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9.4.5. Défense de Julienne MUKABUTERA
Le Président :
Maître WAHIS, vous êtes le premier à intervenir
pour la défense de Madame MUKABUTERA ? Eh bien, vous avez la parole.
Me. WAHIS : Je
vous remercie, Monsieur le président. Madame, Monsieur les juges, Monsieur l’avocat
général, Mesdames et Messieurs les jurés.
Les enfants de GIHANGA sont devenus fous. Eux qui
habitent un des plus beaux pays du monde. Des collines d’une beauté à vous couper
le souffle. Le plus doué des impressionnistes n’arriverait pas à rendre toutes
les nuances, toutes les variétés des couleurs vertes de ces collines. Çà et
là, le toit d’une maison au milieu des bananiers. La couleur vert tendre des
bananiers. Le vert foncé, au sol, des feuilles du haricot qui tapissent jusque
sous ces bananiers. Et puis, le vert encore plus foncé et brillant des avocatiers,
des caféiers, des feuilles de manioc, le vert du maïs, du sorgho, de l’eucalyptus.
Et puis enfin, ce vert presque irréel des feuilles de thé, comme une émeraude
dans cet écrin. Vraiment, ils habitent un des plus beaux pays du monde.
Eux qui habitent le pays de la parole. Au Rwanda,
le plus difficile ce n’est pas d’entamer une conversation, c’est d’arriver à
la terminer. Les Rwandais sont délicieusement intarissables. L’art de la parole,
chez eux, est comme une deuxième nature. Le kinyarwanda est une des langues
les plus riches du monde, et aussi une des langues les plus difficiles à apprendre.
Pays de la parole, pays des contes, pays des légendes. Je vous ai parlé de GIHANGA.
Qui est GIHANGA ? C’est le père de la nation rwandaise. GIHANGA était un
roi qui avait unifié le Rwanda et sa légende, c’est d’expliquer comment, un
jour, le pouvoir au Rwanda va être dévolu aux Tutsi. GIHANGA avait trois fils
et, devenant vieux, il devait décider auquel de ses trois fils il allait céder
le pouvoir sur le Rwanda. Ses trois fils sont : GATUTSI, GAHUTU et GATWA,
les trois ethnies du Rwanda.
Alors, pour décider lequel pourrait reprendre le
pouvoir, il va organiser une épreuve, un concours entre ses trois fils. Ça a
l’air très simple. Il va leur confier à chacun une cruche de lait, et leur demandera
de la lui servir le lendemain matin. Le premier, GATWA - vous savez, quand on
parle des BATWA au Rwanda, au Burundi, cela fait toujours un peu sourire parce
que les BATWA, ils sont un peu comme de grands enfants, c’est comme ça qu’on
les considère - et GATWA, lui, il est maladroit, et dans son sommeil, il se
retourne et il renverse sa cruche de lait, éliminé GATWA ! GAHUTU, pendant
la nuit, il se réveille et il a soif, et il ne se retient pas, GAHUTU, il boit
le lait réservé à GIHANGA. GATUTSI quant à lui, dort d’un sommeil profond et
puis, veille sur le lait, et le lendemain, c’est lui qui servira le lait à GIHANGA,
et c’est lui qui se verra remettre le pouvoir au Rwanda. Voilà le genre de légende
de là-bas.
Les Rwandais habitent aussi le pays de la relation
chaleureuse. Les Rwandais n’habitent pas en villages, ils habitent disséminés
sur les collines, Hutu et Tutsi mélangés, il n’y a pas de différence. Ils s’apprécient,
ils parlent entre eux, ils boivent de la bière entre eux. Ce n’est pas rien
de boire de la bière au Rwanda ; je parle de la bière traditionnelle bien
sûr, la bière de banane, l’Urwagwa, l’Impeke, la bière de Sorgho. On est assis,
ensemble, dans une maison et la bière se trouve dans une calebasse dans laquelle
on mettra des chalumeaux, des pailles. Et puis, cette calebasse va passer d’homme
en homme et chacun boira à la même cruche, à la même calebasse. Et c’est la
bière qui va circuler, c’est la parole qui va circuler, c’est l’amitié qui va
circuler. Bien sûr, vous trouverez toujours beaucoup de femmes rwandaises pour
vous dire que le chalumeau, la paille, c’est vraiment l’outil que l’homme manie
le plus facilement, plus facilement que la houe qui, elle, est plutôt dévolue
à Madame.
Hutu et Tutsi se mariaient entre ethnies différentes.
Et en avril 1994, ces voisins qui mariaient leurs enfants, en viendront, sans
aucune pitié, à massacrer l’autre, l’ennemi, du plus petit bébé au dernier vieillard.
Une violence inouïe va déferler sur les collines du Rwanda. Les enfants de GIHANGA
sont devenus fous. Le génocide planifié, organisé, va gagner région par région,
tout le Rwanda encore aux mains des FAR et des Interahamwe. Dans les campagnes,
les paysans endoctrinés, manipulés, vont se grouper sous la direction des miliciens
les plus violents et ils vont se livrer au saccage, au pillage, au meurtre,
avec une cruauté inimaginable. Alors, les barrières seront levées, les routes
seront contrôlées, tout le pays sera comme cadenassé. Et en ce moment-là, où
aller, où se réfugier, quand on a le malheur d’être répertorié Tutsi ou Hutu
trop modéré ? Certains trouveront une cache, un refuge chez un ami Hutu
qui risquera sa vie pour ça, et bien souvent ce ne sera qu’une protection temporaire
parce que les tueurs devenant trop pressants, il faudra se remettre en route.
Certains trouveront par eux-mêmes une cachette où ils pourront rester au prix
de mille ruses et d’une attention permanente. Et des milliers, et des milliers
de personnes vont se diriger vers le seul endroit où elles penseront pourvoir
échapper à la mort : les édifices religieux et leurs infrastructures. Et
elles y seront d’ailleurs encouragées par les autorités à se rendre dans ces
endroits que l’on considérait jusqu’alors comme des sanctuaires.
Vous vous rappellerez, pendant tout le cours de
ce procès, on vous a rappelé combien les églises, leurs annexes, pendant tous
les massacres précédents avaient bénéficié de la part des assaillants, de l’inviolabilité,
du respect de l’inviolabilité : on ne tue pas, on ne massacre pas dans
ces endroits-là. Mais en 1994, les choses ont malheureusement bien changé. Il
n’y a plus un seul bâtiment religieux, en avril 94, qui peut être ce que… comme
ce que Monsieur l’avocat général considère bien à tort : un havre de sécurité.
Et qu’il ne nous parle surtout pas de Kabgayi, le petit Vatican rwandais, où
on a pu effectivement là, et là uniquement, protéger des personnes. Kabgayi,
c’est précisément l’exception qui vient confirmer cette règle. Pourquoi ?
Parce que Kabgayi est situé tout juste à côté de l’endroit où se trouve le gouvernement
génocidaire en exercice, dont les ministres sont des amis personnels ou des
connaissances de Monsieur l’archevêque, de l’évêque Tutsei ou Trucmuche, et
alors, ils ne pourront pas faire autrement, suite aux appels incessants de protection
de leurs amis, que d’effectivement leur donner la protection nécessaire. Kabgayi
c’est l’exception qui vient confirmer la sinistre règle de 1994.
Et le dossier regorge d’exemples, d’exemples tragiques.
Un des avocats des parties civiles vous a parlé de ce qui s’était passé à la
paroisse de Ngoma, chez l’abbé le témoin 54. Il vous a rappelé combien l’abbé le témoin 54
avait œuvré pour pouvoir essayer de protéger les réfugiés qui s’affluaient à
sa paroisse. Que nous dit le dossier sur ce qu’il est advenu chez l’abbé le témoin 54 ?
Il a fait appel aux militaires, l’abbé le témoin 54, et les militaires sont venus
le 29 avril, alors que la milice était aux portes et commençait à entrer dans
la paroisse. Et les militaires n’ont donné aucun ordre à la milice, mais le
fait d’être venus a empêché la milice d’agir. Les militaires, le 29 avril, ont
protégé. Le 30 avril, le lendemain, ces mêmes militaires sont venus à la paroisse
de l’abbé le témoin 54 et ils ont rassemblé tous les réfugiés qui s’y trouvaient.
476 personnes, dont 302 enfants, seront rassemblés au milieu de la paroisse
et dans des classes. Et les militaires vont alors faire entrer les miliciens,
armés de gourdins et de machettes, et ils leur feront faire ou ils leur laisseront
faire leur sinistre besogne et il n’y aura pas un seul survivant. Voilà la réalité
d’avril 1994.
Cet exemple illustre aussi la difficulté qui se
posait aux hommes et aux femmes d’Eglise, à ce moment-là, c’est de savoir à
qui demander protection. Les militaires ? Vous le voyez, ils peuvent tout
aussi bien protéger dans un premier temps et puis après, c’est eux qui deviennent
les encadreurs des massacres et même les stratèges des massacres. Les policiers ?
C’est la même chose. Rappelez-vous à Sovu, on a fait appel aux policiers et
dans un premier temps, les policiers ont protégé les réfugiés contre les miliciens,
et puis, le jour des massacres, les policiers se sont retournés contre les réfugiés.
Ils ont tiré sur les réfugiés, ils sont devenus miliciens.
Il faudra toujours vous rappeler ces réalités incroyables
d’avril 1994 où des hommes et des femmes d’Eglise qui n’étaient pas préparés,
bien entendu, à faire face à ce genre de situation, ont été obligés de prendre
des décisions. Rappelez-vous, Monsieur le témoin 41 qui est venu ici, qui a remercié
la Cour d’avoir écouté son histoire. Il nous a dit combien il était difficile
de savoir à cette époque ce qu’il fallait faire, lui-même vous a rappelé qu’il
a dû sa vie, en partie, à un prêtre qui a refusé du recevoir chez lui parce
qu’il lui a dit : « Ecoute Charles, toi, tu es Hutu, tu as peut-être
encore une chance. Moi, je m’occupe d’abord des Tutsi ». S’il était resté
là, s’il avait insisté, il serait mort. Il est évidemment très facile et très
injuste de vouloir après coup, déterminer ce qu’il aurait fallu faire. Qui pouvait,
en 94, empêcher les massacres ? Personne.
Général Paul KAGAME, commandant en chef du FPR,
interviewé par François MISSER, excellent auteur, il nous dit ceci par rapport
aux rapports de force entre le FPR et les FAR : « Quel
était le rapport de force ? 1 à 2 ? Plus de 1 à 2, c’était autour
de 1 à 2,5. Mais - c’est KAGAME qui s’exprime - même
si nous avions été en nombre égal ou supérieur, il nous était impossible d’arrêter
les massacres que perpétraient, dans les villages, les milices qui s’étaient
répandues à travers tout le pays. Même si nous avions été 100.000, nous n’aurions
pas pu arrêter cela sur-le-champ. Cela aurait pris quelque temps ».
Même le FPR, même à 100.000, ne serait pas arrivé à arrêter les massacres. Alors,
que dire de quelques bénédictines sans armes ? Une chose, Mesdames et Messieurs
les jurés, doit être claire : en aucun cas, que ce soit au centre de santé
ou au monastère, on aurait pu éviter, empêcher les massacres.
Dans notre acte de défense, au tout début de ce
procès, nous avions évoqué les particularités de ce procès et nous avions souligné
les dangers auxquels il fallait être attentif. Et nous avons pu vérifier que
ces dangers étaient bien réels et il convient maintenant de revenir sur certaines
de ces réalités.
Le procès historique. Le moins qu’on puisse dire,
c’est qu’au début de son réquisitoire, Monsieur l’avocat général n’a pas fait
dans l’humilité. Procès historique, il a comparé ce procès-ci au procès de Nuremberg
où un tribunal international a jugé les plus hauts dignitaires Nazis. Excusez
du peu ! Et dans ce procès-ci, Monsieur l’avocat général essaie de vous
dire que sont représentés dans le box des accusés, les différents piliers du
génocide. Premier pilier : un intellectuel. Deuxième pilier : un industriel,
électron de l’Akazu. Et le troisième pilier qui serait représenté en force :
la supérieure d’un couvent et une petite religieuse qui, au moment des faits,
n’était encore qu’une petite novice. Monsieur l’avocat général regrette de n’avoir
pas un sergent-major pour faire le quatrième pilier. Un tout petit peu d’humilité
aurait été indiquée.
Mais Monsieur l’avocat général fera encore beaucoup
mieux lorsqu’il abordera votre mission : « A travers vous, c’est l’opinion
internationale qui s’exprime. Vous êtes l’expression de l’opinion internationale,
de la conscience universelle ». Et il ajoute surtout ceci : « Il
serait insultant de ne pas être à la hauteur ». Qu’est-ce que ça veut dire,
toute cette logorrhée grandiloquente ? Monsieur l’avocat général n’est pas homme
à dire des choses pareilles, juste pour le plaisir de s’écouter. Il s’agit,
Mesdames et Messieurs les jurés, de faire pression sur le jury, de mettre sur
vos épaules une responsabilité telle que vous entriez tout naturellement dans
les vues du grand organisateur de ce procès, il s’agit de ne pas le décevoir.
Personne ne pourra dire que ce genre de propos a pour seul but de vous libérer
l’esprit. Pourquoi, aussi, vous rappeler avec tellement d’insistance que vous
ne pouvez rester insensibles au sort de 800.000 victimes rwandaises ? Malgré
que ce piège ait été dénoncé depuis le début de ce procès, Monsieur l’avocat
général ne peut pas résister à la tentation de faire de vous, les juges du génocide.
Pourquoi ? Mais, qui ne condamnerait pas par rapport à de telles atrocités
et 800.000 victimes, qui ne condamnerait pas, si on fait de lui le juge de l’horreur ?
Alors moi, je vous dis, Mesdames et Messieurs les
jurés : surtout libérez-vous de tous ces poids qu’on essaie de vous accrocher.
Les victimes ou plutôt des victimes ont eu l’occasion de s’exprimer au cours
de ce procès, elles ont eu la parole, elles ont pu faire entendre leur voix.
C’est une évidence aussi tragique qu’éminemment respectable, que toutes les
victimes qui sont venues s’exprimer, ont souffert abominablement dans leur cœur
et dans leur corps. Elles ont été meurtries, blessées à tout jamais, elles souffrent
encore aujourd’hui et leurs paroles avaient, bien entendu, à être entendues.
Mais attention, Mesdames et Messieurs les jurés, compatir n’est pas juger. Et
le piège d’une éventuelle confusion est bien réel, il n’y a pas à vous laisser
submerger par toute cette douleur, aussi respectable soit-elle. Jamais la douleur
des victimes ne pourra justifier le verdict d’un jury. Et en regard de toute
cette souffrance, on a souvent présenté la défense comme d’habiles techniciens :
« Nous sommes de très habiles chirurgiens armés d’un scalpel, et nous allons
décortiquer ces dossiers pour essayer d’en extraire l’une ou l’autre contradiction
de détail et d’en tirer argument ».
Cette image réductrice ne me convient pas. Cette
caricature est même choquante, quand on connaît l’engagement de certains d’entre
nous, dans les suites des drames du Rwanda et du Burundi. Plusieurs d’entre
nous ont plaidé dans le cadre des projets d’Avocats sans frontières, au Rwanda
et au Burundi, et nous avons plaidé aussi bien pour des victimes que pour des
accusés, nous avons éprouvé les mêmes émotions que les avocats des actuelles
parties civiles. Certains d’entre nous sont fortement engagés dans les reconstructions
de l’après-génocide au Rwanda et au Burundi, dans des projets d’aide aux orphelins
du génocide, dans des projets d’aide visant l’autonomie financière des veuves
du génocide. Le cœur n’est pas l’apanage de la première rangée. Et nous n’acceptons
pas de nous voir ainsi réduire à des techniciens habiles, trop habiles.
Il y a un danger que nous n’avions pas anticipé,
c’est celui des excès de ce procès. Rassurez-vous, Monsieur le président, vous
n’êtes pas visé. Qu’un avocat général termine son réquisitoire en dégainant
une arme, jusqu’à ce procès-ci, heureusement, c’était du jamais vu. Qu’une partie
civile fasse état d’une pièce, un mail, à l’appui d’une constitution, pièce
qu’on n’a jamais vue, qui n’a jamais été communiquée et dont un autre avocat
de partie civile vient vous parler du contenu, c’est inimaginable ! Qu’un
avocat de partie civile doive en arriver, délibérément et froidement, à insulter
un accusé, ça en devient pathétique. Pourquoi ? Pourquoi devoir recourir
à toutes ces extrémités, à tous ces artifices ? La réponse est dans une
question. Pensez-vous que, si Monsieur l’avocat général et les parties civiles
disposaient d’un si bon dossier, de preuves accablantes contre les accusés,
ils seraient contraints de recourir à ce genre d’excès ? Nous, en tout
cas, nous ne plaiderons que sur base du dossier, et rien d’autre.
Quelle est en définitive, Mesdames et Messieurs
les jurés, la mission de juger qui vous est confiée ? Il vous faudra vérifier
si les éléments qui vous sont soumis par Monsieur l’avocat général, constituent
ou non, des preuves de culpabilité et cela après votre analyse. Est-ce que les
témoignages que l’on vous propose sont suffisamment crédibles pour entraîner
ou déterminer votre intime conviction ? Et il ne s’agira pas d’être l’expression
de la conscience universelle, ni même l’expression de la bonne conscience de
qui que ce soit, et surtout pas de la Belgique qui a tellement à se reprocher
dans le drame du Rwanda. Il s’agira uniquement d’être l’expression de votre
conscience. Il y a une phrase qu’a dite Monsieur l’avocat général, que j’ai
bien aimée, c’est que le verdict d’un jury était en général l’expression du
bon sens. Eh bien alors, surtout, gardez ce bon sens. Analysez ce dossier avec
bon sens et esprit critique et alors vous pourrez vous faire une conviction
en toute sérénité.
Avant de vérifier les différentes pièces qui vous
ont été présentées par Monsieur l’avocat général, il faut vous poser une question.
De quel dossier disposez-vous ? Est-ce que, oui ou non, vous disposez d’un
dossier parfaitement complet qui vous permette de juger en toute connaissance
de cause ? Vous avez, tout comme moi, entendu Monsieur le juge d’instruction
VANDERMEERSCH. Il y avait chez lui comme un leitmotiv : « J’aurais
voulu faire plus, mais je n’ai pas eu les moyens ». Ah ! On l’a chargé
ou déchargé au départ de ses autres dossiers pour lui permettre de s’occuper
à temps plein de ce dossier Rwanda et puis, malheureusement, les autres dossiers
sont revenus. Il n’y en a pas 10 ou 20 ou 30, vous vous rappelez, il a dû s’occuper
de 400 dossiers, il n’a pas eu les moyens de ce procès historique.
Et c’est vrai, c’est vrai qu’il y a des devoirs
d’instruction qui n’ont pas été accomplis et qui étaient importants. Rappelez-vous,
tout d’abord, la petite sœur Jean-Paul, la directrice du centre de santé, cette
petite sœur polonaise. Elle n’avait jamais été entendue dans le cadre de ce
dossier. Heureusement, elle, on a pu l’entendre à l’audience. Et qu’est-ce qu’elle
nous a dit à l’audience ? Qu’est-ce qu’elle vous a appris ? Des choses
extrêmement importantes. Elle a mis fin définitivement aux mensonges de REKERAHO
concernant l’ambulance du centre de Santé, cette ambulance qu’elle a employée
jusqu’à son départ, jusqu’au 18 avril. Elle avait les clés de cette ambulance
dans sa main, jusqu’au 18 avril. REKERAHO n’a jamais eu l’ambulance avant le
18 avril, ni même avant le 22 avril. Elle vous a dit aussi qu’à partir du 10
avril déjà, les réfugiés ont commencé à se présenter au centre santé et que,
elle et les infirmières qui étaient là, s’en sont occupées comme elles ont pu :
elles en ont amené à l’hôpital, elles en ont soigné, elles ont même, jusqu’au
18 avril, nourri, elles ont ouvert les stocks du centre nutritionnel :
« On a eu des légumes, des haricots ». Qu’est-ce que vous auriez cru
qu’il s’était passé jusqu’au 18 avril si cette petite sœur Jean-Paul n’était
pas venue à l’audience ? Elle n’avait jamais été auditionnée. Et il y en
a d’autres.
Sœur Bénédicte. Ah ! Est-ce que c’est important
d’entendre sœur Bénédicte ? Sœur Bénédicte, c’est une sœur Tutsi qui était
au monastère pendant les événements et qui avait sa famille, des membres de
sa famille, dont sa nièce Aline, qui étaient présents. Tous ont été massacrés.
Et sœur Bénédicte est la seule dont la famille a été massacrée, qui n’accuse
absolument pas Gertrude ni Kizito, et elle dit de ces accusations que ce sont
des inventions mensongères. Est-ce qu’il n’était pas important d’entendre sœur
Bénédicte pour avoir un autre pan de la réalité ? Et vous vous rappellerez
quand on a posé la question à Monsieur le juge d’instruction, moi, je les vois
encore, Monsieur le juge d’instruction, Monsieur DELVAUX à sa gauche, Monsieur
STASSIN à sa droite, on leur a dit, on leur a demandé : « Tiens, vous
n’avez pas cru utile, vous n’avez pas cru opportun d’interroger sœur Bénédicte ? ».
Alors ils étaient là, un peu comme trois petits écoliers pris en défaut par
leur instituteur : « Sœur Bénédicte, sœur Bénédicte ? Monsieur
STASSIN, elle a été interrogée ? Ah oui, Monsieur le juge d’instruction,
elle a été interrogée. Monsieur Delvaux ? Ah oui, oui, oui ! ».
Ah, elle avait été interrogée mais on leur a dit : « Mais non, il
n’y a pas un seul PV au dossier ! ». « Il n’y a pas un PV au
dossier ? Monsieur STASSIN ? ». Monsieur STASSIN : « Ah
oui, je crois me souvenir que quand on a voulu l’interroger, dira Monsieur STASSIN,
elle n’était pas là ! ». Elle n’était pas là et on ne l’a plus jamais
auditionnée. Pas important sœur Bénédicte ? Vous ne saurez jamais ce que
sœur Bénédicte pouvait vous dire de ce qui s’est passé au monastère pendant
tous ces jours-là, et il y en a d’autres qu’on n’a pas interrogés.
Vous vous rappellerez qu’il y avait au monastère,
non seulement les familles des travailleurs, non seulement quelques familles
des sœurs, mais aussi les membres d’une ONG américaine. On a appris, au cours
de ce procès, qu’un américain de cet ONG dont j’ai oublié jusqu’au nom, se constituait
partie civile, lui qui apparemment, parce qu’on n’a reçu aucune pièce, avait
quitté le Rwanda dès le 9 avril, abandonnant, à Sovu, ses chers Rwandais et
sa cherokee. Mais moi, ceux qui m’intéressent, ce sont les Rwandais de cette
ONG. Pourquoi ? Parce qu’eux sont restés sur place. Les premiers qui sont
partis, ils sont partis le 22 avril au soir et ils ont pris une part active
dans tout ce qui s’est passé. Dans l’intitulé même des commissions rogatoires
du juge d’instruction, on voit qu’il en parle, de ces gens, il dit même qu’apparemment,
il y en avait qui étaient armés. Il y en a qui ont pris des décisions pour amener
les réfugiés au centre de santé. Alors, est-ce qu’il n’était pas utile, est-ce
qu’il n’était pas capital d’entendre ces personnes ? Qu’est-ce qu’elles
auraient pu vous dire sur la réalité de ce qui s’est passé à Sovu jusqu’au 22
avril soir, jusqu’au soir des massacres ? Et il y en a d’autres parmi eux,
les derniers, les Tutsi qui sont restés jusqu’au 6 mai, ils auraient pu vous
dire aussi tout ce qui s’est passé jusqu’au 6 mai.
Mesdames et Messieurs les jurés, on a rien entrepris,
mais rien, pour essayer même de les localiser. Est-ce que c’était si difficile ?
« Je n’ai pas eu les moyens, j’aurais bien voulu faire encore une commission
rogatoire supplémentaire ou l’autre, dit le juge d’instruction, j’ai pas eu
les moyens ». Et il suffisait quoi ? Il suffisait de demander à sœur
Scholastique, c’est la sœur hôtelière, elle sait très bien qui est en session
pendant une semaine, pendant quinze jours, elle sait très bien qui sont les
membres de cette ONG, elle les a dans son grand livre, c’est elle qui fait les
factures pour ces gens-là. On aurait très bien pu retrouver ces personnes, mais
vous, vous allez devoir juger sans jamais avoir entendu ces personnes. Et il
y en a d’autres encore, d’importance ! Le bourgmestre Jonathan RUREMESHA,
Gaspard RUSANGANWA, c’est pas des gens importants, ça ? Qu’est-ce qu’on
a fait ? Qu’est-ce qu’on a entrepris pour essayer de les localiser ?
Rien. Rien du tout. De temps en temps, Monsieur le juge d’instruction a demandé
au TPIR : « Ah ! Vous n’avez pas un tuyau pour moi ? ».
On ne sait rien. Il y a juste Monsieur TREMBLAY du TPIR qui nous dit qu’il avait
pu les localiser à un moment donné, au Burundi. Ces personnes-là non plus, vous
ne saurez jamais tout ce qu’elles auraient pu vous dire.
Alors, cela pose, bien sûr, la question de savoir :
mais finalement, qui est-ce qu’on a interrogé dans cette affaire ? Qui
sont les témoins que vous avez entendus ? Monsieur le juge d’instruction
nous a dit que, sur base de renseignements qu’il avait, il a auditionné des
personnes sur place et puis, qu’il y en a qui se sont présentées d’initiative,
auprès de lui. Il est quand même significatif de constater qu’il y a en réalité
huit témoins qu’il a interrogés, huit témoins principaux, des rescapés de Sovu,
huit femmes, et que ces huit femmes, très curieusement, on les retrouve dans
l’ouvrage d’African Rights « Not so innocent ». Cet ouvrage que Monsieur
le juge d’instruction avait spécialement commandé en urgence, juste avant de
partir en commission rogatoire, donc, c’était son livre de chevet pendant cette
commission rogatoire. Il n’y aurait aucune autre personne dans tout Sovu qui
serait rescapée ? Il n’y a que ces femmes-là, celles qui ont été entendues
par African Rights ? Vous avez dit African Rights ? Vous vous rendez
bien compte que je vais difficilement pouvoir retenir un petit couplet !
