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14.5.1. Sérénité des débats: 11 mai 2001
Le Président : Bien. Alors,
y avait-il éventuellement d’autres interventions avant que nous ne procédions
à l’audition des témoins de ce matin ? Maître CUYKENS ?
Me. CUYKENS : Oui, Monsieur
le président. Dans la mesure où, comme vous l’avez constaté, Maître MONVILLE
n’est toujours pas arrivé et que c’est Maître MONVILLE qui a notre copie du
dossier, est-ce que je peux vous demander de ne pas commencer par Monsieur HABIMANA
Bonaventure, dans la mesure où vous auriez la possibilité de faire un choix ?
Le Président : Je comptais
de toute façon entendre d’abord Monsieur le témoin 151, ensuite Monsieur le témoin 118…
Me. CUYKENS : Je vous remercie,
c’est tout ce qui nous convient…
Le Président : …et en deuxième
partie de matinée, Monsieur HABIMANA.
Me. CUYKENS : Je vous remercie.
Le Président : Maître VERGAUWEN ?
Me. VERGAUWEN : Oui, je vous
remercie, Monsieur le président. J’aurais souhaité, avant que vous ne poursuiviez
les débats, vous demander la parole pour une petite dizaine de minutes, et je
souhaiterais ne pas être interrompu pour faire une déclaration de la part de
la défense de sœur Gertrude et de sœur Kizito.
Le Président : Déclaration
ou plaidoirie ?
Me. VERGAUWEN : Une déclaration,
Monsieur le président, qui concerne le déroulement des débats.
Le Président : Bien. Vous
avez la parole.
Me. VERGAUWEN : Je vous remercie,
Monsieur le président. Mon propos s’inscrit en fait sur la toile de fond de
la fatigue qui est intense, je crois, et qui se lit sur le visage de chacun
d’entre nous, sur votre visage, Monsieur le président, sur celui des membres
de la Cour, sur celui de Mesdames et Messieurs les jurés, celui des accusés,
celui des avocats des parties civiles et des avocats de la défense. Cette fatigue
est, à notre estime, le signe d’une dérive que nous estimons, ici, à la défense
de sœur Gertrude et sœur Kizito, devoir dénoncer ce matin, et je pèse mes mots,
Monsieur le président, nous estimons devoir la dénoncer avec, à la fois, déférence
mais aussi avec fermeté. Je crois, fondamentalement, que ce procès est en train
de perdre ce qui constitue la condition sine qua non sans laquelle
la justice ne peut pas être rendue, je veux parler de la sérénité.
Mesdames et Messieurs les membres du jury ont assisté, depuis maintenant
plusieurs audiences, et peut-être particulièrement lors de ces dernières audiences,
à des frictions, des tensions, voire même des incidents qui ont, dans la plupart
des cas, pour cause, cette perte de sérénité. Alors, je dis très clairement :
nous ne pouvons plus tolérer que ce procès se poursuive dans ce climat parce
que, Monsieur le président, ce climat met en cause et met en péril l’exercice
le plus élémentaire des droits de la défense, mais j’ai envie de dire, aussi
le plus élémentaire des droits de chacun d’entre nous, dans cette salle d’audience.
Pour ce qui concerne la défense, il est inadmissible que nous voyions trop souvent
des questions que nous souhaitons poser, et que nous nous voyons rabroués, Monsieur
le président, parce que vous estimez, à première vue, que ces questions sont
inopportunes.
Et je voudrais vous rappeler le sursaut que j’avais eu il y a deux
jours, lorsque, à la suite précisément d’un incident, vous aviez rappelé aux
avocats qu’il ne fallait pas poser des questions en dehors du dossier, des questions
sur tout et n’importe quoi. Lorsque nous posons des questions, Monsieur le président,
nous le faisons parce que nous estimons qu’elles sont capitales pour la défense
des intérêts de nos clientes, même si leur utilité n’apparaîtra peut-être que
plus tard, c’est-à-dire pendant les plaidoiries. Il est inadmissible que nous
soyons contraints de siéger de 8h30 parfois jusqu’à 19h30, avec une heure d’interruption
à midi et quelques quarts d’heure pendant la journée, tout cela parce que… parce
que… et c’est la seule raison, des témoins venus du Rwanda doivent reprendre
tel ou tel avion selon qu’ils sont du shift 1, du shift 2, du shift 3.
