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9.5. Réplique de l’avocat général
Le Président :
L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir
et les accusés peuvent prendre place. Je crois que, pendant la suspension, on
vous a distribué la loi de 96 rwandaise et le projet de questions qui est susceptible
d’être modifié, hein, aussi bien en y ajoutant qu’en y retranchant, éventuellement
des questions, pour autant qu’en en retranchant, l’arrêt de renvoi soit malgré
tout vidé. Bien, je vais, Monsieur l’avocat général, vous donner la parole pour
votre réplique.
L’Avocat Général :
Je vous remercie, Monsieur le président. Madame,
Messieurs les juges, Mesdames et Messieurs les jurés. Comme vous l’a dit le
président : « Une réplique se doit d’être brève, et ne peut en aucun
cas être une nouvelle plaidoirie, ni un nouveau réquisitoire ». Je vais
donc respecter cette règle et je la respecterai d’autant plus facilement que
rien de ce qui n’a été dit ici au niveau de la défense des accusés n’est de
nature à me faire changer quoi que ce soit au contenu de mon réquisitoire, ni
oral, ni écrit. C’est dommage pour toute cette salive, pour ces effets de manche,
pour ces magnifiques imitations de l’accent canadien et autres, mais moi, je
reste complètement, n’est-ce pas, sur toutes mes positions.
Je vous ai dit qu’on allait essayer de vous noyer
sous des détails, sous des contradictions apparentes, sous des différences apparentes
ou non dans les déclarations des nombreux témoins. J’ai eu raison du dire :
la défense ne m’a, sur ce point-là, pas du tout déçu. Vous avez eu droit à la
panoplie entière ici de la mise en cause des enquêteurs, des témoins, des organisations
des droits de l’homme, de la presse, des journalistes, des autorités rwandaises,
la thèse du complot généralisé, la thèse même - j’ai entendu - de la vengeance
personnelle, vengeance personnelle contre sœur Gertrude, parce qu’on n’avait
pas digéré sa désignation. On est pratiquement au complot politique - j’y reviendrai
d’ailleurs tout à l’heure.
Tout cela était tout à fait prévisible. Je vous
rétorquerai simplement que, comme je vous l’ai dit dans mon réquisitoire, je
préfère de loin des inexactitudes qui, pour moi, ne font qu’identifier et authentifier
le récit ; je préfère de loin ces inexactitudes-là aux déclarations identiques
des religieuses amies entre guillemets - et pas entre astérisques, entre guillemets
- des autorités hiérarchiques soit ecclésiastiques, soit universitaires, des
déclarations de l’entourage de Monsieur HIGANIRO ou de ce qu’il en reste ici
en Belgique, le chœur des sœurs de Sovu, la chorale de SORWAL ou les fraternels
de l’UCL, tous sur la même longueur d’onde.
Je vous ai dit : « Les accusés nient,
ils ne peuvent rien faire d’autre : on n’avoue pas l’inavouable et on n’admet
pas l’inadmissible ». Cette réaction sera d’ailleurs la même pour l’entourage
des accusés : eux aussi ne peuvent admettre, car admettre serait reconnaître
que l’on s’est trompé, que l’on s’est peut être laissé rouler, et qu’on a peut-être
trop vite cru à ce qui ne devait pas l’être. Alors, on continue à nier, à renforcer
les négations - et je vous l’ai dit : « L’histoire nous l’apprend :
le pas de la négation au négationnisme est très vite fait ». Je vous ai
dit, au cours de mon réquisitoire, que le fil rouge, la trame de mon récit qui
apparaît à travers tous ces événements reste entière. Ce fil rouge, cette trame
est restée intacte et je dirais même plus : elle ne s’est que renforcée
au cours de ces débats. Tout se tient, tout devient cohérent : les déclarations
qui se trouvaient dans le dossier, ajoutées aux déclarations que vous avez entendues
ici à l’audience, ajoutées parfois à des déclarations qui sont arrivées ici
en dernière minute, tout ça ne fait qu’accentuer la trame du récit que je vous
ai fait.
Quand moi j’ai rédigé mon acte d’accusation, je
ne savais pas que Monsieur NKUYUBWATSI allait être arrêté et, a fortiori, je
ne savais certainement pas ce qu’il pouvait aller raconter. D’ailleurs, je vous
ai dit et je vous le répète qu’à la limite, moi, je n’ai pas besoin du témoignage
de Monsieur NKUYUBWATSI, puisque tout ce que Monsieur NKUYUBWATSI a déclaré,
à la télévision ou devant un enquêteur ou un magistrat rwandais, se trouvait
déjà dans le dossier.
Le récit de Monsieur NKUYUBWATSI, par exemple, ne
fait qu’accentuer les rôles de Monsieur HIGANIRO et de Monsieur NTEZIMANA, ne
fait que confirmer les récits faits par Monsieur le témoin 142 et par Monsieur Longin
le témoin 118. Les éléments apparus ici à l’audience, en ce qui concerne le rôle
de Monsieur HIGANIRO à la SORWAL, son rôle réel dans le génocide, sa « gestion »
- toujours entre guillemets - de la SORWAL, l’engagements des milices Interahamwe,
le financement de ces milices, l’ADSK : tout cela se trouvait déjà dans
le dossier et les déclarations ultérieures. C’est le père le témoin 18 qui parle
pour la première fois du coffre-fort des Interahamwe, les éléments concernant
certains clients douteux, les renseignements fournis par Monsieur NSANZUWERA
ou son collège KAYIMURA, de Kigali, tout cela ne fait que renforcer et ne fait
que confirmer ce qui se trouvait déjà au dossier. D’ailleurs, si toutes les
accusations étaient aussi faibles, aussi risibles, aussi peu établies qu’on
a tenté de vous le faire croire ici pendant une ou deux semaines, pourquoi alors
s’acharner aussi longuement, aussi lourdement, parfois aussi scandaleusement
sur les témoins à charge, sur les enquêteurs, sur le juge d’instruction et sur
les parties civiles ?
Cette tactique de la défense sera la même pour les
quatre accusés : il faut coûte que coûte que enquêteurs, juge d’instruction,
organisations, témoins survivants, organisation telle que African Watch, soient
discrédités soient eux - et je vais employer le mot de Maître VERGAUWEN - soient
eux diabolisés. Il faut faire passer, chez vous, le message que tout cela est
un coup monté, un procès truqué, avec des témoins sélectionnés, préparés, parce
que des témoins, n’est-ce pas - même lorsqu’il s’agit de témoins comme Monsieur
REKERAHO - les témoins c’est gênant, surtout lorsqu’ils sont plusieurs, et surtout
lorsqu’ils racontent tous la même histoire. Lorsqu’il n’en reste qu’un seul,
comme c’est par exemple le cas d’le témoin 134 ou de Benoît le témoin 123, on
va aussi, de manière indirecte ou parfois de front, mettre en doute ce témoignage
en disant qu’il s’agit d’une partie intéressée, une partie qui a un intérêt
à déclarer ce qu’ils déclarent.
