABO est une nécessité urgente. le témoin 121,
on a mis dans l’acte d’accusation Joris, mais je crois que c’est les initiales
JMV.
Alphonse HIGANIRO :
JMV.
Le Président :
le témoin 121 JMV doit habiter
près de l’usine, sinon, le dispenser de travail pendant 15 jours. Si pas de
reprise possible du travail, suspendre son salaire. C’est dommage.
7. Il va de soi que tous les disparus, déserteurs
et autres qui ne travaillent pas : pas de salaire.
8. Le cas du magasinier est inquiétant. Le remplacer
temporairement par quelqu’un d’autre pour la meilleure gestion des stocks.
Alors ici, il y a une partie de texte qui n’est pas très lisible mais
qui pourrait être ceci : « Prends ou prendre les
grandes décisions en concertation avec les collaborateurs ».
Alphonse HIGANIRO : Oui, c’est
bien ça. Exactement.
Le Président : Entre parenthèses
et là, c’est totalement illisible :
Alphonse HIGANIRO :
C’est DAF, pour
Directeur Administratif et Financier, je pense et puis cadre
et autres.
Le Président :
Ah… cadres et autres, d’accord. « Bon
travail et à bientôt. Il y a votre signature. Post-scriptum : la boîte
d’allumettes coûte 15 francs à Gisenyi - avec une petite accolade - en détail quand elle
est importée ».
Alphonse HIGANIRO : C’est-à-dire
quand ce n’est pas la nôtre, quand elle vient de l’extérieur.
Le Président : Quand elle est importée. Alors moi, je lis ceci : « L’agent
commercial - c’est dans la partie dite illisible, hein ? - L’agent
commercial doit s’agiter pour vendre le maximum ».
Alphonse HIGANIRO : C’est bien
cela, Monsieur le président.
Le Président : Alors, première
question : le mot travail, entre guillemets, dans le tout premier point.
Votre explication est que vous avez reçu de l’essence venant de la SORWAL, transportée
notamment par un des camions qui est venu livrer les allumettes, j’imagine.
Un bidon de 200 litres, ou quelque chose comme ça ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, un fût
de 200 litres.
Le Président : Vous avez
expliqué que le travail que vous faisiez, et qui justifiait que vous utilisiez
cette essence, est qu’à partir du 14 mai, ayant dit à Monsieur le témoin 21, le délégué
commercial, qu’il ne devait plus venir prospecter la région de Gisenyi, vous
vous étiez chargé de cette prospection et que donc, c’est dans ce sens-là qu’il
fallait entendre le mot travailler entre guillemets, parce que c’était pas votre
travail normal de directeur général, vous faisiez le travail d’un autre, celui
du délégué commercial, et qu’il fallait donc, notamment sur le plan comptable,
imputer les frais de cette essence que vous aviez reçue, non pas sur le budget
pour l’utilisation de véhicule et de carburant par le directeur général, mais
sur le budget relatif à l’utilisation d’essence par le délégué commercial. C’est
bien ça votre explication ?
Alphonse HIGANIRO : C’est ça.
En ajoutant, Monsieur le président, que si vous regardez de près cette lettre,
que j’appelle lettre-réponse par opposition à la lettre-rapport envoyée par
le directeur technique…
Le Président : Oui.
Alphonse HIGANIRO : …je fais allusion
à beaucoup de situations. Et ces situations se trouvent évidemment dans la lettre
à laquelle je réponds. Donc il a existé d’abord cette lettre-rapport du témoin 21
qui m’a fait parvenir par le canal que j’ai expliqué tout à l’heure, et je réponds
à cette lettre. C’est-à-dire que, dans sa lettre, pour parler par exemple du
terme « travailler », dans sa lettre, lui-même a proposé l’imputation
de ce carburant. Il a proposé que ce soit imputé au travail de l’agent commercial.
Pourquoi cela ?
Parce que dans la structure du budget de la SORWAL, il y a évidemment
la ligne commerciale pour nous permettre notamment de calculer le coût de revient,
il faut bien que la ligne commerciale soit isolée, mais il y a aussi la ligne
directeur général, représentation, frais de représentation. Le carburant que
je consomme, normalement, il était imputé aux frais de représentation. Le carburant
que l'agent commercial utilise, il entre dans les frais de fabrication, il est
donc dans, du côté de la ligne du travail de l'agent commercial. Mais il m'envoie
le carburant et il dit alors à la comptabilité, d'imputer le carburant, il dit : « Je
propose qu'il soit imputé à la ligne commerciale » et je n'ai aucune objection,
c'est tout à fait logique et je lui dis, je lui réponds : « Je vous
remercie pour le carburant ». Vous voyez bien que la toute première phrase,
la toute première ligne de ma lettre, « Je vous remercie de votre lettre-rapport »,
donc, parce que je l’ai en main, je viens de la recevoir « Et du carburant
qui me permet de travailler » dans le sens où il le dit dans sa lettre-rapport,
c’est-à-dire ce mot travailler c’est un mot, si vous voulez, cité ou rapporté
de sa lettre…
Le Président : De son document
à lui, de sa lettre-rapport à lui.
Alphonse HIGANIRO : C’est ça.
Et je suis d'accord avec l'imputation.
Le Président : Et vous dites…
bon, est-ce qu’il n’aurait pas été plus simple de mettre : « D’accord
avec le mode d’imputation comptable » ?
Alphonse HIGANIRO : Ca aurait
été aussi simple, Monsieur le président, du dire comme ça, mais j’ai remercié
et j’ai ajouté à quoi le carburant va servir, exactement dans le sens de sa
proposition. Mais j’aurais aussi pu l’écrire comme vous le dites, Monsieur le
président.
Le Président : Et donc, vous
dites, c’est pas parce que vous avez mis, enfin, vous avez mis ce mot entre
guillemets parce que ça avait un rapport avec ce que, dans la lettre-rapport,
Monsieur le témoin 21 avait qualifié de travail du délégué commercial.
Alphonse HIGANIRO : Exactement.
En fait, il l’avait défini. Il l’avait défini ce mot-là en quoi il consiste.
Le Président : D’accord.
Alors le deuxième point…
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, s’il vous plaît.
Le Président : Oui.
Alphonse HIGANIRO : Ici, je dois
dire quand même que ça n’a pas été quelque chose à moi seulement. Mon travail,
le travail que j’ai fait suite à ce carburant, il est concret, il est visible.
Le Président : Oui, effectivement,
il y a eu notamment facturation pour à peu près, je crois, 8 millions…
Alphonse HIGANIRO : 8 millions,
et on n’avait jamais fait…
Le Président : …de francs
rwandais.
Alphonse HIGANIRO : Seulement
en 15 jours, Monsieur le président. N’oublions pas que cette lettre date du
23 et que je suis parti en Belgique le 4. Donc, c’est quelque chose comme 15
jours, plus les 15 jours précédents.
Le Président : Précédents.
Alphonse HIGANIRO : C’est maximum
30 jours.
Le Président : Dans le deuxième
point de votre lettre, on se demande pourquoi Monsieur le témoin 21 vous aurait parlé
de la situation militaire. Vous dites que c'est une réponse à une lettre-rapport,
rapport, je ne sais pas. Vous dites : « La situation
militaire est grave, faute surtout d'armes et de munitions. Ces fournitures
demeurent la grande préoccupation du gouvernement ». Je veux bien,
parce que je crois que, au moment où vous écrivez votre lettre notamment, l'embargo
sur les armes au Rwanda a déjà été voté par le Conseil de sécurité de l'ONU.
Alphonse HIGANIRO : Oui, il y
avait quelques jours, 5 ou 4-5 jours que l'embargo avait été voté aux Nations
Unies. Mais Monsieur le président, le directeur qui me remplace, il a envoyé
l'agent commercial chez moi mais sa mission n’était pas chez moi. Sa mission
n’est pas seulement chez moi, mais sa mission consistait aussi à vendre. Il
a pris une des camionnettes d'allumettes pour les vendre sur tout l'axe depuis
Butare, Gitarama jusque Gisenyi. Ça c'est une opération d'une société en difficultés
financières. Parce que normalement, nous ne faisons pas ça. Nous vendons en
gros. Mais le directeur technique s'est retrouvé devant les stocks fabriqués
en mars qui n'ont pas été vendus en avril parce qu'avril c'était fermé. Il se
retrouve aussi avec un peu de fabrication du mois de mai. Et il se retrouve
avec tout l’argent de la société qui s'est transformé en produits finis sans
pouvoir se transformer en argent. Et il n'avait donc pas d'argent pour payer
son personnel. Et d'ailleurs, on voit dans le dossier qu'il a payé le mois d'avril
en d'autant parce que la trésorerie ne lui permettait pas du faire. Alors,
il a raisonné, il a dit : « Bon voilà, je vais chercher de l'argent,
je vais essayer de vendre ces allumettes d'une manière inhabituelle mais je
vais les vendre quand même ». Alors, il a envoyé l'agent commercial vendre
ces allumettes-là.
Mais pourquoi il n'arrive pas à vendre ? Il n’arrivait pas à vendre
parce que l'activité économique était incompatible avec la guerre. Une bonne
partie du pays était en guerre, et il ne restait plus que ce petit axe, là-bas,
pour pouvoir vendre quelque chose. Et même ce que je suis parvenu à vendre du
côté de Gisenyi, ce n'était pas pour la consommation locale, c'est surtout parce
que Gisenyi se trouve à la frontière avec le Zaïre et les commerçants de Gisenyi
se débrouillaient pour le faire passer du côté de Goma.
Alors il dit, dans sa lettre toujours, qu’avec la guerre, il ne peut
pas continuer à produire sans pouvoir vendre parce qu'alors le système va s'arrêter.
Le système va s'arrêter parce qu'il n'aura pas de liquidités pour acheter les
matières premières. Et en fait, la situation devenait de plus en plus coinçante,
parce qu’on produit pour vendre. On produit pour vendre. Si on ne vend pas,
on ne produit pas. Il me fait cette difficulté-là. Moi, je lui réponds que le
problème, c'est la guerre. Mais la guerre, comment faire pour finir la guerre ?
Moi, n'étant pas du côté du FPR, pour moi, finir la guerre c’est
la gagner. Mais la gagner, c’est avoir du matériel pour la gagner. Or l'ONU
vient de voter l'embargo, et je lui fais part du fait que le problème de la
fin de la guerre, c’est qu’il n’y a pas de munitions. Et c'est là… tout le monde
savait. Ça se disait dans tout le pays et ça faisait peur. Tout le monde savait.
Vous verrez même que dans le dossier il y a les témoignages qui disent :
« On entendait qu’il y avait un camion qui passait avec des munitions »,
et ils disent : « Ah bon, ça va, c'est bon ». Et puis, plus rien.
Et puis les militaires eux-mêmes le disaient. Ils disaient que le problème,
c’est qu’ils n'ont plus de munitions pour pouvoir combattre le FPR. Et ce que
donc j'ai signalé à mon adjoint, c'est de dire : « Mais le problème,
il est là, c'est la guerre et la guerre, la finir, c’est les munitions, mais
il n’y a pas de munitions ». Donc, c'était un peu pour lui dire :
« Je n'en peux rien moi sur cette question. Effectivement, elle est grave,
elle est délicate ». Voilà ce que viennent faire les munitions dans cette
correspondance, Monsieur le président.
Le Président : Bien. Cela
n’a rien à voir la… avec le point 5, notamment où vous dites que vous vous occupez
« De la défense de la République, surtout
avec le Zaïre, notre seule voie de sortie, actuellement ». Est-ce que
c'est pas éventuellement à un point de passage possible pour des armes et des
munitions malgré l'embargo de ce côté-là, par exemple.
Alphonse HIGANIRO : Non, non,
non, ça n'a rien à voir.
Le Président : Alors, la
défense de la République, c’est quoi ?
Alphonse HIGANIRO : La défense
de la République c’est ceci que je vous ai dit au début, que quand je suis reparti
à Butare pour redémarrer l'usine, il s'agissait de répondre à un appel, un communiqué
radiodiffusé du gouvernement qui demandait à ce que les usines reprennent leur
travail. Donc, en reprenant le travail, d'abord nous avons fait des contributions
directes d'argent à l'armée, et je crois que dans le dossier aussi, on y trouve
toute une liste d'entreprises de Butare qui ont contribué directement à l'armée.
Et en plus, au niveau des industries du moins, il y a chaque mois une espèce
d'impôt qu'on appelle ICHA qui est payé à l'état et qui est une anticipation
sur l'impôt de fin d'année. Et l'ensemble, tout cela contribuait à l'économie
nationale, et c'est pour cela que le gouvernement avait appelé à ce que nous
reprenions les activités. Vendant des allumettes à Goma, je répondais au souhait
du gouvernement et c’est ça, c'est ça, ce que cette phrase devait dire. La voie
de sortie actuelle, c'est la voie de sortie des allumettes.
Le Président : Ah oui, d'accord.
Alphonse HIGANIRO : C'est la voie
de sortie des allumettes, parce que toutes ces allumettes qui ont été livrées
à Gisenyi, ont été vendues à Goma, ont été vendues au Zaïre.
Le Président : Alors, il
y a évidemment le troisième point « Pour la sécurité
dans Butare - j'insiste parce que c'est un mot sur lequel vous insistez
vous-même dans toutes vos auditions - pour la sécurité dans
Butare, il faut poursuivre et achever le "nettoyage" ».
Je crois que l'explication que vous aviez donnée, c'est que vous aviez reçu
de Monsieur le témoin 21, des informations à propos d'un incident qui était survenu
avec un des camions de la SORWAL, qui s'était embourbé dans l'enceinte de l'usine
suite à des boues qui avaient dévalé d'un champ qui venait d'être aménagé, je
crois, en vue d'y construire un poulailler etc.
Alphonse HIGANIRO : Oui, c'est
ça, tout à fait.
Le Président : Saison des pluies, la boue dévale, envahit un peu
le site de l'usine lui-même et un camion a des problèmes, il s'embourbe, on
grille ou on… le chauffeur grille ou manque de griller l'embrayage du camion ?
Alphonse HIGANIRO : C'est ça,
oui.
Le Président : Et vous expliquez
que le terme nettoyage qui est mis entre guillemets dans votre réponse à la
lettre-rapport de Monsieur le témoin 21 signifie qu’il faut, il faut, il faut faire
le nécessaire dans l'enceinte de l'usine, mais également sur les voies d'accès
de cette usine, de manière à ce que le camion ne connaisse pas des difficultés
à nouveau, et qu'on n’ait donc pas des frais d'entretien ou des frais de réparation
à propos de ce camion ou d'autres, d'autres véhicules de la SORWAL.
Alphonse HIGANIRO : C’est ça,
Monsieur le président.
Le Président : Est-ce que
je résume bien ainsi ce que vous avez expliqué ?
Alphonse HIGANIRO : Parfaitement,
Monsieur le président. Ce que j'ajouterais peut-être, c'est que pour être complet,
c’est que ce que Martin, ce que mon adjoint m’a écrit simplement, me dire que
du côté, ce camion d'abord, ce camion en question qui est chargé de l'approvisionnement
de l'usine, en bois. Et ce bois, on va le chercher à la crête Zaïre-Nil donc,
quelque part au-delà de la préfecture de Gikongoro et là à partir de Gikongoro,
c’est de la terre battue. Donc, c'est à travers la forêt. La circulation là-bas,
elle est très difficile. Chaque fois en saison des pluies, ça gêne la production
mais ce côté-là, il me l’a signalé aussi que comme d'habitude ça gênait la circulation.
Mais je lui ai dit que dans la préfecture de Gikongoro, nous n'en pouvons rien :
la route n'est pas asphaltée, la SORWAL ne peut pas le faire. Ca, je n'ai pas
vraiment insisté là-dessus.
Mais du côté de Butare, et c'est là où ça m’a un peu énervé, si je
puis m'exprimer ainsi, c’est que ce qui se passait dans la préfecture de Butare,
c'est à l'usine même et dans les environs. Il m'a simplement signalé que le
disque d’embrayage a fumé suite au fait que le camion a tourné sur place, dans
la boue qui venait du champ en labour, au-dessus. Et je lui dis… il a ajouté : « Je
suis en train de nettoyer les lieux ». Mais moi, j'ai estimé que, étant
donné que c'est le seul camion qu'on a, il est neuf, d'accord mais c'est le
seul camion qu'on a, c’est un outil indispensable pour que l'usine tourne. Si
ce camion, il brûle son disque d’embrayage, le temps de l'avoir, on aura arrêté
une semaine. Et je dis : « C'est pas sérieux ça, c'est pas sérieux,
que la première chose qu'il aurait dû faire, c'est vraiment de se débarrasser
de cette boue-là ». Alors, je lui donne un ordre : « Prière de
poursuivre », parce qu’il m’a dit que le nettoyage était en cours. Je lui
dis : « Prière de poursuivre et d’achever rapidement, pour éviter
qu'on ait encore une difficulté de ce genre ».
Mais en réalité, Monsieur le président, là où je dois être complet,
c’est ici que la situation qu'il me décrit, je ne la vis pas. Je ne la vis pas.
Il m’a écrit ces mots-là, j'ai lu la lettre étant à Gisenyi. Vous aurez remarqué
que dans l'instruction je n'étais pratiquement qu’interrogé, pendant les dix-huit
mois que j'ai passés en prison, que sur cette affaire de nettoyage avec milles
auditions là-dessus. J'ai fini par entrer dans, dans le jeu et expliquer la
faisabilité en fonction de ce que je connais des lieux. J’essayais d’expliquer
la faisabilité de cet incident en fonction de l'état dans lequel j'ai laissé
l'usine, en fonction de la configuration des lieux. Mais pour le reste, en ce
qui me concerne, je n'étais pas là. Je n'ai pas vu exactement comment les choses
se sont déroulées.
Mais ici, j'insisterais sur ce que le directeur technique m’a écrit
dans sa lettre et la réponse que je lui ai donnée. J’insiste sur le « dans »
parce qu’en fait, la phrase : « Prière pour la sécurité dans
Butare…»
Le Président : Dans la sécurité
de Butare.
