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4.1. Lecture de l’acte d’accusation par l’avocat général
L’Avocat Général : Acte d'accusation.
Le procureur général près la Cour d'appel de Bruxelles expose que la Chambre
des mises en accusation a, par arrêt du 27 juin 2000, renvoyé devant la Cour
d'assises de l'arrondissement administratif de Bruxelles Capitale.
NTEZIMANA Vincent né à Murambi, le 18 septembre 1961, inscrit à Wavre,
Chemin de Vieusart, 192/9. L'intéressé ayant fait élection de domicile à Wavre,
Chemin de Vieusart, 192/3 de nationalité rwandaise.
HIGANIRO Alphonse, sans profession, né à Gaseke au Rwanda en 1949,
inscrit à Fontaine-l'Évêque, rue de Beaulieausart, 138, ayant fait élection
de domicile à 1120 Bruxelles, rue François Vickemans, 194, de nationalité rwandaise.
MUKANGANGO Consolata, sœur Gertrude, religieuse, née à Gitarama au
Rwanda le 15 août 1958, résidant à Anhée, rue des Laidmonts, Maredret, 9, ayant
fait élection de domicile chez le père Eddy JADO, rue Marcel Liétard, 31 à Woluwe-St-Pierre,
de nationalité rwandaise.
MUKABUTERA Julienne, sœur Maria Kizito, religieuse, née à Sovu au
Rwanda le 22 juin 1964, résidant à Anhée, rue des Laidmonts, Maredret, 9, de
nationalité rwandaise.
Accusés des crimes prévus par les articles communs 3-50-130 et 147
aux quatre Conventions de Genève du 12 août 1949 article 85, paragraphes 1
et 2 du Protocole additionnel 1 1.2, paragraphes 1 et 4, paragraphe 2 du Protocole
additionnel 2. L'article 1, paragraphe 3 1° 2-4-5 et 6 de la loi du 16 juin
1993, modifiée par la loi du 10 février 1999. Les articles 51-52-53-66-67-392-393
et 394 du Code pénal belge et les articles 21-22-24-89-90-91-166-310 et 393
du Code pénal rwandais.
En conséquence, le procureur général soussigné a rédigé le présent
acte d'accusation, par lequel il expose que, des pièces du procès, apparaissent
les faits et détails suivants.
1° Contexte historique des événements au Rwanda en 1994.
Quelques éléments de l'histoire pré-coloniale et coloniale du Rwanda.
Le Rwanda est un des plus petits pays d'Afrique avec une superficie d'environ
25.000 km, situé au Sud de l'Équateur, dominé par des chaînes montagneuses
et les hauts plateaux de la ligne de partage des eaux entre le bassin du Nil
et celui du Congo, le pays est surnommé le pays des mille collines. Le Rwanda
n'a pas d'accès à la mer et est enclavé entre le Congo, l'Ouganda, la Tanzanie
et le Burundi.
Lors du recensement de 1994 avant les événements, le Rwanda comptait
7,6 millions d'habitants, ce qui en faisait le pays avec la densité la plus
élevée du continent africain. Cette population se composait, avant les événements
de 1994, de 85 à 90 % de Hutu, de 8 à 10 % de Tutsi et de 0,4 %
à 1 % de Twa. Plusieurs thèses existent concernant l'histoire du peuplement
du Rwanda.
Les Twa étaient les premiers habitants mais furent refoulés par les
Hutu agriculteurs qui défrichèrent une grande partie du pays. Les Tutsi pasteurs
seraient arrivés en vagues successives dès avant le 15e siècle de
notre ère. Si ces hypothèses ne peuvent être contrôlées, force est de constater
que les Tutsi sont parvenus à asseoir leur autorité sur les Hutu contrôlant
les richesses, terres et bétails, et les moyens de coercition, administration,
justice, armée. Tant pendant la période pré-coloniale que durant la colonisation,
le Rwanda a été une monarchie dirigée par le Mwami, toujours Tutsi, qui régnait
par l'intermédiaire de représentants officiels et de la noblesse Tutsi. Les
Hutu ne participant à l'administration qu'au niveau intermédiaire et inférieur.
En 1894, le Mwami YUHI MUSINGA place son pays sous protectorat allemand. Les
Allemands décidèrent, dès le début, de favoriser une politique de régime indirect
se basant sur le système politique existant au Rwanda qui était fort et très
centralisé. La colonisation allemande se traduisit dès lors par des traités
de protectorat. occupation sera officialisée par un mandat de la Société des
Nations.
En 1916, la Belgique occupe le Rwanda-Burundi à la suite de sa campagne
contre l'Allemagne pendant la première guerre mondiale et cette
En 1946, sous la tutelle des Nations Unies, le Rwanda devient un
territoire belge. Les colonisateurs belges appliqueront les mêmes principes
que leurs prédécesseurs allemands, s'appuyant donc sur les structures existantes
dominées par les Tutsi, adaptées aux besoins des temps modernes. Cette politique
s'inspirait de la thèse hamitique qui veut que je cite : « Tout
ce qui a de la valeur en Afrique a été introduit par les hamites, branche supposée
de la race caucasienne » fin de citation. Au Rwanda, les hamites étaient
les Tutsi qui, de par leurs caractéristiques physiques, n'avaient pour les Européens
je cite : « Du nègre que la couleur ».
En 1933, les colonisateurs belges introduiront d'ailleurs au Rwanda
la carte d'identité reprenant l'appartenance ethnique du titulaire, établissant
ainsi la distinction permanente entre les Hutu, les Tutsi et les Twa. Le rôle
de l'Église catholique au Rwanda a été d'une importance extrême. Dans un premier
temps, l'Église appliqua la même politique que les autorités belges, favorisant
ouvertement les Tutsi, en privilégiant leur accès à l'enseignement et l'éducation
et en discriminant les Hutu qui ne recevaient, en général, que l'éducation nécessaire
pour le travail à la mine ou dans l'industrie. Les Tutsi vont se rendre compte
de tout le parti qu'ils peuvent tirer de la situation privilégiée qui leur est
faite par le colonisateur et par l'Église et tentent de s'affranchir de la tutelle
politique belge et de l'emprise de l'Église.
A partir du milieu des années 50, des exigences politiques commencent
à être formulées en termes ethniques et des partis politiques plutôt basés sur
des idées ethniques qu'idéologiques se mettent en place : le Mouvement
Démocratique Républicain Parmehutu, le MDR Parmehutu qui est le mouvement des
masses Hutu, l’Union Nationale Rwandaise l'UNAR, le parti des monarchistes Tutsi,
le Rassemblement Démocratique Rwandais le RADER, rassemblant les modérés des
élites Tutsi et Hutu et l'Association pour la Promotion Sociale des Masses,
l'APROSOMA essentiellement Hutu. Vers la fin des années 50, un revirement total
de l'attitude tant des autorités belges que de l'Église catholique, va avoir
lieu. Les portes de l'enseignement s'ouvrent plus largement aux Hutu ainsi que
l'accès aux postes de cadres dans l'administration. Les autorités belges cessent
de soutenir l'aristocratie Tutsi et accordent leur soutien à la majorité Hutu.
Ils retirent leur soutien au Mwami, abandonnent le système d'administration
indirecte et vont conduire le Rwanda vers l'indépendance.
Lors du renouvellement du mandat sur le Rwanda, les Nations Unies
demandent aux autorités belges, de mettre en place des organes représentatifs
pour l'installation d'une administration autochtone en vue de l'indépendance.
Les Tutsi qui veulent l'indépendance, mais en gardant le pouvoir, se rendent
compte du danger du système de suffrage universel, tandis que les Hutu, conscients
de leur poids sur l'échiquier politique, veulent arriver à l'indépendance, au
moins, sur une base d'égalité avec les Tutsi. Cette attitude des Hutu récolte
l'assentiment des autorités belges qui y voient l'assurance que lors de l'indépendance
il n'y aura pas de rupture avec les Hutu.
Le 1er novembre 1959, des violences ethniques éclatent
après que le dirigeant du parti Parmehutu ait été molesté par des jeunes Tutsi.
Il s'ensuit une vaste révolte des masses Hutu, au cours de laquelle de nombreux
Tutsi seront tués. Les autorités belges envoient des troupes au Rwanda mais
celles-ci ne tenteront pas d'écraser la révolte Hutu mais au contraire adopteront
une politique pro-Hutu en installant une administration militaire et en désignant
des Hutu pour remplacer les chefs Tutsi tués ou en fuite. Lors d'élections locales
en juin-juillet 1960, le parti Tutsi essuie une sanglante défaite, n'obtenant
que 16 % des suffrages. Le Mwami KIGERI V quitte le Rwanda et le 18 octobre
1960 les autorités belges accordent l'autonomie interne au gouvernement provisoire
sous la direction de Grégoire le témoin 42, président du MDR Parmehutu. Pendant
cette période la tension entre Hutu et Tutsi va s'aggraver, ces derniers étant
tués, expulsés ou exilés.
Le 25 septembre 1961 les élections législatives débouchent sur une
victoire écrasante des Hutu.
Le MDR Parmehutu obtenant 78 % des suffrages, l'UNAR n'en décrochant
que 17. Un référendum entraîne un rejet massif de la monarchie, le 1er
juillet 1962, l'indépendance est proclamée avec à la tête de l'État, Grégoire
le témoin 42 qui devient ainsi président de la première République.
Conséquences de ces événements sur l'évolution du Rwanda.
Les événements cités ci-dessus, le renversement des alliances et
du rapport de force, auront des conséquences qui détermineront longtemps après
encore l'évolution politique du Rwanda. La première de ces conséquences est
l'exil massif des Tutsi et la problématique des réfugiés auquel il donnera lieu.
Un grand nombre de Tutsi quittera, en effet, le Rwanda, lors des
crises successives de 1959-1961, 1963-1964 et en 1973. Le nombre total de ces
réfugiés et de leurs descendants, était évalué, en 1990, à 600.000, ce qui correspond
à 9 % de la population entière du Rwanda et à la moitié de la population
Tutsi. Ces réfugiés n'ont par ailleurs jamais accepté l'exil comme un fait accompli
et revendiquent leur appartenance au Rwanda et leur droit d'y retourner. C'est
ainsi que, même dès avant l'indépendance, des groupes de réfugiés commencèrent
à faire, à partir des pays environnants, des incursions armées au Rwanda, afin
de récupérer leurs anciennes positions. Les groupes Tutsi qui réalisaient ces
incursions, étaient désignés par les autres Rwandais comme des « Inyenzi
» (ce qui signifie littéralement cancrelats ou cafards). Chaque incursion était
suivie de représailles contre les Tutsi qui étaient restés au Rwanda, par exemple
en 1963, causant la mort d'au moins 10.000 Tutsi, ce qui accélérait les vagues
d'exil. Une autre conséquence est que le pouvoir Hutu saisit l'occasion de redistribuer
les terres abandonnées par les Tutsi exilés et procéda aussi à une redistribution
des postes au sein du gouvernement et de l'administration en faveur des Hutu.
Ainsi l'attaque des Inyenzi de 1963, fut-elle le prétexte à l'élimination physique
de dizaines de milliers de Tutsi dont la majorité des leaders Tutsi restèrent
au pays. Ce fut la fin des deux partis Tutsi, l'UNAR et le RADER, et on en arriva
en fait à l'exclusion virtuelle des Tutsi de la vie publique.
La troisième conséquence est que le Rwanda, après une période initiale
de multipartisme, devint de facto un Etat à parti unique, le MDR Parmehutu,
avec une concentration du pouvoir et un autoritarisme croissant.
La première République.
Dans un discours prononcé à l'occasion du premier anniversaire de
l'Indépendance, le président le témoin 42 avait déjà indiqué sa préférence pour
un parti majoritaire flanqué d'une opposition très minoritaire. En 1965, le
MDR Parmehutu sera le seul parti à proposer les candidats aux élections législatives
et présidentielles, ce parti se donnant le nom de parti national. Des dissensions
ne manqueront pourtant pas de se faire ressentir bientôt au sein du pouvoir
Hutu, forçant le régime à se replier de plus en plus sur lui-même. L'autorité
du président sera renforcée mais aussi l'influence de son entourage, provenant
pour l'essentiel de la même région que lui, à savoir Gitarama (centre du pays).
On constate ainsi un glissement vers un pouvoir ethnique et régional, avec une
ligne de fracture qui s'installe au sein du pouvoir Hutu, entre les personnalités
originaires du Centre et celles provenant du Nord et du Sud. De plus en plus
isolé et confronté au mécontentement des politiciens et des militaires du Nord,
le gouvernement du témoin 42 va finir par recourir à la tactique ethnique. En
1973, une vague de violence éclatera dans les écoles, dans l'administration
et dans les entreprises, visant une fois de plus les Tutsi ; cette déferlante
va cependant déraper. La population va en effet s'en prendre aux riches et pas
uniquement aux Tutsi riches, les Hutu du Nord vont s'en prendre à ceux du Centre,
tandis que les politiciens du Nord vont se braquer sur les administrations et
les entreprises où ils se sentent sous-estimés ou ostracisés. Le ministre de
la défense nationale, le général major Juvénal le témoin 32, politicien originaire
du Nord du pays, renverse, le 5 juillet 1973, le régime de Grégoire le témoin 42,
proclame la dissolution de la première République et l'installation de la deuxième
République.
La deuxième République.
Jusqu'aux événements d'octobre 90, en 1975, deux ans après son arrivée
au pouvoir, le président le témoin 32 institue le régime d'un Etat à parti unique,
à savoir le Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement, MRND,
dont tout Rwandais était membre d'office dès sa naissance.
En 1978, le Rwanda deviendra officiellement un Etat à parti unique
avec pour conséquence que ce parti devint en fait un parti-Etat, constituant
avec le gouvernement une seule et unique entité. Dans un premier temps, l'arrivée
au pouvoir du général le témoin 32 avait suscité beaucoup d'enthousiasme, tant
à l'intérieur du pays, même auprès des Tutsi, qu'à l'étranger. La marginalisation
et la discrimination des Tutsi restaient d'application, leur accès aux écoles,
aux universités et dans les administrations faisait toujours l'objet d'une politique
de quotas, comme sous le témoin 42, mais le régime s'était gardé d'une politique
trop ouvertement anti-Tutsi. La deuxième République s'est également ouverte
vers l'extérieur s'attirant ainsi une aide étrangère considérable dans les années
70, le gouvernement put ainsi poursuivre une politique d'investissement et de
construction d'une infrastructure importante. L'économie rwandaise connut une
certaine croissance, de telle sorte que le Rwanda, au cours des années 80, était
considéré comme une économie africaine florissante avec une dette modérée, en
comparaison avec les autres pays de ce continent.
Vers le milieu des années 80, le Rwanda fut frappé par la crise économique
due à l'effondrement du prix du café et de l'étain sur les marchés internationaux.
En outre, avec l'usure du pouvoir, la politique menée par le témoin 32 devient
de plus en plus anti-Tutsi mais également, reproduisant ainsi la même erreur
que son prédécesseur le président le témoin 42, de plus en plus régionale. La discrimination
ne frappait plus les seuls Tutsi mais s'appliquait également aux Hutu, favorisant
ceux originaires de la région du président, le Nord-Ouest, Gisenyi et Ruhengeri,
au détriment des Hutu des autres régions du pays, occasionnant ainsi une opposition
grandissante à l'intérieur même du Rwanda. En fin de compte, le président le témoin 32
se trouvait entouré d'un petit cercle de proches, originaires de sa région et
de celle de son épouse, constituant ce que l'on appelait l’Akazu, la petite
maison, c'est-à-dire les intimes du président. Toutefois, le président le témoin 32
avait accepté, le 24 septembre 1990, la création d'une commission nationale
d'experts, chargée d'étudier la réforme politique et permettant la création
de plusieurs partis politiques.
La crise rwandaise de 1990 à 1994.
Le 1er octobre 1990, le Front Patriotique Rwandais, le
FPR, attaque le Nord-Est du pays à partir de l'Ouganda. Le FPR est l'émanation
des réfugiés Tutsi et de leurs descendants qui ont fui le Rwanda lors des crises
successives et a été créé en Ouganda au début de l'année 1988. Le FPR revendiquait
le droit de retourner au Rwanda, alors qu'en 1986, les autorités rwandaises
avaient annoncé que le pays était trop petit et trop peuplé pour permettre un
tel retour. Toutefois, le gouvernement rwandais avait nommé, en 1989, une commission
chargée d'étudier le problème des réfugiés et en juillet 90, un troisième accord
ministériel avait été conclu entre le Rwanda et l'Ouganda sur cette problématique.
Le FPR, bien que luttant en priorité pour le retour des réfugiés au Rwanda,
élabora aussi un programme politique accusant le régime du témoin 32 de corruption,
de pratique anti-démocratique et de discrimination ethnique incluant ainsi le
renversement de ce régime parmi ses objectifs. Le FPR n'éprouve guère de difficulté
à venir à bout des maigres troupes déployées par les Forces Armées Rwandaises,
le FAR, et se dirige tout droit vers la capitale Kigali. Le 4 octobre 1990,
le FPR se trouve à environ 70 km de Kigali. Pour faire face à cette situation,
la Belgique et la France décident d'envoyer, le 4 octobre 1990, des militaires
au Rwanda, dans le cadre d'une mission qualifiée d'humanitaire, et ayant pour
but de protéger les ressortissants étrangers et de permettre, le cas échéant,
leur évacuation. Le Zaïre envoie également 500 hommes pour aider les FAR. Grâce
à l'appui des troupes étrangères, les FAR repousseront le FPR de l'autre côté
de la frontière ougandaise.
Suite aux événements d'octobre 1990, les autorités rwandaises accuseront
les Tutsi ainsi que les opposants Hutu, d'être complices des envahisseurs et
ordonneront l'arrestation d'environ 13.000 personnes. Les événements d'octobre
1990, l'opposition interne croissante, la pression exercée sur le régime par
le FPR ainsi que la pression internationale, vont accélérer le processus d'instauration
du multipartisme. Le 10 juin 1991, la nouvelle Constitution instaure le multipartisme
et le 18 juin 1991 la loi sur les partis politiques est promulguée. Très rapidement
plusieurs partis font leur apparition. Le Mouvement Démocratique Républicain,
le MDR, le plus important en terme de nombre, se prévalant des liens historiques
avec le MDR Parmehutu. Le Parti Social Démocrate, le PSD, qui semble avoir sa
base dans le Sud, le Parti Libéral, PL, le Parti Démocrate Chrétien, PDC. La
place de premier ministre est institutionnalisée et le président prône la tenue
d'élections parlementaires dans un avenir proche. Les nouveaux partis ont toutefois
très rapidement signé une déclaration commune rejetant l'idée d'élections aussi
rapides qui ne pourraient profiter qu'au seul MRND, au pouvoir depuis deux décennies.