Est-ce que vous croyez vraiment qu’le témoin 134
ou Benoît le témoin 123 ont un intérêt à déclarer ce qu’ils déclarent ? Est-ce
que vous croyez vraiment que les parties civiles - parce que c’est cela qu’on
insinue du côté de la défense - ont un espoir, aussi infime soit-il, de récupérer
quoi que ce soit de ce qui leur a été fait ? Est-ce que, par une constitution
de partie civile, leurs parents vont en une fois revivre ? C’est ça qu’il
faut quand même, Mesdames et Messieurs les jurés, tenir à l’œil.
Ce n’est pas pour rien, me semble-t-il, que Madame
DESFORGES, a justement intitulé son livre : « Aucun témoin ne doit
survivre ». Parce que tout ce qui s’est passé au Rwanda, à Butare et à
Sovu, je vous l’ai déjà dit, c’est tellement horrible, c’est tellement inimaginable,
c’est tellement incroyable que, s’il n’y a pas de témoins pour le raconter ou
si on arrive à discréditer les témoins de telle manière, eh bien, tout le monde
pourra replanter, à l’aise, le portrait idyllique, charmeur, angélique, naïf,
bourru, c’est selon, des quatre accusés. Je trouve ce raisonnement un peu court.
En ce qui concerne Monsieur NTEZIMANA : si,
dans la première partie de son intervention, Maître CARLIER s’est attelé à tenter
de décortiquer les faits, il n’a quand même pas non plus pu résister à la tentation
de mettre en cause les accusateurs donc, les trois personnes à l’UCL qui font
les premières déclarations accablantes, ensuite le témoin anonyme, puis l’organisation
des droits de l’homme dont fait partie Monsieur Gasana NDOBA, et puis finalement,
de façon directe, et - je pèse mes mots - de façon assez éhontée, Monsieur Gasana
NDOBA lui-même.
Cela me semble symptomatique dans ce dossier, et
toutes les parties, toutes les défenses confondues vont d’ailleurs adopter la
même méthode. Aucun témoin, lorsqu’il fait des déclarations qui vont à l’encontre
des accusés, ne trouve grâce aux yeux des avocats de la défense. Soit c’est
un témoin préparé, sélectionné, conditionné. Soit, il s’agit d’un témoin inculpé
par ailleurs, dont les déclarations, même lorsqu’elles sont rejointes par d’autres
témoins, doivent être réfutées en bloc. Par exemple, Monsieur NKUYUBWATSI et
- comme dit Maître VANDERBECK - « le délicieux Monsieur REKERAHO ».
Soit il s’agit d’un témoin qui est aussi partie civile et qui donc, par ce fait
seul, est devenu un témoin à éviter. Soit il s’agit d’un témoin qui n’est pas
partie civile mais dont le témoignage est quand même soupçonné, uniquement parce
que la teneur du témoignage ne convient pas à la défense.
C’est, par exemple, le cas de Monsieur le témoin 40, en
ce qui concerne Monsieur HIGANIRO : Monsieur le témoin 40 qui met à mal - pour
ne pas dire qu’il détruit complètement - l’histoire du camion fantôme. C’est
le cas de l’abbé le témoin 54, dont on fait - par ailleurs et à juste titre - l’éloge
pendant plusieurs minutes. Mais, en une fois, lorsque Monsieur le témoin 54, l’abbé
le témoin 54 parle des relations entre sœur Gertrude et le lieutenant HATEGEKIMANA,
là alors, le témoignage de ce témoin dont on a fait l’éloge pendant plusieurs
minutes, là, ce témoin n’est plus crédible. Même chose en ce qui concerne Monsieur
Jean-Bosco SEMINEGA, Monsieur le témoin 142, Madame le témoin 91, Madame NAMANA
et j’en passe.
Ce que la défense tente de vous faire croire - je
dirais même de vous faire avaler - eh bien, en somme, c’est ce qui se trouve
dans cette fameuse lettre - enfin lettre, ce torchon - qui nous est arrivé ici
le 1er juin de Monsieur l’archevêque de Myrrhe en Lycie - je n’ai
toujours pas réussi à trouver où ça se trouve, mais enfin - mais cette lettre,
dont tout le monde a déploré l’arrivée et le mauvais goût, mais tout le monde
du côté de la défense est en train, en somme, de vous dire que ce qui se trouve
dans cette lettre est précisément ce qui se passe ici : on a employé les
termes, ici à la défense, de procès truqué. Ce n’est pas pour rien probablement
que la devise de Monsieur - j’ai oublié son nom - de Myrrhe en Lycie est « Semper idem » : toujours la même
chose. C’est grotesque, c’est ridiculement grotesque : heureusement que
le ridicule ne tue pas parce qu’il y aurait une énième, ou plusieurs autres,
victimes du génocide rwandais, ici, dans la salle.
Les seules personnes que vous devez croire à entendre
ici les défenses toutes confondues, ce sont les accusés qui eux, bien évidemment,
n’ont aucun intérêt à mentir. Plus blanc - c’est mauvais comme jeu de mots ici
mais enfin - plus blanc que ça, c’est pas possible. Eux n’ont pas intérêt à
mentir, ce qu’eux disent c’est, on l’a dit : « Parole d’Evangile ».
Eux sont de bonne foi - les accusés - et les témoins qui vont dans leur direction vous
les croyez ; les autres : vous foutez leur déclaration au bac. Vous
me permettrez de dire que vous n’allez pas tomber dans ce panneau-là, Mesdames
et Messieurs les jurés.
Petite parenthèse : Maître CARLIER vous a,
à un moment, parlé du fait qu’en décembre 95, le procureur GOLDSTONE - c’était
le procureur d’avant Madame del PONTE - avait écrit qu’il n’estimait pas devoir
se charger du cas de NTEZIMANA, et il vous a dit qu’ensuite, le juge d’instruction
avait ensuite remis en liberté Monsieur NTEZIMANA. Bon, j’ai déjà constaté ça
à plusieurs reprises, dans les Cours d’assises : on cherche dans le dossier
et on en trouve toujours au moins une, une décision d’un juge qui a libéré une
personne. Et alors, on vous dit : « Voilà un juge qui a libéré Monsieur
NTEZIMANA ». Ici, vous avez même un juge national et un procureur international.