Et puis si j’en parlais pas, il y en a un qui serait tellement déçu ici, Maître
GILLET. Qu’est-ce qu’on reproche à African Rights ? Ah, ce qu’on reproche
à African Rights, c’est sa méthode. African Rights procède à l’audition de certaines
personnes et elle ne vérifie, mais absolument pas, la crédibilité des témoignages
de ces personnes. On récolte des témoignages et puis, on va faire un petit ouvrage
sur base de ces témoignages, un petit recueil, on va découper ces témoignages,
on va monter tout un beau dossier et, entre les différents témoignages, on va
mettre des phrases de liaison, terriblement vindicatives.
Tout est fait pour accuser quelqu’un, ici deux personnes,
sur base de témoignages qu’on ne vérifie pas uniquement et avec des phrases
de liaison, sanguinaires ! Est-ce que ces personnes auront le droit à la
contradiction, celles qu’on accuse ? Est-ce qu’on va vous faire part de
leur point de vue ? Ah ! Pour sœur Gertrude, on va découper un petit
extrait d’une interview qu’elle a donné à un journaliste et c’est tout, ça c’est
la parole de sœur Gertrude, c’est sa version. Et pour sœur Kizito, pas un mot.
Sœur Kizito, elle doit être muette. Alors, voilà ce genre d’ouvrage, d’African
Rights, c’est tout à sens unique, dans un seul sens, celui de l’accusation.
Et on ne vérifie pas et il n’y a pas de contradictions, et on en met une couche,
et encore une couche, et des couches, et finalement, ça devient une vraie lasagne.
Vous avez entendu Monsieur le témoin 147 vous dire le
résultat de son entretien téléphonique avec la directrice d’African Rights :
« Ah ! Curieusement, oui, chez African Rights, on s’attaque pas mal à des
gens d’Eglise. Alors, elle a dit, elle a dit : « Il y a tel abbé,
tel abbé, l’abbé SIBOMANA, et encore d’autres, ceux là, c’est incroyable, on
ne trouverait pas un seul témoin à décharge pour ces gens-là, pour André SIBOMANA ».
Eh bien, moi, je dis merci à Madame BRAECKMAN d’avoir été le témoin à décharge
de l’abbé SIBOMANA qui est vomi par African Rights. Encore un exemple. African
Rights a fait à nouveau un autre petit recueil sur l’évêque de Gigonkoro au
Rwanda, Monseigneur le témoin 59. Ah ! Un beau relevé d’accusations qui ont été reprises
presque mot pour mot par le parquet du Rwanda. Et on a poursuivi Monseigneur
le témoin 59 sur base de ces accusations, et il a fait de la détention préventive,
et il y a eu un jugement qui a été extrêmement long, extrêmement complet, extrêmement
fouillé. Et au terme de ce procès, faute de preuves, Monseigneur le témoin 59 a été
acquitté. Je ferme ici la parenthèse African Rights.
Mais donc, Mesdames et Messieurs les jurés, vous
disposez d’un dossier qui est incomplet, où des témoins importants ne figurent
pas. Alors, qu’est-ce que ça veut dire ? On ne va pas vous dire qu’il ne
faut pas juger ! Mais non, il faut juger ! Mais il faudra faire preuve
de beaucoup de prudence et de circonspection, par rapport aux seuls témoignages
que l’accusation vous propose. D’autant plus que les témoins qu’on vous propose,
dont toutes les femmes de Sovu, ces huit femmes de Sovu elles se sont constituées
partie-civile et elles sont, dès lors, hautement intéressées par une éventuelle
condamnation des accusés.
Il nous reste encore une réalité à examiner avant
d’entreprendre l’examen de ces témoignages. Le professeur REYNTJENS nous a parlé
de manière extrêmement complète, précise et même courageuse, de ce que c’était
que le mensonge dans la mentalité rwandaise. Courageuse parce qu’il vous a bien
dit qu’il risquait, lui, en disant tout cela, de se mettre quelques amis rwandais
à dos : « Mentir, vous a-t-il dit, au Rwanda, c’est bien parler. Ce
qui est important, c’est pas la vérité. Ce qui est important, c’est l’objectif
que poursuit la personne qui parle, le but qu’elle s’est fixé ». Il vous
a dit que la communication était stratégique au Rwanda. Si j’accuse quelqu’un
de quelque chose, eh bien, je vais tout faire pour arriver à sa condamnation,
au prix de contre-vérités, ça n’a aucune importance. Ce qui compte, c’est le
but que je me suis fixé, la condamnation de cette personne. Voilà comment ça
se transcrit dans les procès de génocide, les témoins à charge auront une seule
idée en tête, c’est la condamnation de la personne, même au prix de contre-vérités,
même contre-vérités sur des éléments essentiels, ça n’a pas d’importance.
Et lorsqu’elles seront à plusieurs, il y aura alors
une espèce de contre-vérité concertée, une version que les différents témoins
auront et où tout le monde dira qu’il a tout vu. Et ce n’est, bien sûr pas vrai.
Et quand nous avons plaidé au Rwanda, nous avons tous, dans l’un ou l’autre
dossier, rencontré ce genre de réalité. Moi-même, j’ai pu intervenir dans un
procès où un homme était poursuivi pour des dizaines et des dizaines de crimes
qu’il aurait commis. On l’avait vu. Et cet homme, il était inspecteur des écoles,
il était le supérieur hiérarchique de quelques enseignants qui avaient, eux,
été des génocidaires importants. Alors, dans l’esprit des gens ou de certaines
personnes, c’était clair que le supérieur hiérarchique de ces tueurs devait
aussi, pendant les événements, être leur supérieur génocidaire. Et alors, tout
le monde avait vu, tout le monde l’avait vu tuer des gens et les jeter dans
une énorme fosse, dans une ancienne carrière, et on est descendu sur place avec
le tribunal, on a vérifié chaque témoignage. Et cet homme, en fin de compte,
a été acquitté de tous les crimes qu’on avait essayé de lui imputer. Voilà des
exemples concrets de ce qui se passe au Rwanda, des accusations dans les procès
de génocide.
Monsieur l’avocat général et les conseils des parties
civiles vous ont déjà dit tout ce que j’allais plaider. Ils savent, par avance,
tout ce que je vais dire dans ma plaidoirie. Il y a là comme un petit côté Madame
soleil ou boule de cristal qui est assez amusant. Et ils sont par avance scandalisés,
scandalisés que la défense puisse oser plaider sur des détails : « On
va essayer de mettre en évidence des contradictions de détails, la défense va
vous parler de bidons ». Et alors, on va lancer les expressions les plus
frappantes : « Je m’en fiche des bidons, je m’en fous des bidons,
ça n’a aucune importance, les bidons ! ». Est-ce que ça a de l’importance,
un bidon, la couleur d’un bidon, sa contenance ? Vous savez, on n’a jamais
demandé à personne de nous dire : « J’ai vu untel avec un petit bidon
de 5 litres, de telle couleur ». Mais non. Si un témoin nous disait :
« J’ai vu telle personne amener de l’essence et on s’est servi de cette
essence pour brûler le garage. Mais ne me demandez pas, ne me demandez pas aujourd’hui
quelle est la contenance du bidon qu’elle portait, et sa couleur, je ne m’en
souviens plus ». Il n’y a personne qui mettrait cette parole-là en doute,
c’est tout à fait plausible. Mais à partir du moment où on vient vous dire :
« J’ai vu telle personne amener de l’essence et celle-là, je l’ai vue,
elle portait un petit bidon de telle contenance et de telle couleur ».
Qu’est-ce que ça veut dire ? C’est du détail qui sert à quoi ? Mais
c’est uniquement le détail qui sert à rendre le principal crédible. « Je
vous dis que j’ai vu untel, amener de l’essence et je suis tellement sûr de
ce que je dis que je peux même vous dire qu’elle portait un petit
bidon de telle taille, de telle couleur, comme ci, comme ça ». C’est le
détail qui veut essayer de rendre le principal, vrai, crédible. Mais moi, je
ne vais pas m’attacher aux détails. J’ai pas besoin de ça. Il y a bien assez
dans ce dossier, au niveau des énormes contradictions et des énormes impossibilités
par rapport à l’essentiel.
Nous
allons passer maintenant en revue, les témoignages des femmes de Sovu. Ce sera
un peu fastidieux, mais je me limiterai à l’essentiel, rassurez-vous. Qu’une
chose soit d’abord bien claire entre nous, j’ai, pour ma part, énormément de
respect pour la souffrance et la douleur de ces femmes qui sont venues témoigner
ici, parce que les blessures qui sont les leurs, les blessures au cœur et au
corps, elles sont bien réelles, ça c’est clair. Mais par contre, la vérité,
la réalité de ce qui s’est passé, celle-là, elle a tous ses droits dans cette
Cour d’assises.
Jeanne
le témoin 38. le témoin 38, elle n’a été auditionnée qu’à deux reprises. Tout
d’abord, dans le cadre de la commission rogatoire d’octobre 1995 et puis, ici
à l’audience. Alors, dans le cadre de cette commission rogatoire, elle précise
quatre choses. Elle nous dit par rapport aux événements du 22 avril - je me
concentre uniquement sur les événements du 22 avril - elle nous dit que c’est
Kizito, Kizito qui est présente sur les lieux et qui remet un bidon d’essence
à REKERAHO et puis, elle s’en retourne, sans rien dire, au couvent. Pendant
cette même journée, elle affirme qu’elle voit Gertrude, après les massacres,
se promener entre les cadavres pour évaluer les tués. Troisième chose, elle
précise que le 28 avril, Gertrude et Kizito seraient parties à la commune de
Huye et auraient ramené deux militaires qui auraient fusillé des gens au couvent.
Elle est la seule à dire ça : le 28 avril, il y aurait eu un massacre au
couvent de Sovu. Personne n’a vu ça, et pour cause.
« Et
en juillet 94 - dit-elle - ah là, lorsque les sœurs vont s’en aller, c’est Gertrude
qui va choisir celles qui vont l’accompagner, celles qui iront dans l’autre
véhicule, le véhicule de la mort ». Alors, on lui demande à l’audience :
« Tiens, est-ce que vous confirmez cette version ? », « Ah !
Ben non, non, c’est pas Kizito qui était là, le 22 avril, c’étaient Kizito et
Gertrude. Et chacune portait un petit bidon blanc ». Le petit bidon blanc,
c’est pourquoi ? C’est pour dire : « Bien sûr que c’étaient et
Gertrude et Kizito, je peux même vous dire qu’elles portaient un petit bidon
blanc ». Et elle va ajouter à l’audience : « Et en plus, j’ai
vu qu’on a jeté ce jour-là de l’essence sur Gérard KABILIGI et il a pris feu,
c’est une torche vivante, et il est mort ». Alors, on va l’interroger,
on va dire : « Ecoutez, c’est quand même un peu gros votre histoire,
vous dites une fois Kizito et puis après, Kizito et Gertrude ». « Ah !
Oui, mais écoutez, dira-t-elle, moi, quand j’ai été interrogée dans le cadre
de la commission rogatoire, on était à plusieurs et il y en avait plusieurs
qui nous interrogeaient, alors on ne savait pas très bien ce qu’on disait ! ».
Ah ! Oui ? Tiens donc ! Alors, vous étiez interrogée par un -
ou des - enquêteurs belges à Butare, chez Monsieur le procureur et là, soi-disant,
il y a des tas de personnes qui sont interrogées en même temps. C’est quoi,
c’est le café du commerce, là, chez le procureur ? C’est pas sérieux bien
sûr.
Et
par rapport aux événements du 28 avril, vous êtes la seule à voir un massacre
le 28 avril. « Ah ! Ben oui, mais écoutez, là, on a mal interprété
mes propos ». On a mal interprété ? Et puis, le choix de Gertrude,
qu’est-ce que c’était ce choix, elle choisissait celles qui vont à la mort en
camionnette ou pas ? « Oh ! Ben non, là, franchement, je dois
vous dire, quand j’ai dit ça, moi je croyais que c’était un jeu » !
Elle a dit qu’elle croyait que c’était un jeu ! Eh bien non, Madame le témoin 38,
nous, à la Cour d’assises de Bruxelles, on ne joue pas et les jeux, on les range
dans l’armoire.
Josée
le témoin 81. Elle est tout d’abord entendue dans le cadre de l’ouvrage d’African
Rights « Not so Innocent ». Alors, elle précise là que le 22 avril,
ce sont les miliciens qui boutent le feu au garage, ne parle pas de l’une ou
l’autre sœur qui serait intervenue. Par contre, elle précise que Kizito est
intervenue ce jour-là, mais pas pour l’incendie du garage, non, non, elle a
remis de l’essence pour bouter le feu à KABILIGI, le fameux KABILIGI, la torche
vivante. Et puis, elle ajoute que le lendemain, elle dit pas simplement le 23
avril, c’est pas question d’une erreur de date, c’est le lendemain des massacres,
là, on ne se trompe pas, le lendemain, elle voit Kizito, Kizito parmi les cadavres,
et qu’est-ce qu’elle fait, Kizito ? Elle distribue des bidons d’essence.
Distribuer des bidons d’essence aux miliciens qui sont en train d’achever les
derniers survivants. Nous savons tous que le 23 avril, Kizito ne peut pas être
à Sovu, sur les lieux du massacre du centre de santé. Rappelez-vous bien, c’est
capital, que le 23 avril, vers 5 h - 5 h 30 du matin, Kizito quitte Sovu dans
le premier convoi des religieuses et qu’elle y reviendra uniquement le 24 avril
au soir. Donc, tout ce qui se passe le 23 avril, toutes les personnes qui vous
disent : « J’ai vu Kizito le 23 avril dans la matinée, faire ceci,
faire cela », c’est un énorme mensonge. Ici, elle voit Kizito distribuer
de l’essence, le 23 avril dans la matinée.
Par
la suite, elle sera interrogée à deux reprises dans le cadre de la commission
rogatoire de 95, elle sera interrogée à la fois le 29 septembre et le 8 octobre,
donc à neuf jours d’intervalle. Premier interrogatoire, elle nous dit tout d’abord
que c’est un certain Kizito qui les a chassés vers… un certain Kizito, pas une
Kizito, un certain Kizito qui les chasse vers le centre de santé. Et le 22 avril,
c’est Gertrude, c’est Gertrude qui vient avec quatre bidons d’essence. On ne
voit pas Kizito, le 22 avril. Neuf jours plus tard, elle dit que c’est pas un
certain Kizito qui les a chassés mais que c’est Gertrude, et le 22 avril, c’est
plus Gertrude qui accompagne REKERAHO avec de l’essence, c’est Kizito. Neuf
jours plus tard, une fois Gertrude, une autre fois Kizito. Et elle va affirmer
ce jour-là que c’était Kizito et que Gertrude, elle ne l’a pas vue de la journée
et qu’elle pense bien que Gertrude était au couvent ce jour-là. Et puis, elle
sera entendue en 1999… fin décembre 1998, dans le cadre de l’enquête du TPIR,
par Monsieur TREMBLAY, et là, elle ne dira pas que c’est Kizito ou Gertrude,
non, là, ce sera Kizito et Gertrude, toutes les deux avaient des bidons dans
les mains. Et ici, à l’audience, elle va confirmer comme toutes les autres,
bien sûr, que ce n’était pas ou Kizito ou Gertrude mais que c’étaient Gertrude
et Kizito, qu’elles portaient chacune deux bidons de cinq litres : « Bien
sûr que c’étaient elles » et elle confirmera aussi que Gérard KABILIGI
a brûlé ce jour-là : « Kizito a donné de l’essence. On l’a brûlé,
cet homme ». Voilà donc des versions complètement différentes et même parfois
à neuf jours d’intervalle, une fois c’est Kizito, une fois c’est Gertrude et
puis après : « On va voir, on va s’aligner sur cette espèce de version
commune » où, dans le cadre de l’interrogatoire TPIR, ça deviendra et Gertrude
et Kizito.
Troisième :
le témoin 57. Ça, c’est le témoin surprise, le témoin trouvé, déniché
par les parties civiles. Cette personne, elle n’a été entendue, ni dans le cadre
de la commission rogatoire de 95, ni par le Tribunal pénal international, elle
n’a pas été entendue dans le premier ouvrage d’African Rights, mais elle va
tout à coup apparaître en juillet 1999, dans le deuxième ouvrage d’African Rights
« Entrave à la justice ». Là, on voit apparaître Marie Goretti. Donc,
on l’a entendue uniquement à ce moment-là et ici, à l’audience. Alors, dans
la version African Rights, ce sera comme tout le monde : c’est Gertrude
et Kizito, chacune portait deux bidons d’essence. Et à l’audience, elle va dire :
« Oui, c’est Gertrude et Kizito. Et j’ai bien vu KABILIGI - toujours cette
même erreur - KABILIGI auquel on a mis le feu ce jour-là. Il y a quand même
des questions à se poser, voilà ce témoin surprise qui apparaît en 99, ah !
c’est dommage qu’on n’ait pas pu l’entendre auparavant. Eh bien oui, elle a
quand même été entendue auparavant, elle a été entendue en 1998, dans le cadre
du procès de REKERAHO, on l’a entendue en sa qualité de rescapée de Sovu, on
lui a demandé de dire tout ce qui s’était passé au monastère de Sovu, le 22
avril. Dans toute cette audition qui prend trois pages, toute cette audition
de 98, il n’y a pas un mot sur les sœurs ! Sur le prétendu rôle de Gertrude
et Kizito, il n’y a pas un mot ! C’est donc clair. En 98, elles n’y sont
pour rien et en 99, on va s’aligner sur cette espèce de version commune. Et
elles confirment toujours cette grave erreur de la mort de KABILIGI.
Alors,
il reste maintenant deux familles, une mère et sa fille, une mère et ses deux
filles. le témoin 72. Première version, celle qui est recueillie par
African Rights : 22 avril, on ne parle pas d’essence, il n’y a pas eu d’essence
le 22 avril, il n’y a aucune sœur qui intervient le 22 avril. Par contre, ce
jour-là, qu’est-ce qu’elle voit ? Elle voit Kizito qui remet une liste
aux Interahamwe et elle pense, dit-elle, que c’est la liste avec le nom des
travailleurs qui se trouvent au monastère. Pas de sœurs, pas d’essence.
Dans
le cadre de la commission rogatoire, alors là, ça devient Kizito. C’est Kizito
qui, le 22 avril, amène un bidon d’essence qu’elle va remettre à REKERAHO. Donc
Kizito, cette fois-là, participe. Et le lendemain, le 23 avril, le lendemain
des massacres, alors là, elle nous précise une scène incroyable : Kizito
est là pendant la matinée et elle commence à faire aligner les personnes par
groupes de trente et puis, on amène les groupes jusque chez un dénommé Mathias,
et le Mathias, il donnera chaque fois le signale du massacre de chaque groupe.
Ça, c’est Kizito ce jour-là, et Kizito criait en plus, le 23 avril elle se promenait
au milieu des cadavres en disant : « Ah ! Ces Tutsi, ils ont
une mort beaucoup trop douce ! Regardez comme ils sont méchants, ils ont été
jusqu’à déchirer l’argent qu’il y avait dans leur poche ; on ne pourra
même plus l’employer, cet argent. Vraiment, ils ont eu une mort beaucoup trop
douce ! ». Tout ça, le 23 avril, le jour où Kizito est bien loin,
où elle est à la paroisse de Ngoma.
Dans
le cadre de l’enquête du TPIR, alors là, c’est plus Kizito qui amène de l’essence,
ah non ! Là, c’est Gertrude et Kizito, ce sont les deux. Et alors là, elle
précise : « Kizito tient un petit bidon noir, Gertrude tient un petit
bidon rouge et elles sont suivies de deux hommes qui tiennent un gros bidon
jaune ». De nouveau, le détail parfaitement inutile qui ne sert qu’à faire
croire que c’étaient bien et Gertrude et Kizito qui étaient là. Et à l’audience,
elle va vous dire : « Oui, oui, j’ai vu Gertrude et Kizito et elles
portaient des bidons, mais je n’ai jamais vu, dira-t-elle, jamais vu la couleur
de ces bidons ». Et par la suite, le 23 avril, c’est plus Kizito qui se
promène, mais ça devient le 22 avril et c’est plus Kizito, il y a les deux.
Il y a Gertrude et Kizito qui se promènent parmi les cadavres. Et toujours ce
même mensonge de Gérard KABILIGI, qui brûle et qui meurt le long de la route,
en bordure du petit bois. Et elle va ajouter, elle va ajouter encore une autre
diabolisation, celle-là, et sa fille dira exactement la même chose. Ce sont
les deux seules, dans tout le dossier, qui le disent. Le lendemain matin, le
23 avril, alors qu’elle avait dit que le 23 avril elle avait vu pendant la journée
Kizito, etc. Non, ici, non, non, elles sont parties le 23 avril, oui, oui, parties
en camionnette. Et vous savez ce qu’elles ont fait ? Elles ont roulé, pas
sur des cadavres, pas sur des morts, elles ont roulé sur les gens qui vivaient
encore, pour les achever. Elles ont roulé sur les agonisants. C’est tout le
monde, une fois c’est Kizito, une fois c’est Gertrude et Kizito ; c’est
du n’importe quoi.
Sa
fille, le témoin 64. Alors, là aussi, comme maman dans African Rights, alors
on ne parle pas d’incendie, on ne parle pas des sœurs, non, non, rien à voir
dans ce qui s’est passé le 22 avril. Par contre, dit la fille : « Ah !
Kizito, elle a quand même donné de l’essence ». Oui, pour brûler KABILIGI.
C’est la seule intervention de Kizito. Interrogée dans le cadre de la commission
rogatoire, là, ça change, là, c’est Kizito bien sûr qui amène de l’essence,
le 22 avril. Et elle affirme même que les miliciens ont ouvert la porte du garage
et qu’ils ont jeté l’essence sur les gens. Et puis, elle précise curieusement
qu’au moment des massacres, au moment où elle voit tout, elle se trouve non
pas près du garage, mais elle se trouve dans un local, au centre de santé. Un
local, les locaux qui sont situés plus loin, vers l’arrière. Et elle dit que
de là, elle ne pouvait qu’entendre le crépitement des fusils. Mais elle précise
qu’elle voit bien Kizito et elle précise encore ceci : « J’ai vu que
Kizito avait apporté l’essence dans un jerricane à moitié plein ». Elle
se trouve dans un local et elle voit tout ça. De nouveau ce détail pour faire
croire que c’était bien Kizito. Et elle ajoute encore que Kizito a effectivement
donné un bidon d’essence avec lequel on a arrosé le fameux KABILIGI qui est
mort comme une torche vivante. Et puis, elle ajoute ceci, c’est que le 23 avril,
elle a vu Kizito et Gertrude partir avec REKARAHO. Elles sont allées à Butare,
vous savez pourquoi ? Pour chercher des grenades et d’autres munitions !
Et REKERAHO leur disait : « Vite, vite, dépêchez-vous ! Il faut encore
qu’on aille tuer ceux qui sont à la commune de Huye, on n’a pas de temps à perdre ».
Et
puis, dans le cadre de l’enquête du TPIR, alors là, elle ne se trouve plus dans
une classe, non, elle a bougé. Elle se trouve dans la cour et elle ne voit plus
seulement Kizito avec son bidon à moitié plein, ben non, là, elle voit Kizito
et Gertrude, chacune, qui tiennent un bidon en main. Et puis, elle précise :
« Ah ! Depuis lors, je ne les ai plus vues », alors que juste
avant, dans l’autre version, le 23, elles s’en vont chercher des grenades et
des munitions. Et à l’audience, là, elle va déclarer qu’elle n’est plus dans
une classe, qu’elle n’est plus dans la cour mais qu’elle se trouve à côté du
garage ; le garage est décentré par rapport au centre de santé, c’est une
petite annexe. Donc, en trois versions, elle a fait le tour du centre de santé.
Et là, elle va continuer à préciser que c’est bien sûr Gertrude et Kizito qui
ont amené des bidons d’essence. Et pour la première fois, elle va dire :
« Ah ! Oui, j’ai vu Kizito qui marchait entre les corps », avec
sa fameuse réflexion concernant l’argent déchiré et ces méchants Tutsi. Et puis
elle va confirmer la version de sa maman, ou le lendemain : « Ah !
Elles ont roulé avec leur camionnette sur les agonisants ». Toutes les
versions changent.
Dernière
famille. La maman le témoin Vénérande. Alors là, première version African Rights,
c’est Kizito qui distribue l’essence, des petits bidons de 7 litres, précise
t-elle. Et puis interrogée dans le cadre de la commission rogatoire : « Ah !
C’est Kizito qui distribuait de l’essence ». Bien, il y a de la cohérence
entre les deux versions. Ça va se gâter après. Quand elle est auditionnée par
les enquêteurs du TPIR, alors tout d’abord, assez curieusement, elle va nous
décrire REKERAHO comme le roi du carnaval, le le témoin 117 des bananiers. REKERAHO,
il a enfilé un bananier, il a fait un trou pour laisser passer sa tête et il
avait une petite crête en bananier séché et il était couvert de peinture beige.