Ces partis proposent la tenue d'une convention nationale pour discuter de la
réforme politique et de la tenue d'élections démocratiques. Le président le témoin 32
refuse, et sans tenir compte des exigences des autres partis et sans élections,
charge le 13 octobre 1991 son ministre de la justice Sylvestre NSANZIMANA de
la formation d'un gouvernement. De fait, celui-ci sera homogènement MRND, à
l'exception d'un ministre issu du PDC. Très rapidement, suite aux protestations
et manifestations de l'opposition, le président le témoin 32 sera amené à conclure
un accord entre le MRND et les partis d'opposition, en vue de la formation d'un
gouvernement de coalition.
Le 16 avril 1992, le premier ministre Dismas NSENGIYAREMYE annonce
la formation d'un gouvernement avec transition, composé du MRND, du MDR, du
PSD, du PL et du PDC. Pendant la durée du conflit avec le FPR, les relations
entre le témoin 32 et le MRND d'une part et le parti de l'opposition d'autre
part, resteront très tendues. L'opposition interne étant accusée de collaborer
avec le FPR et avec les Tutsi qui de plus en plus étaient dépeints comme des
ennemis ethniques. C'est à cette époque, que l'on verra émerger un nouveau parti,
la Coalition pour la Défense de la République, CDR, parti extrémiste pro-Hutu.
Les différents partis vont également former des milices de partis qui vont se
livrer à des actes de plus en plus violents contre leurs rivaux. Le MRND va
ainsi transformer la jeunesse du parti, les Interahamwe, plus nombreuse et mieux
organisée que les jeunesses des autres partis, en véritable milice, qui recevra
d'ailleurs à partir de 1992, un entraînement militaire assuré par des soldats
réguliers. L'arrivée des partis d'opposition au gouvernement va contraindre
le président le témoin 32 à entamer des négociations sérieuses avec le FPR. Des
discussions préliminaires auront lieu en mai et en juin 92 à Paris et à Bruxelles
entre le MDR, le PSD et le PL d'une part et le FPR d'autre part, en vue d'entamer
des négociations de paix pour arriver à un cessez-le-feu, de débattre d'une
avancée dans la voie de la démocratisation, dès l'intégration du FPR dans le
gouvernement et des réformes militaires. L'accord de cessez-le-feu intervient
en juillet-août 1992 à Arusha en Tanzanie et confirme, du moins tacitement,
le contrôle du FPR sur le Nord-Est du pays.
Les négociations continueront pendant un an et prendront fin le 4
août 1993 par la signature des accords d'Arusha, qui sont en fait une enveloppe
contenant plusieurs Protocoles et accords portant sur le cessez-le-feu, le Protocole
d'accord sur l'Etat de droit, des Protocoles d'accord sur le partage du pouvoir,
dans le cadre d'un gouvernement de transition à base élargie, d'un Protocole
d'accord sur le rapatriement des réfugiés et la réinstallation des personnes
déplacées, d'un Protocole d'accord relatif à l'intégration des forces armées
des deux parties et d'un Protocole d'accord portant sur les dispositions finales.
Une période de transition divisée en deux parties est prévue, les
institutions de transition devront être mises en place endéans les 37 jours
suivant la signature des accords de paix, soit le 10 septembre 1993 au plus
tard, alors que la période de transition est de 22 mois à compter de l'installation
du gouvernement de transition à base élargie.
Le Conseil de Sécurité des Nations Unies décide, le 5 octobre 1993,
de la mise en place d'une mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda,
la MINUAR forte de 2.548 soldats. A la fin du mois de décembre 1993, la MINUAR
avait déployé au Rwanda près de 1.300 casques bleus dont 370 soldats belges
affectés dans la capitale Kigali. Le 23 octobre 1993, le Président du Burundi,
Melchior NDADAYE, un Hutu, est assassiné au cours d'une tentative de coup d'état
par les militaires Tutsi du Burundi. Cet assassinat va relancer les extrémistes
Hutu au Rwanda qui vont lancer un appel pour une solidarité entre tous les Hutu
dépassant le cadre des partis politiques et faisant appel aux Hutu Power. Le
président le témoin 32 lui-même, le MRND et le CDR remettront en cause, à plusieurs
reprises, l'interprétation des accords d'Arusha. Le FPR, quant à lui, rejette
toutes ces initiatives qui donnent l'impression d'une renégociation complète
des accords. L'entrée en fonction du nouveau gouvernement, prévue initialement
pour le mois de janvier 1994, sera reportée à plusieurs reprises pour finalement
être fixée à début avril 1994. Les assassinats et les émeutes se multiplient.
Des dirigeants du CDR et du PSD sont tués en février 94 et dans les jours qui
suivent les Interahamwe et les milices du CDR massacreront, à Kigali, de nombreux
Tutsi et des Hutu opposés au président. La Radio Télévision Libre des Mille
collines, RTLM, radio libre, dont les fondateurs gravitent dans l'entourage
du président et de l’Akazu, intensifie sa campagne anti-Tutsi et anti-belges.
En outre, plusieurs informations recueillies font état de l'armement et de l'entraînement
des milices Interahamwe et de l'existence des caches d'armes importantes. Vers
la fin du mois de mars 1994, le gouvernement de transition n'est toujours pas
en place et la situation devient de plus en plus explosive. Les Nations Unies
et la Communauté Internationale font pression pour que toutes les parties appliquent
les accords d'Arusha, et le 6 avril 1994, le président le témoin 32 se rend à
Dar-es-Salaam en Tanzanie, pour y rencontrer les chefs d'Etat des pays voisins
et discuter de la mise en œuvre des accords d'Arusha.
L'attentat contre l'avion présidentiel et le déclenchement du génocide.
Le 6 avril 94, l'avion présidentiel ramenant le président le témoin 32
de Dar-es-Salaam, ayant à son bord également le président NTARYAMIRA du Burundi
et plusieurs personnalités, est abattu vers 20 heures 30, par des missiles sol-air
tirés d'un lieu proche de l'aéroport de Kigali, au moment où il s'apprêtait
à atterrir. Il n'y a aucun survivant. Immédiatement l'armée rwandaise et la
milice dressent des barrières routières autour de la ville de Kigali. Avant
l'aube du 7 avril 1994, la garde présidentielle déclenche le massacre dans toutes
les régions du pays des Tutsi et des Hutu modérés favorables aux accords d'Arusha.
Le premier ministre du gouvernement de coalition, Madame Agathe UWILINGIYIMANA
ainsi que son mari, sont assassinés le 7 avril 1994. Il en va de même pour plusieurs
ministres de la coalition gouvernementale et le président de la Cour Suprême.
L'armée rwandaise capture 15 soldats de la MINUAR dont 10 casques bleus belges,
dépêchés au domicile du premier ministre pour assurer sa protection et son escorte,
et les livre, vers 9 heures du matin, au camp militaire de Kigali.
Les 5 soldats ghanéens sont séparés du groupe et mis en sécurité
tandis que les 10 casques bleus belges sont laissés aux mains d'une foule déchaînée
de soldats rwandais. 5 casques bleus belges seront lynchés sur place tandis
que 5 autres réussiront à se réfugier dans un petit local où ils seront tués
après avoir opposé une résistance farouche.
L'assassinat de 10 casques bleus belges entraîne le retrait du contingent
belge de la MINUAR. Dans l'après-midi du 7 avril 1994, les troupes du FPR quittent
leur quartier et la zone du Nord et reprennent la guerre ouverte avec l'armée
rwandaise. Les autorités du gouvernement intérimaire vont clairement appeler
à s'unir contre je cite : « L'ennemi que nous avons toujours connu,
l'ennemi qui veut ré-instaurer la monarchie féodale », fin de citation
- à savoir les Tutsi. Le président intérimaire, le premier ministre et plusieurs
ministres du gouvernement intérimaire se rendront personnellement dans des régions
restées relativement calmes, pour inciter au génocide. C'est notamment le cas
de la région de Butare. Les massacres continueront jusqu'au 18 juillet 1994,
date de l'entrée victorieuse du FPR dans la capitale Kigali. Le nombre total
des victimes au cours de ces 13 semaines, à partir du 6 avril 1994, est évalué
selon les sources, entre 500.000 à 1.000.000 de personnes.
Les faits de la cause, la procédure qui est actuellement soumise
à la Cour d'assises est composée de deux dossiers qui, en raison de la connexité,
ont été joints par la Chambre du conseil de Bruxelles, par ordonnance du 28
mars 2000. Il s'agit, d'une part, du dossier 3097155895 le numéro 3795 en cause
de NTEZIMANA Vincent et HIGANIRO Alphonse, et d'autre part, du dossier 5299326095
le numéro 6295 en cause des deux sœurs accusées MUKANGANGO Consolata (sœur Gertrude)
et MUKABUTERA Julienne (sœur Maria Kizito). Les faits qui sont repris dans ce
dossier et mis à charge des accusés, se déroulent, pour la plupart, dans la
préfecture de Butare dans le Sud du Rwanda. Il convient de signaler à cet égard
que, dans un premier temps, la région de Butare avait été relativement épargnée
par les massacres. Cela était en grande partie dû à l'attitude du préfet de
Butare, Jean-Baptiste le témoin 32, seul préfet Tutsi au Rwanda qui s'était toujours
opposé aux massacres. Il sera toutefois démis de ses fonctions le 17 avril 1994,
capturé quelques semaines plus tard et exécuté à Gitarama. Le président intérimaire,
le premier ministre intérimaire et plusieurs ministres se rendront à Butare
le 19 avril 1994, pour inciter la population à une intensification des massacres
qui, dès lors, vont effectivement se répandre dans toute la région.
Le dossier numéro 3795 à charge de NTEZIMANA et de HIGANIRO.
Ce dossier a été mis à l'instruction en date du 2 mars 1995, suite
à une injonction positive du ministre de la justice. Monsieur NTEZIMANA Vincent
a été arrêté à son domicile belge par la police judiciaire de Bruxelles en date
du 27 avril 1995, le même jour il fut placé sous mandat d'arrêt du chef des
crimes de droit international constituant des infractions graves aux Conventions
de Genève du 12 août 1949 et aux Protocoles additionnels 1 et 2 tels que visés
à la loi du 16 juin 1993. Son arrestation fut maintenue jusqu'au 28 juin 1996
date de sa remise en liberté provisoire.
Les faits reprochés à Vincent NTEZIMANA.
Les listes.
Dès la mort du président de la République du Rwanda, Juvénal le témoin 32,
dans la nuit du 6 au 7 avril 1994, face à l'insécurité grandissante, des professeurs
et autres membres du personnel de l'Université Nationale du Rwanda (UNR) à Butare
cherchèrent à rejoindre leur région d'origine, ou, pour les Tutsi, à prendre
la fuite vers le Burundi, pays étranger le plus accessible et le moins distant
de Butare. Ils s'adressèrent au président de l'Association du Personnel Académique
de l'UNR (APURO), Monsieur Vincent NTEZIMANA, afin que l'université organise
ces départs. NTEZIMANA, avec l'accord du vice-recteur Jean Berckmans NSHIMYUMUREMYI,
prit l'initiative d'établir trois listes reprenant les noms et numéros de cartes
d'identité des candidats au départ, en fonction de la destination choisie, soit
le Nord, Gisenyi-Ruhengeri, soit le Sud-Ouest, Cyangugu, soit le Sud, Bujumbura
au Burundi. Si les listes ont bien été établies, elles n'ont pas servi à une
évacuation quelconque.
Le professeur KARENZI s'était inscrit avec sa famille sur la liste
des personnes qui voulaient rejoindre le Burundi. Sur cette liste ne figuraient
que des Tutsi, seuls désireux de quitter le Rwanda. C'est Vincent NTEZIMANA
lui-même, qui, dans un document qu'il établit de sa propre initiative en octobre
1994, afin de répondre à ce qu'il considérait comme étant des rumeurs, évoqua
qu'il avait établi une liste reprenant les noms de membres du personnel de l'université
nationale qui souhaitaient être évacués. La démarche qu'il entreprit en sa qualité
de président de l'APURO, visait à obtenir des autorités de l'université, des
véhicules pour organiser des convois à destination de Bujumbura, Cyangugu et
Gisenyi. Vincent NTEZIMANA a déclaré ultérieurement que le vice-recteur, chez
lequel il avait déposé ces listes, lui avait signifié qu'il n'était pas possible
d'organiser ces évacuations. En effet, s'il était possible d'organiser des convois
vers le Nord du pays Ruhengeri, Gisenyi et vers le Sud-Ouest, Cyangugu, parce
que les personnes qui les auraient composés appartenaient toutes à l'ethnie
Hutu et ne couraient donc aucun danger, il n'en était pas de même pour le convoi
vers le Burundi, dont la demande émanait exclusivement de personnes appartenant
à l'ethnie Tutsi. En effet, le convoi Tutsi aurait été l'objet d'attaques et
n'aurait pas pu passer les barrières.
Le vice-recteur décida dès lors de n'organiser aucun convoi, ni vers
le Nord ou le Sud-Ouest pour les familles des professeurs Hutu ni vers le Sud
et le Burundi pour les professeurs Tutsi. Vincent NTEZIMANA a reconnu que les
listes à l'élaboration desquelles il avait présidé, étaient restées en possession
du vice-recteur de l'UNR. Il faut signaler que cette personne, Jean Berckmans
NSHIMYUMUREMYI, est désignée par les survivants comme étant l'un des grands
responsables du génocide des membres de l'UNR de Butare. Vincent NTEZIMANA prétend
qu'il n'a pas élaboré les listes des familles Tutsi en vue de préparer leur
extermination. Il reconnaît qu'il les a laissées au domicile du vice-recteur
qui a conservé ces listes. Il dit également ignorer l'usage qui a pu en être
fait.
L'instruction démontrera que les professeurs KARENZI et KANAMUGIRE
avaient inscrit leurs noms sur la liste des personnes désirant être évacuées
vers Bujumbura au Burundi. Ils ont été tous deux exterminés avec leurs deux
familles.
Il est totalement invraisemblable que NTEZIMANA ait pu procéder à
l'élaboration des listes des Tutsi, en vue de leur évacuation vers le Burundi,
en croyant que cette évacuation pourrait avoir lieu, car l'intéressé ne pouvait
ignorer que les familles Tutsi étaient gravement menacées. Il apparaît plutôt
que, sous prétexte d'organiser leur évacuation, NTEZIMANA ait pu obtenir une
liste de certaines familles Tutsi qui, en demandant une évacuation, s'étaient
elles-mêmes désignées comme ennemies, et même qu'il ait collaboré à un stratagème
visant à empêcher que des familles Tutsi ne prennent la fuite individuellement,
alors qu'il était encore temps, sous prétexte de pouvoir bénéficier d'une évacuation
collective sous l'égide de l'UNR, qui fournirait les véhicules et en assurerait
la sécurité. En tout état de cause, même si on devait admettre que NTEZIMANA
ait procédé à l'élaboration des listes pendant ou pensant que l'évacuation pourrait
avoir lieu, évacuation que plusieurs témoins ont estimé être un mensonge voire
un piège, il reste un fait que NTEZIMANA, après que le vice-recteur lui signifia
qu'il ne procéderait pas à cette évacuation parce que les Tutsi seraient exterminés
aux barrières n'a rien entrepris pour s'assurer qu'aucun mauvais usage ne
serait fait de la liste qu'il avait établie ou pour tenter de la récupérer,
puisqu'elle n'existait, selon lui, qu'en un seul exemplaire manuscrit.
Il convient aussi de souligner que l'accusé n'a pris aucune mesure
en vue d'assurer la protection des familles qui s'étaient inscrites sur cette
liste et notamment la famille voisine et amie de Pierre-Claver KARENZI. Il est
totalement exclu, par ailleurs, que Vincent NTEZIMANA ait pu ne pas savoir au
moment où il a procédé à l'élaboration de ces listes, et au moment où il les
a laissées dans les mains du vice-recteur avec une demande expresse que l'UNR
fournisse des véhicules pour assurer le transport, qu'un mauvais usage pourrait
en être fait. De plus, au moment où l'intéressé a constaté que l'université
n'organiserait pas les transports demandés, il devait nécessairement se rendre
compte que les personnes, qui s'étaient ainsi désignées comme ennemies, couraient
un très grave danger. On ne peut pas comprendre, dès lors, sauf à considérer
que l'accusé ne voyait pas d'un mauvais œil que les personnes figurant sur cette
liste soient en grand danger, qu'il n'ait entrepris aucune démarche pour récupérer
ces listes et/ou, à tout le moins, pour s'assurer qu'un mauvais usage ne pourrait
en être fait. Il convient, en outre, de signaler à cet égard, que l'élaboration
des listes de victimes et de cibles a été un instrument extrêmement important
dans la préparation et l'exécution des massacres au Rwanda. On peut d'ailleurs
se demander pourquoi NTEZIMANA a remis des listes nominatives au vice-recteur
alors qu'il eût été suffisant de rédiger une demande globale en précisant seulement
le nombre de candidats passagers par destination.
L'assassinat de la famille KARENZI.
Pierre-Claver KARENZI était professeur à la faculté des sciences
de l'Université Nationale du Rwanda (UNR) à Butare depuis 1968. Vincent NTEZIMANA
était un de ses collègues. Leurs bureaux étaient contigus à la faculté des sciences ;
ils étaient également proches voisins à Buye dans le quartier des professeurs,
proche du centre de Butare, où ils occupaient chacun avec leurs familles, une
villa mise à leur disposition par l'Université. Dans la nuit du 6 au 7 avril
1994, Monsieur Pierre-Claver KARENZI était chez lui ainsi que son épouse MUKAMUSONI
Alphonsine, ses enfants KARENZI Solange âgée de 22 ans, KARENZI Malik âgé de
20 ans, KARENZI Mulinga âgée de 12 ans environ ainsi que KANYABUGOYI Thierry
âgée de 12 ans, KANYABUGOYI Emeri âgée de 7 ans et une nièce de Monsieur KARENZI
prénommée Séraphina. le témoin 134, une amie de Solange KARENZI, habitait
également chez les KARENZI, elle travaillait, tout comme Solange KARENZI, pour
Médecins Sans Frontières Belgique au Rwanda.
