assises rwanda 2001
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Débats Plaidoiries de défense compte rendu intégral du procès
Procès > Débats > Plaidoiries de défense > Défense V. Ntezimana
1. Défense V. Ntezimana 2. Défense A. Higaniro 3. Lecture par président lettre Monseigneur A.N. Dupuis 4. Défense C. Mukangango 5. Défense J. Mukabutera
 

9.4.1. Défense de Vincent NTEZIMANA: Maître CARLIER

Le Greffier : la Cour

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Bien, Mesdames et Messieurs les jurés, comme je vous l’ai annoncé hier, nous débutons aujourd’hui les plaidoiries de la défense de chacun des quatre accusés. La journée d’aujourd’hui étant consacrée à la défense de Monsieur NTEZIMANA ; demain, ce sera la défense de Monsieur HIGANIRO ; vendredi, la défense de sœur Gertrude et mardi - puisqu’il y a un jour de congé supplémentaire ­ mardi, la défense de sœur Kizito. Maître CARLIER, je vous donne la parole pour votre plaidoirie en ce qui concerne la défense de Monsieur NTEZIMANA.

Me. CARLIER : Je vous remercie, Monsieur le président. Je souhaiterais que puisse être distribué aux jurés un plan du quartier de Monsieur NTEZIMANA. Comme un tel plan ne figurait pas au dossier, il nous a paru utile pour que les jurés puissent suivre plus aisément.

Le Président : Merci. Les autres parties ont reçu connaissance de ce plan ? Donc, un exemplaire est versé au dossier et les jurés reçoivent, également, chacun un exemplaire de ce plan. Vous avez la parole, Maître CARLIER.

Me. CARLIER : Merci, Monsieur le président. Faites justice, ne faites pas vengeance. Faites justice, ne faites pas vengeance. C’est l’essentiel de ce que nous allons vous dire tout au long de cette journée.

 Je crois effectivement que ce procès, nul d’entre nous n’en sortira indemne. Cela a déjà été dit. Sept semaines déjà : c’est long physiquement, moralement, pour chacun d’entre nous. Rentrer dans l’horreur. Il n’y aura pas que sept semaines, il y aura encore après, et il y aura encore après le procès. Ca va continuer à nous habiter, c’est certain. Et en même temps, ce n’est rien, je dirais même : « C’est dérisoire par rapport à ce qui s’est passé au Rwanda, il y a sept ans ». Ces quelques insomnies que nous avons, ou aurons encore, par rapport aux souffrances du génocide, ne sont rien du tout. Alors, on peut se demander s’il y a, face à ça, face à 800.000 morts, face aux victimes, face aux familles, face aux témoins que l’on a vus ici : est-ce qu’il y a une place pour les mots ? Est-ce qu’il y a une place pour la parole ? Est-ce qu’il y a une place pour une parole de défense ? Est-ce qu’on n'a pas, quelque part en nous, envie de dire : « Un accusé contre 800.000 morts, quelle importance si on se trompe, cela ne fait pas le poids ? de toutes façons ! Ca n’est pas très grave ».

Et je crois que là serait l’erreur fondamentale. Le rôle de la justice, le rôle de ce procès, c’est de ne pas faire cette erreur-là. De ne pas ajouter à l’inhumain un autre inhumain, de ne pas ajouter à l’injustice une autre injustice. C’est d’entendre effectivement une parole de défense, un procès pénal sert à cela. Un procès pénal, c’est pas tout à fait comme un procès civil, c’est pas comme quand on a un problème de divorce ou un problème avec son locataire ou son propriétaire : on va devant le juge et puis, chaque partie, des deux côtés, donne son point de vue et le juge tranche. Un procès pénal, c’est la société qui poursuit et ici, c’est la société, on l’a dit, sans frontières face à des crimes sans frontières. Et quand la société poursuit, intervient le représentant de la société, le procureur qui est là pour poursuivre, pour accuser. Mais interviennent aussi des représentants des victimes, les parties civiles, qui font valoir ce qu’elles ont eu en tant que victimes et qui vont demander réparation, et qui ont le droit de demander réparation. C’est à ça que sert la justice pénale. L’avocat général est là pour représenter la société, pour éviter que la justice, ce soit la vengeance, c’est-à-dire, éviter que ce soit la loi du Talion, l’œil pour œil. Ce n’est plus la justice des personnes, c’est la justice des hommes de la société.

Ici, les parties civiles ont été représentées, et bien représentées, avec beaucoup de talents, vous le savez, et je le sais aussi. Au Tribunal pénal international pour le Rwanda, à Arusha, dont on a parlé, elles ne peuvent pas être présentes. Elles n’ont pas le droit à la parole. Cela nous paraît étrange, c’est le système anglo-saxon. Je trouve mieux que les parties civiles aient la parole et qu’elles soient ici. Mais j’ai une crainte, j’ai une crainte quand la justice de la société risque de ne plus être la justice de la société, quand les parties civiles sont tout le temps dans le dossier, depuis le début et jusqu’à la fin, quand les plaidoiries des parties civiles sont plus dures que le réquisitoire du procureur qui représente la société. J’ai un malaise, j’ai une crainte du glissement de la justice vers la vengeance. Les victimes, parfois en raison même de leurs souffrances, ne sont pas les mieux placées pour désigner qui est le vrai coupable.

Il y a un témoin ici qui nous a dit quelque chose d’important à cet égard. C’était, vous vous en souviendrez peut-être, un sociologue rwandais, le témoin le témoin 41, numéro 153, je n’aime pas donner des numéros, mais je me dis : « Cela permet de retrouver dans vos notes, éventuellement, quand on parle de tous ces témoins parce qu’on en a entendu beaucoup ». Le témoin 153, le témoin 41, est venu témoigner, il a dit dès le début : « Moi, je ne suis ni à charge, ni à décharge, je viens raconter ma propre histoire ». Son vécu, comment il a dû fuir et puis, en tant que sociologue, comment il a analysé certaines choses et, à un moment donné, il a une phrase, une phrase qui m’a beaucoup frappée, il dit ceci : « La douleur des victimes est légitime, mais elle n’est pas toujours lucide ».

C’est normal, c’est votre rôle à vous, de jurés, d’être lucides. C’est votre rôle à vous, de juge, d’être prudent. Vous savez, on parle de jurisprudence, la prudence du droit, c’est dans ses jugements, c’est votre rôle. Et c’est pour ça que vous devez entendre une parole de défense, une parole de défense de Vincent NTEZIMANA parce que, depuis le début, il dit, il répète qu’il n’est pas coupable de ce dont on l’accuse.

Il faut entendre ses paroles de non-culpabilité. Et pour le faire, je crois que ce que nous devons voir ensemble : ce sont les faits, les faits et la personne. C’est ce qu’on va faire au long de cette journée. Avant cela, je voudrais développer un petit point de droit - petit examen de droit, c’est la période des examens, pour les étudiants. Elle approche ! Rassurez-vous, ce ne sera pas un examen pour vous, ce sera peut-être un examen pour la Cour, mais je m’adresse à vous sur ces points de droit aussi parce que c’est important. Ca concerne les questions qui vont vous être posées. Monsieur le président en a parlé hier, que ces questions vont être préparées et que vous devrez y répondre ! Et je crois qu’il y a une question de droit qui se pose, on a parlé de la problématique du conflit interne et on a parlé du génocide.

Je voudrais rencontrer ces deux questions-là : le conflit interne et le génocide.

Le conflit interne d’abord.

On vous l’a déjà expliqué, vous êtes compétents de par cette compétence universelle que la loi belge a voulue en 1993, 16 juin 1993. C’est une loi qui ratifie les Conventions de Genève de 1949, après la deuxième guerre mondiale. Convention de Genève qui parle d’abord des conflits internationaux, des guerres internationales comme on a eu pendant la deuxième guerre, et puis, elle va s’étendre, par un Protocole numéro 2, également au conflit interne qui se passe dans un pays. Voilà ces Protocoles additionnels des Conventions de Genève. Et je vous dis tout de suite : « Je ne veux pas ergoter du tout et je suis d’accord avec Monsieur l’avocat général pour dire qu’il y avait conflit interne au Rwanda, mais je crois que c’est une question de fait qui devra vous être posée pour votre compétence ». Est-ce qu’il y avait, comme le dit le Protocole, deux groupes armés organisés sous un commandement responsable, l’un exerçant sur une partie d’un territoire un contrôle tel que ça lui permette de commettre des opérations militaires continues et concertées, et d’appliquer le Protocole.

Eh bien, je crois que oui, ces conditions étaient remplies. Je crois qu’il y avait conflit interne. Alors, la question que je me pose c’est pourquoi s’arrêter là ? Pourquoi ne pas parler de génocide, alors que c’est ça la réalité ? On le sait, c’est le troisième génocide de ce siècle. On en parle, mais on dit : « Légalement, on ne peut pas en parler parce que cette loi de 93 n’a été modifiée qu’en 1999, pour parler alors de crimes contre l’humanité et de génocide ». On vous a dit à l’accusation : « Le génocide va être nié ou il va être diminué. Ou encore, il va être expliqué parce qu’on était dans une question d’autodéfense ». Jamais, jamais Vincent NTEZIMANA n’a nié le génocide. Le titre de son livre : « La justice belge face au génocide rwandais ». Alors, pourquoi ne peut-on pas parler de génocide, en droit, dans cette Cour d’assises ? Est-ce vraiment pour un motif légal, parce que la loi de 1999 : « C’est trop tard, c’est après qu’on ait commencé fin 94, début 95, à instruire, c’est-à-dire à enquêter sur ce dossier ».

Eh bien, je ne le crois pas, je ne crois pas que la loi de 99 ne puisse pas s’appliquer à ce procès. Je ne crois pas, comme on le dit, que cette loi de 99 sur les crimes contre l’humanité et le génocide ne peut pas avoir d’effet rétroactif. Les travaux préparatoires de cette loi le disent très clairement. Je cite un extrait des travaux préparatoires : « La nouvelle loi sera, de toutes façons, applicables aux violations du droit humanitaire international commises avant son entrée en vigueur ». Alors on pourrait se dire : « Oui, mais ça, c’est pour les procès qui viendront après, même si c’est pour des faits avant la loi. C’est ça, la rétroactivité ». Ici, il y avait déjà une instruction en cours, quand la loi arrive en 99. Et il y a un peu de débat là-dessus, mais la majorité de la doctrine, le professeur Eric DAVID que l’on a cité de temps à autres, de l’ULB, est pour cette rétroactivité, Monsieur Pierre D'ARGENT, de l’UCL  - pour citer un peu toutes les universités, parce que parfois on dit : « C’est un côté ou l’autre qui est pour cette rétroactivité » - mais de toutes façons, il y a plus, et j’attire l’attention de la Cour là-dessus. Pour une référence, ça c’est pas pour vous, ce serait pour la Cour. Dans le Journal des Tribunaux de 1999, page 549, il y a un article de Pierre D'ARGENT sur cette question de l’ensemble de cette loi. Il y a une note intéressante… souvent, les juristes, ils mettent comme ça les choses en note, en dessous. Il y a une note 59 qui parle de la rétroactivité et qui dit ceci : « La rétroactivité suppose seulement qu’une nouvelle qualification pénale s’applique à des faits déjà incriminés sous d’autres qualifications ». Cela veut dire, on peut avoir dit jusqu’à présent : « Monsieur NTEZIMANA a commis des crimes dans le cadre d’un conflit armé interne ; maintenant qu’on a cette loi sur le génocide et sur le droit humanitaire, on peut dire : c’est le même crime, on lui donne une autre qualification, une autre définition. Ce sont des crimes de droit humanitaire, ce sont des crimes de génocide ». Et je crois qu’on peut le faire.

Et j’aimerais… j’aimerais qu’avant les questions qui seront posées, de façons précises, sur chaque fait, sur chaque acte, sur chaque accusation, pour chaque accusé, qu’on aborde deux questions préalables. Deux questions de contexte des faits. Un : y a-t-il eu, à cette période, conflit interne au Rwanda ? « Oui ! ». Mais deux, ajoutez aussi : y a-t-il eu, à cette même période, génocide au Rwanda ? Je crois que, si on veut vraiment que ce procès ait l’importance qu’on lui dit, il n’appartient plus seulement à nos représentants politiques de reconnaître qu’il y a eu procès au Rwanda, il appartient aussi de reconnaître qu’il y a, ici, procès sur génocide au Rwanda, et aux jurés que vous êtes du faire.

Je déposerai, le cas échéant, le document du libellé des questions suggérées. J’ajoute tout de suite sur cette problématique des questions que, si cela est reconnu, le contexte du conflit armé, le contexte du génocide, ce que vous avez à juger, ce sont des actes précis, ce sont des accusations précises qui sont portées, et là aussi, vous devrez dire : « Oui ou non ». Est-ce que Vincent NTEZIMANA est coupable de ça ? Et pas de façon générale. Est-ce qu’il a participé au génocide en général ? Les Protocoles de la Convention de Genève auxquels on a fait référence le disent très clairement, dans le Protocole numéro 2, c’est l’article 6 : il dit ceci, petite lettre b : « Nul ne peut être condamné pour une infraction si ce n’est sur la base d’une responsabilité pénale individuelle ». Responsabilité pénale individuelle. Ca veut dire : « Vincent NTEZIMANA a commis ce fait-là précis », ça ne veut pas dire : « On a le sentiment que Vincent NTEZIMANA a participé au génocide ». Cela me paraît important, et je vais en terminer avec ces questions de droit et de questions à poser aux jurés, Monsieur le président, Madame le juge, Monsieur le juge. Je crois aussi que dans les questions spécifiques, on va aborder les faits dont Vincent NTEZIMANA est accusé.

Et vous avez ces faits, ces accusations, c’est normal ; dans l’acte d’accusation de Monsieur l’avocat général que vous avez, c’est à la page 36 où sont repris les accusations contre Monsieur NTEZIMANA. Et, avant les accusations précises que vous avez à la page 36, il y a la référence générale qui est de dire : « C’est soit avoir donné l’ordre, proposé, provoqué, participé ou omis d’agir » et Monsieur l’avocat général a insisté là-dessus en disant : « Faut pas prouver que NTEZIMANA a fait quelque chose, il suffit qu’il n’ait pas agi ». C’est plus précis que cela. Il ne suffit pas qu’il n’ait pas agi, en général ; c’est que, par rapport à un des faits précis, on lui reproche qu’il n’ait pas agi. Et je crois qu’effectivement, il y a un fait où la question se pose de façon pertinente, et sur laquelle vous devrez délibérer.

Et c’est le motif pour lequel je souhaiterais… plutôt qu’une sorte d’examen d’omission général… au point 6, qui est ce fait de la jeune fille assassinée, dans la parcelle, chez Monsieur NTEZIMANA. C’est lui-même qui a dit ce fait-là. Et il dit : « Je n’ai rien fait », et on va examiner tout à l’heure comment. Là se pose expressément la question. Et en dessous de ce point 6, à côté de la question qui serait de savoir : est-ce qu’il a volontairement, avec intention de donner la mort et avec préméditation, commis un homicide sur la personne d’une jeune fille blessée dont l’identité n’a pas été déterminée ? Je crois qu’il faudrait ajouter une deuxième question, juste en dessous : est-ce qu’il a omis d’agir dans les limites de sa possibilité d’action pour empêcher l’homicide sur cette jeune fille ?

Deuxième précision quant aux questions spécifiques relatives à Monsieur NTEZIMANA, c’est la dernière accusation. Si vous l’avez sous les yeux, c’est le numéro 8 qui dit : « Volontairement, avec intention de donner la mort et avec préméditation, commis des homicides sur un nombre indéterminé de personnes ». Ca, ce n’est pas précis. Je ne crois pas que la question puisse être posée telle quelle. Je crois qu’il y a une question que vous devez rencontrer, et on va examiner ce fait : c’est la question des listes. Si des listes ont été faites, ont servi pour tuer, alors : oui, il y a un nombre indéterminé de personnes qui peut avoir été tué à cause de ces listes. Ca, ça doit être tranché. Il faudrait que cette question soit précisée et que l’on dise : « Volontairement, avec intention de donner la mort et avec préméditation, dresser des listes qui ont permis de commettre des homicides sur un nombre indéterminé de personnes ». Voilà pour les points de droit. Ce devrait être moins complexe maintenant, mais je suis néanmoins persuadé que ce sont des questions dont vous pouvez comprendre effectivement la pertinence.

Je n’ai pas l’idée de Monsieur DEGNI-SEGUI, le représentant des Nations Unies que l’on a entendu ici, qui était de dire, il ne parlait pas de vous, il parlait de la justice au Rwanda et dans d’autres pays : « Comment des juges non professionnels peuvent juger de quelque chose d’aussi important et qui va toucher à la vie des personnes que l’on va condamner ? Même si ce n’est pas à mort, c’est toute une vie en prison ». Je ne crois pas. Je partage l’avis de ceux, je l’ai dit très très tôt, qui croient que vous êtes douze jurés, désignés comme douze citoyens du monde par rapport à des faits inadmissibles pour l’humanité, et que c’est aux citoyens du monde à juger de cela, quelque difficile que ce soit.

Examinons les faits qui sont reprochés à Vincent NTEZIMANA, et examinons-les de front. Maître LARDINOIS, à juste titre, a dit hier : « Quand on est innocent, on ne contourne pas les accusations, on les rencontre ». Et vous savez… enfin, peut-être que vous vous souvenez, tout au début de ce procès : Vincent NTEZIMANA n’a rien demandé du point de vue de la procédure, il n’a pas demandé d’écarter des pièces qui le dérangeraient. Il y en avait peut-être, a priori, hein ! Les vidéos, Innocent NKUYUBWATSI : ça venait d’arriver, c’était tout frais. On pouvait demander que les jurés ne voient pas ça. Rien. Rien n’a été écarté du point de vue de Vincent NTEZIMANA. Alors, l’accusation vous a dit : « Quand on examine les faits, tout colle, tout colle avec la personnalité de NTEZIMANA, et les faits collent ». Je n’ai franchement pas cette impression-là ou alors, il faut de la super glue ! Mais même, ça ne colle pas ou alors, ça nous donne un tableau artistique de collage de choses différentes.

Peut-être, oui, peut-être qu’il faut de l’art aussi pour faire comprendre ce qui s’est passé au Rwanda, pour faire comprendre le génocide. Vous savez, un peu comme PICASSO l’a fait : le massacre de Guernica en Espagne par les Allemands. Il a fait ce merveilleux tableau qui est cette espèce de collage des visages, des têtes de bêtes et c’est peut-être là qu’on ressent le mieux l’horreur. L’art aura aussi un rôle de mémoire à jouer dans ce qui s’est passé, et il le joue déjà d’ailleurs. Il y a une merveilleuse pièce de théâtre « Rwanda 1994 », mise en scène par une troupe belge GROUPHOF, partie au Canada maintenant. C’est aussi ce travail de mémoire dans lequel jouent des comédiens belges, rwandais, et des non-comédiens. GASANA Ndoba, par exemple, qui est partie civile, donne sur écran vidéo son point de vue de linguiste qu’il est, des difficultés du kinyarwanda. Yolande MUKAGASANA raconte l’horreur de ce qu’elle a vécu, comme elle l’a raconté ici, c’est un travail de mémoire vivante qui doit se faire mais ici, nous sommes aussi dans un procès et ce procès, on l’a dit, on l’a répété : « C’est aussi de la mémoire vivante ». Mais c’est aussi juger, juger une personne, savoir si Vincent NTEZIMANA est coupable ou non.

Il y a cinq faits : les listes, la famille KARENZI, la famille NDUWUMWE, le jeune homme à la barrière et la jeune fille dans la parcelle chez Vincent NTEZIMANA. Examinons-les tous les cinq.

Les listes d’abord. La question des listes.

Vous connaissez les faits. Ce sont des listes établies par des professeurs de l’université du Rwanda à Butare, d’initiative ou à l’initiative de Vincent NTEZIMANA, en vue de réaliser trois convois pour quitter Butare. L’accusation est de dire : « Ces listes ont servi pour tuer, l’objectif n’était pas d’évacuer ces personnes ou ces listes étaient un piège pour retarder leur départ et pouvoir après les tuer ». Et un témoin a dit, l’accusation l’a rappelé, le témoin 150 d’une part, il a dit : « Moi-même, je voulais me mettre sur ces listes et quand je me suis renseigné, Vincent NTEZIMANA n’était pas là. Je suis allé chez un autre qui m’a dit : mais Tharcisse, tu es naïf, ce convoi, les bus pour partir, vous ne l’aurez jamais ». Donc, ce serait la preuve que c’était bien un piège, que c’était juste des listes pour tuer. Et le témoin 150 a même ajouté : « Tous ceux qui se sont fait inscrire sont morts ».

Cette question a été posée, rappelée d’ailleurs par les parties civiles, je crois également par Madame le quatrième juré de complément à un moment, tout au début, tout au début, quand on était encore dans le vague de ce dont on parlait : « Est-ce qu’il y a eu des listes pour évacuer ? ». Cette question était posée, si j’ai bonne mémoire à Madame le journaliste Colette BRAECKMAN du « Soir », comme témoin. Et elle a dit : « A ma connaissance, non, il n’y a jamais de listes pour évacuer, toutes les listes ont été faites pour tuer ».

Alors, il y a un problème, c’est qu’on a eu un témoin vivant, ici. Alors, on pourrait dire : « Il y a réchappé miraculeusement ». C’est le témoin 59, le témoin 15, pour le situer, il a dit qu’il travaillait à l’agence spatiale européenne. Il est Hutu, sa femme est Tutsi, il s’est inscrit sur ces listes. Il nous a expliqués d’ailleurs qu’un magasin qu’il avait en ville et qui était tenu par des jeunes avait été… comme on a fait pendant la deuxième guerre mondiale où on mettait des étoiles jaunes… là, on mettait des T. On avait mis T pour Tutsi sur son magasin. Et donc, il s’est mis sur ces listes pour pouvoir partir avec ces convois. Alors, finalement, on sait que l’évacuation ne s’est pas faite. J’y reviendrai. Mais j’ai été frappé par la réponse qui a été donnée par ce témoin à la question de savoir : « Est-ce que ces listes ont été faites pour tuer ou comme piège ? ». C’est peut-être un artiste aussi, parce qu’il nous a donné une réponse qui nous a un peu surpris au premier abord. J’ai noté les mots : c’est l’histoire du steak. Il a dit : « C’est comme celui qui se faire cuire un steak, se touche le nez, nettoie les toilettes, va à Liège, achète un ordinateur, revient devant son steak, persuadé que tout cela était nécessaire avant de manger son steak ». Après un petit moment, Monsieur le président, ce n’est peut-être pas une mauvaise définition, c’est peut-être simplement dire quelle complexité que de faire des listes pour tuer ceux que nous étions. Il a même ajouté : « La réalité était bien plus simple, la vie d’un Tutsi ne valait rien ».

Est-ce que ces listes étaient nécessaires pour tuer ? Est-ce qu’il n’y avait pas d’autres moyens de reconnaître les Tutsi des Hutu ? Vous avez eu un de ces moyens sous les yeux, la carte d’identité qui a circulé. La carte d’identité du témoin le témoin 139 qui, par ailleurs, a dit : « Il y avait beaucoup de documents qui avaient disparu de l’administration, cela pouvait aussi servir parce que, partout, sur tous les documents officiels, c’est malheureusement le résultat de ce que nous avons fait au Rwanda : l’ethnie était et est encore mentionnée. Même les listings de l’université comportaient cette mention ».

Cette question des listes, je crois, a été bien résumée par l’administrateur trésorier adjoint de l’université, c’est le témoin 66, le témoin 105. Il a expliqué qu’il était à ce poste d’administrateur trésorier adjoint parce qu’il avait fait ses études au Canada, c’était les Canadiens qui, avant, occupaient la trésorerie et qui voulaient mettre quelqu’un de confiance, de sérieux, c’est comme ça qu’il avait ce poste d’administrateur trésorier. Et il a confirmé ses déclarations qu’il avait faites en août 97. « Oui, il y a eu des listes. Oui, il y a eu une demande d’évacuation, et c’était une lettre de Vincent NTEZIMANA, en tant que président de l'APARU avec, en annexe, ce que Vincent NTEZIMANA a toujours dit : les listes étaient faites par les personnes elles-mêmes, c’est pas lui qui a dressé les listes. On lui a communiqué les listes que chacun faisait et il a mis cette lettre de demande d’évacuation. Oui, il y a eu une réunion à propos de cette demande d’évacuation - réunion de direction avec le vice-recteur et le trésorier - et il y a eu un refus de réaliser cette évacuation. Plusieurs motifs ont été avancés d’ailleurs : manque de ressources, à la fois humaines et matérielles, pour constituer l’escorte, et les dangers, les risques ». Quoi qu’on en pense, les barrages étaient déjà installés et on a revu les dates données par des témoins ! Il y a même un témoin qui dit que, dès le 7 avril, les premiers barrages s’installaient, lorsqu’il revient à Butare.

