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8.7.3. Lecture de déclarations de témoins par le président : Sœur
Bénédicte KAGAJU et commentaires de la défense et des parties civiles
Le Président : Le classeur
n° 1… Alors, une attestation de sœur Bénédicte KAGAJU, dactylographiée, datée
du 2 avril 1995.
« Révérend père abbé président, je suis contente
de trouver un moment pour vous partager quelques nouvelles. D’abord, je vous
souhaite le temps liturgiques, deux semaines de la Passion, puis la fête de
Pâques. Premièrement, je suis très triste pour les difficultés où sœur Gertrude
est plongée en cette période. On a dit au Rwanda jusqu’en Belgique qu’elle a
participé au génocide. Cela n’est pas vrai. C’est une invention mensongère causée
par la jalousie. Cette haine envers elle existait déjà avant la guerre d’avril
1994 - j’interprète parfois parce qu’il y a des fautes de frappe - à
partir de l’élection le 2 juillet 1993, quand elle fut nommée une première prieure
rwandaise. Voilà l’origine de tout. Le génocide était comme un prétexte pour
la faire tomber, aussi la revanche, car il y avait une inimitié avec quelques-unes
très propagandistes pour empêcher la confiance envers les autres bavardes, murmuratrices,
etc. Je suis témoin de toutes ces choses. J’avais observé tout en silence avec
un cœur souffrant. Les familles de Sovu Tutsi étaient à l’hôtellerie, la mienne
y était, mes nièces sont trois et quatre petites nièces. Moi aussi je suis Tutsi,
sans mélange, descendant du roi KIGERI III. Les chefs du génocide ont ordonné
énergiquement de faire sortir tout le monde, sauf les sœurs. Sœur Gertrude a
fait comme elle pouvait pour les défendre. On a refusé avec violence. On a tué
tous sans pitié. Les huit sœurs avec une postulante sont mortes dehors du monastère,
ce n’est pas la faute de sœur Gertrude.
Nous avons quitté toutes le monastère de Sovu,
le 1er juillet 1994, par l’ordre de l’évêque de Butare. En arrivant
à l’évêché, on nous a partagés en deux groupes, un groupe reste à l’évêché,
l’autre à ICA. Le 3 juillet 1994, des militaires français ont ordonné de quitter
Butare pour aller à Gikongoro ou Bujumbura au Burundi. Toutes celles qui ont
logé à l’évêché se sont orientées vers Bujumbura, sauf sœur Ermelinda et sœur
Bernadette qui ont quitté notre groupe par leur volonté pour rejoindre qui allait
au Burundi. Si huit sœurs et une postulante sont mortes en route vers le Burundi,
ce n’est pas la faute de sœur Gertrude. Révérend père abbé président, en vous
présentant ces écrits, je montre la confiance envers vous dans les difficultés
communes, surtout pour sœur Gertrude. Je vous demande aussi, par le mandat divin
que le Seigneur vous a confié dans la congrégation de l’Annonciation, de défendre
sœur Gertrude, les choses sont devenues très graves. Supplions l’esprit de vérité
qu’il nous aide à rendre ce témoignage dans la vérité. Révérend père abbé président,
accueille mes paroles confidentes et filiales et je vous demande votre bénédiction.
Votre enfant, sœur Bénédicte KAGAJOU ».
Dans le classeur
n° 4… Une autre attestation de sœur Bénédicte KAGAJU, dressée à l’abbaye de
Maredret le 3 septembre 1995.
« Moi, sœur Bénédicte KAGAJU, monastère Sovu,
Rwanda, je supplie la justice en demandant de m’écouter ce que je demande et
le donne par la fidélité à leur devoir. Je suis triste à cause de mensonges
qu’on publie contre sœur Gertrude en disant qu’elle a participé au génocide
à Sovu, en avril 1994. J’étais là lors des événements, depuis leur début jusqu’à
ce que toutes les sœurs, nous avons quitté le monastère avec notre novice et
nos postulantes. C’est après la mort du président le témoin 32, lors du nouveau
gouvernement de SINDIKUBWABO et KAMBANDA et leur état-major, qu’on a commencé
à tuer tous les Tutsi et les Hutu riches qui n’étaient pas d’accord avec eux,
les Hutu modérés. Les nôtres, qui sont venus chercher refuge auprès de nous,
ceux qu’abritaient notre centre de santé, personne n’a pu s’échapper du massacre,
on les a tous tués jusqu’à ce que les militaires viennent chercher dans nos
maisons si personne ne s’est échappé. Ceux de nos familles ont été assassinés
bien après. Certains ont été tués dans nos jardins, d’autres, un soldat les
a forcés avec arme à monter en Toyota jusqu’à Butare où ils ont trouvé leur
mort. Ceux de ma famille étaient au nombre de sept. Sœur Gertrude a fait tout
son possible pour sauver tout ce monde, mais en vain, elle-même allait y perdre
sa vie.
Donc, ce sont nous, les sœurs, qu’ils ont laissé
la vie. C’est une injustice très grave de mettre sœur Gertrude parmi les assassinats.
