assises rwanda 2001
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compte rendu intégral du procès
Procès > Acte d’accusation, actes partie civile, actes défense > Actes partie civile
1. Lecture acte d’accusation par avocat général 2. Actes partie civile 3. Actes défense
 

4.2. Actes de partie civile

Le Greffier : La Cour

Le Président : L'audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place.

Bien. Alors les parties civiles souhaitaient exposer le contenu d'un acte de partie civile, je ne sais pas si c'est comme ça que vous l'avez intitulé. Qui prend la parole ?

Ce sera vous Maître HIRSCH pour l'ensemble des parties civiles ?

Me. HIRSCH : Je peux m'engager pour certaines d'entre elles, dont je vais vous dire les noms. Mais je ne sais pas s'il y a d'autres déclarations qui doivent être…

Le Président : Y a-t-il d'autres conseils de parties civiles qui comptaient faire une déclaration préliminaire ?

Me. RAMBOER : …qui a été dressée par Maître GILLET et Maître HIRSCH.

Le Président : Bien. D'accord.

Me. HIRSCH : J'allais le dire, Monsieur le président, donc Maître Dirk RAMBOER, Maître Georges-Henri BEAUTHIER, Maître Jan FERMON, Maître Patricia JASPIS, Maître Philippe LARDINOIS se sont associés à la déclaration que Maître Eric GILLET et moi-même avons préparée.

Le Président : Bien. Alors, je vais demander si ce n'est déjà fait, qu'on distribue un exemplaire de cet acte aux jurés et jurés suppléants, et est-ce qu'il serait possible que nous en ayons un aussi, ainsi que Monsieur l'avocat général. La défense a déjà reçu copie de cet acte.

Me. HIRSCH : Oui monsieur le président.

Le Président : Eh bien, Maître HIRSCH je vous donne la parole pour la lecture de cette déclaration préliminaire.

Me. HIRSCH : Merci Monsieur le président. Mesdames et Messieurs du jury. Nous nous adressons à vous comme avocats de victimes du génocide des Tutsi au Rwanda. Nous représentons des survivants de Butare et leurs parents en Belgique. Certains ont déposé plainte dès le mois de juillet 1994, et se sont ensuite constitués partie civile. D'autres le feront par notre intermédiaire avant la fin des débats.

J'aimerais vous parler de chaque victime, de chaque père, de chaque mère, de chaque enfant, de chaque famille dont les liens ont été brisés. Impossible d'en citer même les noms. A Butare, il y a eu entre 100.000 à 300.000 morts. A ce jour, les morts n'ont pas pu être comptés. Les corps ont été ensevelis dans des fosses, jetés, abandonnés. Les survivants sont encore aujourd'hui à la recherche des corps de leurs proches, pour leur donner une sépulture. Au cours de ces semaines, lorsque nous parlerons plus particulièrement d'une famille décimée, ce sera sans jamais oublier les autres, toutes les victimes, tous sont là. Les accusés sont venus en Belgique car ils pensaient y trouver refuge et y jouir de l'impunité. Être à l'abri de la justice, ils ont eu tort. Le monde se rétrécit autour des criminels contre l'humanité.

Un témoignage.

Durant le génocide, un prêtre se cacha pendant neuf jours dans la sacristie. Il dit : « Je lisais le livre de Jérémie le chapitre "Les lamentations". Autour de moi j'entendais les cris, la mort qui rôde. Je me disais que s'ils me trouvent, je leur parlerai avant qu'ils ne me tuent. Je leur demanderai : « Etes-vous devenus fous ? Avez-vous perdu la raison ? ». J’avais très peur, si peur que j'avais de la peine à respirer. J'étais noué, je me couchais pour mieux respirer. Je n'ai pas perdu la foi durant ces jours là. C'est après, lorsque vous pensez à la dureté des cœurs, à la résistance à la vérité, à l'occultation des crimes, que vous vous prenez à douter de l'homme et de Dieu aussi. Si je retrouve un jour un assassin qui me dise : « Ecoute c'est moi qui ai tué ton père », je pleurerai, je me dirai : « Cet homme revient à l'humanité, il refait surface ».