Alphonse HIGANIRO : Et il s'agit
pour la sécurité du camion dans Butare. Ce n'est pas à la sécurité de la personne
ou des personnes de la préfecture de Butare. Ce n'est pas ça. C'est la sécurité
du camion dans la préfecture de Butare, étant entendu que dans la préfecture
de Gikongoro, on n'en peut rien. Mais dans Butare que ça se trouve à la portée
de ce que vous pouvez réaliser, Monsieur le directeur technique, mettez de l'ordre
dans la cour de déchargement du camion pour que de tels incidents ne se produisent
plus. Voilà ce que je voulais exprimer, Monsieur le président.
Le Président : C'est ça,
et donc, le terme « nettoyage » n'a pas, tout comme le terme « travailler »,
est ce qu’il est vrai qu'à l'époque le mot « travailler » en kinyarwanda,
pouvait avoir la signification de tuer, et est ce que le mot « nettoyer »
ou « nettoyage » en kinyarwanda, pouvait avoir la signification de
« massacrer », de « tuer » ?
Alphonse HIGANIRO : Les deux mots
sont rattachés au seul mot rwandais, je pense, qui est Gukora. Gukora c'est
un mot qui a plusieurs sens. Il en a plus de vingt, mais parmi les différents
sens de ce mot Gukora, se trouve aussi la traduction, ce qu'on traduit en français
par travailler. Donc en fait, le discours rwandais auquel on se réfère, il est
dit, il est prononcé en kinyarwanda et on utilise dans ce discours Gukora. On
le met en français, on dit « travailler » ça n’a rien… enfin, j'allais
dire ça n'a rien à voir mais c'est pour que ceux qui ne connaissent pas le kinyarwanda
puissent comprendre de quoi on parle. Sinon, le mot, s’il est codé, est codé
en kinyarwanda.
Et d'ailleurs, lors de mon premier interrogatoire, j'ai dit au juge
d'instruction qu'effectivement le mot Gukora peut être codé dans le sens de
« tuer ». Je l’ai reconnu dès le départ, mais évidemment ce mot-là,
on ne va pas en conclure que quiconque qui l’utilisera, même en temps de guerre,
il voudrait dire tuer. Il n’en est évidemment pas question. Ça dépend du contexte,
ça dépend de celui qui a parlé, ça dépend à qui il s'adresse, ça peut dépendre
de… Il est codé, il peut être codé dans ce sens-là, mais il garde son sens habituel
et son usage habituel, parallèlement. Codé, il est plus rare, rarement utilisé
mais dans son sens habituel, il peut être traduit par « travailler ».
Par « nettoyer » je pense que c'est un peu trop, très,
trop recherché. Dire que Gukora ça veut dire « nettoyer »… Je pense
que le nettoyage, lui, l’interprétation est peut-être rattachée au sens du mot
en français, est rattachée à des situations particulières telles que des actions
militaires ou des choses comme ça, mais en kinyarwanda, Gukora peut être codé
de cette façon.
Le Président : Bien. On souligne
donc que quand vous avez mis ces mots « travailler », malgré les guillemets,
ou « nettoyage » malgré les guillemets, ces mots avaient leur signification
réelle de travailler, faire du travail de délégué commercial, de nettoyer les
lieux de l'usine et les abords de l'usine.
Alphonse HIGANIRO : Ce n'est que
cela, Monsieur le président.
Le Président : Alors, dans
une partie de texte dont l'acte d'accusation et l'arrêt de renvoi dit qu’il
est illisible, c'est le cas du post-scriptum qui figure en bas de votre réponse.
« La boîte d'allumettes coûte 15 F à Gisenyi en détail
quand elle est importée. L'agent commercial doit s'agiter pour en vendre le
maximum ». Vous avez dit tout à l'heure, Monsieur le témoin 21, l'agent
commercial, ne devait plus travailler et pourtant ici, je vois : « L'agent
commercial doit s'agiter pour vendre le maximum ».
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, moi, je ne m'occupe que de la ville de Gisenyi mais l'agent commercial
doit vendre ailleurs. Et d'ailleurs il n'a pas vendu seulement à Gisenyi, si
on regarde les factures, l'ensemble des factures, il a continué à faire les
ventes ailleurs dans le pays, tout le côté, tout le pays à part Byumba et Kigali
et Kibungo. Tout le reste du pays, il pouvait vendre. Il a continué son travail.
Et vous voyez vous-même, en juin, quand il dit qu'il est venu à Gisenyi et tout,
il dit sa trajectoire, le lieu où il a vendu des allumettes et tout et tout.
Lui, il a continué son travail, la seule chose que je lui ai demandé de ne pas
faire…
[Interruption d’enregistrement]
Le Président : Bien. Venons-en
à une autre série de faits, où on vous reproche d'avoir, en votre qualité de
directeur de la SORWAL, eu des comportements qui ont peut-être favorisé les
massacres à Butare. Engagement notamment d'anciens militaires. Si j'ai bien
compris, vous avez engagé d’anciens militaires comme gardes, armés d'ailleurs,
qui ont été armés…
Alphonse HIGANIRO : Oui.
Le Président : Instruction militaire
donnée à des Interahamwe dans les locaux de la SORWAL.
Alphonse HIGANIRO : Jamais fait.
J'ignore ça.
Le Président : Utilisation éventuellement
de véhicules de la SORWAL pour transporter des militaires ou des Interahamwe.
Vous n'avez pas connaissance de ça ?
Alphonse HIGANIRO : Non. Non,
je suis même pas au courant.
Le Président : Je vous rappelle
que vous êtes parti… Alors, si même les policiers s’y mettent maintenant, quand
y a pas de GSM qui sonne… Je disais donc, vous avez quitté Butare, le 7 avril
94.
Alphonse HIGANIRO : Exactement,
Monsieur le président.
Le Président : L'usine a cessé
ses activités. Vous êtes revenu le 29 ou le 30, enfin, à la fin du mois d'avril.
Vous avez demandé à ce que les activités reprennent, comme cela avait été demandé
par le gouvernement. Vous être reparti vers Gisenyi, et vous n'êtes pas revenu
à Butare.
Alphonse HIGANIRO : Non.
Le Président : Donc, l'utilisation
effective des véhicules de la SORWAL quelque part, vous n’étiez pas là pour
en décider.
Alphonse HIGANIRO : Non, vraiment
pas, Monsieur le président.
Le Président : Alors, il n’est
pas exclu que ces véhicules aient pu être réquisitionnés ? Par l’armée
par exemple ?
Alphonse HIGANIRO : Ce n'est pas
exclu, et c'est même certain à lire le dossier. Parce qu'on évoque, dans le
dossier, des cas de réquisition et que je dois dire ici que je ne vois pas un
chef d'entreprise qui aurait résisté à cette réquisition. En temps de guerre,
la loi prévoit ça. Et la façon dont les réquisitions se font, du moins celles
auxquelles j'ai participé dans le passé, en 1990, je ne vois pas un chef d'entreprise
qui aurait dit : « Non, je refuse ».
Le Président : Alors, quand vous
dites, par exemple, dans votre réponse à la lettre-rapport : « Pour
la circulation, vous vous confiez aux autorités militaires et au Conseil de
sécurité de la préfecture en respectant leurs consignes », ça, c'est peut-être
le problème de circulation du personnel.
Alphonse HIGANIRO : Du personnel,
Monsieur le président, qui va et vient au travail parce que là, dans le dossier,
on voit que l'autorité militaire émet des autorisations de circulation. Et pour
circuler donc, il fallait en avoir. Alors, je leur ai dit : « Ecoutez,
il n'y a rien à faire, vous devez respecter ce que le Conseil de sécurité prévoit
comme autorisations de circulation ». Et ils l’ont fait. Effectivement,
on voit dans le dossier que le commandant de place leur a fait des autorisations
de circuler, en blanc, ils mettaient leur nom et ils faisaient signer chez l'autorité
militaire et ils pouvaient alors aller travailler. Ça ne devrait pas être tellement
un problème dans la mesure où c'est le gouvernement qui a demandé la reprise
des activités. Il devait donc faciliter aussi les déplacements des agents. Mais
il fallait cette autorisation. Et c’est général, ce n'est pas la SORWAL seulement.
C’est général, toute la circulation était réglementée comme ça, sur toute l'étendue
du territoire. Ce n'était même pas seulement à Butare. Partout.
Le Président : Donc, pas connaissance
d'entraînements de type militaire ?
Alphonse HIGANIRO : Non, non,
Monsieur le président. J'ai vraiment pas connaissance de cela.
Le Président : Je crois que c'est
Monsieur le témoin 40 qui a parlé d'un entraînement qui se passait sur le terrain
de basket-ball de la SORWAL ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, il disait
au mois de mai, et au mois de mai, je n'étais plus là.
Le Président : Entraînement d'ailleurs
qui aurait peut-être bien été l’élément qui avait fait dire au préfet de Butare…on
lui aurait signalé lors d'une réunion qu'on avait vu des entraînements militaires
à la SORWAL, peut-être faits à des Interahamwe. Il aurait répondu, lors
d'une réunion, je crois, du 14 mai, qu’il avait fait une vérification, et qu'il
n’en n’était rien. Je crois que Monsieur le témoin 40 dit : « Oui, bon,
ben effectivement, il y a eu un entraînement mais c'était des membres du personnel
de la SORWAL, et pas d’Interahamwe ». Et puis le préfet a vérifié et tout
est rentré dans l'ordre.
Alphonse HIGANIRO : Cela se disait
en avril, Monsieur le président.
Le Président : Oui, qu’est-ce
que je dis ? J’ai dit, mai. Non, pardon, en avril, oui, oui… le 14 avril.
Alphonse HIGANIRO : C'est ça,
quelque chose comme ça
Le Président : Donc, après votre
départ de toute façon.
Alphonse HIGANIRO : Oui, tout
à fait.
Le Président : Donc, rien à voir
avec ces entraînements, vous n'êtes plus là.
Alphonse HIGANIRO : Non, c'est
bien ça.
Le Président : On vous reproche
d'avoir engagé du personnel qui aurait été Interahamwe. Certains disent :
« 52 personnes ».
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, au sujet des 52 personnes, j'ai lu le témoignage de la personne en
question. J'ai regardé les personnes qu’il a pointées sur la liste des agents
de la SORWAL. J'ai constaté que ces personnes appartiennent à des partis politiques
différents : MRND, MDR, PL, PSD… ce qu'ils ont de commun, ces personnes,
toutes ces personnes-là, c'est qu’au moment où il a témoigné, où il a coché
ces noms-là, toutes ces personnes se trouvaient réfugiées au Zaïre. Toutes.
Sans exception. Il y a même un Tutsi là-dedans qu'il a coché parce que, lui
aussi, il était réfugié au Zaïre. Le seul critère de commun.
Je le dis pourquoi, Monsieur le président ? Parce que les Interahamwe,
au départ, comme les témoins et experts l'ont dit, au départ, c'était simplement
un membre de la jeunesse du MRND. Ça, c'est avant les événements. Donc, je m'attendais
à ce que, quand il dit que j'ai engagé, à l'usine des Interahamwe, que quand
il va cocher, il va cocher seulement les membres du MRND. Ce qui n'est pas le
cas.
La deuxième définition que ce mot-là a prise, c'est pendant les événements.
Pendant les événements, tout le monde, tous les partis politiques confondus,
ce qu'on voulait dire qu'il a participé ou qu’il participait au massacre, on
l’appelait Interahamwe. Donc, ça n'avait plus rien à voir alors avec le parti
MRND. C’est tous les partis. Et je me suis dit : « C'est peut-être
dans ce sens-là que le témoin veut utiliser est Interahamwe quand il parle de
52 personnes ? ». Mais je me rends compte quand même, que pendant
les événements, pour pouvoir attester qu'il a été témoin que ces 52 personnes
ont tué, c’est quand même difficile. Je me demande où il pouvait bien être pour
savoir, avoir pu suivre le mouvement de ces 52 personnes afin de pouvoir les
qualifier d’Interahamwe, dans le sens de les avoir vus participant au massacre.
Ce n'est pas ça.
Alors, la troisième définition qu’a évoquée le professeur REYNTJENS,
c’est que tous ceux qui sont pas en accord, d'accord avec la politique du
FPR, Hutu, Tutsi, étranger ou Rwandais, on l’appelle actuellement Interahamwe.
Mais alors, je me suis dit : « C'est peut-être cette définition-là
qu'il a prise », parce que ce monde là-bas avait fui devant le FPR, donc,
c'est qu'il ne se retrouvait pas dans le FPR. Et ils étaient tous à l'extérieur.
C'est le seul point commun qu'ils ont, et c'est vraiment la seule définition
que je trouve étant possible. Mais cela, Monsieur le président, engager quelqu'un
comme NKUYUBWATSI, par exemple, dans les années…début 93 et deviner ce qu'il
va être et comment il va se comporter en 94, Monsieur le président, c'est difficile.
J'ai engagé des gens dans le cadre du règlement de la SORWAL. Le
règlement de la SORWAL dit : « Les cadres et les cadres moyens sont
engagés par le conseil d'administration. Les cadres subalternes sont engagés
par la Commission interne de la SORWAL », et moi j'engage, en tant que
directeur général, seulement les manœuvres. Mais pour ces manœuvres, je prends
les manœuvres locaux. Ces manœuvres locaux, je ne les connais pas. Je ne connais
pas leur moralité. Ca me résolvait le problème de connaître leur moralité, qu'il
y a une autorité, une personne honorable dans la ville qui me la propose. Ainsi,
les chefs de partis politiques me proposaient les manœuvres à engager. Le préfet,
il a fait la même chose, il a proposé beaucoup de Tutsi d'ailleurs. On trouve
même dans le dossier, une lettre de Monsieur RUMIYA Jean. Tout le monde sait
à Butare que RUMIYA Jean, c’était un Tutsi bien connu. On trouve une lettre
à lui qu’il m’adresse pour engager une dizaine de personnes. On vérifie, et
on trouve que parmi ces personnes, il y en a qui figurent sur la liste du personnel
de la SORWAL.
Donc, je les ai engagés. Ce sont des Tutsi, très probablement. Et,
ce qui m’arrangeait moi, c’est qu’en engageant les gens de cette façon, j’étais
sûr que s’ils me faisaient des problèmes, surtout le problème que j’avais, c’étaient
les vols, j’allais voir la personne qui me l’a donné, lui dire : « Ecoutez,
est-ce que vous ne pouvez pas…? ». Il pouvait donc m’aider à le garder plus
longtemps au travail.
Alors, donc, ces gens-là que j’ai engagés avant 94, avant le 6 avril
1994, ce sont, je les ai engagés tout normalement, de tous les partis politiques.
Je pouvais vraiment pas penser que NKUYUBWATSI a été ce qu’on nous dit
qu’il va être maintenant. Et je ne vois pas sur quelle base j’aurais refusé
tel ou tel, à ce moment-là au moment où je l’engageais. Je ne peux pas dire :
« Je vous refuse de vous donner du travail parce que vous êtes adhérent
au parti MDR ». C’est pas juste et c’est même pas légal. Donc, le fait
d’appartenir à un parti politique…
Le Président : Mais à Butare d’ailleurs,
si vous n’aviez dû engager que des gens du MRND, vous n’auriez pas eu grand
monde, hein ?
Alphonse HIGANIRO : Vraiment pas,
Monsieur le président.
Le Président : Vous n’auriez pas
pu compléter tous vos… votre personnel ?
Alphonse HIGANIRO : J’aurais en
tout cas eu du mal à le trouver. Même quand on dit que j’ai introduit, j’ai
introduit les Interahamwe à Butare. Introduire, c’est prendre quelqu’un de l’extérieur
et l’emmener là. Mais est-ce qu’on peut citer, ne fut-ce qu’un seul nom de quelqu’un
que j’aurais engagé à la SORWAL et qui n’était pas résident à Butare ?
Moi, à ma connaissance, aucun de ces manœuvres. Aucun. Et même les cadres, qui
eux pouvaient venir de l’extérieur de Butare. Aucun membre du MRND parmi les
4 que j’ai engagés. Aucun n’est membre du MRND. Aucun. Ils sont tous des partis
de l’opposition. Je ne vois pas bien, je pense comme certains témoins l'ont
dit la fois passée, c’est de la rumeur qu'on transforme en réalité. C'est de
la rumeur, Monsieur le président. Il n'y a pas d'éléments pour appuyer cette
accusation.
Mais je ne nie pas que j'ai engagé quelques manœuvres, quelques gens
du MRND, tout comme j'ai engagé ceux du MDR, du PSD, du PL. Mais tout normalement,
comme les autres, comme les expatriés ont engagé dans leurs entreprises. Est-ce
que les expatriés qui ont engagé, est-ce qu’ils avaient l'intention, est-ce
qu'ils avaient en tête que ces gens-là un jour, ils les préparaient pour être
tués en 94 ? Je ne pense pas.
Le Président : Dans les personnes
que vous avez engagées, il y a notamment Monsieur Innocent NKUYUBWATSI, dont
on a déjà entendu parler lorsque nous avons traité le cas de Monsieur NTEZIMANA
et qui fait quelque part un peu le lien entre Monsieur NTEZIMANA, le capitaine
NIZEYIMANA et vous.
Monsieur NKUYUBWATSI est celui qui vient d'être arrêté là, peu de
temps avant l'ouverture de la session d'assises, qui reconnaît avoir participé
à des meurtres, qui accuse Monsieur NTEZIMANA des pires maux de la terre, et
de l'avoir commandité pour commettre des meurtres avec le capitaine NIZEYIMANA.
Ce Monsieur NKUYUBWATSI Innocent, c'est quelqu'un que vous avez engagé
à la SORWAL, semble-t-il, sur recommandation du capitaine NIZEYIMANA. Vous avez
expliqué, notamment, que c’était une personne qui, normalement, pouvait bénéficier
d'une priorité pour un emploi dans la mesure où il faisait partie de, de quoi ?
Des réfugiés de guerre ou…
Alphonse HIGANIRO : Des déplacés
de guerre, Monsieur le président.
Le Président : Ce Monsieur NKUYUBWATSI
a, dans sa déclaration faite au procureur de la République à Butare, reconnu
sa participation à des actes de meurtre ou d'assassinat, à des pillages ou des
choses de ce genre. Ce Monsieur NKUYUBWATSI, vous l’avez engagé, je dirais qu'il
a eu, dans la SORWAL, des promotions. Vous pouvez expliquer un petit peu ce
qui s'est passé à ce point de vue-là ?