Nous ne pouvons pas… nous ne pouvons pas accepter que cela continue
comme ça, parce que, Monsieur le président, nous avions… nous avions eu une
réunion, nous avions eu une réunion avant ce procès, sur l’organisation des
débats et au cours de cette réunion, nous avions convenu que les audiences se
dérouleraient de 9h00 à 17h00, mais pourquoi ? Pourquoi ? Eh bien,
pour préserver l’attention de chacun et éviter la fatigue et la lassitude. Il
est inadmissible que des questions de timing viennent imposer, aux uns et aux
autres, des efforts de concentration parfois totalement insurmontables, et je
veux bien ne parler que de moi, ici. Il y a des moments où ça devient insurmontable,
et où la concentration, eh bien, on la perd, et on ne sait plus où on en est.
Alors, Monsieur le président, quand il s’agit de la manifestation de la vérité,
quand il s’agit de la culpabilité ou de l’innocence de quatre accusés, ne pensez-vous
pas que les exigences de calendrier, les exigences d’organisation, de Cours
d’assises successives, eh bien, elles doivent impérativement céder le pas devant
l’exigence fondamentale et bien plus fondamentale de la justice, et de la justice
sereine.
Alors, je le dis tout de go : pour nous, à la défense, le calendrier,
le calendrier n’a pas sa place dans un prétoire de Cour d’assises. L’enjeu est
tellement capital dans une affaire d’assises. Eh bien, que l’on doit, on doit
absolument prendre le temps de juger sereinement. Voilà ce que je voulais vous
dire, Monsieur le président, et je vais terminer en faisant référence à une
question que vous aviez posée, il y a quelques jours, à un témoin qui est venu
dans cette salle d’audience, Monsieur DEGNI-SEGUI, rapporteur de l’ONU. Vous
l’aviez interrogé à la fin de son audition, et vous lui aviez posé la question
de la possible réconciliation au Rwanda. Monsieur DEGNI-SEGUI avait répondu :
« Cette réconciliation ne sera possible que si la justice est rendue ».
Eh bien, Monsieur le président, à moyens… à procès exceptionnel, moyens exceptionnels.
Et nous estimons dès lors, qu’il faut absolument, et c’est le prix à payer,
que ce procès retrouve la sérénité, et, je l’espère, qu’elle sera retrouvée
prochainement. Je vous remercie de m’avoir donné la parole.
Le Président : D’autres
interventions ? Maître GILLET ?
Me. GILLET : Je vous
remercie, Monsieur le président. Je ne m’étais pas préparé à faire cette déclaration
parce que nous n’avons pas été consultés sur celle qui vient d’être faite, mais
nous avons eu des discussions dans les couloirs, hier, à l’occasion des discussions
que nous avons nous-mêmes eues avec vous. C’est un procès qui, je crois, jusqu’à
présent, s’est remarquablement déroulé. Je crois que la démonstration a d’ores
et déjà été faite par le rôle que tout le monde a joué dans ce procès jusqu’à
présent, qu’un tel procès est parfaitement gérable. Un procès qui dure huit
semaines, ce n’est finalement pas exceptionnel pour un procès d’assises en Belgique.
Il y en a qui ont duré plusieurs mois, jusqu’à six mois. Et évidemment, notre
intention n’est pas que ce procès dure si longtemps, vous le savez bien, on
en a déjà parlé. Mais donc, pour être bref, il nous semble évident, à nous parties
civiles, je ne sais pas si j’usurpe en le disant, que nous ne pouvons qu’être
solidaires de la déclaration qui vient d’être faite par les avocats des accusés.
Je vous remercie.
Le Président : Parfait. |
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