Alors, face à cela, on va faire d’autres reproches à Vincent NTEZIMANA, c’est d’avoir remis cette liste au vice-recteur. Le vice-recteur, Jean-Berckmans NSHIMIYUMUREMYI, en disant : « C’est un extrémiste, il savait qu’en donnant cette liste au vice-recteur, elle serait utilisée à d’autres fins, et il était le bras droit du vice-recteur et c’est pour ça qu’il fait ça, qu’il les donne à lui et qui plus est, il ne les donne pas à l’université, il va les donner à son domicile privé, à une personne qui se trouve là ».

Sur la question du domicile privé, pour écarter cela, juste un coup d’œil sur le plan que vous avez. Vous voyez, vers le centre, un numéro 2, c’est la maison de NTEZIMANA, c’est un plan du quartier de chez lui. Et si vous montez tout droit, au-dessus, il n’y a pas de numéro, c’est un peu au-dessus du numéro 4, vous voyez : vice-recteur. Là, c’est la maison du vice-recteur. Vous voyez que le centre ville… c’est tout en haut à gauche pour aller vers la ville… et puis traverser la ville et, vous vous souvenez, le juge d’instruction l’a expliqué : « Pour aller au campus de l’université, il faut traverser la ville et passer de l’autre côté, on a d’ailleurs discuté dix minutes… un quart d’heure dix minutes jusqu’à la ville et puis, encore dix minutes pour aller jusqu’à l’université ». L’université est fermée à ce moment-là. Dans sa déposition, le témoin le témoin 105 dit d’ailleurs qu’ils n’ont quasi plus accès au campus lui-même, c’est simplement les vacances ! Il est tellement plus simple d’aller porter cette liste chez le vice-recteur qui n’est pas très loin que d’aller à l’autre bout, effectivement, les porter à l’université.

Mais là n’est pas l’important, c’est de dire pourquoi les donner à lui, que ce soit à l’université ou chez lui. La réponse a été donnée très simplement par le recteur qu’on a entendu ici. le témoin 108, c’est le témoin 97. Il a très clairement dit : « C’est le rôle du vice-recteur, des questions comme celle-là. Il y a un recteur qui chapeaute l’ensemble de l’université, et le vice-recteur est responsable pour chaque campus et pour les questions pratiques, pragmatiques sur le campus. C’en est une ». Alors, cela n’exclut pas que Vincent NTEZIMANA pourrait être le copain du vice-recteur ? Deux extrémistes qui sont en train de préparer le génocide… Mais c’est pas l’image qu’on nous donne de la relation entre Vincent NTEZIMANA et le vice-recteur. On y dit deux choses. Une, que Vincent NTEZIMNA, en tant que président de l’APARU, avait mené des activités qui ne plaisaient pas trop au vice-recteur : grève à propos des locations notamment… des loyers et puis, on se plait à raconter une anecdote, que Vincent NTEZIMANA avait racontée ici en audience aussi, qui se passe au moment de cette grève des loyers, que l’Association du personnel menée par Vincent NTEZIMANA fait contre les autorités, contre le vice-recteur. A un moment donné, on va, hein, pour ses revendications… qu’est-ce qu’on fait ? On va au bureau de l’autorité. On va au bureau du vice-recteur et on constate qu’il n’est pas là. Et alors, on dit : « Vincent NTEZIMANA a dit : le siège est vide, vous voyez comme il est ambitieux, il voudrait déjà prendre la place du vice-recteur ». Vincent NTEZIMANA avait raconté cette anecdote, juste avant que le témoin le témoin 9 qui, lui, a pris le siège, il est devenu vice-recteur après, jusqu’en 1994, après il est devenu en 1994, lui attribue ces paroles à Vincent NTEZIMANA alors que c’était quelqu’un derrière mais peu importe. C’est qu’on les met en opposition. Ils ne sont pas copains, copains. On dit très clairement qu’ils sont en opposition à cause des activités de NTEZIMANA et, pour certains aussi, parce qu’il serait ambitieux qu’il voudrait prendre cette place.

Alors, on va faire un autre reproche à Vincent NTEZIMANA. Puisqu’on ne sait pas établir que ces listes étaient faites pour tuer, on va dire : « Mais quand l’évacuation ne s’est pas faite, une des causes qui ont été avancées, c’est de dire : c’est trop dangereux pour les Tutsi », je vous rappelle, il y avait d’autres causes aussi, assurer l’escorte mais c’est trop dangereux pour les Tutsi. « Pourquoi alors n’avez-vous pas évacué au moins les Hutu qui demandaient à partir ? » Vous imaginez ce que je devrais plaider aujourd’hui devant vous si on avait organisé l’évacuation des Hutu et pas des Tutsi ? Vous imaginez ce que l’on ferait comme accusation de sélection ethniste ? Alors, on va encore reprocher à Vincent NTEZIMANA de ne rien avoir fait d’autre que ces listes : « Une fois que l’évacuation ne se fait pas : qu’est-ce que vous faites d’autre, alors ? ». Ça, c’est extraordinaire ! Je fais des listes, je suis accusé ! Si je n’avais pas fait de listes, je serais accusé de ne rien avoir fait. Je fais des listes, elles ne permettent pas l’évacuation, je suis accusé de ne rien avoir fait après. Que je fasse ou que je ne fasse pas, je suis coupable. Il fait tout ce qu’il peut dans la mesure de ses moyens, parce qu’on le lui demande, en tant que président de l’Association du personnel académique, d’essayer d’organiser ces convois et après, on va lui reprocher de ne pas avoir fait plus, mais après lui avoir reproché d’avoir fait cela… Et je fais aussi une parenthèse, mais cela va revenir à d’autres reprises : l’accusation de ce qui est fait et l’accusation de ce qui n’est pas fait.

Les rondes, c’est la même chose. Il y a eu une réunion chez le professeur KARENZI pour voir comment on organisait des rondes dans le quartier. Dans un premier temps, Vincent NTEZIMANA refuse d’y participer. On le lui reproche. Dans un deuxième temps, il se dit contraint, il y participe, on le lui reproche. Même chose à l’égard des étudiants, il n’y avait pas de faits dans l’acte d’accusation retenus. On n’accusait pas Vincent NTEZIMANA d’avoir tué des étudiants ou d’avoir désigné des chambres d’étudiants, à tuer. Maintenant, ça apparaît, on a eu effectivement une constitution de partie civile, et dans cette constitution de partie civile, on dit : « Un témoin rapporte que Vincent NTEZIMANA avait localisé les chambres des étudiants Tutsi et que c’est donc à cause de lui que les étudiants Tutsi ont été massacrés ». On l’accuse d’avoir fait, et, ici en audience, on n’a pas parlé de ça. Souvenez vous, on a demandé à Vincent NTEZIMANA pourquoi il n’est pas allé à l’université pendant cette période s’inquiéter de ce qui se passait avec les étudiants. Et c’est là qu’il y a eu toutes ces discussions. Il a dit : « Plus de transport, c’est difficile. Il faut traverser toute la ville, il faut aller de l’autre côté », et on se demandait : « Mais enfin, est-ce que c’est si pénible que ça, est-ce que les barrières sont vraiment déjà mises etc. ? ». Mais il y a eu toutes ces discussions parce qu’on lui reprochait de ne pas être allé à l’université. Il ne va pas, il ne fait rien, on le lui reproche.

Maintenant, on lui reproche qu’il serait allé et vous savez, à une suspension de séance, juste après cette discussion, Vincent NTEZIMANA me disait : « Mais je ne comprends pas, parce que je suis presque certain que si j’avais dit : je suis allé à l’université, on m’aurait accusé d’être allé pour désigner des chambres de Tutsi ». C’est ce qu’on fait. C’est là que parfois, il y a un certain malaise. Cette propension à accuser Vincent NTEZIMANA, simultanément de ce qu’il a fait ou le contraire de ce qu’il n’a pas fait. Cette propension est un excès. Et cet excès conduit à s’interroger très sérieusement sur la volonté de nuire.

Sur ces listes, il y a une question très simple qui me taraude : « Pourquoi le professeur KARENZI s’est-il inscrit sur ces listes ? Pourquoi le professeur Pierre-Claver KARENZI s’est-il inscrit sur ces listes ? ». Bien sûr, parce qu’il croyait que ce serait une évacuation. Mais pourquoi a-t-il fait confiance à Vincent NTEZIMANA ? Il sait que c’est Vincent NTEZIMANA qui organise ces tentatives d’évacuation. S’il a le moindre doute, s’il a le moindre soupçon à l’égard de Vincent NTEZIMANA, que Vincent NTEZIMANA serait l’extrémiste que l’on présente, est-ce qu’il lui ferait confiance ? Est-ce qu’il se mettrait sur cette liste ? C’est un collègue de Vincent NTEZIMANA, il a son bureau à côté du sien, c’est le sage, c’est le maître. Alors, on pourrait dire : « Il ne savait pas, c’est le visage caché de Vincent NTEZIMANA, personne ne savait à l’époque qu’il était extrémiste ». C’est pas l’image que l’on voulait donner de lui et on le verra tout à l’heure. Je ne comprends pas cela.

La déclaration de GASANA Ndoba. Tout au début de l’enquête, en septembre 1994, 30 septembre 1994, il dit ceci, entendu par l’inspecteur DESTEXHE, il dit : « Quant aux relations de mon frère - c’est le professeur KARENZI - quant aux relations de mon frère avec NTEZIMANA, mon frère n’entretenait pas de querelles personnelles à l’égard de celui-ci mais, à l’inverse, NTEZIMANA se répandait en propos malveillants à son égard, ce qui a choqué d’aucun ». NTEZIMANA se répandait en propos malveillants à l’égard du professeur KARENZI et le professeur KARENZI n’en aurait absolument rien entendu, rien eu connaissance et il lui aurait fait confiance. Confiance, peut-être on peut le comprendre pour d’autres questions, discuter politique, ils n’avaient pas les mêmes points de vues et il y a même un témoin qui a dit, il y a une déclaration au dossier qu’effectivement, lorsque le parti de Monsieur Vincent NTEZIMANA, le PRD, a été créé, c’est l’ancien doyen de la faculté des sciences Ezéchiel BIZALINKUMI, il a dit : « Je me souviens d’une discussion, effectivement, où Vincent NTEZIMANA envisageait de discuter avec d’autres professeurs de la création de ce parti, il m’avait soumis les statuts de ce parti et parmi les professeurs avec qui il envisageait d’en discuter, il y avait le professeur KARENZI ». Ne croyez pas qu’il allait rallier le professeur KARENZI à ce parti, ce n’était pas ça, il voulait en discuter avec lui. On peut comprendre que là, il y ait des désaccords, le cas échéant, mais, au moment de devoir confier sa vie pour cette évacuation, la vie de sa femme, la vie de ses enfants, la vie des enfants qui logent chez le professeur KARENZI, pourquoi fait-il confiance à Vincent NTEZIMANA en se mettant sur ces listes. Il n’y a qu’une réponse : parce qu’il avait confiance. Il n’y a que cette réponse-là possible. Mais alors, Vincent NTEZIMANA ne se répandait pas en propos malveillants à l’égard du professeur KARENZI, il y avait une confiance effective. Il s’est inscrit sur ces listes parce qu’il avait confiance, c’était des listes pour évacuer, ce n’était pas des listes pour tuer et on sait que ces listes-là n’étaient pas nécessaires pour tuer.

Ceci m’amène au deuxième fait : le massacre de la famille KARENZI.

Il se passe en trois temps, Monsieur KARENZI, son épouse et les enfants. Monsieur KARENZI, cela se passe le 21 avril, on sait que c’est le tout début des massacres à Butare, qui ont commencé la veille. Il y a eu l’assassinat de la reine-mère, symbolique effectivement, si on peut toucher à la reine des Tutsi, on peut tous les éliminer, c’est éminemment symbolique. Et Monsieur KARENZI est certainement aussi une personne symbolique, respectée par tout le monde. Est-ce qu’il fallait, parce que c’est ça, le lien qu’on fait des listes… le professeur KARENZI étant sur la liste, est-ce qu’il fallait la liste pour que Monsieur KARENZI soit tué ? Si vous jetez un coup d’œil sur le plan, vous voyez, au centre, c’est le numéro 1 : c’est la maison de Monsieur KARENZI. Vous voyez, plus haut, à peu près en face de la maison du vice-recteur, GICANDA, c’est là, la reine-mère, c’est la maison de la reine-mère. Et un témoin dit d’ailleurs, dans le dossier : « Ils sont venus, ils ont commencé par tuer la reine-mère et puis, après, le lendemain, ils sont revenus et ils poursuivent ».

Nous avons, comme témoin du massacre de la famille KARENZI, Yvette, le témoin 134 qui est venue ici, qui a écrit ce qu’elle a vécu dans un cahier, qui a fait une déposition lors d’une des commissions rogatoires et qui est venue témoigner ici. Yvette dit notamment ceci : « Le 21 avril 94, une date inoubliable - c’est ce qu’elle écrit dans son cahier - il était 15 heures quand KARENZI est venu. Il nous a trouvés couchés et il nous a fait lever, en nous disant : vite, vite, levez-vous ! ». Il venait de recevoir un appel téléphonique et, dès qu’il avait répondu, le correspondant avait aussitôt coupé. Et, effectivement, les tueurs vont arriver. Et qui sont les tueurs ? A la page 7 de son carnet, Yvette dit ceci : « Nous avons entendu des gens frapper à la porte, des GP - membres de la garde     présidentielle - ils montaient la garde chez Monsieur BARARENGANA Séraphin, petit frère de Kinani ». Kinani, c’est le président le témoin 32. Vous voyez, sur le plan, juste au-dessus du numéro 1, la maison de KARENZI, le numéro 4, la maison de BARARENGANA. Ce sont les gardes présidentiels qui sont là, qui gardent cette maison-là, qui viennent chez KARENZI, pour tuer. Est-ce qu’ils avaient besoin qu’on leur désigne la maison et est-ce qu’ils avaient besoin de listes pour décider que KARENZI devait être tué ? Cette personnalité que tout le monde connaît, qui a été, jusqu’en 1990, membre du Comité central du MRND ; il y a 24 personnes dans tout le pays qui sont membres de ce Comité central. Est-ce qu’il fallait des listes et est-ce qu’il fallait désigner la maison pour savoir que cet homme-là était un Tutsi connu, les premiers que l’on voulait éliminer ?

Le point central, dans le meurtre de Madame KARENZI, est l’appel téléphonique. Yvette raconte, ils sont cachés dans les faux plafonds, et ils entendent. Yvette dit ceci, je ne veux pas trahir ses mots, ce n’est pas dans le cahier, c’est sa déclaration mais c’est la même chose dans le cahier : « Madame KARENZI est donc revenue - ça, c’est après qu’elle soit partie avec Monsieur KARENZI, on l’amène à l’hôtel Faucon, c’est là qu’il est tué - et Madame revient avec quatre militaires qui ont continué à fouiller la maison et à interroger Madame. Ils cherchent TV, magnétoscope. De là où j’étais, c’est-à-dire dans le faux plafond, j’entendais exactement ce que disaient les militaires mais je ne comprenais pas bien ce que disait Madame qui parlait moins fort. Un des militaires lui a demandé pourquoi elle n’avouait pas être Tutsi, alors que KARENZI avait avoué appartenir à l’ethnie Tutsi. Ils lui ont demandé : quel est ton voisin qui pourrait confirmer que tu n’es pas une Inyenzi ? Nous étions dans le plafond. Je n’entendais pas bien sa réponse, j’ai demandé aux enfants ce qu’elle répondait et ils m’ont dit qu’elle répondait : Monsieur Vincent, de l’université. Je n’ai pas entendu qu’ils lui demandaient le numéro de téléphone de Vincent, ni que Madame KARENZI le leur donnait, je pense qu’il le connaissait. Un des militaires a alors pris le téléphone, je n’ai pas entendu le contenu de cette conversation téléphonique puisque je n’entendais que le militaire poser la question de savoir si Madame était Inyenzi. Après le coup de téléphone, le garde présidentiel a dit que Vincent avait confirmé qu’elle était Inyenzi ». Et, un peu plus bas, elle dit : « A votre demande je déclare que je ne savais de quel Vincent Madame KARENZI et les militaires parlaient, mais les enfants m’ont dit qu’il s’agissait du Vincent qui travaillait avec leur papa à l’université ».

Il y a quatre hypothèses possibles. Au préalable, on se demande pourquoi il faut un coup de téléphone si on a des listes. Parce que sur les listes, on a mis toute la famille, pour l’évacuation. Mais, cela mis à part, il y a quatre hypothèses possibles. Soit il n’y a pas eu de coup de téléphone, Yvette ment ; soit il y a eu un coup de téléphone à un Vincent qui n’est pas Vincent NTEZIMANA ; soit il y a eu un coup de téléphone à Vincent NTEZIMANA, qui a répondu : « C’est une Inyenzi », c’est ce que dit l’accusation ; soit il y a eu un coup de téléphone à Vincent NTEZIMANA qui n’a pas répondu. Je reprends ces quatre hypothèses.

Première hypothèse, il n’y a pas eu de coup de téléphone. On a voulu la faire vérifier. Monsieur le juge d’instruction en a parlé : Rwandatel, les communications téléphoniques ; en principe, chez nous, on dit : « Ben, on sait retrouver de qui à qui ». Ca n’a été demandé qu’une fois, lors d’une commission rogatoire, on va effectivement à Rwandatel et on demande et puis, il n’y a aucune trace du suivi, peut-être qu’on aurait pu retrouver… on sait aussi qu’à l’époque, plusieurs témoins l’ont dit : « Les téléphones sont sur écoute », peut-être qu’on aurait même pu retrouver les conversations parce qu’après, Madame KARENZI, elle téléphone aussi. Les militaires ne l’abattent pas tout de suite, ils partent, c’est un militaire qui revient et qui va l’abattre et, dans l’entre-temps, elle téléphone. Yvette ne sait pas à qui s’adresser pour demander du secours, évidemment. Mais on n’a pas d’information, et je n’ai pas envie de croire qu’il n’y a pas eu de coup de téléphone. Yvette ne ment pas ; à mon avis, il y a eu un coup de téléphone. Cette hypothèse-là ne me paraît pas vraisemblable. Mais il n’est même pas établi, ce coup de téléphone.

Il peut y avoir eu un coup de téléphone à un Vincent. Yvette dit dans le cahier, dans sa déclaration : « Les enfants disent : ce serait Monsieur Vincent, de l’université ». Quand il a été interrogé là-dessus, Vincent NTEZIMANA a dit : « A priori, moi, je ne vois pas d’autre Vincent de l’université, ça doit être moi, effectivement ». Ca n’est pas du tout invraisemblable, on sait depuis qu’il y a d’autres Vincent de l’université, on en a même eu un ici, le témoin 61, qui est venu témoigner. Aucune idée de l’accuser lui, Vincent NTEZIMANA a dit très clairement qu’on n’aurait jamais fait ça. « Il y a d’autres Vincent qui ne sont pas professeurs d’université, et il y en a beaucoup », il y a un témoin qui nous a dit ça, ici.

Puis, Joseph le témoin 96, celui qui a fait le synopsis des massacres à Butare, je lui ai posé une question : « Sur plus de cent personnes : dans votre liste des responsables des massacres à Butare : vous ne mettez pas Vincent NTEZIMANA… vous mettez un Vincent, cabaretier qui tient un café, est-ce que ce serait éventuellement Vincent NTEZIMANA ? ». Il a dit : « Non, évidemment », mais il a aussi ajouté : « Vous savez, il y a beaucoup de Vincent. Cela pourrait être un autre Vincent ». Mais cela peut aussi être Vincent NTEZIMANA. C’est la thèse de l’accusation et elle est confortée par un autre témoin que nous avons entendu, une jeune fille qui a été sauvée, elle était au couvent, vous avez le couvent sur le plan : le couvent benebikira.

le témoin 36, elle, elle raconte ce que les enfants, qui étaient cachés avec Yvette dans le faux plafond, ont entendu et ce que les enfants lui ont raconté à elle. Et, interrogée ici, dans un premier temps, on lui demande : « A-t-on vérifié qu’elle était Hutu ou Tutsi, Madame KARENZI ? ». Elle dit : « Non, on n’a pas vérifié ». Cela surprend un peu parce que ça ne correspond pas du tout à ce qui se serait passé et alors, on pose une question plus précise : « Y a-t-il eu un coup de téléphone ? ». Elle dit : « Oui. Ils ont entendu que la personne qui avait téléphoné a parlé de NTEZIMANA ». Elle ne dit même pas : « Vincent NTEZIMANA ». Elle dit : « parlé de NTEZIMANA » directement. Les enfants n’ont jamais parlé de NTEZIMANA. Les enfants ont parlé de Vincent, collègue, professeur. Yvette, dans son cahier et dans sa déclaration au Rwanda, a parlé de Vincent, collègue professeur. Pourquoi je souligne ça ? Parce que je crois qu’un mécanisme s’est mis en route au fur et à mesure du temps, de la rumeur : NTEZIMANA est devenu le coupable, maintenant tout le monde le sait. La victime le désigne parce qu’effectivement, pourquoi ne pas le désigner lui, puisque tout le monde sait que c’est lui. Or, le témoin direct, Yvette, n’a jamais dit que c’était NTEZIMANA.

Et je crois qu’il y a bien plus, cette jeune fille, le témoin 134 a donné ici trois signes. Le premier signe, c’est lorsqu’elle était là pour donner son témoignage, quelque chose a étonné parce qu’on lui a demandé : « Est-ce que les enfants ont dit que Vincent était un collègue d’université de leur papa ? ». Elle l’avait déclaré au Rwanda, elle l’avait écrit dans son cahier et ici, elle va dire : « Non ». Elle a dit : « Non, les enfants n’ont jamais dit que Vincent était un collègue d’université de papa », et Monsieur le président va poser deux fois la question parce que cela nous étonne. C’est différent de ce qui était écrit. Elle donne par-là un signe qu’elle, elle n’est pas du tout convaincue que Vincent NTEZIMANA soit le coupable.

Elle donne un deuxième signe. Elle a écrit son cahier où elle raconte les faits et elle déclare effectivement lorsqu’elle est entendue, je lis : « C’est bien moi qui ai remis à sœur Marie Juvénal le document rédigé en kinyarwanda que vous me montrez, qu’elle m’avait demandé d’écrire de façon détaillée. Je l’ai adressé à Monsieur GASANA ». Monsieur GASANA est la partie civile. On va lui demander, en audience, si elle a adressé ces notes, ce cahier à Monsieur GASANA, si elle l’a écrit pour Monsieur GASANA, elle va répondre : « Non ». Le cahier est là, la première page du cahier dit : « A Monsieur GASANA ». Ca ne remet en rien en question le témoignage d’Yvette. Mais elle donne un signe, elle dit : « Ce que je dis maintenant, c’est la vérité que je vous dis, et je ne vous cache pas que, quand ce cahier est arrivé dans le dossier, c’est Monsieur GASANA Ndoba effectivement qui l’a déposé. Un inspecteur pas du tout mandaté - mais ça n’est pas grave, peu importe - est allé le rechercher au couvent, l’a donné à Monsieur GASANA Ndoba qui l’a donné à Monsieur DESTEXHE et il est dans le dossier ». Peu importe mais il vient très tard et ce qui est frappant c’est que, avant cela, Monsieur GASANA Ndoba a donné une liste détaillée des personnes qui étaient dans la maison, chez les KARENZI, et Yvette n’avait jamais été mentionnée.

Alors, quand ce cahier arrive, Monsieur NTEZIMANA croit à un coup monté, vous savez, on devient paranoïaque à certains moments, quand des accusations s’accumulent et qu’on est convaincu de son innocence ! Après qu’il a lu le cahier, il dit : « Cette personne doit dire vrai, d’après la façon dont c’est écrit ». Après qu’il ait vu Yvette, ici, il dit : « Elle ne ment pas. Ce qu’elle dit, elle l’a vécu. Elle ne peut pas inventer ça, elle ne ment pas ». Mais elle donne des signes.