Dès le matin du 7 avril 1994, lorsqu'il fut clair que des massacres
avaient été perpétrés à Kigali et qu'un couvre-feu ait été établi à Butare,
la gravité de la situation fit l'objet de discussions. Monsieur KARENZI avait
mis au point, dès avant le 6 avril 1994, pour affronter la dégradation de la
situation et l'aggravation de l'insécurité, en collaboration avec trois de ses
collègues professeurs à l'université et qui étaient aussi ses voisins immédiats,
un système de gardiennage privé de leur parcelle, durant la nuit. Vincent NTEZIMANA
faisait partie de ce groupe. Le système de protection évolua avec la situation
et Monsieur KARENZI aurait vraiment cru que ce système serait efficace. Au sein
du groupe familial aussi, les discussions tournèrent autour du problème de prendre
la fuite ou pas. Monsieur KARENZI se serait ainsi opposé à ses grands enfants
et à son épouse qui voulaient fuir. Lui, faisait confiance à son système d'autoprotection
mis en place avec ses collègues-voisins, en ce compris Vincent NTEZIMANA.
Le récit de la mort du professeur KARENZI et de son épouse repose
sur les témoignages d'le témoin 134, seule survivante des dix personnes
qui habitaient dans la parcelle des KARENZI, le 21 avril 1994, et sur le récit
que les enfants KARENZI firent aux religieuses du couvent des benebikira à Butare,
où ils se réfugièrent le 22 avril 1994.
Le 21 avril 1994, vers 15 heures, Pierre-Claver KARENZI reçut un
appel téléphonique. A peine avait-il répondu, manifestant par là sa présence,
que l'interlocuteur raccrocha. Monsieur KARENZI fit immédiatement lever tous
les enfants qui faisaient la sieste à ce moment. En effet, depuis plusieurs
jours, les enfants passaient la nuit cachés dans une bananeraie aux alentours
de la maison, par peur, et ils essaient de prendre quelques repos pendant la
journée. Monsieur et Madame KARENZI firent monter tous les enfants dans les
faux plafonds. Ils remirent de l'argent des francs rwandais et belges, des
dollars qu'ils partagèrent entre les enfants ; ils donnèrent aussi la
clé de la trappe d'accès au plafond à Malik, leur fils âgé de 20 ans. Avant
même que celui-ci ait pu se dissimuler dans le plafond en effet, il avait
aidé les autres enfants à grimper dans la cachette des gens se présentaient
à la porte. Après que Madame KARENZI se fut aussi avancée vers la porte et que
Monsieur KARENZI ait répondu que les enfants étaient partis en ville, les assaillants
se précipitèrent dans la maison pour y rechercher les enfants. Ils se livrèrent
au pillage, au fur et à mesure qu'ils découvrirent des objets de valeur.
le témoin 134 entendit aussi que Madame KARENZI remit une somme
d'argent aux assaillants. Les assaillants interrogèrent Madame KARENZI pour
savoir si elle était Tutsi. Ils finirent par lui demander de donner le nom d'un
voisin qui pourrait certifier qu'elle n'était pas une Inyenzi. Le prénom Vincent
fut cité. Un appel téléphonique fut donné et le membre de la garde présidentielle
dit quelques instants plus tard que le correspondant avait répondu que Madame
KARENZI était une Inyenzi. A ce moment, Monsieur KARENZI Pierre-Claver n'était
plus sur place. Il avait été emmené pour une destination inconnue. Les militaires
tinrent conseil pour discuter du sort de Madame KARENZI. Ils décidèrent de l'épargner,
vu son grand âge et ils partirent. Quelques minutes plus tard, un des militaires
revint à la maison et se fit à nouveau ouvrir la porte. Il demande encore de
l'argent à Madame KARENZI qui lui montra son sac à main vide. Deux coups de
feu éclatèrent et Madame KARENZI s'écroula, agonisante puis elle mourut. Les
sept enfants toujours cachés dans le plafond entendirent tous ces événements
qu'ils purent facilement interpréter sans rien voir. Plusieurs pleurèrent mais
ils parvinrent à maîtriser leur terreur et leurs larmes en s'incitant mutuellement
au calme, dont dépendait leur survie immédiate. Comme plus aucun bruit ne trahissait
une présence dans la maison, les enfants décidèrent de descendre du plafond,
ils sortirent de la maison et se réfugièrent à nouveau dans la bananeraie.
Le lendemain matin, le 22 avril 1994, les enfants se réfugièrent
au couvent des sœurs benebikira, situé dans le même secteur et distant de leur
propre maison de quelques centaines de mètres. Ils y arrivèrent après avoir
été contrôlés et arrêtés par des militaires. Les enfants firent ensemble le
récit de la mort de leur mère et de leur fuite devant l'ensemble de la communauté
religieuse. Les enfants KARENZI sont demeurés au couvent jusqu'au 30 avril 1994.
Ce jour, des militaires ont investi le couvent, toutes les personnes qui étaient
présentes au couvent et qui ne faisaient pas partie de la communauté religieuse,
ont été rassemblées à l'extérieur du couvent.
Seule le témoin 134 qui s'était cachée dans un W.-C. est restée
dans le couvent. Les autres ont été sélectionnées sur base de leur physionomie
ou de la mention ethnique figurant sur leur carte d'identité. Celles qui paraissaient
être Tutsi n'ont pas pu retourner au couvent et 26 personnes, parmi lesquelles
les 6 enfants KARENZI et beaucoup d'autres enfants, ont été emmenées. Malik
et Solange KARENZI n'auraient pas été assassinés de suite mais ne seraient morts
que huit jours plus tard, au terme d'un calvaire incroyable. Des dix personnes
présentes dans la maison KARENZI, le 21 avril 1994, une seule a survécu, Yvette
le témoin 134.
Le professeur Pierre-Claver KARENZI quant à lui, fut assassiné devant
l'hôtel Faucon de Butare. Plusieurs personnes y furent alignées parmi lesquelles
se trouvait le professeur KARENZI, attendant d'être massacrées. Les Interahamwe
tuèrent deux hommes, deux femmes, des enfants ; un homme prit la fuite
et les Interahamwe le poursuivirent en lui tirant dessus. Le docteur Etienne
MBARUTSO qui faisait également partie des personnes alignées, profita de la
confusion pour s'échapper lui-même et rejoindre son domicile. Pendant sa fuite,
il entendit encore deux coups de feu alors qu'il était presque arrivé chez lui,
il fut rattrapé par quelqu'un qui courait aussi et qui lui dit que Pierre-Claver
KARENZI venait d'être abattu.
Au cours des commissions rogatoires internationales, les enquêteurs
belges se sont rendus dans l'immeuble occupé par la famille KARENZI. Les faux
plafonds présentent effectivement des affaissements qui peuvent être la conséquence
d'une surcharge pondérale. Il est également établi qu'un téléphone se trouvait
dans la maison. Vincent NTEZIMANA nie avoir reçu un appel téléphonique le 21
avril après-midi, mais il devra bien reconnaître qu'il ne connaît pas d'autre
Vincent à l'UNR. Il se rendit le lendemain, 22 avril 94, dans la maison des
KARENZI, en compagnie d'un collègue et voisin, le docteur en médecine Bernard
le témoin 93. Ils aperçurent ainsi le cadavre de Madame KARENZI.
Vincent NTEZIMANA prétend qu'il a toujours tout ignoré du sort des
enfants KARENZI. Il dit avoir constaté leur absence de leur maison, le 22 avril
94, lorsqu'il se rendit avec le docteur le témoin 93. NTEZIMANA prétend qu'il
a appris le meurtre de Pierre-Claver KARENZI, le 21 avril 94, alors qu'il se
trouvait chez des voisins, dans la maison du témoin 143. Il aurait
quitté cette maison vers 13-14 heures après y avoir passé 3 ou 4 heures. Il
se serait ensuite rendu chez des copains pour jouer aux cartes, comme il en
avait pris l'habitude. A l'époque des faits, la maison du témoin 143
était occupée par Monsieur Jean-Bosco SEMINEGA. Elle-même et son époux le témoin 42
Hildebrand avaient quitté le Rwanda depuis quelques jours. Jean-Bosco SEMINEGA
a refusé de signer une déclaration, mais il ressort, de deux procès-verbaux
de renseignements dont un corrigé de la main de Monsieur le témoin 150, que ce dernier
n'évoque pas la présence de Monsieur NTEZIMANA chez lui, dans la journée du
21 avril 94.
Madame le témoin 143 a contesté la validité du témoignage
de Jean-Bosco SEMINEGA qui d'après elle, aurait fait l'objet de pressions. Une
commission rogatoire a été adressée en janvier 96 au Rwanda dont il résulte
que le nommé le témoin 150 ait exclu de façon claire et nette qu'il ait fait l'objet
de pressions.
Concernant l'appel téléphonique dirigé depuis la maison des KARENZI
vers un certain Vincent. Vincent NTEZIMANA a eu connaissance du fait que les
enfants de la famille KARENZI ont déclaré qu'ils avaient entendu leur maman
citer son prénom comme étant une personne qu'on pouvait appeler et qu'on pourrait
préciser si elle était Inyenzi ou pas. Ce sont les enfants, alors qu'ils étaient
réfugiés au couvent des benebikira, qui ont émis l'hypothèse que le Vincent
que les militaires contactèrent, devait être le voisin et collègue de leur papa.
le témoin 134, quant à elle, ne connaissait pas Vincent NTEZIMANA.
Il semble dès lors établi que Vincent NTEZIMANA a bien reçu un appel
téléphonique au cours duquel il précisa que Madame KARENZI était un Inyenzi,
ce qui le rend responsable de sa mort, quand bien même cette mort ne serait
pas intervenue directement. Le premier groupe des assaillants s'est retiré en
lui laissant la vie sauve. En la désignant comme Inyenzi, il accordait à son
correspondant un permis de tuer visant non seulement Madame KARENZI, mais également
ses enfants figurant aussi sur la liste dressée par l'accusé NTEZIMANA, recherchés
par les Interahamwe et qui, privés de leur père et mère, seront tués dans les
jours qui suivront.
Assassinat de la jeune fille.
Deux jeunes filles qui habitaient chez un voisin du capitaine NIZEYIMANA
à Butare, s'étaient réfugiées chez ce dernier. Elles vinrent loger chez NTEZIMANA
Vincent, parce que la place faisait défaut chez le capitaine NIZEYIMANA ;
elles y arrivèrent en même temps qu'un jeune homme âgé de 23 ans, Innocent NKUYUBWATSI,
avant le début des massacres, le 20 avril 94. En rentrant chez lui, une fin
d'après-midi vers la mi-mai 1994, NTEZIMANA découvrit dans le jardin de sa résidence
une de ces deux jeunes filles. Elle était gravement blessée et le dénommé Innocent
NKUYUBWATSI s'approcha d'elle avec un couteau et l'acheva sous les yeux de Vincent
NTEZIMANA, il n'y eut aucun geste ni aucune parole pour empêcher ce meurtre
dont il fut le témoin. NTEZIMANA a lui-même évacué le cadavre de sa parcelle.
Il faut souligner que ce fait a été porté à la connaissance des enquêteurs
par Vincent NTEZIMANA lui-même. Celui-ci fait état de la présence sur les lieux,
au moment du meurtre, du témoin 118 et du témoin 142, lesquels
ne le confirmeront absolument pas. NTEZIMANA déclare et maintient encore actuellement
que le témoin 142 et le témoin 118 étaient présents dans la maison lors du meurtre de
la jeune fille. Il admet toutefois qu'il est possible qu'ils n'aient pas été
témoins de ces faits. Il s'agit donc d'un fait rapporté uniquement par NTEZIMANA
et qu'il situe vers le 10 mai 1994.
Il faut souligner ici que quelques témoins ont fait état de rumeurs
concernant la mort violente d'une ou des domestiques de NTEZIMANA voire par
NTEZIMANA lui-même. Il s'agit de Jean-Bosco SEMINEGA, le témoin 119, Bernadette
le témoin 91 et son époux TWAGIRAMUNGU Baptiste ainsi que RUDONDO Alfred. L'un
de ces témoins relie d'ailleurs cette mort au fait que la ou les jeunes filles
avaient assisté à des réunions tenues chez NTEZIMANA ou chez le capitaine NIZEYIMANA
et qu'elles en auraient trop appris. Si on prend le récit de NTEZIMANA comme
étant la vérité, la question peut être posée de savoir si la réaction ou l'absence
de réaction de Vincent NTEZIMANA a été conforme aux exigences de la loi de 1993.
En effet, Innocent NKUYUBWATSI est un jeune homme de 22 ou 23 ans à l'époque
des faits, originaire de la région de Ruhengeri ; il est un déplacé de
guerre. Cela signifie qu'il a quitté sa région natale, vraisemblablement en
1990, suite à l'attaque du FPR dans le Nord du pays. Il aurait d'abord été militaire,
élève sous-officier à l'ESO de Butare. Ensuite il a été engagé à la SORWAL,
la Société Rwandaise des Allumettes dirigée par Alphonse HIGANIRO, comme ouvrier
de production. HIGANIRO Alphonse a déclaré que, s'étant rendu compte qu'il s'agissait
d'un jeune homme
instruit, il lui avait fait donner une formation de contrôleur de la qualité
des allumettes. En avril 1994, Innocent NKUYUBWATSI travaille donc à la SORWAL.
En avril 1994, NKUYUBWATSI habite avec sa sœur chez le capitaine
NIZEYIMANA et c'est à la demande de ce dernier qu'il serait venu loger chez
Vincent NTEZIMANA en même temps que les deux jeunes filles. Selon NTEZIMANA,
Innocent n'était pas militaire mais il portait régulièrement un uniforme
militaire, ce qui indiquerait qu'il était vraisemblablement membre d'une
milice. Vincent NTEZIMANA prétend qu'il ne pouvait pas contrôler ou freiner
Innocent NKUYUBWATSI. Cela paraît invraisemblable lorsqu'on connaît la
structure très hiérarchisée de la société rwandaise. L'accusé Vincent NTEZIMANA
est en effet docteur en physique, chargé de cours à l'UNR, membre du sénat
académique de l'UNR, président de l'APARU, âgé de 33 ans, marié et père de
famille et originaire de la même région que NKUYUBWATSI et suivant la mentalité
et les coutumes rwandaises, « l’Ubuhake », un mode spécifiquement
rwandais de la relation patron-dépendant-supérieur-inférieur, il est certain
qu'Innocent NKUYUBWATSI était son subordonné et lui devait le respect. Par
ailleurs, selon NTEZIMANA lui-même, les deux jeunes filles, dont l'une fut
assassinée sous ses yeux dans sa parcelle, étaient hébergées chez le capitaine
NIZEYIMANA avant d'arriver chez lui. Cela signifie qu'elles étaient sous leur
protection. Il est invraisemblable que NKUYUBWATSI ait pu commettre cet
assassinat contre la volonté de NTEZIMANA / NIZEYIMANA et cela d'autant plus
qu'il était lui-même leur obligé, ayant été accueilli chez eux.
Comme indiqué ci-dessus, la seule version de la mort de la jeune
fille qui a été donnée par Vincent NTEZIMANA. On peut d'ailleurs se demander
pour quel motif il évoque ce fait, le 10 mai 95, alors que la première
commission rogatoire se déroule au Rwanda, si ce n'est par crainte que ces
faits ne soient portés à la connaissance des enquêteurs sur place. En agissant
ainsi et en révélant cet épisode de sa propre initiative, il peut en donner une
version non neutre quant à son rôle. Il est évident que NTEZIMANA qui, par
ailleurs, se targue du fait qu'il a réussi à protéger les nommés Jean-Marie
Vianney le témoin 142 et le témoin 118, aurait dû porter secours à la jeune fille
et en tous cas, aurait dû interdire à Innocent NKUYUBWATSI de
l'assassiner. Il faut remarquer ici que l'intervention de NKUYUBWATSI suit
celle de Vincent NTEZIMANA. Celui-ci s'approche d'elle et constate qu'elle est
gravement blessée. Il a d'abord déclaré qu'elle était dans un état désespéré et
il présenta les faits de telle manière que le geste d'Innocent NKUYUBWATSI
pourrait être interprété presque comme un geste humanitaire. En l'égorgeant et
en l'assassinant, il aurait mis fin aux souffrances de la jeune fille qui était
de toute façon perdue. Plus tard, il a dû reconnaître devant le juge
d'instruction, qu'en réalité il n'était pas capable d'apprécier l'état réel de
la jeune fille ni la gravité de ses blessures. Pourquoi dès lors, n'a-t-il pas
plutôt essayé de sauver cette jeune fille en recourant par exemple au service
de son voisin, le docteur le témoin 93 ?
L'assassinat d'un jeune homme.
Dans le courant du mois de mai 1994, Vincent NTEZIMANA circulait à
pied non loin de sa résidence en compagnie de personnes qui habitaient chez
lui, le témoin 142, le témoin 118 et Innocent NKUYUBWATSI. Arrivés près
d'un barrage situé à peine à 500 mètres de sa maison, ils aperçurent des
militaires qui tabassaient un jeune homme arrêté à ce barrage. Vincent
NTEZIMANA se joignit aux assaillants du jeune homme et il lui porta plusieurs
coups juste avant que ce dernier n'expire sous les coups de crosse que lui
portait Innocent NKUYUBWATSI. Celui-ci avait pris son fusil des mains d'un des
militaires présents sur les lieux pour achever le jeune homme. Innocent
NKUYUBWATSI accompagnait Vincent NTEZIMANA. Vincent NTEZIMANA a toujours nié
avoir été témoin d'aucun massacre à une barrière. C'est au cours de l'audition
du 24 mai 1995, devant Monsieur le juge d'instruction VANDERMEERSCH, qu'il
évoque pour la première fois, qu'une fois en passant sur un barrage, dans le
quartier près de chez lui, il était avec Longin et le témoin 142 au début mai, des
militaires ont tué une personne sous leurs yeux. Il nie toutefois toute
participation à ces faits. Jean-Marie Vianney le témoin 142 et le témoin 118
seront retrouvés au Rwanda pendant la deuxième commission rogatoire en juin 95.