On ne va pas faire de l’arithmétique - je sais bien que Monsieur HIGANIRO est
mathématicien, mais bon quand même. Ce juge d’instruction a libéré, la Chambre
du conseil a libéré, un juge, la Chambre des mises en accusation a réformé trois
juges. Trois à un. Donc, je ne vais pas m’appesantir sur des éléments de ce
genre là.
Puis, Maître CARLIER vous a dit : « Le
ministère public n’avait eu cesse de multiplier les accusations ». Je vous
dis simplement : « Vous prenez mon acte d’accusation que vous avez
sous les yeux : cet acte d’accusation reprend exactement les mêmes faits
que ceux qui ont toujours été reprochés à Monsieur Vincent NTEZIMANA et je n’ai,
à aucun moment donné, ajouté quoi que ce soit, dans mon acte d’accusation ».
D’ailleurs, je ne vois pas en quoi je devrais encore en rajouter, cela me semble
déjà assez grave comme ça.
J’en viens maintenant à quelques remarques sur les
listes. On a posé la question ici de savoir : « Pourquoi Monsieur
KARENZI s’est-il inscrit sur ces listes ? », demande Maître CARLIER.
C’est donc qu’il devait avoir confiance dans Monsieur NTEZIMANA. Eh bien oui,
la réponse est : « Oui, Monsieur KARENZI avait confiance en Monsieur
Vincent NTEZIMANA ». Monsieur Vincent NTEZIMANA est, à ce niveau-là, la
parfaite illustration de ce que Maître VERGAUWEN a plaidé, à savoir : « Le
double visage, la double personnalité du génocidaire, inspirant confiance d’une
part, donnant l’impression de vouloir protéger, aider, pour après plus facilement
pouvoir tuer ».
Et, je me base sur le dossier - la réponse se trouve
sur le dossier. Regardez la réponse d’le témoin 134, et je cite ce
que j’ai repris du dossier : « Monsieur KARENZI nous a réuni à plusieurs
reprises pour discuter du fait de fuir ou pas, mais il était d’avis de ne pas
partir pour ne pas donner l’impression qu’on n’avait pas confiance dans la sécurité
à Butare, et surtout vis-à-vis des professeurs de l’université ». Voilà
la réponse : elle se trouve dans le dossier. On vous a dit aussi que Monsieur
NTEZIMANA lui-même n’était d’ailleurs pas toujours présent pour ces listes ;
que, d’ailleurs, c’était lui qui avait pris l’initiative mais que la rédaction
des listes, c’était pas lui. C’est tout à fait possible mais il faut alors regarder
qui c’était. C’était Monsieur François BANYERETSE, Monsieur François BANYERETSE,
c’est, dans le dossier du Rwanda, ce n’est pas n’importe qui. Et c’est Monsieur
François BANYERETSE qui va d’ailleurs dire à Monsieur le témoin 150 que
tout cela est un vaste piège et qu’il a intérêt, lui, à ne pas s’inscrire sur
cette liste.
Alors, on vous a dit que ces listes n’étaient pas
nécessaires pour pouvoir tuer. Il s’agissait - je voudrais quand même le souligner,
on ne tuait pas uniquement que des Tutsi, on tuait des Hutu modérées, on tuait
des personnes opposées au régime - il fallait savoir quelles étaient les personnes
qui, notamment en voulant fuir Butare, se déclaraient comme opposants au régime
et je vous dis quand même aussi, Monsieur Innocent NKUYUBWATSI l’a déclaré :
« NTEZIMANA et NIZEYIMANA, à leur domicile, planifiaient, indiquaient :
cette personne-là doit être tuée parce qu’elle appartient à ce parti politique-là,
etc… ». Les militaires, en plus - on l’a assez signalé ici - venaient du
Nord, ne connaissaient pas la région. Même lorsqu’on la connaît, on se trompe
- regardez Monsieur STASSIN et le juge VANDERMEERSCH qui se sont trompés de
maison de Monsieur NTEZIMANA. Donc, il fallait bien, et des listes et des personnes
pour pointer, pour indiquer où se trouvaient les personnes à éliminer.
Alors, quand j’ai entendu dire ici que ces listes,
c’était dans la compétence du vice-recteur Monsieur Jean Berckmans NSHIMYUMUREMYI,
que c’était dans sa compétence de traiter de ces « problèmes » - encore
une fois entre guillemets pragmatiques, je dois dire que je trouve ça une
remarque assez cynique. Maintenant, l’assassinat de la famille KARENZI :
Maître CARLIER vous a exposé qu’il y avait quatre hypothèses possibles concernant
ce fameux coup de fil, pour en arriver alors finalement à la conclusion qu’il
y avait bien eu un coup de fil, mais que Monsieur NTEZIMANA n’avait pas répondu.
En outre, Maître CARLIER vous a dit qu’il y a quand même d’autres Vincent à
l’UNR. Je vous signale qu’il y a peut-être d’autres Vincent à l’UNR, mais qu’il
n’y a pas beaucoup de Vincent, professeur à l’UNR, voisin de Pierre-Claver KARENZI
et collègue de Pierre-Claver KARENZI. Regardez le plan que Maître CARLIER vous
a remis : eh bien, si vous regardez ce plan, vous n’en trouvez qu’un, voisin,
collègue, professeur, Vincent, c’est Monsieur Vincent NTEZIMANA ici présent.
J’ai aussi entendu dire qu’le témoin 134 n’était
pas convaincue du fait que ce soit bien Monsieur Vincent NTEZIMANA à qui on
a téléphoné. Pourtant, lorsqu’on lit son carnet, elle l’écrit dans son carnet
qui a été rédigé - pour reprendre une expression qu’on a déjà utilisée ici à
plusieurs reprises - in tempore non suspecto. Alors, quand j’entends
dire que Monsieur Gasana NDOBA aurait fort tardivement parlé de l’existence
d’le témoin 134, je m’excuse, mais là on plaide carrément contre le dossier.
La première déclaration de Monsieur Gasana est du 30 septembre 1994 : il
parle d’le témoin 134 à Monsieur de STEXHE de la police d’Ottignies Louvain-la-Neuve,
le 11 avril 1995, donc même avant que Vincent NTEZIMANA soit placé sous mandat
d’arrêt; donc qu’on ne vienne pas me dire que c’est fort tardivement, en une
fois, que Monsieur Gasana aurait parlé de l’existence d’le témoin 134.