Elle a donné un troisième signe qui n’est pas public, qui ne s’est pas passé là, à la place des témoins. Quand il y a des suspensions d’audience, vous savez, on circule là derrière et les témoins, quand ils ont fini, ils peuvent circuler aussi, ils ne sont plus tenus d’aller dans la petite salle où on les consigne avant. Et les trois témoins de cet avant-midi-là sont passés là derrière pour aller au greffe du Tribunal de la Cour qui se trouve là derrière. Et Vincent NTEZIMANA était là derrière, dans l’allée. Ca l’a frappée. Elle s’est arrêtée, elle l’a salué, elle lui a tendu la main. Ils se sont serré la main. C’est un signe qui n’était pas public. Vous n’êtes même pas obligés de me croire.

Qu’est-ce que ça veut dire ? Fondamentalement, je crois qu’il y a eu le coup de téléphone ; fondamentalement, je crois qu’il y a eu le coup de téléphone à Vincent ; fondamentalement, je crois qu’il y a eu le coup de téléphone à Vincent NTEZIMANA. Il n’était pas au bout du fil, Vincent NTEZIMANA mais il est tout à fait vraisemblable que c’est ce nom-là que Madame KARENZI a donné. Ils avaient confiance. Monsieur s’était mis sur toutes les listes et a mis toute la famille sur les listes. C’est normal que Madame donne le nom de Vincent NTEZIMANA quand on demande que quelqu’un, et un voisin même, puisse dire si elle n’est pas une Inyenzi. Et Vincent NTEZIMANA n’est pas au bout du fil. La réponse, on ne l’entend pas. Il y a le garde présidentiel qui dit la réponse. Ca, c’est facile, on joue effectivement, on l’a dit parfois : « Ces gens jouent au chat et à la souris avec leur victime », ils ne vont pas tuer Madame KARENZI tout de suite, on va encore essayer de négocier de l’argent, c’est aussi une façon de lui faire croire qu’on ne la sauve pas, parce que savoir si elle était une Inyenzi ou pas, c’est facile, la carte d’identité, les listes, s’il y en avait, tout le monde sait, connaît la famille KARENZI. Et Vincent n’a pas répondu au téléphone parce qu’il n’était pas là.

Il n’était pas chez lui et on a un témoin direct de cela et ça, ça dérange très fort. Et alors, on va essayer de démolir ce témoignage-là. C’est le témoignage du témoin 104, témoin 65. Il est, si vous voyez le plan, juste en face de chez Vincent NTEZIMANA, la maison numéro 3. C’est la maison du couple le témoin 143-KANIABANDA. Ils sont partis, ils vous ont expliqué tous les deux ici. Jean-Bosco SEMINEGA occupe cette maison et le témoin 104 est quelqu’un d’hébergé dans cette maison. Et à l’entendre… c’est pas un intellectuel, c’est comme Yvette, il a répondu très simplement aux questions. Il a dit très simplement que Vincent NTEZIMANA était là depuis l’avant-midi, était là toute l’après-midi et on dit que ça ne colle pas avec la déposition de Vincent NTEZIMANA. Vincent NTEZIMANA a dit : « Je n’étais pas chez moi à ce moment-là, au moment du coup de fil », c’est ce qu’il a dit ici, en audience. « J’étais dans la maison de Madame le témoin 143 ». Et il a même signalé, à ce moment- là, le refus de Jean-Bosco SEMINEGA de signer son témoignage. Pourquoi ? On a fait beaucoup de cas autour de ça. Parce qu’on a un témoin direct.

Quand on accuse quelqu’un de tuer et qu’un témoin dit : « Au moment où la personne a été tuée, celui qu’on accuse n’était pas là, il était ailleurs », c’est l’alibi, c’est l’alibi en béton ! Il ne peut pas avoir tué s’il n’était pas là. Ici, c’est pas ça : c’est simplement ne pas avoir répondu au téléphone s’il n’était pas chez lui. « Ah ! Il jouait aux cartes effectivement - on va beaucoup se gausser de ça - il ne sait pas qu’on est en train de tuer ». Et ça va déranger, il va y avoir sur ce témoin une salve de questions, à ce moment-là. « Comment avez-vous réagi ? ». Il va dire, très simplement : « On a commencé à avoir peur, on s’est dit : ça commence maintenant ici aussi, ça n’avait pas encore commencé à Butare ». On va demander : « Quand vous avez appris cela par Jean Bosco le témoin 150 », qui vient dire : « J’ai vu à l’hôtel Faucon que KARENZI a été assassiné… » quand vous avez appris cela, qu’est-ce que vous avez fait ?  Vous n’êtes pas allé directement sur place ? ». Il va dire : « Non, effectivement ». Il n’est pas allé directement sur place. Il va dire pourquoi. Il va dire : « Ces gens qui tuent, ils reviennent toujours après pour piller ou tuer ceux qui seraient encore là ». C’est d’ailleurs ce qui s’est passé ici, les quatre militaires étaient partis sans tuer Madame KARENZI et puis, il y en a un qui revient et lui, la tue. Et on va reprocher cela, alors, à Vincent NTEZIMANA, ce qu’il n’a pas fait après l’assassinat, ne pas être allé, effectivement.

Ca m’a amené - je n’aimais pas cette question - ça m’a amené à poser la même question à un autre témoin, le témoin 9, dont j’ai parlé aussi tout à l’heure. Vous voyez sa maison sur le plan. Elle est un peu plus bas à droite, le témoin 9. Je lui ai aussi demandé : « Quand vous avez appris la mort de KARENZI, qu’est-ce que vous avez fait ? ». Il m’a dit : « Rien, on ne savait rien faire, on avait peur ». Je n’aimais pas poser ce genre de questions parce que je ne sais pas ce que, nous - on en a parlé hier - nous aurions fait dans ces situations-là. Mais il faut tenter d’éclaircir puisqu’on reproche à Vincent NTEZIMANA, aussi, ce qu’il n’a pas fait, après. Il ne va aller que le lendemain, c’est vrai. Il ne va aller que le lendemain, il va voir le corps de Madame KARENZI et il va faire évacuer le corps après, c’est vrai. C’est vrai, peut-être qu’il aurait pu faire mieux. Peut-être qu’on aurait fait mieux, je ne sais pas. Mais, au moment du coup de téléphone, il n’est pas là et il n’y a pas eu de coup de téléphone dans l’autre maison. La question a été posée, je crois, par Madame le juge, à Louis-Marie le témoin. « Est-ce qu’il n’y a pas eu cet après-midi un coup de téléphone chez vous, parce qu’elle pourrait avoir essayé de téléphone, là aussi ». La réponse a été : « Non ». Fondamentalement, je crois qu’Yvette ne ment pas. Et même si, ici, elle a dit : « Les enfants n’ont pas dit que c’était un Vincent, professeur d’université », c’était simplement pour donner un signe.

Je crois qu’il est tout à fait vraisemblable que le téléphone ait été donné à Vincent NTEZIMANA, parce que la famille KARENZI avait confiance mais, au bout du fil, il n’était pas là. On pourrait aussi lui reprocher de ne pas avoir été au bout du fil, je ne crois pas qu’on le fera. Et puis, il y a les enfants, les trois enfants KARENZI et les deux autres enfants dont vous avez vu la maman ici également. Ils ne sont pas tués le même jour, c’est le 30 avril. Vous savez, sur le plan, ils vont passer en face à l’ICA puis, ils vont plus tard au couvent, que vous voyez sur le plan, benebikira.

Alors, dans l’acte d’accusation, on accuse également Vincent d’être responsable du massacre des enfants, en disant, c’est à la page 13, qu’il est responsable de la mort également de ces enfants, figurant aussi sur la liste dressée par NTEZIMANA. C’est la liste qui fait que Vincent NTEZIMANA est responsable de la mort des enfants. Le juge d’instruction, dans son rapport qu’il a fait ici, quand il a parlé du massacre de la famille KARENZI, a parlé de Monsieur et de Madame et puis, a dit : « Après les enfants vont être tués aussi ». Vincent NTEZIMANA n’a rien à voir avec cela. Il a dit : « C’est autre chose, c’est à part ».

Yvette le dit également dans sa déclaration, pas dans le cahier, elle ajoute quelque chose dans sa déclaration au Rwanda, en disant ceci : « Je voudrais ajouter quelque chose que je ne pouvais pas écrie, de peur que les sœurs ne le lisent ». Elle n’a pas écrit cela dans son cahier : « Après que les enfants KARENZI aient été emportés avec d’autres du couvent des sœurs benebikira, on m’a trouvée dans ma cachette. Une des sœurs a voulu, en me voyant, téléphoner pour qu’ils viennent me chercher, il s’agit de sœur Frédérique, les autres sœurs ont demandé pitié et finalement elle n’a pas téléphoné. Sœur Frédérique connaissant un lieutenant à qui elle voulait téléphoner, cette sœur était de connivence avec un docteur MUGABO, de l’université pour le mettre au courant de la situation - cela n’a rien à voir avec le témoin 93 - docteur MUGABO. Monsieur DEGNI-SEGUI d’ailleurs a dit ici, en parlant de Butare et du rôle des intellectuels : « Selon mes informations, c’était principalement des médecins qui ont eu un rôle dans les massacres ».

Yvette ajoute : « Pour moi, cette sœur qui a dénoncé la présence des enfants… pour moi, pardon, pour moi, c’est cette sœur qui a dénoncé la présence des enfants Tutsi au couvent ». Et on demande, à un moment donné, lors d’une enquête préalable qui est faite… on va très tôt au Rwanda, pas à propos de Vincent NTEZIMANA, mais à propos de la mort des dix para-commandos belges. Il y a un auditeur, Monsieur VER ELST-REUL, qui est envoyé au Rwanda pour enquêter là-dessus. Et parallèlement, comme il y a déjà les premières enquêtes qui se font à propos de Vincent NTEZIMANA, on lui demande de se renseigner à propos de la mort de la famille KARENZI et des enfants KARENZI. Et il va au couvent, c’est le 3 janvier 1995 - Yvette écrit d’ailleurs son cahier peu après le 10 janvier 1995 - et il rencontre là sœur Speciose et Marie Juvénal qui a demandé à Yvette d’écrire exactement ce qu’elle avait vécu. Et on présente une photo de Vincent NTEZIMANA et on dit : « Elles nous disent ne pas y reconnaître une des personnes ayant été présentes au couvent au moment de l’arrestation des enfants KARENZI, le 30 avril 1994 », et elles ajoutent : « Elles ne connaissent pas le professeur NTEZIMANA ». Nous sommes en janvier 1995, tout le monde connaîtrait déjà à Butare… non, personne ne connaît déjà à Butare Vincent NTEZIMANA comme étant un des massacreurs. Elles ne connaissent pas Vincent NTEZIMANA.

Ce qu’on ne dit pas, c’est que les militaires qui sont venus au couvent, ce sont d’autres militaires, ce sont pas les gardes présidentiels qui étaient venus chez KARENZI, et ce ne sont pas non plus des militaires de l’ESO, du fameux capitaine NIZEYIMANA, ce sont les militaires de l’autre camp militaire, de Ngoma - vous voyez, ils gardent une barrière, là sur le plan, mais leur camp est beaucoup plus haut sur le plan, encore au-dessus - dirigés par HATEGEKIMANA, sans doute le vrai boucher de Butare, on en parle moins parce que ce n’est pas le copain de NTEZIMANA. On veut, à partir des listes ou à partir d’un papier qui aurait été trouvé sur un autre militaire, faire le lien et dire que c’est Vincent NTEZIMANA qui a tout téléguidé : Monsieur KARENZI, Madame KARENZI et puis les enfants.

Ce lien ne colle pas. On savait qui était la famille KARENZI, comme la reine-mère, c’est effectivement un assassinat symbolique de toute la famille, on savait où ils étaient. On les a poursuivis, effectivement, mais il ne fallait pas une liste dressée par NTEZIMANA pour cela. Soit je vois le point suivant, soit je fais une pause ici, comme vous le souhaitez.

Le Président : Je pense que le moment est opportun de faire cette pause. Nous reprendrons l’audience à 11 heures.

[Suspension d’audience]

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place.

Le Président : Vous avez la parole pour la suite de votre plaidoirie.

Me. CARLIER : Un mot encore sur la famille KARENZI. J’avais oublié une chose… le témoin Innocent NKUYUBWATSI, celui de dernière minute, je vous ai dis : « On n’a pas voulu écarter des choses, ni ces vidéos » et j’allais moi-même oublier qu’il disait des choses a propos de la famille KARENZI. Lors de son audition au Rwanda et dans les cassettes, il parle de ce fait-là aussi, le témoin Innocent NKUYUBWATSI.

Le Président : La porte de la salle d’audience doit rester ouverte.

Me. CARLIER : Et lors de son audition, il dit ceci : « Un militaire vient chez NTEZIMANA, voir si KARENZI se trouvait chez lui, parce que ses enfants venaient d’être tués au Faucon. Le militaire a continué sa route et a finit par croiser quelqu’un qui lui a montré où était la maison des KARENZI, c’est ce qu’il m’a raconté. Il y est alors entré, a tué sa femme et d’autres personnes qui s’y trouvaient. Il a poursuivi sa route derrière KARENZI qui s’était rendu à l’endroit où ses enfants avaient été tués. Il l’a trouvé en chemin, tout près du Faucon, et il l’a aussi tué ». Version complètement différente. On est même dans l’ordre chronologique différent. On tue d’abord les enfants au Faucon et puis, on cherche KARENZI qui serait allé au Faucon pour chercher ses enfants, on vient demander chez NTEZIMANA où serait KARENZI, NKUYUBWATSI dit : « Moi, je ne sais pas… je ne sais pas montrer mais, en tout cas, NTEZIMANA n’est pas là à ce moment », selon ce que dit NKUYUBWATSI et ce militaire va chez KARENZI, trouve la femme et les autres, les assassine et puis, après seulement, va trouver Monsieur qui se dirigerait vers le Faucon et va l’assassiner également.

Version encore complètement différente, qui nous permet de poser des questions à propos de ces témoignages de Monsieur NKUYUBWATSI et, si jamais on devait le retenir, ce qu’il en dit, si on veut adopter son point de vue, c’est que NTEZIMANA n’est pas chez lui, en tout cas à ce moment-là et, effectivement, ne répondrait pas à un coup de téléphone. Mais à aucun moment, il ne désigne NTEZIMANA dans cette déclaration.

Le troisième fait : c’est la famille NDUWUMWE.

Je pourrais presque ne rien en dire. Nous n’en avons rien entendu de la part des témoins, ici. Aucun témoin n’est venu témoigner de ce fait-là. Aucun. Rien comme audition, mis à part des lectures. Je ne veux pas m’arrêter là. Parce que je dirais aussi presque rien dans le dossier qui ne conforte réellement cette accusation. De quoi s’agit-il, pour rappel ? C’est à une date indéterminée que la famille NDUWUMWE, Madame Marie-Claire KAREKEZI et leur enfant, Nicole NDUWUMWE, une enfant de deux ans ont été tués.

L’accusation consiste à dire que Vincent NTEZIMANA aurait accompagné un ou deux militaires et désigné la maison NDUWUMWE dans laquelle ces militaires seraient rentrés pour tuer Madame, l’enfant et également une domestique qui était là. L’accusation repose sur trois déclarations considérées comme concordantes, et ajoute, effectivement, qu’il y aura une quatrième déclaration un peu divergente, uniquement sur la façon dont l’assassinat se sera accompli, à la fin : c’est à dire qu’elle n’aurait pas été achevée au fusil, mais achevée à la machette. Quelle analyse faire de ce fait ?

Quand il en a parlé ici, Monsieur le juge d’instruction Damien VANDERMEERSCH a dit : « Notons d’emblée que la principale accusatrice de Vincent NTEZIMANA, pour ce fait, Madame le témoin 91 est l’épouse du témoin 129 qui est en prison pour accusation du meurtre de Monsieur Victor NDUWUMWE ». Alors on dit : « Ca n’a rien à voir : celui qui est en prison, le témoin 129 est accusé du meurtre de Monsieur, Vincent NTEZIMANA est accusé du meurtre de Madame, de l’enfant et de la domestique, donc du reste de la famille, donc ça n’a rien à voir : ce n’est pas parce que son mari est en prison pour le meurtre de Monsieur qu’elle accuserait Vincent NTEZIMANA ».

Je ne suis pas si sûr que cela n’ait rien à voir, pour deux motifs. Un premier motif, c’est lors de sa toute première déclaration, Madame Bernadette le témoin 91 fait une déclaration qui est datée du 10 janvier 95, qui n’est pas signée - c’est dactylographié, bon ! - qui serait une déclaration au Commissariat des droits de l’homme, et, dans cette déclaration, elle ne vient pas dire que son mari, TWAGIRAMUNGU, est accusé uniquement du meurtre de Victor, elle parle aussi de la femme de Victor. Il est accusé du meurtre d’un autre et elle ajoute : « Et de Victor NDUWUMWE et sa femme ». Accusation pour laquelle il est en prison à Butare. Et alors, elle développe après, concernant l’accusation pour le meurtre de Victor NDUWUMWE, elle donne d’autres justifications, et ensuite, sa femme, elle justifie les deux choses, pas seulement le meurtre de Victor, aussi le meurtre de la femme de Victor. Il est tout à fait possible qu’à l’époque, TWAGIRAMUNGU est accusé effectivement pour les deux. Elle parle des deux et elle dit, concernant sa femme : « Elle a été tuée par un civil accompagné des militaires dans la forêt de Buye ; en même temps, ils ont tué son fils, âgé de deux ans  - on sait que ce n’est pas un fils, c’est une fille - et la domestique. Ce civil, qui se prénomme Vincent, nom de famille non connu, était professeur à l’université ».

Et on dit : « Voilà, l’accusation est évidente : c’est pas parce qu’il n’y a pas le nom de famille… c’est Vincent, professeur à l’université et, qui plus est, c’est à une époque où Vincent n’est pas encore détenu ». Les avocats disent « in tempore non suspecto », ça n’est pas suspect, cette déclaration, il n’est pas encore détenu ; non, mais on parle déjà de Vincent NTEZIMANA et on montre déjà sa photo, à Butare. Je vous l’ai dit tout à l’heure, le 3 janvier, sept jours avant ceci, l’auditeur militaire Monsieur VER ELST-REUL montre déjà la photo de Vincent NTEZIMANA à Butare, à propos de la famille KARENZI, au couvent à sœur Juvénal, à sœur Spéciose, il montre la photo de NTEZIMANA, cela se passe avant cette déclaration du témoin 91. Alors, on dit aussi : « Ca n’a rien à voir parce qu’après, l’époux du témoin 91 qui accuse, il ne va plus être poursuivi que pour le meurtre de Victor, en tout cas, après ça, c’est certain ». Mais ce n’est pas pour ça que ça n’a rien à voir, on essaie, effectivement, de dédouaner son mari en accusant du meurtre du reste de la famille une autre personne. Ca permet effectivement tout de même de diminuer ce dont lui pourrait être accusé.

Est-ce que cette accusation, alors, résiste à l’analyse ? Est-ce qu’on a, effectivement, avec les autres déclarations, des déclarations concordantes ? Alors, on a dit très souvent : « C’est pas parce qu’il y a des différences d’une déclaration à l’autre d’un même témoin, voire entre d’autres témoins, deux ou trois, effectivement, il peut y avoir de petites différences… » et je voulais montrer avec Yvette, ça ne remet pas en cause la réalité de ce qu’elle nous dit. Mais ici, vous savez, les déclarations entre les témoins que l’on dit « concordantes », ces déclarations sont vraiment divergentes.

le témoin 91 dit : « Ca se passe vers fin avril, début mai ». Son mari, Jean Baptiste le témoin 91, qui est celui qui est en prison, accusé du meurtre de Victor dit aussi : « Fin avril ». Mais la maman de Madame NDUWUMWE, celle qui été tuée, Madame NAMANA qui, si je ne me trompe, se constitue partie civile depuis deux jours, elle dit, à l’époque où elle est entendue : « Ca se passe fin mai », ça n’est pas encore très important. le témoin 91 dit qu’il y a un ou deux militaires, son mari dit qu’il y a un militaire, ça n’est pas encore très important. le témoin 91 dit qu’elle n’a pas vu Vincent NTEZIMANA venir chez elle, chez le témoin 91-TWADIRAMUNGU, pour se renseigner pour savoir où était la maison des NDUWUMWE, avant d’aller montrer cette maison aux militaires. Mais son mari qui est en prison, le témoin 129, deux fois, il est entendu et deux fois, il dit : « Vincent NTEZIMANA est d’abord venu chez nous se renseigner ».

Oh ! Il diverge un peu sur ses déclarations. Une fois, il dit que c’est un enfant travailleur et qu’il n’entend pas ce que Vincent NTEZIMANA demande, mais que l’enfant vient le lui dire après. Une fois, il dit qu’il entend ce que Vincent NTEZIMANA demande, mais peu importe, il dit que Vincent NTEZIMANA vient demander où est la maison des NDUWUMWE, parce qu’il pourrait confondre, vous vous souvenez, c’est le comptage, la huitième ou la deuxième maison, selon qu’on commence d’un côté de la route ou selon qu’on commence de l’autre côté de la route. Et c’est pour ça qu’il viendrait se renseigner parce qu’il se serait trompé du comptage. Mais le témoin 91 dit : « Moi, je n’ai pas vu Vincent NTEZIMANA venir chez nous ».

Et puis, après, on sort par derrière pour aller voir et là aussi, il y a une discussion. Une fois, on dit : « On sort par derrière », une fois on dit : « On sort derrière, allez voir » et les enquêteurs, quand ils sont allés, ils ont filmé, on a vu la cassette, on n’avait pas le son. On a fait poser la question, à ce moment-là, les enquêteurs disent effectivement : « Quand on est derrière, on ne voit pas, on ne voit pas chez les NDUWUMWE, où l’assassinat s’est fait ». On peut encore dire : « Ils sont sortis par derrière et ils sont allés voir devant », mais à un moment donné, il dit très clairement : « On est allé voir derrière ». Peu importe encore !

le témoin 91 et le témoin 129 parlent très précisément, après avoir vu Vincent NTEZIMANA et un ou deux militaires, avoir entendu des coups de feu, trois ou quatre minutes après. Vincent NTEZIMANA serait resté devant la maison, les militaires rentrent dedans et on entend des coups de feu. Et lorsqu’elle est entendue le témoin 91 ajoute ceci, je vais prendre sa déclaration : « La famille qui habitait la quatrième maison dans la rue est toujours vivante. En fait il s’agit de la veuve de Monsieur MIRUNGO de Matyazo, elle a également vu ce que je vous raconte, et pourrait témoigner - elle répète - elle pourrait témoigner ». On va entendre la veuve MIRUNGO, elle va dire ceci : « En ce qui concerne sa femme… la femme de Victor, son enfant et sa bonne, ils ont été tués dans la petite forêt de Save. Ils ont été tués par des militaires en civils parmi lesquels se trouvait un certain MIGAMBI, qui est mort en fin mai. Tout ce que je sais, c’est que Victor et sa famille n’ont pas été tués par des fusils mais par des machettes et des bâtons ».

Il n’y a pas là qu’une différence, il n’y a pas que ces derniers mots, machettes et bâtons plutôt que fusils. On dit : « Ca, c’est pas important parce qu’on peut les avoir abattus au fusil, et puis achevés à la machette et au bâton », je crois que, généralement, c’était l’inverse : on commençait à la machette et au bâton pour empêcher de s’enfuir, on coupait les tendons, effectivement et puis, on tirait pour achever. Mais ici deux témoins disent : « On entend des coups de feu et des coups de feu dans la maison, trois, quatre minutes après » et ces témoins-ci dont on dit : « Elle vous dira la même chose ce qu’elle a vu, elle ne parle pas d’avoir vu NTEZIMANA, elle ne parle pas d’avoir entendu des coups de feu et elle ne dit pas que c’était dans la maison », elle dit : « C’est dans le bois de Save et ça c’est un peu plus loin, c’est en dehors de la maison ». Ce ne sont pas des différences légères cela, ce sont des différences importantes d’un témoin dont on dit : « Il a vu comme nous, elle a vu comme nous la veuve MIRUNGO ». Elle a pas vu la même chose.