Les victimes, les survivants sont parfois sans parole, dans le silence, incapables de dire parfois, sans mémoire, personne n'est préparé à survivre. Chaque survivant est seul. Certains vont avoir la force de parler; des femmes vont quitter leurs collines pour la première fois, elles vont faire un long voyage pour vous rencontrer, pour vous parler, pour nommer devant vous ce qui leur est arrivé sous le regard des accusés. La force de raconter, de vous raconter. C'est terrible de raconter. Parce que raconter c'est revivre. C'est réinscrire la souffrance dans son corps, dans son être, dans sa mémoire, c'est vivre encore l'impuissance de n'avoir pas pu empêcher que son enfant soit arraché et tué sous vos yeux. Que votre petite fille soit violée devant vous avant d'être laissée pour morte. Parler, c'est réactiver des souvenirs, c'est dire qu'on est vivant, là devant vous, alors que tous sont partis et qu'on aurait voulu les suivre. La mort ne l'a pas voulu. Ils vivent encore dans la mort des leurs et c'est la mort des leurs qu'ils vivront sous nos yeux. Les survivants sont responsables de la transmission de la mémoire. Pour acquitter leurs dettes envers les morts. Pour donner par la parole, un cercueil aux morts. Mais comment parler ? Comment dire ? Comment transmettre ? C'est la peur de mal dire. La peur de mal faire. La peur de mal témoigner. La peur de trahir la mémoire des morts. Ces hommes et ces femmes vont venir non pas pour accorder le pardon, non pas pour demander vengeance, mais pour demander justice.

Mesdames et Messieurs du jury, comme nous, vous allez être confrontés à l'indicible. Vous allez voir des images insoutenables. Des enfants mutilés. Les coups de machettes inscrits dans les corps. Des charniers où s'entremêlent les corps de femmes, d'hommes, d'enfants, de bébés tués dans les bras de leur mère. Comme nous, vous allez entendre des récits abominables. Vous allez les écouter. Comme nous, vous allez parfois vous sentir submergés par la souffrance, y être confrontés, à la confusion de vos propres sentiments. La colère, la rage, la peur, la tristesse, l'impuissance, le dégoût. Comme nous, vous allez souhaiter que cela n'existe pas, que cela n'ait jamais existé. Pour ne pas être confronté à cela. Vous allez perdre vos repères, comment est-ce possible ? Vous allez avoir envie de fermer les yeux pour ne pas voir. De vous boucher les oreilles pour ne pas entendre, pour ne pas ressentir, l'idée d'humanité est atteinte, fissurée par ce crime contre le statut de l'être humain. Le génocide va s'inscrire dans notre présent. L'innommable va entrer dans cette salle. Vous allez avoir besoin de courage pour entendre et écouter. Vous allez porter ce poids pendant longtemps. Ce sera lourd et douloureux. Comment des hommes et des femmes ont pu décider que d'autres n'avaient pas le droit d'exister et qu'il fallait les éliminer jusqu'au dernier. Et il y aura cette question lancinante. Comment est-ce possible ? Comment ont-ils pu faire cela ? Oui, vous allez devoir pénétrer l'horreur pour juger, lutter contre l'impunité et vous allez trouver le courage de rendre la justice.

Me. GILLET : Ce génocide a été planifié. Il n'a pas surgi d'une impulsion subite et spontanée d'une partie de la population. Les Hutu qui, attribuant la mort de leur président aux Tutsi, s'en seraient pris à ceux-ci, aveuglément. D'abord conçu dans le cercle le plus rapproché du président défunt, ce génocide a mobilisé tous les moyens de l'État rwandais contre la minorité Tutsi et également contre tous les opposants démocrates, toutes ethnies confondues. Une propagande, élaborée de longue date par certaines élites intellectuelles du pays et sans cesse perfectionnée, a permis de conditionner une population à tuer. A Butare, c'est-à-dire à l'échelle locale, comme il le fut à l'échelle nationale, le génocide s'est reposé sur trois piliers. L'État lui-même, avec son administration, son armée et ses milices.