Elle est la seule à le voir dans ce type d’accoutrement. Je pense que REKERAHO
devait certainement avoir une loge sur place pour pouvoir se démaquiller et
puis après, se mettre dans un grand drapeau de la CDR. Et puis surtout, elle
ne voit plus Kizito donner de l’essence, mais non, elle voit deux sœurs, mais
elle ne dit pas que c’est Gertrude et Kizito, non. C’est deux sœurs qu’elle
ne peut pas identifier. Elle dit : « Je ne les connais pas, je serais incapable
de dire qui étaient ces deux sœurs-là ». Et elles n’ont pas amené d’essence,
elles ont juste remis des allumettes à BYOMBOKA qui a mis le feu. Donc, il n’est
même plus question d’essence, mais de deux sœurs qu’elle ne connaît pas. Pourtant,
dans cette longue version TPIR, avant cela, elle parle de Gertrude, elle parle
de Kizito ; donc, il y a une chose qui est sûre, c’est que le 22, ce n’est
ni Gertrude, ni Kizito. Et puis, à l’audience, alors là, bien sûr, cela devient
Gertrude et Kizito et elles donnaient des ordres aux Interahamwe, et elle les
a vues, dira-t-elle : « Je les ai vues de mes yeux et elles ont même
versé elles-mêmes l’essence sur le garage ».
Vous
voyez toutes ces impossibilités, toutes ces contradictions sur l’essentiel.
La seule question à se poser, c’est qui fait quoi, quand. Sa première fille,
le témoin 71. Dans la version African Right, il n’est pas question des
sœurs et pas question de l’incendie du garage, on ne parle pas de la présence
des sœurs à ce moment-là. Par contre, le lendemain dans la matinée, le 23, là,
elle voit Kizito se promener parmi les cadavres et faire sa fameuse réflexion
sur les méchants Tutsi et l’argent déchiré. Le 23, là où c’est parfaitement
impossible. Et elle vous précise, que le 23, elle est assise dans le centre
de santé et qu’elle voit, devant elle, Kizito faire tout ça. Et puis, interrogée
dans le cadre de la commission rogatoire, elle dira le 29 septembre que c’est
Kizito qui est venue avec de l’essence, alors qu’avant, elle ne parlait pas
de l’essence et des sœurs le 22 et qu’elle a même donné la clé du garage pour
le fermer. Et puis, interrogée neuf jours plus tard, elle confirmera que c’est
Kizito et elle confirmera, sur une question qu’on lui pose, qu’elle n’a en tout
cas pas vu Gertrude ce jour-là, que Gertrude n’était pas là. Et le lendemain,
elle confirme qu’elle a bien vu Kizito qui circulait au milieu des cadavres,
le 23 avril.
Alors,
elle sera interrogée en 99 par les enquêteurs du TPIR et là, elle va préciser
qu’en fait, elle se trouvait dans le garage du centre de santé, et que tout
ce qu’elle a vu, elle l’a vu par un petit trou fait par une balle dans la porte
du centre de santé. Tout à coup, elle voit avec plein de détails, elle voit
d’abord que c’est NYONDO qui amène de l’essence et puis alors, quand c’est terminé,
REKERAHO dit : « Il n’y a plus d’essence mais je connais une petite
sœur qui va pouvoir nous aider ! On va y aller. On y va et on revient ».
Et elle revient et elle voit par son petit trou, elle voit Kizito et Gertrude.
Elle voit BYOMBOKA à qui on remet un bidon d’essence et puis elle voit qu’à
ce moment-là, les deux sœurs s’éloignent. Elle voit tout par ce petit trou de
balle dans la porte. Est-ce que vous pouvez vous imaginer ce que cela devait
être dans ce garage du centre de santé ? Est-ce que vous pouvez vous imaginer
l’horreur que c’était ? Le nombre de personnes qu’il pouvait y avoir, qui
étaient là, l’une sur l’autre, des femmes des enfants, des bébés en train de
hurler parce qu’ils savaient qu’on allait les tuer ! Et vous pensez qu’elle
a le temps de tout voir tranquillement par le petit trou dans la porte ?
Qui pourrait croire une chose pareille ? Personne. Et elle le sait très
bien. Et alors à l’audience, elle va changer sa version : « Mais non,
c’est pas par un petit trou de balle que j’ai vu ça, mais non, j’ai vu ça tout
à fait autre part, par un trou qu’on faisait dans le mur, les assaillants faisaient
un trou dans le mur pour mettre des branchages, des feuilles sèches, pour mettre
l’incendie, pour faire de la fumée, pour faire évacuer les gens du garage ».
Et c’est par là, soi-disant, à l’audience, qu’elle voit tout ce qu’elle dit.
Et puis, elle précisait au TPIR, qu’elle a vu le 23, bien entendu, Kizito qui
circulait parmi les cadavres. Alors, à l’audience elle dira : « Mais
non, je me suis trompée, ce n’est pas le 23 non, non, non, c’est le 22 ».
La
dernière, Alice MUKABUTERA. Au départ, on ne voit pas de sœurs, le 22 avril,
il n’y a pas de sœurs. Par contre, le 23, là, elle voit Kizito. Le 23, elle
voit Kizito qui se promène parmi les cadavres, avec une liste et qui dit, bien
sûr, cette fameuse réflexion par rapport aux Tutsi qui ont une mort trop belle
parce qu’ils avaient déchiré les billets. Puis, elle sera interrogée dans le
cadre de la commission rogatoire et elle dira que : « Ah ! Tiens,
oui le… ben non, le 22 avril, là, ça, c’est Kizito qui est là avec de l’essence,
et elle remet cette essence à BYOMBOKA pour brûler ». Et puis le 23 avril,
elle est là, elle est là, Kizito, le 23 avril, et elle vient dire, elle vient
appeler les gens, elle dit : « Venez voir, il y a KABLIGI qui est
en train de brûler ! Venez voir ! », le 23 avril, alors qu’elle
n’est pas là. Et elle vous dit dans son audition que tout ce qu’elle dit, elle
l’a vu. Et puis, interrogée par le TPIR, alors là, elle confirme que bien sûr
ce n’est pas Kizito, non, c’est Gertrude et Kizito, elles tenaient chacune un
bidon de 5 litres. Et puis, elle confirme toujours cette même erreur :
« Ah ! Oui, Kizito, le 23, là, il n’y a pas de problème, je l’ai vue
parmi les cadavres ». Et à l’audience, elle confirmera que c’est Gertrude
et Kizito qui étaient là, le 22 avril, et que la scène de Kizito circulant parmi
les cadavres, ce n’est plus le 23, c’est le 22. Bien entendu. Et la mort de
KABILIGI aussi, c’est le 22.
Alors,
qu’est-ce que tout ça ? Quelle est la conclusion que l’on peut tirer de
toutes ces contradictions incroyables sur des éléments essentiels ? L’essentiel
dans ce genre de version, c’est qui fait quoi, quand ; les détails, ça
n’a pas d’importance. Mais quand on vous dit : « On ne voit pas les
sœurs le 22 », et puis ça devient Kizito ou bien parfois c’est Gertrude,
et puis c’est Kizito et Gertrude. Et puis, il y a toujours le 23 avril où on
voit Kizito au milieu des cadavres. Et puis, c’est plus le 23 avril, à l’audience,
ça devient le 22 avril ! Mais c’est évident que devant toutes ces impossibilités,
toutes ces contradictions sur l’essentiel, ces témoignages sont tout sauf crédibles.
Et on va, quand on compare ces différents témoignages, alors on voit la concertation,
on voit le mensonge collectif, on voit la contre-vérité concertée. Dans le cas
d’African Rights, on ne sait pas très bien, certains disent : « Il
y avait Kizito », d’autres disent : « Mais non, il n’y avait
pas de sœur ». Et puis, dans le cadre de la commission rogatoire, ah !
presque tout le monde dit : « C’est Kizito » ! Kizito qui
amène de l’essence, mais on la voit le 23, presque tout le monde la voit le
23, se promener au milieu des cadavres !
Et
puis, tout le monde va changer de version devant Monsieur TREMBLAY. A ce moment-là,
il n’y a plus personne qui voit l’une ou l’autre sœur. Tout le monde voit Gertrude
et Kizito. Ça, Mesdames et Messieurs, ça, c’est la contre-vérité collective.
Quand toutes ces versions, qui étaient différentes au départ, évoluent et changent,
se modifient, on passe de Kizito, à Kizito et Gertrude et puis, on continue
à faire les mêmes erreurs énormes, on continue, tout le monde voit Kizito le
23 avril, se balader au milieu des cadavres en faisant cette réflexion effrayante
sur les Tutsi. Et on sait que c’est faux, c’est un mensonge collectif, organisé,
concerté entre toutes ces femmes. N’oubliez jamais que ce sont toutes des voisines,
soit elles habitent ensemble, soit elles sont membres de la même famille, soit
elles sont voisines proches. Et entre elles, bien sûr, elles causent.
Et
puis, on voit le mensonge qui va encore évoluer parce qu’après avoir été entendue
par le TPIR, eh bien, on a accès au dossier, figurez-vous, et on peut savoir
à ce moment-là que c’est impossible, le 23 avril, de voir Kizito : « Ah !
Zut alors. On est toutes tombées dans le panneau, on s’est toutes gourées, là.
On a toutes dit quelque chose qui était impossible. Kizito, le 23 avril, elle
est pas là. Tiens, qu’est-ce qu’on va faire ? Pas d’importance, on viendra
à l’audience, on dira que c’était le 22. Ces jurés belges, ils vont avaler ça
comme le reste ». Et alors, ça devient le 22 avril. On voit Kizito le 22
avril. Et dans quelles circonstances ? Le 22 avril, après les massacres,
elles vont toutes voir Kizito avec une liste de 3.500 personnes. Donc, imaginez-vous
la scène ! Le 22 avril, les massacres se terminent à 5 heures. A 5 heures
du soir, Kizito vient avec sa liste de 3.500 personnes ; il reste même
pas une heure de clarté, et en moins d’une heure, Kizito, avec sa liste, va
se promener au milieu des cadavres, elle va commencer à trier les gens :
« Celui-là, oui, d’accord. Là, non. Là, il manque un tel, allez me le chercher
là-bas ». En une heure de temps, elle va dénombrer et trier 3.500 et, que
dis-je, 4.000, 5.000, 6.000, jusqu’à 7.000, nous dit-on. 7.000 personnes en
une heure de temps ! Quel boulier-compteur, cette Kizito ! Mais quelle
femme formidable : en moins d’une heure, elle va faire tout ça ! C’est
inimaginable. Et c’est ça qu’on est en train d’essayer de vous faire avaler ?!!
Et
puis, il y a toujours, toujours, quelle que soit la date de l’audition, cette
erreur sur Gérard KABILIGI. Ah, vous avez dû vous demander, hein : « Mais
enfin, ce WAHIS avec son Gérard KABILIGI, il n’arrête pas de poser des questions
sur ce bonhomme ! Ah oui, mais qu’est-ce que ça a comme importance, ce Gérard
KABILIGI ? ». Capital, Gérard KABILIGI. Ce malheureux ne saura jamais
combien sa mort aura servi la vérité dans ce procès. Gérard KABILIGI, vous l’aurez
entendu, si vous avez fait bien attention lorsqu’on a interrogé les sœurs, lorsqu’on
a interrogé sœur Liberata et sœur Solange. Elles ont toutes les deux confirmé ;
j’avais posé la question : « Tiens, quelles sont les circonstances
de l’arrestation de ce KABILIGI ? ». Toutes les deux, elles ont confirmé
que KABILIGI qui est un ouvrier du monastère et qui était comme tous les ouvriers
du monastère, réfugié au monastère. KABILIGI, il a été arrêté par les Interahamwe
au monastère, après le 25 avril. Sœur Solange dira même, entre le 25 avril et
le 6 mai. On l’a trouvé où ça ? Les Interahamwe qui étaient au monastère,
qui sont venus au monastère l’ont trouvé dans les hautes herbes, à l’arrière
du monastère, les herbes qu’on coupe pour donner à manger aux vaches. Il était
caché là, KABILIGI, il avait échappé le 25 avril, il était planqué, depuis toujours
il est là, au monastère, il n’a jamais été au centre de santé le 22 avril, il
n’a jamais brûlé comme une torche vivante, il n’est jamais mort comme tout le
monde le dit, comme ces femmes le disent, au bord du chemin, le long du bois !
La mort de KABILIGI, enflammé le 22 avril, c’est une pure invention. Et je suis
bien à l’aise pour le dire puisque sœur Solange le confirme. Elle confirmera
qu’entre le 25 avril et le 6 mai, on a arrêté KABILIGI et qu’on l'a traîné à
travers tout le monastère. Sœur Solange, une des sœurs accusatrices de Gertrude
et Kizito, celle-là, on ne peut vraiment pas la soupçonner de vouloir contrefaire
la vérité pour voler au secours de Gertrude et Kizito. C’est donc une pure invention
que ce KABILIGI. C’est pour ça qu’il est important. Alors, pourquoi ? Pourquoi,
on peut se poser la question, pourquoi ces inventions aussi incroyables ?
Ah,
Mesdames et Messieurs, ça, c’est vraiment ce que l’on appelle la diabolisation.
C’est nécessaire, c’est nécessaire pour qu’on puisse croire à la version de
ces femmes par rapport au 22 avril. Comment est-ce que Kizito, une petite novice,
comment est-ce que Gertrude peuvent en arriver à commettre des actes aussi incroyables
que d’amener cette essence pour brûler des gens dans ce garage, le 22 avril ?
Mais, pour pouvoir faire croire à cela, il faut qu’on diabolise ces deux personnes.
Il faut qu’on diabolise Kizito : c’est impossible de croire à ça si on
ne décrit pas Kizito comme un monstre. Alors comment faire ? Eh bien, on
va amener des détails qui sont faux ! « Le 23 avril, elle va se promener
au milieu des cadavres avec sa liste, et elle fera des réflexions incroyables
sur les Tutsi, ces méchants Tutsi qui ont eu une mort beaucoup trop gentille.
Il fallait faire encore autrement. Ils ont été jusqu’à déchirer l’argent qu’il
y avait dans leurs poches pour qu’on ne puisse pas s’en servir ». Vous
vous rendez compte ! Quel monstre ! Mais c’est nécessaire pour qu’on
puisse croire au 22 avril.
Et
puis, elle va donner de l’essence pour qu’on enflamme KABILIGI. Ah, là, on commence
à croire ! On commence à croire qu’elle serait capable, effectivement,
le 22 avril, d’amener de l’essence. Elle est capable de faire brûler un homme.
Et alors, voilà. Et puis, on continuera encore cette diabolisation : il
y a cette camionnette, c’est un exemple type de diabolisation. On ne va pas
écraser des cadavres, on ne va pas rouler sur des cadavres, non, non, non, sur
des agonisants, sur des gens qu’on veut achever. Et on ira de plus en plus loin
dans cette diabolisation parce qu’elle est nécessaire pour faire croire à ce
qui se passe le 22 avril. Mais vous, vous savez que tous ces faits de diabolisation,
ils sont impossibles, ils sont faux. Et il y aura même des champions de la diabolisation.
Il y en a qui sont très forts. Ils vont aller jusqu’à vous présenter, jusqu’à
faire de Kizito, un charognard femelle.
Alors,
il y a une dernière question Mesdames et Messieurs les jurés, Monsieur l’avocat
général et les conseils des parties civiles vous disent : « Ah moi,
de toute façon, nous, ces bidons, ces histoires d’essence, on s’en fiche. On
s’en fout parce qu’on sait. Nous, on sait que l’essence qui a servi le 22 avril,
de toute façon, elle ne peut venir que du monastère de Sovu. Et ça nous suffit.
Elle a été donnée délibérément. Ça nous suffit. Nous, on est content avec ça,
terminé ». Ah ? Et comment est-ce qu’ils le savent ? Comment
est-ce qu’ils savent que cette essence viendrait du monastère ? C’est de
nouveau la boule de cristal ? Ils ne peuvent le savoir que par le témoignage
de ces femmes, de ces témoignages dont on va vu l’absence totale de crédibilité,
et rien d’autre. Alors, est-ce que c’était indispensable ? Parce qu’ils
vont aller jusqu’à ironiser, à dire : « Ben, ben, ben, ça ne peut
venir que du monastère, vous pensez qu’il y avait des pompes à essence dans
le coin ? ». Alors, d’où est-ce qu’elle peut venir cette essence ?
Ah ! Vous avez dans le dossier, par contre, des indications très claires :
il y a une certaine Consolée le témoin qui sera interrogée en 1998, dans le
cadre du procès REKERAHO. Qu’est-ce qu’elle vous dit ? Elle est interrogée
le 24 mai 1998, et qu’est-ce qu’elle dit à propos de cette essence ? Elle
dit ceci, elle parle de REKERAHO : « Il a apporté deux cartons de
grenades et un jerricane d’essence. Et il a tout laissé sur place. Il est remonté
dans le véhicule dans lequel il est revenu, en disant, grâce à son porte-voix,
que dans le garage, il y avait des gens : « Qu’on apporte de l’herbe
sèche et l’essence et qu’on les brûle dedans ». Et un jeune homme appelé…
qui s’appelle BYOMBOKA, a amené de l’herbe sèche et l’a mise à côté du garage,
et l’adjudant REKERAHO a versé de l’essence dessus et ils ont mis du feu. Et
les gens sont morts, brûlés à l’intérieur ». Voilà d’où vient l’essence.
C’est REKERAHO qui amène l’essence. Et dans les innombrables auditions de REKERAHO,
il dira lui-même que, bien souvent, il obtenait l’essence autant qu’il voulait,
auprès des militaires.
Vous
en voulez encore ? Il y a encore beaucoup mieux dans ce dossier. Il y a
une personne, UWIRINGIYE Agnès, une rescapée des massacres de Sovu, une qui
n’a jamais été entendue, ni pas le juge d’instruction, ni par les gens du TPIR.
Et qu’est-ce qu’elle dit ? Elle est auditionnée aussi en 1998, le 10 mai…
1999, pardon. Et qu’est-ce qu’elle dit ? Elle décrit tout le massacre du
centre de santé de Sovu et il n’y a pas un mot sur les sœurs, il n’y a pas un
mot sur l’intervention des sœurs, le 22 avril. Mais cette femme-là, vous ne
l’entendrez jamais. Et qu’est-ce qu’elle dit au niveau de l’essence ? D’où
venait l’essence qui a servi ce jour-là ? Je n’ose pas vous lire le début
de sa description tellement c’est inimaginable ce que REKERAHO et les miliciens
ont fait aux femmes qui se trouvaient là, le 22 avril. Et puis, elle poursuit.
Rappelez-vous que dans le garage il y avait beaucoup d’enfants, de bébés et
de femmes. Et elle dit ceci : « Il y a des bébés qu’ils ont brûlé
par l’essence qu’avaient apportée l’adjudant REKERAHO Emmanuel et d’autres militaires
en sa compagnie que je ne connaissais pas ». Alors voilà, voilà d’où vient
l’essence qui a servi le 22 avril. C’est REKERAHO et les militaires. Et les
militaires, de l’essence, ils en ont tant qu’il en faut. Il n’y avait pas besoin
d’aller au monastère pour trouver de l’essence.
Alors,
qu’est-ce qu’on peut conclure de tout ça, Mesdames et Messieurs les jurés ?
Comment doit-on considérer les témoignages de ces femmes de Sovu, bourrés de
contradictions sur l’essentiel, bourrés d’impossibilités et d’erreurs graves ?
Il est clair qu’on ne peut pas fonder une conviction de culpabilité sur ce genre
de témoignages. Il y a une chose qui est incontestable dans ce dossier :
c’est que, sur base de ces témoignages-là, aucun tribunal au monde ne pourrait
condamner sœur Kizito. Je vous remercie.
Le Président :
Merci, Maître WAHIS. La suite est organisée comment,
entre vous et Maître VANDERBECK ?
Me. VANDERBECK :
C’est moi qui prends la suite jusqu’à la fin
de l’après-midi, Monsieur le président. En ce sens que je ferai une première
intervention après une petite interruption, si vous le permettez…
Le Président :
Oui.
Me. VANDERBECK :
…et puis, je suggère de faire la suite en deux
interventions, au cours de l’après-midi. Une première qui durera environ une
heure, une heure et quart maximum, une interruption si vous le permettez encore,
et une dernière intervention qui sera la conclusion.
Le Président :
Bien. Nous allons… Votre première intervention
de cette matinée dure environ combien de temps ?
Me. VANDERBEECK :
Aussi une heure, une heure et quart, grand maximum.
Le Président :
Une heure, une heure et quart. Eh bien, nous
allons alors suspendre l’audience maintenant, jusqu’à 11 heures. On la reprend
à 11 heures.
[Suspension d’audience]
Le Greffier : La
Cour.
Le Président :
L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir.
Les accusés peuvent prendre place.
Maître VANDERBECK, vous avez la parole pour la suite
de la défense de Madame MUKABUTERA.
Me. VANDERBECK :
Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur
le président, Madame, Messieurs les juges, Madame, Messieurs les jurés, j’ai
vraiment le sentiment en commençant cette dernière intervention des plaidoiries,
de me trouver un peu dans la peau de ce dernier lauréat au Reine Elisabeth,
qui doit s’attaquer à ce fameux concerto imposé ! Pourtant, il est vrai
que vous avez déjà entendu parler, à bon nombre de reprises, des événements
de Sovu et pourtant, je devrais encore m’attacher à vous démontrer que la suite
des accusateurs des sœurs, ne sont pas crédibles dans leurs accusations. Je
m’attacherai à vous démontrer d’abord ce qu’il faut penser des quatre sœurs
accusatrices, avant cet après-midi, de vous parler d’Emmanuel REKERAHO, personnage
incontournable, et puis, je vous dirai dans un second temps, tenté de répondre
avec vous à la question de savoir pourquoi sœur Kizito, pourquoi elle, et pas
une autre, avant de vous dire ce qu’à mon sens, il faut parler de tout ce dossier,
de toutes ces accusations et de ce que vous devrez, à mon sens, en retirer comme
conclusions.
Je poursuis donc le travail de Maître WAHIS. Et
avant d’aborder les sœurs, je voudrais, avec vous, partager deux remarques,
deux avertissements, deux mises en garde préliminaires. La première concerne
les fameuses pressions exercées par les bénédictins sur les quatre sœurs accusatrices.
On a appelé ça une démarche de réconciliation, certains ont appelé ça, des pressions
inqualifiables. Moi, je n’en retire que trois choses qui m’apparaissent tout
à fait indiscutables. La première, c’est qu’en tout état de cause, personne
ne pourra me dire ici, dans cette salle, que c’est sœur Kizito qui a donné injonction
au père COMBLAIN de se rendre en mission au Rwanda, ou que c’est à sa demande
que les pères-abbés CULLEN et DAYEZ ont envoyé le père COMBLAIN en mission.
D’une part, je pense qu’on sera tous d’accord pour dire que Kizito n’en a pas
le pouvoir, elle est une novice au sein de l’ordre des bénédictins, elle n’a
aucune injonction à donner à un supérieur, mais en plus, au-delà de cette absence
de pouvoir, je pense que nous sommes tous d’accord pour dire qu’elle n’avait
aucun intérêt à effectuer une démarche similaire dès l’instant où, dans un premier
temps, et c’est ce que je démontrerai par la suite, ces sœurs accusatrices n’avaient
dit mot la concernant.
Le deuxième point par rapport à ces pressions, c’est
la question de l’utilisation de ces pressions qui ramène fondamentalement au
rôle de l’Eglise, abondamment exploité, utilisé par l’accusation. Ne nous trompons
pas de débat, on l’a déjà dit assez, l’objet du débat, ici, n’est certainement
pas de vous parler de l’Eglise. La tentation évidemment est grande de pointer
les erreurs des évêques, des prélats et des prêtres religieux de l’Eglise rwandaise
pour vous dire que celles-ci, qui en font partie, devraient être déclarées coupables,
ne serait-ce qu’en raison des erreurs du passé commises par l’Eglise rwandaise.
Non, non, non, être religieuse n’est certainement pas une circonstance atténuante
et je rejoins sans doute, là, plusieurs plaidoiries des parties civiles, mais
cela ne peut en aucun cas être une circonstance aggravante. Si plutôt que de
cultiver volontairement le brouillard autour de cette question des pressions,
de vous maintenir avec ce désagréable sentiment qu’il s’agissait d’une
tentative désespérée d’étouffement, d’accusation et donc, un aveu de faiblesse
par rapport à ces accusations. Monsieur l’avocat général et les parties civiles,
si plutôt que de vous maintenir dans ce trouble, avaient voulu aplanir la question,
mais rien ne les empêchait, que diable, de faire venir tout le monde ici, à
l’audience. Pas le père COMBLAIN, bien sûr, puisqu’il est décédé, nous le savons,
mais rien ne les empêchait de citer comme témoin, ou de faire entendre, en vertu
du pouvoir discrétionnaire de Monsieur le président, le père-abbé CULLEN, le
père-abbé DAYEZ. Ils n’en n’ont rien fait. Et nous pensons qu’il ne revenait
pas à la défense de sœur Kizito, de prendre cette initiative dès lors que ces
pressions ne la concernaient en aucun point.
Deuxième
remarque préliminaire. La valeur en droit, rassurez-vous, je ne ferai pas un
cours de droit, du témoignage d’une partie civile constituée. C’est un point
que je dois aborder parce que deux des quatre accusatrices, sont des sœurs qui
se sont constituées partie civile avant l’audience. Qu’est-ce que ça veut dire ?
On a longtemps considéré que le témoignage d’une partie civile, dès lors qu’il
émanait d’une personne qui avait un intérêt direct à la cause, un intérêt personnel,
un intérêt financier, un intérêt à ce que les personnes contre lesquelles elles
se constituent soient accusées, n’avait pas de valeur. La jurisprudence, il
est vrai, a beaucoup évolué à cet égard, et c’est sans doute pour ça que vous
avez entendu Monsieur le président vous poser la question, nous poser la question
de savoir si nous voyons un inconvénient à ce que l’on entende les parties civiles.
On peut maintenant entendre une partie civile constituée même sous serment,
pour autant qu’il n’y ait aucune objection de la défense et on peut entendre
une partie civile avant qu’elle ne se constitue sous serment à l’audience.