Jean-Marie Vianney le témoin 142 affirmera immédiatement qu'il avait été témoin du
meurtre de ce garçon mais il ajoutera aussi que :
1° Vincent NTEZIMANA a rejoint le groupe des tortionnaires sur le
barrage et il a porté des coups à la victime ;
2° le jeune homme a été achevé par Innocent NKUYUBWATSI à coups de
crosse.
Le deuxième témoin le témoin 118 refusa d'abord d'admettre
avoir été présent sur les lieux. Il confirma cependant le fait en privé à
le témoin 142 et au cours de la troisième commission rogatoire, il reconnut devant les
enquêteurs que NTEZIMANA s'était joint, sous ses yeux, à la curée.
Suivant les versions du témoin 118 et le témoin 142, l'intervention de
NKUYUBWATSI suit celle de NTEZIMANA. Ici aussi l'initiative n'a pas été prise
par NKUYUBWATSI qui parfait l'œuvre de son aîné NTEZIMANA.
La version initialement donnée par NTEZIMANA est donc sensiblement
édulcorée par rapport à celle du témoin 118 et le témoin 142, témoins des faits,
retrouvés sur place au Rwanda.
Le 27 juin 95, Vincent NTEZIMANA précisera qu'en fait ils
revenaient, le témoin 118, Jean-Marie Vianney le témoin 142, Innocent NKUYUBWATSI
et lui-même, de chez le capitaine NIZEYIMANA. Vincent NTEZIMANA prétend qu'il
n'a pas donné cette précision immédiatement parce qu'il estimait que, je
cite : « NKUYUBWATSI n'était pas fiable », il contestera
que le témoin 118 et le témoin 142 aient pu voir que NKUYUBWATSI avait tué le jeune homme
lorsqu'il faisait déjà nuit.
L'assassinat de la famille de Victor NDUWUMWE.
Vincent NTEZIMANA se présente en compagnie d'un ou plusieurs
militaires au domicile du couple le témoin 129 et Bernadette
le témoin 91. Ils occupaient une maison faisant partie d'un alignement de dix
habitations attribuées à des professeurs de l'école sociale de Karubanda de
Butare, dans le quartier de Buye, dans une rue parallèle à celle où habitait
Vincent NTEZIMANA. Ce dernier s'adressa à l'un des boys demandant s'il était
bien chez un prénommé Victor. Le boy indiqua que le prénommé Victor recherché
occupait la neuvième maison sur les dix. NTEZIMANA s'y rendit et quelques
minutes plus tard le couple TWAGIRAMUNGU-le témoin 91 entendit des coups de feu
tirés dans la forêt de Buye toute proche. C'est ainsi que moururent la femme de
Victor NDUWUMWE, leur enfant de deux ans et leur boyesse.
le témoin 129 et le témoin 91 ont
formellement identifié le civil qui accompagnait le ou les militaires comme
étant Vincent NTEZIMANA. Ce fait se fonde sur les déclarations du témoin 91
Bernadette, de son époux le témoin 129 et du témoin 71,
mère de Marie-Claire KAREKEZI, épouse de Victor NDUWUMWE. Le frère de Victor
NDUWUMWE, Marcel, a été entendu ainsi qu'une autre dame qui résidait à l'époque
des faits, dans une maison de l'école sociale de Karubanda. Victor NDUWUMWE
était professeur à l'école sociale de Karubanda à Butare. Il habitait avec son
épouse Marie-Claire KAREKEZI et leur petite fille âgée de deux ans, Nicole
NDUWUMWE dans une des dix habitations que l'école sociale mettait à disposition
de son personnel, dans le quartier de Buye à Butare. La rue dans laquelle se
situent ces maisons est parallèle à l'avenue dans laquelle Vincent NTEZIMANA
habitait lui-même. Il s'agit d'une rangée de dix maisons alignées les unes à
côté des autres. La famille de Victor NDUWUMWE occupait la neuvième maison. Son
frère Marcel dira la dernière maison et la famille de TWAGIRAMUNGU
Jean-Baptiste et le témoin 91, la deuxième. Chacune des deux familles
occupait donc l'avant-dernière maison de l'alignement suivant qu'on les compte
à partir de la gauche ou de la droite.
En janvier 1995 le témoin 91 fait une déclaration à des
enquêteurs du Haut commissariat pour les droits de l'homme. Cette déclaration
concerne son époux le témoin 129, détenu à l'époque par les
autorités rwandaises, notamment pour le meurtre de Victor NDUWUMWE. Madame
le témoin 91 déclare que l'épouse de NDUWUMWE Victor, Marie-Claire KAREKEZI, leur
fille âgée de deux ans Nicole et leur domestique ont été assassinés fin avril
94. Un certain Vincent, professeur à l'UNR, s'était présenté à leur portail et
avait demandé au boy s'il était chez Victor, ce à quoi le boy a répondu que
Victor habitait l'autre avant-dernière maison de l'alignement. Bernadette
le témoin 91 sortit de sa maison avec son mari pour suivre ce civil
qu'accompagnaient des militaires ; elle vit Vincent pointer du doigt la
maison de Victor NDUWUMWE. Les militaires entrèrent dans la parcelle. Plus
tard, six coups de feu retentirent dans la forêt juste en contrebas. Peu après,
Vincent repassa devant leur maison avec les militaires après avoir encore
demandé des renseignements concernant une autre famille Tutsi.
le témoin 91 connaît Vincent NTEZIMANA parce qu'il est
l'époux d'le témoin 77 avec laquelle elle fit sa première année
universitaire. C'est le procureur de la république à Butare qui a informé les
enquêteurs belges de ces faits. Il possédait une copie de la déclaration de
le témoin 91 à la commission d'enquête du Haut commissariat sur les
droits de l'homme. Cette déclaration, qui date de janvier 95, a été donnée in tempore non suspecto. Concernant cette accusation,
Vincent NTEZIMANA ne se défend pas. Il dit que le témoin 129
l'accuse de faits dont il est lui-même accusé, ce qui est faux. TWAGIRAMUNGU
étant accusé du meurtre de Victor NDUWUMWE mais pas de celui de son épouse et
de son enfant. Il dit que le témoin 91 ment lorsqu'elle prétend le
contraire ; or le témoin 91 ne prétend nullement connaître Vincent
NTEZIMANA mais bien son épouse. Il ressort donc des déclarations citées
ci-dessus que Vincent NTEZIMANA a incité au meurtre de ces personnes.
Autres éléments importants de l'instruction : les rondes.
Dès avant les événements d'avril 94, des rondes ont été organisées
à Butare dans les différents quartiers, à l'initiative des habitants et
notamment de Pierre-Claver KARENZI, dans le quartier de Buye. Après le 6 avril
94, les rondes auto-gérées par les habitants des quartiers ont été transformées
en rondes organisées par des comités de sécurité. L'objectif, qui au départ
était d'assurer la sécurité du quartier, a évolué vers celui de lutter contre
les infiltrations de l'ennemi avec le système des barrages et des barrières. Le
système mis en place dès avant les événements et qui assurait une sécurité
réelle a contribué à empêcher les massacres de s'étendre à Butare comme dans le
reste du pays. Après l'assassinat du préfet Jean-Baptiste le témoin 32 et celui
notamment de Pierre-Claver KARENZI, il fut possible de détourner les rondes de
leur objectif de sécurité globale vers un nouvel objectif, à savoir être un
outil pour exterminer les Tutsi. Il semble que les rondes, comme élément
fondamental de sécurisation, évolueront vers la notion de comité de sécurité
comme élément fondamental du processus d'épuration de la société rwandaise de
tout élément non Hutu. En effet, l'étude des événements au Rwanda démontre que
l'objectif des barrages et des barrières a été, dans le chef des autorités,
d'être des outils du massacre de l'ennemi Tutsi.
L 'APARU et les demandes d'entraînement et d'armement.
L'Association du Personnel Académique Rwandais de l'Université du
Rwanda, l'APARU, regroupait, comme son nom l'indique, tout le personnel
académique de l'université nationale du Rwanda. Suivant le docteur Vincent
le témoin 61 qui était président de l'APARU avant l'accusé NTEZIMANA, le processus
de désignation de ce dernier comme président de l'APARU n'était pas encore
arrivé à son terme. De telle sorte qu'il ne pouvait être considéré comme
président en exercice. Par ailleurs, il semble que le rôle de l'APARU était à
ce point symbolique, qu'on aurait pu le considérer comme inexistant. C'est
pourtant comme président de cette association que NTEZIMANA a déclaré agir pour
établir les listes dont question ci-dessus. En outre, il va co-signer une
lettre du 25 avril 1994 dans laquelle il appuie une demande d'apprentissage au
tir à l'arme à feu et une demande d'octroi d'armes au personnel, cadres de
l'UNR. Il convient de signaler que NTEZIMANA s'était toujours déclaré être un
opposant à l'armement des civils, voire même la tenue des rondes. Ce n'est que
placé devant l'évidence de ce document, qu'il a reconnu avoir co-signé une
demande d'armement de civils afin qu'ils puissent participer à la défense du
pays. NTEZIMANA a toujours prétendu que pour lui l'ennemi était le FPR et pas
les Tutsi. Or, il a bien été obligé de reconnaître qu'il n'avait jamais vu ou
entendu que cet ennemi, le FPR, se soit présenté dans les quartiers de Butare.
On est donc en droit de se demander qui, pour NTEZIMANA, est dès lors cet
ennemi contre lequel il faut armer les civils dès le 25 avril 1994 ?
Interrogé par le juge d'instruction sur ce document, Vincent NTEZIMANA n'a rien
pu faire d'autre que de se retrancher derrière la fonction de président de
l'APARU, bien que personnellement, il prétende qu'il était opposé à cet
armement. Il ressort clairement de l'instruction, que l'accusé était conscient
du risque d'armer la population civile, il signe néanmoins une lettre en ce
sens, sachant que le FPR n'est pas à Butare et connaissant l'usage qui sera
fait de ces armes. Il est évident que cette lettre ne pouvait conduire à autre
chose qu'à la perpétration de massacres et sa simple rédaction apparaît dès
lors à tout le moins comme un acte préparatoire à ces massacres.
Le document « Appel à la conscience des Bahutu ».
Vincent NTEZIMANA se présente comme un modéré et un parfait
démocrate, respectueux des droits de l'homme, produisant d'ailleurs de nombreux
documents et écrits de sa main qui devraient en attester. Certains témoins,
comme le témoin 76 et le témoin 13 affirment néanmoins que NTEZIMANA
était profondément anti-Tutsi. Il tenait des propos extrémistes et ethnistes.
Il est également fait état du fait que le parti PRD à la fondation duquel
l'accusé a participé et dont il était le secrétaire général, était en fait de
tendance Hutu Power, c'est-à-dire totalement extrémiste. Dans le courant de
l'année 1991, après l'attaque du FPR contre le Rwanda en octobre 90, un
document intitulé « L'appel des Bahutu » a été publié à la fois au
Rwanda et en Belgique. Déjà en 1991, une rumeur avait circulé attribuant à
Vincent NTEZIMANA un rôle dans la rédaction ou la diffusion de ce document.
Chantal KAJUGA, qui résidait en Belgique à l'époque, avait écrit des lettres au
Rwanda. Ces lettres ont été interceptées et confisquées par les autorités
rwandaises parce qu'elles auraient contenu des propos diffamatoires notamment à
l'égard de Vincent NTEZIMANA en lui attribuant la paternité de la rédaction
de « L'appel des Bahutu ». Il ressort de l'instruction que le
document « Appel à la conscience des Bahutu », a été dactylographié à
Louvain-la-Neuve dans un bureau de dactylographie, Copy Fac. La fille du gérant
de ce magasin, Madame le témoin 50, déclare qu'elle a dactylographié elle-même ce
texte et a formellement reconnu Vincent NTEZIMANA comme étant la personne qui
lui confia ce travail. Vincent NTEZIMANA nie avoir participé à la rédaction de
ce document ou en avoir eu connaissance autrement que par la presse. Un autre
témoin, le nommé le témoin 124 qui travaillait dans le même bureau que
l'accusé NTEZIMANA lors de ses études à l'UCL, aurait d'ailleurs vu ce texte
sur l'ordinateur de l'intéressé. Ce document contient des propos purement
ethnistes et racistes et constitue une véritable incitation à la violence
ethnique. Le document se termine par les dix commandements qui sont en réalité
un appel à l'exclusion, voire à l'élimination totale des Tutsi au Rwanda.
Les expertises.
Expertises graphologiques du document AREL.
Une des parties civiles, à savoir le nommé Gasana NDOBA, frère du
professeur KARENZI, a fait état du fait qu'un document lui avait été adressé
par lettre anonyme. Il s'agit d'un tract émanant de l'Association Rwandaise
d'Entraide et de Liaison « AREL », signé soi-disant par Vincent
NTEZIMANA. L'expertise graphologique a néanmoins permis d'établir que cette
signature n'était vraisemblablement pas de la main de l'accusé.
L'expertise psychiatrique de NTEZIMANA Vincent.
L'examen mental de NTEZIMANA a permis de conclure que l'accusé est
responsable de ses actes. Les examens psychologiques ont permis de mettre en
évidence une personnalité de structure obsessionnelle.
Personnalité de l'accusé.
L'accusé est né le 18 septembre 1961 à Murambi dans la préfecture
de Gisenyi. Il est le deuxième d'une phratrie de sept enfants, il a trois sœurs
et trois frères. Ses parents étaient des paysans. L'accusé a fait ses études
primaires à Murambi et ses secondaires à Gitarama. Il a bénéficié d'une bourse
d'études et a mené à bien des études universitaires à l'UCL où il obtient, en
1984, une licence en physique. Il rentrera au Rwanda en 1984 et sera assistant
à l'université de Butare jusqu'en 1987, date à laquelle il revient en Belgique
pour y suivre des études approfondies en physique, obtenant son doctorat en
1993. Il retourne au Rwanda en 1993 et devient chargé de cours à l'université
jusqu'en mai 94. Date à laquelle il quittera Butare pour rejoindre Gisenyi puis
s'exilera au Zaïre pour finalement revenir en Belgique. Il s'est marié en 1986
avec le témoin 77, licenciée en sociologie et a trois enfants. Au niveau
politique, Vincent NTEZIMANA déclare que lors de l'avènement du multipartisme
en 1991, il s'est inscrit au MDR au moment où ce parti s'est scindé en deux
tendances, une pro-FPR et une Hutu-power, pro-Hutu et anti-FPR, anti-Tutsi. Il
aurait opté pour une tendance intermédiaire qui était contre la guerre menée
par le FPR, sans sombrer dans l'opposition totale des Tutsi. Il participera
ensuite à la fondation du PRD et en deviendra secrétaire général.
Je m'arrêterai quelques instants ici.
Le Président : Alors oui… deux solutions compte tenu de
l'heure, Monsieur l'avocat général, ou bien nous interrompons ici et nous
envisageons de prendre le repas et de poursuivre après, mais pas à 1 heure ý
alors, je dirais au plus tard 13 heures et je demanderai d'ailleurs à ce qu'on
reprenne contact avec les témoins à qui on a déjà demandé de venir à 3 heures ý
mais qu’ils ne viennent certainement pas avant 4 heures. Euh… bien, nous faisons
une brève interruption mais je crois que nous en aurons alors pour un bon bout
de temps.
L’avocat Général : Je suis
à la moitié.
Le Président : Ne pensez-vous pas que cette suggestion de
prendre le repas maintenant et de recommencer à 13 heures serait préférable ?
L’Avocat Général : En ce qui me concerne, c'est parfait Monsieur le
président.
Le Président : Nous faisons comme ceci. L'audience est
maintenant suspendue, elle reprendra à 13 heures et il y aura donc poursuite, à
ce moment là, de la lecture de l'acte d'accusation et lecture d'autres actes.
[Suspension
d’audience]
Le Greffier : La Cour
Le Président : L'audience est reprise, vous pouvez vous
asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Bien, Monsieur l'avocat général je
vous restitue la parole pour la poursuite de la lecture de votre acte
d'accusation.
L’Avocat Général : Je vous remercie, Monsieur le président, je
reprends donc je continue donc à la page 20 en commençant avec Monsieur
HIGANIRO Alphonse.
Alphonse HIGANIRO a été privé de sa liberté en son domicile
bruxellois, par la police judiciaire du parquet de Bruxelles, le 27 avril 95.
Le même jour, il fut placé sous mandat d'arrêt du chef de crimes de droit
international, constituant les infractions graves aux Conventions
internationales de Genève du 12 août 49 et aux Protocoles 1 et 2 du 8 juin 77
additionnels à ces conventions, tels quel visés à l'article 1er de
la loi du 16 juin 93.
Le 11 janvier 1996, le Tribunal pénal international pour le Rwanda
a demandé officiellement au Royaume de Belgique de déférer au TPIR les
poursuites pénales engagées par les juridictions nationales belges contre Elie
NDAYAMBAJE, Joseph KANYABASHI et Alphonse HIGANIRO.
Le 24 janvier 96, le procureur du TPIR demanda que des mesures
conservatoires soient prises par la Belgique contre les trois inculpés et le 15
mai 96, le procureur du TPIR a introduit une demande de dessaisissement du juge
d'instruction des dossiers en cause NDAYAMBAJE, KANYABASHI et Alphonse HIGANIRO
au profit du TPIR.
Par arrêt du 8 août 96, le TPIR n'a pas confirmé l'acte
d'accusation établi en cause d'Alphonse HIGANIRO et par arrêt du 13 août 96, la
Cour de cassation a décidé de renvoyer la cause de HIGANIRO au juge
d'instruction de Bruxelles pour qu'il continue son instruction.
La Chambre des mises en accusation de la Cour d'appel de Bruxelles
a remis Alphonse HIGANIRO en liberté, le 6 septembre 96.