En deuxième lieu, les milieux d'affaires, qui ont fourni les moyens financiers et logistiques provenant du détournement des fonds publics et des contributions des entreprises industrielles et commerciales dominées par des proches du pouvoir.

Et enfin, en troisième lieu, les milieux intellectuels. Les représentants de deux des trois piliers nécessaires pour réussir le génocide à Butare sont présents aujourd'hui dans le box des accusés. Monsieur HIGANIRO Alphonse, directeur d'entreprise et Monsieur NTEZIMANA Vincent, brillant professeur d'université. Le militaire, représentant du troisième pilier, est absent. Il s'agit du capitaine NIZEYIMANA Ildéphonse. Vous apprendrez que ce trio meurtrier n'est pas né avec le génocide, il s'était constitué bien avant. L'efficacité du génocide à Butare a reposé sur la complicité qui unissait ces membres et quelques autres. Enfin, il y a ceux qui, dans l'Église, ont pris le parti inconditionnel des extrémistes.

Mesdames et Messieurs du jury, dès le 7 avril 1994, premier jour du génocide, le gouvernement lance cette entreprise ignoble et ordonne à chacun de rester chez soi. Cet ordre vise à permettre à l'armée rwandaise et aux milices d'éliminer méthodiquement, sur base de listes pré-établies, les Tutsi et les Hutu qui ne sont pas acquis à l'idéologie raciste. Il suffit d'aller les trouver chez eux. Dans les rues, des barrières sont dressées et ceux qui essaient de fuir sont sauvagement exécutés. Les familles recluses vivent impuissantes le rapprochement progressif des tueurs. Elles donnent par téléphone, aux familles et amis résidents à l'étranger, les noms de leurs futurs assassins. Jusqu'au moment fatal où la maison suivante est la leur. C'est ainsi que la mort de familles entières a été vécue d'ici en direct, par téléphone.

Quelques semaines plus tard, les premiers assassins fuyant déjà le Rwanda, apparaissent tranquillement dans les rues de Bruxelles, de Liège, de Namur ou d'Anvers. Souvent, ils ont pu compter sur l'aide précieuse d'amis belges pour faciliter leur arrivée. Ce sont ces circonstances atroces qui poussent ceux qui résident en Belgique, victimes eux-mêmes du génocide, à déposer des plaintes contre les bourreaux des leurs, alors que le génocide est à peine terminé. Ce sont ces circonstances qui expliquent la détermination qui les anime depuis le premier jour jusqu’ aujourd'hui. Des rescapés vivant au Rwanda les ont entre temps rejoints ou les rejoindront au cours du procès. Aujourd'hui, les adolescents qui ont tué, devenus adultes, se suicident. Des enfants n'ont pas encore retrouvé la parole. Ce qu'ils ont vu les a enfermés dans un mutisme qui achève de les détruire. Les enfants du viol ont sept ans. Mais ils ne savent pas encore qui ils sont. Mais ce procès attendu depuis sept ans, qui n'aurait pas eu lieu sans la vigilance constante de quelques-uns, fait pourtant déjà partie de l'histoire intime de tous ceux-là. Des morts comme des vivants. Aujourd'hui, ce sont des crimes contre l'humanité que vous allez juger. Vous êtes saisis en vertu du principe de compétence universelle. Vous n'êtes pas seulement un tribunal belge, vous êtes un tribunal qui représente la communauté humaine.

Le Président : L'original de ce document signé devrait être évidemment versé au dossier. Oui, Maître HIRSCH.

 
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