On va entendre aussi le frère de Victor NDUWUMWE, lui il va dire très simplement ceci ; son épouse et son enfant ont été tués dans leur quartier, ce n’est pas dans la maison non plus… je ne sais rien à propos des personnes qui ont tué mon frère et sa famille. On va entendre, je l’ai déjà dit, la maman de Madame NDUWUMWE, celle qui dit que ça se passe fin mai et pas fin avril mais ça n’est pas important. Elle va dire ceci : « Vous me montrez la photographie ». Elle dit : « Avant ils ont été massacrés fin mai un peu plus bas que leur maison, à côté de la forêt », de nouveau pas dans la maison et elle ajoute : « Vous me montrez la photographie d’un homme, je le reconnais, il s’agit de NTEZIMANA Vincent qui était professeur à l’université, l’UNR, j’ignore toutefois si cette personne a joué un rôle dans les massacres commis, ici, à Butare ». « J’ignore si cette personne a joué un rôle ». Aujourd’hui, sans doute, elle n’ignore plus parce qu’elle se constitue partie civile contre Vincent NTEZIMANA, estimant qu’il est responsable de la mort de sa fille. Des différences aussi fondamentales entre le lieu, la façon dont cela se passe, entendre des coups de feu ou dire : « C’est à la machette en dehors de la maison », alors que les principaux accusateurs, l’un des deux est en prison et on dit : « C’est pour ça qu’il ne peut pas venir, on n’a pas de convention d’extradition entre la Belgique et le Rwanda, on peut voir Vincent NKUYUBWATSI en vidéo, mais on n’a pas de convention d’extradition pour entendre un accusateur qui est en prison ». Et le témoin 91, elle ne vient pas non plus. La principale accusatrice dans ce fait là. Je crois qu’au regard des contradictions flagrantes dans ce fait et l’absence de ceux qui accusent, ça ne peut pas être retenu contre Vincent NTEZIMANA.

Quatrième fait : le jeune homme à la barrière.

Vous pouvez voir sur le plan où se situe cette barrière dont on a beaucoup parlé, elle est marquée, vous voyez Ecole belge et un peu au-dessus à droite, il y a une croix, c’est la barrière tenue par des militaires et des civils. Vous savez ce que sont les faits, c’est un jeune homme arrêté, battu, frappé à cette barrière et tué. On est à plus ou moins 500 m de la maison de chez Vincent NTEZIMANA. L’accusation dit que Vincent NTEZIMANA était là, ce qu’il ne conteste pas, c’est lui-même qui a déclaré ce fait quand on lui a demandé ce à quoi il avait pu assister, c’est lui, spontanément, qui a parlé de ce fait-là. On dit qu’il a contrôlé l’identité du jeune homme, qu’il a vu qu’il avait deux pantalons, ce qui était, semble-t-il, une caractéristique de ceux que l’on qualifiait d’Inyenzi. On dit qu’il a frappé et qu’il a donné l’ordre de tuer. Ces faits ont été racontés par Vincent NTEZIMANA le 24 mai 1995 et l’accusation repose sur trois témoignages. Le principal témoignage, le témoin direct, celui qui dit : « J’ai vu, c’est le témoin 142, Jean-Marie Vianney le témoin 142. C’est un de ceux qui étaient logés chez Vincent NTEZIMANA ».

Ici, nous avons vu le témoin 118 logé chez Vincent NTEZIMANA. Nous n’avons pas vu Jean-Marie Vianney le témoin 142. Jean-Marie Vianney le témoin 142 travaillait déjà à l’époque pour PETRORWANDA, fournitures en essence, même quand il était chez NTEZIMANA, des militaires venaient le chercher pour des questions de fournitures d’essence, ce qui explique d’ailleurs que parfois on voit effectivement un véhicule militaire. Il travaille toujours chez PETRORWANDA. Dans un témoignage à un moment donné, on le dit. Il n’est pas venu pour motifs professionnels, dit-il. On ne l’a pas entendu. C’est le principal accusateur de nouveau. Alors, Jean-Marie Vianney le témoin 142 est aussi celui qui va faire les pressions sur Jean-Bosco SEMINEGA. Ce témoin qui ne signe pas sa déposition et qui donne après un document à Madame le témoin 143 qui vient le déposer ici et qui dérange ! Au moment où cela se passe, on dit d’ailleurs : « Mais en fait, Jean-Bosco SEMINEGA n’accuse de rien de grave ». Si, dans la déposition qu’il n’avait pas signée, il avait dû dire à ce moment-là : « Il n’était pas chez lui, il n’était pas venu chez lui, Vincent NTEZIMANA au moment de la mort de KARENZI » et c’est pour ça que ça a dérangé, mais on ne l’a pas dit à ce moment-là.

En fait, il dit quelque chose qui n’est pas loin de ça parce qu’il dit : « Vincent est venu une seule fois, deux ou trois jours après le 19 avril (la mort de KARENZI, c’est le 21 avril). Il était venu pour autre chose, mais il fait un témoignage forcé sous la contrainte qu’il ne signe pas, qu’il refuse de signer et après il fait cette déclaration qu’il a subi des contraintes ». Et les contraintes, elles venaient de Jean-Marie Vianney le témoin 142. Et c’est lui qui dans sa déposition donne même le numéro de téléphone de Jean Marie Vianney le témoin 142 et il a (le témoin 150 a été entendu dans son bureau), fait une copie fax de sa déclaration parce qu’il devait la montrer pour montrer effectivement qu’il l’avait accusé. Alors, entendu là-dessus sur les pressions qu’il aurait faites, Jean Marie Vianney le témoin 142 dit ceci : « Sur interpellation, je reconnais le témoin 150 Jean-Bosco, je reconnais l’avoir rencontré entre juin et septembre de l’année passée. A cette occasion, nous avons discuté du problème de NTEZIMANA Vincent. Le contenu de la discussion restait vague, je n’ai jamais tenté d’influencer son témoignage ».

Et il va ajouter aussi, parce que c’est une des choses qui paraissait étonnante par rapport aux accusations du témoin 142 : « Jean-Pierre le témoin 142, qui est mon grand frère, est marié à Julienne UMUKUNZI, actuellement secrétaire du directeur de Cabinet au ministère de la défense ». Alors, c’est Jean Marie Vianney le témoin 142 qui accuse Vincent NTEZIMANA d’avoir frappé, d’avoir le cas échéant donné l’ordre de tuer ce jeune homme à la barrière et c’est lui qui ne vient pas ici pour porter ses accusations très graves, pour motifs professionnels. Il ne vient pas. Et même dans sa déposition, même dans ses déclarations, il ne dit pas expressément des choses aussi claires que « contrôler l’identité, enlever le pantalon et donner l’ordre de tuer ». Ce qu’il dit de très clair : « C’est Vincent NTEZIMANA qui a porté des coups ». Il dit ceci : « Le jeune homme arrêté a été déshabillé et sous son jean, il portait un pantalon de training, sous lequel il portait encore un short de sport et un slip. Je ne l’ai pas vu mais j’ai entendu qu’on le disait ». « Je ne l’ai pas vu mais j’ai entendu qu’on le disait ! ».

En fait, le garçon était déjà assis par terre, il était molesté, l’un arrivait et tirait sur son pantalon et le frappait tandis qu’un autre faisait la même chose, les coups étaient donnés avec des bâtons, les militaires donnaient des coups de crosse, c’est NKUYUBWATSI Innocent qui a pris le fusil des mains d’un militaire et porta des coups de crosse sur la tête du garçon jusqu’à ce que mort s’ensuive. Alors que NKUYUBWATSI frappait, j’ai détourné les yeux, nous étions tout près du barrage Longin et moi, nous étions arrêtés devant le barrage, un peu en retrait, tandis que Vincent avait rejoint le groupe des assassins » et c’est à ce moment-là qu’il dit - il ne parle pas de contrôle d’identité ou que c’est Vincent qui fait enlever le pantalon - c’est à ce moment qu’il dit : « Vincent a frappé le jeune homme à coups de pieds, de poings et de toutes les façons ».L’interrogatoire est interrompu et il répète après : « Vincent a donné des coups avant que NKUYUBWATSI ne donne le coup de grâce ». Ca, ce sont ses accusations. « Vincent a donné des coups. Et Longin nous l’avons entendu lors de la commission rogatoire, à deux reprises, Longin va dire qu’il n’était pas là, qu’ils n’ont jamais vu ça. Finalement, il va dire : « Oui ». Il va dire : « C’est vrai » et il va dire : « Ce que le témoin 142 dit, est vrai ». Et il nous répète ici et il nous redit ici je n’ai pas vu parce que j’étais en retrait : « Je n’ai pas pu voir ce qui se passait, mais c’est le témoin 142 qui m’a dit ce qui s’est passé ».

Et puis, il y a le témoin surprise NKUYUBWATSI qui lui, évidemment, ne va pas dire qu’il a tué et donné le coup de grâce. Lui, il va dire effectivement que c’est NTEZIMANA qui a frappé, « Et puis, on est parti et puis quand on est revenu, le jeune homme était mort ». Quelle soupe ! Ce n’est pas de la question de détails cela, des différences aussi fondamentales. Ce n’est plus de la question de détails quand, en face d'un accusateur qui n’est pas là, d’un témoin qui dit qu’il n’a rien vu, on a beaucoup discuté, il faisait noir ils avaient des lampes de poche, lumières ou quoi, pour savoir si NTEZIMANA aurait regardé, hein ! La carte d’identité, c’est pas ça la question, c’est de savoir que Longin était à distance et de dire : « Effectivement je n’ai rien vu ». Il faisait noir, cela tout le monde s’en accorde. Et je ne sais ce que le témoin 142 m’a raconté. Et l’accusateur principal n’est pas là. Et l’accusateur indirect n’a rien vu et il y a un témoin direct qui vient. Ah ! Il ne vient pas à votre demande, c’est un témoin de l’accusation qui venait, dont on a parlé d’ailleurs, vous avez son nom sur le plan, c’est au numéro 5, juste en face de la barrière, le témoin 125.

L’abbé le témoin 125. Il venait pourquoi ? Il venait à propos d’HIGANIRO l’accusé, on a d’ailleurs dit cela dans le réquisitoire d’accusation. Il venait aussi parce que c’est lui qui, probablement un des derniers, a vu l’enfant Malik KARENZI, l’enfant qui sera tué le dernier et il venait pour témoigner de cela, de ce que Malik lui avait dit. Mais il a dit autre chose dans son témoignage. Il a dit effectivement avoir vu Vincent NTEZIMANA circuler, mais à propos de cet événement avec le jeune homme à la barrière il a dit très clairement : « NTEZIMANA n’y est pour rien dans cette affaire. Il est arrivé par hasard, vers vingt heures. C’était une affaire de militaires ». Il est à cette barrière, sa maison est là, à côté, c’est un témoin direct qui est présent ici. Alors, vous savez, ceci n’est qu’une petite parenthèse, mais on a beaucoup glosé, voir ironisé sur cette question du noir. Il faisait noir à propos de la carte d’identité, on ne pouvait pas voir et en disant : « Cela n’empêchait pas Vincent NTEZIMANA de voir trois Tutsi qui viendraient chez lui dans le noir la nuit, de reconnaître que ce sont des Tutsi et du dire haut et clair » et donc, on sous-entend : « Le noir, ça arrange quand il ne faut pas voir, mais quand on veut voir que ce sont des Tutsi qui viennent vous menacer, on voit dans le noir ».

C’est le témoignage du témoin 150, le témoin 52, qui parle de cette histoire de Vincent NTEZIMANA qui voit dans le noir trois Tutsi. C’est pas NTEZIMANA qui parle de ça. le témoin 150 dit qu’effectivement il côtoyait NTEZIMANA dans le bus pour aller à l’université et alors il dit, je cite : « Deux ou trois jours avant les massacres, NTEZIMANA dit lors d’un trajet vers l’université dans le véhicule qu’il avait vu la nuit les têtes de trois personnes derrière son portail qui venaient l’attaquer. Il a précisé que c’était trois têtes Tutsi. Il a alors téléphoné à la brigade qui est venue, il a dit que les Tutsi s’étaient enfuis, il pensait que c’était des Inkotanyi qui voulaient l’attaquer et qu’ils s’étaient caché chez des complices, j’ai entendu cela personnellement, c’était des bruits qu’il répandait pour créer la tension ». Il racontait cela de façon dramatique mais tout le monde sentait que c’était invraisemblable, c’est vrai ! C’était totalement invraisemblable ! C’était tellement invraisemblable que deux ou trois jours avant les massacres qui commencent à Butare, le 20-21, les bus de l’université ne circulaient pas ! On n’allait plus à l’université, on le sait. C’étaient les vacances ! On a même reproché à Vincent NTEZIMANA de ne pas aller à l’université se renseigner pour les étudiants. Je crois sur cette affaire du jeune homme à la barrière que lorsque l’on tente de mettre en présence un accusateur dont on sait les problèmes qu’il a causés à un autre témoin décédé, un accusateur qui ne vient pas témoigner pour motifs professionnels et qu’à côté de cela on a un témoin direct qui dit : « NTEZIMANA n’a rien à voir, c’était une affaire de militaires, ce qui s’est passé là » et NKUYUBWATSI Innocent qui raconte encore une autre histoire. Je crois que c’est pas une question de doute à ce moment-là.

le témoin 125 est un témoin direct à la barrière. Il n’a aucun motif parce qu’il accuse par ailleurs pour d’autres choses, il n’a aucun motif de protéger d’une quelconque façon Vincent NTEZIMANA.

Il reste un dernier fait. Celui de la jeune fille chez Vincent NTEZIMANA.  Il va vous être exposé par Maître Annabelle BELAMRI.

Le Président : Vous avez la parole Maître BELAMRI.

Me. BELAMRI : Je vous remercie, Monsieur le président, Monsieur le juge, Madame le juge, Mesdames et Messieurs les jurés. Une dernière intervention pour clôturer cette matinée assez chargée.

Dernier fait : cinquième accusation : le meurtre de la jeune fille dans la parcelle de la maison de Vincent NTEZIMANA.

On est en mai, mai 1994, les massacres ont commencés à Butare depuis le 20-21. Contexte de guerre, de massacres. On tue à tout va, on a peur. Une après-midi Vincent NTEZIMAMA rentre chez lui, croise Caritas la jeune fille qui s’occupe des enfants, qui lui raconte : « Les deux jeunes filles qu’on héberge en même temps que ce jeune homme, les deux jeunes filles viennent de sortir avec le jeune homme. Elles sont parties, je ne sais où, faire un tour ». Le soir, Vincent NTEZIMANA ne voit pas revenir ces jeunes filles, mais voit le jeune homme, Innocent NKUYUBWATSI, revenir. Un peu étonné, il lui demande : « Mais, où sont-elles, que font-elles, d’habitude elles dorment ici ? ». Agressivement, d’une manière menaçante, l’air de dire : « Ca ne vous regarde pas », Innocent NKUYUBWATSI dit : « Elles sont rentrées chez elles ». Pas la peine de s’occuper du problème. Vincent NTEZIMANA perçoit effectivement la menace et l’agressivité dans les propos, ne pose pas plus de questions. OK, qu’elles sont rentrées chez elles, passons. Un jour ou deux après, il rentre à nouveau chez lui, dit… et là, Caritas lui dit : « La jeune fille, une des deux jeunes filles est là, elle est en train de mourir, elle est blessée ». Vincent NTEZIMANA constate effectivement qu’une des deux jeunes qui avait disparu un jour ou deux avant est là, blessée, agonisante. A ce moment-là Innocent NKUYUBWATSI débarque et l’achève ! Il l’achève ! Vincent NTEZIMANA n’a pas bougé. Il vous l’a expliqué, il a fait le petit. « J’avais un profil bas ».

Ce fait, Vincent NTEZIMANA en parle spontanément. Spontanément, il le raconte au juge d’instruction le 10 mai 1995. 10 mai 1995, c’est lui qui en parle ! Et à ce moment-là, une première commission rogatoire est effectivement au Rwanda du 1er au 13 mai 1995. Par rapport à ce fait, on a un seul témoin : l’innocent NKUYUBWATSI, ce témoin providentiel, providentiel pour qui ? Pas pour nous ! Vincent NTEZIMANA, quand il en parle, le dit. Le  10 mai 1995, il explique qu’il l’héberge, explique qui il est, il ne nomme : Innocent NKUYUBWATSI. On a le nom, on a le prénom dès le 10 mai 1995 de ce personnage. Il est effectivement providentiel pour l’accusation, il débarque à quelques jours de l’ouverture du procès par une première cassette, une seconde cassette vidéo. Providentiel dans la manière dont il accuse par cassette vidéo interposée. C’est effectivement un témoin qui ne sera jamais entendu par un juge belge, qui ne sera pas amené devant vous puisqu’il est détenu. Et là, je crois qu’en parlant de contradictions qui ont été évoquées ce matin par Maître CARLIER, on a le summum, la cerise sur le gâteau en matière de contradictions puisqu’elles se trouvent dans le témoignage d’une seule et même personne. Témoignage d’une seule et même personne, non pas éloigné dans le temps, pas entre 1995 et 2001 mais en trois semaines, puisque Innocent NKUYUBWATSI fait une déposition le 22 mars 2001 : on a la cassette RTBF qui date de quelques jours plus tard, la cassette RTL-TVi du 17 avril et finalement quatrième piste, quatrième zone d’information l’article du « Soir » du 12 avril 2001. On a donc trois semaines.

Et en trois semaines, Innocent NKUYUBWATSI nous donne quasiment quatre versions, mais inconciliables, des faits. Vous vous souviendrez quand on a projeté ces cassettes, on vous a exposé ces différentes contradictions, je vais vous les rappeler. On a même fait un tableau, c’était tellement parlant et plus clair. Tout d’abord par rapport au fait initial, les deux jeunes filles qu’on emmène, qu’en fait-on ? Qui fait quoi ? Audition du 22 mars 2001, il dit : « Un militaire et moi, suite à l’ordre donné par NIZEYIMANA et NTEZIMANA, nous les emmenons dans un bois ». Dans la cassette RTBF, ce n’est plus un militaire et lui ce sont les militaires qui vivaient chez NTEZIMANA, ce sont eux qui l’ont tuée. Cassette RTL-TVi : « Ils m’ont envoyé tuer les deux filles, nous les avons tuées à coup de balais ». Version du « Soir » on en revient à la première version : « Un militaire et moi ». Par rapport à la jeune fille qui revient maintenant, audition du 22 mars : « Vers 10 h 30, NTEZIMANA Vincent a téléphoné et m’a dit : « Vous étiez chargé d’aller tuer les gens, cherchez ce militaire ou il vient pas ici tout seul ». Cassette RTBF : « C’était le matin, moi, j’étais déjà parti au travail. Le lendemain on m’a dit. J’ai alors sonné à la maison NIZEYIMANA Ildephonse était là. Il m’a dit de venir le voir ». Plus NTEZIMANA mais NIZEYIMANA cette fois-ci. Cassette RTL quelques jours plus tard : « J’étais parti au travail et il est revenu chez NIZEYIMANA, on m’a téléphoné ». Une fois on l’appelle, une fois c’est lui qui appelle. Version du « Soir » on n’est plus le matin, on est le soir ! « Quand on m’a téléphoné parce que j’étais au travail à la SORWAL, pour me dire de revenir l’achever ».

A titre d’information simplement, on nous a dits que les journées à la SORWAL, elles se terminaient relativement tôt, vers 15 heures ! Etre encore le soir de travail à la SORWAL, tout cela est étonnant. Quant à la manière dont cette fille a été achevée : « Le 22 mars 2001, je suis allé la tuer en la fusillant, je l’ai achevée par balles » RTBF : « Les militaires ont téléphoné, il - Ildephonse NIZEYIMANA - m’a dit : non tu prends l’arme et tu vas tuer la fille, prenez le fusil, allez tuer la fille. Je suis venu, je l’ai tuée sur ordre des deux ». RTL-TVi : « J’ai tenté de la tuer encore, ça n’a pas été possible, on m’a obligé de la tuer par coups de baïonnette, un coup de couteau. Version du « Soir » 12 avril 2001 : « Le capitaine m’a donné l’arme, je lui ai tiré une balle, elle n’était pas encore morte, le capitaine m’a ordonné de l’achever à la baïonnette, j’ai fait comme ça ». Alors, ce ne sont pas des contradictions de détails, on est face à la personne qui a tué cette jeune fille. Les contradictions portent sur la manière dont cette jeune fille a été tuée, sur les personnes qui en auraient donné l’ordre, sur qui les a amenées la première fois dans un bois. Des éléments indispensables. Outre ces nombreuses contradictions internes, vous vous rappellerez la manière dont Innocent NKUYUBWATSI a été appréhendé, entendu, vous vous rappelez cet après-midi on a diffusé les cassettes et entendu l’officier du parquet, le témoin 31. Vous vous souvenez tous, nous avons quelque peu souri, nous avions là un enquêteur aux déclarations plus que vagues qui nous explique ses super méthodes d’investigation, très secrètes, dont il ne tient d’ailleurs pas à nous révéler l’entièreté parce que ce serait là dévoiler la manière dont il mène ses enquêtes. Il l’emmène au restaurant, pour lui rappeler une ancienne amitié qu’ils avaient à l’époque, pour le mettre en confiance, il est d’un flou absolu !

Ce témoin qui n’est pas entendu par un magistrat belge, qu’il est impossible de faire venir ici, peut être extrait pour aller au restaurant, ou pour se pavaner devant les caméras d’RTL-TVi ou RTBF. Vous vous rappellerez également, ça a fait l’objet de pas mal de questions et d’interventions suite à la diffusion des vidéos et l’intervention de Monsieur le témoin 31, toute la question de cette procédure quant à l’aveu de culpabilité. On a voulu nous dire : « Mais écoutez, dans la loi rwandaise rien ne nous dit que nécessairement Innocent NKUYUBWATSI bénéficiera de cette mesure qui vise diminuer la peine parfois en passant de 20 ans à 7 ans parce qu’on a avoué, parce qu’on a collaboré en dénonçant d’autres ». Je le veux bien, moi, ce qui m’importe ce n’est pas l’application stricte de la législation rwandaise, ce qui m’intéresse c’est de savoir comment Innocent NKUYUBWATSI a perçu les choses. Qu’est-ce qu’il en a compris lui, de cette procédure d’aveu de culpabilité ? A la fin de son audition par Monsieur le témoin 31 qui s’est déroulée en plusieurs jours puisque la prise de contact est nécessaire, on lui demande s’il a quelque chose à ajouter quant à sa déclaration. Et il répond : « Si jamais je me souvenais d’autre chose, je le dirais volontiers parce que j’aimerais faire amende honorable et je souhaiterais faire partie de ceux qui plaident coupable ». Il semble manifestement avoir saisi l’intérêt, toute l’opportunité de plaider coupable. Dans ses déclarations devant les caméras d’RTL-TVi, il est également très clair puisqu’il nous explique qu’il est intéressant d’avouer que ça facilite l’enquête, ça facilite le travail du Tribunal. Quand vous acceptez vous facilitez même le tribunal ! Vous facilitez même le procès et, si possible, quand vous avez avoué avant, il y a lieu de demander pardon et puis, on diminue la peine si j’ose le dire !

Innocent NKUYUBWATSI, arrêté quelques jours avant, a parfaitement saisi l’intérêt, parfaitement saisi l’intérêt d’avouer et de dénoncer des pseudo-commanditaires, pseudo-supérieurs pour parvenir à ce qu’il souhaitait, je suppose : obtenir une diminution de peine.

Alors, outre les contradictions internes, outre cette manière particulièrement bizarre d’interroger un coupable, il y a également un grand nombre de contradictions externes avec d’autres témoins. Les plus parlantes sont par rapport au témoignage apporté par Monsieur le témoin 118 hébergé par Vincent NTEZIMANA qui se trouvait là, qui se trouvait hébergé à cette époque-là au moment où la jeune fille est assassinée. On a là des contradictions effarantes. le témoin 118 nous dit : « Innocent NKUYUBWATSI et Vincent NTEZIMANA étaient grands amis ». Innocent NKUYUBWATSI nous dit : « Je ne le connaissais pas du tout avant d’être hébergé chez lui ». Innocent NKUYUBWATSI, quant au lieu de vie de Vincent NTEZIMANA, de ses enfants, de son petit frère nous dit : « Ils habitaient tous chez NIZEYIMANA depuis le début, depuis le début jusqu’à la fin de génocide ils habitaient là-bas ». Longin vient vous dire : « Moi je logeais chez Vincent NTEZIMANA avec le témoin 142, avec Innocent », et il dira dans ses déclarations que les enfants de NTEZIMANA et le petit frère, il ne les a jamais vus et, bien entendu, ses enfants et le petit frère partent le 12 avril. Un autre élément particulièrement troublant dans la cassette RTBF : Innocent NKUYUBWATSI parle de ce qui s’est passé après l’assassinat de la jeune fille, quand on a déplacé le corps et il dit : « le témoin 118 a aidé à déplacer le corps ». Tiens ! Interrogé là-dessus à l’audience quant à ce qu’il sait quant aux circonstances de l’assassinat de la jeune fille, il dit : « Caritas m’a dit que NKUYUBWATSI avait tué la jeune fille ». Caritas lui dit que NKUYUBWATSI avait tué la jeune fille ! Sur question de Monsieur le président : « Caritas ou Innocent vous ont-ils dit sur ordre de qui ? ». Il dit : « On discutait peu là-dessus ». Le meurtre de la jeune fille, suivant ses déclarations faites à l’audience, il n’en sait quasi-rien. Il a pourtant aidé à déplacer le corps selon les déclarations d’Innocent NKUYUBWATSI.