Les faits reprochés à Alphonse HIGANIRO sont divisés en trois
catégories et reflètent ainsi trois visages de l'accusé. A savoir l'homme de
pouvoir politiquement engagé qui, par des écrits, a provoqué et instigué au
massacre. L'industriel, qui dans le cadre de son usine, engagera de nombreux
membres des Interahamwe et d'autres individus qui se rendront coupables de
massacres et enfin l'homme privé qui agit dans sa région d'origine.
Proposition, provocation et ordre de commettre des crimes de droit
international par des écrits.
Alphonse HIGANIRO tente, dans ce dossier, de se présenter comme un
cadre apolitique de la fabrique qu'il dirigeait comme directeur général, la
SORWAL, la Société Rwandaise des Allumettes, alors que l'enquête révélera qu'il
n'en était rien, bien au contraire. Il faut d'ailleurs replacer les différents
écrits dans le contexte général et tenir compte de la personnalité de l'accusé,
pour se rendre compte que HIGANIRO est extrêmement engagé politiquement et
avait des opinions très tranchées, très ethniques et ouvertement anti-Tutsi.
Quatre documents seront retrouvés lors de la commission rogatoire
dans les locaux de la SORWAL, se situant à différentes époques mais tous
cadrant dans un scénario génocidaire. Le texte complet de trois de ces
documents est repris dans l'acte d'accusation. Il y a également un quatrième
document, à savoir une lettre, la première chronologiquement qui date du 16 janvier
1993 et qui est adressée au président le témoin 32 lui-même. Il convient de
souligner ici que cette lettre n'a pas été retenue dans l'acte d'accusation au
motif qu'elle date du 16 janvier 1993 et que la loi du 16 juin 1993, qui
réprime les crimes reprochés aux accusés, n'est entrée en vigueur qu'à partir
du 15 août 93. Toutefois, cette lettre a son importance car elle est l'annonce
claire au président le témoin 32 de l'opposition d'Alphonse HIGANIRO aux
institutions qui devaient naître des négociations entre le FPR et les autres
partis de l'opposition et constitue une véritable menace d'une future
apocalypse.
Elle révèle aussi un aspect essentiel du dossier en cause
d'Alphonse HIGANIRO, soit celui de la personnalité de cet accusé et de la place
qu'il occupait réellement dans le microcosme rwandais. Il était de ceux qui
avaient tout obtenu grâce au régime le témoin 32 et qui risquaient de tout
perdre en cas de bouleversement ou de modification de l'organisation politique
de la société rwandaise. Il occupait dans la société rwandaise une place
analogue à celle occupée par Théoneste BAGOSORA, non pas sur le devant de la
scène politique ou publique, mais dans l'ombre, là où les décisions importantes
étaient prises et là où le pouvoir s'exerçait vraiment. Cette lettre annonce
une opposition au processus de démocratisation et des partages du pouvoir qui
se mettait en place. Huit mois avant la signature des accords d'Arusha,
Alphonse HIGANIRO menace de combattre ce qui est en train de se préparer, je
cite : « Le gouvernement de transition tel que conçu dernièrement à Arusha
ne devrait pas voir le jour quel qu'en puisse être le dérapage mais
naturellement contrôlé », fin de citation. Cette lettre contient un autre
ingrédient nécessaire à la réussite du futur génocide : le
régionalisme. Tous les postes clés de l'État rwandais étaient aux mains de Hutu
originaires du Nord-Ouest du Rwanda et appartenant de près ou de loin au clan
le témoin 32, comme HIGANIRO. Je cite : « Le critère d'équilibre régional
n'intervenant que quand il ne nuit en rien au
seul vrai maître du Rwanda ».
Une deuxième lettre est constituée par le rapport numéro 2 de la
commission politique du comité directeur des fonctionnaires affectés à Butare
et adhérant au MRND, en date du 13 février 94. Ce comité directeur des
fonctionnaires affectés à Butare et adhérant au MRND, a vu le jour en novembre
93, soit à un moment où les accords d'Arusha étaient déjà signés et où la
question était de savoir comment ils pourraient être mis en œuvre ou sabotés.
L'enjeu était donc la transformation de la société rwandaise vers une société
plus démocratique. Le comité directeur des fonctionnaires affectés à Butare et
adhérant au MRND, visait à organiser les fonctionnaires de Butare dont on
pouvait penser qu'ils seraient fidèles au régime le témoin 32, a dit Alphonse
HIGANIRO. Il a déclaré qu'il s'agissait d'une tentative qui n'avait, en quelque
sorte, pas encore vraiment réussi au moment où le génocide s'est déclaré, cette
précision est très importante parce que, si d'un côté, elle permet à HIGANIRO
de minimiser l'importance et l'impact des travaux de ce comité, elle permet par
ailleurs de nommer avec précision les auteurs des écrits qui ont été retrouvés.
C'est HIGANIRO lui-même qui présidait la commission politique de ce comité. Il
doit donc être considéré comme responsable des écrits rédigés au sein de cette
commission, soit pour les avoir dictés ou approuvés, soit pour ne pas avoir
pris ses distances par rapport à ces documents. On peut notamment lire dans ce
rapport que je cite : « Les extrémistes Tutsi assoiffés de pouvoir
continuent leur route pour parachever le coup d'état véhiculé par les accords
d'Arusha. Il est indispensable et plus qu'urgent d'organiser une défense
collective. Ce délai devrait permettre aux Hutu de faire, jusqu'à l'obtention
de gain de cause, une véritable manifestation de force ».
HIGANIRO n'a jamais donné beaucoup d'explications concernant ce
comité directeur des fonctionnaires affectés à Butare et adhérant au MRND, ni
sur la question de sa composition ni sur le rôle qu'il y a joué. Comme indiqué
ci-dessus, il déclare qu'il s'agissait d'une tentative d'organiser les
fonctionnaires du MRND de Butare afin de susciter des réflexions en faveur du
parti. Il s'agissait d'une initiative privée que des gens avaient prise à titre
personnel. Il ajoute que ces réunions avaient rassemblé des fonctionnaires du
MRND toute origine confondue, entendant sans doute par cela que les
participants à ces réunions étaient aussi bien des Hutu que des Tutsi et aussi
bien originaires du Nord du pays que du Sud. Pourtant, la liste complète des
membres de ce comité a été retrouvée dans les locaux de la SORWAL, son nom
figure notamment au bas de la première page de ce document, sous le verbo 5b,
comme leader de la commission politique du comité.
Cette commission était composée de six Hutu originaires du Nord du
pays, très proches du pouvoir, soit Alphonse HIGANIRO leader du groupe, Martin
le témoin 21, directeur technique de la SORWAL, Séraphin BARAREGANA, médecin et frère
cadet du président le témoin 32, le témoin 40, commercial de la SORWAL et
frère du ministre de l'intérieur du Rwanda, Nicolas NDAHIRIWE, agent de la
SORWAL et BAGAMBIKI Séraphin, bibliothécaire à l'université du Rwanda. Un
troisième document porte le titre « Suggestions émises par la Commission
politique du comité directeur des fonctionnaires affectés à Butare et adhérents
au MRND » et émane du même groupe que le précédent. Le document n'est pas
daté et a été retrouvé dans la maison de HIGANIRO Alphonse à Butare, son texte
est particulièrement édifiant ; on peut y lire, je cite : « Il
est impératif que l'union des Hutu se fasse à tous les niveaux pour barrer la
route aux Tutsi assoiffés de pouvoir. Le Comité national du MRND doit
s'attacher à la réunification des Hutu de tous les partis politiques en vue de
barrer la route au coup d'état civil d'Arusha. A cet effet, tous les moyens
sont bons car il en va de la survie de cette ethnie. Renforcer l'union des Hutu
et leur autodéfense collective, tout parti confondu ».
Alphonse HIGANIRO reconnaît ce document mais il ne sait plus s'il
a été rédigé après la première ou après la seconde réunion de la Commission
politique. Il prétend que c'est son collaborateur, le témoin 21, qui l'a
écrit. L'expression « barrer la route au coup d'état civil »
signifie, d'après Alphonse HIGANIRO, que le MRND, qui avait le pouvoir, l'avait
perdu puisque les accords d'Arusha prévoyaient des mécanismes qui faisaient que
les décisions pourraient se prendre à l'avenir sans se soucier du MRND. HIGANIRO
précise que l'affaire du coup d'état civil est devenue de plus en plus une
affaire ethnique, lorsque tous les partis se sont scindés en deux tendances,
l'une Hutu Power et l'autre Tutsi-FPR. HIGANIRO prétend qu'il y avait une
différence entre les Tutsi membres du MRND, les Tutsi qui étaient restés au
pays et les Tutsi du FPR, ceux qui avaient fui le pays en 59, 70 etc. et leurs
descendants. Il expliquera notamment que dans la phrase « Le Comité
national du MRND doit s'attacher à la réunification des Hutu de tous les partis
politiques en vue de barrer la route au coup d'état civil d'Arusha, à cet effet
tous les moyens sont bons, car il en va de la survie de cette ethnie » que
l'expression « Tous les moyens sont bons » vise les moyens pour unir
tous les Hutu. Il s'agissait des moyens pour expliquer qu'il fallait s'unir au
cours de réunions. Quant à l'autodéfense collective, il s'agit de l'autodéfense
de la population, précise Alphonse HIGANIRO, et, si dans le document il est
question uniquement de l'autodéfense des Hutu, Alphonse HIGANIRO pense qu'il
s'agit là d'un abus dans la formulation du langage. Alphonse HIGANIRO déclarera
aussi qu'il a participé aux réunions de la Commission politique du comité des
directeurs des fonctionnaires affectés à Butare et adhérents au MNRD, et que
les deux documents en sont les comptes-rendus, les conclusions auxquelles tous
les participants étaient arrivés ensemble. Ce point de vue est contesté par
le témoin 40 qui prétend que les documents reflètent surtout l'opinion de
HIGANIRO qui dirigeait ce comité. Le quatrième document est une lettre adressée
par Alphonse HIGANIRO à son directeur technique à la SORWAL, le témoin 21, en
date du 23 mai 1994.
Nous nous trouvons, à ce moment, en plein milieu du génocide au
Rwanda. Cette lettre est dans la droite lignée des précédents documents et
démontre qu'à cette époque, l'accusé persiste et signe dans son comportement
criminel. Les termes qui, d'emblée, frappent dans cette lettre se trouvent
entre guillemets dans le point 1 et le point 3 de la lettre. Il s'agit d'une
part, du terme « travailler » et d'autre part, du terme
« nettoyage ». HIGANIRO reconnaît immédiatement être l'auteur de
cette lettre qu'il adressa à son directeur technique, le témoin 21. Les guillemets
du mot « travailler » signifient, d'après HIGANIRO, qu'il remplissait
le rôle de l'agent commercial et qu'il fallait imputer les dépenses relatives
au carburant qui lui avait été fourni, à cet article du budget. Il commença par
déclarer, lors de son premier interrogatoire, qu'il avait reçu des marchandises
à Gisenyi, le 10 mai 94, en provenance de la SORWAL, fixant ainsi à cette date
le début de son travail d'agent commercial.
Ensuite, lorsqu'il aura pris connaissance de la déclaration de son
épouse, suivant laquelle Alphonse HIGANIRO n'avait eu aucune activité pendant
son séjour à Gisenyi, il précisera qu'il s'était trompé de date et qu'il
n'avait commencé son travail d'agent commercial qu'après le départ de son
épouse et de ses enfants pour la Belgique, le 14 mai 94. Les guillemets du mot
« nettoyage » visent, d'après HIGANIRO, de grands travaux de
déblaiement d'une parcelle de l'usine par rapport aux dégâts provoqués par des
éboulements de terre sur la route empruntée par le camion de l'usine pour
assurer l'approvisionnement en bois. Il convient de signaler que lors d'une
commission rogatoire au Rwanda des photos ont été prises de la SORWAL et il en
est résulté que de tels travaux de déblayements n'ont pas eu lieu. Plusieurs
témoins ont d'ailleurs été entendus à ce sujet et ont confirmé ne jamais avoir
constaté d'éboulements ou de travaux visant à y remédier. Il est extrêmement
important de constater que pendant le génocide, plusieurs responsables
politiques et militaires, à commencer par le président ad interim SINDIKU BWABO
lui-même, lors de son discours à Butare le 19 avril 1994, utiliseront ces
termes qui, à cette époque et dans ce contexte, ne signifiaient rien d'autre
que tuer et exterminer les Tutsi et les Hutu modérés.
le témoin 21, destinataire de la lettre, a communiqué, par
l'intermédiaire de l'ancien avocat d'Alphonse HIGANIRO, un document dans lequel
il prétend que cette lettre était effectivement la réponse d'Alphonse HIGANIRO
à un rapport de gestion qui lui aurait été adressé, concernant la prospection commerciale,
l'approvisionnement en bois de l'usine et la production. Il confirme en cela
l'explication fournie par HIGANIRO sur l'approvisionnement en carburant et le
nettoyage. La suite d'enquête permettra d'établir que le témoin 21 a
effectivement oublié ce document compromettant dans les locaux de la SORWAL
avant de prendre la fuite vers le Zaïre, en juillet 1994. La déclaration de
le témoin 21 a été sollicitée par cet avocat lorsqu'il s'est rendu dans les camps au
Zaïre. le témoin 40 avait d'ailleurs été contacté par le témoin 21 afin qu'il
aide à rédiger cette déclaration, il a refusé parce qu'il n'a jamais vu ce
document avant d'en prendre connaissance dans le camp de réfugiés et que le témoin 21
était resté très laconique lorsqu'il lui avait été demandé ce que signifiaient
les points 2 et 3 de son rapport.
Lorsqu'on tient compte de la personnalité de l'accusé HIGANIRO, de
sa place dans la société rwandaise, de son statut et de son impact, du fait
qu'il était un proche du président le témoin 32 et un membre de l’Akazu et
lorsqu'on connaît le système spécifique rwandais de la hiérarchie sociale, il
est évident que dans la région de Butare, de tels écrits, émanant d'un tel
personnage, avaient un impact décisif. Ces documents doivent, dès lors, être
considérés comme des actes préparatoires et participatifs au génocide qui ont
contribué à la mise en condition des futurs exécuteurs des massacres, à savoir
les Interahamwe, dont beaucoup travaillaient à la SORWAL, les militaires, les
fonctionnaires, toutes les personnes pour lesquelles Alphonse HIGANIRO
représentait une véritable autorité. Le fait même d'écrire ou de dicter de tels
écrits est une provocation, une proposition, une incitation à commettre des
crimes de droit international réprimés par les Conventions de Genève et par la
loi du 16 juin 1993. Même si de tels écrits étaient restés sans suite, quod
non . Toutefois, tenant compte du contexte dans lequel ces documents ont
été rédigés, tenant compte de la région où cela se passe, tenant compte de
l'impact de la personnalité de HIGANIRO, il est clair qu'ils ont constitué dans
l'esprit des Interahamwe, des militaires et des autres personnes, non seulement
une incitation mais également un ordre à éliminer l'ennemi, les Hutu modérés et
les Tutsi et notamment les personnes reprises dans l'arrêt de renvoi sous le
numéro 2-1 a b c et d.
Les crimes commis dans le cadre de sa fonction de directeur de la
SORWAL.
Il faut remarquer qu'Alphonse HIGANIRO avait engagé, à la SORWAL,
d'anciens militaires qui faisaient partie des Interahamwe. Il semble d'ailleurs
ressortir de l'instruction, qu'une partie importante du personnel de la SORWAL
était composée d'anciens militaires et/ou d'Interahamwe, et il est même fait
état par un témoin, entendu lors d'une commission rogatoire, que les Interahamwe
s'entraînaient dans l'enceinte même de la SORWAL. Le directeur général de la
SORWAL, mis en place après le génocide en septembre 94, le témoin 22, cite
les noms de cinq membres du personnel qui étaient des Interahamwe tandis que
d'autres, notamment la nommée Marie-Goretti MUKANYONGA, avait dénombré 52
Interahamwe sur une liste du personnel de la SORWAL de 1994. Parmi ceux-ci
figure le nommé Innocent NKUYUBWATSI dont il a déjà été question en ce qui
concerne NTEZIMANA. Concernant Innocent NKUYUBWATSI, Alphonse HIGANIRO confirme
qu'il a engagé ce garçon parce qu'il était un déplacé de guerre, c'est-à-dire
qu'il était originaire de la région du Nord du Rwanda envahi par les FPR en 92.
Innocent NKUYUBWATSI a été particulièrement actif lors des massacres de Butare,
participant au lynchage d'un jeune homme sous les yeux de Vincent NTEZIMANA et
assassinant une jeune fille dans les maisons mêmes de NTEZIMANA. Il ressort de
l'instruction que HIGANIRO et NTEZIMANA se connaissaient et participaient
ensemble à des réunions politiques, notamment dans le bureau du vice-recteur de
l'université, Jean Berckmans NSHIMYUMUREMYI, connu pour être un extrémiste
tendance MRND Power.
En outre, il s'est avéré que Vincent NTEZIMANA a, à deux reprises
au moins, voyagé de Butare à Gisenyi dans un véhicule de la SORWAL
réquisitionné par l'école des sous-officiers, dont NKUYUBWATSI aurait fait
partie avant d'être engagé à la SORWAL. De la même manière que NTEZIMANA avait
un ascendant sur NKUYUBWATSI par sa formation et par sa position sociale,
HIGANIRO Alphonse lui aussi, de part le fait qu'il avait engagé NKUYUBWATSI,
lui avait donné une formation de contrôleur dans son usine, permettait aux
membres des Interahamwe qu'il engageait, de s'entraîner dans l'enceinte de
l'usine, avait une emprise certaine sur NKUYUBWATSI. Les idées politiques et
ethnistes d'Alphonse HIGANIRO étaient connues et répandues, ainsi d'ailleurs
que sa position privilégiée auprès du président assassiné et de l’Akazu. Il est
clair qu'en engageant des Interahamwe dans son usine, en assurant leur
entraînement, Alphonse HIGANIRO a posé des actes qui entrent dans la notion de
proposition, provocation et ordre à commettre des crimes de droit
international, faits qui ont été commis par des membres des Interahamwe de la SORWAL,
se déplaçant en véhicules appartenant à la SORWAL, (dont Innocent NKUYUBWATSI
fait partie), faits prévus dans l'arrêt de renvoi sous le 2 2 a et b.