Alphonse HIGANIRO : Oui. En fait,
il a eu des promotions, mais c'est la trajectoire normale. Il n'a pas eu de
faveur ou un traitement spécial. C'est la trajectoire normale.
Quand il est entré à la SORWAL, il était manœuvre. C’est-à-dire qu'il
fermait les boîtes d’allumettes. Il était manœuvre. Mais j'ai constaté que le
garçon était beaucoup plus instruit que les autres manœuvres. Monsieur le président,
vous avez vu sur la cassette, son français, il parle un français convenable.
Et j'ai dit : « Bon comme manœuvre, il y a moyen d'en tirer profit
à un autre poste beaucoup plus exigeant ». Il passe alors aux machines,
non pas comme conducteur de machine, mais comme aide conducteur de machine.
Il est resté là, à ce poste-là, tout en soulignant que tous les conducteurs
de machine, à la SORWAL, passent par le stade de manœuvre, sauf l’un ou l'autre
qui sont venus de l'extérieur, par exemple pour l'imprimerie alors qu'il a déjà
travaillé à l'imprimerie. À ce moment-là, on tient compte de son expérience
et on le met à un niveau où il sera rentable. Sinon, tous les autres, ils commencent
par être des manœuvres, et puis des aides conducteur, et puis des conducteurs
de machine. Alors, il a suivi cette trajectoire aussi jusqu'à ce que le conseil
d'administration décide, sur ma proposition, de créer un deuxième poste de contrôleur
de qualité.
Ce deuxième poste a été rendu nécessaire. Pourquoi ? Parce que l'usine
tournait en deux équipes : une équipe de jour et une équipe de nuit. Avec
un seul conducteur de qualité, s’il avait travaillé le jour, l'équipe de nuit
se retrouvait sans conducteur. Elle était sans, sans, sans…
Le Président : Contrôleur.
Alphonse HIGANIRO : Contrôleur
de qualité. Il fallait donc, et c'était vraiment logique, qu'on engage un deuxième
contrôle de qualité pour pouvoir servir les besoins de ces deux équipes. Je
l’ai préparé pour être conducteur, contrôleur de qualité. Il est resté six mois
en formation auprès du chimiste, Monsieur le témoin 121 qui lui, était le chef des
contrôleurs de qualité. Après sa formation, six mois plus tard, je l’ai nommé
contrôleur de qualité, le poste étant là, étant créé par le conseil d'administration.
Ayant les aptitudes, ayant la formation, cela me semblait tout à fait normal.
Il y a évidemment le fait qu'il a été caissier. Mais caissier, quand
je suis retourné à Butare, quand je suis retourné à Butare pour redémarrer l'usine,
j'ai été informé que la caissière qui était Tutsi, mais mariée à un Zaïrois,
avait heureusement réussi à s'en tirer, dans la mesure où elle avait, avec son
mari, pris la trajectoire vers le Zaïre. Elle était vivante mais elle n'était
plus à Butare. Il me fallait donc un caissier.
Un caissier, on ne le cherche pas dans le service comptable. On ne
cherche pas dans le service administratif. Parce que ce service comptable et
ce service administratif sont des services absolument contradictoires. Un comptable
n'a pas à toucher à l'argent. Il doit manipuler les pièces. Ça doit être autonome.
Il fallait donc aller le chercher du côté de la direction technique. Mais là,
à la direction technique, c'est toujours du côté contrôle de qualité qu'on va
chercher les solutions. Pourquoi, Monsieur le président ? Parce que le
contrôle de qualité, c'est pas quelqu'un qui a un travail, ponctuellement parlant,
permanent. Il doit attendre, quand certains paquets d'allumettes soient fabriqués,
par exemple, pour pouvoir avoir un échantillon représentatif et contrôler la
qualité de cet échantillon. Donc, il peut contrôler le matin, contrôler l’après-midi
et c'est bon. Mais entre-temps, il faut l'utiliser à autre chose. Normalement
il trouve un poste de remplacement sur une machine ou quelque chose comme ça.
Donc, même pour le chef de personnel dont le poste n'était pas pourvu,
pour pouvoir faire fonctionner ce poste, j'étais allé chercher le chef de contrôle
de qualité le témoin 121, c'était lui qui était le chef du personnel
intérimaire. Donc, je suis allé aussi chercher NKUYUBWATSI pour être caissier
intérimaire. Parce qu’il n'est pas, on peut, on peut s'en passer pendant un
certain temps qu'il fait la caisse et sans mettre en péril son travail de contrôleur
de qualité.
C'est ainsi qu'il est devenu caissier pendant cette période difficile.
J’ai… tout naturellement, j'ai pensé à faire comme ça pour les contraintes que
je viens de vous expliquer. Je n'ai jamais eu à l'esprit de lui donner une situation
particulière, spéciale par rapport au reste du personnel. La seule chose que
je dois reconnaître, Monsieur le président, c’est que je l'ai engagé à titre
prioritaire, en considérant simplement qu'il est déplacé de guerre. C'est tout.
Pour le reste, il a vécu comme…
Le Président : C'est quelqu'un
qui avait eu une formation militaire ?
Alphonse HIGANIRO : Je savais
qu'il avait eu une formation militaire, Monsieur le président. Parce que NIZEYIMANA
m’avait dit dans quelles circonstances il s'était retrouvé, ce garçon s'était
retrouvé résident à Butare.
Le Président : C'est bien donc
à la fin du mois d'avril 94 qu'il devient caissier ?
Alphonse HIGANIRO : Il devient
caissier exactement le jour où je suis allé redémarrer l'usine. Donc, le 29
avril. Le 28 ou le 29.
Le Président : Donc à ce moment-là,
les massacres ont commencé à Butare ?
Alphonse HIGANIRO : À ce moment-là,
les massacres avaient déjà commencé le 19.
Le Président : Bon. D'après certains
témoignages, dont celui de Monsieur le témoin 40 et peut-être même bien celui de Monsieur
le témoin 21, ils décrivent NKUYUBWATSI comme quelqu'un qui faisait partie des Interahamwe,
avec deux ou trois autres dont ils citent les noms. Ils n'en citent pas 52,
eux, ils en citent quelques-uns. Ils disent que NKUYUBWATSI se vantait lorsqu'il
revenait au travail, d'avoir participé à des meurtres ou à des pillages. Est-ce
que le 29 avril quand vous dites : « Ben, voilà Monsieur NKUYUBWATSI,
c'est la solution, puisque lui, il est contrôleur de qualité et qu'il n'a pas
un travail permanent, il nous manque une caissière, eh bien, que lui s'occupe
de la caisse ». Est-ce qu’on ne vous a pas dit : « Oui, mais
attention, Monsieur NKUYUBWATSI, quand il revient ici au travail, il dit qu'il
a tué quelqu'un ou qu'il avait été piller une maison… » ?
Alphonse HIGANIRO : Non, ils ne
pouvaient pas me le dire, Monsieur le président, parce qu’eux-mêmes ne le savaient
pas encore. C’est quand l'usine a démarré, qu'il est venu à l'usine travailler,
qu'il a pu être en contact avec les autres agents.
Le Président : Donc, avant ça,
c'est vrai qu'il était comme tout le monde je dirais, en chômage technique ou…
Alphonse HIGANIRO : Tout à fait
et on ne pouvait… D'ailleurs, moi-même, quand j'ai quitté Butare, à part mon
secrétaire qu'on m'a dit qu'il a été tué, et la caissière que j'ai cherchée,
qu'on m’a dit qu’elle était partie, on ne pouvait pas savoir qui était encore
vivant et qui a été tué. Parce qu’ils étaient tous sur leur colline. C'est quand
l'usine a ouvert, que les gens sont venus, que le directeur technique s'est
rendu compte qu'il y en a qui ne viennent pas, et c’est ainsi qu’il a fait,
plutôt il a mis ça dans son rapport que j'ai reçu le 23 mai auquel je répondais.
C'est là que je lui dis, je lui réponds : « Vous avez eu beaucoup
de pertes en vies humaines ». Parce que dans sa lettre-rapport, il me l'avait
fait savoir, qu'il a eu des pertes dans le personnel. Sinon le 29, situation
inconnue.
Le Président : Bon. Quand il vous
envoie sa lettre-rapport à laquelle vous répondez le 23 mai, Monsieur le témoin 21
ne fait pas état, à ce moment-là, NKUYUBWATSI, il a repris le travail comme
caissier ? Le 23 mai ?
Alphonse HIGANIRO : Il a, il a
toujours…
Le Président : Il a dû reprendre
le travail le 2, le 3, le 4 mai, enfin au début du mois de mai, comme les autres ?
Alphonse HIGANIRO : Non. La lettre,
Monsieur le président, date du 23 mai.
Le Président : Oui, la lettre
date du 23 mai. Alors, Monsieur le témoin 21 apparemment, vous fait état de la situation
de diverses personnes. Je ne sais plus…
Alphonse HIGANIRO : Oui, le magasinier,
le veilleur…
Le Président : Oui, le magasinier,
c’est ça et il faut changer, il y a celui-là qui a des problèmes, il doit venir
près de, pour ne pas avoir de problème, il doit revenir plus près de l'usine
ou des choses comme ça. Dans sa lettre-rapport, il ne vous dit pas : « Monsieur
NKUYUBWATSI, vous savez, notre nouveau caissier, il pille des maisons et il
assassine des gens ».
Alphonse HIGANIRO : Je lui aurais
dit du renvoyer toute suite.
Le Président : Il ne vous en a
pas parlé, apparemment ?
Alphonse HIGANIRO : Il ne m'en
a pas parlé dans sa correspondance. Je lui aurais dit du suspendre en tout
cas, si l'on m’en avait parlé.
Le Président : Bien. Un troisième
volet des faits qui vous sont reprochés, sont des faits commis à Gisenyi. C'est
l'assassinat du docteur ou de l'assistant médical, Benoît le témoin 123 et d'une
partie de sa famille. Ces faits se passent le 8 avril 1994.
Alphonse HIGANIRO : C’est ça,
Monsieur le président.
Le Président : Si j'ai bien
compris vos explications du début de la matinée, le 8 avril 1994, vous n'êtes
pas encore à Gisenyi.
Alphonse HIGANIRO : Non, Monsieur
le président.
Le Président : Vous êtes toujours,
à ce moment-là, à Kigali ?
Alphonse HIGANIRO : C'est ça.
Le Président : Ce n'est que le
12 avril que vous arriverez à Gisenyi.
Alphonse HIGANIRO : C'est ça.
Le Président : Alors, on explique
dans l'acte d'accusation, d'une part que vous avez une maison au bord du lac
Kivu, qui était une construction qui a pu être faite sur une partie du terrain
qui appartenait à une abbaye.
Alphonse HIGANIRO : A la commune.
Le Président : Par piston politique,
vous auriez obtenu la concession de ce terrain pour construire une habitation.
À côté de cette habitation, dépendant quelque part de ce monastère ou de cette
abbaye, il y a l'habitation de Monsieur le témoin 123 Benoît, l'assistant médical.
Cette habitation serait un petit peu gênante, dans la mesure où ça vous priverait
d’un accès direct vers le lac Kivu. Vous auriez donc, je dirais, un grief d'ordre
personnel pour faire disparaître cette habitation et ses habitants. Vous auriez…
vous auriez, selon un témoin, avant, avant les faits d'avril 1994 - si j'ai
bien compris ce témoignage - proféré des menaces contre Benoît le témoin 123 en
disant à ce témoin : « Ce Tutsi d'à côté, qu'est-ce que vous en faite ?
Pourquoi ne le tuez-vous pas, ce petit Tutsi de médecin ? ».
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, le regretté le témoin 123 et sa famille n'étaient pas propriétaires de
la maison qu'ils habitaient.
Le Président : Non, c’était…
Alphonse HIGANIRO : C'était la
maison de la commune. Et quand j'ai construit là-bas, ce n'était pas lui qui
habitait là-bas. C'est un autre assistant médical. Je le dis pourquoi ?
Parce que quand il est parti, ce premier, le second est arrivé. Il a habité
la même maison. Si j'avais tué Monsieur le témoin 123 pour avoir la maison, je ne
sais pas comment j'aurais fait, dès lors que la maison n'appartient pas à Monsieur
le témoin 123. Il aurait été remplacé par un autre assistant médical. Parce qu'à
côté, il y a le dispensaire et qu’il faut un assistant médical. Il aurait occupé
cette maison parce que c'est une maison du dispensaire. Je ne vois pas en quoi
tuer un habitant, un locataire de cette maison, aurait arrangé mon problème.
Ensuite, quel problème ? L'acte d'accusation dit : « Pour
avoir accès au lac ». Monsieur le président, vous verrez la cassette, ma
maison est construite dans le lac. Il n’y a aucun enclavement vis-à-vis du lac.
Je quitte ma parcelle, je descends et j'arrive dans l'eau. Et vous verrez la
configuration des lieux, cette maison ne peut rien changer quant aux possibilités
ou pas possibilités d'avoir accès au lac. Je ne sais, je ne sais pas comment
qualifier ça. Je ne comprends pas, je ne comprends pas le raisonnement.
Quant à Monsieur… au témoin à qui j’aurais dit, avant les événements
en plus : « Pourquoi vous ne tuez par ce voisin ? ». Ce
Monsieur, on me dit qu'il travaille à la BRALIRWA, c'est comme ça qu'on le présente
dans le dossier, qu’il habite sur la colline, au-dessus de ma maison, et ça
se limite là. Je dois vous dire d'abord, Monsieur le président, qu’à ma connaissance,
cette personne, je ne la connais pas. Je ne sais pas si je l'ai rencontrée comme
ça et puis on s'est mis à parler du voisin et puis je me suis mis à lui dire
qu'il faut le tuer. Ca me semble un peu cavalier dans nos pratiques rwandaises,
et je pense même ailleurs.
Est-ce qu'on peut introduire une conversation avec une personne qu'on
ne connaît pas et dire : « Pourquoi vous ne tuez pas le voisin ? ».
Je ne sais pas, je ne sais pas le rang qu’il a à la BRALIRWA. Mais j'apprends
dans le dossier qu'il a été dernièrement renvoyé. Je ne sais pas, je dis dans
quelles circonstances ? Autour d'un verre, où ça ? Dans un… je ne vois
pas dans quelles circonstances j'aurais rencontré la personne, et dans quelles
circonstances j’aurais prononcé ces mots-là.
Le cas du témoin 123. Il est intervenu dans mon dossier répressif,
tout à fait à la fin. C'est lors de la 3ème commission rogatoire
en octobre, et ça a été la dernière, en septembre, octobre que ce dossier a
été introduit. J'allais dire « inventé » parce que c'est le mot, mais
c'est pas à moi de juger. À part donc le fils du témoin 123 qui m'accuse de cela,
et encore lui aussi, en citant, en citant mes domestiques, il ne dit pas qu'il
sait ça comme ça, il dit : « Mes domestiques lui auraient dit… » ;
j'avais souhaité que mes domestiques puissent venir ici pour être entendus,
l'Etat rwandais n'a pas voulu qu'ils se déplacent, c'est comme ça que je le
pense parce qu’ils n'avaient jamais été inquiétés pendant 7 ans. Ils étaient
en liberté, ils n'ont jamais été inquiétés. Au moment où je dis « Témoin
à décharge », c'est à ce moment-là que celui qui m'accuse dit : « Je
les accuse aussi ». Ils ne peuvent donc pas bouger. Il n'y a pas, dans
cette affaire, un seul témoignage direct. Il n’y en a pas. Et tout ce qu'on
évoque comme élément justificatif de leurs accusations ne tient, ne peut pas
tenir la route.
Ou bien on me dit : « J'ai dit ça, alors que j'étais pas
là », on dit : « J'ai vu les cadavres », et puis j’ai dit :
« Est-ce que c'est comme ça que vous tuez ? ». Mais, le dossier
indique très bien que ces personnes, mortes le 8, ont été enterrées le 9. J'ai
vu les cadavres comment ? Ou on dit : « J'ai dit, il faut exhumer les personnes
enterrées pour pouvoir voir s'il n'y a pas de rescapés ». Monsieur le président,
est-ce que cela est logique ? Si on vous dit : « Ces personnes-là
ont été tuées et enterrées », vous vous intéressez aux rescapés, mais vous
vous demandez où sont les rescapés et vous ne demandez pas qu'on ouvre les tombes
parce que ceux qui seront là-dedans sont morts, ils sont morts et vous voulez
les tuer pour la deuxième fois ? C'est pas possible, c'est pas un comportement
normal. J'aurais demandé : « Où sont les rescapés », mais je
n'aurais pas demandé qu'on exhume les personnes enterrées.
Et même les personnes rescapées, on dit que je suis allé chez les
sœurs voisines pour m'enquérir de leur présence là-bas. La personne à qui j'ai
parlé, qui est sœur le témoin 52, quand on l'a interrogée, elle a dit : « Les
enfants étaient tellement fatigués qu'on n'a jamais parlé de la mort de leurs
parents ». Elle a dit, bien que je ne lui ai pas posé cette question, mais
que je lui ai bien posé la question en ce qui concerne ses collègues, les sœurs,
les autres sœurs, parce que, chaque fois que je venais à Kigufi, je passais
par les sœurs pour leur dire bonjour. Et j'ai rencontré une sœur, je lui ai
demandé : « Où sont les autres collègues pour que je leur dise bonjour ».
Elle m’a dit, vrai ou pas vrai, mais elle m'a dit qu'elles n'étaient pas là.
Et je n'étais pas seul d'ailleurs, le jour où je suis passé chez lui. D'autres
gens avec qui j’étais, peuvent le confirmer.
Donc, dans ce dossier, non vraiment je ne vois pas. Je ne sais pas
trop bien comment il est venu, mais je pense qu'il est venu d'une façon, je
pense qu'il fallait trouver quelque chose qu'on me mette sur la tête parce que
le père le témoin 18 qui m'accuse aussi que je suis commanditaire, il dit :
« Interrogez les voisins de HIGANIRO, ils vous le confirmeront ».
Les voisins de HIGANIRO, c’est les sœurs. Les sœurs ont été interrogées, toutes.
Aucune, aucune alors ne m'associe à la mort du témoin 123. Voilà, Monsieur le
président, ce que j'avais à dire là-dessus.