Mais
l’intérêt, c’est d’attirer votre attention sur la fragilité du témoignage comme
mode de preuve dans un procès. C’est pas moi qui le dit, ce sont les auteurs,
et de toute façon, le bon sens doit vous apporter la même conviction à cet égard.
Je prendrai juste un passage du manuel de procédure pénale de Monsieur FRANCHIMONT
qui est ce que l’on peut considérer être la bible des manuels de procédure pénale.
Monsieur Franchimont dit, en parlant de la force probante du témoignage, ceci :
« Attention, le témoin peut mentir par intérêt, par haine ou par sympathie,
mais encore, il peut tout simplement se tromper tant sont complexes les mécanismes
psychologiques de l’appréhension de la vérité et de sa relation sous forme de
témoignage ». Et citant deux auteurs illustres que sont
Messieurs MERLE et VITU, il dit ceci : « Vous, jurés, qui vous transformez en juge dans une affaire, quand
vous devrez apprécier de façon critique le témoignage des personnes qui se présenteront
devant vous, votre examen devra porter sur trois questions bien précises. La
première, quelle est la valeur morale du témoin ? Moralité générale, capacités
intellectuelles, disposition affective par rapport au procès
- disposition affective par rapport au procès - partie civile, intérêt à la cause, disposition affective par rapport
au procès. Quelle est la valeur des facultés psychologiques du témoin ?
Et enfin, quelle est la valeur de la déposition, elle-même, du témoin ? ».
Pourquoi
cette règle, pourquoi cette remarque ? Je vous le disais, deux d’entre
elles se sont constituées partie civile. Et vous avez sans doute été attentifs
à ce qu’une des parties civiles et son conseil, Maître JASPIS, vous a dit :
« Oui, mais quand moi, je prends des témoignages, je prends ceux de parties
civiles qui ne sont pas constituées, sœur Solange et sœur Scholastique. Voilà
deux personnes qui ne se sont pas constituées, donc - sous-entendu - vous devez
avoir plus d’égards à ces témoignages-là ». Ce n’est que partiellement
vrai. Sœur Solange ne s’est pas constituée, c’est bien exact, mais forcément,
elle n’avait pas d’intérêt à la cause, elle n’avait pas de famille qui se trouvait
à Sovu, pas de victimes dans sa famille à l’égard desquelles elle pouvait se
constituer. En ce qui concerne Scholastique, l’appréciation est tout à fait
différente. Sœur Scholastique avait de la famille sur place. Sœur Scholastique
avait de la famille sur place, mais Monsieur BUTERA, lui, se constitue. Et qui
est Monsieur BUTERA ? Il est précisément le père de la famille que sœur
Scholastique avait sur place et qui n’était que ses nièces et ses neveux.
Et
puis surtout, et ça, on ne vous l’a pas dit, nous avons reçu, nous, conseils
des accusés, à un moment donné dans ce procès, des conclusions émanant d’un
avocat des parties civiles disant se constituer pour sœur Scholastique. Ça a
été retiré par la suite et il s’avère que sœur Scholastique ne s’est pas constituée.
Mais vous avez au moins dans l’esprit, l’idée et la certitude que ça lui a traversé
l’esprit, qu’elle a voulu se constituer. D’où prudence. Prudence à l’égard de
leurs témoignages. Des trente sœurs du couvent, neuf sont décédées dans des
circonstances que nous connaissons, lors de l’évacuation au mois de juillet.
Quatre sont des accusatrices, dont trois des accusatrices avaient de la famille
sur place. Dix autres sœurs au moins ont été entendues ici. Parmi ces dix sœurs,
certaines avaient également de la famille et elles n’accuseront pas du tout
sœur Kizito des mêmes choses que les quatre sœurs accusatrices.
Ces
témoignages sont en tous points intéressants parce qu’ils me semblent être,
plus encore ou autant que ceux des veuves, le laboratoire permettant d’illustrer
ce phénomène de témoignage collectif que vous a exprimé et vous a expliqué avec
brio, Maître WAHIS. L’enrichissement des mémoires au fil du temps, l’aplanissement
des contradictions. Et je vais tenter de vous démontrer qu’en ce qui concerne
les sœurs, nous avons pu observer un phénomène en trois temps. Trois temps vers
une aggravation systématique du rôle qu’aurait joué sœur Kizito dans les événements
qui se sont déroulés à Sovu en avril-mai 94. Tout ça pour arriver à faire en
définitive de Kizito, le bras droit armé des Interahamwe, l’alter ego de sœur
Gertrude. Les trois temps sont les suivants. Le premier temps, vous le verrez,
il est caractéristique, il est invraisemblable : c’est l’absence totale
d’accusation contre sœur Kizito. Le second temps, c’est progressivement :
on se rendra compte qu’à travers les témoignages des sœurs, il faut qu’elles
puissent rendre possible ce qu’ont dit les veuves. Il faut qu’elles puissent
prendre, embrayer le pas des accusations des veuves. Et puis, le troisième temps,
c’est le plus fantastique, c’est celui qui se passe à l’audience, sous les yeux
de leurs conseils : c’est l’adaptation, on retire les différences, on gomme
l’ensemble des contradictions, on revient sur ce qui avait été un peu excessif
et on arrive à un témoignage incolore, toutes le même, à l’unisson, on vient
dire la même chose devant la Cour d’assises.
Le
premier temps, c’est donc l’absence d’accusation. On peut considérer, je pense,
que les déclarations de sœur Scholastique et de sœur Marie-Bernard sont un peu
le point de départ de cette affaire. Après les terribles événements qu’elles
ont vécus, après ces deux-trois mois de terreur, de frayeurs, de peur continuelle
d’être elles-mêmes tuées, les sœurs ont quitté le Rwanda, elles sont venues
en Belgique. D’aucun s’en sont étonnés qu’un accueil leur était réservé, quoi
de plus normal, elles ont réintégré un couvent de leur ordre où elles ont été
accueillies comme des membres de cette communauté. Les premiers mois sont consacrés
à panser les plaies psychologiques, chacune de son côté doit absolument évacuer
l’horreur de ce qu’elle a vécu. Et puis progressivement, des tensions apparaissent.
On vous l’a dit, on vous l’a expliqué, des tensions apparaissent ici, en Belgique,
au sein de la communauté. Tensions entre qui ? Tensions entre deux aînées,
deux sœurs qui avaient une fonction, une responsabilité dans le couvent de Sovu,
sœur Scholastique, l’hôtelière, sœur Marie-Bernard, la responsable de l’atelier
des hosties, et leur supérieure. Pas de tension vis-à-vis de sœur Kizito. Les
tensions, c’est la très gentille Madame NOVAK née le témoin 20, ou l’inverse, qui est
venue nous en parler.
C’est
en effet elle qui recueillera les confidences des quatre sœurs. Elle nous l’a
confirmé à l’audience, elle l’avait dit dans un témoignage dont je ferai une
lecture partielle, qui est un témoignage qu’elle avait rendu le 10 mai 99, carton
4, sous-farde 9, pièce 74, à savoir qu’elle avait recueilli les confidences
de quatre sœurs dans des circonstances qu’elle nous a décrites. La première,
la plus caractéristique, étant Marie-Bernard au couvent de Rixensart :
une nuit torride, Marie-Bernard quitte sa chambre, rejoint celle de Madame NOVAK
et pendant toute la nuit, elle parle, elle lui raconte toute l’horreur qu’elle
a vécue pendant l’ensemble du temps qu’elle est restée à Sovu, en avril et mai.
Et puis ensuite, elle rencontre Scholastique et ensuite, elle rencontre Régine
et enfin, Solange à Namur.
Ce
que je retiendrai de ce témoignage capital, celui de Madame NOVAK, ce sont quelques
points essentiels, les points suivants. Le premier point. Elles, les sœurs,
et Madame NOVAK ont pris tout le temps qu’il fallait pour se parler, ça a duré
une nuit entière, peut-être davantage. On les a rencontrées à l’aise, on a pris
le temps de se parler, de tout se dire. Ce sont, deuxième point, les sœurs,
et non l’inverse, ce sont les sœurs qui ont fait le premier pas, ce sont elles
qui ont appelé Madame le témoin 20 pour se confier à elle. Aucune, semble-t-il, des
sœurs ne savait que l’autre avait fait également cette démarche. Aucune, semble-t-il,
ne savait qu’une autre sœur s’était confiée déjà à cette fameuse Madame le témoin 20.
On en a eu la confirmation à l’audience, Madame le témoin 20 nous a dit qu’elle avait
vraiment le sentiment qu’il n’y avait eu aucune concertation entre ces sœurs.
Et troisième point, je pense que Madame NOVAK l’a suffisamment répété, les sœurs
étaient en pleine confiance, Madame NOVAK était leur confidente, elles n’avaient
pas de raison de lui cacher quoi que ce soit.
Fort
de ces trois remarques, que constatons-nous ? Eh bien, une chose extraordinaire.
C’est qu’aucune des sœurs qui témoigne… qui se confie, pardon, à Madame NOVAK,
ne dit un mot quelconque par rapport à la participation de sœur Kizito. Cela
ressort très clairement de la déclaration de Madame NOVAK, qu’elle a confirmée
difficilement à l’audience, qui dira avoir entendu pour la première fois parler
de sœur Kizito, à Noël 95, Noël 95, alors qu’elle faisait un voyage à Sovu et
que sur place, elle se rendait compte notamment de la réalité de l’incendie.
Or, les confidences, elle les reçoit en septembre-octobre 94. Ce qui est important
également, outre le fait qu’aucun mot n’a été dit sur sœur Kizito, vous pourrez
me dire : « Oui, mais on n’a pas dit un mot sur sœur Kizito, on n’a
pas parlé de la même chose », mais on parlait exactement de la même chose.
Quand Madame NOVAK nous donne, dans sa déclaration du 10 mai dont je vous ai
cité les références, les grandes lignes de ce que les sœurs lui ont dit en confidence,
eh bien, on se rend compte que c’est tout à fait de la même chose qu’on parle.
Je
vais vous lire les cinq points qui ont été donnés par Madame NOVAK. De quoi
a t-on parlé ? « Eh bien, je vais vous résumer, dit-elle, dans les
grandes lignes, je vais vous dire ce qu’on m’a dit. On m’a dit qu’il existait
un stock important d’aliments que sœur Gertrude a refusé de distribuer aux réfugiés.
On m’a dit qu’on avait refusé également d’ouvrir l’église en période de pluie
pour servir d’abri aux réfugiés. On m’a dit qu’on avait fait des démarches répétées
auprès des autorités en place, pour être débarrassés de ces pouilleux. On m’a
dit que le chef de la police de Huye était venu exprès au monastère, a demandé
à sœur Gertrude de patienter encore. On m’a dit enfin, qu’exaspérée par le refus
des autorités, sœur Gertrude a donné l’ordre aux sœurs de rester dans leurs
cellules et puis, elle a écrit au bourgmestre ». Et à l’audience, elle
est venue nous ajouter deux points, à savoir qu’on lui avait parlé des listes
et qu’on lui avait parlé de l’incendie, elle a même dit qu’elle avait peine
à y croire et qu’elle n’y avait cru vraiment, que quand elle a vu sur place,
les lieux et le garage brûlé. Alors, sur tous ces points, sur l’accueil, sur
la nourriture, sur les listes, sur l’incendie, sur la lettre au bourgmestre,
pas un mot sur sœur Kizito. Pas un mot sur sœur Kizito. Constatation interpellante
quand on verra par la suite, et je vais le voir avec vous, quelles ont été les
accusations portées par les quatre sœurs, contre sœur Kizito.
Deux
témoignages précis, si c’était encore nécessaire, confirment cette vision des
choses. Premièrement, le témoignage de Monsieur le témoin 60. Monsieur
le témoin 60, vous vous rappelez qui c’est ? C’est ce journaliste
qui écrit dans la revue « Solidaire », l’hebdomadaire anti-capitaliste,
communiste du PTB, qui écrit un article, le 31 mai 95, date importante. Et il
nous le dit : « Cet article, il l’écrit sur le témoignage unique d’une
seule personne : Marie-Claire NOVAK ». Il a reçu une cassette enregistrée
de Madame NOVAK. Cette même Madame NOVAK était venue vous dire : « Je
n’en n’ai parlé à personne, à ma fille et à quelques amis », mais qui,
après, a été enregistrer une cassette qu’elle a remise aux journalistes. Et
que peut-on lire dans l’article de Monsieur le témoin 60, qui est quasiment la
transcription fidèle du témoignage de Madame NOVAK ? Mais, pas un mot sur
sœur Kizito. Mieux, mieux, on trouve une conclusion dans cet article, je vous
la lis : « Les autres sœurs de Sovu
ne sont en rien responsables, on ne leur a pas demandé leur avis ». Mais
les autres sœurs de Sovu, c’est également sœur Kizito. Si Monsieur le témoin 60
avait eu une information sur elle, on peut penser qu’il l’aurait également publiée.
Et puis, on a deux autres personnes dont on n’a pas parlé ici, à l’audience,
mais qui ont témoigné dans le cadre de ce dossier.
Et
vous retrouverez au carton 4, à la sous-farde 9, pièce 36, le témoignage de
Monsieur Louis CALLEWAERT et de Monsieur Lode DEWILDE qui est un ancien membre
du parquet général d’Anvers. Que disent-ils, ces deux personnages ? Eh
bien, ils confirment avoir rencontré sœur Scholastique et sœur Marie-Bernard
alors qu’elles partaient en « stoemelincks » - permettez-moi l’expression
- des Bénédictines de Maredret, pour aller à Sovu ; elles passent par l’AGCD,
à Bruxelles, et là, elles rencontrent ces deux personnages et on discute des
événements de Sovu, et on discute de sœur Gertrude, et ces deux personnes nous
confirment qu’à l’occasion de ces discussions et des dénonciations qu’ont pu
faire sœur Scholastique et sœur Marie-Bernard, pas un mot n’a été dit sur sœur
Kizito.
Alors,
soyons de bon compte, ne tournons pas autour du pot. S’il n’y a pas eu un mot
sur sœur Kizito, à leur confidente, à celle en qui elles avaient pleine confiance,
avec qui elles ont pris tout le temps qu’il fallait pour parler, mais s’il n’y
a pas eu un mot, c’est parce qu’il n’y avait rien à dire, c’est certainement
pas parce qu’elles ont oublié de parler. On a pris tout le temps. Ce n’est pas
parce qu’on ne leur a pas posé la question, on ne posait pas de question, c’est
elles qui racontaient ce qu’elles ont vécu. C’est parce qu’elles n’ont rien
vu, elles n’ont rien à dire. Elles ne peuvent rien dire qui induise la responsabilité
de sœur Kizito dans les terribles événements dont vous avez à juger aujourd’hui.
On peut raisonnablement imaginer que si elles avaient été témoins ne serait-ce
que d’une seule chose impliquant sœur Kizito, elles en auraient parlé tout comme
elles ont pu parler de l’implication qu’elles voyaient de sœur Gertrude dans
la responsabilité des massacres de Sovu. Je pourrais m’arrêter là dans le fond
et vous dire que tout ce qu’elles ont dit après, ça ne peut être que du mensonge.
Mais je trouve plus intéressant de continuer mes deux autres temps dans le processus,
qui coïncident à ce que Maître WAHIS vous a expliqué à l’égard des veuves.
Le
deuxième temps, je vous l’avais dit, c’est rendre possible les horreurs décrites
par les veuves, poursuivre cette œuvre qu’on a appelée cette œuvre de diabolisation
de sœur Kizito, et surtout induire qu’elle ait pu avoir une participation le
25. Là, les veuves n’en parlent plus et pour cause, elles n’étaient pas là !
Et le 6 mai, la fameuse lettre du bourgmestre. Que faut-il faire pour cela ?
Quand on réfléchit, qu’on se met dans un fauteuil, on dit : comment faire
de Kizito une coupable ? Réfléchissons. Que faut-il faire pour aller dans
le sens du témoignage des veuves ? La journée du 22, il faut d’abord faire
sortir sœur Kizito dehors. Il va de soi que si on veut qu’elle ait participé
à l’incendie, qu’elle ait apporté de l’essence, elle peut pas être restée à
prier avec les trente autres sœurs ! Il faut lui faire dresser une liste,
avant le 22, il n’y a pas de sens de la dresser le 22, alors qu’on fait tous
les massacres, il faut la dresser avant, pour que ce soit un outil génocidaire.
Il faut donner à Kizito, un petit frère Interahamwe, un profil de proximité
des tueurs : « Ma petite sœur, mon amie ».
Et
que faut-il faire par rapport aux événements du 25 et du 6 ? Là, il n’y
a qu’une façon d’y arriver, faire de sœur Kizito, et c’est d’ailleurs abondamment
utilisé par l’accusation, le bras droit de Gertrude, son alter ego, son ombre,
suivant les pseudonymes qu’on a pu utiliser, et lui donner un rôle actif, le
25 et le 6 mai. Comment ? Le 25, en la faisant parler avec REKERAHO, avant
qu’il n’évacue tout le monde, avant qu’il ne fasse le tri ; on pouvait
induire que c’est sœur Kizito qui lui avait dit : « Emmanuel, il serait
peut-être temps de faire le tri ». Surtout, en la faisant assister à cette
fameuse réunion qu’aurait tenu REKERAHO après toutes les sœurs quand, grand
seigneur, il est venu dire : « J’ai assez tué, c’est fini, les familles
des sœurs, je les épargne. Vous pouvez aller en confiance, je vous protégerai ».
C’est important, parce que le fait de mettre sœur Kizito dans la conversation,
donc, de lui faire prendre conscience de ce que REKERAHO ne veut plus tuer,
ça en ferait par la suite, une complice idéale de sœur Gertrude qui, bravant,
bravant les paroles de REKERAHO, aurait, malgré tout, voulu se séparer des familles
des sœurs.
Et
le 6 mai, là, c’est assez difficile ; quand on réfléchit, on ne peut pas
faire écrire par Kizito, une lettre dont on sait très bien qu’elle ne l’a pas
écrite, on ne peut pas lui faire dicter non plus à Gaspard, la lettre, raisonnablement,
ça ne tiendrait pas. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? Eh bien, on dit :
« C’est REKERAHO qui a joué le facteur, c’est Kizito qui a joué le facteur.
Elle est allée porter la lettre au bourgmestre ». Ou on dit autre chose :
« Le 6 mai, alors que le policier vient vers les chambres, elle a accompagné
le policier, elle a montré les gens dans les chambres, elle a fait descendre
tout le monde avec le policier ».
Et
on va voir, qu’obéissant à ce schéma, on a un processus où il y a une superbe
évolution. La première et très nette évolution, c’est entre les déclarations
qui sont faites par les quatre sœurs lors de la commission rogatoire, ou à Maredret
pour Solange, puisqu’on sait que Solange n’était pas encore au Rwanda, et celles
qu’elles feront trois ans plus tard. La commission rogatoire se passe en 95 ;
96 pour Solange, mais début 96. Trois ans plus tard, devant le TPI, en 98-99,
elles font d’autres déclarations. Et puis, la deuxième évolution, c’est la différence
qu’il y a entre les déclarations qui sont faites au TPI, devant Monsieur TREMBLAY,
et celles qui sont faites deux ans plus tard, à l’audience.
Là,
à l’audience, on atteint ce fameux troisième temps dont je vous parlais du processus.
Il faut pour ça, corriger les erreurs sur des points précis, des points précis
qui ont été confirmés par d’autres personnes et sur lesquels, manifestement,
on n’a pas dit ce qu’il fallait. Quand ça a été confirmé par un témoin digne
de foi comme le témoin 110, on va pas aller à l’encontre de ça évidemment,
on va revenir dessus. Il faut supprimer les exagérations, supprimer les mensonges
flagrants et donner une petite justification, quand même, parce qu’il faut bien
qu’on explique pourquoi est-ce qu’on a dit cela dans un premier temps. Et puis,
il faut surtout gommer les contradictions entre les quatre accusatrices pour
arriver à une version commune. Là, l’unique version est celle qu’on vous dit
être aujourd’hui, la vérité. En pratique, ça donne quoi ?
On
va analyser les déclarations. Le 22, initialement, toutes les sœurs qui avaient
été entendues, les quatre sœurs accusatrices, mais aussi les autres sœurs, avaient
dit avoir passé toute la journée, effrayées, dans l’attente de leur mort certaine
et proche, dans une des pièces du couvent, l’église ou une grande salle où on
avait mis le saint sacrement, et où toutes les sœurs priaient. C’est ennuyant,
je vous dis, c’est l’alibi béton pour sœur Kizito, elle ne peut pas prier et
en même temps, sortir et apporter de l’essence : si 29 autres sœurs l’ont
vue toute la journée en train de prier, elle ne peut pas être sortie et apporter
de l’essence, c’est impossible. Alors, pour rendre possible, première évolution :
on va faire sortir sœur Kizito. Premier temps, elle sort pas, elle prie. Mais
deuxième temps, on la fait sortir. On la fait sortir pendant la journée, pour
aller on ne sait où, voir on ne sait qui, faire on ne sait quoi, les sœurs ne
vous donnent pas de précisions puisqu’elles n’ont pas vu, elles étaient, elles-mêmes,
en train de prier, bien sûr.
Le
problème, c’est que dans cette première tentative et cette première évolution,
elles vont se tromper, elles vont faire sortir Kizito en fin d’après-midi. Ça
va pas du tout, ça ! Marie-Bernard dit, elle sort vers 16-17 heures, Solange
vers 17-18 heures, Régine dit dans l’après-midi ou après avoir prié de nombreuses
heures, donc, ça peut pas être à 14 heures. Ce qui est tout à fait exact par
ailleurs, Kizito est bien sortie, mais oui, elle est sortie le 22 avril en fin
d’après-midi, après les massacres. Elle vous l’a expliqué, ça fait l’objet de
ses déclarations, dès sa première audition. Après les massacres, Gertrude, appelée
au portail par REKERAHO, est sortie. Kizito l’a suivie, poussée par une force,
on en reparlera, elle est arrivée, elle a vu Gertrude parler avec REKERAHO.
C’est à cette occasion-là que REKERAHO s’est emparé de l’ambulance. Y a pas
que Kizito qui le dit. Vous avez le témoignage de sœur Liberata qui est venue
d’ailleurs le confirmer à l’audience.
Parlons
du 22 avril, le jour-même. « Alors que les massacres étaient terminés
ça, c’est pas à 14 heures, hein ! - le chef des miliciens, soit un certain
REKERAHO, est venu devant la porte du monastère et s’est entretenu avec sœur
Gertrude. Il lui a demandé de lui prêter la voiture en disant qu’il avait un
blessé qu’il devait conduire à l’hôpital de Butare. On lui a donné l’ambulance
qui se trouvait chez nous. En fait, sœur Gertrude et sœur Kizito ont quitté
l’hôtellerie, sont descendues ouvrir les portes du garage ». Et on lui
demande où ça, elle a vu : « Je les ai vues, je regardais par la fenêtre.
Je vous explique cela en vous montrant le trajet qu’elles on fait ». Déclaration
de sœur Liberata, pièce 30, sous-farde 9, carton 4. Elle est donc sortie, mais
après les massacres. Or, tout le monde sait, on le sait d’autant plus par la
suite, que le fameux incendie a eu lieu à 14 heures, au plus tard à 14 h 30.
D’autres témoins le disent, REKERAHO lui-même donnera cette heure-là. Alors,
si elle sort à 16-17 heures et si elle sort à 18 heures, si elle sort en fin
d’après-midi, elle peut pas avoir apporté l’essence à 14 heures ou à 14 h 30,
pour brûler le garage.
D’où
deuxième évolution, pas de problème, on aplanit. A l’audience, elles viennent
toutes vous dire : « Elle est sortie le 22 avril on ne sait pas pour
quoi faire, mais elle est sortie, ça, c’est sûr ». A quelle heure ?
« Oh, on ne se souvient plus ! On ne se souvient plus à quel moment
de la journée elle est sortie, on ne donne plus d’heure précise ». Vous
vous souviendrez sans doute que Maître WAHIS a fait confirmer à sœur Marie-Bernard :
« Vous avez dit, c’est vers… ? », « Oh, vers… vous savez,
vers… je ne sais plus ce que ça veut dire, vers… c’est vers… ». Je pense
que vous vous serez fait votre avis à cet égard.
Le
25 avril, dans un premier temps, c’est pareil. Là, les quatre sœurs avaient
bien évoqué l’existence de cette fameuse réunion avec REKERAHO. REKERAHO est
là et il réunit les familles. Mais le problème, c’est qu’elles avaient dit que
REKERAHO n’avait réuni que les familles… que les sœurs, pardon, ayant de la
famille sur place. Ça veut dire, pas Kizito, ça ! Donc, elle était
pas là. Et d’ailleurs, plus spécifiquement, parlant de sœur Kizito, soit elle
ne disait pas qu’elle était là, soit elle disait franchement que Kizito n’avait
pas participé à cette réunion. Sœur Scholastique allait même plus loin, puisqu’elle
disait que cette réunion s’était tenue, non pas d’initiative par REKERAHO qui,
dans un grand geste de grandeur, avait dit qu’il épargnerait tout le monde,
mais parce que les familles des sœurs étaient venues le supplier d’épargner
les leurs, ce qui est assez logique. Les familles des sœurs viennent, et disent :
« Non, pas les nôtres », et c’est elles qui tiennent ce conciliabule
avec REKERAHO. A l’audience, toutes les divergences s’aplanissent et toutes
les quatre vont vous dire que sœur Kizito était évidemment là au moment où Emmanuel
REKERAHO a tenu ses fameux propos et qu’elle a tout entendu. Le problème, c’est
que c’est tout, sauf confirmé par les autres sœurs, l’ensemble des sœurs qui
sont venues ici n’ont jamais confirmé que sœur Kizito avait participé à ce fameux
entretien avec REKERAHO.
Le
6 mai. 6 mai, dernier événement. Personne, personne, sauf sœur Régine, c’est
vrai, j’anticipe mes contradicteurs, sœur Régine, personne, sauf elle, n’avait
évoqué le fait que sœur Kizito aurait accompagné les policiers dans les chambres.