Crimes commis en tant qu'homme privé agissant dans sa région
d'origine.
Les faits qui sont reprochés à HIGANIRO, sous 1 et b ci-dessus,
ont été commis à Butare et sont la conséquence et l'aboutissement de
l'engagement politique extrémiste et ethniste de l'intéressé, ainsi que de sa
politique d'embauche et d'entraînement des Interahamwe dans son usine, connaissant
manifestement l'impact qu'il avait de par sa formation, son passé politique et
ses relations privilégiées. Ces faits ont ainsi été provoqués, proposés,
cautionnés ou même ordonnés par Alphonse HIGANIRO et ont pu être accomplis même
alors que l'accusé ne se trouvait pas à Butare à ce moment. Les faits qui sont
repris dans l'arrêt de renvoi sous le numéro 2 3 ont été commis à Gisenyi
dans le Nord du Rwanda à une époque où l'accusé était présent. Alphonse
HIGANIRO possède depuis 1988 une villa située au bord du lac Kivu à Gisenyi.
Cette propriété est située non loin de la résidence que le président
le témoin 32 lui-même possédait au bord du lac. En fait, la villa d'Alphonse
HIGANIRO est encastrée dans le domaine du monastère St-Benoît de Kigufi, un
couvent de bénédictines. HIGANIRO a obtenu, par appui politique et influence,
la concession de ce terrain qui à l'origine faisait partie intégrante du
monastère et était utilisé comme potager par l'assistant médical du dispensaire
du monastère.
La villa de l'accusé est donc enclavée entre le monastère et
l'habitation de l'assistant médical du dispensaire du couvent, Benoît
le témoin 123. HIGANIRO a résidé à Kigufi pendant le week-end de Pâques 94 jusqu'au
4 avril, il rejoindra ensuite Butare pour revenir à Kigufi via Kigali, après le
9 avril 94, en fait, entre le 9 avril 94 et le 12 avril 94.
Les faits se seraient déroulés, d'après le témoin 123, un des
enfants de la famille qui a survécu au massacre, de la façon suivante. Des
militaires stationnés à la BRALIRWA se présentèrent à la maison de Benoît
le témoin 123 le 8 avril au matin. Ils exigèrent le paiement d'une somme de 500.000
francs rwandais afin que les occupants de la maison puissent garder la vie
sauve. A ce moment Benoît le témoin 123 était au dispensaire du couvent, il n'y
avait pas d'argent à la maison, le fils aîné Olivier âgé de 13 ans, déclara
qu'il pouvait trouver de l'argent et il demanda aux militaires du lui
laisser aller chercher. Il courut jusqu'au couvent pour y retrouver son père
qui lui donna 120.000 francs rwandais. Olivier retourna à la maison et remit
l'argent aux militaires qui s'en allèrent tout en promettant de revenir
chercher le reste de l'argent. La mère et ses enfants ainsi que la domestique
se réfugièrent aussitôt au couvent.
Vers 16-17 heures, les mêmes militaires revinrent mais ils avaient
troqué leurs uniformes contre d'autres vêtements et ils étaient accompagnés de
beaucoup d'Interahamwe. Ils forcèrent le portail du couvent, ils tuèrent un
vieillard et une religieuse puis défoncèrent à la hache la porte de la chambre
dans laquelle la famille se tenait cachée. Monsieur le témoin 123 sortit de la
pièce avec son épouse et les enfants ; Olivier toutefois s'était caché
dans une armoire. Lorsque les Interahamwe le trouvèrent, il proposa de leur
donner une somme d'argent s'ils lui laissaient la vie sauve. Les Interahamwe
l'emmenèrent alors à l'écart du groupe et lorsqu'il devint évident qu'il devait
remettre l'argent, Olivier lança de l'argent qu'il avait en poche en l'air, et
prit la fuite. Les Interahamwe se précipitèrent sur l'argent mais un autre
Interahamwe faisait le guet pour rattraper le fuyard ; il l'arrêta et lui
porta un coup de machette. Olivier poursuivit sa course, plongea dans le lac et
rejoignit la propriété de Monseigneur BIGIRUMWAMI à la nage tandis que les
autres Interahamwe se battaient pour s'emparer de l'argent.
Ensuite, les assaillants retournèrent vers le couvent, tuèrent les
membres de la famille le témoin 123 et dévalisèrent le couvent et la maison occupée
par la famille le témoin 123. Olivier se tint caché dans les buissons autour de la
propriété de Monseigneur BIGIRUMWAMI, jusqu'au lendemain. La propriété de
Monseigneur BIGIRUMWAMI, distante de quelque 500 mètres de la villa de
HIGANIRO, n'était à cette époque occupée que par deux personnes : le père
Kalucuze le témoin 18, un religieux belge et une religieuse rwandaise sœur
Vihelmina le témoin 52. Dans la nuit, un des cousins d'Olivier NDAYISABA le rejoignit
dans les buissons, ils sortirent de leur cachette le lendemain matin ; c'est
à ce moment qu'Olivier apprit le massacre de son père Benoît le témoin 123, de sa
mère, de sa petite sœur Aline le témoin 21 âgée de 1 an et de son petit frère Olive
le témoin 123 âgé de 7 ans. Sa sœur, Sylvie NIWEMUKOBWA âgée de 14 ans, avait été
gravement blessée à la tête et laissée pour morte. Elle sera conduite par les
bénédictines dans la maison de Monseigneur BIGIRUMWAMI et y recevra des soins.
Elle est toujours vivante mais gravement handicapée et incapable de fournir le
moindre témoignage. Les deux autres sœurs d'Olivier, UWERA Louise, 12 ans et
UMWARI Yvette, 7 ans, en réchappèrent également, mais on ignore dans quelles
circonstances.
Environ une semaine après l'assassinat de ses parents, Olivier se
rendit pendant la nuit, vers 4 heures, à l'endroit où ses parents avaient été
ensevelis par les soins du père le témoin 18. Il veilla jusqu'au lever du jour. Il
demeura à cet endroit, caché dans la haie de cyprès qui sépare les deux
propriétés. Soudain vers 11 heures du matin, il entendit Alphonse HIGANIRO en
conversation avec ses domestiques en leur disant qu'à Kigali ils avaient
travaillé et terminé. Les domestiques répondirent : « Nous aussi à
Kigufi nous avons travaillé, nous avons tué le médecin mais un de ses fils est
rescapé ». HIGANIRO aurait rétorqué en disant : « Est-ce que
c'est comme ça que vous tuez ? Il faut tuer du vieillard jusqu'au
bébé ». Alphonse HIGANIRO dit alors qu'il voulait voir les cadavres, sur
quoi Olivier s'est enfui. Plus tard, Alphonse HIGANIRO se présenta lui-même dans
la propriété de Monseigneur BIGIRUMWAMI pour obtenir des renseignements sur
deux personnes et sur le témoin 123. Le père le témoin 18, qui occupait la
propriété de Monseigneur BIGIRUMWAMI avec une religieuse, la sœur le témoin 52 et
quelques domestiques, a fait parvenir, depuis le Rwanda, une lettre dans
laquelle il confirme ce récit qui est également confirmé par plusieurs autres
témoins, notamment des religieuses du monastère de Kigufi. Il semble qu'il y
aurait eu deux ou même trois demandes de rançon puis une attaque finale du monastère
par 150 ou 200 agresseurs. Il a été témoin d'une demande de rançon et confirme
qu'Olivier s'est bien rendu au couvent pour obtenir de l'argent.
La famille le témoin 123 a effectivement été massacrée à coups de
machette et il a recueilli et soigné les enfants et cousins survivants du
massacre. Il a vu, de ses yeux, les domestiques de HIGANIRO piller la maison de
Benoît le témoin 123 et emporter les meubles dans la villa de l'accusé. Le père
le témoin 18 confirme qu'il a organisé la fuite vers le Zaïre, d'le témoin 123
et de ses sœurs ainsi que des religieuses du monastère. Le père le témoin 18 donne
aussi le motif d'Alphonse HIGANIRO pour ordonner ou commanditer l'assassinat de
la famille de Benoît le témoin 123. Il s'agissait de s'emparer de la parcelle
occupée par le dispensaire du monastère afin d'avoir un accès direct au lac. Un
autre voisin de la propriété d'Alphonse HIGANIRO, le témoin 103,
travailleur à la BRALIRWA, la seule brasserie du Rwanda installée au bord du
lac Kivu à Gisenyi et distante de la villa de l'accusé de quelques kilomètres
seulement, rapporte qu'Alphonse HIGANIRO avait déjà, avant le génocide, proféré
des menaces contre son voisin Benoît le témoin 123 : « Ce Tutsi d'à côté
qu'est-ce que vous en faites ? Pourquoi ne le tuez-vous pas ce petit
Tutsi de médecin ? ».
HIGANIRO lui-même nie toute implication dans ces faits, déclare
qu'il n'a donné aucun ordre ni à des militaires n'ayant pas le pouvoir, ni à
ses domestiques pour assassiner cette famille. Il nie aussi les déclarations
qu'il aurait faites à ses domestiques. La victime survivante, Olivier
le témoin 123, a néanmoins désigné deux domestiques de HIGANIRO qui auraient donné
des indications aux Interahamwe sur le fait que la famille le témoin 123 s'était
réfugiée au couvent et qui, d'après la domestique de la famille le témoin 123, la
nommée le témoin 113, se seraient même joints au massacre. Au cours de
la troisième commission rogatoire internationale en octobre 95, des voisins de
Alphonse HIGANIRO à Kigufi-Gisenyi ont été entendus. Deux paysans désignés par
l'actuel préfet de Gisenyi, pour garder la propriété de Alphonse HIGANIRO, ont
été entendus sur place. Ils précisent que la villa était gardée à l'époque des
événements par des militaires et que les simples paysans comme eux ne pouvaient
pas approcher la propriété.
Les expertises.
Expertises graphologiques concernant la lettre du 23 mai 1994.
L'expert a conclu que c'est bien HIGANIRO Alphonse qui a écrit
cette lettre, ce que l'accusé a d'ailleurs toujours reconnu.
Concernant les deux documents émanant de la Commission politique
du comité directeur des fonctionnaires affectés à Butare et adhérents au MRND,
le juge d'instruction a désigné un expert pour établir si ces lettres ont été
rédigées par le directeur technique de la SORWAL, le témoin 21, à qui HIGANIRO
les aurait dictées. Il s'est avéré que ces documents sont effectivement de la
main du témoin 21.
L'expertise psychiatrique de HIGANIRO Alphonse.
L'examen psychiatrique a permis d'établir que HIGANIRO est
responsable de ses actes. Les examens psychologiques mettent en évidence une
personnalité pauvre au niveau affectif et de type paranoïaque, caractérisée par
un comportement systématiquement raisonneur, revendicatif, rancunier,
vindicatif, méfiant et dont l'autocritique est absente.
La personnalité de l'accusé.
Alphonse HIGANIRO est né à Gaseke en 1949, étant le cinquième
d'une phratrie de huit enfants. Il a deux frères et cinq sœurs. Il est issu
d'une famille de modestes paysans. Il est marié à le témoin 68 et a
deux enfants, un garçon et une fille. Après des études d'humanités au Rwanda
dans la préfecture de Ruhengeri, HIGANIRO a accompli des études universitaires
à l'université catholique de Louvain, de 69 à 73. Il valorisera son diplôme de
licencié en mathématiques comme professeur à Byumba, de 1973 à 1974. Après une
année d'enseignement à Kigali, il accomplit un stage d'inspection à
l'Universitaire Instelling Antwerpen au terme duquel il fut nommé inspecteur de
mathématiques, en 1976. Il deviendra ensuite successivement directeur général
des études pédagogiques, secrétaire général du ministère de l'Éducation
Nationale et secrétaire général du ministère de l'Enseignement Supérieur, de la
Culture, et de la Recherche Scientifique. De 1982 à 1990…
[Interruption d’enregistrement]
...n'avait jamais accepté de répondre aux injonctions qui
émanaient essentiellement d'un des beaux-frères SAGATWA. Alphonse HIGANIRO
présente sa carrière comme suivant une courbe ascendante jusqu'à sa nomination
de ministre. Après ce bref passage au gouvernement, Alphonse HIGANIRO est
envoyé au Sud du pays, en 1992, dans le bastion de l'opposition, comme il le
dit lui-même. Il a pensé qu'il était victime d'un sabotage de la belle-famille
du président. Depuis le 27 janvier 1992, l'accusé était détaché de son
administration en qualité de directeur général de la SORWAL à Butare (la
Société des Allumettes Rwandaise). Il présente cette nomination comme
l'expression d'une disgrâce dont il aurait été victime et prétend même que
c'est ce qui a motivé l'adhésion de son épouse au parti CDR, tellement elle
avait été déçue de cette nomination. Cependant, sa rémunération mensuelle
s'élevait, en 1993, à la somme de 307.108 francs rwandais, à laquelle il
convient d'ajouter les salaires de ses trois domestiques, également pris en
charge par la SORWAL.
Joseph KANYABASHI, bourgmestre de la commune urbaine de Butare,
co-inculpé de Alphonse HIGANIRO mais dont le dossier a été évoqué par le
Tribunal pénal international pour le Rwanda, a estimé, quant à lui, qu'il était
inconcevable de décrocher le poste de directeur général de la SORWAL sans avoir
des appuis des hautes autorités du pays. le témoin 22, successeur de Alphonse
HIGANIRO comme directeur général de la SORWAL après le génocide, a déclaré que
les fonctions dirigeantes de la SORWAL avaient toujours été données à des
proches du président le témoin 32, ancien ministre. Le prédécesseur de HIGANIRO,
Mathieu NGIRIRA, avait lui aussi été ministre avant d'occuper les fonctions de
directeur général de la SORWAL. HIGANIRO était connu pour être un Hutu
extrémiste très prétentieux, très régionaliste et très ethnique, il ne
s'embarrassait pas des petites gens, qui était autoritaire et que les gens
craignaient. Il appartenait au cercle des intimes du président le témoin 32 et des
privilégiés du régime. L'accusé rejette les accusations suivant lesquelles il
était Hutu Power terme désignant une tendance apparue dans la plupart des
partis rwandais après 90 et désignant les partisans de l'ethnisme Hutu -
extrémiste et membre de l’Akazu. Il prétend que, s'il a été taxé d'extrémiste,
c'est parce qu'il venait du Nord, mais qu'il ne pouvait appartenir à l’Akazu
parce qu'il n'était pas originaire de la même colline que le président.
Cependant, le dossier révèle qu'Alphonse HIGANIRO invite le
président au vin d'honneur qu'il donne à l'occasion de son anniversaire de
mariage, les 14 et 15 janvier 1994. De même, bien que se prétendant en
disgrâce, il adresse une lettre au président le témoin 32 le 16 janvier 93, pour
lui communiquer quelques idées brutes « afin qu'il puisse provoquer des
réflexions plus approfondies au niveau de la direction de notre parti et de
l'alliance ». De plus, il recevait régulièrement le président le témoin 32
dans sa villa de Kigufi, la dernière fois fut le jour de Pâques 94, le 4 avril
1994, soit deux jours avant l'attentat contre l'avion présidentiel. Son
beau-père était, par ailleurs, le médecin personnel du président et fut tué
dans l'attentat. Il était le président de l'asbl IBUKA, pouvoir organisateur
d'un ensemble scolaire à Gaseke, sa commune natale dans la vallée du clan du
président le témoin 32. Plus encore, lorsque la tension crût à Butare en 1993,
son domicile fut protégé par des militaires. Enfin, Alphonse HIGANIRO a dû
reconnaître qu'il était membre du conseil d'administration de la RTLM, la radio
des génocidaires, et qu'il avait effectué un versement de 100.000 francs
rwandais en faveur de cette radio le 13 juillet 1993. Lui-même et son épouse
appartenaient donc clairement à l’Akazu et il était un des dignitaires du
régime.
Alphonse HIGANIRO a signé, le 4 janvier 1994, en onzième place, un
communiqué de presse émanant des intellectuels de l'université nationale du
Rwanda sur la situation politique du moment, appelant le peuple rwandais à se
lever contre Monsieur Faustin TWAGIRAMUNGU, premier ministre désigné du
gouvernement à transition à base élargie. Monsieur Faustin TWAGIRAMUNGU
appartenait au parti MDR ; ce parti connaissait deux tendances : la
première dite TWAGIRAMUNGU, la seconde dite MDR Power. Vincent NTEZIMANA a
également signé cette pétition à la quarantième place. Il est aussi rapporté
qu'avant le 6 avril 1994, Alphonse HIGANIRO était cité parmi d'autres, comme
responsable des tensions ethniques et des bruits annonçant les massacres. Les
cadres de la SORWAL provenaient tous de sa région Gisenyi au Nord du Rwanda,
seuls les postes inférieurs étaient donnés aux autres mais il semblait clair
qu'il n'aimait pas les Tutsi. Alphonse HIGANIRO a licencié du personnel
originaire de Butare pour y mettre à la place des personnes originaires de sa
région, membres de l’Akazu ou membres du MRND.
Le dossier 6295 à charge de MUKANGANGO Consolata (sœur Gertrude)
et MUKABUTERA Julienne (sœur Maria Kizito).
Le 3 juillet 1995, Consolata MUKANGANGO se constitue partie civile
contre un journaliste le témoin 60 qui a écrit un article dans la revue
« Solidaire » en date du 31 mai 1995, dans lequel elle est accusée
d'avoir livré aux Interahamwe, des centaines de personnes qui s'étaient
réfugiées dans le couvent de Sovu. Une première commission rogatoire aura lieu
au Rwanda du 25 septembre 95 au 14 octobre 95, au cours de laquelle plusieurs
personnes seront entendues, qui feront des déclarations accablantes à
l'encontre des deux sœurs concernant leur implication sinon même leur
participation au massacre de Sovu. En outre, plusieurs publications, tant
nationales qu'internationales, notamment des rapports de African Rights Watch,
vont faire état du rôle joué par ces deux religieuses lors des événements au
monastère de Sovu. Le 6 décembre 1995, le procureur du roi de Bruxelles prendra
des réquisitions complémentaires à charge de MUKANGANGO Consolata et MUKABUTERA
Julienne du chef d'infraction à la loi du 16 juin 1993 relative à la répression
des infractions graves aux Conventions de Genève. MUKANGANGO Consolata sera
inculpée par le juge d'instruction en date du 25 janvier 96 mais elle ne sera
pas placée sous mandat d'arrêt. MUKABUTERA Julienne sera également entendue par
le juge d'instruction le 25 janvier 96 mais celui-ci ne l'inculpera pas, à
défaut d'indices suffisants à ce moment, quant à la participation de l'accusée
aux faits mis à sa charge.