Le Président : Avant peut-être
de suspendre pour l'heure de midi, on interrompra jusqu'à 13h30, on n’interrompra
qu'une heure, on reprendra à 13h30 et à partir de 13h30, le jury, les assesseurs
et les parties pourront poser éventuellement des questions à Monsieur HIGANIRO.
Deux petits points encore qui n'ont rien de bien particulier à voir avec votre
comportement à vous, directement en tout cas. Il semble bien que votre habitation
à Butare a été mise sous la surveillance ou la protection de militaires ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : Vous aviez fait
la demande au commandant de place qui est le colonel…
Alphonse HIGANIRO : le témoin 27.
Le Président : Le même qui vous
a donné l'escorte.
Alphonse HIGANIRO : C'est ça,
oui.
Le Président : Il y avait combien
de militaires qui surveillaient votre maison ?
Alphonse HIGANIRO : Ils venaient
le soir. C’étaient des étudiants de l'école de sous-officiers. Ils venaient
à trois ou à quatre, suivant les disponibilités des uns et des autres. Et pendant
le jour, j'avais un garde en civil…
Le Président : Qui appartenait
aussi à l'armée ?
Alphonse HIGANIRO : Qui appartenait
aussi à l'armée. Il n'était pas à l'école, lui. C'était un administratif de
l'école. Il est resté avec moi en permanence, même en voiture.
Le Président : Donc, vous aviez,
vous aviez un peu peur pour votre vie et la vie de votre famille ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, cela
est arrivé suite à des massacres qui ont eu lieu avec le président, avec une
figure politique de Butare, Monsieur GATABAZI qui a été assassiné, je ne sais
pas dans quelles circonstances. Ensuite les…ceux qui soutenaient GATABAZI ont
alors assassiné le président du parti CDR et ça a tourné, tourné, tourné et
j'étais personnellement visé aussi. Je pense que c'est le préfet, je ne suis
pas très sûr, mais c'est le préfet le témoin 32
qui aurait demandé au colonel le témoin 27 d'assurer ma protection rapprochée pendant
cette période difficile.
Le Président : Alors, deuxième
encore… deuxième volet à propos de cette protection. Concernant votre maison
de Gisenyi, il y avait aussi une protection militaire ?
Alphonse HIGANIRO : Contrairement
à ce qui est dit dans l'acte d'accusation, Monsieur le président, il n'y a jamais
eu d'affectation de militaires à ma maison de Gisenyi. Mais je dois signaler
deux choses.
Quand je suis arrivé là-bas le 12, la gendarmerie, le chef de la
gendarmerie avait affecté une patrouille aux sœurs parce que les sœurs s’étaient
fait attaquer le 8 parce que c'est chez les sœurs qu'on a tué Benoît, et il
avait donc affecté des gendarmes pour prévenir une éventuelle deuxième attaque.
Ces gendarmes faisaient la patrouille entre les maisons des sœurs et les maisons
de Monseigneur BIGIRUMWAMI. Donc, c’est dans le même quartier. Je les voyais
passer dans la rue.
La deuxième chose, c’est que quand moi, je suis arrivé là-bas, j'étais
avec mon garde du corps que j'avais habituellement à Butare, il m'avait accompagné.
Donc, avant que je n’arrive à Kigufi, il n'y a jamais eu d'affectation de militaires
à ma résidence. Jamais. Ni de militaires ordinaires, ni les militaires de la
garde présidentielle. Jamais. J'avais deux veilleurs de jour, c'est ceux-là
que je souhaitais qu'ils soient entendus. Et j’avais deux veilleurs de nuit.
Les uns travaillaient le jour, vers 6h00 ils rentraient, ceux de nuit venaient
les relayer. Et c’est tout. Et ces gens ont été payés par mes soins. C’étaient
des civils.
Le Président : Bien. Les gardes
armés à la SORWAL ? Il y en avait combien ? Anciens militaires, je
crois ?
Alphonse HIGANIRO : Les gardes
armés à la SORWAL, il y en avait, je pense qu'il y en avait trois ou quatre,
Monsieur le président. Ces postes-ci, Monsieur le président, ces postes, la
SORWAL héberge des produits explosifs. Parce que ce sont des produits qui interviennent
dans la fabrication des allumettes. La situation, en un certain moment au Rwanda,
même à Butare, a été telle que tout pète partout. Et on ne sait pas qui est
l'auteur des grenades, les ceci, les cela.
Je me suis dit : « Ecoutez, si ces produits-là passent
dans les mains des gens extérieurs à l'usine, on va me prendre pour complice
de la mauvaise utilisation de ces produits ». Alors, je propose au conseil
d'administration, parce que je n'ai pas le droit de créer un nouveau poste,
je leur dis : « Voici les raisons, est-ce que vous pourriez accepter
la création de quatre postes de gardes armés ? ». Ils disent, ils sont
d'accord avec mes explications, ils créent ces postes. Moi, les militaires,
je connais pas. Et surtout un militaire équilibré, dans les mains de qui je
peux déposer une arme, ce n'était pas à moi de recruter des militaires de ce
genre. Je me suis adressé au chef de la gendarmerie locale, HABYARABATUMA Cyriaque.
Ce HABYARABATUMA Cyriaque, il m’a recruté les quatre gendarmes, et
vous pouvez constater dans le dossier qu'ils viennent tous de sa colline. Et
en plus, je pense qu'il a fait un bon choix parce qu’à travers le dossier, je
n'ai vu personne accusé d'avoir utilisé les armes aux massacres. En plus, ce
gendarme qui me les a recrutés, on ne peut pas le soupçonner de complicité parce
qu'il est officier, lui aussi, actuellement dans l'armée du FPR à Kigali. Il
n'y a aucun problème-là. On ne peut l'accuser d'aucune démarche de complicité
quand il m'a recruté ces quatre personnes, dont on, à qui on ne reproche rien,
sinon d'avoir été militaires et engagés à ce poste de garde armé. Mais une garde
armée ? C'est un militaire qui doit faire la garde armée. C'est celui qui
est formé à manipuler les armes.
On dit que c'est quelque temps avant les événements que je les ai
engagés. Mais non. Ces personnes ont été engagées fin 92, fin 92.
Le Président : Oui, mais leur
statut a changé peut-être en 93 ou quelque chose comme ça.
Alphonse HIGANIRO : Oui, leur
statut. Je les ai engagés pendant que ça chauffait, en attendant que le conseil
d'administration m'y autorise. Alors, je les payais comme des veilleurs ordinaires.
Alors, quand le conseil d'administration a autorisé, ils ont été régularisés
depuis le 1er janvier 93. Ils étaient payés comme gardes armés. Mais leur engagement,
c'était fin 92. C'était difficile, en posant ce geste à ce moment-là, que je
puisse penser à ce qui allait se passer en 94, Monsieur le président.
Le Président : Alors, encore deux
petites choses à propos d'armes.
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : Il semble qu'on
ait trouvé des documents qui étaient relatifs à des Kalachnikov qu’il fallait
faire venir du Caire où je sais plus d'où, bien avant l'embargo, hein, bien
avant l'embargo. Je crois que c'était pas un nombre considérable, je crois que
c'étaient trois ou cinq Kalachnikov.
Alphonse HIGANIRO : C'étaient
trois armes, Monsieur le président.
Le Président : C'étaient des armes
qui, normalement, étaient destinées à ces veilleurs armés-là ?
Alphonse HIGANIRO : Aux gardes.
Le Président : Aux gardes armés
de la SORWAL ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, exactement,
parce que ces gardes étant privés et engagés dans une société privée, nous devrions
aussi leur donner les armes à nous. Mais seulement, il fallait l'autorisation
du ministère de la défense pour pouvoir les importer. Nous avons fait tout le
nécessaire. On nous a donné toutes les autorisations nécessaires et la commande
était en cours d'exécution. Mais en attendant, le même gendarme qui m'a aidé
à recruter les militaires, nous avait prêté des armes qu'ils pouvaient utiliser
entre-temps. Mais quand la situation s'est détériorée, dégradée, les armes n'étaient
pas encore là. Donc, la commande n'a pas abouti, quoi.
Le Président : Et alors, une dernière
chose à propos d'armes, c’est que vous étiez, semble-t-il, vous-même détenteur
d'un pistolet Browning 9 mm ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, on voit,
sur l'autorisation de port d'armes qui se trouve dans le dossier et qui est
signée du ministère de la défense, que cela…
Le Président : Enfin l'autorisation
est datée du 18 septembre 1991.
Alphonse HIGANIRO : 1991, j'étais
à ce moment-là, ministre au ministère des transports et communications.
Le Président : Il était dangereux
d'être ministre à l'époque ?
Alphonse HIGANIRO : Surtout exposé.
Je pense que tous les ministres étaient armés, ils avaient, dans leur coffre-fort,
un pistolet. C'est dans ces circonstances-là que je l'ai reçue et comme l'autorisation
de port d'armes n'a pas de limite, évidemment, j'ai continué à le posséder,
étant donné que j'avais toujours cette autorisation de port d'armes.
Le Président : Vous l'avez importé
en Belgique ?
Alphonse HIGANIRO : Non, je ne
l’ai pas amené, Monsieur le président. Il est resté sur place.
Le Président : À propos encore
de cette arme, il me semble avoir lu quelque part dans le dossier, mais je ne
sais plus où, que vous l’auriez montrée lors d'une réunion, au Rotary de Butare
?
Alphonse HIGANIRO : Oui, comme
je l’avais avec moi dans ma poche intérieure et selon le règlement des rotariens,
qui veut que la confiance et la camaraderie soient totales, j'ai dit :
« Je suis armé », pour qu’un jour ça ne soit pas connu accidentellement
et qu'on pense que j'ai voulu le cacher. S’ils avaient estimé que je dois pas
venir avec cette arme-là, je l'aurais laissée, mais ils n'ont rien trouvé d'anormal
à cela. Mais certaines personnes, à lire ce qu'ils ont dit, je pense qu'ils
auraient été choqués par le fait que j'ai une arme avec moi. Mais c'est moi
qui ai pris l'initiative du signaler pendant la réunion.
Le Président : Bien. Je crois
qu'on va en rester là, pour le moment. L'audience va être suspendue jusqu'à
13h30. Et à 13h30, les questions qui devraient être posées, nous verrons ça
cet après-midi.
[Suspension
d’audience]
Le Greffier : La Cour
Le Président : Merci bien. L'audience
est reprise. Vous pouvez vous asseoir et les accusés peuvent prendre place.
Alors, en ce qui me concerne, moi, j’en avais terminé ce matin avec
l’interrogatoire de Monsieur HIGANIRO mais y a-t-il des questions à lui poser
de la part des membres du jury ? Monsieur le 3e juré ?
Le 3e Juré : Oui, Monsieur le président, juste une petite question.
Pourriez-vous demander à l’accusé pour quelles raisons il a fallu tout d’un
coup, début avril, engager 50 travailleurs ?
Le Président : Alors, Monsieur HIGANIRO, a-t-il fallu engager
50 travailleurs, au début du mois d’avril, à la SORWAL ? Quand on parlait
des 50 Interahamwe, c’étaient pas des gens engagés au début du mois d’avril,
je crois, hein ?
Alphonse HIGANIRO : Non, Monsieur
le président. C’est dans la liste…
Le Président : Dans la liste du personnel, globale, quelqu’un,
un témoin relève que 52 de ces personnes seraient des Interahamwe, mais c’étaient
des personnes engagées bien avant le mois d’avril 94.
Alphonse HIGANIRO : Tout à fait,
Monsieur le président. Oui, oui.
Le Président : C’est bien ça ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, c’est
bien ça.
Le Président : On n’a pas engagé du personnel au début du mois
d’avril 1994 ?
Alphonse HIGANIRO : Non, non,
non, non, il n’y a pas eu d’engagements en 94.
Le Président : Une autre question ? Monsieur l'avocat général
?
L’Avocat Général : Je voudrais
savoir de l'accusé s'il a encore eu des contacts avec Monsieur le témoin 21. Donc,
lorsque lui se trouvait à Gisenyi ? Après cette lettre que Monsieur le témoin 21
donc, lui a envoyée et à laquelle l'accusé a répondu. Est-ce qu’il a encore
eu des contacts, après, avec l'intéressé ?
Alphonse HIGANIRO : Non, il n'y
a pas eu de contact avec le témoin 21, après. En fait, le seul contact que j'ai eu
avec le témoin 21, c'est le 29, quand je suis parti à Butare redémarrer l'usine.
Le Président : Le 29 avril 1994 ?
Alphonse HIGANIRO : Le 29 avril,
Monsieur le président, et la lettre si on peut appeler ça, contact.
L’Avocat Général : Alors, je voudrais
savoir comment l'accusé savait-t-il où se trouvait Monsieur le témoin 21, à savoir
dans un camp de réfugiés à Bukavu, si mes souvenirs sont exacts ? Lorsque Monsieur
le témoin 21 a été entendu… non, soyons plus clairs. Monsieur le témoin 21 a reçu la visite
d'un avocat qui lui a donc donné, apparemment, connaissance de la version de
Monsieur HIGANIRO, et à cette version, Monsieur le témoin 21 a répondu que cela confirmait
effectivement ce que Monsieur HIGANIRO lui avait dit. Moi, ma question est de
savoir comment Monsieur HIGANIRO ou cette personne, savait où se trouvait Monsieur
le témoin 21 ?
Alphonse HIGANIRO : Donc, vous
voulez dire, quand ils se sont réfugiés au Zaïre ?
L’Avocat Général : Est-ce que
Monsieur le témoin 21 vous a dit qu'il se trouvait dans un camp de réfugiés au Zaïre
?
Alphonse HIGANIRO : Pas du tout.
Pas du tout.
L’Avocat Général : Mais comment
l’a-t-on retrouvé alors ?
Alphonse HIGANIRO : C'est pas
moi qui l’ai contacté. Je ne sais pas.
L’Avocat Général : C'est pas votre
ancien conseil qui l'a contacté ?
Alphonse HIGANIRO : Oui. Oui,
il est allé là, il est allé.
L’Avocat Général : Et ça lui est
venu, ça lui est tombé du ciel, comme ça, que Monsieur le témoin 21 se trouvait dans
un camp à Bukavu ?
Alphonse HIGANIRO : D'après son
rapport qui est dans le dossier, il était invité par les réfugiés, notamment
le gouvernement en exil. Il a fait son séjour d'une semaine là-bas. Et c'est
tout ce que je sais pour l’avoir lu dans le dossier.
L’Avocat Général : Donc, en somme,
on est allé rechercher Monsieur le témoin 21 pour voir s'il pouvait confirmer votre
déclaration ?
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, est-ce qu’on est allé voir Monsieur le témoin 21 ? Est-ce que cet
avocat est allé à Goma, à Bukavu, pour voir Monsieur le témoin 21 ?
L’Avocat Général : Oui, oui, ça
apparaît du dossier.
Alphonse HIGANIRO : D'après son
rapport, il est allé là, à l'invitation du gouvernement en exil.
L’Avocat Général : Je ne dis pas
qu'il est allé à l'invitation mais je dis qu'il a vu Monsieur le témoin 21 dans ce
camp, et qu'il a donc donné connaissance à Monsieur le témoin 21, de votre version.
Oui ou non ?
Alphonse HIGANIRO : Ca je ne sais
pas, s'il a donné connaissance ou pas, je n'en sais rien.
L’Avocat Général : Monsieur le témoin 21
dit, et je reprends ses termes : « Je confirme l’explication fournie
par Monsieur HIGANIRO ».
Alphonse HIGANIRO : C’est à le témoin 21
à répondre, pas à moi.
L’Avocat Général : Pas d’autres
questions pour l’instant.
Le Président : Oui ?
Me. MONVILLE : A l’attention du jury, que ce n’est pas un des
trois conseils ici présents, dans la Cour d'assises, qui a effectué cette démarche.
Je ne sais pas si la Cour informera le jury quant à ces circonstances. Je crois
que, comme Monsieur HIGANIRO l’a dit, lui, en tout cas, est tout à fait étranger
à cette démarche. Si certaines choses doivent être précisées, je crois qu'il
faudra le faire quand Monsieur le témoin 21 viendra, et si des explications complémentaires
doivent être données, même la défense actuelle de Monsieur HIGANIRO n’en sait
rien, puisque nous n'avons jamais été, à aucun moment, au Rwanda. Aucun des
trois.
Le Président : D'autres questions, de la part des parties civiles
peut-être ? Maître GILLET ?
Me. GILLET : Oui, Monsieur le président. Il y a encore 2 ou
3 choses dont on n'a pas du tout parlé ce matin. Je souhaiterais… le juge d'instruction
nous a dit l'autre jour, que la mise de fonds initiale dans RTLM était de 5000
francs rwandais. Or, Monsieur HIGANIRO a fait une mise de fonds de 100.000 francs
rwandais. Donc, j'aurais souhaité savoir pourquoi une mise de fonds aussi importante.
Le Président : Monsieur HIGANIRO, pourquoi une mise de fonds aussi
importante et à quelle époque cette mise de fonds est-elle intervenue ? On a
retrouvé un document attestant d'un versement d'une somme de 100.000 francs
rwandais pour acheter des actions de la RTLM. Si mes souvenirs sont bons, c’est
en juillet 93.
Alphonse HIGANIRO : En juillet
93, oui.
Le Président : Bien que le document n'était pas signé de votre
main vous avez reconnu avoir acheté ces actions ?
Alphonse HIGANIRO : C’est ça,
Monsieur le président. Mise de fonds, je ne sais pas. Mais ce que je peux dire
c'est que une action à la RTLM coûtait 5.000 francs. Et j'ai acheté vingt actions.
J'ai acheté vingt actions. Je n'ai pas versé, à RTLM, un montant d'une subvention
ou une aide ou quoi, j'ai acheté, dans une société commerciale, vingt actions.
Le Président : C’était un achat personnel ? Ce n'est pas avec
l'argent de la SORWAL ?
Alphonse HIGANIRO : Non, c’était
avec mon argent personnel, je devenais actionnaire personnellement, et ça fait
100.000 francs, je ne… Il y en a qui ont acheté pour 1.000.000, il y en a qui
ont acheté pour 500.000.
Le Président : Alors, pourquoi cet achat à titre individuel ?
Alphonse HIGANIRO : D'abord, je
pense que nous nous acheminions vers un multipartisme effectif. Donc, la démocratie.