Maître CARLIER, par ailleurs, fait l’impasse complète
sur les déclarations de Jean-Bosco SEMINEGA, celles dont on a fait autant de
cas ici. Ce témoin déclare clairement sans aucune équivoque possible, que Vincent
NTEZIMANA n’était pas dans la maison du témoin 143 à ce moment. C’est là où
intervient l’épisode de la fameuse lettre reprise, remise par Madame le témoin 143,
ici à l’audience.
J’ai noté les termes utilisés par Maître CARLIER
à ce moment-là : « Il s’agit d’un témoignage… le témoignage de Monsieur
le témoin 150 est un témoignage forcé, et un témoignage forcé par qui ? Un témoignage
forcé par Monsieur le témoin 142 ». Je dois vous dire - les bras m’en tombent
- je ne vois pas en quoi Monsieur le témoin 142 aurait forcé Monsieur le témoin 150 en quoi
que ce soit. D’ailleurs Monsieur le témoin 150 a été entendu sur cela et il a dit
que lui n’avait subi aucune pression, que du contraire. Dire enfin que les enfants
KARENZI auraient été dénoncés par une des sœurs du couvent des benebikira, c’est
à mon avis de la pure conjecture : vous savez qu’il ressort clairement
du dossier que les enfants KARENZI ont pu, à un certain moment donné, passer
la barrière, ont pu se rendre au couvent des benebikira. Pourquoi ? Parce
que les soldats ou les miliciens qui tenaient cette barrière savaient où ils
se trouvaient et pouvaient aller les rechercher au moment où cela leur semblait
le plus utile : c’était jouer - comme on l’a déjà dit ici et ce qui arrivait
souvent à cette époque - c’était, en plus de tous les massacres et de toutes
les horreurs qui ont eu lieu, c’était jouer au chat et à la souris avec les
victimes.
Même chose pour l’assassinat de NDUMUMWE, il y a
quatre témoins qui donnent la même relation des faits. Ce sont des témoins qui
donnent la même relation des faits, et ces faits ne cadrent pas dans ce que
Monsieur NTEZIMANA voudrait bien entendre dire - donc ces quatre témoins :
on les jette dans la poubelle, et on va se baser sur le fait que ces témoins
ne sont pas venus, ici à l’audience, pour compléter ou confirmer leur témoignage.
Je voudrais quand même vous signaler que la défense
m’a demandé également plusieurs témoins, et que plusieurs témoins demandés par
la défense ne sont pas venus, dont par exemple deux avocats d’ « Avocats
sans frontières », dont par exemple le colonel le témoin 27, dont par exemple
Monseigneur MISANGO. Cela n’a pas beaucoup d’importance : il y a quatre
déclarations qui disent qu’on a vu Monsieur NTEZIMANA accompagné des militaires
pointer la maison et qu’ensuite, on a entendu des coups de feu. Eh bien, cela
me suffit, ce sont des faits. Moi, je me base sur des faits ; moi, je ne
me base pas sur des déclarations qui ne se trouvent pas dans le dossier.
L’assassinat du jeune homme. Alors là, en une fois,
c’est l’abbé le témoin 125 qui devient le témoin direct des faits alors qu’on a deux
témoins qui se trouvent sur les faits : Monsieur le témoin 118 et Monsieur
le témoin 142, qui accompagnent trois témoins, Monsieur Innocent NKUYUBWATSI qui accompagnent,
qui sont sur les lieux, mais c’est Monsieur l’abbé le témoin 125 qui devient, en
une fois, comme ça, le témoin direct des faits alors que les témoins oculaires
dont Monsieur le témoin 142 et Monsieur le témoin 118 qui font des déclarations sans équivoque
aucune contre Monsieur NTEZIMANA sont quand même fort claires.
Dernière remarque : l’assassinat de la jeune
fille. La question a été posée : pourrait-il ou pouvait-il faire autrement ?
Primo, si on pose la question en ces termes-là, je crois que la réponse doit
être « oui » : il aurait dû, il aurait pu empêcher NKUYUBWATSI
de faire ce qu’il a fait mais il n’a pas voulu et il ne l’a pas voulu pour la
simple raison que c’est lui qui l’avait ordonné. C’est tout simple.
J’en arrive alors à la plaidoirie surréaliste de
Maître MONVILLE, qui est donc effectivement parti du surréalisme mais qui, à
coup de « Ceci n’est pas un procès historique » et « Ceci n’est
pas un jury universel » et « Cela n’est pas une justice universelle »,
est rapidement descendu - j’ai l’impression - du surréalisme vers ce que j’appellerai « l’art
minimal », pour finalement arriver au nihilisme le plus complet. « Mais
non : Monsieur HIGANIRO, ce n’est pas un cacique du régime ; Monsieur
HIGANIRO, ce n’est pas un proche du régime ; Monsieur HIGANIRO, c’est pas
une personne en vue à Butare, à Kigali, à Kigufi ; Monsieur HIGANIRO c’est
une personne seule, désespérément seule, sans soutien, un pauvre homme ».
Quand je regarde la salle, quand je regarde ce qui a défilé ici devant nous,
quand je regarde la salle et, singulièrement, le fond de la salle, j’ai l’impression
que Monsieur HIGANIRO n’est pas aussi seul qu’on voudrait bien vous le faire
croire.
Monsieur HIGANIRO, c’est un simple citoyen obligé,
n’est ce pas, de faire du porte à porte avec ses allumettes pour survivre. C’est
un simple citoyen qui, lorsqu’il part de Butare, le 7 avril 94, est obligé,
le pauvre homme, de faire de l’auto-stop ; et qui va s’arrêter, par hasard,
pour le prendre ? Mais ce cher Théoneste. Théoneste BAGOSORA, accompagné
du cher Théodore SINDIKUBWABO et de ce cher Monsieur le colonel le témoin 27, Monsieur
le témoin 27. Mais « ceci n’est pas une escorte ».
Je dois vous dire aussi qu’à certains moments de
la plaidoirie de Maître MONVILLE, j’ai cru me trouver dans un meeting d’un parti
que je ne nommerai pas, un parti un peu extrémiste belge avec des remarques
qui me semblent un peu déplacées. Comparer le procès du Rwanda, comparer les
accords d’Arusha aux accords de Lambermont, comparer la situation du Rwanda
à la situation des Belges ici, comparer les Tutsi assoiffés de pouvoir aux flamands
avec leur appât ou leur voracité énorme, ça me paraît un peu ridicule. Si j’étais
gentil, je dirais que c’est du Tintin. Je ne sais pas comment on dit ça en Rwandais
- en chinois, c’est Ding Ding - en rwandais, je ne sais pas. Si j’étais gentil,
je dirais que c’est du « Tintin au Rwanda » mais, comme je suis méchant,
je dis que c’est du « BEULEMANS et COPPENOLLE au Rwanda ».