L'instruction va néanmoins se poursuivre de manière active avec
une nouvelle commission rogatoire au Rwanda, en juin 95. Une commission
rogatoire en France, en janvier 96 et une commission rogatoire en Tanzanie,
auprès du Tribunal international. Il convient également de signaler que
plusieurs parties civiles se constitueront dans le courant de l'instruction
contre les deux religieuses. Deux commissions rogatoires d'une importance
essentielle auront lieu : l'une au Rwanda du 28 février 2000 au 5 mars
2000, l'autre adressée au TPIR. Ces deux commissions rogatoires ont trait au
nommé REKERAHO Emmanuel, chef de la milice de Sovu et adjudant réserviste des
FAR. Il aurait joué un rôle essentiel dans les massacres de Sovu et est
notamment désigné comme la personne ayant versé l'essence sur le garage du
centre de santé où se trouvaient des centaines de réfugiés.
Le dossier concernant la procédure suivie à l'encontre de REKERAHO
Emmanuel au Rwanda sera joint ainsi que les déclarations faites par l'intéressé
devant les enquêteurs du TPIR, déclarations qui sont extrêmement accablantes
pour les deux sœurs.
REKERAHO Emmanuel a été condamné à mort au Rwanda en première
instance, mais a interjeté appel de cette décision.
Les faits reprochés aux deux accusées.
Le couvent des sœurs bénédictines se trouve à Sovu, dans la
commune de Huye, et MUKANGANGO Consolata (sœur Gertrude en religion) en est la
mère supérieure au moment des événements tragiques du Rwanda. Dans la première
semaine suivant l'attentat contre l'avion présidentiel, la préfecture de Butare
resta relativement calme et à l'abri des violences ethniques. Comme déjà
indiqué ci-dessus, cela était en grande partie dû au fait que cette préfecture,
la seule dans tout le Rwanda, était sous la responsabilité d'un préfet Tutsi.
Toutefois, des massacres avaient déjà eu lieu dans des communes voisines,
notamment à Maraba, dans la préfecture de Gikongoro et les habitants de Sovu
craignaient que les violences s'étendent à leur région. Les premiers réfugiés
étaient arrivés au couvent de Sovu, le 17 avril 94, mais il semble qu'ils
étaient rentrés chez eux le soir, croyant que les récits concernant les
massacres dans les communes voisines, n'étaient que des rumeurs. Les réfugiés
sont néanmoins revenus en grand nombre, le 18 avril 1994. Il convient de
signaler que, durant les événements au monastère de Sovu, plusieurs groupes
distincts s'y trouvaient, à savoir, un groupe de personnes en session, les
familles de certaines sœurs Tutsi, le personnel et les familles du personnel et
finalement les réfugiés de la région de Sovu et d'ailleurs.
Les trois premières catégories semblent avoir été hébergées dans
le couvent alors que les réfugiés seront orientés vers le centre de santé. Il
s'est en effet rapidement avéré que sœur Gertrude ne voulait en aucun cas que
les réfugiés soient cachés à l'intérieur du couvent ne voulant pas déranger les
activités ordinaires du monastère et les gens qui y étaient en stage, craignant
aussi que la présence massive des réfugiés ne mène inexorablement à la
destruction du monastère. Plusieurs rescapés, notamment les nommées MUKAMANA
Séraphine, le témoin Véranda et MUKABUTERA Adeline, font état de propos très
durs de sœur Gertrude parlant des réfugiés comme de la saleté. D'après sœur
le témoin 75 les deux accusées, sœurs Gertrude et sœur Kizito, ont
quitté le monastère le 18 avril 1994 pour se rendre à Butare. Lorsqu'elles sont
revenues, elles étaient accompagnées de militaires qui ont ordonné aux réfugiés
de quitter les bâtiments du monastère et les ont refoulés vers le centre de
santé.
Il ressort aussi de plusieurs témoignages que les réfugiés n'ont
pas été nourris, malgré le fait qu'il y avait des stocks de nourriture et que,
le 18 ou le 19 avril 94, un certain le témoin 110 avait apporté une
douzaine de sacs de riz à distribuer aux réfugiés. Sœur Gertrude aurait refusé
cette distribution au motif qu'elle ne voulait pas être accusée de complicité
avec les « Inkotanyi » (autre nom donné aux Tutsi). Il ressort aussi
de plusieurs témoignages, notamment celui de Rude MUGOHEVAZ, de Josepha
le témoin 81 et de Domitila MUKABANZA, que les deux accusées ont probablement, le
20 avril 1994, fait procéder à un recensement des réfugiés dans le but,
soi-disant, de pouvoir leur fournir de la nourriture. Celle-ci n'a toutefois
jamais été distribuée aux réfugiés.
Le 19 avril 1994, le président intérimaire Théodore SINDIKUBWABO,
ainsi que plusieurs ministres du gouvernement intérimaire, se rendent dans la
préfecture de Butare et y tiennent un discours extrêmement incendiaire,
reprochant aux Hutu de Butare de se comporter comme des gens non concernés par
les événements et de rester inactifs, et les exhortant à venger la mort du
président. A partir de ce moment, les choses vont changer et les massacres vont
s'intensifier dans toute la région de Butare. Il convient de signaler ici que
l'instruction a révélé, bien que les deux accusées le niaient, qu'elles entretenaient
de très bonnes relations avec le chef de la milice, le nommé REKERAHO Emmanuel.
Ce dernier a lui-même déclaré qu'il avait appris à connaître de plus près les
deux accusées par l'intermédiaire d'un certain KALIDO Casien qui était un
voisin du monastère. REKERAHO prétend qu'à partir de janvier 1994, il a
rencontré fréquemment sœur Gertrude et sœur Kizito en compagnie de KALIDO et de
Gaspard RUSANGANWA, assistant du bourgmestre de Ngoma. L'épouse de ce dernier
confirmera d'ailleurs, devant les enquêteurs du TPIR, que des réunions avaient
lieu à son domicile où sœur Gertrude, accompagnée de sœur Kizito, venait voir
son mari. REKERAHO Emmanuel confirme que ces discussions portaient sur la
politique, les accords d'Arusha et le partage du pouvoir. Il en ressort que
sœur Gertrude avait des opinions fort tranchées, clairement anti-Tutsi,
manifestant par exemple son désaccord avec la nomination comme premier ministre
d'Agathe UWILINGIYIMANA.
Lors d'une de ces réunions, probablement le 8 avril 94, donc après
l'attentat sur le président, sœur Gertrude a remis à REKERAHO le minibus Toyota
du couvent. Après l'attentat sur le président et après les discours du
président intérimaire, REKERAHO soutient avoir eu une réunion le 19 ou le 20
avril, chez Gaspard RUSANGANWA avec sœur Gertrude et sœur Kizito, où il a été
longuement discuté de la teneur des propos du président intérimaire. A cette
occasion, sœur Gertrude aurait dit, je cite : « Qu'on risquait de la
retrouver morte, étranglée avec tous ces Tutsi qui se trouvaient chez
elle ». Fin de citation.
REKERAHO l'aurait assurée qu'il ferait tout pour la protéger. Le
21 avril, il y aura déjà une première tentative d'attaque contre les réfugiés
qui seront refoulés à l'intérieur du centre de santé et qui seront encerclés
par de nombreux Hutu, des Interahamwe et des militaires. Les réfugiés qui
tenteront de fuir le centre de santé, seront abattus à coups de machette par la
population Hutu, les militaires partiront après, laissant le monastère et le
centre de santé encerclés par les Interahamwe et la population, promettant de
revenir le lendemain, 22 avril 94, pour lancer l'assaut. Dans sa déclaration
devant les enquêteurs du TPIR, REKERAHO soutient que le 21 avril 94, après le
départ des militaires, il a rencontré au monastère sœur Gertrude et sœur Kizito
et leur a fait part du plan d'attaquer le centre de santé, le lendemain ce qui
avait l'air de les rassurer. Les massacres vont effectivement commencer le 22
avril 1994 et vont avoir lieu en trois vagues : l'attaque et le massacre
du centre de santé le 22 avril 94, le massacre au monastère, le 25 avril 94, et
finalement le 6 mai 1994, le massacre des membres de la famille des sœurs
Tutsi.
Le massacre du centre de santé, le 22 avril 94.
L'attaque du centre de santé commence le 22 avril 94, vers 7
heures 30. La première attaque aura lieu par des militaires armés de grenades
et d'armes à feu. Après cela, lorsque les réfugiés étaient affaiblis et
physiquement diminués, ce sont les milices Interahamwe et la population Hutu
qui sont entrés dans le centre de santé, armés de machettes, de massues, de
houes et qui ont commencé à tuer et achever les réfugiés.
REKERAHO lui-même était sur place pour participer et superviser le
travail. Il déclarera, lors de la commission rogatoire au Rwanda en mars 2000,
que le terme « travailler » était à l'époque l'équivalent de tuer. Il
partira vers 8 heures 30 pour aller prendre le thé et reviendra vers 14 heures,
après son dîner, pour vérifier où en était le « travail ». A ce moment
les tueries étaient toujours en cours. Plusieurs témoins font état du fait que
sœur Kizito aurait parlé aux attaquants avant le massacre. En fait, les
attaquants auraient appelé leur sœur sœur Kizito avant de commencer leur
travail. Il est à remarquer que les deux frères de sœur Kizito faisaient partie
des milices Interahamwe. Vers 15-16 heures, des réfugiés s'étaient retranchés
dans le garage du centre de santé et s'y étaient enfermés. Les attaquants ont
alors décidé de les brûler vifs et ont fermé la porte avec un cadenas pour
empêcher toute fuite. REKERAHO déclare qu'à un certain moment, les assaillants
se sont trouvés à court d'essence, mais qu’il leur a été répondu qu'il n'y
avait aucun problème et qu'il y avait de l'essence au couvent.
REKERAHO prétend que sœur Gertrude et sœur Kizito ont elles-mêmes
amené deux jerrycans d'essence. Plusieurs témoins confirment ce fait, à tout le
moins en ce qui concerne sœur Kizito, qui aurait même participé au versement de
l'essence et aurait attisé le feu en faisant chercher de l'herbe séchée. Dans
ce garage se trouvaient entre 500 et 700 personnes tandis que le nombre total
de réfugiés au centre de santé était estimé par certains, entre 5 à 6.000
personnes, pour d'autres, sur base des noms figurant sur la liste, à 3.500
personnes. Sœur le témoin 75 déclare qu'elle a entendu, de la bouche
des policiers mêmes, que le 22 avril 1994 il y avait eu 7.000 morts. Plusieurs
témoins feront aussi état du fait que pendant et après le massacre, sœur Kizito
se promenait avec une liste à la main, vérifiant que les personnes y figurant
étaient bien mortes.
Le massacre au monastère le 25 avril 94.
Le soir du 22 avril 94, sœur Gertrude annonce aux autres sœurs
qu'elle craint que les massacres se focaliseront sur elles, le jour après, et
décide de fuir le monastère. Elle annonce immédiatement que seules les sœurs
pourront s'enfuir, à l'exclusion des réfugiés survivants du massacre qui se
sont cachés au monastère et de la famille des sœurs Tutsi. Devant cet état de
choses, trois sœurs qui avaient des membres de leur famille au monastère,
refuseront de partir et resteront au couvent, à savoir : sœur Fortunata
dont les parents, deux sœurs et un neveu se trouvaient à Sovu ; sœur
Bénédicte dont les nièces étaient au couvent ; et sœur Scholastique qui
avait sa nièce et son neveu près d'elle. Le 23 avril 1994, les sœurs partent
vers Ngoma, et à cette occasion sœur Gertrude refusera à nouveau de prendre
d'autres personnes. Ce même jour, le 23 avril 1994, Emmanuel REKERAHO se rend
au couvent de Sovu pour continuer le travail consistant à enterrer les corps
des victimes des massacres du jour précédent. Lorsqu'il y arrive, il est fort
surpris et fâché par le fait que les sœurs étaient parties, surtout d'ailleurs
sœur Kizito qu'il, je cite : « Considérait comme sa
sœur de sang » estimant aussi qu'elle courait le risque d'être massacrée à
Ngoma. REKERAHO se rendra lui-même à Ngoma et finalement les sœurs reviendront
au couvent de Sovu, le 24 avril 94, escortées par des militaires et accompagnées
par REKERAHO. D'après ce dernier, sœur Gertrude semblait contente d'être
revenue alors que les sœurs Tutsi étaient très inquiètes.
Le 25 avril 1994, REKERAHO, sachant que plusieurs réfugiés se
trouvent encore au couvent, y retourne tandis que des milices Interahamwe
attendent devant le portail. Il déclare avoir eu un entretien avec les sœurs
Gertrude et Kizito qui voulaient se débarrasser des réfugiés, sous prétexte
qu'elles n'avaient pas suffisamment de nourriture. REKERAHO leur aurait dit
qu'il n'était en tout cas pas d'accord de tuer les membres des familles des
sœurs, ce qui ne correspondait pas du tout au vœu ni de sœur Gertrude ni de
sœur Kizito. REKERAHO a alors demandé, sur base d'une liste qui avait été
dressée, de faire sortir tous les réfugiés afin qu'il puisse procéder à un tri.
Sœur Gertrude aurait incité les réfugiés à sortir afin de préserver les
bâtiments du monastère. Les réfugiés seront regroupés à l'entrée de
l'hôtellerie et répartis par REKERAHO en trois groupes distincts. Le premier
groupe était composé de gens originaires de Sovu, le deuxième de gens en
session dans le monastère et le troisième, la famille des sœurs Tutsi.
Les deux premiers groupes ont été livrés aux milices Interahamwe,
emmenés vers le centre de santé et tués, tandis que REKERAHO épargnera le
troisième groupe. Il s'adressera à eux disant qu'il avait le pouvoir de décider
de leur vie ou de leur mort mais qu'il estimait qu'il avait assez tué, que les
réfugiés qui restaient n'étaient en tout cas pas les gens qui allaient diriger
le pays et que lui, ne reviendrait donc plus au couvent pour tuer.
REKERAHO va ordonner aux milices et aux gens qui se trouvaient sur
place, de se retirer.
REKERAHO rendra encore visite à sœur Gertrude dans les jours qui
suivent et, à chaque fois, elle tentera de convaincre de prendre aussi les
derniers réfugiés, ce que l'intéressé refusera. D'après sœur Scholastique le
nombre de morts pour le 25 avril 1994, était de 600 selon les policiers mêmes.
Le massacre des derniers réfugiés, le 6 mai 94.
Il subsistait encore environ 30 réfugiés au monastère après le 25
avril 94. Il ressort des déclarations de sœur le témoin 75, de sœur
le témoin 101 et de sœur le témoin 44, que sœur Gertrude n'a eu
cesse d'exercer des pressions voire des menaces sur les autres sœurs pour
qu'elles livrent les derniers réfugiés, partant du fait que leur présence au
couvent mettait en danger leur propre vie.
Le 5 mai 1994, sœur Gertrude adresse une lettre au bourgmestre de
la commune de Huye dans laquelle elle écrit ce qui suit :
« Objet : demande de protection des
autorités
Monsieur le Bourgmestre,
Durant ces dernières semaines, il y a eu des
gens qui sont venus au monastère de Sovu de manière
habituelle, soit comme visiteurs qui ne restaient pas plus d'une semaine, soit
pour la plupart en mission et d'autres qui venaient se reposer ou bien prier.
Depuis que la guerre s'est propagée à travers tout le pays, il y a d'autres qui
sont venus de manière désordonnée et qui s'obstinent à rester ici. Et nous
n'avons aucun moyen de les entretenir dans l'illégalité. Il y a quelques jours
j'ai demandé aux autorités communales de venir les mettre en demeure de
retourner chez eux ou bien d'aller partout ailleurs où ils veulent vivre parce
que, ici au monastère, nous ne disposons plus d'aucun moyen de subsistance. Je
vous demande avec instance, Monsieur le Bourgmestre, que la date du 6 mai 1994
soit la date limite. Il faut que tout soit terminé à cette date pour que les
travaux habituels du monastère se poursuivent sans inquiétude. Nous vous
confions à Dieu dans nos prières.
La sœur supérieure sœur Gertrude Consolata
MUKANGANGO ».
D'après sœur Scholastique et sœur Régine, sœur Gertrude aurait
pris la voiture le 6 mai 1994 et serait partie, accompagnée de Gaspard
RUSANGANWA. Elle serait revenue vers 15 heures en compagnie de Gaspard et du
bourgmestre de Huye, Jonathan RUREMESHA, qui lui était accompagné de policiers
armés tandis que des milices Interahamwe encerclaient le monastère. Tout le
monde a été obligé de sortir et le bourgmestre a déclaré que les massacres
étaient terminés, que les personnes habitant d'autres préfectures seraient
envoyées à la préfecture de Butare pour y obtenir des sauf-conduits, tandis que
ceux habitant dans les environs pouvaient rentrer à pied. Toutes ces personnes
seront massacrées, les unes immédiatement sur le chemin, les autres dans un
endroit ignoré, à Butare.