Je soutenais dans la démocratie, la liberté d'opinion, les expressions, la liberté
d'expression tels que les journaux, la presse parlée et tout ça. Pour moi, c’était
un soutien à la démocratie, mais c'était aussi, comme c'était une société commerciale,
il y avait un tout petit peu d'espoir de gain aussi. Je n'ai pas d'autres explications,
Monsieur le président, quant à…
Le Président : Est-ce que ces actions vous permettaient, à vous
par exemple, personnellement, de prendre la parole à RTLM ?
Alphonse HIGANIRO : Non, Monsieur
le président, parce que ce qui est dans l'acte d'accusation, que j'étais membre
du conseil d'administration de la RTLM, c'est vraiment faux, c'est inexact.
Et d'ailleurs, il n'y a aucune trace dans le dossier d'une justification de
cela. J'ai pris vingt actions de la RTLM. Point final. Ce n’est rien d’autre.
Je n'appartenais pas aux organes dirigeants de la radio. J'étais simplement
actionnaire.
Le Président : Bien. Maître GILLET?
Me. GILLET : Oui. Alors, on pourrait comprendre qu’effectivement
certains petits porteurs aient été grugés au moment de la constitution de RTLM
et n'aient pas su à quoi ils s'engageaient. Mais alors, la question à Alphonse
HIGANIRO : pourquoi, alors que dans les mois qui ont suivi, le style de RTLM
s'est affirmé et qu'on a su de quoi il s'agissait, en novembre, décembre, janvier,
etc., pourquoi ne s'est-il pas retiré de RTLM, parce que je peux comprendre,
je pourrais comprendre qu'il ait été très choqué de cette évolution de RTLM
?
Alphonse HIGANIRO : Bien sûr que
j'ai été choqué de l'évolution de la RTLM, mais du point de vue, se retirer
d'une manière effective, c'est poser quel geste ?
Le Président : Je ne sais
pas, revendre les actions…
Alphonse HIGANIRO : Je me le demande. Pendant
cette période-là, telle que la situation se présentait, c’est convoquer le conseil
d'administration pour délibérer sur mon retrait ? C'est leur écrire, écrire
à quelqu'un et lui dire : « Rendez-moi mon argent ? ». Je ne
vois pas quel geste, quelle action concrète j’aurais engagé, comme tous les
2.000 autres d'ailleurs pour pouvoir se retirer de cette radio, à ce moment-là
précis. Mais bien entendu, par après, si la situation se normalise, que le conseil
d'administration fonctionne dans des conditions tout à fait normales, on fait
les comptes, on demande aux dirigeants de la radio : « Qu'est-ce que
vous nous avez fait ? ». Mais je ne vois pas, à ce moment-là, pendant que
je suis en train de courir de Butare à Kigali, de Kigali à Gisenyi et puis courir
de Gisenyi à… en Europe, où est-ce que j'aurais trouvé qui, à qui poser le problème
de mon retrait de la RTLM ?
Me. GILLET : Oui. Moi, j'ai l'impression que je me retirerais
d'une entreprise criminelle.
Le Président : Mais, mais
ce n'est pas une question, et votre position à vous ne nous intéresse pas, Maître
Gillet.
Me. GILLET : Non, bien sûr. Quel était le rôle de Monsieur HIGANIRO
dans Kangura ?
Le Président : Avez-vous
eu un rôle dans cette publication, Kangura ?
Alphonse HIGANIRO : Aucun rôle,
Monsieur le président, aucun.
Le Président : Ni comme actionnaire,
ni comme… ?
Alphonse HIGANIRO : D'aucune manière.
D'aucune manière.
Le Président : Ni comme distributeur
lors de meetings ?
Alphonse HIGANIRO : Même pas,
Monsieur le président, même pas, Monsieur le président.
Me. GILLET : Oui, j'aurais aimé avoir quelques précisions sur
les contributions de guerre de la SORWAL, qui ont été faites, un certain nombre
avant même le début du génocide.
Le Président : Vous avez expliqué tout à l'heure que la SORWAL
paie des impôts. Mais la SORWAL a aussi payé notamment des sommes, si je ne
m'abuse, directement pour soutenir les Forces armées rwandaises ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, c'est
ça, Monsieur le président. Et avant, je crois que la SORWAL avait assisté le
préfet dans ses efforts de maintien de la paix dans la préfecture, non seulement
en lui prêtant les véhicules 4x4 dont il avait besoin pour pouvoir visiter certains
secteurs, mais aussi dans les frais de fonctionnement de la préfecture. Et je
me souviens que c'est le directeur technique, lui-même, à qui j'ai donné ce
chèque pour aller le remettre à la préfecture.
Le Président : C'était un chèque de quel montant ?
Alphonse HIGANIRO : De 150.000
F, Monsieur le président, et c'est au préfet le témoin 32,
donc Jean-Baptiste, et c'était dans le cadre des bonnes relations qui existaient
entre la préfecture représentée par lui-même, et la SORWAL représentée par moi-même.
Ce qui lui permettait d'ailleurs de savoir tout ce qui se passait à la SORWAL,
au jour le jour. Parce qu'on était vraiment en très bonnes relations de coopération,
de collaboration.
Le Président : Alors, autre question, ça, c'est cette aide-là
que vous donnez ou que la SORWAL, parce que c'est bien là SORWAL, ce n'est pas
de l'argent qui vient de votre poche ?
Alphonse HIGANIRO : Non, c'est
bien la SORWAL. C'est dans l'article « dons et libéralités » qui est
ouvert dans le budget de la société.
Le Président : Alors, il y a également des versements qui sont
faits pour soutenir l'armée rwandaise ?
Alphonse HIGANIRO : Ça, c'est
pendant les événements, je crois, c'est quand l'usine a repris, qu’il a versé
directement 200.000 francs à l'armée. Mais avant les événements, à ma connaissance,
il n’y a que ce montant. Mais un peu avant aussi, je crois qu’on a, parce que
c'est une opération qui se répétait chaque année, je pense. Je pense que dans
le dossier se trouve une liste de toutes les entreprises, les écoles, les sociétés
et tout ça, qui faisaient le… qui ont fait le… qui ont soutenu l’effort de guerre.
Oui, de toutes les façons, c'était ça. Il y avait un article dans le budget
et ça passait tout à fait officiellement, et ça laissait des traces dans la
comptabilité. Et le soutien à l'effort de guerre, c'était tout le monde qui
faisait ça, toutes les entreprises, tout le monde, et même les individus pris
individuellement. Donc, je pense qu’aussi la SORWAL doit l’avoir fait peut-être
aussi l'année avant. Mais il n'y avait rien d'irrégulier, c'est tout à fait
normal.
Le Président : Et cette aide, c'était quelque chose qui était
imposé par un règlement, ou une loi, ou un décret présidentiel ou… ?
Alphonse HIGANIRO : Je ne sais
pas si c’était à travers une loi ou si c’étaient les autorités qui expliquaient,
qui demandaient à ce qu’on fasse ça. Mais ça se faisait tout à fait régulièrement.
Le Président : En tout cas, sur le plan comptable, ça n'était
pas masqué sous une appellation qui ne permettait pas de savoir quelle était
la destination des fonds ?
Alphonse HIGANIRO : Non, non,
c'était vraiment clair, l'article c'était « Dons et libéralités ».
Les documents de dépenses, il était marqué : « Soutien à l'effort
de guerre », par exemple. Pour le préfet, c'était marqué : « Aide
à la préfecture ».
Le Président : Bien. Autre question ?
Me. GILLET : Encore deux questions, si vous me le permettez,
Monsieur le président. Monsieur HIGANIRO, dans son interrogatoire sur la personnalité,
a beaucoup insisté sur son salaire à la SORWAL en nous disant que tout compris,
donc avec les avantages, cela faisait 160.000 francs rwandais. Or, je trouve
dans les documents qui figurent au dossier, des fiches salariales où l'on indique
qu'en 1993, il touchait 301.000 francs et 1994, 321.000 francs rwandais. Et
je voudrais avoir l’explication de cet écart.
Le Président : Oui, Monsieur HIGANIRO
Alphonse HIGANIRO : Mais c’est
ce que j’ai expliqué justement. Les fiches salariales que Maître GILLET a vues,
ce sont des annexes, d'ailleurs je crois que c'est écrit « annexe 5 ».
Mais annexe à quoi ? Annexe au budget 1994, ou annexe au budget 1993. Mais
le budget, quand on calcule le budget, on n’utilise pas le salaire net. On utilise
le salaire brut, puisque les taxes à l'Etat sont à charge aussi de la société.
Donc, s’il applique la formule de dégrèvement du montant de 307.000 francs,
il va arriver à 150.000 F, sans problème.
Le Président : Donc, c'est comme chez nous, l'employeur retient
le précompte…
Alphonse HIGANIRO : C'est ça,
exactement, Monsieur le président.
Le Président : Les cotisations sociales…
Alphonse HIGANIRO : Tout à fait,
Monsieur le président.
Le Président : Et donc, pour l'employeur, à la SORWAL, vous coûtiez
300.000 F, mais vous n'aviez dans votre poche que 150.000 ?
Alphonse HIGANIRO : Exactement,
Monsieur le président, c'est donc la différence entre le brut et le net.
Le Président : D’accord. Oui, Maître GILLET ?
Me. GILLET : Et alors une dernière question, Monsieur le président.
Dans la fameuse liste des gens qui participent à cette réunion de la Commission
des fonctionnaires MRND de Butare, etc., dont il a été question ce matin du
mois de novembre, il apparaît un certain Monsieur François BANYERETSE, dont
on a beaucoup parlé la semaine dernière, parce qu’il fait aussi partie du PRD,
et je voudrais… et on a parlé de son rôle sur les barrières, etc. également,
et je voudrais savoir s’il est normal que quelqu’un ait deux appartenances politiques
simultanées ?
Alphonse HIGANIRO : Je ne sais
pas, Monsieur le président, s’il a deux appartenances politiques, mais si tel
est le cas, c’est illégal parce que la loi sur les partis politiques est claire
là-dessus. Il y a un article qui dit : « On ne peut appartenir qu’au
plus, à un seul parti politique ». Du reste, la situation propre à Monsieur
BANYERETSE, je ne la connais pas.
Le Président : Est-ce qu'à la réunion du 21 novembre 1993 qui
a réuni un certain nombre de personnes, dont vous, on a présenté sa carte de
membre au parti ? Avant la réunion ? Je ne sais pas…
Alphonse HIGANIRO : Non, non,
je pense qu'on dit les personnes affiliées…
Le Président : Adhérentes.
Alphonse HIGANIRO : …au MRND,
et ils viennent, ceux qui se sentent affiliés au MRND. Je ne pense pas qu'il
y ait quelqu'un qui ait vérifié si réellement vous êtes affiliés ou si vous
n'êtes pas affiliés. Mais la réunion, c'est pour ceux qui sont affiliés au MRND.
Est-ce qu'il est réellement affilié au PRD, ça, je n'en sais rien, je ne saurais
pas dire.
Le Président : Bien. Une autre question ? Maître HIRSCH ?
Me. HIRSCH : Merci, merci, Monsieur le président. Monsieur HIGANIRO
nous a dit ce matin, il a également répondu à une question de Monsieur l’avocat
général, qu'il n'avait pas eu de contact avec Monsieur le témoin 21, après la lettre
du 23 mai 1994. Donc, deux contacts : un contact en avril, le 28 ou le 29 avril,
et un contact, par lettre, le 23 mai. Alors, la question que je me pose… il
nous a dit également qu'il était, lui, l'agent commercial. Comment communiquait-il
les commandes etc. sachant que l'on trouve au dossier deux factures, dont une
facture… deux factures de 90.000 francs, l'une à la date du 20 mai 1994, la
seconde à la date du 28 mai 1994, qui émaneraient de Monsieur HIGANIRO d'une
part, et d'autre part, sachant que Monsieur le témoin 40 est revenu avec des bordereaux,
des bordereaux pour un montant 4 millions 700.000 francs. Donc, ma première
question : comment Monsieur HIGANIRO communiquait-il avec la SORWAL pendant
cette période ?
Alphonse HIGANIRO : Merci, Monsieur
le président. Je n'ai jamais communiqué avec la SORWAL. La situation se passait
comme ceci. Quand j'identifie un commerçant qui veut acheter des allumettes
à Gisenyi, quand il m'exprime son intention, qu’il peut payer et qu'il veut
payer, nous allons à la banque à Gisenyi, et là, à la banque, il paie à la banque.
Après avoir payé à la banque, on nous donne un reçu de versement et c’est de
cela d'ailleurs que Maître HIRSCH parle. On nous donne un reçu de versement.
Ce reçu de versement, j’y mets un paraphe ou même simplement tel qu’il est,
je le remets à la personne qui va acheter des allumettes, et c'est elle qui
se déplace pour aller chercher ses allumettes. Avec ce reçu de versement, elle
se présente à la SORWAL et dès qu'il voit ce reçu de versement, signe ou preuve
qu'il a payé, on lui donne des allumettes.
En ce qui concerne les factures de 90.000 francs, Maître HIRSCH aura
lu que ça concerne le transport des allumettes. La SORWAL lui donne le camion
de SORWAL pour que lui amène ses allumettes là où il veut qu'on les mette, généralement
à Gisenyi, parce que ça doit partir vers Goma et là, la facture de transport,
c’est un arrangement qu’il fait sur place. Et Maître HIRSCH cite bien le 20.
Mais c'est dire donc, que c'est à cette date-là que la facture a été faite pour
les allumettes qui doivent monter à Gisenyi, le 22 ou le 23, date à laquelle
j'ai reçu la lettre et à laquelle j'ai répondu à Martin. Là, Maître HIRSCH vient
de produire une preuve qu'effectivement un camion de la SORWAL est venu à Gisenyi,
à cette date-là. Ça, c'est plutôt une preuve irréfutable qu'effectivement le
camion, il est arrivé et c’est de ce camion-là dont je parlais, qui a amené
la lettre à laquelle j'ai répondu.
Le Président : Apparemment il y a une facture qui est postérieure
?
Alphonse HIGANIRO : Oui, il y
a une facture qui est postérieure, c'est…
Le Président : Donc, il a dû y avoir un autre camion ou une autre
livraison ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, tout
fait, Monsieur le président.
Le Président : Et à l'occasion de cette livraison-là, y a-t-il
eu entre Monsieur le témoin 21 et vous, un nouvel échange d'informations par courrier ?
Alphonse HIGANIRO : Non, je pense
que ça, c'est quand… à lire le témoignage du témoin 40, je crois que cela va avec
le dernier voyage du témoin 40 vers Gisenyi parce que le témoin 40 dit : « Je
suis venu à Gisenyi deux fois, le 14 mai et une autre date », qu'il situe
en juin, mais si l'opération s'est passée fin mai, c’est suite à mes investigations
commerciales pendant le mois de mai, mais pour laquelle investigation, la livraison
a eu lieu fin mai ou début juin, mais je dois rappeler que le 4 juin, j’étais
déjà ici. Donc, je ne dois pas avoir rencontré le chauffeur qui a amené les
allumettes à cette époque-là. A moins qu'il y ait eu une autre livraison mais
un peu, un peu proche du 23, mais ça, je ne suis pas sûr.
Le Président : Bien, une autre question ?
Me. HIRSCH : Oui, Monsieur le président, oui. Monsieur le président,
ce matin, vous avez posé la question à Monsieur HIGANIRO, de qui participait
à la réunion du 4 avril 1994, dans sa villa à Gisenyi. Il vous a répondu : « MUSABE
- donc, qui est le frère de BAGOSORA, des escadrons de la mort - Monsieur NZIRORERA,
secrétaire général du MRND, Monsieur BOOH-BOOH représentant de l’ONU, le président ».
Dans le dossier, Monsieur HIGANIRO parle également d'un autre membre des escadrons
de la mort et qui était commandant de la place de Gisenyi, qui est le colonel
NSENGIYUMVA Anatole et il parle également, devant le TPIR, de Monsieur Alphonse
le témoin 112 qui est également membre des escadrons de la mort. Alors, la question
que je voulais…
Le Président : Je signale que le mot « les escadrons de la
mort », c'est dans votre bouche.
Me. HIRSCH : Le tout, d'ailleurs. C’est exact, oui, c'est moi
qui le dit.
Le Président : Ça ne résulte pas des auditions de Monsieur HIGANIRO
?
Me. HIRSCH : Non, non, non.
Absolument pas. Ce que Monsieur HIGANIRO a déclaré le 18 août 1995, il a donc
parlé du colonel Anatole NSENGIYUMVA. Le 20 décembre 1995 également et devant
le Tribunal pénal international il a parlé d’le témoin 112. Voilà, je
voulais simplement, Monsieur le président, qu’on redemande à Monsieur HIGANIRO,
que vous redemandiez à Monsieur HIGANIRO, qui, effectivement, était présent
le 4 avril.
Le Président : Oui, Monsieur HIGANIRO.
Alphonse HIGANIRO : Oui, merci,
Monsieur le président. J’ai dit que le président est venu avec tous ses enfants,
y compris sa fille aînée et son mari, le témoin 112. En ce qui concerne
le commandant de place, Monsieur Anatole NSEGIYUMVA, il n'a pas été chez moi,
ni à midi, ni le soir, et dans le dossier, ce correctif s'y trouve à la 1ère
audition. Au sujet de cette question, le juge d'instruction m'avait demandé :
« Est-ce qu'il était là ? ». Je crois que je lui ai dit qu'il
était peut-être là. Et puis, par après, dans la seconde audition, j'ai dit au
juge d'instruction que j'ai pris des informations et Monsieur NSENGIYUMVA Anatole,
commandant de place, n'était pas là, ni à midi, ni le soir. Donc, le dossier
tel qu'il est, il dit bien : « NSENGIYUMVA n'a pas été chez moi quand
j'ai reçu le président ». Monsieur le président, donc là, je crois que
c'est clair, même dans le dossier.
Le Président : Oui, Maître HIRSCH ?
Me. HIRSCH : Encore une question, Monsieur le président. Monsieur
HIGANIRO était-il proche du capitaine NIZEYIMANA ?
Le Président : Quelles étaient vos liens avec le capitaine NIZEYIMANA ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, j’étais
proche avec le capitaine NIZEYIMANA. Dans mes auditions, je crois que j’ai signalé
que j’étais le parrain de son fils. C’était la liaison entre lui et moi, j’étais
le parrain de son enfant. Je l’ai déclaré, je crois, dans mes auditions.