Je vous ai déjà dit que l’on ne peut isoler les
personnes de leurs idées, de leurs actes ou de leurs écrits, et ce que l’on
fait ici : c’est isoler les écrits de la situation qui prévaut. Bon, personne
n’a contesté l’état de guerre au Rwanda pendant la période visée. Or, on va
vous faire une lecture des textes qui sont reprochés à Monsieur HIGANIRO comme
si on se trouvait dans une situation normale, dans un état démocratique où ces
lettres ne sont, en somme, rien d’autre que l’émanation des idées fort démocratiques
et des prises de position de l’intéressé. Cela ne me semble ni sérieux, ni honnête
du point de vue intellectuel et cela va à l’encontre de la situation de fait
sur le terrain.
Il me semble quand même qu’il y a une très grande
différence entre Monsieur HIGANIRO qui, tout au long de la situation de guerre,
tout au long du processus d’opposition aux accords d’Arusha, tout au long de
la période suivant la conclusion de ces accords où tout sera fait, et avec succès,
pour en empêcher la mise en application et pour, finalement, parvenir à ce qu’on
a annoncé, à savoir le génocide, la mort, le massacre des Tusti assoiffés de
pouvoir ; il me semble quand même que, dans ce contexte-là, utiliser des
termes comme : « Coup d’état civil, danger,
union des Hutu par tous les moyens, dérapage naturellement contrôlé, survie
de l’ethnie, séquestration, pays mort, Tutsi assoiffés de pouvoir, nettoyer
ou travailler », il y a quand même une grande différence
entre ce langage-là et celui d’un obscur politicien wallo-bruxellois à un meeting
d’un parti que je ne vais pas nommer.
Les écrits de Monsieur HIGANIRO s’inscrivent dans
un scénario génocidaire : ce sont clairement des écrits qui ont incité,
préparé et provoqué l’accomplissement de crimes de droit international. On va
vous dire que ces écrits n’ont pas connu de publicité. Primo : je ne suis
pas d’accord, je vous rappelle qu’il y a eu un témoignage ici selon lequel les
réunions du Comité ou du petit comité ou du sous-comité avaient lieu de manière
régulière, que Monsieur HIGANIRO affichait et répandait ses idées, qu’il ne
se cachait pas de ses idées extrémistes et, en outre, j’ajouterai que la loi
du 16 juin 1993 ne requiert pas la publicité dont on fait tant cas aux bancs
de la défense. Notre droit pénal intérieur ou interne plutôt - l’article 66
du Code pénal lui, parle de cette publicité, mais l’article 4 de la loi du
16 juin 93 qui intègre les articles 66 et 67 du Code pénal comme mode de participation,
y ajoute plusieurs autres modes de commission dont la provocation et cette provocation
peut se faire par des écrits qui ne doivent pas être publics.
Alors, je croyais qu’on n’allait plus revenir sur
les termes de la lettre du 23 mai 1994 qui me semblait extrêmement claire pour
tout le monde ici, même pour Monsieur le témoin 40 qui, quand même… Monsieur le témoin 40
ne peut pas être suspecté de vouloir enfoncer Monsieur HIGANIRO. Je n’insisterai
pas, je crois que cette lettre du 23 mai 1994 est extrêmement claire, je constate
simplement avec plaisir - j’en suis fort aise et fort ravi - que ce procès aura
eu le mérite d’apprendre à Monsieur HIGANIRO quelle est la distinction à faire
entre des mots entre guillemets et des mots cochés avec une astérisque. C’est
vraiment une remarque fondamentale qui change de bout en bout tout le dossier.
Même chose en ce qui concerne : « Je m’occupe
de la défense de la République ». J’ai déjà entendu parler, n’est-ce pas,
de la route du thé, de la route du café, de la route de soie, de la route des
Blondes - je parle des cigarettes - aujourd’hui
s’y ajoute, à mon grand plaisir, la route des allumettes inaugurée par Monsieur
Alphonse HIGANIRO, ex-ministre, ex-secrétaire de la CPGL, et directeur général
de la SORWAL.
La famille le témoin 123. Bon - je réitère ma remarque
en l’amplifiant - que je déplore qu’on ait continué à s’attaquer encore une
fois au témoignage de Benoît le témoin 123. Primo, c’est non seulement faire peu
de cas du témoignage du seul survivant lui-même. Et là, je dois dire que lorsque
ça s’applique à Monsieur Benoît le témoin 123, je n’ai pas du tout goûté les termes :
« témoin privilégié » ou « témoin
de parole d’Evangile », mais cela, probablement, est dû à une autre notion sur la décence.
Mais on s’est aussi attaqué au témoignage du père
le témoin 18, de la servante de la famille le témoin 123, des autres sœurs du couvent
saint Benoît et, c’est gênant bien entendu, un témoin qui a vu, qui a vécu,
qui a survécu et qui a entendu : c’est gênant. Je vous dis, encore une
fois, ce n’est pas pour rien que Madame DESFORGES a intitulé son livre « Aucun
témoin ne doit survivre ». Croyez-vous vraiment qu’le témoin 123, comme
le témoin 134, a inventé cette histoire, l’a cousue de toute pièce, simplement
pour enfoncer Alphonse HIGANIRO ? Je le répète, la version du déroulement
des faits est complètement corroborée par tous les témoins que j’ai cités dans
mon acte d’accusation et dans mon réquisitoire verbal : la manière dont
le massacre a eu lieu, les demandes de rançon, l’attaque du couvent, la mort
du père, de la mère, des frères, des sœurs, le récit de ces propres blessures.
Dernière… quelques remarques encore d’ordre juridique
pour terminer cet aspect-ci. Bon, je ne pensais pas non plus qu’on allait encore
une fois revenir sur le passage du dossier de Monsieur HIGANIRO devant le Tribunal
international d’Arusha. Je vais vous le dire et vous le répéter pour une dernière
fois : ce problème a déjà été tranché à plusieurs reprises.
Une première fois déjà lorsque la Cour de cassation
remet ce dossier chez Monsieur VANDERMEERSCH à l’instruction, le 13 août 96 ;
une deuxième fois, lorsque la chambre du Conseil répond à cet argument ;
une troisième fois, lorsque la Chambre des mises en accusation, elle aussi,
rejette l’argument ; et une quatrième fois, lorsque le président de la
Cour d’assises, ici par un arrêt interlocutoire, a également répondu à ce problème.