Tout au contraire. De nouveau, il ne pouvait pas s’agir d’un oubli de leur part,
c’est pas quelque chose qu’elles avaient oublié de dire, parce qu’elles avaient
parlé de cet événement, précisément, en expliquant ce qui s’était passé et,
précisément, en disant qu’il y avait un policier qui était là, un policier qui
était venu et qui était monté dans les chambres, évacuer les familles. Cet événement
est certainement vrai, mais aucune, aucune n’avait dit que sœur Kizito accompagnait
ce fameux policier. Marie-Bernard, au cours de ses différentes auditions, avait
fidèlement dit ceci : « C’étaient deux policiers qui étaient venus
seuls dans les chambres », jamais parlé de la présence de Kizito. Scholastique
allait encore plus loin puisqu’elle disait qu’elle voyait les policiers fouiller
dans les chambres, en vue de faire descendre tout le monde, et qu’à ce moment-là,
alors qu’elles voyaient que les policiers étaient en train de fouiller dans
les chambres, regardant dans une autre direction, elle avait vu quoi ?
Dans la cour, sur le seuil de l’hôtellerie, le bourgmestre en présence de qui ?
Je vous le donne en mille : Kizito ! Kizito ne peut pas à la fois,
être dans les chambres et dans la cour avec le bourgmestre.
Evolution,
aplanissement des contradictions. A l’audience, et pour la première fois, en
totale contradiction avec ce qu’ont dit toutes les autres sœurs, les quatre
sœurs accusatrices, sans exception, vont venir vous dire, même pas sur interpellation
de Monsieur le président, ou une question d’un conseil de la défense, ou d’une
partie civile, d’initiative, elles vont venir vous dire que le 6 mai, sœur Kizito
a accompagné les policiers dans les chambres. Régine, celle qui avait lancé
l’accusation, la seule qui n’avait jamais dit ça avant, comme pour mieux crédibiliser
sa version, elle va aller jusqu’à vous dire, pour la première fois, quelque
chose qu’elle n’avait jamais dit auparavant, même pas devant Monsieur TREMBLAY,
le résurrecteur des mémoires ! Elle va vous dire qu’elle sait tout ça parce
qu’elle était dans la chambre avec sa famille, et qu’elle a vu Kizito arriver
avec un policier. Pour la première fois, elle va vous dire ça. Le problème,
je vous dis, c’est que toutes les autres sœurs accusatrices n’ont pas dit ça.
Et loin d’avoir dit ça, elles ont dit tout le contraire, elles ont dit que Kizito
n’était pas dans les chambres, que Kizito était ailleurs, le 6 mai. Plusieurs
précisent qu’elles ont vu le bourgmestre et des policiers venir dans les chambres,
mais pas une n’a vu Kizito accompagner les policiers. Et d’autres, et je pense
plus particulièrement à sœur Liberata et sœur Domitille, sœur Domitille est
venue vous dire à l’audience, tout comme Scholastique vous avait dit dans sa
version de Monsieur TREMBLAY, à l’époque, que Kizito n’était pas dans les chambres
parce qu’elle l’avait vue. Où ? Au même endroit que Scholastique !
Dans la cour ! Sur le seuil de l’hôtellerie !
La
première à avoir utilisé ce type de méthodes de crédibilisation des témoignages
des veuves, c’est Scholastique. Ah les autres mettront un peu plus de temps,
il faut bien le reconnaître, mais en termes d’efficacité, nous arrivons à un
résultat tout aussi performant. Normal que ce soit sœur Scholastique, je serais
tenté de dire. Pourquoi normal ? Parce que Mama Scholastique, comme
on l’appelle sur sa colline, c’est aussi la première à être revenue. Mama Scholastique,
bravant les interdits, est revenue à Sovu en novembre 94, bien sûr, avec Marie-Bernard,
mais la différence de Marie-Bernard c’est, qu’elle n’a pas quitté les ordres
et que Marie-Bernard, elle est allée habiter ailleurs, tandis que manifestement
Scholastique, elle est restée sur place. Elle a rencontré les veuves très tôt,
elle a parlé avec elles, elle a entendu ce qu’elles disaient. Les autres, Solange
et Régine, sont arrivées plus tard, notamment, et là, c’est ça qui est important,
Solange, elle n’est arrivée qu’après février 96. On le sait, puisqu’en février
96, elle est entendue ici, à la PJ, par Monsieur STASSIN. Et de façon assez
caractéristique, Solange est une des seules qui n’a même pas prononcé le nom
de Kizito dans sa déclaration faite devant Monsieur STASSIN et qui, par la suite,
devant Monsieur TREMBLAY, vous parlera de Kizito sur des pages entières.
Si
sœur Scholastique était la première, elle a aussi un peu péché sans l’excès.
La première, elle n’était pas encore rôdée sans doute, et elle sera contrainte
de revenir plus tard sur de grosses contre-vérités, appelons un chat un chat,
de gros mensonges qu’elle avait faits, manifestement, dans ses déclarations.
Surtout que ces mensonges étaient quand même sur des points relativement délicats.
Le premier, c’est le riz, le fameux riz que le témoin 110 a apporté. Le
deuxième, ce sont les listes. Et le troisième point, c’est tout ce qui concerne
le retour de Ngoma. Sur le riz, au départ, sœur Scholastique avait déclaré qu’elle
n’était pas là au moment où le témoin 110 a livré le riz. En fait, elle
était pas présente physiquement, là, mais elle a vu tout ça du couvent, mais
elle n’a pas réceptionné le riz, elle n’a pas pris livraison, c’est pas elle
qui a décidé de ne pas le distribuer. C’était en effet embêtant pour elle ;
sœur Scholastique, c’est la sœur hôtelière, c’est la sœur chargée de l’aspect
réception, vis-à-vis de l’extérieur. Alors, venir dire qu’elle avait réceptionné
le riz et puis, qu’elle l’avait stocké et qu’elle ne l’avait pas donné aux réfugiés,
c’était très, très, très gênant.
Le problème, c’est que
le témoin 110, carton 2, sous-farde 6, pièce 19, avait dit, lui, dès le
départ, qu’il avait été accueilli par sœur Scholastique, sur place, à Sovu,
au moment où il avait livré les sacs de riz. Et, dès le départ, le témoin 110
n’avait dit mot sur sœur Kizito. Difficile de contredire NTEZIMANA dont tout
le monde vient vous dire que c’est un héros, qu’il a été applaudi par la salle
au moment où il est sorti après son témoignage. D’où, à l’audience, on va trouver
une nouvelle version. Elle admet qu’elle a pris livraison du riz. Tiens, c’est
pas du tout ce qu’elle avait dit avant. Mais enfin, elle admet, elle s’est trompée,
elle s’est trompée, manifestement. Elle a pris livraison du riz, mais c’est
Gertrude qui, ensuite, a chargé qui ? Kizito, bien sûr, de transporter
le riz en faisant appel à des ouvriers pour le mettre Dieu sait où, le stocker,
et c’est Gertrude qui avait les clés. Voilà comment une accusation qu’on aurait
pu porter contre elle retombe où ça ? Contre qui ? Sœur Gertrude et
sœur Kizito.
Les
listes. Lors la commission rogatoire en 95, Scholastique avait déclaré quelque
chose d’incroyable. Incroyable parce qu’en totale contradiction avec ce qu’elle
disait avant. Elle disait que Kizito dormait, euh… priait, pardon, le 22, et
puis, elle disait par la suite que les miliciens avaient appelé, au cours de
leur journée du 22, leur sœur, leur sœur de sang, Kizito, la petite Hutu du
coin ! Ils l’avaient appelée pour qu’elle vienne. Qu’elle vienne faire
quoi ? Faire une liste ! En plein milieu des massacres, vous imaginez
le pratique ! Or, bon nombre de témoins, les sœurs, notamment de Sovu,
avaient toutes dit que la seule liste qu’elles avaient vue et qu’elles avaient
connaissance, c’était bien REKERAHO qui l’avait demandée, mais le 23 avril,
alors que toute la communauté était partie se réfugier à Ngoma et que REKERAHO
était arrivé sur les lieux, furieux de se rendre compte que plus personne n’était
présent. Qui restait présent, là ? Trois sœurs, nous le savions tous. C‘était
pas difficile de les identifier, il y en a deux qui étaient décédées, il n’en
restait plus qu’une, Scholastique. Et d’ailleurs, REKERAHO avait donné une petite
piste dans sa déclaration. Il avait dit que la liste lui avait été remise par
la petite sœur de Kibongo. La petite sœur de Kibongo, c’est pas sœur Kizito ;
elle est de Sovu, on le sait et puis, on ne voit pas pourquoi il aurait utilisé
une image pour parler de Kizito alors que deux lignes avant, il parlait de Kizito
en l’appelant Kizito.
D’où,
à l’audience, qu’est-ce qui se passe ? Premièrement, sœur Scholastique
doit bien accepter et avouer pour la première fois qu’elle a rédigé une liste
le 23, elle nous dit qu’elle a été contrainte par REKERAHO, et je veux bien
le croire, que REKERAHO est arrivé furieux, qu’il a dit : « Je veux
qu’on compte tout le monde et qu’on les mette sur une liste », mais comme
il ne savait ni lire, ni écrire, c’est elle qui a fait la liste. On peut toujours
se demander à quoi sert une liste s’il ne sait ni lire, ni écrire, mais enfin,
on a fait une liste. Et on a appris aussi que, elle nous a dit à l’audience,
en fait, c’était la deuxième liste, il y en avait une qui avait été faite avant
et il y a eu celle-là. Et pourquoi est-ce qu’elle avait besoin de deux listes ?
C’est comme ça que REKERAHO pouvait comparer : avec la première qu’il avait,
il voyait qui il avait tué au centre de santé, et avec la deuxième, il voyait
qui était encore survivant et qu’il devait encore tuer. C’est ce qu’elle est
venue nous dire à l’audience. Ça ne tient pas, mais non, Mesdames et Messieurs
les jurés, ça n’a pas de sens ça ! Ça n’a pas de sens ! Pourquoi est-ce
que REKERAHO aurait besoin, pour savoir qui est survivant, de comparer deux
listes ? Il lui suffit de compter ceux qui sont là, et il voit les survivants.
Et puis, tous ceux qui avaient parlé d’une liste avant, ils n’avaient jamais
dit que sur cette première liste qui aurait été faite avant les massacres, on
avait fait mentionner les gens qui se trouvaient au couvent.
Troisième
point, le retour de Ngoma. Au départ, sœur Scholastique explique que REKERAHO,
fou furieux, arrive : « Elles sont parties, eh bien, je vais aller
les rechercher ! ». Il grimpe sur sa monture et il file à Ngoma. Tentative
d’illustrer les liens de proximité : « Elles sont parties alors que
je leur offrais le couvert, la protection, pourquoi partent-elles mon Dieu !
Revenez, les sœurs, je vais vous protéger. Vous allez courir des risques en
partant dans la campagne ». Or, l’ensemble des sœurs, toutes les sœurs
qui étaient parties à Sovu ont toutes dit qu’elles n’avaient jamais vu Emmanuel
REKERAHO revenir à Ngoma. Elles n’ont jamais dit non plus que REKERAHO était
venu les chercher et les avait raccompagnées sur le chemin du retour. Mais elles
ont simplement dit que REKERAHO était là, le 24 en soirée, quand ils sont revenus
en deux convois et qu’il les attendait fou furieux ; ça, elles l’ont dit.
Vous
lirez, à cet égard, cinq témoignages. Sœur Liberata, carton 4, sous-farde 9,
pièce 4 ; sœur Domitille, carton 4, sous-farde 9, pièce 5 ; sœur Marie-Bernard,
carton 10, pièce 17 ; sœur Régine, carton 10, pièce 10 ; sœur Solange,
carton 10, pièce 18. Toutes disent la même chose. Une fois encore, à l’audience,
qu’à cela ne tienne, Scholastique a l’habitude, elle vient vous dire, virage
à 180° : « Dans le fond, je ne me souviens plus vraiment de ce qui
s’est passé, je ne sais pas s’il était parti à leur rencontre et qu’il les a
croisées sur le chemin ou il allait chercher, mais enfin, ils se sont rencontrés ».
Et comme si ça ne suffisait pas, sœur Scholastique va aller plus loin. Elle
va ajouter un détail à l’horreur. Une accusation qu’elle est la seule à porter
contre sœur Kizito. Une accusation horrible. La cerise sur le gâteau, ce qui
doit vous convaincre ! Devant Monsieur TREMBLAY, sœur Scholastique va dire
sans sourciller, elle va le répéter à l’audience sur question d’un conseil de
partie civile, avoir vu sœur Kizito accompagner les miliciens sur les collines
avoisinantes. En vue de quoi, Mesdames et Messieurs les jurés ? En vue
de débusquer les Tutsi dont elle connaissait les cachettes et qui s’étaient
cachés dans les buissons, elle venait avec sa horde de miliciens, débusquer
les Tutsi pour qu’ils soient tous tués, pour qu’aucun n’en réchappe.
Alors,
première question que l’on peut se poser par rapport à une accusation de ce
type, c’est comment sœur Kizito, la petite novice de Sovu, mieux que quiconque,
même mieux que les Interahamwe, puisqu’ils font appel à elle, comment sœur Kizito
pouvait connaître les cachettes des Tutsi ? Est-ce que gapyisi, le petit
animal dont on a parlé, avait un flair hors du commun ? Deuxième question,
mais comment Scholastique le sait, elle ? Est-ce qu’elle a suivi les miliciens ?
Est-ce qu’elle était avec eux ? Est-ce qu’elle a suivi Kizito ? Ah !
là, vous aurez la réponse à l’audience. Croustillant. Et qui, je pense, illustre
l’absurdité de cette accusation : c’est parce qu’elle a tout vu du haut
de l’hôtellerie. On apprendra ensuite qu’il est peut-être possible, à partir
de l’hôtellerie, quand on change de côté, d’étage, d’avoir une vue une fois
d’un côté, puis, une vue de l’autre côté, mais qu’il n’y a pas un endroit où
on voit tout. Et vous aurez compris l’invraisemblance de la scène. Scholastique
qui a, à l’époque, 50 ans, tel un vigile, passe son temps à scruter les environs
pour observer les allées et venues de Kizito, voir si elle va bien dans le bosquet
à droite, le bosquet à gauche, et puis, quand elle n’a plus la vue, elle descend
les escaliers, elle part de l’autre côté et puis, elle remonte les escaliers,
elle passe son temps alors que toutes les autres sont atterrées, prient, en
attendant leur mort, le saint sacrement dans une salle en dessous, Scholastique,
pendant ce temps-là, elle fait le vigile.
Face
à tous ces mensonges qui, il faut bien le dire, ne nous avaient pas échappés
lors de la phase de préparation du dossier - et nous espérions qu’à travers
les questions que nous poserions, vous puissiez vous en rendre compte par vous-mêmes
- vous avez, Madame, Messieurs les jurés, entendu ce qu’ont été les explications,
les justifications des sœurs à ces questions parfois embarrassantes qu’on leur
posait : « Vous savez, mais vous avez dit ça une fois, puis, vous
avez dit ça une autre fois ». Il fallait les entendre pour les croire.
Ah ! ben ça, comme explication !
Sœur
Scholastique, la première. Sœur Scholastique, elle dira tout simplement qu’elle
ne se souvient pas avoir été entendue par les enquêteurs belges. Elle vous dira
encore qu’il y avait beaucoup de journalistes qui venaient à l’époque, ils ont
des bics et des blocs-notes et on ne sait pas si c’est un journaliste ou un
juge d’instruction. C’est pas très sympa pour Monsieur VANDERMEERSCH mais… Et
puis, elle dira que dans le fond, il est possible qu’on se soit trompé sur la
traduction, ou qu’elle ne se soit pas bien exprimée en français. Elle fait elle-même
une contradiction. Quand on sait le sérieux qu’a mis Monsieur VANDERMEERSCH
à entendre l’ensemble des témoins, il est venu nous le dire, il n’a pas voulu
les interrompre. Il a enregistré le tout, il y avait un interprète qui était
là, on a ensuite interprété, on a fidèlement reproduit, on a relu en kinyarwanda.
Ça parait totalement incrédible.
Sœur
Régine, elle, elle prétendra que Monsieur VANDERMEERSCH n’avait pas noté tout
ce qu’elle disait. Le vilain ! Et surtout, qu’il y avait beaucoup de journalistes
dans la salle. Ah ! les journalistes, on y revient ! Elle ne sait
plus à qui elle parlait, les journalistes ou le juge d’instruction. On imagine
bien Monsieur VANDERMEERSCH mener ses interrogatoires, avec le sérieux qu’on
lui connaît, en présence de trois ou quatre journalistes qui filment, qui le
filment, lui, et puis, grande conversation, tout le monde parle, on note, non
ça, on ne note pas, ça, on va noter, peut être bien, oui !
Sœur
Solange, elle va encore plus loin, elle. Elle est entendue le 7 février. Je
vous l’ai dit tout à l’heure, ça avait son importance. 7 février, quelle année…
96, donc, les autres ont déjà été entendues à cette époque-là, mais elle est
toujours en Belgique ; pas le temps de se concerter avec les autres donc,
elle ne dit rien, elle ne dit rien évidemment sur sœur Kizito, en 96. Elle est
entendue dans les locaux de la PJ à Bruxelles, par Monsieur STASSIN. Vous savez
que Monsieur STASSIN, c’est un costaud, peut-être qu’il peut faire peur, mais
il ne passe pas inaperçu. Et pour expliquer les différences qu’elle avait faites
entre ses différentes déclarations, sœur Régine dira ceci… sœur Solange, pardon :
« C’est parce que je n’avais pas confiance dans ces enquêteurs belges ».
Elle était ici, en Belgique, elle y vivait depuis deux ans et elle n’avait pas
confiance en Monsieur STASSIN qui la recevait dans les locaux de la PJ un peu
plus loin, ici. Mais à ce moment-là, je lui ai posé la question : « Mais
sœur Solange, je comprends que Monsieur STASSIN est effrayant, vous n’avez pas
eu confiance en lui ? Mais en Monsieur TREMBLAY, vous aviez confiance,
là ? ». « Ah oui ! En Monsieur TREMBLAY, j’avais grande
confiance », dit-elle. Et quand je lui fais remarquer par la suite, à l’audience,
que pourtant devant Monsieur TREMBLAY, elle n’a pas dit un mot de ses accusations
contre sœur Kizito, là, c’est le grand silence, c’est la double négation que
nous a fait remarquer Maître BEAUTHIER : « Ce n’est pas que je n’avais
pas confiance, je n’ai pas vraiment compris mais… », mais en tout cas,
on n’a pas eu de réponse.
Enfin,
sœur Marie-Bernard et ça, je ne vous cache pas que c’est ma préférée. C’est
la plus caricaturale, je pense. Voilà quelqu’un qui est la première à se confier
à Madame NOVAK en 1994, et qui ne dit, à l’époque, je vous le rappelle, pas
un mot sur sœur Kizito. Elle est entendue en 1995 par les enquêteurs, elle ne
dit pas davantage. La seule chose qu’elle dit, c’est « Kizito a un frère
Interahamwe ». Alors, quand on lui pose la question à l’audience : « Tiens,
comment est-ce que vous le savez, qu’elle a un frère Interahamwe ? Je voudrais
un petit peu qu’on mette cette question… une petite parenthèse de côté »,
elle dit : « Ecoutez, c’est quand je suis revenue au Rwanda, après,
j’ai rencontré au marché, le frère de Kizito qui m’a dit qu’il était Interahamwe ».
Quoi de plus normal, on est en 96, il est en liberté et il va dire à tout venant
au Rwanda où on sait que le fait d’être soupçonné d’être génocidaire peut entraîner
une incarcération immédiate, il va dire à sœur Marie-Bernard : « Je
suis un Interahamwe ».
Et
puis, si vraiment les frères de Kizito étaient Interahamwe, c’était facile de
le savoir, Mesdames et Messieurs les jurés, il suffisait que quelqu’un en demande
l’information au Rwanda. Vous imaginez un instant que quelqu’un qui a été un
génocidaire actif, soit en 2001, toujours libre, alors qu’il va sur le marché
se vanter à tout le monde qu’il est Interahamwe. Ça ne tient évidemment pas !
Et en juillet 97, Marie-Bernard, alors équipée de deux conseils et non des moindres,
Maître FERMON et Maître BEAUTHIER qui ont pu donner tous les conseils qu’ils
peuvent donner à leurs clients, elle rédige avec ses deux avocats, une plainte,
une plainte avec constitution de partie civile, qu’elle dirige contre sœur Gertrude
et contre sœur Kizito. Alors, qu’est-ce qu’on met dans une plainte comme celle-là,
les deux avocats vont le confirmer, on met le maximum, on met tout ce qu’on
peut dire à charge de la personne qu’on accuse, pour aider le juge d’instruction
dans son œuvre de justice, pour délimiter les faits qu’on reproche à cette personne
et, sur six pages, sur six pages de plaintes, il faut attendre la sixième page
pour avoir, pour la première fois, le nom de Kizito qui apparaît et où on dit :
« Il me semble que Kizito aurait apporté la fameuse lettre du 6, au bourgmestre »,
chose qui n’a été confirmée par personne et qu’elle-même, par la suite, n’a
plus jamais confirmée.
Alors,
je pense, je pense vraiment que quand vous entendez tout ce que je viens de
vous dire et quand, aujourd’hui, ses avocats viennent vous demander de la croire,
lorsque à l’audience, elle vient dire que Kizito est le pire des monstres, que
Kizito est cette Interahamwe qui a débusqué le Tutsi, je pense que, comme moi,
vous aurez du mal à les croire. Et si vous ne croyez pas une de ces sœurs parce
qu’elle a menti ou parce qu’elle a exagéré sur un point, c’est l’ensemble de
leurs témoignages que vous devrez rejeter, ce que je vous demanderai de faire
et je vous expliquerai, après une interruption, je suis peut-être un peu en
avance sur mon temps, ce qu’il faudra penser d’Emmanuel REKERAHO. Je vous remercie
de votre attention.
Le Président :
Merci, Maître VANDERBECK. Donc, vous avez encore
deux interventions cet après-midi.
Me. VANDERBECK :
De la même longueur, donc, deux fois une heure.
Le Président :
Deux fois une heure, ça fait deux heures. Comme
je dois me consacrer à la rédaction des questions pour vous les remettre après
vos plaidoiries de cet après-midi, eh bien, nous allons suspendre l’audience,
mais nous ne la reprendrons qu’à 14 heures.
Me. VANDERBECK :
14 heures ? Deux heures de pause…
[Suspension d’audience]
Me. VANDERBECK :
[Manque début de l’intervention] …C’est
déjà bien, REKERAHO, qu’il ait pu bénéficier d’un avocat d’ASF, tous n’ont pas
pu en bénéficier. Mais des avocats de son choix, et pas un… un plaideur, un
co-plaideur, un assistant, deux assistants, un enquêteur, deux enquêteurs. Voilà
l’équipe qui est payée par l’ONU, à des salaires prévus par l’ONU, dans le cas
d’un dossier ouvert au TPI. Et surtout et dernièrement, la certitude, Mesdames
et Messieurs les jurés, la certitude qu’on prendra le temps qu’il faut pour
le juger. Un procès à Arusha, ça dure entre six mois et un an.
Mais REKERAHO ne marche pas tout de suite. Il a
peut-être un peu peur que Monsieur TREMBLAY manque de sincérité à son égard
et qu’on lui propose la montre en or pour le faire avouer. Il faut un geste,
un donnant-donnant - je vous en avais parlé - eh bien, le geste viendra assez
rapidement. Geste réciproque par ailleurs, d’un côté Emmanuel REKERAHO fait
un petit brouillon non daté - on vous dit que c’est le 11 avril, mais enfin,
c’est pas daté - dans lequel il dit quelque chose, il lance quelques accusations
contre sœur Gertrude et, accessoirement, contre sœur Kizito. Brouillon qui,
vous le lirez, est à des années lumières de ce qu’il racontera par la suite,
dans les 56 pages précises de sa déclaration. Et de l’autre côté, Réjean fait
un geste : on transfère REKERAHO au bloc numéro un. Tout d’un coup, il
aura un peu de nourriture et des conditions de détention un peu meilleures.
Je ne crois pas un instant en l’explication que
vous a donnée Monsieur TREMBLAY à l’audience. Quand il vous a dit : « S’il
a changé d’avis Mesdames et Messieurs, Monsieur le président, eh bien voilà,
je vais vous expliquer comment ça c’est passé. Je suis venu avec la lettre,
celle que Gertrude a écrite à l’appui de sa demande d’asile. Je lui ai traduit ».
Et puis, il a hoché la tête, il est devenu tout rouge, il est devenu furieux,
il a dit : « C’est pas vrai ce qu’elle raconte ». Mais ça
ne tient pas debout ça ! Ça ne tient pas debout, au moins pour deux bonnes
raisons. La première, moi je me pose vraiment la question. Pour qui nous prend-on ?
Qu’on m’explique comment il a fait, Monsieur TREMBLAY, pour avoir la lettre ?
Ecoutez, cette lettre, c’est bien simple : elle ne peut être qu’à deux
endroits. Soit chez Gertrude elle-même, et c’est elle qui l’aurait donnée, ce
qui m’étonnerait : elle ne le connaît pas. Soit, elle est dans le dossier
judiciaire et c’est Monsieur VANDERMEERSCH qui l’a donné, et dans ce cas-là,
c’est une violation du secret de l’instruction et c’est grave, soit, soit c’est
l’Office des Etrangers qui l’a donnée, qui est également tenu par un secret
dû au dossier. Non, REKERAHO ne peut pas avoir reçu cette lettre de TREMBLAY,
parce que TREMBLAY ne peut pas l’avoir eue.