Alors, cet assassinat, sous les yeux effectivement de Vincent NTEZIMANA, intervient dans un contexte particulier, qu’on a évoqué hier, contexte de massacres, de peur, de guerre. Contexte de guerre, sinon vous ne seriez pas là, compétents, pour juger de tels faits. Face aux seuls témoignages et aux innombrables contradictions d’Innocent NKUYUBWATSI quant à ce fait, je crois qu’on peut facilement répondre : « Non » à la question dans l’acte d’accusation qui est de savoir si Vincent NTEZIMANA a volontairement, avec intention de donner la mort et avec préméditation, commis un homicide sur la personne d’une jeune fille blessée, dont l’identité n’a pas été déterminée à ce jour.

Autre question, évoquée par Maître CARLIER un peu plus tôt dans la matinée et qu’il y a lieu de se poser : « Y a t-il eu de la part de Vincent NTEZIMANA omission d’agir dans les limites de sa possibilité d’action pour empêcher ce fait ? ». Alors, on tente de nous dire : « Oui, profil bas, ce grand professeur d’université, cette figure de Butare qui devait avoir un ascendant fantastique sur cet Innocent NKUYUBWATSI », rappelez-vous, la société rwandaise est très hiérarchisée, il y a des rapports patrons-ouvriers, c’est incontestable, c’est comme ça que ça se passe. Mais cette vision, elle s’applique à un contexte normal de situations au Rwanda, bien entendu. Toute société est hiérarchisée. Dans toute société, il y a des sortes de rapports de force dans une situation normale. Mai 94, on n’est pas dans une situation normale. Mai 94, on est dans ce contexte de guerre, de massacres, de peur permanente où on nous l’a dit, de nombreux témoins nous l’ont dit, les rapports de force sont renversés. La hiérarchie habituellement valable n’a plus court. La peur est le maître-mot.

Plusieurs témoins, le témoin 9, nous parlent de cette peur et du fait que lui-même, face au meurtre du professeur Pierre-Claver KARENZI, il n’a rien fait. On ne pouvait rien faire ! On avait peur ! le témoin 150 nous parle de cette insécurité qu’on sentait, qui était palpable. le témoin 104 est venu nous dire également, qu’en 1994 un petit rien du tout t’arrêtait et te faisait ce qu’il voulait. Et paroles d’un autre témoin, dont, à mon sens, on ne peut critiquer les propos puisqu’il nous a tous émus, le témoin 110, ce héros, vient nous dire : « Les gens avec le pouvoir pendant ces événements, c’est les bandits armés dans la rue ». Plus forte est la peur à venir, on ne pense même plus à la peur éprouvée hier ou éprouvée le matin : on pense à celle plus horrible sans doute qui viendra demain. Il insiste même en disant que le commandant de place lui-même avait peur et semblait tout à fait dépassé par les événements. C’est dans ce contexte-là qu’on demande à Vincent NTEZIMANA d’agir. Il est face à un bandit armé de la rue, il est face à Innocent NKUYUBWATSI qu’on voit se balader en uniforme militaire parfois avec des grenades, parfois avec une arme. Sa peur vis-à-vis de Innocent NKUYUBWATSI, Vincent NTEZIMANA l’a exprimée au moins à deux personnes, le témoin Louis-Marie à qui il a dit effectivement qu’il fallait se méfier d’Innocent, qu’il s’agissait d’un tueur et à la question de savoir pourquoi il ne l’avait pas chassé, il en avait peur, peur même du chasser, peur de prendre position ouvertement contre lui. Et il y a également le témoin 118. Effectivement, Vincent NTEZIMANA nous a dits de nous méfier et sur une question de vous, Monsieur le juré numéro 6, quant à la réaction et ce qu’on pouvait prévoir d’Innocent NKUYUBWATSI, il a dit : « Il n’est pas facile de dire s’il pouvait avoir une quelconque influence sur Innocent NKUYUBWATSI ». Et c’est dans ces conditions là que l’on demande à Vincent NTEZIMANA d’agir.

A ce moment-là, il pense à lui, il pense à lui et aux personnes qu’il héberge. Ca, c’est de l’instinct de survie. On a des gens dans sa maison et on sait que si on ouvre la bouche, soi-même, évidemment, mais les autres aussi, risquent d’être tués. Il a fait le petit par peur. D’accord, il n’a pas été un héros, mais Vincent NTEZIMANA c’est pas Batman ou Superman, hein ! C’est quelqu’un dans un contexte de guerre qu’il connaît pour la première fois, qui a une trentaine d’années et qui se trouve lui, intellectuel face à un bandit armé qui est capable d’achever comme ça, de but en blanc, une jeune fille. Alors, je ne sais pas vous, mais moi, je me dis que dans une telle situation, je ne suis pas sûre d’avoir une attitude plus héroïque. J’irais même plus loin pour dire que j’en suis certaine, mais ça c’est une question personnelle. Dans un contexte normal, dans une situation normale, notre petite société bien tranquille avec une vie toute sereine et pacifique de tous les jours, il y a différentes études qui montrent que pour un bête accident de voiture, quelqu’un que vous voyez étendu, imaginons sur une bande d’arrêt d’urgence, il faut entre une demi-heure et une heure pour que, bon ben on se bouge, on se mobilise et on fasse autre chose que simplement ralentir et créer un bouchon, pour qu’on intervienne dans un contexte normal, il nous faut une demi-heure à une heure. Et on demande là, dans un contexte de guerre, de peur et de massacres, de poser un acte plus qu’héroïque et qui le condamne, qui le condamne lui et les personnes qu’il héberge. Alors, en raison de ce contexte, à la question : « Vincent NTEZIMANA a t-il omis d’agir dans les limites de sa possibilité d’action pour empêcher que cette jeune fille soit tuée ? ». Je ne vois qu’une réponse : « Non il n’a pas omis d’agir ». Je vous remercie.

Le Président : Merci Maître BELMARI. Je suppose que vous aurez encore d’autres sujets à aborder, cet après-midi ?

Me. BELAMRI : Tout à fait.

Le Président : Eh bien ! Je suggère que nous suspendions l’audience maintenant et que nous la reprenions à 13 h 30. Je vous souhaite bon appétit.

[Suspension d’audience]

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Bien, Maître CARLIER, je vais vous redonner la parole pour la suite de votre plaidoirie.

Me. CARLIER : Ce qui a été plaidé ce matin ne devait pas être plaidé. Vous vous dites : « On aurait pu gagner une demi-journée, c’est déjà suffisamment long comme ça ». Il n’appartient pas à l’accusé de prouver son innocence, il appartient à l’accusation de prouver qu’il est coupable.

Alors, les cinq faits qu’on a retenus, les listes… Qui prouve que ces listes ont servi à tuer et pas à évacuer ? Alors qu’un témoin direct vient dire l’inverse. Bien sûr, il y a eu des listes pour tuer, mais pas celles-là, pas pour tuer les professeurs d’université comme Monsieur KARENZI ; cela, ce n’était pas nécessaire. Jamais, on n’a vu ces listes-là dans les mains de tueurs ; on l’a demandé de temps à autres à des témoins qui parlaient de listes, ce n’était pas celles-là, jamais. Ces listes-là n’ont jamais servi à tuer, ça n’est pas prouvé.

Sur l’assassinat de la famille KARENZI, qui prouve que Vincent NTEZIMANA a commandité cet assassinat ? Rien. Yvette ne vient pas du tout dire cela. Yvette, ou les parties civiles me détromperont si je fais une erreur, mais ne se constitue pas partie civile. Nous avons eu de très nombreuses constitutions de parties civiles sur ces deux derniers jours, plus d’une cinquantaine. Il ne faut pas être mort pour se constituer partie civile. Avec ce qu’elle a souffert, elle le pourrait. Peut-être qu’elle le fera encore, les débats ne sont pas clos.

Pour la famille NDUWUMWE, la principale accusatrice ne vient pas, et les autres, on voit des contradictions, mais d’une excessive importance par rapport à l’accusation. L’accusation ne prouve rien du tout. Pour le jeune homme à la barrière, à côté d’un accusateur, le fameux le témoin 142 qui ne vient pas pour motifs professionnels, un témoin direct, l’abbé le témoin 150, dit : « Vincent NTEZIMANA n’a rien à voir avec ça ».

A propos de la jeune fille, le témoin surprise de dernière minute, Innocent NKUYUBWATSI, qui n’était pas surprise parce que c’est Vincent NTEZIMANA qui avait donné son nom, il devait bien ressortir un jour, mais il dit des versions totalement différentes. L’accusation n’établit pas avec des éléments comme cela que Vincent NTEZIMANA a donné l’ordre de tuer cette jeune fille. Une question sérieuse se pose là. Celle-la me paraît très sérieuse. Est-ce qu’il a omis d’agir dans la limite de ses moyens ? Ca, c’est une de ces questions, où je crois, en intime conviction, vous devrez vous le demander. Ca, c’est du sérieux. Oui, par rapport à tout le reste qui n’est pas sérieux, où rien n’est établi. Là, effectivement, il y a une question : est-ce qu’il aurait dû agir ? Est-ce qu’il pouvait agir, par rapport à ses moyens, par rapport à la situation ? On en a parlé. Ca, c’est une vraie question !

Alors, ce n’est pas que la défense, vous savez, qui dit que les accusations ne sont pas établies. Ca a été dit avant que le procès ne vienne, ici, devant vous, deux fois, de façon très importante, par des magistrats. Ce qu’on n’appelle pas encore les accusations, à ce moment-là, avant que ce soit devant le procès comme ceci, on parle de charges. Est-ce qu’il y a des charges suffisantes pour qu’il y ait un procès ?

Et deux fois, au niveau international et au niveau national, on a dit : « Non, contre Vincent NTEZIMANA, il n’y a pas de charges suffisantes ». De quoi s’agit-il ? Au niveau international d’abord, il s’agit du Tribunal pénal international pour le Rwanda, on en a déjà parlé. A un moment donné, le cas de Vincent NTEZIMANA… on a envisagé du soumettre au Tribunal pénal international pour le Rwanda. Il y avait, à ce moment-là, quatre dossiers instruits par le juge d’instruction Damien VANDERMEERSCH : NTEZIMANA, HIGANIRO, et pas les deux sœurs, deux autres : KANYABASHI et NDAYAMBAJE qui sont au Tribunal pénal international. Et les représentants du procureur auprès du Tribunal pénal international ont pris des contacts avec la Belgique, sont venus voir l’ensemble de ces quatre dossiers.

Et le Tribunal pénal international pour le Rwanda s’est demandé : est-ce qu’on va examiner cela ? Et le procureur GOLDSTONE auprès du Tribunal pénal international pour le Rwanda, le 1er décembre 1995 - ceci est sa lettre - demande que la Belgique accepte de transmettre ces quatre dossiers au Tribunal pénal international pour le Rwanda. Et la Belgique accepte.

Nous sommes dans la hiérarchie du droit international. Si le juge international veut juger ces crimes de génocide, il a priorité sur les juges nationaux que vous êtes aujourd’hui. Et donc, les quatre dossiers sont transmis pour examen au procureur du Tribunal pénal international. Et, un mois plus tard, fin décembre 1995, le 22 très exactement, décembre 1995, le procureur GOLDSTONE écrit une deuxième lettre au juge d’instruction VANDERMEERSCH. J’ai ici l’original en anglais, je ne vais pas vous imposer la lecture en anglais. Mais il dit en substance ceci : « Sur le fondement du résultat de mes propres investigations et des critères de procédure et de preuves de notre tribunal, aujourd’hui, je ne requière pas que le dossier de Vincent NTEZIMANA soit déféré au Tribunal pénal international pour le Rwanda ».

Un seul dossier parmi les quatre qui avaient été communiqués, celui de Vincent NTEZIMANA, le procureur dit : « Sur base de nos critères, sur base de nos investigations, nous ne le prenons pas ». Et ce dossier est revenu en Belgique. Alors, il y a eu deux explications à ce moment-là. Explication de la défense, c’est de dire : « Vous voyez bien que cela veut dire qu’il n’y a rien dans le dossier, il n’y a pas de charges suffisantes ». Explication des parties civiles, différente, qui était de dire : « Non, c’est pas pour ça, c’est parce qu’au Tribunal pénal international, on ne s’occupe pas des petits poissons, on ne s’occupe que des gros, des grands responsables du génocide, des gros poissons ! ».

Quelle que soit l’explication que l’on retienne, est-ce que c’est l’image que l’on veut donner aujourd’hui dans l’accusation et dans les parties civiles de Vincent NTEZIMANA, de dire que c’est un petit poisson, c’est pas un grand responsable, ce n’est pas l’idéologue, ce n’est pas ça qu’on dit aujourd’hui.

Alors, que s’est-il passé en Belgique après cette décision du procureur auprès du Tribunal pénal international de ne pas évoquer, prendre le dossier de NTEZIMANA, alors qu’il prend les trois autres. Pour HIGANIRO, il y aura une décision. Ses avocats vous parleront de cela. Mais il ne prend pas le dossier de NTEZIMANA. Que se passe-t-il, en Belgique, à ce moment- là ?

Le juge d’instruction, Damien VANDERMEERSCH, très objectivement, prend une décision de mise en liberté de Vincent NTEZIMANA, parce qu’il est détenu à ce moment-là. Ca ne veut pas dire que le juge d’instruction dit : « C’est terminé, il faut clôturer le dossier ». Il estime, lui, qu’il y a des éléments suffisants pour continuer son enquête, et il va la continuer, mais il estime, et il l’a dit devant la juridiction que l’on appelle la Chambre du conseil, qui doit décider si on libère ou pas, parce que le procureur du Roi en Belgique n’était pas d’accord pour cette mise en liberté, le juge d’instruction a dit devant cette juridiction : « Je continuerai mon instruction, je continuerai mes enquêtes, mais honnêtement, je constate qu’il y a un avis extérieur et qu’il faut tenir compte de cet avis extérieur et qu’à tout le moins, Vincent NTEZIMANA doit être libéré ».

La juridiction, la Chambre du conseil, va accepter, et va prendre une décision de mise en liberté de Vincent NTEZIMANA ; mais l’accusation, le procureur du Roi ne sera pas d’accord. Il va faire appel devant ce qu’on appelle la Chambre des mises en accusations. Et la Chambre des mises en accusation ne va pas libérer Vincent NTEZIMANA, va aller contre l’avis du juge d’instruction, contre l’avis de la 1ère  Chambre du conseil et dire : « Non, il doit rester en détention ». Et, en faisant cela, cette Cour d’appel, cette Chambre des mises en accusation, va suivre l’avis qui a été donné en audience, devant cette Chambre des mises en accusations, par l’avocat général qui s’occupait de ce dossier.

Avant l’avocat général actuel, Monsieur WINANTS, c’était l’avocat général DECOTE, qui, très fermement, très sévèrement en Chambre des mises en accusation a dit : « On ne libère pas quelqu’un contre qui il y a des charges de génocide ». Il a même dit à ce moment-là : « Je n’ai pas eu le temps de voir tout le dossier, mais c’est suffisant pour dire qu’on ne peut pas libérer cette personne ». Et Vincent NTEZIMANA n’a pas été libéré.

Ca, c’est ce qui s’est passé au niveau international avec les conséquences au niveau national. Le procureur près du Tribunal pénal international n’a pas pris ce dossier. Qu’on l’interprète comme on veut, soit parce qu’il estimait qu’il n’y avait pas de charges suffisantes, soit parce qu’il estimait, ce que je ne crois même pas, que ce n’était pas un poisson suffisamment gros pour un Tribunal international. C’est un fait qui est très important tout de même. Ce n’est pas que la défense qui dit : « Les accusations ne sont pas suffisantes ».

Il s’est passé un deuxième événement, au niveau national alors, plus au niveau international. Il y a eu, au niveau national, six mois plus tard, le 20 juin 1996, au moment où on fait ce que l’on appelle le règlement de procédures, c’est-à-dire on va décider est-ce que ce dossier continue et va venir un jour devant une Cour d’assises ?

Il y a ce que l’on appelle un réquisitoire de non-lieu. Le réquisitoire de non-lieu comporte les mêmes préventions, ce qui est maintenant les accusations, contre Vincent NTEZIMANA : la famille KARENZI, la famille NDUWUMWE, un jeune homme non identifié et dernière prévention - c’est intéressant d’ailleurs de voir son libellé - la jeune fille… ce n’est pas d’avoir tué la jeune fille, ce qui est retenu à ce moment, c’est : « Ayant connaissance de faits commençant l’exécution d’un homicide intentionnel sur la personne d’une jeune fille blessée non identifiée, omis d’agir dans les limites de sa possibilité d’action pour en empêcher la consommation ».

C’est la question que j’ai suggérée tout à l’heure qui vous soit posée : « Est-ce qu’il a omis d’agir ? ». C’est ce qui était retenu à l’époque. Et ce réquisitoire de non-lieu se termine en disant : « Il n’existe aucune charge suffisante contre l’inculpé et l’instruction ne fournit aucun indice justifiant l’accomplissement utile de nouveaux devoirs ». Et donc demande que cela s’arrête là.

Ce réquisitoire de non-lieu est signé par Monsieur VER ELST-REUL, l’auditeur auprès de l’Auditorat militaire qui a été détaché pour faire enquête, d’abord pour les paras belges et puis, également, pour ces dossiers-ci. Je vous ai dit tout à l’heure, à un moment donné, il va au couvent, il montre la photo de NTEZIMANA au moment où ils enquêtent sur les paras belges. Et on vous a parlé de pressions qui auraient été faites sur cet auditeur pour signer ce réquisitoire parce que, en audience, cela est tout à fait vrai, l’auditeur VER ELST-REUL a dit : « L’écrit est là, il est signé, mais moi, ma parole est libre et je ne demande pas ça, je ne demande pas le non-lieu, je demande qu’il y ait procès, et que cela continue ».

Et c’est tout à son honneur, c’est tout à son mérite. Il y a procès aujourd’hui. La parole du magistrat est toujours libre en audience. Mais, ça ne veut pas dire qu’il y a eu des pressions sur lui. Il y a son supérieur hiérarchique, l’avocat général DECOTE - celui dont je parlais tout à    l’heure - qui avait réclamé fortement que Vincent NTEZIMANA reste en prison, qui avait dit : « En tant que supérieur, je demande un réquisitoire de non-lieu ».

Ce ne sont pas des pressions, ce n’est pas toujours que le supérieur demande à l’inférieur de faire ça ou ça, mais, dans un procès qui va vers les assises, ça n’est pas une pression, cela est normal. Parce qu’après, le dossier, il passe de toute façon devant ce supérieur, en Chambre des mises en accusations.

Ou alors, on doit parler de pressions partout. On oublie peut-être comment le dossier a été commencé tout au début. Comment une instruction a été ouverte, et pourquoi ? Le ministre de la justice, Melchior WATHELET à l’époque, après une conférence effectivement de GASANA Ndoba qui estime que les choses n’avancent pas, et c’est son droit, le ministre de la justice - la lettre est au dossier - donne injonction au procureur du Roi qu’il y ait une enquête et qu’il y ait un juge d’instruction.

C’est très rare, c’est comme pour le procureur général à l’égard du substitut. Mais ça n’est pas une pression, c’est son droit ! Et on comprend très bien dans la lettre pourquoi il décide ça. Il parle de l’ampleur du génocide, de la gravité de ces choses et de dire : « Il faut une enquête approfondie ». Et c’est son droit, en tant que ministre, ça n’est pas faire une pression, même si c’est rarissime que le politique, le gouvernement donne une injonction au judiciaire. Il a le droit du faire. Quand l’avocat général dit à l’auditeur VER ELST-REUL de signer un réquisitoire de non-lieu, c’est pareil : ça n’est pas une pression, c’est l’autorité supérieure qui demande de faire cela.

Alors, effectivement, on peut se demander pourquoi ? Et, on a au dossier -elle n’est pas confidentielle puisqu’elle est au dossier - une lettre des parties civiles : « A Monsieur l’avocat général DECOTE », datée du 20 juin 1996, c’est-à-dire le jour même du réquisitoire de non-lieu où, et on les comprend - c’est tout à fait légitime, les parties civiles s’interrogent sur pourquoi ce non-lieu ? Pourquoi venir dire qu’il ne faut pas aller plus loin ? Elles ont eu un entretien téléphonique avec l’avocat général DECOTE et elles signalent que l’avocat général leur a dit : « D’une part, il pourrait y avoir des difficultés au niveau juridique pour qualifier les faits au regard de la loi de 1993, conflit interne, pas conflit interne, etc. », je suppose que c’est ces questions-là qu’on se pose, mais l’avocat général a dit aussi : « Les charges paraissent insuffisantes après l’examen récent des 31 cartons auxquels l’avocat général a consacré plusieurs jours en vue du règlement de la procédure ».

Et voilà, un magistrat qui avait dit effectivement, en Chambre des mises en accusations : « J’ai pas vu tout le dossier, mais les éléments, ça suffit pour que NTEZIMANA reste en prison », qui dit après examen de l’ensemble du dossier, pendant de nombreux jours : « J’estime que les charges ne sont pas suffisantes ».

Cet avis n’a pas été suivi. La Chambre du conseil - on vous l’a dit et on l’a salué du point de vue des parties civiles - après trois semaines de délibérés, a pris une décision qui n’était pas le non-lieu de dire : « Il faut continuer, et ça doit aller devant la Chambre des mises en accusations, et la Chambre des mises en accusations renvoie ici le procès d’assises ». Après trois semaines de délibérés, c’est que ce n’était pas si facile que cela à délibérer non plus, je ne sais pas si vous prendrez trois semaines de délibérés au terme de ce procès, je suppose que non parce que vous aurez déjà une énorme fatigue, mais il y a lieu de tenir compte de cela, ça n’est pas rien tout de même.

Un magistrat international qui dit : « Nous ne prenons pas le dossier NTEZIMANA » et un magistrat national qui dit : « J’estime qu’il n’y a pas de charges suffisantes ». Et alors, on vient parler de pressions, je ne sais pas si on parlerait de pressions aussi sur le magistrat international, alors je ne sais pas d’où elles venaient. C’est ça qui conduit à dire, pas seulement l’examen qu’on a fait, que la défense fait des faits, c’est ça qui conduit à dire aussi : ces accusations, ces charges, elles reposent des faits d’une extrême faiblesse, sans preuves. Je suis convaincu que si nous étions dans un procès de crime normal, de droit commun comme on dit, avec des charges aussi faibles, jamais nous ne serions ici devant vous. Jamais, il n’y aurait eu de Cour d’assises.

Mais, il y a l’horreur du génocide, et c’est une réalité et on le comprend qu’on en tienne compte. Face à l’horreur du génocide, on éprouve le besoin de juger, et ça c’est normal. Mais, soyez attentifs à ce que vous aurez à faire : c’est juger des accusations précises dont, à plusieurs reprises, il a été dit qu’elles n’étaient pas suffisamment établies. Alors, face à ça, face à l’absence de preuves, à l’absence de charges établies, qu’est-ce qui va se passer ?

Deux choses : on va multiplier les accusations, d’autres accusations dont vous n’avez même plus à connaître aujourd’hui - je vais en parler - et on va dresser un portrait de Vincent NTEZIMANA qui n’est plus du tout un portrait d’un petit coupable qui n’aurait pas eu le courage d’empêcher quelque chose, par exemple. On va dresser un portrait d’un extrémiste de longue date, qui se cache ou qui ne se cache pas, et puis qui apparaît, et on va voir ces deux choses là.