Ce problème est donc définitivement tranché : vous n’avez pas à statuer
là-dessus, vous n’avez pas à tenir compte de cette procédure. Je ne vais d’ailleurs
pas revenir sur les procédures au TPIR, ce que je voudrais dire et cela, c’est
aller à l’encontre du dossier, je ne peux accepter qu’on ne vienne vous dire
qu’il y a encore qu’il y aurait encore un dossier pendant en cause de Monsieur
HIGANIRO devant le TPIR. Il n’y a aucun dossier pendant en cause de Monsieur
HIGANIRO devant le TPIR : le seul dossier en cause de Monsieur HIGANIRO c’est
celui qui se trouve ici devant vous à la Cour d’assises.
Dernière remarque : Maître EVRARD n’a pas contesté
l’état de guerre mais vous a dit, à un certain moment, et je cite : « Il
faudrait voir si le crime de guerre n’est pas lié à la qualité de belligérant ».
C’est totalement faux, le crime de guerre n’est pas lié à la qualité de belligérant
de l’auteur, le crime de guerre est plutôt lié… c’est plutôt le contraire, à
la qualité de la victime. Je cite : « Une
personne ne participant pas directement ou ne participant plus aux hostilités ».
Je vous lis d’ailleurs un extrait d’une étude qui a paru à la Revue
de Droit pénal en 1995 et qui est un commentaire de la loi de 93 où on dit :
« L’auteur est toute personne qui commet un crime
de guerre tombe sous le coup de la loi, le fait que cette personne soit un civil
ou soit un membre d’une force étrangère nationale ou multinationale est sans
importance ».
J’en arrive alors au dossier des deux sœurs.
En ce qui concerne sœur Gertrude, nous avons entendu
deux plaidoiries, et je dois vous dire qu’à un certain moment, elles m’ont semblé
un peu en contradiction l’une avec l’autre. Parce que le matin, on a entendu
Maître Cédric VERGAUWEN vous exposer : « Non, sœur Gertrude n’avait
rien fait - mais alors rien du tout - elle n’a pas fermé les grilles, elle n’avait
pas refusé de nourrir, elle n’a pas refusé d’héberger, elle n’a pas refusé de
soigner, non elle n’a pas livré l’essence, non elle n’a pas livré les enfants
aux milices, non, sœur Gertrude n’a rien, strictement rien fait ». Alors,
deuxième plaidoirie : « Oui, sœur Gertrude a fait des tas de choses
et les choses qu’elle devait faire,elle ne les a pas faites mais c’est la contrainte
irrésistible : elle ne pouvait pas, elle ne savait pas faire autrement ».
Pour le reste, le système de la défense des deux
sœurs est le même que celui des autres accusés. Les cibles ici sont un peu différentes,
vous avez les cibles classiques : le juge d’instruction, les enquêteurs,
les parties civiles, African Right Watch et puis, vous avez des cibles privilégiées,
ici c’est l’enquêteur du TPIR, Monsieur TREMBLAY, et justement dans le dossier
Sovu, l’organisation African Watch. Je ne vais pas vous chanter l’air du grand
complot - le procès a été assez difficile, si je devais me mettre à chanter,
ça deviendrait insupportable, je peux vous l’assurer - mais je ne vais quand
même… vous n’allez quand même pas croire la thèse du complot qu’on peut chercher
des témoins, qu’on les a préparés, qu’on les a conditionnés, qu’on a raclé les
collines de Sovu pour réunir ici plusieurs témoins qui vont venir faire des
déclarations contre les deux sœurs ?
Mélangez toutes les plaidoiries et vous verrez que
les ingrédients sont les mêmes : tout le monde s’est ligué contre Vincent
NTEZIMANA, contre Alphonse HIGANIRO, contre Consolatat MUKANGANGO et contre
Julienne MUKABUTERA. Je vous ai dit qu’il y avait un fil rouge, une trame dans
mon récit, eh bien il y a aussi un fil rouge dans le récit de la défense ou
des défenses toutes confondues : les parties civiles, que ce soit Gasana
NDOBA, que ce soient les victimes, que ce soient les survivants de Sovu, que
ce soient les victimes d’Alphonse HIGANIRO, tous sont suspects, tous n’ont qu’un
seul but, enfoncer les accusés.
Puis, ce sont les témoins à charge qu’il faut dénigrer,
dont il faut mettre en doute la réalité, non seulement de leurs témoignages
mais parfois même la réalité de ce qu’ils ont vécu. Que ce soit avec Yvette
le témoin 134 ou que ce soit avec Benoît le témoin 123, on est revenu sur le fait que
c’était impossible qu’le témoin 123 ait passé toute la nuit près de la tombe
de ses parents et qu’il ait alors pu entendre Monsieur HIGANIRO en conversation
avec ses deux servants.
La défense a aussi réussi à créer une nouvelle figure
juridique ici : c’est le « témoin à géométrie variable », « le
témoin escamotable à souhait ». Je parle, bien entendu, du terrible Emmanuel
REKERAHO. Vous comprenez maintenant pourquoi le tout premier acte de la défense
était de demander que tout ce qui avait trait à Monsieur REKERAHO soit ôté et
enlevé du dossier, parce que le cher Emmanuel, il gêne, mais à un point que
vous ne pouvez vous imaginer. Qu’il soit en feuille de bananier ou je ne sais
pas moi, mais il gêne la défense de tous les côtés ! C’est donc un témoin qu’il
faut complètement éliminer, complètement dénigrer mais - comme on n’en est pas
à une contradiction près - lorsque ce témoin dit quelque chose en faveur des
accusés, alors, en une fois, on va quand même retirer cela du témoignage de
Monsieur REKERAHO parce que ça, ça peut peut-être nous servir.
Tout ce qu’Emmanuel REKERAHO raconte, c’est donc
des inventions mensongères, foutaises, déclarations faites uniquement pour enfoncer
les deux sœurs, déclarations faites pour que lui puisse bénéficier d’une procédure
spécifique. Mais, lorsque Monsieur REKERAHO, en une fois, va dire qu’en ce qui
concerne l’essence, parce que l’essence c’est aussi quelque chose qui gêne la
défense - Maître VANDERBECK a compté le nombre de fois que j’ai utilisé
le nom REKERAHO mais si moi, je devais compter le nombre de fois que la défense
a utilisé le nom de REKERAHO et le terme d’essence, eh bien je crois que je
n’aurais plus de stylo disponible ici. Cette essence et Monsieur REKERAHO, ça
gêne fabuleusement la défense, de tous les côtés. Mais, lorsque Monsieur REKERAHO
dit : « Je me rétracte en ce qui concerne ma déclaration sur l’essence »
pour d’ailleurs, plus tard, revenir sur cette rétractation ; alors, en
une fois, on revient au galop, déclaration de REKERAHO à la main : « Vous
voyez, Monsieur REKERAHO dit que ce n’est pas vrai, l’essence ».