Le Président : Et de Monsieur NTEZIMANA ? Vous aviez des
liens avec Monsieur NTEZIMANA ? On en a déjà un petit peu parlé, vous savez,
mais…notamment, on trouve son numéro de téléphone dans vos agendas ou des choses
de ce genre-là. Mais quel était le cadre de vos rencontres avec Monsieur NTEZIMANA ?
Est-ce que c'était, par exemple, avec le capitaine NIZEYIMANA ?
Alphonse HIGANIRO : Non, j’ai
rencontré Monsieur NTEZIMANA à l'occasion de la réunion pour la mise en
place, lorsque l'association culturelle de Kingogo où il a pris l'initiative
de venir me voir pour que nous réfléchissions ensemble sur la faisabilité de
cette action, et je crois même que c'est tout. C'est à l'occasion, rien qu'à
l'occasion de la création de cette association que j'ai connu Monsieur NTEZIMANA et
c’est à cette occasion aussi que son numéro de téléphone de Butare…
Le Président : Oui, oui, oui de Butare.
Alphonse HIGANIRO : …se trouvait
dans mon agenda.
Le Président : Vous l’avez au moins rencontré peut-être à une
autre occasion aussi, lorsqu’il y a eu le communiqué de presse des intellectuels
de Butare.
Alphonse HIGANIRO : Non, ce communiqué…
Le Président : Qui a été signé par une série de personnes, dont
vous et Monsieur NTEZIMANA.
Alphonse HIGANIRO : Non, Monsieur
le président, en fait. C’est, c’est… comment est-ce que je peux appeler ça ?
Le Président : C’est une sorte de pétition qu’on a fait circuler…
Alphonse HIGANIRO : C’est une
pétition. Il y a quelqu’un qui a fait circuler ça, et allait trouver les gens
dans leurs bureaux respectifs. En tout cas moi, on m’a fait signer dans mon
bureau. Il n'y avait pas eu de réunion au préalable. Il y avait cette lettre
qu’on vous faisait lire. Si vous adhérez aux idées qui sont exprimées là-dedans,
vous signez, si ça vous plaît pas, vous signez pas. On m’a trouvé dans mon bureau,
c’est à partir de mon bureau que j’ai signé. On ne s’est pas réuni auparavant,
ni au milieu, ni à la fin, pour cette action-là.
Le Président : Pas d’autres moments de rencontre entre vous, que
cette constitution-là de cette association.
Alphonse HIGANIRO : Je crois que
l’autre fois que je l’ai rencontré, c’était le 7 au matin, quand j’allais chez
le colonel le témoin 27, je crois que…
Le Président : Le 7 avril 1994 ?
Alphonse HIGANIRO : Le 16 avril.
Le Président : Le 16 ?
Alphonse HIGANIRO : Le 7 avril
94, Monsieur le président. Je crois que je l’ai rencontré sur ma route vers
l’école des sous-officiers, que je lui ai dit bonjour, que je lui ai dit que
je partais pour Kigali. Je crois que c’était d’ailleurs notre dernière rencontre
dans cette période-là des événements. Et puis, on ne s’est plus revu. Même ici
en Europe, on ne s’était pas rencontrés avant notre arrestation.
Le Président : C’est ça. Oui. Autre question ?
Me. HIRSCH : Oui, Monsieur le président. Dans le dossier, Monsieur
HIGANIRO confirme effectivement qu’il n’avait pas de relation avec Monsieur
NTEZIMANA. Mais il ajoute ceci le 23 mai : « De temps en temps, nous nous rencontrions pour boire un verre, soit
chez lui, soit chez moi ».
Le Président : Alors, est-ce que vous aviez des rencontres avec
Monsieur NTEZIMANA, soit chez vous ou chez lui ?
Alphonse HIGANIRO : Quand on avait
une réunion, tantôt on la faisait chez lui, en ce qui concerne l’association,
tantôt on la faisait chez moi.
Le Président : Donc vous vous êtes rencontrés plusieurs fois pour
cette association ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, pour
cette association, je pense qu’à Butare, on s’est rencontré quelques fois, peut-être
deux ou trois, quelque chose comme ça. Parce qu’il fallait préparer les statuts,
il fallait préparer le règlement intérieur, il fallait organiser les rencontres
au niveau de la région. Donc, ça a pris quand même un certain nombre de jours
de coordination.
Le Président : Parce que dans cette déclaration du mois de mai,
du 23 mai 95 relative à Monsieur, à vos relations avec Monsieur NTEZIMANA, vous…vous
semblez faire la différence entre la circonstance que vous buviez parfois un
verre chez lui, ou chez vous. Vous dites : « Je n'avais pas de relations avec lui. De temps en temps, nous nous
rencontrions pour boire un verre soit chez lui, chez moi. Nos options politiques
étaient différentes et nous ne nous fréquentions pas ».
« Que saviez-vous de ses opinions politiques ? »,
vous demande-t-on. Vous répondez : « Je sais qu'il a
appartenu au MDR. Puis il a participé à la fondation d'un nouveau petit parti
dont le nom ne me revient plus. Par ailleurs, je vous signale que j'ai participé
avec lui à la création d'une association culturelle des gens originaires de
notre région de Kingogo et l'association s'appelait ADSK ». « Alors,
avez-vous eu des relations fréquentes à propos de cette association ? ».
« Si je me souviens bien, à Butare il y a eu une réunion, à Kigali également
et dans notre région deux réunions. Ces trois dernières réunions rassemblaient
les gens de notre région qui s'intéressaient à l'association. J'insiste sur
le fait qu'elle avait un caractère strictement culturel ».
On semble dire que les réunions pour l’ADSK, ça se passe une fois
à Butare, puis à Kigali et puis deux réunions dans la région de Kingogo, si
je comprends bien. Est-ce qu’à part ça, vous ne buviez pas à d'autres occasions
un verre chez Monsieur NTEZIMANA, ou Monsieur NTEZIMANA ne venait-il pas parfois
boire un verre chez vous ?
Alphonse HIGANIRO : En fait, Monsieur
le président, le groupe qui préparait ces documents de l'association…
Le Président : En d'autres termes, vos relations avec Monsieur
NTEZIMANA n'étaient-elle pas plus fréquentes et peut-être plus intimes que ce
que vous ne voulez accepter ?
Alphonse HIGANIRO : Non, non,
Monsieur le président. On avait vraiment des idées politiques différentes. La
seule chose qui a fait que…la seule occasion qui a fait que je connaisse Monsieur
NTEZIMANA, c'est l'association. Mais l'association, le groupe qui a conçu l'association
du moins au début, avant que je n'intervienne, c'était lui et un groupe d'étudiants.
Donc, quand je suis intervenu, nous devenions deux qui ne sommes pas étudiants,
plus ces étudiants. Donc, il peut se faire qu’à l'une ou l'autre occasion, on
se soit rencontrés à deux pour préparer le travail par exemple d'une réunion
programmée la semaine suivante. Et que ce soit arrivé chez lui. Mais avant cela,
je ne connaissais pas NTEZIMANA, et lui ne me connaissait pas non plus.
Le Président : Monsieur NTEZIMANA ?
Vincent NTEZIMANA : Oui, Monsieur le président.
Le Président : Vous partagez les dires de Monsieur HIGANIRO à
ce sujet ?
Vincent NTEZIMANA : J'aimerais compléter… donc, à propos d'un verre
dont il parle. C’est arrivé effectivement que lorsqu’on prépare une réunion
qui devait avoir lieu à Kingogo, on partage un repas, un verre. Oui. C’est arrivé,
je crois l'avoir déclaré à la même époque que…
Le Président : Vos relations se limitaient à ce problème de l’ADSK
?
Vincent NTEZIMANA : Oui, j'ai initié l'association et j'ai contacté
plusieurs personnes, d'initiative, et j'ai cherché son téléphone dans le bottin
donc, à la SORWAL. Je lui ai téléphoné donc, je lui ai demandé rendez-vous et
j'ai été le voir pour lui exposer le problème tout comme je l'ai fait pour des
dizaines d'autres, Monsieur le président. Et je savais qu'il était du MRND,
que j'avais par ailleurs combattu. Donc, je ne devais pas, pour ne pas, comment
dirais-je, pour ne pas décourager des futurs membres de l'association, faire
intervenir des débats politiques. Donc, j’exposais l’objectif de l’association
et on se limitait donc, dans les conversations, à l’association bien entendu,
Monsieur le président.
Le Président : Bien. Vous pouvez vous asseoir, Monsieur NTEZIMANA.
D’autres questions Maître HIRSCH ?
Me. HIRSCH : Oui, Monsieur le président. Une dernière question.
Donc, Monsieur HIGANIRO était suffisamment proche du capitaine NIZEYIMANA que
pour être le parrain de son fils, mais également, il le dit dans le dossier,
pour avoir assisté à son mariage et lui avoir prêté sa voiture. Est-ce qu'il
peut confirmer qu'il a vu le capitaine NIZEYIMANA avant de partir à Kigali,
le 7 avril ?
Le Président : Avez-vous rencontré le capitaine NIZEYIMANA le
7 avril ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur
le président, d'autant plus que je suis allé prendre l'escorte de Monsieur le témoin 27,
là où il travaille, Monsieur le témoin 27, c’est-à-dire à l’ESO. Et c’est là aussi
que se trouvait le bureau du capitaine NIZEYIMANA, parce que c’était son adjoint.
Donc, je l’ai rencontré effectivement là-bas, ce jour-là, à 10h. Pendant que
j’attendais que l’escorte du colonel le témoin 27 démarre, je l’ai vu, j’ai eu l’occasion
d’échanger quelques mots avec lui.
Le Président : Bien. Plus de questions pour Maître HIRSCH ?
Ou encore, tant qu’elle y est ?
Me. HIRSCH : Une ultime, Monsieur le président. Est-ce que Monsieur
HIGANIRO peut confirmer que lors de son passage à Butare, donc fin…
Le Président : Avril.
Me. HIRSCH : …avril, il a également été, non pas à l’ESO, mais
qu’il a été au domicile de Monsieur NIZEYIMANA ?
Alphonse HIGANIRO : Je le confirme
aussi, Monsieur le président. Le domicile de NIZEYIMANA, c'était sur la route
qui conduit chez moi, j'ai fait escale là-bas. Je pensais qu'il était là. Le
capitaine NIZEYIMANA avait déjà été muté, et je ne l'ai pas vu. Je ne l’ai pas
rencontré. J'ai continué. Je suis allé chez moi. De sorte que la dernière fois
que j'ai vu le capitaine NIZEYIMANA…
Le Président : C'est le 7 avril ?
Alphonse HIGANIRO : C'est le 7
avril.
Le Président : Maître HIRSCH, plus de questions ?
Me. HIRSCH : Merci.
Le Président : Maître LARDINOIS et Maître NKUBANYI ?
Me. LARDINOIS : Je vous remercie, Monsieur le président. Est-ce
que vous voudrez bien demander au témoin s'il sait où logeait le pasteur MUSABE,
à Gisenyi, pendant les événements ?
Le Président : Savez-vous où logeait… ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, je crois
qu'il logeait dans la maison d'un commerçant qui habitait à Gisenyi ville, qui
s'appelait SINGAYE qui était d'ailleurs à la résidence de mon beau-père quand
nous avons quitté Kigali. Il a profité de l'escorte, lui aussi, pour monter.
Alors, une fois arrivé à Gisenyi comme le pasteur n'avait pas de maison là-bas,
l'autre lui a proposé de lui offrir une de ces maisons qui était en face d'ailleurs
de chez lui. Donc, tout le temps, il est resté chez ce commerçant-là.
Le Président : Oui ?
Me. LARDINOIS : Une deuxième question, Monsieur le président. Est-ce
que vous pourriez demander à Monsieur HIGANIRO si la maison de Juvénal le témoin 32, dont il parlait tout à l'heure,
à Gisenyi, est la maison qui se trouve d’après, tout près, à proximité de la
BRALIRWA ?
Le Président : Est-ce que la maison du président, est-ce qu'elle
se trouve près de la BRALIRWA ?
Alphonse HIGANIRO : Non, le président
n'avait pas une maison près de la BRALIRWA, parce que la BRALIRWA se trouve
dans… enclavée entre trois collines, et la maison du président se trouve de
l'autre côté d'une de ces collines, face à la ville de Gisenyi. Donc, ce n'est
pas vraiment, c'est pas la BRALIRWA. C’est pas de ce côté-là. Mais si vous pensez
à… je ne sais pas, à cette maison-là, dont je parle...
Le Président : Il y avait plusieurs maisons ?
Alphonse HIGANIRO : Je n'en connais
qu'une, et elle n'est pas à BRALIRWA.
Me. LARDINOIS : C'est une maison au bord du lac ?
Alphonse HIGANIRO : Au bord du
lac, en face de Gisenyi même.
Me. LARDINOIS : Alors, une troisième question, Monsieur le président,
que je souhaiterais poser à Monsieur HIGANIRO. Je voudrais qu'il confirme, d’après
le dossier donc, que ce sont bien des gardes présidentiels qui les ont escortés
de Kigali à Gisenyi.
Le Président : S’agissait-il de gardes présidentiels ?
Alphonse HIGANIRO : Je vais être
précis ici. Je ne sais pas distinguer les gardes présidentiels, des militaires
ordinaires, pour la bonne et simple raison que je pense qu'ils ont le même uniforme.
Pour pouvoir dire, tel est de la garde présidentielle, je crois qu’il faut le
connaître et connaître dans quelle compagnie il est affecté. Sinon moi, j'ai
plutôt pensé que nous avons bénéficié de la garde du colonel BAGOSORA, c’est-à-dire
en tant que chef du cabinet du ministre de la défense, en tant qu'ancien militaire,
il pouvait bien avoir des militaires pour escorter sa femme, sans faire appel
spécifiquement aux militaires de la garde présidentielle. Parce qu'il me semble
que, je ne sais pas… ce sont des militaires, ce ne sont pas des gendarmes.
Ce sont des militaires qui nous ont escortés. Mais est-ce que ces
militaires sont de la compagnie présidentielle ? Est-ce qu'ils sont des militaires
de l'état-major, par exemple, de Kigali, ou du camp de Kigali, parce qu’à Kigali
même il y avait deux camps militaires, ça, je ne saurais pas dire de quelle
compagnie ils venaient, Monsieur le président. Ils sont venus là, à la résidence
de mon beau-père, nous avons chacun pris sa voiture, notre voiture, l’escorte
a fait mouvement, je ne vois pas comment j'aurais pu savoir si c'étaient des
gardes présidentiels ou des militaires des autres unités. Est-ce que la partie
civile pense qu’il y a moyen de les distinguer ? Je ne sais pas.
Le Président : Je n'en sais rien. Il ne faut pas poser de questions
à la partie civile.
(Rires de l'assemblée)
Le Président : Bien. Oui, Maître
LARDINOIS. Faisons avancer les choses, si vous le voulez bien…
Me. LARDINOIS : Oui, je voudrais savoir… la question suivante à
Alphonse HIGANIRO. Quand, dans son témoignage, le père le témoin 18 dit qu’après
son arrivée à Kigufi, donc, après l'arrivée de Monsieur HIGANIRO, il y avait
trois militaires qui gardaient l'entrée de sa maison, est-ce qu'il considère
que le père le témoin 18 fait erreur ou qu'il ment ?
Alphonse HIGANIRO : En tout cas,
c'est une affabulation.
Me. LARDINOIS : Pardon ?
Le Président : C'est une affabulation.
Me. LARDINOIS : C'est une affabulation ? Et quand le beau-frère
de Monsieur HIGANIRO, Monsieur HAKIZIMANA, dit dans le dossier que trois militaires
sont restés, après leur arrivée à Kigufi, pour surveiller la maison pendant
le séjour qu'ils ont, pendant le temps où ils sont restés à Kigufi, est-ce que
cette également une affabulation ?
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, je n'ai pas bien saisi la question.
Le Président : Alors, votre beau-frère
semble avoir dit la même chose que Monsieur le témoin 18. Trois militaires…
Alphonse HIGANIRO : A quelle époque
?
Me. LARDINOIS : Après le 12.
Alphonse HIGANIRO : Après le 12,
j'avais deux militaires.
Me. LARDINOIS : Trois militaires. Votre beau-frère dit qu'il y
avait trois militaires qui étaient…
Le Président : Pas de dialogue,
s’il vous plaît.
Me. LARDINOIS : Pardon. Excusez-moi, Monsieur le président. Donc,
le beau-frère dit qu'il y a trois militaires de l'escorte qui accompagnaient
Monsieur HIGANIRO à Kigufi, qu’ils sont restés ensuite en place, devant la maison
de Monsieur HIGANIRO à Kigufi.
Alphonse HIGANIRO : Restés ? Restés
à quelle date ?
Le Président : Voilà. Donc, ce
seraient trois militaires de l'escorte qui seraient restés là ?
Alphonse HIGANIRO : Pourquoi dire
« restés » ? C’est-à-dire, après mon départ vers la Belgique,
« Restés » ?
Me. LARDINOIS : Non, non, à partir du 12.
Alphonse HIGANIRO : À partir du
12 ? Quand j'étais là. J’ai précisé, Monsieur le président, que j'avais
deux militaires : un militaire qui était mon garde du corps à Butare, que je
suis venu avec, et un militaire de l'escorte qui nous avait amenés à Gisenyi.
Le Président : Il me semble que
ce matin vous avez plutôt parlé de gendarmes qui faisaient la…
Alphonse HIGANIRO : Les gendarmes
étaient affectés à la protection, et des sœurs du couvent de Kigufi, et du domaine
de…
Le Président : Monseigneur…
Alphonse HIGANIRO : Monseigneur
BIGIRUMWAMI. Et ils faisaient les patrouilles entre les deux domaines. Ils étaient
là, mais ce sont des gendarmes et là, je les ai vus, et les sœurs le disent
aussi.
Le Président : Donc, il y avait,
à partir du 12 quand vous êtes arrivé, en plus de ces gendarmes qui faisaient
des patrouilles…
Alphonse HIGANIRO : Oui.
Le Président : …il y avait trois
militaires ?
Alphonse HIGANIRO : Deux, je pense.