Il y a un témoin qui est venu ici, le témoin 9, témoin à charge de Vincent NTEZIMANA, qui a dit à un moment donné une chose qui m’a fait profondément réfléchir. Il a dit : « Il n’y a pas de fumée sans feu ». Il a dit cela à propos… dans sa relation des faits, de ce que juste avant de partir, il avait vu, à Butare, les télévisions belges, celles qui ont fait les deux reportages sur Innocent NKUYUBWATSI, et il nous a dit : « Là, si ce n’était pas certain, si j’avais peut-être un doute, je me suis dit : tout de même, si on a arrêté Innocent NKUYUBWATSI, quelqu’un qui vivait chez NTEZIMANA et s’il y a les télévisions belges, là maintenant, en vue de ce procès, qui viennent arrêter celui-là qui est en prison, c’est tout de même qu’il y a quelque chose, c’est tout de même que c’est vrai, il n’y a pas de fumée sans feu. On a vu les télévisions ! ».

Vous savez, ça me fait penser à ces publicités écrites alors dans la presse où on met : « Vu à la télévision » pour vous convaincre que c’est vrai. On ne dit pas que ce qu’on a vu à la télévision, c’est une publicité aussi, c’est la même. Il n’y a pas de fumée sans feu. La multiplication des accusations va consister en cela : faire de la fumée. Pas parce qu’il y a du feu derrière, mais pour cacher la faiblesse des accusations.

Je vais retenir quatre autres accusations qui ont été avancées contre Vincent NTEZIMANA. Il a été accusé d’avoir menacé le témoin 76, c’est elle-même qui le dit, il l’aurait menacée pendant le génocide, à Butare. L’accusation ne va pas tenir longtemps, parce qu’à ce moment-là, il va pouvoir être établi que le témoin 76 n’était pas à Butare, qu’elle était ailleurs. Mais elle va porter alors d’autres accusations et, notamment, les fameux propos extrémistes qui se passent dans des bus.

le témoin 76 n’est pas venue, elle était sur la liste des témoins. On ne l’a pas vue, on ne l’a pas entendue. Elle a signalé qu’elle ne venait pas pour motifs professionnels. Certains - mais je n’en sais rien, là, c’est franchement quelque chose que je ne peux pas vous prouver - ont dit l’avoir vue à Bruxelles. Je n’en sais rien. Vous vous souviendrez que j’avais déposé auprès de la Cour une demande de vérification. Est-ce que ce témoin… qu’on ait les listes exactes des témoins et de savoir précisément : est-ce que ce témoin, Rose MUKANGOMEJE, est venue, de faire vérifier, le cas échéant, au Rwanda, sur son passeport, est-ce qu’elle a franchi les frontières ? Pourquoi serait-elle venue et ne serait-elle pas venue témoigner devant vous ? Cette vérification n’a pas été faite.

Mais, en tout cas, elle n’est pas venue, selon elle, pour motifs professionnels. Peut-être aussi, vous vous en souviendrez, parce qu’un autre témoin, un ancien membre du FPR, du Front Patriotique Rwandais et de l’armée du FPR, le témoin Deus KAGINAREZA, avait dit que c’était une personne qui montait des accusations et que cela avait déjà été établi au Rwanda, dans d’autres dossiers.

Une deuxième accusation qui avait été lancée contre Vincent NTEZIMANA : c’était d’avoir menacé les enfants de Madame BELINDA, épouse KALISA. Il y a des dépositions de Madame BELINDA, épouse KALISA au dossier qui ne sont pas très favorables à Vincent NTEZIMANA, vous savez, quant à la façon dont elle le décrit. Mais, sur cette accusation, d’avoir menacé ses enfants, elle dit très clairement : « Non, ce n’est pas vrai ». Elle dit aussi très clairement : « Quand j’ai dit cela que ce n’était pas vrai que Vincent NTEZIMANA avait menacé mes enfants, je me suis sentie exclue par tous les bords. Les accusateurs qui n’aimaient pas que je ne dise pas que Vincent NTEZIMANA n’avait pas menacé mes enfants. Et les autres, parce que je ne suis pas celle qui va non plus dorer la pilule le cas échéant ». Elle dit simplement la vérité : cette accusation faite contre Vincent NTEZIMANA n’est pas vraie.

Troisième accusation qui, au départ, était simplement une rumeur… beaucoup de rumeurs, que Vincent NTEZIMANA ait tué Caritas, sa bonne, la bonne des enfants qu’ils avaient engagée, peu de temps avant. L’épouse de Vincent NTEZIMANA vous l’a dit. Elle n’avait pas de carte d’identité d’ailleurs, ce qui est là le problème parce qu’on dit parfois : « Pourquoi elle n’est pas partie avec les enfants sur la colline ? ». Elle n’avait pas de carte d’identité. Le moindre barrage, elle ne passait pas.

L’épouse de Vincent NTEZIMANA vous a dit : « J’allais m’occuper de cette question de carte d’identité après mon retour des Etats-Unis ». Et Caritas, au début, ne savait pas, parce qu’ils ne demandent pas la carte d’identité, après ils ont su, effectivement, qu’elle était Tutsi parce qu’il y a eu cette affaire avec l’autre jeune homme engagé chez eux, Madame NTEZIMANA en a parlé, qui, à un moment donné, avait dit à Caritas : « C’est toi qui va être renvoyée avant moi, de toutes façons, parce que moi, je suis de la région de Rigi et toi, qui n’est qu’une Tutsi, tu seras renvoyée ». Caritas était revenue avec sa maman expliquer les choses : c’est le jeune homme qui a été renvoyé de la famille NTEZIMANA, pas Caritas.

Mais, on a accusé NTEZIMANA d’avoir tué Caritas. J’ai posé la question ici au témoin Longin, qui avait logé chez NTEZIMANA, et qui est resté chez NTEZIMANA après son départ : « Est-ce que Caritas était encore là à ce moment-là ? ». Il a dit : « Oui, elle était toujours là, elle n’avait toujours pas de carte d’identité, ce qui l’empêchait toujours de fuir, mais elle était toujours là ». Alors, on a tenté de dire que c’était une confusion, qu’on ne l’accusait pas en réalité d’avoir tué Caritas, mais, l’autre jeune fille qui était confondue parce que c’était un peu une domestique comme Caritas, c’était pas une domestique, elle logeait avec Caritas.

Et, lors de la commission rogatoire, il y a un témoignage de RUDODO Alfred, du 8 mai 1995, qui dit, notamment, ceci : « Il paraît également - et vous voyez que c’est toujours la rumeur - il paraît également qu’il (c’est Vincent NTEZIMANA) il paraît également qu’il aurait éliminé lui-même sa bonne qui était d’origine Tutsi ». Il n’y a pas de confusion là, ce n’est pas l’autre domestique. C’est sa bonne qui était d’origine Tutsi. On sait que ce n’est pas vrai, il n’a pas tué Caritas.

Quatrième et dernière autre accusation que je retiens : Vincent NTEZIMANA aurait, lors d’une réunion, en Belgique, en 1990, de la CERB, la Communauté des Etudiants Rwandais de Belgique, dont il a fait partie, on en parlera, de 90 à 92, lors de la réunion de formation de cette communauté des étudiants rwandais, il se serait levé et il aurait dans cette réunion, je cite : « Proposé une motion invitant le gouvernement rwandais à consacrer un mois de soldes des soldats de l’armée à l’achat de machettes qui seraient distribuées à la population Hutu ».

Il y a deux choses par rapport à cette accusation de Vincent NTEZIMANA qui propose l’achat de machettes par le salaire. Il y a une première chose, qui est que cette accusation va être totalement démentie. Heureusement pas par un témoin : par trois témoins qui étaient à cette réunion.

Un témoin, Raymond NTIBIHEZWA qui dit : « Dans le courant du mois d’octobre 1990, il y a eu une réunion des étudiants rwandais en Belgique qui a été tenue au Centre international des étudiants étrangers, à l’issue de laquelle il a été décidé de créer la CERB, Communauté des Etudiants Rwandais en Belgique. Vous me citez les propos qui vous ont été rapportés par un certain KARENGWA Pierre-Célestin, comme quoi NTEZIMANA aurait proposé l’achat de machettes et son mode de financement. NTEZIMANA n’a jamais tenu de tels propos durant cette réunion ».

Un deuxième témoin, le témoin 107, je lis : « Vous me donnez connaissance d’une déclaration d’un certain KARENGWA Pierre Célestin, partie de cette déclaration précisant les propos qu’aurait tenu NTEZIMANA Vincent quant au sort qui pouvait être réservé aux Tutsi (achat de machettes à remettre aux paysans Hutu ainsi que le mode de financement pour leur achat). Je connais KARENGWA Pierre-Célestin qui me connaît également. Je suis formel, cette personne n’a jamais assisté à la réunion en question. Ensuite, dans cette réunion, il n’y avait pas que des Hutu, il y avait aussi des Tutsi, le nommé le témoin 124 n’était pas présent non plus ». le témoin 124 est un autre des accusateurs. Vous l’avez entendu, ici, également.

Troisième témoin, Anastase le témoin 63, je lis : « Je me souviens effectivement avoir participé à cette réunion : la réunion à laquelle je fais allusion est celle où il a été décidé de créer la Communauté des étudiants rwandais en Belgique. Durant celle-ci, je ne me souviens pas que NTEZIMANA ait pris la parole devant l’assemblée. De toutes façons, s’il avait tenu les propos concernant l’achat de machettes et son mode de financement, je m’en souviendrais certainement ».

Alors, vous me direz : « Mais pourquoi parler de ça puisque ce sont des accusations qui ne sont plus retenues maintenant et qui ne viendront pas dans les questions ? Pourquoi perdre du temps à ça ? ». Si on se met un moment à la place de NTEZIMANA, on peut tout de même se demander pourquoi ces accusations ? Même si, après, elles ne vont plus être retenues. Pourquoi ces accusations et pourquoi devoir se battre alors tout le temps, devant de nouvelles accusations ? Par rapport à cette proposition d’achat de machettes et de financement de l’achat des machettes, l’autre chose extraordinaire, c’est qu’on n’y trouve pas là, le NTEZIMANA masqué, l’extrémiste très habile qui ne se montre extrémiste devant personne, qui ne le sera qu’au moment du génocide. On l’accuse d’avoir publiquement - c’est une réunion de plus de trois cents personnes- proposé cet achat de machettes ! Pourquoi ces accusations ? Pourquoi ces accusations ?

Cette multiplicité, cet excès de fumée, pas de fumée sans feu, conduit nécessairement à s’interroger sur qui porte les accusations, sur les accusateurs. C’est humain. Si je suis innocent et ces accusations-là ne sont plus retenues, je demande qui et pourquoi ces accusations ? Alors, comment commencent les accusations ? Au départ, on vous a dit : « Finalement, l’origine de tout, c’est l’enquête que fait le professeur, Monsieur le témoin 144. S’il n’avait pas commencé son enquête, finalement, peut-être que rien ne se serait mis en route ».

L’origine de tout, c’est avant cela. La réunion qui se tient - effectivement un autre témoin, le professeur GALLE en a parlé, parce que le professeur VAN YPERSELE n’y était pas - la réunion qui se tient dans le département où NTEZIMANA travaille parce qu’il y a des rumeurs et qu’il faut savoir quoi. On abrite ou non un génocidaire ? Il n’est pas question de continuer cela.

Et, à cette réunion, il y a trois personnes qui viennent accuser Vincent NTEZIMANA. Ce sont les trois premières : Pierre-Célestin KARANGWA, les machettes, vous avez entendu, et puis Epimaque SHERETI, actuellement représentant du FPR en Belgique, Pascal NYAMURINDA, à l’époque représentant du FRR à Louvain-la-neuve.

Ces trois personnes-là portent les premières accusations. Aucun des trois n’est venu ici porter encore des accusations ; un des trois au moins est en Belgique et puis Epimaque SHERETI, pas venu. Les autres pouvaient comme d’autres témoins venir aussi, le cas échéant, pas venus.

Et puis, après ce trio de départ, il y a le témoin anonyme, vous savez qu’il y a un témoin anonyme dans ce dossier. Forcément, il est anonyme, on ne sait pas qui c’est donc on ne peut pas le faire venir, on ne peut pas l’entendre, on ne peut pas le questionner. A deux reprises, le juge d’instruction a fait demander si ce témoin ne voulait pas lever son anonymat. Il disait qu’il avait peur… menaces éventuelles, il n’a pas voulu lever son anonymat. Mais c’est son droit, mais donc, on ne sait pas l’interroger.

Après le trio, il est dans ces premiers accusateurs et l’on ne sait rien de lui. Alors, je retiens juste un passage de ce qu’il dit des accusations que lui, il porte. Il est extrêmement bien renseigné, vous savez, parce qu’il termine ses accusations en disant, c’est devant l’inspecteur de STEXHE : « Les dispositions des articles 66 à 69 du Code pénal belge ne définissent précisément pas autrement la participation de plusieurs personnes aux même crimes en parlant de NTEZIMANA et des crimes dont il l’accuse ».

Et, à propos de l’assassinat de la famille KARENZI, volontairement je n’ai pas parlé du témoin anonyme tout à l’heure, lui aussi, il parle de cela et les parties civiles en ont déjà parlé. Il dit ce que des Zamus, des gardiens, ont vu et il dit : « Il - Vincent NTEZIMANA - a accompagné et guidé trois militaires jusque la maison du professeur Pierre-Claver KARENZI, docteur en physique et professeur à la faculté des sciences, comme Vincent NTEZIMANA lui-même. Après leur avoir montré la maison, il s’est retiré en laissant sur place les militaires qui ont sorti le docteur KARENZI de chez lui pour aller le tuer sur la rue, devant l’hôtel Faucon. C’était à la date du jeudi 21 avril 1994, vers 16 h 30, la maison de NTEZIMANA était la cinquième à partir de celle de KARENZI ».

Et personne d’autre que ce témoin anonyme ne dit cela. Pas un seul témoignage ne vient conforter cela. NKUYUBWATSI dit tout autre chose, on le rappelle : « Le militaire vient chez NTEZIMANA et puis il part. KARENZI n’est plus là, les enfants ont été tués. Il va rencontrer quelqu’un qui va lui montrer ». Et Yvette écrit dans son cahier, et elle dit lorsqu’elle est entendue, que les militaires arrivent vers 15 heures. Alors, on va de nouveau dire : « On ergote ici, c’est 16 h 30 l’heure à laquelle NTEZIMANA désignerait la maison ».

Un témoin anonyme dont nous ne savons rien, dont nous ne saurons jamais rien, est le seul à porter cette accusation-là, qui est en totale contradiction, non seulement avec le témoignage de Yvette et le témoignage de NKUYUBWATSI, mais aussi le témoin direct qui dit où Vincent NTEZIMANA se trouvait toute l’après-midi quand ils ont appris la mort de KARENZI.

Ces accusations du témoin anonyme vont alors être reprises par GASANA Ndoba, le principal plaignant, le principal accusateur, la partie civile. Il a témoigné, sous serment, parce qu’il est déjà… il était déjà partie civile. Sa douleur de victime n’est pas à nier ou à édulcorer d’une quelconque façon. Et il y a cette phrase du sociologue : « La douleur légitime des victimes n’est pas toujours lucide ». Et, au vu du rôle de Vincent, contre Vincent NTEZIMANA, du rôle de GASANA Ndoba dans ce dossier, tout le temps d’apporter les documents, de faire toute une série d’enquêtes, non pas la justice, la société qui fait l’enquête à ce moment-là. Il y a un malaise. Il y a un réel malaise quant à l’objectivité de cela.

Ces enquêtes sont notamment faites lorsque GASANA Ndoba se rend au Rwanda au nom du Comité pour le respect et la défense et de la démocratie au Rwanda. Il dit : « Je vais, après le génocide, au nom de ce Comité enquêter et je vais enquêter aussi sur les proches de ma famille qui sont morts ». D’accord. Mais l’objectivité des activités de ce comité, et je l’ai demandé à Monsieur GASANA Ndoba ici, est fortement mise en doute par de nombreuses personnes.

Un témoin, Edouard MASENGO dit ceci : « Le CRDDR, c’est ce Comité pour le Respect des Droits de l’homme et de la Démocratie au Rwanda, dont j’ai fait partie, mais dont je me suis retiré en 1992, est connu aujourd’hui pour ses opinions ethnicisantes. Je vous défie de trouver une prise de position de ce comité contre les exactions du FPR à l’endroit des populations Hutu, après que de tels massacres durent depuis 1990 jusqu’à tout récemment à Kibeho. Il ne s’agit pas pour eux, à mon avis, de défendre les droits de l’homme, mais de défendre les droits des Tutsi. Ma famille a été victime du génocide, puisque j’y ai perdu quelque 50 membres dont ma mère, mes deux frères, une petite sœur, mon oncle paternel, sa femme et ses quatre enfants, ma tante paternelle, son fils et ses petits-enfants et bien d’autres. Ils demeuraient tous dans la région de Cyangugu. Malgré tout cela, je ne veux jamais y trouver de raison de me comporter en extrémiste ou ethniste ».

Un autre témoin a dit, à propos du même comité de GASANA Ndoba, c’est Joseph NDAHIMANA : « J’ai fait partie de CRDDR et j’ai démissionné début de cette année - nous sommes en 1995 - car je me suis rendu compte que ce comité n’était pas capable d’analyser objectivement les choses qui se sont passées au Rwanda ». J’ai cité cet extrait à Monsieur GASANA Ndoba lorsque nous l’avons entendu ici, il a dit simplement : « Il y a des divergences d’opinion qui font qu’on ne peut ne pas être d’accord ». Oui, des divergences d’opinion, peut-être, mais quelles peuvent être les conséquences de ces divergences d’opinion ?

Vous avez entendu ici, tout au début, un professeur que l’on a cité souvent, le professeur Philippe REYNTJENS comme témoin, non pas des faits, mais de contexte de la situation générale. Dans son livre sur « L’Afrique des grands lacs en crise », le professeur Philippe REYNTJENS écrit ceci : « La percée remarquable du message du FPR s’explique en partie par la faible connaissance du Rwanda de la part tant des médias que de l’opinion publique et politique. En outre, le FPR s’est facilement trouvé des relais, si nécessaires, des relais sont créés de toute pièce. Ainsi naît à Bruxelles, au début novembre 1990, un Comité pour le Respect des Droits de l’Homme et de la Démocratie au Rwanda : le CRDDR, une organisation, apparemment autonome, créée à l’initiative de sympathisants du FPR ».

Ca pose problème quant à l’objectivité des accusations qui sont portées de la part de Monsieur GASANA Ndoba. Pose problème aussi le statut de Monsieur GASANA Ndoba. Il a dit effectivement qu’il était responsable du Comité national des droits de l’homme, commissaire national des droits de l’homme. Ca n’est pas une organisation non gouvernementale, ça n’est pas une Ligue des droits de l’homme, c’est un organisme officiel, un comite national comme nous avons un Commissariat général aux réfugiés, par exemple. Monsieur GASANA Ndoba a été nommé à ce poste par décision du Conseil des ministres du 27 septembre 1996, de même que, par décision du Conseil des ministres, c’est celle-ci qui est du 27 septembre 1996 - l’autre est du 26 mars 1999 - par décision du Conseil des ministres du 27 septembre 1996, il était nommé représentant de l’Etat rwandais au sein du Conseil d’administration de PETRORWANDA.

Ca pose des problèmes quant à l’objectivité. Ca ne met pas en doute la douleur des victimes ni la réalité du génocide, mais cela pose des problèmes quant à l’objectivité des accusations qui sont portées ! Ca permet peut-être, alors, de mieux saisir aussi ce qui peut se passer, des accusations qui sont lancées par certains au départ, dont l’objectivité est très loin d’être évidente, et puis que la rumeur va effectivement reprendre et colporter.

En 1994, à Butare, Vincent NTEZIMANA est un inconnu, plusieurs sources de cela. Quand on l’interroge à ce moment là, Joseph MATATA l’a dit, Madame le témoin 143 l’a dit, l’auditeur militaire VER ELST-REUL quand il montre sa photo au couvent, on ne connaît pas Vincent NTEZIMANA. Là, c’est un peu plus tard, le 1er janvier 95. Plus tard, lors des Commissions rogatoires qui vont suivre, on va connaître à ce moment-là Vincent NTEZIMANA. Les échos vont effectivement fonctionner et… et les témoins vont venir.

On dit que les jurés ne peuvent pas lire la presse, je peux lire la presse et surtout que ce n’est pas la presse du moment relativement au procès. C’est un extrait de « La Meuse, La Lanterne » du 28 juillet 1995, c’est après la deuxième commission rogatoire : l’auditeur Monsieur Luc VER ELST-REUL qui participe à ces commissions rogatoires est interviewé et dit ceci dans cette interview : « Quand nous sommes au Rwanda, nous sommes contactés d’initiative par les gens. Nous nous sommes contentés de les écouter. Nous avons, par exemple, convoqué le vice-recteur de l’université de Butare - le témoin 9 - qui a pris la place du siège vide à l’époque où il est venu témoigner ici, qui nous a dit qu’il faudrait aller voir telle et telle personne. Il est aussi arrivé qu’on nous amène une dizaine de témoins. Chacun pouvait renseigner d’autres personnes. C’était un peu comme le tonneau des Danaïdes - vous savez, le tonneau des Danaïdes, on le remplit, mais comme il n’a pas de fond, il n’est jamais plein et on continue à le remplir.

Dans une commission d’enquête sur le génocide au Rwanda des Nations Unies, du Haut commissariat aux droits de l’homme, cette question de la rumeur est expressément abordée dans ce rapport d’enquête qui figure au dossier. Et on dit ceci : « La tradition orale au Rwanda peut rendre extrêmement difficile la distinction entre ce qu’un témoin a vu et ce dont il peut témoigner, et ce qu’un témoin a entendu dire par d’autres personnes. Très souvent, une rumeur, une rumeur qui a été racontée à suffisamment de personnes devient un fait que chaque individu a observé, et dont il jurera personnellement ».

C’est un réel problème, parce qu’il faut savoir qu’au-delà de l’examen des faits, des accusations que vous allez faire, il y a aussi le contexte. Ce procès est - je l’ai dit, et je le veux - le procès du génocide. Cela est vrai et cela est bien, mais il faut savoir ce qu’il y a derrière aussi.

Il y a aussi les enjeux de pouvoirs et un pouvoir actuel au Rwanda, à Kigali, qui est le FPR et qui est loin d’être démocratique, et les parties civiles l’ont dit hier. Et ça peut aussi expliquer des accusations qui sont portées contre quelqu’un qui a toujours été un opposant au FPR.

Je lis un autre extrait de presse, pas belge, pour que la presse belge ne fasse pas trop de jalousies entre ceux qui sont cités et qui ne sont pas cités. Le journal français « Le Monde ». C’est à propos du procès, mais je ne lis pas les choses qui concernent directement le procès. C’est un article du 19 mai dans « Le Monde ». Bon, c’est un peu intellectuel « Le Monde » mais c’est important ce qui se dit là. Le début de l’article salue effectivement la Belgique pour ce procès et vous salue vous, finalement. On dit : « Depuis le 17 avril, la compétence universelle d’une Cour d’assises belge rend justice au génocide qui a été commis d’avril à juillet 1994 au Rwanda ».

Je vous lis maintenant un autre passage de cet article, à propos des commémorations du génocide, chaque année au Rwanda. La première commémoration en 1995, l’article dit ceci : « La première commémoration du début de la solution finale au Rwanda, le troisième génocide du siècle, après la Shoa et celui des Arméniens, a eu lieu en l’absence d’une communauté internationale qui pratique son devoir de mémoire de manière fort sélective ». Effectivement, il n’y avait personne à la première commémoration du génocide ! Il y avait l’Angola, les amis de l’Angola, mais c’est tout.

L’article continue : « Il est vrai que, par la suite, seuls les inconditionnels du nouveau régime à Kigali, dominé par le Front Patriotique Rwandais, le FPR, le mouvement armé de la diaspora Tutsi ne se sont pas aperçus que les cérémonies du souvenir étaient dévoyées en rites pénitentiels pour couvrir d’opprobres collectifs les Hutu, et pour culpabiliser la communauté internationale qui avait laissé faire.

Un pouvoir tout aussi brutal et ethniste que le précédent s’est employé à transformer le génocide en rente de situations morales pour impunément réduire les Hutu majoritaires en ilotes, citoyens de seconde zone au fond des collines et pour persécuter à travers l’ex-Zaïre, d’octobre 1996 à mai 1997, des réfugiés Hutu dont près de 200.000 y trouvèrent la mort. Le rapport intérimaire d’une enquête des Nations Unies, jamais mené à terme, a qualifié ces événements de crimes contre l’humanité. Pendant le génocide des Tutsi, en 1994, des massacres de civils Hutu perpétrés par des FPR avaient déjà fait au moins 100.000 morts et, avant même le génocide, l’élimination systématique des intellectuels Hutu avait été organisée dans le Nord du Rwanda, conquis par le FPR ».