C'est ainsi que vont mourir les membres de la famille de sœur
le témoin 44, à savoir ses deux frères Déo GATETE et Placide SEPT, les
membres de la famille de sœur le témoin 75, à savoir sa nièce Chantal
MUSABYEMARIYA et son fils Arnaud CRISPIN âgé de 18 mois, ainsi que des membres
de la famille d'autres sœurs Tutsi. La mère et les deux sœurs de sœur Régine
le témoin 101 ainsi que les deux sœurs d'une autre religieuse, sœur Fortunata, sont
revenues vers le couvent car elles avaient remarqué les massacres qui avaient
lieu. La mère de sœur Régine aurait alors demandé à un policier de les fusiller
au lieu de les tuer à la machette. Ce policier a demandé de l'argent pour le
faire et a reçu de la mère de sœur Régine, la somme de 7.000 francs rwandais,
après quoi il a fusillé les six personnes. Lorsque les combats entre les
soldats du gouvernement FAR et les FPR ont atteint la périphérie de Butare, le
1er juillet 1994, les sœurs ont été évacuées vers l'évêché de
Butare. C'est REKERAHO qui a conduit le convoi qui les y emmena. Les sœurs
séjourneront ensuite au Zaïre, puis en France, pour finalement arriver en
Belgique, au couvent de Maredret, le 16 août 1994. Le monastère même de Sovu
n'a jamais été attaqué au cours des événements d'avril à juillet 94.
L'instruction révèlera notamment, suite au témoignage de la nommée
le témoin 20, qu'une fois en Belgique, les sœurs de Sovu se trouvaient
sous l'influence de sœur Gertrude qui tenta de restreindre leur mouvement, les
empêcha de communiquer avec des étrangers et même de communiquer entre elles. A
un certain moment, les sœurs qui avaient fait des déclarations accablantes pour
sœur Gertrude et sœur Kizito, seront d'ailleurs séparées les unes des autres,
étant envoyées dans d'autres couvents. Sœur le témoin 75 et sœur
le témoin 44 exprimeront le désir de retourner au Rwanda ce que la
hiérarchie religieuse en Belgique refusera. Finalement, ces deux sœurs
réussiront quand même à rejoindre le Rwanda nonobstant l'opposition de la
hiérarchie religieuse.
L'instruction révèle également que des pressions ont été exercées
par les instances religieuses pour que les sœurs reviennent sur leurs
déclarations accablantes à l'égard de sœur Gertrude et sœur Kizito, ainsi
d'ailleurs que pour empêcher que sœur Scholastique et sœur Marie-Bernard
puissent rentrer dans le couvent de Sovu.
Les expertises psychiatriques des accusées :
MUKANGANGO Consolata.
Les psychiatres ont estimé que MUKANGANGO Consolata est
responsable de ses actes. Elle se place en victime de l'hostilité de deux de
ces religieuses qui l'ont accusée. Les examens ont révélé un état de stress
post-traumatique mais également une personnalité de base pathologique et
fragile. L'organisation de la personnalité serait de type psychotique,
caractérisée par la mise en échec des capacités de différenciation, l'existence
de mécanisme de déni de réalité, des failles considérables dans la qualité du
rapport au réel et dans le registre des identifications primaires, la prégnance
des processus primaires. Le fonctionnement psychotique s'accompagnerait d'une
composante perverse de la personnalité.
MUKABUTERA Julienne.
Les psychiatres ont estimé que MUKABUTERA Julienne est responsable
de ses actes. Les examens ont révélé un état de stress post-traumatique mais
aussi une personnalité névrotique et fragile, ayant besoin d'un milieu
structuré. Il s'agit d'une personne qui serait extrêmement vulnérable, assez
désorganisée, que ce soit sur le plan idéationnel ou comportemental face au
stress, même quotidien.
La personnalité des accusées.
MUKANGANGO Consolata.
L'accusée est née le 15 août 1958 à Gitarama, comme second d'une
phratrie de cinq enfants. Elle a un frère et trois sœurs dont une décédée à
l'âge de 20 ans. Son père est mort en 1994 au cours de la guerre au Rwanda,
tandis que sa mère est décédée en 1999. Après des études primaires, elle a
suivi l'école familiale apprenant à s'occuper des tâches ménagères et
d'enfants. Elle a obtenu un certificat de fin d'études, en 1976. Elle a aidé sa
mère pendant un an puis, en 1977, à l'âge de 19 ans, elle est entrée au couvent
de Sovu. Elle y suit des cours pendant son postulat et son noviciat et prononce
ses vœux solennels en 1984. Elle part en France en 1985, pour y suivre des
cours de théologie mais n'y reste qu'un trimestre, préférant poursuivre ses
cours en Belgique, à l'Abbaye de Maredsous. Il s'agit d'un cycle de trois ans
dont elle n'en fait que deux, retournant au Rwanda. Elle revient en Belgique en
1990 pour terminer sa troisième année, puis retourne au monastère de Sovu en
1991 où elle restera jusqu'à son évacuation, en 1994. Actuellement elle vit à
Maredret.
MUKABUTERA Julienne.
Est née le 22 juin 1964 à Sovu comme sixième d'une phratrie de
douze enfants dont six sont décédés avant la guerre. Son père tenait une
épicerie et est mort en 1990 suite aux blessures que des bandits lui avaient
infligées dans son épicerie. Sa mère vit toujours. Elle a suivi l'école
primaire dans son village, puis a fait des études post-primaires, tâches
ménagères - éducation des enfants, elle a poursuivi ses études de 83 à 86 en
suivant des cours de secrétariat dans une école privée. Elle a abandonné ses
études à la mort de son père et est entrée au couvent de Sovu, en 1986. Elle
vit actuellement à Maredret.
Résumé.
En conséquence, Vincent NTEZIMANA, Alphonse HIGANIRO, MUKANGANGO
Consolata et MUKABUTERA Julienne sont accusés d'avoir dans la préfecture de
Butare au Rwanda et de connexité ailleurs au Rwanda, les faits relevant de la
compétence territoriale des juridictions belges par application de l'article 7
de la loi du 16 juin 1993, commis les infractions graves énumérées ci-après,
qualifiées crimes de droit international, portant atteinte par action ou
omission aux personnes et aux biens protégés par les Conventions signées à
Genève le 12 août 1949 et approuvées par la loi du 3 septembre 1952 et par les
Protocoles 1 et 2 additionnels à ces conventions adoptées à Genève le 8 juin 1977
et approuvés par la loi du 16 avril 1986.
Soit donné l'ordre, même non suivi d'effet, de commettre des
crimes de droit international ;
Soit proposé ou offert de commettre des crimes de droit
international ou accepté une pareille proposition ou offre ;
Soit provoqué à commettre des crimes de droit international, même
si la provocation n'a pas été suivie d'effet ;
Soit participé, au sens des articles 66 et 67 du Code pénal, aux
crimes de droit international, même si la participation n'a pas été suivie d'effet
;
Soit omis d'agir dans les limites de sa possibilité d'action alors
qu'ils avaient eu connaissance d'ordres donnés en vue de l'exécution de crimes
de droit international ou de faits qui en commencent l'exécution alors qu'ils
pouvaient en empêcher la consommation ou y mettre fin ;
Soit tenté, au sens des articles 51 à 53 du Code pénal, de
commettre un crime de droit international.
En l'espèce :
Le premier Vincent NTEZIMANA
Dans la préfecture de Butare au Rwanda, entre le 6 avril 1994 et
le 27 mai 1994.
1. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne de KARENZI Pierre-Claver.
2. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne de MUKAMUSONI Alphonsine.
3. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne de chacun des enfants du
couple KARENZI-MUKAMUSONI, soit Solange, Malik et Mulunga.
4. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne de KAREKEZI Marie-Claire.
5. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne d'un jeune homme dont
l'identité n'a pas été déterminée à ce jour.
6. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne d'une jeune fille blessée
dont l'identité n'a pas été déterminée à ce jour.
7. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne de Nicole NDUWUMWE.
8. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis des homicides sur un nombre indéterminé de personnes dont
l'identité n'a pu être déterminée à ce jour.
Le deuxième Alphonse HIGANIRO
Dans la préfecture de Butare au Rwanda et de connexité ailleurs au
Rwanda, entre le 15 août 1993 et le 4 juillet 1994, en l'espèce, notamment par
des écrits.
Premier écrit :
« Suggestions émises par la Commission
politique du comité directeur des fonctionnaires affectés à Butare et adhérents
au MRND :
Compte tenu de la situation grave du pays,
lequel sombre dans les suites du coup d'état civil amorcé par les accords
d'Arusha. Les membres de la Commission politique susmentionnée demandent aux
comités nationaux de veiller à informer rapidement les comités préfectoraux des
événements politiques actuels.
Suivant les informations dont nous disposons,
tout serait mis en œuvre pour parachever le coup d'état civil véhiculé par les
accords d'Arusha.
Face à cet état de chose, il est impératif que
l'union des Hutu se fasse à tous les niveaux pour barrer la route aux Tutsi
assoiffés de pouvoir.
A notre avis, cette union existe d'ores et déjà
à la base chez les adhérents des partis MDR, CDR et MRND.
En outre, les membres de la Commission
suggèrent que face à ce danger, les préoccupations partisanes cèdent la place à
l'union, les négociations en vue des concessions entre partis devant être
engagées ultérieurement.
Enfin, d'après des informations concordantes,
des plans d'extermination existent, et il est indispensable d'organiser une
défense collective. Celle-ci pourrait passer par le canal des cellules,
lesquelles malheureusement ne fonctionnent plus en raison du litige des
indemnités des membres des comités de cellule qui restent impayées.
En conclusion, la Commission propose que le
Comité national du MRND :
-Tienne régulièrement informés les présidents
des comités préfectoraux sur l'évolution des négociations en vue de la mise en
place des institutions de la transition.
-S'attache à la réunification des Hutu de tous
les partis politiques en vue de barrer la route au coup d’état civil d'Arusha.
A cet effet, tous les moyens sont bons car il en va de la survie de cette
ethnie.
-Demande aux comités préfectoraux de se
consacrer à renforcer l'union des Hutu et à leur autodéfense collective, tous
partis confondus ».
Deuxième lettre
Rapport n° 2 de
la Commission politique du Comité directeur des fonctionnaires affectés à
Butare adhérents au MRND.
« Les extrémistes Tutsi, assoiffés de
pouvoir, continuent leur route pour parachever le coup d'état véhiculé par les
accords d'Arusha. La Commission pense que, dans ces conditions, les Hutu n'ont
aucun intérêt à ce que les institutions de transition soient mises en place
sans le PL MUGENZI car ces mêmes Hutu vont se
faire « gandagure » aussitôt.
En outre, la commission regrette que l'union
des Hutu n'ait pas pu être effective au niveau de la tête, notamment, à cause
de la médiocrité des leaders-powers du MDR. Elle demeure, néanmoins, convaincue
que cette union existe et peut être mise à profit à la base au niveau des
adhérents des partis MDR, CDR, MRND.
Enfin, il est indispensable et alors urgent
d'organiser une défense collective qui doit passer par les cellules dont les
responsables doivent être re-dynamisés.
Concrètement, la Commission propose :
1. Le président de la République, en tant
que gérant de la stabilité du pays, et les accords d'Arusha ayant été signés
pour la réconciliation nationale, doit se convaincre qu'il ne serait pas
opportun que la mise en place des institutions de transition exclue ou retarde
l'entrée en fonction des forces importantes comme celles appartenant au PL
MUGENZI. Il faut donc différer la mise en place des institutions de transition.
2. Le délai devrait permettre aux Hutu de
faire, jusqu'à l'obtention de gain de cause, une véritable démonstration de
force (marches populaires, arrêt des activités, blocage des routes,
séquestration, etc., en un mot pays mort...) pour montrer le désaveu de la
population vis-à-vis de la non-application intégrale des accords d'Arusha en ce
qui concerne les pouvoirs conférés aux partis, et sa détermination pour que son
point de vue soit tenu en compte. Ce petit délai devrait permettre également,
aux militants du MDR particulièrement, d'exprimer clairement leur opinion.
3. Sur le plan strictement juridique, le
texte de l'Assemblée Nationale ne peut pas être mis en place sans le PL ou sans
modification de certains passages des accords d'Arusha. Or, qui en a la
compétence pour qu'il s'exprime d'abord ?
4. Enfin, si le fait de retarder la mise
en place des institutions de transition ne permettait pas à la population de
faire savoir son point de vue, il serait inutile de différer encore plus
longtemps la mise en place de ces institutions surtout que le FPR, sur le plan
économique en profiterait pour nous avoir par asphyxie ».
Troisième lettre
« Gisenyi, le 23 mai 1994.
Merci pour votre lettre-rapport et pour le
carburant, que j'espère acquis au prix normal, qui me permet de travailler.
La situation militaire est grave, faute surtout
d'armes et de munitions. Ces fournitures demeurent la grande préoccupation du
gouvernement.
Pour la sécurité dans Butare, il faut
poursuivre et achever le nettoyage.
Vous travaillez dans des conditions difficiles
(sécurité, fourniture d'eau, etc.), mais il faut tenir compte surtout que les
prochaines ruptures de stock nous permettent encore près de 2 mois de travail.
Pour la circulation, vous pouvez vous confier aux autorités militaires et au
Conseil de sécurité de la préfecture en respectant leurs consignes.
Ne m'envoyez pas le bilan trimestriel vu le
budget corrigé 94 et je passerai à Butare pour les examiner dès que possible.
Je m'occupe pour le moment de la défense de la République, surtout en relation
avec le Zaïre. Notre seule voie (suit une partie illisible…). On a beaucoup de
forces en personnel, il faut donc (autre partie illisible…) tourner en une
seule (autre partie illisible…). Réformer le veilleur MBONYUBUMBO est une
nécessité urgente. le témoin 121 Joris doit habiter près de l'usine, sinon le
dispenser du travail pendant 15 jours. Si pas de reprise possible de travail,
suspendre son salaire. C'est dommage !
Il va de soi que tous les disparus, déserteurs
et autres qui ne travaillent pas, pas de salaire.
Le cas du magasinier est inquiétant. Le
remplacer temporairement par quelqu'un d'autre pour la meilleure gestion des
stocks.
Prière de respecter scrupuleusement le manuel
des procédures et autres notes de service (partie du texte illisible…) ».
a. Donc, avoir
par ces écrits, incité, provoqué à un, volontairement avec intention de donner
la mort et avec préméditation, commis un homicide sur la personne de
Pierre-Claver KARENZI.
b. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne d'Alphonsine MUKAMUSONI.
c. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne de chacun des enfants du
couple KARENZI-MUKAMUSONI, soit Solange, Malik, Mulanga ainsi que sur la
personne de deux neveux de Pierre-Claver KARENZI, soit Thierry et Emeri
KANYABUGOYI et Séraphina.
d. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur un nombre indéterminé de personnes dont
l'identité n'a pu être déterminée ce jour.
2. Dans la préfecture de Butare au Rwanda :
A Butare, entre le 6 avril 1994 et le 27 mai 1994.
a. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne d'un jeune homme dont
l'identité n'a pu être déterminée à ce jour.
b. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne d'une fille blessée dont
l'identité n'a pu être déterminée à ce jour.
3. Dans la préfecture de Gisenyi au Rwanda, entre le 5 avril
1994 et le 9 avril 1994 :
Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne de Benoît le témoin 123, de son
épouse, Constance NIWEMUKOBWA et leurs enfants, Olive le témoin 123 et Aline
le témoin 21.
4. Dans la préfecture de Gisenyi au Rwanda, entre le 5 avril
1994 et le 9 avril 1994 :
Avoir tenté volontairement, avec intention de donner la mort et
avec préméditation de commettre un homicide sur la personne d'Olivier
le témoin 123, Sylvie NIMEWUKOBWA, Louise UWERA et Yvette UMWARI.
La troisième MUKANGANGO Consolata et la quatrième MUKABUTERA
Julienne.
Dans la préfecture de Butare au Rwanda, entre le 17 avril 1994 et
le 7 mai 1994, à plusieurs reprises, notamment les 22 avril 1994, 25 avril 1994
et 6 mai 1994.
a. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne de Déo GATETE et Placide
SEPT.
b. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur la personne de Chantal MUSABYEMARIYA et
Arnaud Crispin BUTERA.
c. Volontairement, avec intention de donner la mort et avec
préméditation, commis un homicide sur un nombre indéterminé de personnes dont
l'identité n'a pu être déterminée à ce jour.
Sur quoi la Cour d'assises de l'arrondissement administratif de
Bruxelles Capitale aura à statuer.
Le Président : Je vous remercie. Mesdames, Messieurs les
accusés, veuillez vous lever un instant, un bref instant, c'est tout simplement
parce que la loi me dit de vous dire que vous venez d'entendre ce dont vous
êtes accusés et que vous allez maintenant entendre les charges produites contre
vous, c'est-à-dire qu'il va être procédé à la suite de la procédure, notamment
par l'audition de témoins. Vous pouvez vous asseoir.
Monsieur l'avocat général, vous avez, si vous le désirez la parole
pour exposer le sujet de l'accusation, à moins que vous ne vous en référiez aux
termes de votre acte d'accusation.
L’Avocat Général : Je me réfère à mon acte d'accusation Monsieur le
président.
Le Président : Alors. Nous allons peut-être suspendre un quart
d'heure. Ensuite, nous procéderons peut-être dans l'ordre, pour que ce soit
plus logique, par la lecture de l'acte de parties civiles et enfin les actes de
défense et je procéderai quand même aujourd'hui à l'interrogatoire d'identité,
hein, ce sera fort ramassé malheureusement, des accusés. On ne procédera pas
aux auditions des expertises psychiatriques aujourd'hui, ça ne paraît pas
raisonnable, sinon ça va vraiment se prolonger trop tard. Donc on poursuivra
sans doute demain matin à 9 heures par l'audition du juge d'instruction qui va
brosser la manière dont il a pu organiser son instruction, donc c'est un
tableau tout à fait général sur la manière dont il a été saisi, de quoi il a
été saisi, comment il a pu organiser son instruction pour trouver les éléments
qui figurent dans l'armoire. Euh… et ensuite à 10 heures 30 on fera venir les
médecins psychiatres ainsi que la psychologue qui a procédé aux examens complémentaires
de Madame MUKANGANGO et de Madame MUKABUTERA.
Il serait peut-être agréable, si vous avez le rapport d'expertise,
que celui-ci soit déposé à la fin de l'audience d'aujourd'hui pour qu'on puisse
en établir des copies pour les parties et, c'est déjà fait, ah si c'est fait on
a déjà une copie ici, alors ça va. L'original peut être éventuellement déposé
demain au moment où les experts déposeront.
Donc, suspension pendant un quart d'heure ? Nous reprenons à
15 heures. |
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