Le Président : Deux, à l'extérieur
de chez vous ou à l'intérieur de votre propriété…
Alphonse HIGANIRO : A l'intérieur,
qui étaient avec moi.
Le Président : Et le troisième,
votre garde du corps ?
Alphonse HIGANIRO : Non, Monsieur
le président. C'est ensemble, deux. Ils étaient deux, je crois que la personne
qui a dit trois, sûrement que c'est un lapsus linguae
ou quelque chose comme ça. Sinon, je confirme et je maintiens qu’il s'agissait
de deux militaires qui étaient avec moi dans la parcelle, à l'intérieur de la
parcelle. Et ils étaient en civil d'ailleurs le plus souvent, mais quand je
partais en ville, pour leur facilité, ils mettaient leur tenue pour se faire
obéir.
Me. LARDINOIS : Une dernière question, Monsieur le président. Monsieur
HIGANIRO a déclaré… enfin, on a trouvé lors d'une perquisition dans les documents
qu'on avait ramassés ici, en Belgique, chez lui, une attestation de la CEPGL,
donc la Communauté Economique des Pays du Grand Lac, délivrée à Gisenyi, le
29 avril 1994 et valant jusqu'au 28 octobre 1994. Je voulais savoir dans quelles
circonstances il avait obtenu ce document, qui lui avait délivré ce document,
quelles étaient les démarches qu'il avait effectuées ?
Alphonse HIGANIRO : Attestation
de circulation de la CEPGL ? Oui, c'est donné par le service de l'immigration
locale pour passer de Gisenyi à Goma. C’est… n'importe quel citoyen ressortissant
disposait d'une carte d'identité d'une commune voisine à la frontière, donc
les communes qui sont frontalières comme on les appelle, frontalières avec le
Zaïre. Ils pouvaient, moyennant présentation de la carte d'identité, obtenir
ce document qui remplace les passeports, etc. Et on le tamponne chaque fois
que vous passez la frontière, en allant et au retour, des deux côtés. C’est
un document qui existe au sein de la Communauté Economique des Pays des Grand
Lacs pour la circulation entre les deux villes. Et à Bukavu aussi, à Bukavu
et Cyangugu, partout où il y a les frontières de la Communauté.
Le Président : Bien, Maître NKUBANYI.
Me. NKUBANYI : Oui, Monsieur le président. Dans le document « Suggestions
émises par la Commission politique etc. » il est écrit : « D’après
des informations concordantes, des plans d’extermination existent et il est
indispensable d’organiser une défense collective ». Alors, extermination,
par qui et contre qui ? Et ensuite, défense collective : est-ce que
ça englobe tous les Rwandais ou seulement les seuls Hutu ?
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président…
Le Président : Oui, Monsieur
HIGANIRO…
Alphonse HIGANIRO : Extermination
par qui ? Ca, c’est la question qui a été posée à la MINUAR, quand les
50 élus locaux et commerçants ont été massacrés à Ruhengeri, certains ont suspecté
le FPR, mais officiellement, on a chargé la MINUAR de faire la lumière sur la
question. La MINUAR n’a jamais déposé de rapport. Alors, je ne saurais pas dire
qui a fait ça.
Alors, quant à la deuxième question, Maître, est- ce que…
Le Président : Défense collective…
Me. NKUBANYI : Oui.
Alphonse HIGANIRO : L’autodéfense
collective
Le Président : De tous les Rwandais, ou seulement d’une partie
de ceux-ci, les Hutu ?
Alphonse HIGANIRO : Par sa définition
même, Monsieur le président comme je l’ai dit ce matin, comme ça fonctionnait
en 1990, ça concernait la sécurité de toute la population. Et cette défense
collective était organisée sous forme de rondes dans lesquelles toutes les ethnies,
Hutu, Tutsi, prenaient part. Et c’est vraiment connu, c’est pas quelque chose
qui… c’est connu. On sait que ça fonctionnait comme ça depuis 1990 et que ça
fonctionne encore même maintenant comme ça.
Me. NKUBANYI : Dernière question, Monsieur le président.
Le Président : Oui, oui.
Me. NKUBANYI : Vers la fin du document, il est dit ceci :
« A cet effet, tous les moyens sont bons, car il en
va de la survie de cette ethnie ». Il est dit aussi : «
Se consacrer à renforcer l’union des Hutu et à leur autodéfense collective ».
Bon ici, cette ethnie, c’est quelle ethnie ? Ensuite, autodéfense collective,
c’est aussi les Hutu seulement, ou alors tout le monde, comme on dit précédemment ?
Alphonse HIGANIRO : Non, je crois
que cette question m’a été posée par le juge d’instruction, lors de mes auditions.
Je lui ai dit que cet écrit-là, à ce niveau-là…
Le Président : Qui était d’ailleurs
le brouillon, si on a bien compris vos explications de ce matin.
Alphonse HIGANIRO : Oui, oui.
Ce qu’il lit, c’est le brouillon. Mais je pense aussi que dans le définitif,
je ne sais pas ce qu’on a, nous avons écrit là-dedans… vous disiez le 13 février,
Maître ?
Me. NKUBANYI : Heu, « Suggestions émises par la Commission ».
Alphonse HIGANIRO : Oui, c’est
ça. Ca, c’est le brouillon. C’est dans le texte définitif. J’ai dit au juge
d’instruction qu’au niveau de ce brouillon-là, c’était une…
Le Président : Une mauvaise expression.
Alphonse HIGANIRO : …une mauvaise
expression, mais dans le texte je crois définitif, on a écrit « la population », je pense. Mais, je… S’il y a là où on
ne peut parler que de Tutsi et de Hutu, bien entendu. Mais il y a là aussi, quand
il s’agit de la population, on dit la population, du moins on devait dire la
population.
Le Président : Dans le document
définitif, il est question : « Indispensable et
plus qu’urgent d’organiser une défense collective qui doit passer par les cellules
dont les responsables doivent être re-dynamisés ». Il n’est plus
question, me semble-t-il, dans ce document d’une différence ethnique en tout
cas au niveau de la défense collective.
Alphonse HIGANIRO : C’est ça,
d’accord, Monsieur le président.
Le Président : Oui, Maître JASPIS.
Me. JASPIS : Monsieur le président, est-ce que vous pourriez
demander à Monsieur HIGANIRO quelle a été sa réaction lorsque, arrivant à Kigufi,
il a appris, notamment par les religieuses survivantes, les massacres qui y
avaient eu lieu le 8, précisément au couvent de ces religieuses avec lesquelles
il semble, d’après le dossier, avoir eu de bonnes relations auparavant. Et à
ce moment-là, il a également appris le massacre de la famille le témoin 123 et en
plus, le fait que deux des personnes qui étaient à son service pouvaient éventuellement
y être impliquées. Quelles mesures a-t-il prises, que ce soit d’ordre, je dirais,
plus d’essayer de se renseigner ou d’enquêter ou de prendre part, d’une façon
ou d’une autre, à la réparation ou au deuil des religieuses qui étaient ses
voisines ?
Le Président : Quelle fut votre
réaction ?
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, quand nous avons déposé le témoin 21 chez le commerçant en question,
j'ai appris là-bas que mes voisins, la famille de…
Le Président : C'est pas le témoin 21
Martin qui a été déposé chez le commerçant.
Alphonse HIGANIRO : Non, c’est
MUSABE Pasteur, je m'excuse Monsieur le président. C’est MUSABE Pasteur, celui
qui a logé chez le commerçant. Le commerçant était tout seul, il n'était pas
avec sa femme, il n'était pas avec ses enfants. Ils étaient restés, ils avaient
été tout le temps à Gisenyi, donc, ils avaient suivi ce qui se passait à Gisenyi.
Quand nous sommes arrivés, en prenant notre thé, on nous a raconté qu’il y a
eu des massacres à Gisenyi et en particulier, on m’a dit que mon voisin, la
famille de mon voisin, avait été massacrée. Donc, quand je suis arrivé à Kigufi,
l’information, je l’avais déjà à partir de Gisenyi.
Quand je suis allé voir les sœurs, les sœurs à qui j'ai rendu visite,
j'étais parti pour savoir elles, qu’est-ce qu'elles sont devenues. Parce que
c'était pour elles que je n'avais pas l'information. Alors, j'ai vu une des
deux, une des trois qui m’a dit que les deux autres, elles n'étaient pas là.
Elle m’a dit : « Je pense qu’une se trouvait à Kigali, et qu'une autre
se trouvait chez elle ». Et c'était fini. Mais tandis que les sœurs, les
autres sœurs qui habitent de l'autre côté de chez moi, je ne sais pas si c’est
à celles-là à qui la partie civile faisait allusion. Oui, elles avaient perdu
aussi une oblate je crois, oui, je crois que oui, c'est ça.
Le Président : Est-ce que vous
vous êtes fort inquiété finalement du sort de votre voisin et du sort des religieuses
?
Alphonse HIGANIRO : Les religieuses
?
Le Président : Les religieuses,
pas celles qui logeaient chez Monseigneur.
Alphonse HIGANIRO : Je suis allé
là, je suis allé pour leur demander de dire la messe, comme le dit l'abbé le témoin 18,
je ne sais pas exactement quel jour je suis allé. Là aussi, on a parlé, ils
m’ont dit ce qui s'est passé là-bas, l'attaque dont elles avaient été l'objet.
Le Président : Monsieur HIGANIRO,
en fait, la partie civile essaie de vous faire dire que vous ne vous préoccupiez
pas du tout de ce qui s'était passé à Gisenyi.
Alphonse HIGANIRO : A Kigufi.
Le Président : Que ça vous était
tout au plus indifférent, que vous n’étiez pas inquiet de savoir ce
qui s'était passé, que finalement, le sort de votre voisin vous importait peu.
Alphonse HIGANIRO : Mais je pense
que la partie civile, là-dessus n'a pas raison. Quand je suis arrivé, la maison
de mon voisin était vide, les fenêtres cassées et tout. Je ne serais pas allé
voir là-bas sachant qu'il n'y a personne.
Le Président : Est-ce qu'on vous
a dit que des membres de votre personnel auraient pu être mêlés à ces faits
?
Alphonse HIGANIRO : Non, et aucune
sœur d'ailleurs ne dit qu'ils étaient mêlés à ces faits. J'ai appris ça dans
le dossier. Personne ne m’a jamais dit, et personne d'ailleurs ne dit dans le
dossier qu'ils soient mêlés à ceux qui ont attaqué la famille le témoin 123. Non,
non, toutes les sœurs qui ont été interrogées disent qu’ils n’ont pas vu mes
domestiques parmi les attaquants.
Le Président : Bien. D’autres
questions ? Oui, Monsieur l’avocat général ?
L’Avocat Général : Monsieur HIGANIRO
peut donc confirmer - parce que je crois que, dans le cadre d’un dossier qui
a fait l’objet d’un dessaisissement, il a été entendu et le contraire était
dit - mais qu’il n’a jamais été membre du Conseil d’administration de RTLM ?
Alphonse HIGANIRO : Je n’ai pas
compris la question, Monsieur le président.
Le Président : Est-ce que vous
confirmez la déclaration que vous avez faite aujourd’hui - il semblerait que
dans un autre dossier qui a fait l’objet d’un dessaisissement, il aurait été
dit le contraire - est-ce que vous confirmez que vous n’avez jamais été membre
du Conseil d’administration de RTLM ?
Alphonse HIGANIRO : Je confirme,
Monsieur le président. Je n’ai jamais été membre du Conseil d’administration
de la RTLM. J’aimerais avoir la référence, Monsieur le président, si c’est possible.
L’Avocat Général : Est-ce que
l’accusé peut confirmer ce qu’il a dit dans une déclaration du 20 octobre 1995,
à savoir que la SORWAL était fournie en armes par l’armée, et plus particulièrement
par l’ESO de Butare ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, j’ai
dit ce matin que c’est le gendarme HABYARABATUMA qui nous a donné les…
L’Avocat Général : Non, vous avez
dit…
Le Président : Vous avez parlé
effectivement ce matin de la gendarmerie, mais dans une autre déclaration, vous
semblez parler…
L’Avocat Général : Mais dans cette
déclaration-ci…
Le Président : …d’armes fournies
par l’école des sous-officiers, ce qui n’est pas la gendarmerie ?
L’Avocat Général : On parle de
deux choses, d’une part des armes fournies par l’armée, je lis votre passage :
« La SORWAL a été fournie en armes par l’armée et plus
particulièrement par l’ESO de Butare ».
Alphonse HIGANIRO : Non…
L’Avocat Général : Et alors, deuxièmement,
le major HABYARABATUMA a fourni le personnel qui est repris dans les fiches
salariales, comme gardes armés.
Alphonse HIGANIRO : Non, Monsieur
le président. C’est les mêmes armes, c’est les trois armes qu’on a - je crois,
trois ou deux - c’est les mêmes armes. Si j’ai dit quelque part que c’est l’armée,
et d’autre part les gendarmes, c’est la même chose. Mais le commandant de place,
il est le même, c’est le témoin 27, que ça soit pour la gendarmerie, que ça soit
pour l’armée ou alors, une erreur quelque part sur la provenance exacte, le
service qui les a livrées. Sinon, c’est les mêmes armes pour les gardes armés
de la SORWAL. Il n’y en a pas eu d’autres.
L’Avocat Général : Vous ne parvenez
pas non plus à distinguer les gendarmes de militaires ?
Alphonse HIGANIRO : Non, je sais
les distinguer mais je ne sais pas, je dois m’être trompé sur celui qui nous
les a données. Si c’est les gendarmes ou si c’est l’armée. Après tout, de toutes
les façons, c’est le même colonel le témoin 27 qui décide. Mais je pense que, maintenant
en y pensant, je pense que c’est le gendarme qui nous les a données. Parce que
c’est lui qui nous a donné aussi les hommes. Et il n’y en a pas eu d’autres
armes. Il n’y a pas de traces d’autres armes, à la SORWAL. Ce n’est que ceux-là,
ce n’est que les deux. Je crois que dans le dossier, à part cette erreur-là,
il n’y a pas une autre trace d’autres armes, qui serviraient à quoi ? Non.
Il n’y en a pas d’autres, d’autres armes, non.
Le Président : D’autres questions ?
Maître FERMON et puis Maître GILLET.
Me. FERMON : Monsieur le président, est-ce que vous pourriez
demander à Monsieur HIGANIRO de nous expliquer son rôle, et l’objet d’une association
qui s’appelait, son rôle personnel dans cette association et l’objet en général,
d’une association qui s’appelle Ibuka ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur
le président. Ibuka, c’est une association de parents, les parents sont les
gens qui ont des enfants en âge scolaire, disons, en âge d’aller au secondaire,
de la commune de Gaseke, c’est-à-dire ma commune d’origine exclusivement, qui
se sont mis ensemble pour fonder une école d’infirmières. J’ai été élu président
de cette association, une association sans but lucratif, et nous avons été aidés,
comme je le disais l’autre jour, par l’Association belge Nord-Sud coopération,
pour construire cette école. Et quand les événements se sont produits, on était,
je crois, à la deuxième ou troisième promotion, on avait déjà des élèves là-dedans,
et je pense que l’école fonctionne encore maintenant, mais probablement sous
un autre statut, mais elle fonctionne encore maintenant.
C’était donc, comme je le disais ce jour-là, un apport important
pour la population locale quand on sait qu’au Rwanda 10% seulement des élèves
qui terminaient l’école primaire pouvaient aller à l’école secondaire, dans
la mesure où il n’y avait que les écoles de l’Etat pour accueillir ces élèves-là.
Donc, il en restait beaucoup qui terminaient la 6e année primaire
et qui restaient sur la colline, qui ne pouvaient pas continuer, non pas parce
qu’ils sont incapables, mais parce qu’il n’y a plus de place au secondaire.
Donc, une initiative de ce genre était des plus heureuses, naturellement,
pour pouvoir leur donner une chance aussi, mais aussi pour soulager les finances
de ces familles qui sont finalement très pauvres, dans la mesure où les déplacements
ne se posent plus, ils restent tout près de chez eux, les frais d’internat ne
se posent plus, parce qu’ils viennent à l’école, ils rentrent à la maison. C’était
le système qui fonctionnait très bien, et la plupart des parents en ont profité
pour faire comme nous avons fait un peu partout dans les communes du pays, il
y avait ce qu’on appelait les écoles des parents. Mais pour pouvoir le faire,
parce que ça coûte très cher, il fallait bien sûr une assistance extérieure.
Nous avons eu la chance d’avoir l’assistance de Nord-Sud coopération pour nous
aider à réaliser le projet.
Le Président : Autre question ?
Me. FERMON : Oui, Monsieur le président. Dans la liste des membres
de cette association, publiée au journal officiel rwandais, figure un sergent-major
NIZEYIMANA, à l’époque, stationné à Kigali. Est-ce qu’il s’agit du même NIZEYIMANA
que nous avons vu comme capitaine dans ce dossier-ci ?
Alphonse HIGANIRO : Non, ça ne
peut pas être le même. Ça ne peut pas être le même parce que, s’il avait été
sergent-major, je ne vois pas comment il aurait progressé de sous-officier en
officier…
Me. FERMON : En 1987.
Alphonse HIGANIRO : …pendant ce
temps-là. Non. C’est pas possible, ça doit être une autre personne.
Me. FERMON : Alors, si vous me permettez, Monsieur le président,
autre question. Dans un document qui nous a été distribué par la défense de
Monsieur HIGANIRO concernant l Akazu, dont il a été question à plusieurs reprises
pendant les témoignages généraux, on parle de toute une série de personnes.
Et c’est vrai, Monsieur HIGANIRO n’est pas repris dans ce noyau de l’Akazu qui
est décrit. Nous savons déjà, des débats d’aujourd’hui notamment, que Monsieur
HIGANIRO a en tout cas eu une forme de relation avec le président le témoin 32
qui est dedans, et avec Monsieur BAGOSORA. Est-ce qu’il y avait d’autres membres
de cet Akazu, repris dans le document,
avec lesquels il a, d’une manière ou d’une autre, eu des rapports d’un quelconque…
d’une quelconque nature ?
Le Président : Je crois que Monsieur
HIGANIRO avait déjà répondu à cette question lors de son interrogatoire de personnalité
et notamment avec la personne qu’il a fait expulser du conseil des ministres.