Et puis je vous ai montré, Monsieur TREMBLAY, il
a entendu tout le monde à ce moment là. Il a déjà entendu toutes les sœurs,
les accusateurs, les autres génocidaires. Il peut facilement coincer REKERAHO,
il peut le coincer en disant : « Emmanuel, là, tu mens, regarde, telle
et telle personne ont dit ça ». Et il lui dit : « Tu as tout
intérêt à avouer mon vieux. Fais un plaidoyer de culpabilité ». Dans le
procès de Kigali on n’avait pas autant de témoignages de personnes diverses.
Il est clair, Mesdames et Messieurs les jurés, en tout cas pour moi, cela apparaît
une évidence, que ce que REKERAHO voit alors en Réjean TREMBLAY, c’est un moyen
de sauver sa peau. Mais catastrophe ! Catastrophe, les choses se précipitent !
Tout d’un coup, on annonce à REKERAHO que son procès est fixé à Kigali, le 14
juin 99. Panique. Il se dit : « Mais, c’est fini alors, mon entente
avec Réjean ? Tout ce que je vous ai dit avant, ça se passe au mois d’avril,
entre février et avril, début mai éventuellement ». Il téléphone tout de
suite, Emmanuel REKERAHO, il l’appelle au secours, il téléphone directement
à Réjean TREMBLAY, pardon. Et ça va aller très vite à ce moment-là. Et ça, c’est
un critère que je vous demande de tenir en considération. Le fait que ça a été
très très vite. Tout ce que je vous raconte, c’est ce que Monsieur TREMBLAY
vous a raconté à l’audience ! Ça va aller très vite, le fait que c’était
très vite, ça permet de mieux comprendre les conditions dans lesquelles était
REKERAHO au moment où il a fait cette fameuse déclaration de 56 pages. TREMBLAY,
Monsieur TREMBLAY le voit le 2 juin 1999, il lui dit : « Je peux
encore t’aider Emmanuel, je peux encore t’aider, mais, à ce moment-là il faut
me faire une grande déclaration d’aveux sur les sœurs, très complète, très précise,
me dire tout ce qu’elles ont fait ».
Et c’est à ce moment-là qu’il conclut ce fameux
contrat entre eux, ce qu’on a appelé un accord d’entente et que nous avons reçu
en copie. Ce fameux marché de dupes qui est passé entre REKERAHO et Réjean TREMBLAY.
Que doit faire REKERAHO ? Eh bien, il faut lire, il faut lire le contrat,
c’est tout simple. On dit ce qu’il doit faire, dans le contrat. Point 2 :
REKERAHO Emmanuel s’engage à… et vous avez une liste de A à G. Je vous lis les
trois meilleurs. A : enregistrer un plaidoyer de culpabilité aux accusations
portées dans le dossier du Monastère de Sovu. B : révéler tout ce qu’il
sait eux enquêteurs et procureur du TPIR, assignés au dossier relatif aux crimes
auxquels il a participé. Ça, c’est Gertrude et Kizito. D. témoigner devant le
Tribunal Pénal International pour le Rwanda, aussi souvent que requis, relativement
aux faits révélés aux enquêteurs. Ce n’est qu’à ce prix-là, Mesdames et Messieurs
les jurés, ce n’est que moyennant le respect de ces conditions-là que Monsieur
TREMBLAY acceptera de déposer une demande de désistement des autorités rwandaises
au profit du TPI.
Le plus consternant, le plus consternant dans ce
rapport d’entente, c’est qu’on prend même la peine de vous dire au tout début
en point 1, qu’on n’a exercé aucune pression sur Monsieur REKERAHO, qu’il est
venu naturellement à cette idée et à ce contrat d’entente. Lisez : point
1, D. « Emmanuel REKERAHO déclare ne pas avoir eu de pressions, ni de
menaces de la part des enquêteurs, des procureurs ou autres intervenants, afin
de l’inciter de témoigner ». Vous ne pensez pas que l’imminence de
son procès, le chantage qui est fait, est une pression énorme qu’on a mise sur
les épaules d’Emmanuel REKERAHO ? Parce que, c’est sur ce point-là qu’Emmanuel
REKERAHO va faire cette déclaration le 7 juin - rappelez-vous, son procès devait
être fixé pour le 14 juin, il n’avait pas le choix - il va faire une déclaration
de 56 pages - excusez du peu - pleine de précisions que personne, hormis lui,
n’a jamais données. Pourquoi 56 pages si précises ? Ça, c’est le moment
le plus incroyable, le plus invraisemblable dans cette histoire. Mais, parce
que Monsieur TREMBLAY est juste à côté de lui. Et, chaque fois que REKERAHO
s’écarte un petit peu de ce qu’il doit dire, il y a Réjean qui lui dit :
« Emmanuel, ça n’a pas de bons sens ce que tu fais là ! ». C’est
Monsieur TREMBLAY qui est venu le dire à l’audience, il est venu le dire. « Dès
que celui-ci voulait sortir des sentiers battus - je ne sais pas ce que c’est,
les sentiers battus, mais - nous le ramenions à l’ordre en disant : est-ce
que c’est vraiment cela qui s’est passé au moyen des témoignages des autres
personnes ». Alors, c’est pas le coup du bottin de téléphone, mais comme
pression, cela y ressemble drôlement, hein ! En tout cas, ce fut efficace :
56 pages !
Et cette façon de voir les choses, elle ne sort
pas que de mon esprit, elle est confirmée par l’intéressé lui-même, au moins
à deux reprises. On en a parlé beaucoup je pense, dans cette fameuse interview
que Monsieur REKERAHO aurait donnée à un journaliste du « Soir »,
avant le début de ce procès, au cours duquel il aurait dit - je mets entre guillemets,
c’est une déclaration d’un journaliste - : « C’est TREMBLAY qui
m’a obligé de dire que Kizito lui avait donné de l’essence, car il disait, il
lui promettait, pardon, du transférer à Arusha ».
Et, lors de sa deuxième audition devant Monsieur
le juge d’instruction, celle à l’occasion de laquelle on a fait cette fameuse
confrontation ça, je n’ai jamais vu qu’on faisait une confrontation entre
un enquêteur et quelqu’un qu’on entend, enfin bon, c’est Monsieur le juge d’instruction
qui nous a dit qu’il avait voulu faire une confrontation. Normal - Monsieur
REKERAHO avait oublié de parler de l’essence dans sa première déclaration. Il
avait même dit : « Je ne veux plus parler de l’essence ! ».
Alors, on a fait revenir Réjean, et devant Réjean, qu’est-ce qu’il va dire ?
Maître VERGAUWEN nous en a déjà parlé, je vous le relis : « J’ai dit
toute la vérité à Réjean, parce que j’espérais être transféré à Arusha et éviter
ma condamnation ». Et puis, par la suite, on lui parle et on lui dit :
« Alors ? ». Et il continue : « Maintenant, j’accepte
de dire la vérité parce que Monsieur Réjean est là et que je lui ai promis de
dire toute la vérité ».
Je pense pouvoir aborder le second thème en vous
parlant des mensonges de Monsieur REKERAHO. REKERAHO est entendu, et c’est le
seul, je pense, dans le dossier, à dix reprises dans ce dossier. A dix endroits
différents, vous trouvez des déclarations de Monsieur REKERAHO, onze si on prend
l’article du journaliste du Soir, mais il n’est pas dans le dossier. Alors,
deux remarques préliminaires. Fascinant. Fascinant de constater qu’il n’y a
pas une déclaration de Monsieur REKERAHO qui soit la même que l’autre. Alors
qu’à au moins trois reprises, Monsieur REKERAHO, en levant les mains, droite
ou gauche, on ne sait pas trop, a juré, devant des juridictions ou des autorités
judiciaires différentes, de ne dire que la vérité. Dans son contrat d’entente
avec Monsieur TREMBLAY, il jure de dire la vérité. Devant le juge d’instruction,
avec Monsieur TREMBLAY toujours : « Maintenant que Réjean est
là, je vais dire la vérité », et devant le Conseil de guerre de Kigali,
où il commence une déclaration en disant : « Je promets de dire la
vérité et affirme avoir confiance en vous ». Alors, le moins qu’on puisse
dire c’est qu’il a une drôle de conception de la vérité, Monsieur REKERAHO.
D’autre part, et c’est ma deuxième remarque, c’est
intéressant de constater que REKERAHO sera utilisé comme une arme par Monsieur
l’avocat général et par les parties civiles. Le fil rouge, la synthèse, celui
qui comble les vides et ce rôle d’arme, c’est précisément cette fonction-là
qu’il devait endosser, on l’a vu à travers le contrat d’entente. Dans l’hypothèse
d’un éventuel procès Sovu au TPI, et Réjean, il est spécialiste pour ça, c’est
un enquêteur à charge, il ne fait que ça, lui. Il sait comment il faut faire.
Il sait ce qu’il faut qu’il dise. Il sait exactement comment le guider. Je vais
aborder deux thèmes de mensonges. J’aurais pu en prendre beaucoup plus. Je pense
que vous en avez déjà entendu beaucoup sur Monsieur REKERAHO et que deux thèmes
seront suffisants. Et je vais vous montrer à travers ces deux thèmes, à quoi
devait servir Monsieur REKERAHO et comment il ment ?
Le premier thème, ce sont les réunions : ça,
c’est la faiblesse du dossier, et l’accusation en est consciente. C’est d’inscrire
certaines actions ou omissions de sœur Kizito, dans une optique, une politique
génocidaire. C’est de pouvoir induire d’actes qui - et c’est un autre débat,
j’y reviendrai bien qu’inacceptable en soi, mais qui ne seront pas répréhensibles
en droit - d’induire de ses actes, qu’ils s’inscrivent dans une perspective
génocidaire, dans une perspective de planification, en vue de poursuivre un
objectif précis, désiré, voulu, recherché : exterminer les Tutsi. Pour
ça, il faut faire de sœur Kizito une Interahamwe. Pour expliquer notamment que
si elle a refusé d’accueillir les réfugiés, si elle les a laissés sous la pluie,
si elle a refusé de les nourrir, de leur apporter des soins - et on verra plus
tard ce qu’il faut en penser - mais si elle a fait tout ça, c’est en vue de
les affaiblir pour mieux les massacrer, que si elle a dressé des listes, c’est
en vue qu’aucun d’entre eux n’en réchappe. Maître BEAUTHIER, lui, il avait trouvé
la solution ah, il avait été vite, hein ! - il avait repris une
déclaration d’un Monsieur de - je n’ai même pas retrouvé cette déclaration totalement
isolée - qui disait que sœur Kizito était déjà une Interahamwe depuis 1991,
excusez du peu, quand elle était novice à Kigufi ! Elle se baladait avec
un gourdin et elle exhortait les foules à tuer tous les Tutsi. Il n’y a personne
qui ne l’avait jamais vue comme ça ! Mais enfin, même à Kigufi, on est
resté baba par rapport à cette accusation : les sœurs ne savaient pas quoi
dire. Notez que pour Monsieur l’avocat général, à suivre cette thèse, cela aurait
été plus compliqué, il aurait dû sortir un gourdin et pas une machette, à la
fin de son réquisitoire. Je pense que si Maître BEAUTHIER avait trouvé cet élément
tellement pertinent, il aurait invité sa cliente à le mettre dans sa plainte.
Quand Marie-Bernard, qui a été ici, parle de Kizito, elle aurait dit :
« C’était une Interahamwe depuis 1991 ».
Plus sérieusement maintenant. Pour atteindre cet
objectif, il fallait faire de REKERAHO un ami, un familier des sœurs de Sovu,
un pote. Il fallait les faire se rencontrer avant, en vue de planifier les massacres.
Pendant… en vue d’apporter les informations indispensables à pouvoir les traquer
tous, pour qu’aucun n’en réchappe. C’est précisément le rôle de ces fameuses
réunions préalables dont seul, seul REKERAHO parlera. Et que dit-il au sujet
de ces réunions, Emmanuel REKERAHO ? Je serais tenté de dire un peu de
tout et n’importe quoi. On va voir, sur deux angles, les dates. La date de la
première rencontre : devant le juge d’instruction VANDERMEERSCH, Monsieur
REKERAHO dit qu’il connaît sœur Kizito depuis toujours, c’est une veille amie
de la colline. Devant Monsieur TREMBLAY, il dit qu’il connaît sœur Kizito depuis
janvier 94, via CASSIEN. Et dans son brouillon, dans ce que j’appelle son brouillon
non daté, et dans son procès de Kigali, la seule fois et la première fois qu’il
parle de sœur Kizito, c’est à partir du 20 avril 1994.
Petite mise au point d’abord. Monsieur REKERAHO
dit qu’il connaît bien sœur Kizito et qu’il est de la même colline: c’est doublement
faux. Il dit qu’il habite à trois cents mètres du couvent, c’est tout à fait
faux. Monsieur REKERAHO habitait, semblait-il, à Gako qui est une petite colline,
c’est vrai, pas loin de Sovu, mais qui se trouve à quelques kilomètres du couvent,
dans une direction, et sœur Kizito habitait sur une autre colline qui se trouve
à quelques kilomètres du couvent, dans une autre direction. Alors, ce ne sont
pas vraiment des voisins-voisins, quand on parle des lieux, des dates de rencontres
et des personnes qui étaient présentes. Devant Monsieur TREMBLAY, REKERAHO dit,
lors de la première réunion : « A partir de janvier 94, il y a des
réunions toutes les semaines, en présence de Gertrude, Kizito et CASSIEN ».
Et ça se passe au domicile de Gaspard, et Gaspard est là évidemment. Mais parfois,
ces réunions ne se passent pas au domicile de Gaspard. Elles ont lieu au couvent,
dans la salle de réceptions. Et il dira même : « Je connais bien
le couvent, moi. Chaque fois que je vais chez Gaspard, c’est plus facile, c’est
un raccourci, je traverse le couvent et j’arrive comme ça chez Gaspard ».
Et enfin, il dira aussi devant Monsieur TREMBLAY
qu’il y a eu une réunion importante, en dehors du couvent, en dehors de chez
Gaspard, une réunion qui aurait eu lieu le 9 avril, en présence du bourgmestre
RUREMESHA et des présidents des différents partis, et que Kizito aurait assisté
à cette réunion. Devant le juge d’instruction, la première réunion, elle n’est
plus en janvier 94, elle est le 10 ou le 11 avril. Et Kizito y assiste, Gertrude
y assiste, et 30 sœurs. Normalement, ça devrait être 28, puisque Kizito et Gertrude
et toutes les autres, ça fait 30. Ensuite, il y a eu plusieurs réunions, au
couvent ou chez Gaspard, c’est selon. Avec ou sans les autres sœurs, c’est selon
également, mais toujours avec Gertrude, Kizito, le témoin 151 et Gaspard.
Et, dans son brouillon enfin, et dans son procès
de Kigali, Monsieur REKERAHO ne parle pas de réunions, sauf d’une réunion le
20.04, à laquelle Gertrude et peut-être Kizito devaient assister, je dis, peut-être,
parce que c’est pas très clair. Commentaire par rapport à tout cela. Je pense
que les différences que j’ai pu pointer ne sont pas des différences de détail,
mais qu’elles sont relativement fondamentales. CASSIEN, il est mort, Gaspard,
on ne l’a pas retrouvé, alors, c’est facile de venir dire évidemment que les
seules autres personnes qui assistaient aux réunions, ce sont deux personnes
qui ne pourront jamais dire le contraire. L’ennui, c’est que l’on a parlé de
le témoin 151. J’y arrive. C’est la troisième chose qu’il faut penser de ça. C’est
que tous les autres intervenants, non seulement ils ne parlent pas des réunions
mais ils contredisent Monsieur REKERAHO sur l’existence de ces réunions. Les
autres sœurs - vous vous rappelez que je vous ai dit qu’il avait eu des réunions,
parfois avec trente sœurs, parfois en présence, parfois sans les sœurs, au couvent,
en traversant le couvent - on a posé des questions aux sœurs : « Est-ce
que vous avez assisté à des réunions en présence d’Emmanuel REKERAHO ? ».
Toutes, à l’unisson, elles ont répondu « non » et pour cause, elles
ne vont pas répondre « oui »! Elles ne vont pas répondre qu’elles étaient
des familiers de REKERAHO, et puis, c’est la vérité : elles ne l’ont jamais
vu avant. REKERAHO n’est pas un familier du couvent. Il n’y est jamais rentré.
Vous pensez bien, Madames et Messieurs du jury,
qu’une réunion avec les trente sœurs, au couvent, ça ne passe pas inaperçu,
on s’en souvient, de même que les allées et venues de REKERAHO qui traverse
le couvent. Ça ne passe pas inaperçu ! le témoin 151, voilà, il avait fait l’erreur
de dire que quelqu’un d’autre que CASSIEN et Gaspard, qui ne pourraient jamais
dire le contraire, était là. le témoin 151, interrogé à l’audience,
il a dit deux choses essentielles par rapport à ces réunions. Concernant la
réunion du 9 avril, celle en présence du bourgmestre et des chefs de parti,
une réunion de génocidaires, le témoin 151 a dit qu’il était bien là : il est
conseiller de secteur, c’est assez normal, mais il dit qu’il n’a pas vu Kizito
à cette réunion-là, contrairement à REKERAHO. Et puis surtout, le témoin 151, dira
qu’il n’a jamais participé à une réunion chez Gaspard ou au couvent, en présence
de REKERAHO. Que la première fois qu’il est venu avec REKERAHO au couvent, c’était
le 23, et je vous en reparlerai. Face à ce constat, évidemment cela met toutes
ces réunions à la poubelle. Tentative désespérée d’un plaideur - Maître BEAUTHIER,
je pense - qui dit : « Mais si ces réunions existent, il y a un témoin :
Immaculée. Elle était cachée chez Gaspard et elle a tout vu ! ».
Maître VERGAUWEN vous a déjà expliqué ce qu’il fallait
en penser. Je retiens deux points. C’est vrai qu’elle est bien, Immaculée, chez
Gaspard, mais elle n’est pas là au moment où les réunions se passent, c’est-à-dire,
de janvier à avril, au 20 avril 94, puisqu’elle arrive chez Gaspard - je vous
le rappelle - le 26 mai 94, soit plus d’un mois après la dernière réunion qu’aurait
tenue REKERAHO, en présence des sœurs.
Et puis, ce qu’elle a dit, Immaculée, elle n’a pas
dit qu’il y avait des réunions, elle a dit qu’à une seule reprise, elle avait
vu une religieuse venir chez Gaspard dans les dates que je vous ai données.
On lui a posé la question de savoir, c’était qui cette religieuse ? Elle
a dit : « Sœur Gertrude ». Est-ce qu’elle était accompagnée de son
ombre, son alter ego, de son second, de son bras droit, la sœur Kizito ?
Réponse : « Non ». Et pourtant, on a besoin de ces réunions,
on a besoin de ces réunions au niveau de l’accusation. C’est une nécessité.
Surtout celle tenue la veille des massacres, le 21. Pourquoi est-ce qu’on a
besoin de celle-là ? Parce que c’est à ce moment que REKERAHO dit devant les
deux sœurs, ravi et ayant un sourire jusque derrière les oreilles : « Demain,
on vient et on tue tout le monde ». Et ils n’ont rien fait. C’est ce qu’on
vous dit. Cette fameuse réunion du 21, elle n’est évoquée par REKERAHO lui-même,
qu’une seule fois : bien qu’il soit le seul à en parler, il ne l’évoque
qu’une seule fois, devant Réjean, dans sa très longue déclaration du 7 juin.
Ce qui est fondamental, c’est qu’ultérieurement, dans le cadre de son procès
de Kigali, là où il jure de dire toute la vérité, il fait un plaidoyer de culpabilité
sur certaines infractions qu’il reconnaît, notamment les faits de Sovu. Il ne
parle pas de cette réunion du 21 avril. Pas un mot. Il ne parle que d’une réunion,
le 20, à l’occasion de laquelle il n’attribue aucun propos à sœur Kizito.
Il reste, pour l’accusation, une réunion très importante,
celle après les massacres. Ah oui, c’est à cette occasion-là - rappelez-vous
- qu’on a ce délicieux dialogue entre REKERAHO, au clair de lune, et Kizito
qui dit : « Ah ! Si cela ne tenait qu’à moi, Kizito, je ferais
de toi la supérieure de ce couvent ». C’est à ce moment-là qu’on s’étonne
de la faiblesse des réfugiés, de ce qu’ils ont été trop affaiblis parce qu’on
ne les a pas nourris, et qu’ils résistent bien pourtant. Plusieurs commentaires.
Cette vision des choses, ce petit dialogue surréaliste, de nouveau, elle n’est
défendue que par Emmanuel REKERAHO, je vous le donne en mille. Et quand ?
Le 7 juin, devant Réjean TREMBLAY. Durant son procès à Kigali, pas un mot, Mesdames
et Messieurs les jurés, pas un mot, pas un mot. Devant le juge d’instruction,
dans son brouillon : pas un mot sur ce petit dialogue. Non, on dira quand
même qu’on a reçu un petit verre de lait et une Primus. Et justement, et que
le témoin 151 était là, et c’était important. Voilà ce qui s’est passé, Mesdames et
Messieurs les jurés : on a confondu deux événements réels qui ont eu lieu,
et on a ajouté à ces deux événements qu’on a remis en un seul, un petit dialogue
romantico-dramatique entre sœur Kizito et REKERAHO.
Le premier événement réel : REKERAHO vient
bien au couvent se laver les mains souillées d’essence, reçoit bien de l’eau
chaude pour les laver, en présence du témoin 151. Mais ça ne se passe pas le 24
avril, comme il le dit, mais le 23 avril, soit la veille, alors que toutes les
sœurs sont parties à Ngoma. C’est grâce à Monsieur STASSIN qu’on sait tout ça.
Ah ! Monsieur STASSIN qui avait écrit personnellement un petit PV à l’avocat
général : « Il faut absolument faire venir le témoin 151 ». Témoin
providentiel, Monsieur le témoin 151, merci Monsieur STASSIN. Merci Monsieur STASSIN.
Parce que, le témoin 151 il est bien venu, il est bien venu. Il a surtout déclaré
ce qu’il avait toujours dit. Il a confirmé à l’audience qu’Emmanuel REKERAHO
était venu le chercher chez lui, et l’avait un peu contraint et forcé à l’accompagner
au couvent de Sovu, le lendemain des massacres, le 23. Pourquoi il était venu
le chercher ? Pour enterrer les cadavres. Ce n’est évidemment pas le jour
des massacres qu’on enterre les cadavres, c’est le lendemain. Et que, vers 13
heures, nous a dit le témoin 151, ils sont en effet allés frapper à la porte du couvent
de Sovu, et quelqu’un est venu leur ouvrir et leur a donné de l’eau pour se
laver les mains, leur a donné du lait et de la bière, sans doute contraint par
REKERAHO qui, agressif comme toujours, devait avoir ce qu’il voulait.
Monsieur le président lui a posé deux fois la question,
je pense, à Monsieur le témoin 151 : « Monsieur le témoin 151, êtes-vous bien sûr que
c’est bien le 23 avril ? ». « Oui », dit le témoin 151. « Oui »,
une deuxième fois. Monsieur le président dit : « Mais le 23 avril,
elles étaient parties ». « C’est bien elles. C’est bien Kizito qui
a fait tout ça, qui a servi la bière, etc ». Je pense que Monsieur le témoin 151
ne se trompe, ni sur le jour, ni sur l’heure. On sait que c’est bien, à ce moment-là,
qu’on a enterré les cadavres. Mais il se trompe sur l’identité de la personne
qui les a reçues, parce que le 23, sœur Kizito, elle n’était pas là. Il y avait
une personne qui était là, et qui a accueilli effectivement REKERAHO, elle nous
l’a dit : c’est sœur Scholastique. Sœur Scholastique était au couvent le
23. Sœur Scholastique a effectivement reçu la visite de Monsieur REKERAHO en
fin de matinée. Elle lui a remis une liste, contrainte et forcée. Eh bien, en
même temps, elle lui a remis un verre de lait et une petite Primus. Maître BEAUTHIER
lui-même dans on exposé, parlant de ces fameux épisodes avec le lait et la Primus,
et comparant l’attitude de sœur Kizito avec sœur Scholastique, a dit :
« Scholastique, elle a servi aussi du lait et de la Primus, mais elle,
elle ne l’a pas fait le jour des massacres ». Sous-entendu, Kizito, elle
l’avait fait le jour des massacres. C’est dire si c’était clair dans l’esprit
des autres plaideurs également.
Le deuxième événement réel, c’est ce qui se passe
le 24, 23-24. Le 24, que se passe-t-il ? En soirée, alors que l’ensemble
des sœurs qui avaient évacué vers Ngoma, reviennent désespérées parce qu’à Ngoma
on tuait tout autant, voire davantage, qu’à Sovu, reviennent rechercher la mort,
à laquelle elles croient ne plus pouvoir échapper, mais préfèrent venir la chercher
chez elles, dans leur couvent, là où elles se sont toujours senties bien. Et
elles reviennent en deux convois, et qui les attend ? Emmanuel REKERAHO,
fou furieux, énervé, en délire, avec quelques Interahamwe qui ont dû sans doute
boire, qui sont énervés, excités, et qui attendent. On pense qu’on va massacrer
le soir même. Cette horde de miliciens est là, sœur Kizito revient avec le deuxième
convoi. Quand elle arrive, l’ambiance est électrique, un premier convoi est
déjà arrivé, il y a déjà eu certainement des discussions houleuses. Toutes les
sœurs sont résignées : elles décident de faire face à cette réaction de
violence. Rappelez-vous, elle le dira dans sa première déclaration, sœur Kizito,
elle est prise à partie par REKERAHO qui lui reproche, elle qui est de la colline,
d’être partie, qui la gifle.