Je répète une dernière fois que le déroulement des
événements dont je vous ai fait état dans mon réquisitoire n’est pas uniquement
basé sur Monsieur Emmanuel REKERAHO. Il y a les autres sœurs, il y a les victimes
survivantes, il y a, par exemple, quelqu’un dont on s’efforce de ne pratiquement
pas parler : c’est la femme de Gaspard RUSANGANWA qui confirme les réunions
qui ont eu lieu au domicile ; il y a l’abbé le témoin 54 dont je vous l’ai dit :
on fait l’éloge pendant plusieurs minutes puis, lorsque l’abbé le témoin 54 dit qu’il
était quand même fort étonné de la proximité et des liens existants entre sœur
Gertrude et le lieutenant HATEGEKIMANA, bon, à partir de là, vous ne lisez plus
la déclaration de l’abbé le témoin 54, ça ne compte plus.
Je pourrais continuer comme ça pendant de longues
minutes. Je ne le ferai pas. On nage ici aussi dans le surréalisme le plus complet.
On vous a dit : « On n’a pas la déclaration de RUSANGANWA, vous n’avez
pas la déclaration de RUREMESHA, c’est quand même dommage, si on l’avait… ».
Et si… mais… donc la défense vous fait toute une construction sur des déclarations
qu’elle n’a pas ; mais les déclarations qu’elle a, mais qui ne lui plaisent
pas, on évacue.
Je vous le dis pour la dernière fois, et ça vaut
pour tous les accusés : croyez-vous vraiment qu’il y a un complot généralisé
entre le juge d’instruction, les enquêteurs belges, les enquêteurs rwandais,
les enquêteurs du TPIR, les autorités rwandaises, African Rights Watch, les
parties civiles, les victimes ? Croyez-vous vraiment que tout le monde
se soit coalisé contre ces quatre accusés ? Je rétorquerai simplement en
utilisant les mêmes termes que Maître WAHIS : « Un peu d’humilité,
s’il vous plait ».
On m’accuse d’avoir diabolisé soeur Gertrude, d’en
avoir fait un monstre, un diable, et on ajoute que tout cela a été fait de manière
exagérée pour qu’il soit ainsi démontré que sœur Gertrude a bien agi de la façon
dont c’est décrit dans l’acte d’accusation. Je réfute complètement ces reproches.
Je vous dis la même chose que pour Vincent NTEZIMANA : les faits sont déjà
assez graves comme ça sans que je doive encore en rajouter. Ce qui ressort du
dossier, ce qui ressort des déclarations des autres sœurs, des déclarations
des victimes, des déclarations de l’abbé le témoin 54, des déclarations de REKERAHO
me suffit largement. Je n’éprouve donc aucun besoin d’en rajouter. Je vous signale
- on l’a signalé déjà tout à l’heure à la défense - Maître BEAUTHIER vous a
plaidé ici : sœur Kizito est déjà présente lors d’une attaque du couvent
saint Benoît à Kigufi. Son attitude, à cette époque-là, laissait très peu de
doutes quant à savoir où se trouvaient… de quel camp se trouvaient, à ce moment-là,
ses sympathies.
Alors, une petite parenthèse en ce qui concerne
la non inculpation de sœur Kizito - j’y avais déjà répondu en terme de réquisitoire.
Il faut effectivement - Maître VANDERBECK vous l’a signalé -, la date… il faut
voir la date de la non inculpation : c’est le 25 janvier 1996. Il faut
savoir que les commissions rogatoires qui concernent Monsieur REKERAHO sont
arrivées, ici en Belgique, au moment où le dossier se trouvait devant la Chambre
du conseil, donc au moment où on était en train de - comme on dit - régler la
procédure. A ce moment-là, il y avait déjà un réquisitoire du parquet et le
réquisitoire du parquet avait déjà repris comme inculpée sœur Kizito. Le juge
d’instruction ne devait donc plus, à ce moment-là, inculper sœur Kizito ;
le parquet avait pris les devants et avait mis sœur Kizito parmi les quatre
accusés.
Je voudrais aussi vous dire, Mesdames et Messieurs
les jurés, que j’ai l’impression qu’on s’est surtout axé, en ce qui concerne
la défense des deux sœurs, sur cet épisode de l’essence. Mais les autres faits :
ne pas héberger, ne pas nourrir, ne pas soigner, fermer les grilles…tout cela
a été relativement passé au bleu. Je comprends remarquez, je comprends, des
sœurs qui se mettent à brûler des Tutsi et pas des cierges… - ça fait assez
désordre et ça peut déranger dans le cadre d’un dossier. Ce que moi, je reproche
à la défense des deux sœurs, c’est d’avoir, et surtout en ce qui concerne sœur
Gertrude, c’est d’avoir infantilisé sœur Gertrude, de l’avoir robotisée, de
l’avoir réduite à l’état de pantin, sans volonté aucune, sans la moindre ou
sans le moindre sens de la décision, sans la moindre possibilité d’appréciation.
C’est contraire à la réalité, c’est contraire aux actes posés par les deux sœurs
et c’est contraire au dossier.
Et, autre parenthèse, je voudrais quand même qu’on
signale où on a été pêcher que, pour l’omission volontaire, il faudrait un lien
hiérarchique entre le supérieur et son inférieur. Ce n’est pas du tout le cas :
regardez la loi de 1993, l’omission d’agir qui est stipulée ici, c’est ce qu’on
a nommé un « crime de lâcheté » mais ça n’a rien à voir avec la possibilité
du supérieur pour intervenir face à son inférieur hiérarchique. Je vous signale
que, dans la loi de 96 que je déposerai, donc la loi du génocide, là, il y a
effectivement, à l’article 3, une notion mais cette loi ne nous est pas applicable.
Donc l’omission d’agir n’a rien à voir : c’est le « crime de lâcheté »,
ne pas vouloir intervenir.
Je vous ai dit donc : « Ce que je reproche
à la défense, c’est d’avoir fait de sœur Gertrude un robot, quelqu’un qui agit
sans penser, sans réfléchir, qui se trouve dans un état second », cet état
second dure particulièrement longtemps ici, puisqu’il s’étale du 18 avril 1994
au moins jusqu’au 6 mai 1994 et puis après, en une fois, elle redevient lucide.