Me. FERMON : Je serai plus précis alors, si vous me permettez,
Monsieur le président. Est-ce qu’avec Monsieur Séraphin RWABUKUMBA, qui est
le beau-frère du président le témoin 32 - qui est cité dans le document comme
un des trois principaux éléments de l’Akazu - et dont, dans le même document, on dit que - et d’ailleurs
dans d’autres - qu’il était impliqué dans le réseau Zéro, c’est-à-dire les escadrons
de la mort - ce n’est pas moi qui le dis, c’est le document qui le dit - est-ce
qu’avec cette personne, Monsieur HIGANIRO entretenait des relations particulières ?
Le Président : Monsieur HIGANIRO ?
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le
président, j'appréciais beaucoup le président le témoin 32,
mais je n'ai jamais entretenu des relations de quelque nature que ce soit avec
sa belle-famille. Nous ne parlions pas le même langage.
Me. FERMON : Monsieur le président, si vous me permettez, encore
une question. Est-ce que Monsieur HIGANIRO… il a parlé d’Ibuka il y a un moment
et de l’association Nord-Sud avec lequel on a fait un projet. Est-ce que Monsieur
HIGANIRO pourrait expliquer pourquoi le 4 septembre 1991, cette ASBL, sur instructions
données par Monsieur HIGANIRO, verse à Monsieur RWABUKUMBA, un montant de 1.000.000
FB et le… euh, je cherche la date, le 15 avril 1992 sur un compte - toujours
de Monsieur RWABUKUMBA - un compte à la Belgolaise en Belgique, un montant ou
de 2.927.880 F donc au total, presque 4.000.000 de FB.
Alphonse HIGANIRO : Je n'ai jamais
versé un quelconque montant sur le compte de RWABUKUMBA. Sur les comptes, ce
sont les comptes qui se trouvent ici en Belgique, il faudra voir qui a alimenté
ce compte. Ce n'est en tout cas pas Ibuka, il n'y a pas de devises. Ce n'est
pas HIGANIRO, il n'a rien à payer là-bas. Si c'était une facture au niveau local,
en francs rwandais, il faudra voir sur la facture, il est marqué les services
pour lesquels il aurait été payé. Et alors, lire entièrement tout le document.
Me. FERMON : Je peux mettre le document, les deux documents,
à disposition, Monsieur le président. C’est un versement sur lequel il est
marqué…
Le Président : Excusez-moi, Maître
FERMON, ce sont des documents qui ne figurent pas au dossier ?
Me. FERMON : Non, Monsieur le président.
Le Président : Très bien.
Me. MONVILLE : Excusez-moi, mais je crois qu'il y a des choses
qu'on ne peut pas tolérer. Déjà que je me demande à quel titre des avocats qui
représentent des parties civiles, qui ne se sont jamais clairement positionnées
par rapport à Monsieur HIGANIRO, elles sont présentes dans le dossier 62/95.
On est très aimable avec tout le monde, mais il faudrait que l'on sache pour
qui on intervient ? Quand on pose des questions, on ne joue pas à colin-maillard
à la Cour d'assises, on a une loyauté vis-à-vis de tout le monde et deuxièmement…
Le Président : Ici, toutes les
parties, lorsqu'elles ont la parole, peuvent s'adresser à toutes les autres,
n'est-ce pas ?
Me. MONVILLE : Nous voudrions savoir, si on nous vise, qui est
derrière ces demandes ? Et deuxièmement, Monsieur le président, si on doit parler
maintenant de pièces qui ne sont même pas au dossier, qui n'ont pas été soumises
à contradiction des parties, je me demande où on va ? Il y a déjà
suffisamment de matière dans le dossier, et je ne veux pas qu'on pose de questions
là-dessus, sinon on fera un incident.
Le Président : Et je ne poserai
pas la question, compte tenu de la précision que m’a donnée Maître FERMON, que
ces pièces ne figuraient pas au dossier.
Me. FERMON : Non, Monsieur le président, les pièces ne figurent
pas au dossier. En ce qui concerne…
Me. MONVILLE : C’est tout. C’est tout.
Le Président : C’est terminé,
voilà. Donc, il n’y a pas de question.
Me. FERMON : Je ne voudrais pas poser de question, Monsieur
le président. En ce qui concerne le premier point, il va de soi que quand on
nous demande au nom de qui on parle, il va de soi que nous parlons…
Le Président : Vous parlez au
nom des parties civiles que vous représentez.
Me. FERMON : Au nom des parties civiles déjà constituées, et
qui se constitueront au cours du débat aussi, contre Monsieur HIGANIRO.
Le Président : Autre question ?
Maître GILLET. J’allais oublier de vous restituer la parole.
Me. GILLET : Je vous remercie, Monsieur le président. Innocent
NKUYUBWATSI habitait, résidait chez Monsieur NIZEYMANA. Il rapporte au procureur
de Butare, quand il est entendu, qu’il a vu venir Monsieur HIGANIRO le soir
du 6 avril, juste après que Monsieur HIGANIRO ait appris l’attentat contre l’avion.
Il dit aussi qu’au cours de cette soirée, alors qu’ils étaient là, un officier
de la garde présidentielle a téléphoné de Kigali pour leur confirmer l’attentat,
qui est d’ailleurs l’officier qui arrêtera, le lendemain, Monsieur KAVARUGANDA
de la Cour constitutionnelle. Je voudrais savoir si Monsieur HIGANIRO confirme
cette réunion de ce soir-là.
Alphonse HIGANIRO : Il n’y a pas
eu de réunion ce soir-là, Monsieur le président. NKUYUBATSI dit que celui qui
a téléphoné a dit qu’à Kigali, on est en train de tuer, qu’est-ce que nous faisons,
nous, à Butare, que devons-nous faire que j’aurais répondu qu’il faut faire
comme Kigali est en train de faire. Nous sommes, nous sommes, nous sommes le
6, Monsieur le président, nous sommes le 6 au soir. Est-ce qu’il y a quelqu’un
qui peut dire que tel ou tel des gens qui sont morts, dès les premiers moments
des massacres à Kigali, qui en a un qui est mort le 6 au soir ? Est-ce
que les massacres n’ont pas commencé le 7 au matin ?
Le Président : Donc, pour vous
cette réunion, ou ces conversations du 6 avril…
Alphonse HIGANIRO : C’est de l’imagination.
Le Président : 1994 n’a pas existé ?
Alphonse HIGANIRO : Non, n’a pas
existé.
Le Président : Est-ce que Monsieur
NKUYUBWATSI aurait pu être chez vous, le 6 avril, au soir ?
Alphonse HIGANIRO : Chez moi ?
Le Président : Chez vous ou chez
NTEZIMANA. Et vous vous trouvez chez NTEZIMANA. Chez NIZEYMANA. Pardon.
Alphonse HIGANIRO : Il vivait
là-bas. Lui, il habitait là-bas.
Le Président : Est-ce que vous
vous trouviez, le 6 avril au soir, chez le capitaine NIZEYMANA ? Lui avez-vous
rendu visite ?
Alphonse HIGANIRO : Franchement,
Monsieur le président, ça me revient pas. Ca me revient pas que j’ai été chez
NIZEYMANA. Ce qui est possible, c’est que peut-être lui passe chez moi. Mais
l’inverse, ça me semble difficile. Mais en tout cas, le propos lui, qu’on me
prête ou qu’on prête au capitaine NIZEYMANA, c’est un propos absurde, parce
qu’à Kigali, on n’a pas tué le 6 au soir. Je n’en connais pas des victimes du
6 au soir.
Le Président : Autre question ?
Oui, Maître GILLET.
Me. GILLET : Un témoin, la semaine dernière, nous a rapporté
assez catégoriquement que Monsieur HIGANIRO avait pris une affiliation au parti
libéral. Il nous a dit que c’était d’ailleurs ça qui faisait la confiance qui
s’était créée entre Monsieur le témoin 32,
le préfet, et Monsieur HIGANIRO. Je voudrais savoir ce qu’il en est réellement,
et si la stratégie de Monsieur HIGANIRO était de renforcer l’aile MUGENZI, la
fameuse aile MUGENZI, l’aile Power du parti libéral ?
Le Président : Etes-vous affilié
au parti libéral ?
Alphonse HIGANIRO : J’ai jamais
été affilié à ce parti. Je pense que l'origine de la confusion, Monsieur le
président, c'est mes relations très rapprochées avec le président, euh… avec
le préfet.
Le Président : Avec le préfet.
Alphonse HIGANIRO : Le préfet
le témoin 32 qui, lui, était du PL. Et
aussi avec les membres du club du Rotary de Butare qui, la plupart, étaient
du parti PL. Alors, comme à Butare, on fonctionne vraiment sur la rumeur, quand
on ne sait pas pourquoi ceci, on crée soi-même l'explication. Et quand une fois
qu'on l'a créée, une fois qu'on l'a créée, on la diffuse. Pour le reste, je
n'ai jamais, jamais, jamais, jamais adhéré au parti PL. Jamais. Mais j’avais
des amis, le préfet et les Rotariens qui étaient du parti PL. Et c'est là, peut-être,
l'origine de la confusion.
Le Président : Maître BEAUTHIER.
Me. BEAUTHIER : Dans le dossier, ce matin, on a fait allusion à
l’asbl Nord-Sud. Est-ce que Monsieur HIGANIRO peut dire aujourd'hui à la Cour
et aux jurés qu’il ne connaît pas Monsieur RWABUKUMBA Joseph, dans les tractations
qu'il a eues et au nom de l’asbl Nord-Sud ou l’asbl Nord-Sud en son nom propre,
vis-à-vis de Monsieur RWABUKUMBA et quel était le montant des sommes qui transitaient
par la Belgique pour être versées à Monsieur RWABUKUMBA, si la question première
est positive.
Le Président : Je ne poserai
pas la question.
Me. BEAUTHIER : Je m’en rends compte, Monsieur le président. Je
m’en doute. Je vous demande…
Le Président : Tant que l'on
aura pas versé de manière contradictoire…
Me. BEAUTHIER : Je vous demande, je vous demande justement, Monsieur
le président, de pouvoir verser ces deux éléments au dossier. Ce sont deux éléments
qui se trouvent, et Monsieur HIGANIRO le sait, ce sont deux éléments qui se
trouvent dans un dossier qu'il connaît parfaitement bien, qui se trouve chez
Monsieur le juge d'instruction VANDERMEERSCH.
Le Président : C’est un dossier
qui est en cours d'instruction ?
Me. BEAUTHIER : Qui est en cours d'instruction.
Le Président : Alors, elles ne
seront certainement pas versées en vertu de mon pouvoir discrétionnaire.
Me. BEAUTHIER : Eh bien, Monsieur le président, elles existent
et je voulais simplement poser la question de Monsieur RWABUKUMBA pour savoir
si oui ou non, il avait fait ces tractations.
Me. MONVILLE : Monsieur le président, on en apprend chaque jour
plus.
Me. BEAUTHIER : Il vaut mieux en apprendre.
Me. MONVILLE : Maître BEAUTHIER, je crois qu’il vaut mieux vous
rasseoir, vous êtes déjà assez grand, là, vous dépassez les limites.
Me. BEAUTHIER : Oh, là, là, là. Attention, Monsieur le président,
Monsieur le président !
Le Président : Pas de dialogue
entre vous.
Me. BEAUTHIER : Exactement. Je préfère ne pas répondre à ce genre
de réplique basse, et je voudrais que les débats continuent autrement. Et ce
n'est pas parce qu’on sort quelque chose qui ennuie la partie de la défense,
et je le comprends, en annonçant que ce sont des pièces, nous jouons la parfaite
loyauté, ce sont des pièces qui existent, nous en sommes au courant, il est
pour nous très difficile d'entendre ce que Monsieur HIGANIRO vient de dire,
et peut-être pour d'autres personnes aussi, mais pour nous, c'est particulièrement
difficile parce qu'il y a un dossier qui existe, et que nous connaissons, je
voulais simplement poser la question, elle n'est pas posée, je crois que le
jury…
Le Président : Eh bien moi, je
voudrais vous rappeler, Maître BEAUTHIER, que nous avons à juger quatre personnes
pour des faits qui sont repris dans un acte d'accusation. Nous n'avons pas à
connaître ici de faits qui sortiraient de cet acte d'accusation. Et dorénavant,
toutes questions qui se rapporteraient à d'autres faits, ne seront plus posées.
Je ne vous donne pas la parole, Maître FERMON.
Me. MONVILLE : Il faudrait peut-être le faire acter, Monsieur
le président, que les choses soient claires pour tout le monde.
Le Président : J'aimerais que
l'on comprenne ce à quoi les 24 jurés pour le moment sont attelés, n'est-ce
pas. S'agit-il d'une question ?
Me. FERMON : Il s'agit d'un élément à propos de la question
que j'ai posée tout à l'heure, Monsieur le président.
Le Président : Que j'ai refusé
de poser ?
Me. FERMON : Je ne vous demande pas de reposer la question mais
je souhaitais faire l'observation, Monsieur le président, que la question portait
sur les liens entre des personnes appartenant à l’Akazu et Monsieur HIGANIRO, et j'estime donc,
je crois que…
Le Président : Monsieur HIGANIRO
a répondu à cette question.
Me. FERMON : Je crois que la question ne sortait pas du cadre
des débats.
Le Président : Et Monsieur HIGANIRO
a répondu à cette question. Bien, y a-t-il d'autres questions encore ? Maître
CUYKENS ?
Me. CUYKENS : Oui, Monsieur
le président. Monsieur HIGANIRO a été ministre des transports et des communications.
Nous savons que, un des témoins experts nous a effectivement confirmé qu'à partir
du 12 avril, des communications longues distances sont interrompues. Je pense
qu'on peut peut-être lui demander d'expliquer le réseau téléphonique au Rwanda,
pour que tout le monde puisse avoir connaissance des différents systèmes qui
existaient parce qu'effectivement, le 20 avril par ailleurs à Butare, il y avait
des téléphones qui fonctionnaient. Donc, il faut peut-être expliquer les différents
systèmes. On peut profiter de sa connaissance à ce sujet-là.
Le Président : Sa connaissance
en 1991.
Me. MONVILLE : Jusqu'en 94, il était au Rwanda jusqu'en 94.
Le Président : Oui, mais il n'était
pas ministre des communications jusqu'en 1994. Alors, comment étaient organisées
les communications téléphoniques ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, je vous
remercie, Monsieur le président. On peut dire qu'il y avait trois sortes de
communications, en gros. Il y avait les communications internationales, il y
avait les communications inter-urbaines, donc entre deux villes et le réseau,
le réseau pour chaque ville.
Alors, en ce qui concerne les communications internationales, le
central se trouvait à Kigali. Pour pouvoir sortir de Kigali et atteindre un
pays européen, ça se faisait par un émetteur radio. Et cet émetteur radio touchait
un pays européen et à partir du réseau local de ce pays-là, on entrait dans
les réseaux des autres pays européens.
En ce qui concerne les communications entre deux villes, le central
est toujours le même, il est à Kigali. Une antenne, qui au lieu d’envoyer des
signaux radio envoie des signaux hertziens, un faisceau hertzien, c’est-à-dire
qu'il y a un poteau à Kigali. Dans la ville qu'on veut toucher, il y a encore
un poteau, suffisamment haut pour que les deux puissent se regarder sans qu'il
y ait obstacle entre les deux. Et le signal, le faisceau hertzien du premier
poteau tombe sur le deuxième, par le câblage du deuxième, on revient dans le
réseau local.
Le réseau local, lui, est constitué d'une ramification de câbles
à partir du central qui est dans la ville considérée. Et de là, on part vers
les abonnés, par câble souterrain.
Ceci veut dire qu’un des réseaux peut être en panne, le réseau international
peut être en panne, le réseau inter-urbain aussi en panne, mais les réseaux
locaux fonctionnent. Parce que ces réseaux locaux sont aussi des centraux téléphoniques.
C'est ainsi, c'est ce qui s'est passé effectivement. Le poteau qui
réalise les communications internationales, qui se trouve à Kigali, à partir
du 12, il s'est retrouvé dans la zone conquise par le FPR et le FPR l’a descendu,
l’a détruit. Et quand il l'a détruit, il n'y a plus, il n'y avait plus possibilité
d'émettre vers l'étranger et comme c'est le même poteau, il n'y avait pas de
possibilité d’émettre non plus vers les préfectures. Mais au niveau des préfectures,
mais au niveau des centres urbains, des préfectures, les réseaux locaux ont
continué à fonctionner.
On pouvait se rendre à Goma, par exemple, une fois qu'on est à Gisenyi
et téléphoner en Europe. Mais là, on utilisait un téléphone dit « satellitaire »
c’est-à-dire que ce téléphone-là, qui est au sol, vous raccorde au satellite,
et le satellite vous répercute sur le réseau européen. Mais il n'était pas possible,
à partir de ce satellite là-bas, de ce téléphone satellitaire à Goma, de téléphoner,
par exemple, à Gisenyi, parce que dans le Rwanda entier, il n'y avait pas de
centraux susceptibles de recevoir les signaux des satellites. Ça n'existait
pas. Donc, on pouvait très facilement téléphoner à Bruxelles, à partir de Goma,
alors qu'il était impossible de téléphoner à côté, à 2 km, ou bien à Butare,
ou bien à Kigali par le fait que le système téléphonique rwandais n'avait pas
encore intégré le telecell ou les téléphones mobiles ou d'autres téléphones
semblables. Le signal n'était pas, il n'y avait pas de quoi le recevoir.
Donc, ceci est pour répondre à la question, par exemple, de dire
que : « Comment ça se fait que de Kigali, on ne sait pas téléphoner
à Butare mais pourtant à Butare, on continue à se téléphoner entre ». La
raison était celle-là, Monsieur président. Il y avait cette autonomie des réseaux
locaux, et il y avait cette dépendance des poteaux de Kigali pour ce qui concerne
les signaux qui devaient aller de ville en ville ou du Rwanda aux pays étrangers.
Je vous remercie, Monsieur le président.
Le Président : Bien. D'autres
questions ? Alors s'il n'y a plus de questions, nous allons suspendre l'audience
pendant 1/4 d’heure, et puis faire venir, pendant ce temps-là, le juge d'instruction
et les enquêteurs. Nous n'aurons sans doute pas fini à 5h00 ou 5h30. Nous recommençons
bien après le week-end de repos. 6h00 6h30 ? Voilà. |
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