Moi, qui sommes encore vivante, c’est grâce à elle, à son courage, partant au
Zaïre à Bangui, en France et en Belgique, j’admire son intelligence géniale
pour nous sauver. Le Seigneur lui rendra le centuple. Vous aussi, je vous demanderai
de lui rendre justice. Les personnes qui l’accusent et qui répandent tous ces
mensonges, c’est qu’elles n’ont personne pour leur contredire. Celles-ci ont
d’autres causes qui leur fait dire tout cela. Je m’arrête à ce bref écrit qui
dit beaucoup. Je crois que la justice qui s’occupe de cette affaire voudra bien
m’écouter, m’exaucer et effacera toutes ces accusations pleines de mensonges
à sœur Gertrude, rendra sa dignité ».
Maître WAHIS ?
Me. WAHIS : Un tout petit
commentaire, Monsieur le président. Malgré son vif désir d’être entendue, sœur
KAGAJU est la seule sœur qui avait de la famille dans le monastère qui ne sera
jamais entendue par le juge d’instruction. C’est la seule, bien entendu aussi,
comme vous l’avez remarqué, qui dit que sœur Gertrude a tout mis en œuvre pour
sauver les familles, qu’elle n’a pas pu empêcher ce qui s’est passé. Vous constaterez
que le caractère de la machine de ces deux attestations n’a rien à voir avec
le caractère utilisé par la sœur Aloïse, au mois d’avril 1995 et enfin, à notre
connaissance, sœur KAGAJU n’est ni amnésique, ni détenue au Rwanda.
Le Président : Maître JASPIS ?
Me. JASPIS : En effet, mais
elle est très âgée, très malade. C’est la tante d’Aline KAMANZI, et je note
que dans ces attestations, sœur Bénédicte s’abstient soigneusement - est-ce
qu’elle en a seulement conscience ? - de faire la moindre allusion aux
conditions dans lesquelles sa nièce a disparu. Vous vous souviendrez qu’il s’agit
de la fameuse affaire du voile qui n’a pas été donné par sœur Gertrude à Aline.
Il est regrettable qu’en effet, nous n’ayons pas eu l’occasion de lui poser
directement la question, mais c’était son état de santé qui l’empêchait de voyager.
Le Président : D’autres commentaires ?
Bien. Donc, ah, Maître RAMBOER ?
Me. RAMBOER : Monsieur le
président, peut-être un tout petit commentaire. Même si les caractères ne sont
pas les mêmes, la déclaration, la première déclaration, a été faite le 13 avril,
donc, le même jour que toutes les autres déclarations qui ont été faites.
Le Président : Non,
je ne pense pas. Je pense avoir dit le 2 ou le 3 avril.
Me. RAMBOER : J’avais compris
le 13, je m’excuse.
Le Président : Maître WAHIS ?
Me. WAHIS : En ce qui concerne
le grand âge de sœur Bénédicte, il est quand même curieux de constater qu’en
1998, elle a été interrogée dans le cadre du procès REKERAHO par les enquêteurs
rwandais et il apparaît, c’est une audition de deux pages extrêmement complète
et extrêmement précise et à l’époque en tout cas, le grand âge de sœur Bénédicte
ne l’empêchait aucunement de pouvoir être auditionnée, comme par exemple par
les enquêteurs belges.
Le Président : Bien. Donc,
on a, sauf erreur de ma part, fait le tour des lectures demandées par les parties.
Maître RAMBOER ?
Me. RAMBOER : Peut-être un
petit commentaire quand même. Je crois que les enquêteurs belges ici ont déclaré
que si elle n’a pas pu être entendue ni à Sovu, ni à Maredret, c’est qu’elle
n’était pas présente. Donc, on peut se demander pourquoi elle n’était pas présente.
Le Président : Vous ne voulez
vraiment pas dire un mot, Maître WAHIS ?
Me. WAHIS : Juste par souci
de la réalité. Vous vous rappellerez qu’en réalité, la seule réaction, la première
réaction de Monsieur le juge d’instruction et des deux enquêteurs, c’est de
s’être regardés tous les trois en se disant : « Mais si, il semble
quand même qu’elle ait été entendue dans le cadre de ce dossier ».
Le Président : Bien. Alors,
nous allons suspendre l’audience. On la reprendra cet après-midi à 13h30. Il
y a une dame qui viendra témoigner vers 13h30, le témoin dont j’ai fait demandé
la convocation, et alors à 15h30, semble-t-il, on a pu joindre Monsieur le témoin
Jean-Marie Vianney pour qu’il se présente aussi. Donc, il y aura peut-être du
flottement entre les deux témoignages, il n’y aura plus de lecture à faire,
donc, vous pourrez sans doute rentrer relativement tôt chez vous pour vous préparer
à la suite de la procédure. Si on a un peu de temps, peut-être alors que les
parties civiles pourraient peut-être préciser aujourd’hui, je ne sais pas, enfin,
les personnes pour lesquelles elles interviendront, si on a un peu de temps
aujourd’hui. Bien. Donc, l’audience est maintenant suspendue, elle reprendra
à 13h30. |
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