On oublie quand même que sœur Gertrude a annoncé
aux autres sœurs ce qu’elle allait faire si les sœurs ne voulaient pas livrer
leur famille. Elle leur a dit : « Si vous ne le faites pas, je le
ferai par la force ». Et elle fera, on vous dit maintenant : « Ce
n’est pas elle qui a écrit la lettre, elle a uniquement signé ». Admettons.
Mais, en tout cas, après l’avoir signée et après l’avoir envoyée le 6 mai, elle
est allée chercher ou allée voir le bourgmestre, voir s’il avait bien reçu cette
lettre et elle a convaincu le bourgmestre pour qu’il vienne chercher les dernières
personnes réfugiées au couvent.
Donc alors, vous dire qu’elle a perdu - et je reprends
l’expression - qu’elle a perdu les pédales, elle avait pas perdu en tout cas
la pédale de sa voiture, le 6 mai, pour aller chercher le bourgmestre pour qu’il
vienne déloger les derniers réfugiés Tutsi qui se trouvaient au couvent.
Je ne vais pas plus longtemps insister en ce qui
concerne la contrainte irrésistible - Maître FERMON y a déjà fait allusion -
je crois que le problème a été rencontré ; je souhaite simplement vous
dire que pour qu’il y ait une contrainte irrésistible, il ne suffit pas que
le libre-arbitre ait pu être diminué, il faut que ce libre-arbitre ait été complètement
annihilé, qu’il n’existe plus du tout. Eh bien, le dossier plaide naturellement
contre cette thèse : il n’y avait, dans le chef de sœur Gertrude, en somme
qu’une contrainte et celle-là, j’admets bien qu’elle était irrésistible, c’était
de sauver ses bâtiments, de sauver son monastère, de sauver son couvent et de
sauver sa congrégation. Plaider le contraire, plaider ici, dans ce dossier-ci,
l’existence de la contrainte irrésistible, je trouve ça l’ultime cruauté, l’ultime
lâcheté et l’aboutissement logique du comportement qui fut celui des deux sœurs,
lors de ces événements.
Le président vous a dit que je déposerai la loi
du 30 août 1996 sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives
du crime de génocide, des crimes contre l’humanité. Lorsque vous lirez cette
loi, à l’article 2, vous verrez qu’il y a ce qu’on nomme une catégorisation
des accusés. Donc les accusés, d’après leur rôle dans le génocide, sont catégorisés.
Je vais vous lire la catégorie 1, qui s’applique - écoutez bien - à tous les
accusés ici présents. Un : « La personne que les actes criminels, participations criminelles rangent
parmi les planificateurs, les organisateurs, les incitateurs, la provocation,
les incitateurs, les superviseurs, les encadreurs du crime du génocide ou des
crimes contre l’humanité ». Deux - et là, vous
devez écouter parce que ça devient très spécifique : « La
personne qui a agit en position d’autorité, au niveau national, préfectoral,
communal, du secteur ou de la cellule, au sein des partis politiques, de l’armée,
des confessions religieuses ou des milices qui a commis ces infractions ou encouragé
ces infractions ou encouragé les autres à le faire ».
Je vais conclure, Mesdames et Messieurs les jurés
- j’avais dit que je serais assez bref - Vincent NTEZIMANA, Alphonse HIGANIRO,
Consolata MUKANGANGO et Julienne MUKABUTERA - je vous l’ai dit - n’avoueront
jamais. Ils n’admettront jamais et non seulement, parce que cela leur est… parce
que c’est leur système de défense, mais parce qu’ils ne peuvent avouer l’inavouable
et, peut-être aussi - et ça c’est peut-être le pire dans toute cette histoire
- parce que, comme on vous l’a dit en terme de plaidoirie d’une des parties
civiles, ils ont toujours et ils auront toujours la conscience tranquille.
Ils n’ont enfin de compte, à leur estime, à leurs
yeux, que participé, ordonné, provoqué, proposé, donné l’ordre de tuer, mutiler,
violer, brûler ou machetter des Inyenzi, des Inkotanyi, des cafards, des cancrelats,
des sous-hommes. Si eux ne réalisent pas et si eux n’admettront jamais, si eux
auront toujours la conscience tranquille et si eux, comme on l’a dit ici, seront
toujours en paix avec eux-mêmes - les bourreaux ont toujours la conscience tranquille
vous, par votre verdict, vous, par votre décision, vous les mettrez finalement
devant la réalité et vous ferez en sorte que, si jamais Vincent NTEZIMANA, Alphonse
HIGANIRO, Consolata et Julienne MUKABUTERA se regardent encore dans une glace,
ils y verront ce qu’ils sont réellement, des assassins de la pire espèce.
Le Président :
Merci, Monsieur l’avocat général. Nous allons
donc suspendre l’audience maintenant et la reprendre demain, à 9 heures. Nous
poursuivrons donc par les répliques des parties civiles et puis, répliques de
la défense, ce qui veut dire répliques aux répliques et pas nouvelles plaidoiries,
ça veut dire donc réponses aux arguments qui seront exposés dans les répliques
à la fois de Monsieur l’avocat général d’aujourd’hui et des parties civiles
de demain.
Le temps sera sans doute plus long, vous aurez peut-être
éventuellement l’occasion de faire des remarques à propos des questions, d’en
suggérer, de manière à ce que lorsque l’exemplaire définitif ou quasi définitif
des questions soit remis au jury, le président ait pu tenir compte des remarques
que vous avez à formuler.
Donc, on reprend l’audience demain à 9 heures. On
n’aura peut-être pas fini à cinq heures puisque demain, je suppose que les avocats
des parties civiles se sont mis d’accord pour s’avoir dans quel ordre intervenir
et qui intervient, et peut-être que tous n’interviendront pas. Nous terminerons
les répliques demain ainsi d’ailleurs que la parole qui sera donnée à chacun
des accusés en dernier, demain, de manière à ce que demain soir ou en fin d’après-midi,
les débats puissent être clôturés et qu’on puisse passer jeudi aux questions,
aux explications, éventuellement, rouvrir le débat s’il y a des contestations
et des conclusions aux réquisitions en ce qui concerne les questions et que
vous puissiez, Mesdames et Messieurs les jurés, entrer en délibération jeudi,
en fin de matinée je pense ou... Délibération qui sera, elle aussi, au finish.
Voilà. Donc, courage, vitamines, et à demain, 9 heures. |
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