Ca n’excuse pas le génocide, ça n’est pas du révisionnisme qui tend à minimiser le génocide. Le génocide est unique, c’était la volonté de tuer tous les Tutsi, toute une ethnie, mais il y a cela aussi, il y a ce qui se passe pendant et après. Il y a l’enjeu de pouvoir actuel qui peut aussi faire comprendre des choses.

Et il n’y a pas, de nouveau, que la défense qui le dit, il n’y a pas que le journal « Le Monde » ou d’autres auteurs, évidemment, qui le disent. La question a aussi été posée, très clairement, par un témoin qu’on a entendu ici, l’autre NTEZIMANA, Laurien aux cheveux grisonnants, celui qui a sauvé tant et tant de personnes, cet homme au courage aussi remarquable.

Il écrit - et ce texte est dans le dossier - en septembre 1994, un texte qu’il intitule : « De Charybde en Scylla ». Je ne résiste pas à la lecture de l’explication qu’il donne lui-même de ce qu’est Charybde en Scylla. Nous savons cela mais il donne une belle explication. Il dit que : « Charybde et Scylla sont respectivement un tourbillon et un écueil, non loin l’un de l’autre, dans le détroit de Messine. Il paraît que, dans l’Antiquité, il était plutôt difficile d’éviter les deux à la fois ; quand on parvenait à éviter l’un, on courrait immédiatement le danger de tomber dans l’autre. D’où l’expression tomber de Charybde en Scylla qui signifie : éviter un danger pour aussitôt tomber dans un autre semblable ».

Et, il se pose la question, par rapport au Rwanda, il dit ceci : « A supposer qu’on appelle Charybde le système Interahamwe et génocidaire, à supposer qu’on appelle Charybde le système Interahamwe, faudrait-il appeler Scylla le système Inkotanyi, le pouvoir qui se met en place au Rwanda ? Telle est la question que je veux examiner dans ce bref article ». Et, il l’examine de façon très nuancée ; il pose la question, il soulève le risque et il dit : « Attention, on y va ».

Et, il dit très nettement, notamment : « Vengeance et représailles sont, c’est peut-être cynique de l’admettre, ordinaires après une guerre et, a fortiori, après un génocide. Il faudrait que les hommes soient des saints pour qu’il en aille autrement, mais nous savons, hélas, à quoi nous en tenir quand il s’agit de l’homme. « Homo homini lupus », c’est lui qui l’écrit. L’homme est un loup pour l’homme.

C’est vous qui devrez être des saints, ça n’est pas facile. C’est vous qui devrez faire la part des choses. Examiner ce qui est justice et ce qui est risque de vengeance, ce que je vous ai dit au début. Ce sera examiner les faits, mais en comprenant tout de même ce contexte qui est loin d’être évident, et ce sera examiner aussi la personne de Vincent NTEZIMANA. C’est ce que va faire maintenant Maître Annabelle BELAMRI, peut-être après une pause.

Le Président : Vous en aurez pour combien de temps Maître BELAMRI ?

Me. BELAMRI : Entre une heure et une heure trente.

Le Président : Eh bien… alors nous reprendrons à 15 heures.

Me. BELAMRI : Oui, il vaut mieux !

Le Président : On reprendra à 15 heures.

[Suspension d’audience]

Le Président  : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir et les accusés peuvent prendre place. Maître BELAMRI vous avez la parole pour la suite de votre plaidoirie.

Me. BELAMRI : Je vous remercie Monsieur le président. Il me revient maintenant à moi de vous expliquer qui est Vincent NTEZIMANA. Monsieur l’avocat général nous l’a dit dans le cadre de sa réquisition, il n’appartient pas d’isoler un homme de sa personnalité, de ses écrits, de ses actes. Je le rejoins tout à fait ! Un homme, c’est un tout ! Vincent NTEZIMANA : c’est un homme et c’est un tout ! C’est une histoire, c’est une famille, c’est une femme, des enfants, un parcours, un parcours professionnel, un parcours politique. C’est tout cela que j’ai envie de vous expliquer cet après-midi. En quelque sorte : il était une fois Vincent NTEZIMANA.

Le Président  : Je voudrais que dans la salle, ce soit le silence absolu ! J’ai entendu dire, notamment, qu’il y a avait des mots qui volaient bas au sein de l’assemblée. Il faut que ça cesse !

Je vous restitue la parole.

Me. BELAMRI  : Je vous remercie. Mais rassurez-vous, le : « il était une fois Vincent NTEZIMANA » n’est pas une histoire ou un conte à dormir debout. Je n’ai pas envie de vous endormir, bien au contraire, j’ai juste envie de vous expliquer. Parce qu’il est nécessaire d’expliquer. Parce que Vincent NTEZIMANA, on ne le juge pas seulement sur des actes et sur des faits - les cinq faits qu’on a évoqués ce matin - mais sur une personnalité, sur des prises de position, sur une manière d’agir. Donc, il faut vous l’expliquer. Je vous le disais : né en septembre 61, il a 39 ans, il est le deuxième d’une famille de sept enfants, trois sœurs, trois frères. Des parents agriculteurs, des paysans, pas très riches. Une petite histoire m’a amusée : le début du parcours scolaire de Vincent NTEZIMANA. Il a cinq ans, sa maman se dit lors d’un repas familial qu’il faudrait peut-être penser à l’envoyer à l’école, ce Vincent. Le papa est réservé. Le papa, c’est plutôt quelqu’un d’expansif, qui parle. Vincent NTEZIMANA ne dit pas grand chose, il a cinq ans, on ne l’entend pas beaucoup. On se demande ! Le papa se demande : « Est-ce qu’il est vraiment capable d’aller à l’école, lui, lui qui ne dit rien ? ». Et alors, il lui demande : « Combien il y a de doigts sur ta main ? » « 5 ! ». « Sur la deuxième ? » « 5 ! ».« Ensemble, ça fait 10 ! ». « Et si tu mets tes orteils ? ». « Ah ! Si je prends mes orteils avec, ça fait 20 ! ».

C’est le début de la carrière scientifique et mathématique de Vincent NTEZIMANA. Il peut aller à l’école ! Il suit ses primaires à Murambi et ses secondaires à Gitarama. Ses études, il vous l’a expliqué dans son interrogatoire de personnalité, elles sont financées grâce au père Jean LEONARD. Un père joséphite Tutsi qui le prend un peu sous son aile comme son fils qu’il aidera par la suite, qui aidera Agnès à trouver son premier travail. Ce manque de moyens à un niveau d’éducation, à un niveau d’enseignement, ce problème d’accès à l’enseignement, Vincent NTEZIMANA il le connaît depuis longtemps. Il en a parlé, il a un ami Jean de Dieu qui n’a pas pu bénéficier des mêmes opportunités que lui, il y a une sœur aussi qui pour une question de quelques francs n’a pas su passer un examen et un concours d’entrée. Mais lui, il a de la chance ! Lui, le père Jean LEONARD lui finance ses études, qu’il poursuit brillamment. A 14-15 ans, il est en secondaire à Gitarama et tout le monde lui fait confiance. C’est un jeune homme sérieux pour son âge, mature, confiant : c’est vraiment le maître-mot dans l’ensemble des relations de Vincent NTEZIMANA. Tout le monde, jusqu’à présent, lui a fait confiance. Ca devient aussi le maître-mot dans les rapports que lui entretient avec les autres. C’est pour lui une condition essentielle.

Alors, il fait confiance, il en est même parfois naïf. Là, c’est son épouse Agnès qui le dit. A la limite, rouler dans la farine Vincent NTEZIMANA n’est pas nécessairement chose difficile. Outre cette confiance et parfois cette naïveté, son épouse Agnès le décrit comme quelqu’un de droit et de franc, avec une franchise parfois déconcertante. J’avoue que moi-même parfois, il me dit les choses de manière telle que je me demande un petit peu si… il a cette franchise effectivement déconcertante. Et là, je pense à un bête petit incident : il se trouve dans une voiture à Louvain-la-Neuve, ils ont un accrochage. Pourquoi ils ont un accrochage ? Un moment d’inattention, une très jolie fille passe à côté de la voiture et l’attention est distraite. Bon, déclaration devant la gendarmerie et Vincent NTEZIMANA, dans sa déposition, explique : « On a eu un instant d’inattention, il y a avait une jolie fille qui passait ». Cette franchise là, elle me fait rire ! Elle me fait rire parce qu’on vous le présente en même temps comme quelqu’un de charmeur, de séducteur, de calculateur. C’est pas très séducteur, calculateur d’expliquer aux gendarmes qu’on a eu l’attention troublée et tout à fait détournée parce qu’une jolie fille passait par-là.

Contrairement à ce qu’a annoncé Monsieur l’avocat général, il ne se montre pas à vous sous un jour différent de ce qu’il est d’habitude. Calme, il l’est ! Réservé, il l’est aussi ! Est-ce qu’on peut simplement reprocher à quelqu’un de ne pas pouvoir ou de ne pas savoir suffisamment exprimer ses émotions pour en tirer une quelconque conclusion sur sa personnalité ? Dans le rapport psychologique qui est établi, on en parle, on dit qu’il est « plutôt d’allure introversive, une personnalité qui semble davantage porter à l’introspection et la remise en question qu’à l’expression des affects ou des émotions ». Eh bien, il est comme ça ! Il est capable de tirer profit de l’expérience vécue, il peut sans doute disposer d’une autocritique qui lui permet d’éviter au mieux les écueils de la répétition. Il réfléchit, mais il ne vous fait pas des bonds de bonheur ou de tristesse. Il est comme ça ! Ca vient sans doute, en partie, de ce que c’est un scientifique, mais parfois un scientifique à la professeur Tournesol ! Oh, il soutient son épouse dans ses projets ! Elle dit : « Il m’encourage, il a envie que je m’épanouisse ». Oui, ça ne fait aucun doute, mais au quotidien, demander à Vincent NTEZIMANA d’aller acheter un bidon de lessive, il a même du mal à trouver le rayon. Ou d’aller faire des courses, il est du genre à vous rapporter cinq salades parce qu’elles sont en promo et que comme vous aimez les promotions de manière générale, eh bien, c’est très bien, vous allez être très contente de cet achat ! Il a un peu ce décalage - cette intelligence, d’accord - mais un certain décalage, parfois, avec notre réalité.

Et j’en parle assez facilement parce que j’ai effectivement un excellent ami scientifique, très scientifique, adorable, mais pour le voir exprimer des émotions, pour parvenir à percer cette bulle et à savoir véritablement capter ce qu’il ressent au moment où il le ressent, eh bien, il faut du temps ! Mon ami, j’ai mis deux ans, deux ans et demi, avant de comprendre. Alors, il est adorable, il n’est pas extrémiste, il n’est pas froid, il n’est pas calculateur, il est simplement réservé ! Certains d’entre nous ont des facilités à mettre des mots sur ce qu’ils ressentent, d’autres pas, et ce n’est pas une raison pour en déduire un mode de comportement ou pour en déduire les sentiments que la personne ressent. Je vous ai également dit qu’il était franc. Franc, Agnès le décrit comme cela, et elle dit qu’il n’a pas changé : « En 15 ou 16 ans de vie commune, il n’a pas changé ». Elle le rencontre en 1984 sur le campus de Butare, alors que lui est assistant, il revient d’une licence en physique à l’UCL, elle, elle est étudiante. Un assistant et un étudiant, ça fait jaser. Il y a même des conseils de faculté organisés sur le cas Vincent-Agnès ! Alors, ils se rencontrent notamment dans le bus qui les conduit vers le basket. C’est vrai, lui, il joue, c’est un prof, un assistant, mais il joue avec les étudiants, cela ne lui pose aucun problème et elle est étudiante, elle joue. Alors, comme on peut s’y attendre, Agnès, elle était quelque peu exubérante dans le car, elle chante, elle danse. Vincent NTEZIMANA, lui, est plutôt discret. Ne vous attendez pas à le voir chanter ou danser dans le bus !

De ces contacts naît une relation avec, au départ, je vous le dis, des pressions, des critiques. Mais ils tiennent bon ! Ca aussi, c’est Vincent NTEZIMANA ! Lui, il s’affiche, il s’affiche directement, par un geste fort et clair dès le départ qu’il ne remettra pas en question par rapport à Agnès. C’est à ce moment-là qu’Agnès le présente à sa maman, qui le voit relativement comme un gendre idéal. Peut-être un peu trop sérieux pour Agnès ? Ils se marient en octobre 1986 et la première fille, Lucrèce, naît en 1987. 87, c’est aussi la date du retour en Belgique, les études approfondies de physique, la thèse en météorologie, climatologie qui est dans la tête de Vincent NTEZIMANA une manière, par la suite, d’aider les paysans et agriculteurs rwandais en pouvant prévoir un peu mieux le temps et donc, gérer au mieux l’agriculture. Il poursuit ses études et on se trouve sur le campus de Louvain-la-Neuve où - octobre 1990 - voit le début de son engagement politique. 1er octobre 90 vous vous en souviendrez, on en a parlé à de nombreuses reprises : attaque du Front patriotique rwandais. A cette époque-là les étudiants rwandais de Belgique décident de se rassembler pour en discuter. Ils sont choqués par ce qui se passe. Ils se rassemblent, discutent. Ce groupement formera la CERB, la Communauté des Etudiants Rwandais de Belgique. Cette communauté où on a à un moment dit que Vincent aurait programmé l’achat de machettes. Il participera à cette communauté jusqu’en mai 1992, où aura lieu une démission collective - dont je vous reparlerai un petit peu plus tard - démission collective dont il a été, en partie, à l’initiative. Mais on n’est encore que fin 1990 normalement, au moment de cette création de CERB.

Fin 1990, c’est le moment où on tente d’attribuer à Vincent NTEZIMANA un texte, semble-t-il, révélateur de toute l’étendue de son extrémisme. « L’appel à la conscience des Bahutu » et « les dix commandements » qui seront publiés dans le journal Kangura dont on a si souvent parlé, en décembre 1990. Alors, ce texte est effectivement immonde, raciste, ethniste, avec un programme, des idées, très claires, très claires quant à leur contenu. Dans cette théorie de Vincent NTEZIMANA, rédacteur, dactylographe et « répandeur » entre guillemets de cet « appel à la conscience des Bahutu », il y a quatre intervenants : le témoin 76 dont on a déjà parlé, le témoin 124, le témoin 50, qui est venue devant vous et le témoin 89, cet étudiant zaïrois qui est également venu devant vous.

le témoin 76 tout d’abord, qui, entendue le 25 février 1995 dit : « le témoin 124 dit avoir vu sur l’écran d’ordinateur de Vincent NTEZIMANA à Louvain-la-neuve le texte ». le témoin 124 et Vincent NTEZIMANA ont partagé le même bureau durant tout un temps. Donc là, la thèse semblerait que Vincent NTEZIMANA ait dactylographié ce texte. Suite à ces déclarations, le témoin 124 est entendu quant à lui le 9 mai 1995 dans le cadre de la première commission rogatoire au Rwanda et là, il dit : « Effectivement, c’est Vincent NTEZIMANA qui a rédigé ce texte mais qui a été dactylographié par un étudiant jobiste zaïrois ». Alors, il dit : « Au départ, bon, je ne veux pas donner le nom parce que c’est un type très bien qui n’a rien à voir là-dedans ». Pus tard dans sa déclaration, il dit : « Je ne connais pas son nom, il travaillait à Fac-Copy à Louvain-la-neuve. Je n’en sais pas plus ». Une apostille du juge d’instruction, du 16 mai 1995, vise à faire identifier cet étudiant zaïrois. 16 mai 95 ! Aucune information, aucun renseignement, aucune identification de cet étudiant avant décembre 1995.

Dans le cadre de la troisième commission rogatoire, ce le témoin 124 est rencontré sur le campus de Butare, et on lui montre la liste des étudiants zaïrois présents à Louvain-la-neuve à ce moment-là pour essayer de l’identifier. Il dit : « Oh, je ne me rappelle pas du nom ! C’est dommage, vous n’avez pas de photos. Si j’avais des photos, là, je m’en souviendrais. Mais il vous suffit d’approcher discrètement le patron de Fac-Copy de Louvain-la-neuve et là, vous saurez quoi ». L’impression des enquêteurs à ce moment-là est de dire que ce Monsieur le témoin 124 n’a pas envie d’être mêlé davantage à cette affaire. Il cherche un petit peu à se laver les mains. Il aura pourtant une attitude toute contradictoire plus tard, puisqu’il participe à une émission « Au nom de la Loi » que l’on connaît tous, et là… où il annonce que Vincent NTEZIMANA a distribué le tract dans tous les bureaux. Il l’a répété ici : distribution dans tous les bureaux. On lui a posé énormément de questions là-dessus : mais où ? Dans quel endroit ? Dans quel bureau ? Dans d’autres associations, on lui a posé la question de savoir : mais à qui, qui pouvait dire avoir vu, avoir reçu ce tract ? Le nom des personnes ? Sa première réaction a été de dire : « Cette question ne me convient pas du tout », et peu importe si elle lui convient. Il annonce des choses et finalement, que peut-il nous dire : il cite un nom d’un prétendu personnage retourné au Rwanda, bien entendu non joignable.

Finalement, on identifie l’étudiant zaïrois qui aurait dactylographie et là, on en arrive à ce Monsieur le témoin 89, cet étudiant zaïrois qui avait son anniversaire le jour où il est venu ici. Il est entendu le 1er et le 12 décembre 1995, où il dément les affirmations du témoin 124 BONFILS, il dit : « Je n’ai jamais dactylographié ce texte. Je n’aurais pas pu l’oublier, tellement le contenu - que j’ai examiné puisque l’enquêteur m’en a remis une copie - est choquant et infâme. Et en même temps, à ce moment-là je préparais moi-même mon mémoire de fin d’études sur une question similaire, sur les questions de haine, de racisme, etc... en aucun cas, je n’ai pu taper ce texte ». Il explique même que le témoin 124 dont la description qu’il fait de lui au niveau physique ou fréquentation est relativement correcte, mais qu’il commet un saut tout à fait étonnant et qu’il ne comprend pas quand il dit qu’il l’a dactylographié. Deux jours après, deux jours après, deux jours après que le témoin 89 ait démonté la thèse du témoin 124, le 14 décembre 95, le patron de Fac-Copy se présente spontanément et prend contact avec les enquêteurs et dit : « Voilà, je vous présente le témoin que vous recherchez, c’est ma fille : le témoin 50 ».

Elle sera entendue le lendemain, le 15 décembre, où elle dit : « Oui, l’appel à la conscience, c’est une commande d’un client, je l’ai dactylographié, je m’en souviens très bien ». Et là, on lui montre des photos, pour qu’elle puisse identifier qui a passé commande - ces photos là ! - où l’on voit bien, la photo de Vincent NTEZIMANA est quatre, cinq fois plus grande que les autres. Elle le reconnaît, elle l’identifie : « Oui, c’est bien celui-là, le numéro 4, la grande photo ». Ces photos lui sont montrées avant une identification, l’impact psychologique me semble difficilement... Elle reconnaît « l’appel à la conscience », « l’appel à la conscience » et pas « les dix commandements ». Elle reconnaît le texte de cinq pages : « Appel à la conscience des Bahutu » et pas ce petit texte de deux pages : « Dix commandements » qui là, est numéroté de un à dix, et qui correspond à certains enseignements ou lignes de conduite. Elle dit également qu’elle a dû montrer le brouillon de ce texte à le témoin 89, qui le dément complètement ! Elle dit même avoir noué une certaine relation d’amitié et de sympathie avec Vincent NTEZIMANA. Et là, le témoin 89 nous l’a encore dit à l’audience, non pas en s’emmêlant les pinceaux comme on a tenté du dire du côté des parties civiles, il avait déjà déclaré dans sa déposition de décembre en 1995 : « Il me semble étonnant que le témoin 50 puisse nouer une relation d’amitié réelle avec Vincent NTEZIMANA ou un ressortissant africain », c’est ce qu’il a essayé de faire passer ici, en disant : « Le mot est fort, amitié, cela me semble un peu déplacé comme terme utilisé ».

Entendu ici, devant cette Cour, le témoin 89 va complètement confirmer l’ensemble de ses déclarations de décembre 1995. Il répète ce qu’il a dit. Tel n’est pas le cas du témoin 50. Entendue ici, elle nous dit être formelle, elle a dactylographié les « dix commandements » cette fois-ci, c’est les « dix commandements » quelle reconnaît. « L’appel à la conscience », ce texte un peu plus long de cinq pages ne lui dit rien. Rien du tout ! Quant à la période à laquelle elle l’a dactylographié, elle ne sait plus trop si c’est 90 ou 91, 92. Monsieur le président lui demandera même si elle est sûre que ce n’est pas 94. Elle dit que ces dix commandements, ce petit texte n’était qu’une annexe finalement, « Une annexe d’un grand manuscrit de 40-50 pages qui était un texte général, une analyse qui reprenait le texte de luttes entre Hutu-Tutsi, et cette annexe n’était là que pour illustrer ! ». Version éminemment contradictoire avec ce qu’elle a déclaré six ans plus tôt. Vincent NTEZIMANA lui avait dit être l’auteur du manuscrit de 30-40 pages, cette analyse, nous dit-elle, mais absolument pas être l’auteur des « dix commandements ». Ils auraient discuté ensemble du contenu et Vincent NTEZIMANA en aurait été très choqué. Il était très choqué de ce contenu.

Alors moi, j’avoue que face à ces différentes dépositions, j’ai passé plusieurs heures à essayer d’y trouver une cohérence, une crédibilité, et à un moment, avant-hier après-midi,  j’ai dit : « Stop, j’en ai assez ! ». Assez d’essayer de trouver un lien, une cohérence entre des versions inconciliables. Je ne sais pas, au départ de ces quatre dépositions, dire qui a fait quoi ! Alors, comment imputer la paternité, la rédaction, la dactylographie ou la diffusion de « l’appel à la conscience » ou des « dix commandements » ou des deux, à Vincent NTEZIMANA dans de telles conditions ? Comment ? D’autant que lui conteste formellement toute paternité quant à ce texte et qu’il y a d’autres pistes. Il y a d’autres pistes qui examinent et qui déterminent d’où peut venir ce texte. Il y en a une défendue par le professeur REYNTJENS que l’on a souvent cité, confirmée par le témoin 39, cet ancien FPR qui est venu ici devant vous et qui dit : « Ce texte vient du Kivu, au Zaïre ». Une autre thèse de dire que l’auteur serait Joël HAKIZIMANA, l’ancien rédacteur de Kangura actuellement détenu à Arusha. Là, on a un extrait d’un journal, « Le Monde diplomatique » de mars 95 : « Les extrémistes de Radio Machettes », qui parle de ce monsieur : « Un seul journaliste ayant appelé au meurtre est sous les verrous, Joël HAKIZIMANA, ancien rédacteur de Kangura à qui l’on doit les « Dix commandements du bon Hutu ». Et c’est là, sur base de ces éléments-là qu’on détermine que Vincent NTEZIMANA est responsable de cet « appel à la conscience » ou des « dix commandements » et qu’il s’agit là de la base de son extrémisme profond et déjà bien ancré à l’époque, fin 1990.

Alors, à part ça, qu’est ce qu’on a, qu’est-ce qu’on a comme document écrit, intervention pour déterminer avec précision et certitude qu’il est d’un extrémisme, affirmé, virulent, acharné ? Je ne résiste pas à l’envie de vous parler d’un texte qui maintenant n’est plus repris tellement il a été décrié : le tract AREL. Le tract AREL, d’une soi-disant Association Rwandaise d’Entraide et de Liaison qui boucle la boucle avec « l’appel à la conscience des Bahutu » puisqu’il commence comme ceci : « Nous inspirant du manifeste que vous connaissez tous et qui a eu son effet à travers nos médias - le journal Kangura, radio télévision des Mille Collines - pour inciter au massacre réussi de nos éternels ennemis, nous tenons à préciser ce qui suit… ». Ce tract, qui est signé Vincent NTEZIMANA, président de l’AREL, qui est déposé par le témoin 76 le 8 mars 95 - toujours cette le témoin 76 - qui est mentionné par le témoin 119 ou par NTAWUKULIRYAYO Jean damascène, qu’il transmet également par courrier et qui a circulé, qui a eu beaucoup d’impact sur la communauté rwandaise. Ce tract AREL est un faux ! L’expert le témoin 127 qui est venu devant vous l’a confirmé, l’expert graphologue : c’est un faux !