Face à cette violence, tout le couvent réagit avec
la gentillesse, le calme, la sérénité, comme pour donner l’impression que de
toute façon, elles savaient. Elles savaient qu’elles allaient mourir et elles
préféraient mourir dignement. On distribue des chapelets et on distribue des
boissons. Mais on distribue des boissons à tout le monde, pas qu’à Emmanuel
REKERAHO, aux militaires qui sont là. Sœur Kizito le dira. Et c’est dans ce
contexte précis que les boissons sont données. Ce jour-là, ce soir du 24 avril,
il n’y a pas eu de massacres à Sovu. REKERAHO n’est pas arrivé les mains pleines
de sang, demandant à se laver les mains. le témoin 151 n’était pas présent, n’était
plus présent. Il était là, le 23, il n’était plus là, le 24 et surtout, Mesdames
et Messieurs les jurés, ils n’ont jamais tenu ce dialogue qu’on leur attribue.
Deuxième thème : l’aide matérielle. Je crois
pouvoir résumer mon propos à l’ambulance. L’ambulance. L’idée est identique,
tout à fait analogue à celle des réunions préalables. Si REKERAHO est un ami,
un familier, il est logique que sœur Kizito lui prête, voire lui donne l’ambulance
en vue de l’aider à accomplir son but ultime, leur but commun, leur objectif :
tuer les Tutsi. Deux thèses s’affrontent par rapport à l’ambulance. Celle de
REKERAHO, qui dit qu’il l’a reçue - et au niveau des dates, c’est selon la personne,
l’interlocuteur, le moment ; là, ça varie beaucoup - devant Monsieur TREMBLAY,
il dit qu’il l’a reçue le 7 ou le 8 avril, devant le juge d’instruction, il
l’a reçue le 10 ou le 11 avril, dans son brouillon, le 20, et dans son procès
à Kigali, le 20. En résumé, sans s’embarrasser des dates, il l’aurait reçue
entre le 7 et le 20, en même temps que Gaspard aurait reçu ce fameux véhicule
VW.
L’autre thèse, celle de sœur Kizito et de sœur Gertrude,
qui disent que REKERAHO s’est emparé du véhicule ambulance par la ruse, par
la force, le 22 avril, après que les massacres aient été perpétrés, et qu’il
l’aurait conservée jusqu’à la fin, jusqu’à son exil vers le Zaïre. C’est cette
version- là qui est soutenue par sœur Kizito, depuis sa première déclaration,
qui est confirmée par sœur Liberata, je vous ai lu sa déclaration tout à l’heure.
Et c’est cette version-là que je vais vous demander de croire, Mesdames et Messieurs
les jurés. Mais avant de vous dire pourquoi, je voudrais faire un petit commentaire.
L’ambulance, elle est assez embarrassante pour l’accusation, parce qu’il est
évident aux yeux de tous - il ne faut pas être très malin pour s’en rendre compte
- que REKERAHO a dit tout et n’importe quoi par rapport à cette ambulance. Qu’il
s’est contredit, qu’il a dû donc mentir à certains moments. C’est gênant, c’est
gênant, le témoin vedette qui ment. C’est gênant.
Alors, par rapport à ça, ils vont, Monsieur l’avocat
général, les conseils des parties civiles, adopter des positions différentes,
parfois contradictoires l’une par rapport à l’autre. Monsieur l’avocat général,
en termes de réquisition verbale, plus un mot, silence radio sur l’ambulance.
Par contre, dans sa réquisition, il avait pris les devants, et, dans son acte
d’accusation, pardon, page 31, il situe la remise de l’ambulance, le 8 avril.
C’est la version qu’a donnée REKERAHO devant Monsieur TREMBLAY. On voit tout
de suite où va la préférence de l’accusation. Maître de CLETY, lui, il situe
également la remise de l’ambulance, début avril, puisqu’il vous évoque ce croustillant
épisode de Kizito qui accompagne REKERAHO dans l’ambulance et qui vont faire
du shopping à Butare, ensemble. Et Maître FERMON, lui, en plaidoirie, il dit
que REKERAHO a reçu l’ambulance le 20, le 20. Ce qui est le plus frappant, c’est
qu’en plaçant la remise de l’ambulance le 20, Maître FERMON accepte que REKERAHO
ait menti avant. Et surtout, il semble dire que Monsieur l’avocat général se
trompe dans son acte d’accusation, parce que la date, ici, c’est pas un détail
de nouveau, hein ! La date de remise de l’ambulance, elle a toute son importance,
puisque, chaque fois qu’on reparle de la remise de l’ambulance, on fait référence
à une réunion qui aurait eu lieu en même temps. S’il n’y a pas de réunion, je
serais tenté de dire qu’il n’y a pas de remise d’ambulance.
En fait, la date de la remise de l’ambulance, eh
bien, on la trouve tout seul, Madame et Messieurs les jurés, il ne faut pas
être très malin. On fait un recoupement entre différentes déclarations et on
y arrive facilement. On arrive à comprendre que ce que sœur Kizito a dit, c’est
vrai. Je prends différents témoignages et vous verrez, c’est limpide. Sœur Johana
le témoin 115, c’est la sœur polonaise qui est venue et qui s’occupe du Centre nutritionnel
- on vous l’a répété tout à l’heure - elle va elle-même, au moyen de l’ambulance,
conduire encore un malade le 17 avril, et le 18, quand elle part, elle dit que
l’ambulance était toujours là. Sœur Régine, la cliente de Maître FERMON, qui
vient dire à l’audience que c’est le 20, sœur Régine, qu’est-ce qu’elle dit
à l’audience, contredisant quelque part son conseil ? Qu’elle n’a jamais
vu REKERAHO circuler avec l’ambulance avant les massacres qui ont eu lieu le
22. Elle ne va pas la recevoir le 20 si on ne l’a jamais vue avant. Sœur Solange
dit la même chose, exactement la même chose que sœur Régine. Sœur Liberata,
je vous ai lu sa déclaration, elle dit qu’elle a observé d’une fenêtre que,
le 22 après les massacres, REKERAHO s’est vu remettre l’ambulance en prétextant
qu’il allait soigner des blessés. Et enfin, RUTEGESHA Alfred - on en a parlé,
Maître VERGAUWEN nous a cité sa déclaration - c’est un Interahamwe lui, il part
avec REKERAHO, massacrer les gens, le 22, et REKERAHO vient le chercher chez
lui et RUTEGESHA dit qu’il n’a pas l’ambulance ! Par contre, le témoin 151, le
23, quand on vient le chercher, on vient le chercher en ambulance ! Alors,
vous douterez encore un instant, 8 ou 22 ? Ce n’est pas le Lotto. C’est
précis, ici. C’est le 22.
Et pour clôturer le chapitre de l’ambulance, la
dernière question. Est-ce qu’il l’a reçue ou est-ce qu’il s’est emparé de cette
ambulance ? La réponse, elle découle du procès de Kigali. Parmi les dix
chefs d’inculpation qu’on reproche à Monsieur REKERAHO, il y a un huitième chef
d’inculpation, vol de l’ambulance, et pas que de l’ambulance, des 100.000 francs
à Gertrude. Vous voyez, cette somme d’argent que REKERAHO prétend avoir reçue
de Gertrude pour enterrer les cadavres, il dit qu’il a gardé 10.000 pour lui
et qu’il a distribué 90.000 aux ouvriers. Et puis, quand on interroge le témoin 151
qui était là : « Vous avez reçu de l’argent ? Jamais ».
Eh bien, REKERAHO, il était poursuivi pour le vol de ces 100.000 francs-là aussi.
Et il a été condamné, nous le savons, pour le vol de l’ambulance et pour le
vol des 100.000 francs. Et, bien qu’il plaidait non coupable pour cette accusation-là,
dans son procès, plusieurs sœurs sont venues témoigner sur la question précise
de l’ambulance. Sœur Bénédicte KAGAJU, on vous en a parlé, je vous lis sa déclaration.
Question : « Que peux-tu me raconter, dans quelles circonstances votre
véhicule a disparu, celui qui l’a pris ? ». Réponse : « Ce
véhicule minibus ambulance - ainsi dans le texte original, mettons - a été pris
par REKERAHO Emmanuel, il est venu nous raconter des histoires auxquelles nous
avons cru, et par ruse, il nous a, en un mot, menti, il l’a prise ». C’est
limpide. REKERAHO a agi par ruse, par force. Il l’a prise prétextant d’un motif
fallacieux.
Je m’en voudrais de terminer l’épisode REKERAHO
sans vous décrire ce personnage haut en couleurs tel qu’il est lui-même décrit
par ses propres victimes, qui nous disent le monstre qu’il est. Je vous lirai
une déclaration du témoin Consolée. Oh ! le témoin Consolée, on
pourrait dire, a priori : « Pourquoi est-ce qu’elle dit ça ? ».
Elle accuse aussi sœur Kizito, pas au procès de Kigali bien sûr, devant African
Rights. Parlant de REKERAHO, voici ce qu’elle nous en dit : « Il
il, c’est REKERAHO - est venu vers 12 heures, en criant : il est déjà midi,
on n’a pas encore fini de tuer ces gens : je reviens de la commune de Huye
et je n’y ai trouvé, j’y ai trouvé beaucoup d’Inkotanyi, qui avaient trouvé
refuge. Je veux qu’à 14 heures on commence par la commune de Huye pour qu’on
réduise déjà leur nombre. Je constate qu’il y a beaucoup d’enfants - dit-il
- qui circulent, je rentre de la ville où j’ai trouvé la Croix Rouge qui était
là, en train de ramasser tous ces enfants, tous ces orphelins pour les sauver.
Rassemblez ces enfants et je vais vous montrer », dit REKERAHO. « Je
ne veux pas que la Croix-Rouge me prenne un de ces enfants qui viennent de Sovu ».
Et qu’est-ce qu’ils ont fait ? Je vous lis
la déclaration : « Ils ont encerclé ces enfants et ils les ont
regroupés dans une même maison du centre de santé, où l’adjudant REKERAHO a
lancé des grenades et a envoyé des gens pour exterminer ces petits enfants ».
C’est ce personnage-là Emmanuel REKERAHO. Et c’est lui que l’accusation vous
demande de croire. Qu’allez-vous croire, en effet, de ce que ce personnage vous
raconte ? N’allez-vous pas penser qu’on ne peut pas croire quelqu’un qui
manifestement modifie ses déclarations au gré de l’interlocuteur qu’il a en
face de lui quelqu’un qui est pris en flagrant délit de mensonge sur des points
précis que j’ai pu vous démontrer ? Si, comme moi, vous pensez que REKERAHO
a menti, sur au moins les deux points dont je viens de vous parler, vous penserez
également qu’il ne peut pas être considéré comme sincère pour tout le reste,
et vous rejetterez purement et simplement les déclarations d’Emmanuel REKERAHO.
C’est ce que je vous demanderai de faire. Et après l’interruption - que Monsieur
le président voudra bien m’accorder - je poursuivrai.
Le Président :
Bien, 3 h 10, 3 h 30, nous reprenons à 3 h 30 ?
Me. VANDERBECK :
Oui, je serai encore plus bref pour la dernière
intervention Monsieur le président, j’en aurai pour 50 minutes, pas plus.
Le Président :
Oui, eh bien, l’audience est suspendue jusqu’à
15 h 30.
[Suspension d’audience]
Le Président :
L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir.
Les accusés peuvent prendre place. Bien, Maître VANDERBECK vous avez la parole
pour la fin de votre plaidoirie.
Me. VANDERBECK :
Je vous remercie Monsieur le président. Monsieur
le président, Madame, Messieurs les juges, Madame, Messieurs les jurés, pourquoi
sœur Kizito ? De toute évidence, cette question vous a traversé l’esprit,
et je dois vous dire que je n’ai pas fait exception à la règle : elle m’a
également traversé l’esprit. Combien de fois, au cours de cette audience, vous
n’avez pas entendu certains plaideurs venir vous dire ou vous poser la question :
mais, pourquoi cette personne mentirait ? Elle n’a pourtant aucune raison
d’en vouloir à sœur Kizito qu’elle ne connaît même pas. Donc, son témoignage
est vrai. C’est malheureusement beaucoup plus complexe que ça.
En tout état de cause, je pense pouvoir dire que
l’absence de mobile apparent dans une déclaration, le fait de ne pas pouvoir
expliquer pourquoi telle ou telle personne dit telle ou telle chose à votre
sujet, ne fait pas de ce qu’elle dit une vérité. Pourquoi tant de haine ?
Pourquoi tant de zèle, pourquoi tant de hargne, d’agressivité de la part des
plaideurs - avocat général et parties civiles - quant est venu le moment d’aborder
le volet de Sovu ? Cela ne vous aura pas échappé, nous avons eu à faire
à non pas un réquisitoire, mais six réquisitoires qui ont duré près de deux
journées. Certains plaideurs, qui pourtant ne défendaient pas des parties civiles
constituées contre sœur Kizito, c’est-à-dire des personnes qui pouvaient se
prévaloir d’actes qu’aurait commis Kizito à leur égard, n’ont pas hésité à y
aller de leurs propres refrains sur la culpabilité de sœur Kizito. Maître LARDINOIS,
qui, sauf erreur de ma part, ne se constituait ni contre sœur Gertrude, ni contre
sœur Kizito, vous a dit en conclusion de sa plaidoirie : « Vous devrez
déclarer les quatre accusés coupables ». Et pourquoi parle-t-il de sœur
Kizito ?
Je n’ai jamais entendu, Mesdames et Messieurs les
jurés - et ce n’est pas faute d’avoir, je pense, défendu des personnages qui
n’étaient guère appréciés par l’opinion publique - je n’ai jamais entendu un
de mes confrères, injurier mon client en plaidant, le traitant de charognard,
le traitant de serpent. Je n’ai jamais vu au cours d’un procès, des avocats
déployer une telle énergie, une telle fougue, pour arriver à remplir leur objectif,
leur but ultime : la condamnation des quatre accusés. Parce que ce procès
est sans doute un test, un ballon d’essai et qu’il doit pouvoir en annoncer
d’autres, d’autres qu’ils ont au chaud parce qu’ils sont déjà partie civile
dans d’autres procédures à venir. L’adage « la fin justifie les moyens »
n’aura jamais trouvé, à mon avis, meilleur laboratoire que la salle de cette
Cour d’assises. Tout a été utilisé, en ce compris, des procédés que je qualifierai
de déloyaux. Ça n’a pas échappé à Monsieur le président qui, à plusieurs reprises
- rappelez-vous - a dû rappeler à l’ordre certains plaideurs. Pourquoi ?
C’est la question qu’on ne peut pas éviter. Même si j’ai le sentiment que, pour
finir, ce n’est pas à moi d’y répondre, mais à ceux qui ont proféré de telles
accusations, à ceux qui ont utilisé de tels moyens qu’on devrait poser la question.
Est-ce parce que leur dossier était faible ? Est-ce parce que sœur Kizito
est une religieuse ? Maître VERGAUWEN vous a dit vendredi, en vous donnant
son point de vue, ce qu’il fallait penser de la position de sœur Gertrude, supérieure.
En ce qui concerne Kizito, je pense pouvoir vous
donner d’autres explications. Il faut distinguer, selon moi, en fonction que
les accusations viennent des veuves, l’ensemble de ces personnes victimes venant
de la colline de Sovu, ou qu’elles proviennent des sœurs. Pour la première catégorie,
les veuves, toutes ces personnes qui sont venues se réfugier à Sovu, ces gens
avaient placé, je le pense, une grande espérance, beaucoup d’attente, entre
les mains des religieuses. Comme ailleurs, Sovu, en tant que paroisse, en tant
que couvent surtout, constituait dans leur esprit, un lieu d’accueil, de refuge,
de protection, surtout un endroit où ils pourraient échapper à cette folie meurtrière
qui régnait tout autour d’eux. Ces attentes, il faut bien le reconnaître, n’ont
pas été rencontrées. Beaucoup de gens sont morts, voire tous sont morts à Sovu.
Et après une certaine date - et c’est une évidence - je ne peux pas vous dire
le contraire, ça ressort très clairement du dossier : plus une sœur, plus
une sœur dans sa grande frayeur, ou dans sa grande lâcheté, n’est venue apporter
réconfort, soutien, nourriture à ces réfugiés. Ils se sont sentis trahis, abandonnés,
délaissés.
Pour expliquer cette furie assassine, naturellement
les gens ont cru en la complicité des gens d’église, particulièrement ceux d’ethnie
Hutu. Ils se sont dit : mais s’ils n’ont pas pu empêcher ces massacres,
s’ils n’ont pas pu nous sauver, c’est sans doute là, la preuve irréfutable qu’ils
étaient complices des tueurs, qu’ils étaient de mèche avec eux. Ils ont pensé
que cette complicité ne pouvait pas simplement s’expliquer par la peur, mais
qu’elle était voulue, désirée, recherchée. Que, tout comme ceux qui les avaient
tués, les religieux étaient aussi des tueurs. Cette évolution progressive a
été certainement guidée, canalisée, par ceux qui voulaient porter atteinte au
crédit de l’Eglise. Et pour désigner les coupables, eh bien, tout naturellement,
on a désigné la mère supérieure, sœur Gertrude. Et pour Kizito ? Kizito,
elle est Hutu, on vous l’a dit, elle est native de la région, de la colline
de Sovu. Elle connaît les victimes, parfois même, elle connaît certains des
tueurs. Envers elle, ce devoir d’accueil est encore plus important parce qu’il
relève d’une règle élémentaire de la société rwandaise, une règle de bien-être,
de bien vivre par rapport à ses voisins : « Tu porteras une aide à
ton voisin même s’il n’est pas ton ami ».
Or, dès le 22 avril, dès le lendemain des massacres,
sœur Kizito offre, par rapport aux autres sœurs, une beaucoup plus grande visibilité.
On la voit à l’extérieur. Pendant que les autres sœurs sont terrées à l’intérieur
du couvent, qu’elles prient, qu’elles ont peur, qu’elles se cachent, sœur Kizito,
elle, sort, parfois même en dehors de l’enceinte du couvent, comme le 6 mai,
quand elle ira porter les motos chez le bourgmestre, ce qui sera confirmé par
la femme du bourgmestre. Elle parle avec les Interahamwe, elle parlemente pour
interférer en faveur de sa communauté, elle est visible au portail, on la voit,
on la connaît, on la voit. Dès lors, cette plus grande visibilité, cette plus
grande apparente proximité avec les tueurs, fait d’elle un complice tout désigné,
tellement facile à désigner.
Un autre facteur qui a certainement joué en ce qui
concerne sœur Kizito, c’est la restitution des biens des familles décédées et
qui s’étaient réfugiées au centre de santé ou ailleurs. A plusieurs reprises
après les massacres, des familles sont venues frapper à la porte du couvent
réclamer les biens que les leurs avaient laissés, soit au centre de santé, soit
ailleurs. Sœur Kizito était la personne qui allait répondre à la porte. On sait
que c’était une réalité au Rwanda, que plusieurs personnes ont utilisé les massacres
pour s’approprier les biens d’autrui. Parfois, elle a refusé, même souvent,
de restituer les biens, n’étant pas sûre sur l’identité de ses interlocuteurs,
n’étant pas sûre qu’ils étaient bien les membres de la famille qui venait chercher
les biens. Parfois, parce qu’elle estimait, parce que toute la communauté estimait
que conserver les biens au sein du couvent était un danger pour la survie de
la communauté, dès lors, que ça attirait la convoitise des tueurs qui voulaient
piller le couvent, elle a décidé d’aller porter tous ces biens chez le bourgmestre.
Certains de ces biens ont disparu. Cela a créé des rancœurs. Ces rancœurs, on
peut les imaginer et on peut comprendre alors mieux, quand le témoin de contexte,
le procureur de la République François-Xavier NSANZUWERA, est venu vous dire
et confirmer ce qu’il avait dit devant le juge d’instruction VANDERMEERSCH,
qu’après le génocide, dans l’immédiat après-génocide, des gens n’ont pas hésité
à dénoncer, comme génocidaires, leurs voisins en vue de s’approprier leurs biens.
Cette question des biens est évidemment éminemment importante.
Les sœurs enfin, les sœurs, c’est autre chose, Mesdames
et Messieurs les jurés. Les sœurs, elles ne visaient pas Kizito au début, on
l’a vu : pas un mot sur elle. Les sœurs, elles ont emboîté le pas. Elles
ont suivi, elles ont adapté leur déclaration, parce que c’était plus facile
pour crédibiliser l’accusation, de donner à Gertrude, qui ne pouvait pas avoir
fait tout toute seule, un bras droit, quelqu’un qui la suivait dans l’ombre.
Méthode qui a été largement suivie par l’accusation, c’est tellement facile
quand on ne sait pas justifier, de dire que quelqu’un suivait dans l’ombre,
derrière. Et, c’est manifestement ce qui a guidé les sœurs, en tout cas, tout
particulièrement en relation avec les événements du 25, du 24 et ceux du 6 mai.
Que reste-t-il, Mesdames et Messieurs les jurés ?
Que reste-t-il après cet examen, que j’espère minutieux, des charges retenues
contre sœur Kizito ? Vous serez parfois un peu surpris de constater, dans
les questions qui vous seront posées et dont on va débattre à un moment donné
dans ce procès, qu’il n’est pas question de tout ce qu’on a abordé à l’audience,
au cours des débats. On ne parle pas spécifiquement de nourriture, d’essence,
on ne parle pas spécifiquement d’accueil. Ces thèmes doivent entrer dans un
débat plus général, celui de la culpabilité, ou non, de sœur Kizito par rapport
à des actes bien précis.
Et si vous reprenez l’acte d’accusation, en ce qui
concerne les deux sœurs, sœur Gertrude et sœur Kizito, trois questions vous
sont véritablement posées. Est-il constant que sœur Kizito a volontairement,
avec intention de donner la mort et avec préméditation, commis un homicide sur
la personne de Déo GATETE et de Placide SEPT ? Ce sont des gens qui s’étaient
déjà constitué partie civile. Est-il constant qu’elle a volontairement et avec
intention de donner la mort, commis l’homicide sur Chantal MUSABYIMANA et Arnaud
CRISPIN BUTERA. Et question C : volontairement et toujours avec intention
de donner la mort et avec préméditation, commis un homicide sur un nombre indéterminé
de personnes. C’est sans doute par rapport à cette question, qu’on va élargir
et vous poser d’autres questions. Mais voilà le type de questions qu’on va vous
poser.
Et pour chacun de ces homicides, chacun de ces meurtres,
Monsieur l’avocat général et les parties civiles qui s’associent à cette œuvre
d’accusation, ont le devoir de vous prouver au moins deux choses. Que sœur Kizito
a eu l’intention de tuer, la volonté non équivoque de tuer : il ne suffit
pas de prouver qu’elle a fait telle ou telle chose, il faut que ce qu’elle a
commis s’inscrive dans une intention de tuer. Et que cette intention de sœur
Kizito se soit matérialisée à tout le moins dans un des comportements repris
dans la loi de 1993, et dont vous retrouvez à la page 35 et 36 de l’acte d’accusation
de Monsieur l’avocat général, l’énoncé : « Soit donné l’ordre,
même non suivi d’effets, de commettre des crimes de droit international, premier
comportement ; soit proposé ou offert de commettre des crimes de droit
international ou accepté une pareille proposition ou offre, deuxième comportement ;
soit provoqué à commettre des crimes de droit international même si la provocation
n’a pas été suivie d’effet, troisième comportement ; soit participé au
sens des articles 66 et 67, aux crimes de droit international même si la participation
n’a pas été suivie d’effets, quatrième comportement ; soit omis d’agir
dans les limites de sa possibilité d’action alors qu’il avait eu connaissance
d’ordres donnés en vue de l’exécution de crimes de droit international ou de
faits qui en commencent l’exécution, et alors qu’il pouvait en empêcher la consommation
et y mettre fin, cinquième comportement. Sixième comportement : soit tenté,
au sens des articles 51, 53 du Code pénal, de commettre un crime de droit international ».
Je peux tout de suite vous simplifier la tâche,
Mesdames et Messieurs les jurés : il ne sera pas question des comportements
1, 2, 3 et 6, dans le cadre de cette affaire. On se limitera aux comportements
4 ou 5 : la participation, au sens qu’on a pu décrire, et l’omission. Et,
si comme moi et Maître WAHIS, vous avez, après avoir entendu l’ensemble des
plaidoiries et plus particulièrement la nôtre, après avoir entendu notre analyse
du dossier, vous avez, ou vous allez, considérer, comme moi, que vous êtes d’accord
d’exclure que soeur Kizito ait eu des comportements de participation directe,
tels qu’avant le 22 avril, remis l’ambulance à REKERAHO - je vous ai dit ce
qu’il fallait en penser -, participé à des réunions avec lui - eh bien il n’y
a pas eu de réunion -, le 22 avril, apporté de l’essence et brûlé KABILIGI -
et Maître WAHIS vous a dit ce qu’il fallait en penser -, être restée sur place
pour vérifier que tout cela se passait. Le 23 avril, avoir marché entre les
corps, la liste à la main, en s’étonnant du sort clément qui avait été réservé
aux Tutsi, ou selon, avoir roulé délibérément sur les corps agonisants en vue
de les achever. Maître WAHIS vous a dit également ce qu’il fallait en penser.
Avoir lavé les mains de REKERAHO, entre le 22 et le 25, avoir été à la recherche
des Tutsi embusqués. Je vous ai dit ce qu’il fallait en penser. Le 6mai, avoir
apporté la lettre au bourgmestre ou avoir accompagné les policiers dans les
chambres pour faire sortir toutes les familles des sœurs, je vous ai dit également
ce qu’il fallait en penser.
Alors, que reste-t-il, mais que reste-t-il, je vous
le demande. Que reste-t-il ? Le fait d’avoir dressé une liste ? On
en a déjà parlé de la liste. C’est une accusation qui est portée contre sœur
Kizito mais aussi contre d’autres personnes, par différentes personnes d’ailleurs.
La question est assez floue - elle l’est restée - de savoir combien de listes
figurent dans cette affaire. Une ou deux ? Quand elle a été rédigée ?
Le 17, le 18, le 19, le 20, le 21, le 22, le 23 ? A la demande de qui elle
aurait été rédigée ? REKERAHO ? Gertrude ? Qui l’a rédigée ?
Sœur Kizito seule ? Sœur Kizito et Gertrude ? Scholastique ? Et pourquoi avoir rédigé une liste ?
La seule certitude qu’on ait - je vous l’ai dit
et je vous ai dit ce qu’il fallait en penser - c’est qu’au moins une liste a
été rédigée, le 23.4. Elle l’a elle-même dit à l’audience, par sœur Scholastique,
contrainte, il est vrai, par Monsieur REKERAHO. Cette liste-là, celle-là, elle
avait du sens : elle devait permettre à REKERAHO d’identifier, de compter,
de connaître l’ensemble des personnes qui s’étaient réfugiées dans le couvent
de Sovu, ce qu’il ne pouvait pas savoir. Cette liste-là, elle a eu une utilité,
elle a servi, le 25.4 lorsque REKERAHO est venu et qu’il a procédé à un tri,
il l’a fait sur base de cette liste, en séparant en plusieurs groupes et en
préservant un de ces trois groupes. A part le fait d’évoquer l’existence d’une
liste qui, on l’a vu, apparaît comme le signe, par excellence, de culpabilité
génocidaire, l’outil principal pour démontrer que quelqu’un est génocidaire,
est-ce que ces listes étaient nécessaires pour tuer l’ensemble des personnes
qui se trouvaient au centre de santé ? A quoi devait servir la liste, dès
lors que tous, tous ceux qui étaient réfugiés au centre de santé, ont été sauvagement
exécutés, et qu’il n’y a pas eu le moindre tri qui a été effectué avant qu’on
ne commence les massacres.
Une liste, ça permet de distinguer des gens et d’autres,
afin de ne pas tuer éventuellement tout le monde, de savoir qui on doit tuer.
Si on ne fait pas de tri avant, à quoi ça sert de faire une liste ? Sur le plan
pratique, quand Maître WAHIS vous a parlé de Kizito, qui était un véritable
boulier compteur, mais c’est vrai qu’on peut se poser la question. Est-ce que
vous imaginez devoir écrire sur une liste 3.500 à 7.000 noms alors que
vous avez à faire à un public qui est largement illettré, ou à la limite de
l’être, qui écrit difficilement ? Quel temps cela doit prendre Mesdames
et Messieurs les jurés, de rédiger une telle liste ! Et enfin, quelle est
l’utilité de rédiger une liste le 18, voire le 19, des réfugiés du centre de
Sovu si on sait que le 20, le 21, arrivent encore plus de la moitié des gens ?
A quoi ça sert de faire une liste qui reprend à peine la moitié des gens qui
se trouvent là ? Je pense que vous n’aurez pas de réponse à toutes ces
questions et, pour moi, la réponse, elle est simple : il n’y a jamais eu
de listes concernant les gens du centre de santé. Il n’y a tout le moins pas
la moindre certitude que s’il y en a une, c’est Kizito qui l’a rédigée.
Le non-accueil, le non-hébergement - en dehors des
cent personnes qui se trouvent au couvent -, le fait d’avoir peu, voire pas
du tout nourri les réfugiés : bien que ces comportements ne soient pas
directement reprochés à sœur Kizito et s’adressent plus particulièrement à la
mère supérieure, ou à la communauté tout entière, comme l’a dit, à juste titre
me semble-t-il, Maître VERGAUWEN, il me semble que la vérité a ses droits et
un léger bémol doit être apporté à cela. Plusieurs témoins disent que des soins,
de la nourriture, ont été apportés aux réfugiés, en tout cas jusqu’au 18, voire
19 avril. Sœur Solange, sœur Cécile, sœur le témoin 115-Johanna, la sœur polonaise,
sont toutes venues vous le confirmer à l’audience. Deuxième point, bien qu’ils
n’avaient sans doute, et même certainement, plus reçu la moindre nourriture
après le 18-19 avril, je ne pense pas que les réfugiés soient véritablement
morts de faim. Sœur Régine, qui avait sa famille au centre de santé, la famille
de sœur Régine assez curieusement elle a fait un drôle de parcours. Elle est
d’abord passée le centre de santé avant d’aller voir au couvent, mais elle est
restée tout un temps au centre de santé. Et sœur Régine nous dit que ses parents
lui ont dit que l’ensemble des réfugiés qui étaient là, n’étaient pas venus
les mains vides : ils avaient apporté bétail et nourriture de leur maison.
Ils avaient apporté un ensemble de vivres parce qu’ils s’apprêtaient à devoir
rester un certain temps pour échapper aux massacres et ils ont partagé cette
nourriture. Ils l’ont consommée ensemble. MUKABUTERA Adelice le confirme à cet
égard.
Il ne faut pas perdre de vue, enfin, qu’à partir
du 20, c’est le chaos dehors. Les massacres, plus particulièrement le 21 et
le 22, font rage et qu’il est dangereux pour qui que ce soit de sortir, a fortiori
pour nourrir des réfugiés. Soyons cependant bien d’accord : sous ces trois
minimes précisions, je suis le premier à penser que le non-accueil et l’absence
totale d’aide en nourriture après une certaine date, sont des comportements
difficilement acceptables. Ils ne sont cependant pas pénalement punissables
dans le contexte que nous avons à juger. Le législateur a voulu faire de l’omission
- Maître VERGAUWEN vous l’a expliqué en ayant la sagesse scientifique de faire
des références aux novelles, à une mission toute particulière d’agir :
c’est le cas du supérieur hiérarchique qui, voyant ses subordonnés commettre
un crime grave, s’abstiendrait de donner instructions nécessaires pour prévenir
cette infraction.
Alors, cette démission que l’accusation, par une
gymnastique d’esprit, des réunions a voulu transformer en actes de participation
directe, n’est rien d’autre, dans toute son horreur, que l’expression d’une
grande lâcheté, pas individuelle, mais une lâcheté collective. Comparer Sovu
aux cas de figure de l’armée, puisqu’on parle et que référence y est faite :
si Sovu était une caserne, sœur Kizito qui est novice à l’époque, elle ne serait
qu’un simple plouc, comme on dit dans le jargon militaire ? Et sœur Gertrude
serait le commandant et les sœurs qui ont des responsabilités, comme sœur Scholastique,
sœur Marie-Bernard, toute une série de sœurs, elles seraient sans doute des
lieutenants. Alors, fut-elle dynamique comme elle l’a été après le 22 avril,
en prenant certaines choses en mains, le soldat Kizito, soumise à l’autorité
de sa mère supérieure et à celle de sa sœur de référence, parce qu’en qualité
de novice, elle a toujours une sœur de référence, pouvait-elle prendre dans
ce climat infernal où chacun avait la peur au ventre, les rennes du couvent
en mains et toutes les initiatives ? Non, évidemment. Et l’abstention dont
on parle : elle parle du supérieur hiérarchique par rapport à son subalterne,
et pas l’inverse.
Cette lâcheté collective qui n’a échappé à personne,
j’ai la faiblesse de penser cependant que, en sortant, comme elle l’a fait après
le 22 avril, en parlementant avec les Interahamwe au profit et pour protéger
sa communauté, en oeuvrant pour la survie de cette communauté, sœur Kizito a
peut-être été un tout petit peu moins lâche que les autres. N’est-ce pas finalement
ce qu’on lui reproche ? Cette plus grande visibilité ? Si, comme les
autres sœurs, elle était restée terrée dans sa petite pièce à prier le saint
sacrement, à ne pas bouger, à dire qu’elle n’avait rien vu, rien entendu, comme
toutes celles qui ont défilé ici à l’audience, est-ce qu’on lui aurait reproché
la même chose ? Le fait de s’être exposée aux regards des autres - je vous
l’ai expliqué tout à l’heure - a fait d’elle un complice, une victime d’accusation.
Parce qu’elle n’était pas la seule de Sovu : d’autres, dans le couvent,
étaient également de Sovu. Elle n’était pas la seule Hutu : d’autres étaient
également Hutu, dans ce couvent. Il serait trop simple pour tout expliquer en
disant : elle était Interahamwe, c’est pour ça qu’elle pouvait sortir et
qu’elle ne prenait aucun risque. Mais si elle était Interahamwe, elle aurait
abandonné depuis bien longtemps sa communauté et elle les aurait laissés là,
elle serait partie sur la colline. Non, sa plus grande visibilité, je vous l’ai
dit, cet investissement au profit de sa communauté, poussée parce qu’elle a
dit être une force qu’elle ne connaissait pas et qui a bien fait rire certains
plaideurs, mais qui n’est rien d’autre pour finir que l’expression de son altruisme,
de son amour pour sa communauté. Cela, cela lui a été reproché.
Je conclurai cette plaidoirie en vous disant ce
qu’à mon avis il faut penser de toute cette affaire. Ma conviction elle est
faite : j’espère que vous la partagerez. Ma conviction, elle est que Monsieur
l’avocat général, épaulé par les parties civiles, n’ont pas rempli leur tâche,
leur unique tâche dans ce procès : celle de vous apporter la preuve indiscutable,
certaine, indubitable, de culpabilité de sœur Kizito dans les faits qu’on lui
reproche. Cette charge leur revient pourtant de droit. Et toute faille dans
cette entreprise doit vous mener à un verdict d’acquittement, vous le savez.
Et j’ai la faiblesse de penser que je ne suis pas le seul à avoir eu ce sentiment
en lisant ce dossier. Et que le dossier comporte une indication qui pourra vous
être, me semble-t-il, d’une grande utilité.
Je vous demande de faire un petit retour en arrière,
et de vous replonger dans les débats, de revenir à cette matinée du 7 mai, tumultueuse.
Monsieur le juge d’instruction VANDERMEERSCH venait répondre aux questions de
la défense concernant son instruction sur le volet Sovu. Nous étions étonnés
du climat d’électricité par rapport aux questions qu’on posait, et je lui avais
demandé pour ma part, s’il était exact ou non, qu’il n’avait pas inculpé sœur
Kizito. Réponse : « Il est exact que je ne l’ai pas inculpée ».
Qu’est-ce que cela voulait dire ? Difficile pour vous de savoir ce qu’est
l’inculpation. Un petit mot d’explication - rassurez-vous, de vulgarisation.
Un juge d’instruction est saisi de faits, ça paraît surprenant mais il est saisi
de faits : un crime qui a été commis par là, un vol qui a été commis par
ici. Ici, il est saisi des faits Sovu et compagnie. Il enquête sur ces faits
afin de découvrir qui sont les responsables, qui sont manifestement les auteurs
de ces faits, lorsqu’au cours de son enquête, il constate qu’il existe des raisons
de penser qu’une personne qu’il a - et ce n’est pas une obligation, ce n’est
plus une obligation préalable - entendue ou fait entendre par les verbalisants,
pourrait être l’auteur des faits. Dans ce cas-là, il y a ce qu’on appelle les
indices sérieux de culpabilité, et il inculpe la personne.
Dans le cas présent, le juge d’instruction a été
saisi des faits de Sovu, des faits de la SORWAL, et de tous les faits dont on
a parlé. Faisant son enquête à propos de ces faits, il a avancé et à un moment
donné, il a inculpé différentes personnes parce qu’il a considéré qu’il y avait
des raisons de penser qu’ils pourraient être les auteurs de ces faits. Qui a-t-il
inculpé ? Les trois qui sont derrière moi, à droite, et pas sœur Kizito.
Il a inculpé Vincent NTEZIMANA, il a inculpé Alphonse HIGANIRO et il a inculpé
sœur Gertrude. Cela veut dire quoi ? Cela veut dire qu’il ne pensait pas,
au moment où il a dû prendre cette décision, c’est-à-dire, le 25 janvier 1996,
et après avoir entendu sœur Kizito, il ne pensait pas à ce moment-là et sans
doute d’ailleurs - je vous expliquerai pourquoi pas davantage par la suite -
qu’il existait des motifs sérieux de croire que sœur Kizito pourrait être la
responsable des faits ou responsable en partie des faits de Sovu.
Alors, le juge d’instruction vous a dit à l’audience
sur des questions, comme un peu minimiser la portée de cette décision lourde
de sens, lourde de sens : « Oui, mais si je ne l’ai pas inculpée »,
dit-il, « c’est parce que, si je l’avais inculpée, j’aurais dû la placer
sous mandat d’arrêt vu la gravité des faits », dit-il.
Deuxième explication : qu’est-ce que le mandat
d’arrêt ? Toujours dans cette perspective d’inculpation, lorsque le juge
d’instruction a inculpé quelqu’un, il peut dans le même temps décider, en tenant
compte d’une série de critères légaux qui n’entrent pas en ligne de compte dans
mon explication, mais aussi de la gravité des faits, s’il y a lieu de placer
cette personne sous mandat d’arrêt, c’est-à-dire, s’il y a lieu de la priver
de sa liberté, de la placer en prison, en détention préventive. Dans ce dossier,
Monsieur NTEZIMANA et Monsieur HIGANIRO ont été non seulement inculpés, mais
ils ont été placés en détention préventive. Ils y sont restés pendant quelques
mois. Là où l’explication qu’il vous donne à l’audience ne tient pas, n’est
pas recevable, c’est quand on compare le statut de sœur Gertrude et de sœur
Kizito. A priori, il s’agit des mêmes faits, tout aussi graves pour l’une que
pour l’autre, et pourtant, le juge d’instruction décide d’inculper sœur Gertrude,
estimant qu’il existe des indices sérieux de culpabilité à sa charge, des raisons
sérieuses de penser qu’elle aurait pu participer à cela, mais il ne la place
pas sous mandat d’arrêt. Il ne la prive pas de sa liberté, et il rend ce qu’on
appelle une ordonnance contraire, où il justifie qu’il ne la place pas sous
mandat d’arrêt, en ces termes : « Attendu en effet que, nonobstant
la gravité des faits, il y a lieu de prendre en considération le contexte tout
à fait particulier », et il explique ce contexte - Maître VERGAUWEN
vous en avait parlé.
Alors, il est clair, Mesdames et Messieurs les jurés,
que si le juge d’instruction avait estimé à ce moment-là, comme pour Gertrude,
qu’il y avait des indices sérieux de la culpabilité, de la participation de
sœur Kizito aux faits qu’on lui aurait reprochés, il aurait pu l’inculper comme
il a fait pour Gertrude, sans la placer sous mandat d’arrêt. Il aurait pu prendre
une ordonnance contraire, motivée de la même façon que celle qu’il a rendue
pour sœur Gertrude. Il ne l’a pas fait, rien de tout ça. Non seulement il ne
l’a pas inculpée, mais il a rendu ce qu’on appelle une ordonnance de non-inculpation,
et je vous demande de lire cette ordonnance de non-inculpation. Elle figure
au carton 4, sous-farde 9, pièce 48. La motivation : il explique pourquoi
il ne l’a pas placée, il ne l’a pas inculpée, il ne l’a pas placée sous mandat
d’arrêt : « Attendu que jusqu’à ce que la participation de la précitée
n’est pas établie à suffisance de droit pour l’inculper du chef de l’infraction
repris ce dessus en vertu des pièces qui nous sont parvenues ce jour en ce dossier,
disons n’y avoir lieu d’inculper, etc ».
En vertu des pièces qui me sont parvenues ce jour
dans le dossier - ce jour, c’est le 25 janvier 1996 - eh bien, je n’ai pas peur
de vous dire, Madame, Messieurs le jury que, hormis l’importance du volet REKERAHO
-dont je vous ai dit ce qu’il fallait en penser - qui a fait l’objet de deux
commissions rogatoires : une au Rwanda, une au TPI, on a eu son procès
Kigali, on a eu ses auditions devant TREMBLAY et d’autres auditions devant TREMBLAY,
on a eu l’audition qu’il a donnée à ce moment-là devant le Monsieur juge d’instruction.
Hormis ce volet-là des choses, le volet dont disposait Monsieur VANDERMEERSCH
au moment où il a pris sa décision de non-inculpation est quasiment similaire
au dossier qui vous est soumis aujourd’hui. Et je m’en explique. De quoi avait-il
connaissance au moment où il prend cette décision ? Il avait connaissance
du rapport d’African Rights, « Pas si innocentes que ça ». Il avait
entendu sur la colline toutes les veuves qui sont venues défiler ici, toutes,
sans exception, sauf une, Marie Goretti MBATAYE, et pour cause, il ne l’a jamais
entendue, on ne l’a jamais entendue dans le cadre de la procédure belge. Il
avait pu prendre connaissance des versions des sœurs accusatrices, sauf il est
vrai sœur Solange, mais je vous ai dit, dans sa première déclaration, sœur Solange
ne dit pas un mot sur sœur Kizito. Il avait reçu tous les témoignages des sœurs :
celles qui étaient à Sovu en même temps que sœur Kizito et sœur Gertrude, en
ce compris sœur le témoin 2 qui a dû être entendue en France. Il avait entendu
les deux accusées en leurs explications, il avait entendu Monsieur le témoin 60,
il avait lu son article, il avait lu d’autres textes qui lui avaient été remis.
Il avait pris connaissance de la mission du père COMBLAIN, il avait eu tous
les écrits qu’ont écrit à cette occasion, les abbés CULLEN et DAYEZ. Il avait
déjà même entendu des témoins de contexte, comme Monsieur NSANZUWERA, Monsieur
le témoin 109, il avait reçu les rapports de l’ONU - en tout cas, certains - et il
était allé sur place au moins à trois reprises, au Rwanda. Et avec tout ça,
avec tout ça sous la main, il va décider qu’il n’y avait pas de sérieuses raisons
de penser que sœur Kizito pouvait avoir participé aux faits qu’on lui reproche
aujourd’hui.
Est-ce qu’après avoir entendu tout ce qu’il fallait
penser d’Emmanuel REKERAHO, vous penserez que ce seul élément pourrait vous
convaincre du contraire ? Et l’accusation est embarrassée par cette idée
de non-inculpation. Alors, on va tenter, si pas de vous tromper, en tout cas
de vous aiguiller d’une drôle de façon. Dans ses réquisitions verbales, Monsieur
l’avocat général ne parlera pas de la non-inculpation - le juge d’instruction
n’en avait pas parlé spontanément non plus, c’est moi qui ai dû lui poser la
question - et pourtant dans son acte d’accusation, il en parle - lire la page
29 attentivement : « MUKABUTERA Julienne sera également entendue
par le juge d’instruction, le 25 janvier 1996, mais celui-ci ne l’inculpera
pas à défaut d’indices suffisants à ce moment quant à la participation de l’accusée
aux faits mis à sa charge ». Jusque-là, pas de problème, ça correspond
fidèlement à ce qui est dit par Monsieur VANDERMEERSCH dans son ordonnance :
« L’instruction - on continue - va néanmoins - sous-entendu
qu’elle n’était pas finie, c’est vrai qu’elle n’était pas finie - se poursuivre
de manière active avec une nouvelle commission rogatoire au Rwanda, en juin
95 ». Ah ! « Se poursuivre de manière
active ». On est le 25 janvier 1996, et vous dire que ce qui a été fait
de manière active, c’est une commission rogatoire au Rwanda, en juin 95, soit
six mois avant que le juge d’instruction ne se prononce ?
Une commission rogatoire en janvier 1996, mais elle
n’a pas été faite après Madame et Messieurs les jurés, elle a été faite avant
que Monsieur VANDERMEERSCH ne se prononce : les pièces de cette commission
rogatoire ont été communiquées à Monsieur VANDERMEERSCH, le 16 ou le 17 janvier
- je ne me souviens plus exactement - et une commission rogatoire en Tanzanie
auprès du TPI - alors la belle affaire, on parle de cette commission rogatoire
de 97 ! celle-là, celle-là, le moins qu’on puisse dire, c’est que ça
a été le bide total ! Monsieur VANDERMEERSCH a voulu faire entendre des
gens qui étaient surtout des grands responsables du génocide et il y a eu une
consigne de l’ensemble de leurs avocats qui ont dit : « Refusez de
répondre aux questions ». Il est revenu bredouille, il n’avait pas une
seule déclaration dans la poche. Et on parle plus loin de « deux commissions
rogatoires d’une importance essentielle auront alors lieu, l’une au Rwanda,
et celle qui concerne Monsieur REKERAHO ».
Mais moi, je vous dis non, non, Madame, Messieurs
les jurés : l’instruction n’a pas continué sans désemparer. Je serais presque
tenté de dire que tout ce qui a été ajouté dans le dossier, concernait très
peu sœur Kizito, et peu de choses ont été ajoutées. Vous n’avez qu’à regarder
dans le carton 4, la sous-farde 9, en ce qui concerne l’instruction générale :
il y a un trou ! Les dernières pièces, c’est quasiment janvier-février
96 et puis -pouf ! - on passe directement 97, 98, 99 et on a encore quatre,
cinq pièces sur ces quatre années ! Monsieur le juge d’instruction vous
l’a expliqué : il n’a plus continué son instruction sans désemparer parce
qu’il n’avait plus les moyens du faire. Après janvier 96, on lui a refourgué
environ 400 dossiers sur l’année 96 - vous imaginez - c’est dire s’il a laissé
dormir cette instruction et tous les devoirs qu’il a fait entendre Monsieur
le témoin 42, premier ministre - ça ne concerne en rien sœur Kizito. Il n’y a pas
un élément véritablement à charge, hormis tout l’aspect REKERAHO qui est venu
s’ajouter.
Et puis, si Monsieur le juge d’instruction avait
voulu, s’il avait estimé que dans la suite de son instruction il y avait de
nouveaux éléments qui étaient accablants contre sœur Kizito, qui permettaient
à tout le moins de penser qu’il y avait des motifs sérieux de croire qu’elle
était responsable ou co-responsable de ce qui s’était passé, il aurait pu voir,
il aurait dû, après une certaine date, l’inculper, ce qu’il n’a jamais fait.
J’entends déjà Monsieur l’avocat général et les parties civiles dire :
« Mais le juge d’instruction malheureusement, Maître VANDERBECK, c’est
pas le juge de l’affaire. Il n’est pas chargé de juger au fond les personnages,
il ne doit pas donner son avis sur la culpabilité ou l’innocence des gens ».
C’est vrai, c’est vrai, c’est pas lui, le juge : c’est vous. Mais il n’empêche
qu’il s’agit là d’une sérieuse indication pour vous qui êtes des juges. Parce
que Monsieur VANDERMEERSCH, c’est un magistrat professionnel et pas des moindres,
c’est quelqu’un qui a une grande expérience de pouvoir distinguer l’innocent
du coupable, c’est son job aussi quand il inculpe quelqu’un : il ne doit
pas se tromper avec les éléments qu’il a, bien sûr, mais il prend une décision,
donc, il pose un jugement aussi.
Et pensez-vous un seul instant que si Monsieur VANDERMEERSCH
avait eu le moindre doute, il n’aurait pas inculpé sœur Kizito ? Justement,
le fait de dire qu’il a un doute, ça veut dire qu’il y a des indices de culpabilité
et qu’il y a un objet, un débat, et c’est très bien et c’est comme ça qu’on
doit faire pour préserver les droits des gens. Il ne l’a pas inculpée parce
qu’il ne pensait pas un mot de cette histoire. Soyons de bon compte : je
n’ai jamais entendu quelqu’un renvoyé devant la Cour d’assises qui n’avait pas
été au préalable inculpé. Je n’ai jamais entendu ça, jamais. Monsieur VANDERMEERSCH
vous l’a dit - à l’audience je pense qu’il a dit ça, je ne voudrais pas déformer
ses propos, mais il a laissé plus ou moins sous entendre dans ces termes - :
« Pour sœur Kizito, eh bien, la question qui se posera à vous est davantage
la question de cette essence et du 22 ».
Pensez-vous, Mesdames et Messieurs les jurés, que,
de tout votre être, Monsieur l’avocat général vous a démontré, sans le moindre
doute possible, de sorte que vous avez tous, du premier au douzième, et du premier
au douzième suppléant, la certitude que les accusations portées contre sœur
Kizito sont vraies ? Pensez-vous, après ce qu’on vous a exposé concernant
les témoignages des veuves : on ne pouvait pas les croire sur certains
points donc, on devait, si on ne pouvait pas les croire sur certains points,
pourquoi les croire sur d’autres ? Egalement pour les sœurs, également
pour REKERAHO, que l’accusation vous a démontré, sans le moindre doute possible,
que toutes ces personnes disaient vrai et que Kizito était bien cet Interahamwe
actif qui participait de gaieté de cœur aux massacres, le 22 avril.
Je pense, Mesdames et Messieurs les jurés, du moins
je l’espère, que comme moi, comme Monsieur VANDERMEERSCH, vous penserez qu’il
n’en est rien et vous acquitterez purement et simplement sœur Kizito. J’ai dit
et je vous remercie.
Le Président :
Merci, Maître VANDERBECK. Monsieur l’avocat général
est toujours prêt à répliquer ? Après une suspension ?
L’Avocat Général :
Oui, je suis prêt immédiatement.
Le Président :
Peut-être une petite suspension d’audience, d’une
part, pour qu’on puisse vous communiquer un projet de questionnaire, mais qui
est susceptible de voir s’ajouter des questions, aux derniers développements
notamment. Il y en aura peut-être d’autres en plus. Et d’autre part, Monsieur
l’avocat général souhaitait déposer une pièce supplémentaire qui est la loi
de 1996 au Rwanda, sur l’organisation de la manière de juger les génocidaires
et autres criminels de guerre. Donc, on versera un exemplaire de cette loi de
1996 au dossier, et un exemplaire pour chacune des parties. On va peut-être
maintenant suspendre jusqu’à, vous en aurez pour combien de temps dans vos répliques ?
L’Avocat Général :
Une heure environ.
Le Président :
Environ une heure. Donc, on terminerait vers
17 h 30 si on suspend jusqu’à 16 h 30. Ça vous convient ? Ça ne veut pas
dire que pour autant demain les répliques doivent être plus longues que ce qu’elles
n’étaient prévues hein ! Donc, on fait comme ça. On suspend jusqu’à 16
h 30 : pour le moment on joint un exemplaire de la loi de 96 rwandaise
et les parties reçoivent également un exemplaire de cette loi. |
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