Alors, on va peut-être tenter de nous dire que dès le départ, quand le témoin 76 le dépose en mars 95, elle dit : « C’est peut-être un faux ». Mais cet écrit faux a circulé et a eu une influence, une incidence, un impact, et j’en veux pour preuve le simple fait que lors de la première commission rogatoire, du 1er au 13 mai 95, le 7 mai 95 se présente à l’hôtel des enquêteurs, l’attaché de presse à la présidence de ce gouvernement FPR qui remet le tract AREL aux enquêteurs en disant : « J’ai un document intéressant pour vous ». Tract AREL a circulé!

Ce texte écarté, qu’a t-on d’autre, puisqu’il faut trouver des choses à reprocher à Vincent NTEZIMANA ? On a une lettre, une lettre à son ami Vianney qui a été amplement développée, détaillée, décortiquée par les parties civiles, une lettre du 12 décembre 91 dont on nous a dits qu’il s’agissait d’une traîtrise de l’informatique. Traîtrise de l’informatique parce qu’une lettre a été retrouvée au milieu de milliers de pages de back-up examinées durant plusieurs jours par les enquêteurs. Cette lettre qu’on isole de tout contexte, que Vincent NTEZIMANA explique comme le résultat d’une longue conversation avec un ami où il fait un constat de la situation qu’il ne cautionne pas nécessairement, est sortie comme un lapin de son chapeau. Mais, traîtrise de l’informatique ou pas, il y a d’autres lettres à Vianney, d’autres lettres moins compromettantes, donc, on ne les  sort pas. 4 février 92, moins de deux mois après, 27 février 92, où Vincent NTEZIMANA écrit notamment ceci : « Force est de constater qu’avec le régime le témoin 32, seule une poignée de rwandais avons échappé au désespoir. Et l’on peut parler de plus de 99 % d’entre nous, toutes catégories confondues, Hutu, Tutsi du Nord ou du Sud, vivent dans l’extrême misère et surtout sans espoir d’en sortir. C’est pour cela d’ailleurs que beaucoup de voix s’élèvent actuellement pour demander le changement du système politique. Ce changement vise surtout à l’abolition du népotisme Akazu avec ses divers corollaires comme la corruption, les salons et j’en passe. Au nom de quoi vous accrochez-vous à ce régime ? ».

Dans la lettre suivante, il formule les mêmes critiques vis-à-vis du gouvernement, à l’époque d’le témoin 32, où il dit notamment : « Quant à l’adhésion d’au moins 70 % des diplômés au MRND, le parti du président, elle me laisserait plutôt indifférent même si elle était vraie. Savais-tu qu’il y a d’autres partis au Rwanda qui n’hésitent pas à se proclamer ‘ le parti des intellectuels ’ puisqu’ils croient regrouper la majorité des diplômés rwandais, les tenants de ce courant de propagande d’un parti de paysans, comme si les paysans n’avaient pas autant de dignité que les diplômés. Qu’y a-t-il d’honteux à s’afficher avec les paysans ? ». Ces lettres, la suite de la conversation avec Vianney, on ne vous en parle pas. Une lettre sortie de tout contexte, de milliers de pages, c’est peu ! Et à part ça ?

A part encore ça, on nous sort une lettre du 10 février 1994 qui serait une lettre de Vincent NTEZIMANA, dactylographiée, non signée, qu’il conteste tout à fait. Elle est plutôt douteuse cette lettre, dont on ne sait absolument pas déterminer l’authenticité, dactylographiée, non-signée. Moi, elle me fait penser au tract AREL, point ! Alors, on me dit : « Ce n’est pas possible - tant Monsieur l’avocat général que les parties civiles - on y évoque des détails de la vie familiale de Vincent NTEZIMANA et on y évoque l’ADSK. Il n’est donc pas possible que ce soit un faussaire qui l’a rédigée ». Ce qu’il est important de voir, c’est quand on transmet cette lettre. Elle est transmise le 2 juillet 97. Elle date du 10 février 94. A cette époque, la naissance de Jean-Claude, tout le monde la connaît et l’ADSK, tout le monde la connaît également. Où est la difficulté du faussaire ?

Pour en finir avec ces écrits que l’on reproche, que l’on attribue, moi, je suis étonnée, étonnée qu’il y en ait une pire encore, qu’on ne sorte pas, une lettre tellement accablante quand on en lit le moindre extrait, on le condamne tout de suite ! Une soi-disant lettre de Vianney qui là, est une copie manuscrite, non-signée, qui est dans le dossier depuis le 10 mai 1995. Vincent NTEZIMANA n’est jamais interrogé sur cette lettre, elle n’est jamais sortie ou évoquée par qui que ce soit. C’est troublant, interpellant, alors qu’on cherche justement à déterminer s’il est cet extrémiste virulent. Alors, quoi penser à part que cette lettre est plus absurde et plus ridicule que les autres et qu’en aucun cas on ne peut déterminer que c’est Vincent NTEZIMANA qui l’aurait écrite ? Alors, on ne la sort pas ! Et voilà, c’est tout ! C’est tout ! C’est les écrits de Vincent NTEZIMANA qui attestent, 90-91, de ses prises de positions extrémistes, rien de plus ! Le reste, c’est fumée, c’est un mot dans le bus, une phrase dans le train. La rumeur ! Cette fabuleuse rumeur dont Monsieur le président lui-même, en entendant parler une fois de plus au cours de ce procès, dira : « Ah oui, encore cette rumeur… ».

Alors, à côté de cela, il y a une multitude d’interventions, d’écrits, communiqués radio, presse, tous éloquents sur les positions démocratiques de Vincent NTEZIMANA, qui s’est opposé à la fois au régime du président le témoin 32 et à la fois à l’action violente du FPR, à l’action armée. Il y a plusieurs choses. Je ne vous en cite que quelques-unes - il m’est impossible de vous les citer toutes, ou alors, on en a jusqu’à 18 h 30 - 19 h, ça, je voudrais vous l’éviter - et notamment une cassette vidéo du 19 août 1991, « Le Rwanda au seuil du multipartisme », à laquelle participe notamment le professeur REYNTJENS, ce professeur d’Anvers, et où les propos tenus, les interventions faites par Vincent NTEZIMANA sont claires : il critique de manière claire l’action du gouvernement, il s’attaque à l’ambassadeur qui est sur place, en des termes très clairs, où il explique qu’il y a des textes légaux heureux mais qu’ils sont bafoués, que finalement, c’est toujours le règne d’un népotisme de l’Akazu, des malversations, des corruptions. Le professeur REYNTJENS d’ailleurs, qui est venu ici, vous a dit qu’il avait revisionné la cassette avant de venir apporter son témoignage et qu’il en avait déduit une seule chose : c’est que les propos tenus à cette époque-là par Vincent NTEZIMANA n’étaient manifestement pas en corrélation avec les soi-disant idées extrémistes qu’on lui prête à l’époque. Il était très clair, très ferme : il a dit autre chose ! Dès le 9 janvier 1992, Vincent NTEZIMANA condamne la création des milices Interahamwe.

Mars 1992, le mouvement auquel il appartient en Belgique, le MDR-Benelux dénonce les massacres au Bugesera dont on a beaucoup parlé. On a tenté de nous dire qu’il n’avait pas signé celui-là, qu’il en signe un autre par la suite, qui et bien moins clair sur les notions ethniques. Mais Vincent NTEZIMANA, il fait partie du MDR Benelux, en mars 1992 il ne prend pas distance, il ne se démarque pas, il est dedans. Alors, si c’est signé par le président, c’est signé par le président, mais les membres sont censés - et c’est normal - être d’accord avec les idées reprises là-dedans. En mai 1992, c’est la démission collective de la CERB, cette Communauté des Etudiants Rwandais de Belgique, démission collective de plus d’une centaine de membres où là, de nouveau, la lettre condamne cette préoccupation des intérêts de l’Akazu, le fait qu’on ne parvienne pas à des débats démocratiques et pluralistes. Juin 1992, autre document du MDR où là, on reprend, on reparle de tracts incitants à la haine ethnique. Le texte est ici « le MRND et les violences au Rwanda », c’est le titre, et où on parle de tracts incitants à la haine ethnique. Il y a, juillet 1992, un autre document du MDR Benelux qui là, condamne l’attitude du FPR qui vient en négociation du 29 mai au 5 juin et qui, le jour même ou le lendemain, attaque. On vient discuter le jour même la fin des négociations, le lendemain on attaque, c’est cela que Vincent NTEZIMANA condamne : cette duplicité qu’il considère du FPR qui est incapable de mener des négociations sans le lendemain, poursuivre une lutte armée que lui conteste formellement.

On en arrive alors à 1993, où, début d’année, Vincent NTEZIMANA termine sa thèse de doctorat, mars 93. Au même moment, son épouse, elle, elle termine son mémoire de sociologie et Jean-Claude naît en février 93. On lui propose alors un job à l’UCL, un poste de recherches, mais non ! Il décide de rentrer au pays puisqu’au départ, son idée c’est d’aider par la climatologie et la météorologie les agriculteurs et donc, il a envie de finalement plutôt travailler pour le Rwanda. En même temps, il accepte un poste à l’université nationale du Rwanda, à Butare, pour donner le cours d’éléments d’astronomie qui est un cours qui devait se donner à l’année académique 92-93 et qui n’a trouvé personne. Il donnera cours à une dizaine d’étudiants de première licence en physique. Et là, il rentre au Rwanda. Au moment où il rentre, il est un peu déraciné, il est en Belgique depuis 1987, difficile de se trouver un logement, effectivement il rencontre, et c’est dans ces circonstances-là qu’il rencontre, il vous l’a expliqué, le capitaine NIZEYIMANA. C’est un ami, un ancien ami, un copain d’école qui le lui présente, et ce capitaine NIZEYIMANA va l’héberger.

C’est à ce moment-là également que les relations se nouent entre les deux couples, puisque la femme de NIZEYIMANA vient d’avoir un bébé et qu’Agnès trouve très sympathique, effectivement, de lui donner des conseils puisqu’elle est maman de deux enfants. C’est à cette même époque, avril, 1993 qu’est créée une association importante : Forum Paix et Démocratie auquel Agnès et Vincent NTEZIMANA adhèrent dès les premiers jours de leur arrivée. Alors, Forum Paix et Démocratie, c’est un mouvement assez fabuleux, je dois dire, qui est créé par un homme, Emmanuel GAPYISI qui a eu une idée, une idée de ce que doit être le Rwanda, quelles que soient les origines ethniques, qui fonde cette asbl avec pour objectif de soutenir le processus de démocratisation et d’œuvrer pour une paix durable et une réconciliation nationale. Alors, le texte, ses idées, son programme, sont clairs : pour lui la réconciliation nationale concerne non seulement le clivage entre les Rwandais vivant au Rwanda, d’une part et les réfugiés d’autre part. Elle vise aussi le « dépassement des clivages basés sur les appartenances régionales et ethniques. Il faut qu’enfin les Rwandais comprennent que le régionalisme et l’ethnisme n’ont été que des instruments de quelques poignées d’hommes qui voulaient conquérir ou se maintenir au pouvoir ». C’est ça, les idées de Forum Paix et Démocratie d’Emmanuel GAPYISI qui crée le mouvement en avril 93. Pour lui, la réconciliation nationale passe par « le refus des alliances basées sur les appartenances ethniques ou régionales. Il faut que les Rwandais se regroupent autour de projets de société. La réconciliation nationale passe aussi par le rejet de l’esprit revanchard qui n’aurait pour conséquence que de faire perdurer les violences ».

C’est à ce mouvement qu’adhèrent Vincent NTEZIMANA et Agnès, en avril 93, tout en restant au MDR en ce qui concerne Vincent NTEZIMANA, Emmanuel GAPYISI est d’ailleurs lui-même au MDR. Mais Emmanuel GAPYISI n’aura pas l’occasion d’œuvrer dans son association très longtemps : il est assassiné le 18 mai 1993. Cet assassinat ébranle tous les membres de Forum Paix et Démocratie, ébranle aussi les membres du MDR qui avaient ses mêmes idées, qui ne se sentaient ni représentés dans la tendance TWAGIRAMUNGU, que l’on a vu ici et qui prônait véritablement le discours avec le FPR, même si ceux-là n’étaient pas tout à fait fiables au niveau intervention armée, ni, bien entendu, le courant Power qui ne représente pas les idées défendues ni par Vincent NTEZIMANA, ni par Agnès, ni par Emmanuel GAPYISI. Après un instant de peur, de découragement face à l’assassinat - on se demande toujours comment réagir par rapport à cela - on a conscience qu’on a perdu un porte-parole, quelqu’un qui était vraiment le porte voix au sein du parti politique auquel on appartient. Vincent NTEZIMANA décide alors de créer un autre parti, le PRD, Parti du Renouveau Démocratique. Alors, plusieurs ont tenté de nous dire : « Ce parti est extrémiste, il était proche du MRD ou même de la CDR », mais quand on demande des explications, on ne voit pas trop sur quoi on se fonde. Les statuts du PRD n’apparaissent pas comme extrémistes et ça, c’est Monsieur le juge d’instruction VANDERMEERSCH qui le dit lui-même, alors qu’il dit que des statuts, certains statuts comme celui de la CDR révèlent au moins un petit peu quelles sont les idées de base.

Il y a par contre un article de journal indépendant, Imvaho, de septembre 1993 qui explique un peu ce qu’est le PRD qui vient de se créer et qui explique : « Les membres-fondateurs du PRD ont été motivés par le fait que les mauvaises pratiques que l’on a longtemps reprochées au parti unique ont aussi ancré leurs racines au sein de nouveaux partis. Citons notamment, l’abus de pouvoir, le détournement des biens publiques, l’intolérance vis-à-vis de la diversité d’opinion, le recours à la violence et aux massacres ainsi que l’insouciance affichée face aux préoccupations de la masse populaire. Le PRD reproche aux dirigeants des partis le fait de privilégier leurs propres intérêts et de se détourner des problèmes quotidiens de la population ». Plus loin, dans le même article, on dit même que le PRD émet certaines critiques sur certains points des accords d’Arusha, mais qu’il les soutient dans l’ensemble, explique alors quels sont les points négatifs, mais qu’il les soutient dans l’ensemble. Pour le surplus, Monsieur NSANZUWERA n’a pu nous expliquer pourquoi il avait considéré éventuellement que le PRD était de tendance extrémiste, il n’a pas pu nous le dire, ses réponses étaient plus qu’évasives. Et Monsieur GUICHAOUA, le professeur GUICHAOUA que nous avons entendu ici durant deux heures et demie ou trois heures n’a pas dit un mot sur l’extrémisme soi-disant avéré, virulent de Vincent NTEZIMANA ou du PRD. Au même moment, au sein de l’université du Rwanda, Vincent NTEZIMANA est élu président de l’APARU, cette association du personnel académique. Il est élu, on lui fait confiance. Le témoin Charles le témoin 109, qui est venu devant vous, a répondu à différentes questions : est-ce qu’il y avait des bruits que Vincent NTEZIMANA était extrémiste sur le campus ? « Non, d’ailleurs à l’UNR, il y a beaucoup plus de professeurs modérés qu’extrémistes et il n’aurait jamais été élu président de l’APARU s’il avait été connu comme extrémiste. Il n’aurait pas eu la confiance de l’ensemble du personnel s’il avait été extrémiste ». Dans cette association comparable à un syndicat, il mène des actions, des actions contre les autorités de l’université, contre le vice-recteur. Monsieur le témoin 105, l’administrateur trésorier adjoint nous a dit que les relations étaient tendues. Il se bat notamment pour la question de l’attribution des logements qui se faisait plutôt sur base de relations et d’amitiés plutôt que sur une réelle situation et besoins des personnes, ou sur les indemnités relatives aux logements.

Donc, Vincent NTEZIMANA dans l’APARU s’oppose au vice-recteur et on voudrait d’un autre côté le présenter comme son bras droit. On essaie un petit peu de faire tout en même temps : c’est son bras droit, mais d’un autre côté, cette histoire de chaise vide, c’est le dauphin, il veut le mettre dehors et ce vice-recteur qui a le nez fin, nous dit-on hier ou avant-hier, a bien perçu le jeu de Vincent NTEZIMANA. Alors, il faut savoir ! C’est son bras droit ou c’est celui qui le pousse dehors ?

Un peu plus tard, quelques mois plus tard se crée l’ADSK, cette association dont on a longuement parlé déjà, qui vise l’aide à des étudiants nécessiteux, sans moyens financiers, pour qu’ils puissent parvenir à cet enseignement, qui est une question chère à Vincent NTEZIMANA. L’assemblée constituante a lieu en février 1994 : 300 membres et c’est vrai, 300.000 francs récoltés. Alors, du côté des parties civiles, on nous a sortis 4 ou 5 noms, 4 ou 5 noms pour nous dire : « Finalement, si 4 ou 5 noms sont des participants au génocide, les 300 membres sont des monstres qui ont participé au génocide ». On nous en cite 4 ou 5, moi, ici, j’en ai 12, histoire juste d’en donner un peu plus, 12 qui ont soit été tués en 1994, ou qui vivent actuellement à Kigali sans connaître le moindre problème, puisqu’ils n’ont participé à rien, n’avaient même pas nécessairement de couleur politique. Aloïs GAKUMBA, enseignant, tué en 1994, Pierre-Célestin TURASINTZE, agent de banque, tué en 94, Aloïs le témoin 32, tué en 94, Marthe MWAGIRO qui a été une des étudiante de Vincent NTEZIMANA, Balthazar NZAMWITA, commerçant tué en 94, le témoin 130 Déo qui vit maintenant à Kigali sans aucun problème, Florent NIANISORE, enseignant puis sous-préfet après 1994, Jean KABANDANA, Immaculée NIYIRAMANA. On peut en trouver des noms, et ce n’est pas en isolant 4 ou 5 que l’on parvient à donner une coloration soi-disant politique à une association qui avait uniquement un but social.

Oui, Vincent NTEZIMANA : il a démarché ! Il a été trouver qui ? Il a été trouver les gens qui avaient de l’argent, parce que quand vous parrainez une marche ou un camp, que ce soit en Amérique du Sud ou ailleurs, vous allez trouver le voisin qui quoi ? Qui bénéficie d’allocations de chômage ? Mais non, vous allez trouver les gens qui ont des sous. C’est quand même clair comme démarche ! Les gens qui ont des sous ! Les gens qui ont des sous, il y avait notamment Alphonse HIGANIRO à l’époque, il y en avait d’autres, il y en avait plein. C’est ces gens-là qui ont un peu de quoi donner pour aider les autres. Alors, on nous dit après que : « Ces 300.000 francs récoltés par les cotisations, c’est bizarre, c’est 300.000 francs ont disparu, c’est étrange que de l’argent ait disparu ! », pourtant, pour moi, dans un contexte de guerre, il y a bien d’autres exemples que de l’argent disparaisse de compte ou que des fortunes disparaissent, que des biens de valeur, des tableaux ou autre chose disparaissent, cela ne me semble pas du tout invraisemblable ! Et puis, c’est quoi 300.000 francs rwandais ? A peu de choses près, 60-65.000 francs belges ? On ne va pas loin avec ça pour financer le génocide, hein ! Il faut des millions pour organiser un gros meeting, 65.000 francs belges, on ne va pas loin !

On nous dit aussi que cette ADSK, elle avait un but, parce que Vincent NTEZIMANA est ambitieux, il veut, outre une carrière universitaire, un parcours politique fort. On nous lance presque : « Vincent président ! Oui, il était en campagne en 1994, sans doute ! ». Ridicule ! « Il veut se créer un pool de supporter ! ». Eh bien, il n’est pas très doué Vincent NTEZIMANA, parce qu’il n’est même pas capable d’être élu au Comité de l’ADSK, il se présente, il est pas élu. Alors, son comité de supporter, je ne pense pas que c’est au sein de l’ADSK qu’il faille le trouver. On nous lance : Vincent président ! On nous lance : ambition démesurée ! De la fumée, du sensationnel de nouveau. C’est comme la chaise vide. On nous balance, je ne vois que ça, des thèses inconciliables sur : « Il est le bras droit du vice-recteur, mais il veut le mettre dehors et le vice-recteur l’a compris ». Des thèses inconciliables !

Alors, en 1994, que fait Vincent NTEZIMANA ? 1994, les événements d’avril, l’avion du président, abattu le 6 avril, ce contexte de guerre qu’on vous a rappelé, ce contexte de peur, je ne vais pas y revenir, je l’ai longuement développé ce matin pour vous expliquer quelle était cette situation décrite par le témoin 110, par Rony ZACHARIA, ce médecin MSF, Elsa VANDENBON, cette dame à l’atelier de couture, le témoin 9 qui nous ont tous décrits ce qu’était avril 94, mai 94 au Rwanda. Alors, Vincent NTEZIMANA, il n’a effectivement peut-être pas été ce super héros, mais il a tout de même fait des choses. Il a tenté de faire des choses dans la mesure de ses possibilités. Une chercheuse française, Madame VIDAL au CNRS nous déclarait tout au début de ce procès qu’il y avait différentes catégories d’intellectuels au Rwanda : ceux qui s’étaient dévoyés, qui avaient participé, ceux qui s’étaient tus - la majorité - et puis, ceux qui s’étaient opposés, en précisant que s’opposer en 1994, il fallait être très, très forts, très, très proches du pouvoir pour pouvoir faire quoi que ce soit. Alors, quelques dates pour vous dire que fait Vincent NTEZIMANA à l’époque. Le 9 ou 10 avril, arrive chez lui Goretti RAFIKI, sa belle-sœur, deux femmes d’ethnie Tutsi, qui vont passer deux jours chez lui, la demande d’évacuation, les listes dont on vous a longuement parlé ce matin, il reçoit cette demande vers le 12 avril. Le 15 avril, il sait que l’évacuation ne pourra pas avoir lieu sur base des listes. Le 17 avril, une réunion populaire où tous les habitants de la commune sont conviés. Le 24 avril, une autre réunion populaire où de nouveau tous les habitants de la commune sont convoqués. Une réunion de quartier ou une réunion chez le professeur Pierre-Claver KARENZI. Les massacres commencent à Butare le 20. Le 26 avril, Ildephonse NIZEYIMANA - le capitaine - est muté à Gikongoro, c’est un élément important. Il passe six jours à Butare.

Pendant ces six jours, est-ce qu’on a pu, à un quelconque moment, savoir ce qu’il avait fait ? Vincent NTEZIMANA vous a dit : « Je l’ai effectivement vu à certaines reprises, mais il y a aussi certaines questions que je n’ai pas voulu lui poser ». Il y a, à ce niveau-là, un témoignage intéressant aussi. Ce médecin MSF, Rony ZACHARIA, qui voit le capitaine NIZEYIMANA puisqu’il est l’officier de liaison militaire et humanitaire. Donc, il le voit le 21, le 22, le 23 avril. Il l’interroge par rapport aux massacres à l’hôpital, il lui demande de faire une enquête. Le capitaine NIZEYIMANA dit : « Je la fait ». Le lendemain, il lui donne les résultats, il dit : « Oui, il y a eu massacre et il y a eu autant de personnes Tutsi tuées ». Et quand on interroge Rony ZACHARIA pour savoir ce qu’il pense de NIZEYIMANA, il dit : « Je n’ai rien à dire de particulier ». Alors, est-ce qu’on pouvait savoir ? A posteriori, oui, peut-être, mais sur place durant six jours, puisqu’il est muté le 26 avril ? La question est posée ! Le 28 avril arrive Longin, le témoin 142, début mai, Innocent. Le 14 mai, une réunion. Le 14 mai, c’est cette réunion du personnel de l’UNR, à la faculté de médecine où on nous dit que maintenant : « Vincent NTEZIMANA aurait pris la parole ». Alors, au départ, il semblerait qu’on nous dise qu’il a pris la parole en tant que président de l’APARU, il dit : « Non, j’avais préparé un discours, on me l’avait demandé et puis finalement, on ne l’a pas fait ». On nous dit maintenant : « Non, non, il a pris la parole pour cautionner l’action du gouvernement ». Pourtant, on a un carnet, un carnet de notes d’un sous-préfet qui reprend les interventions, il reprend non seulement les interventions officielles mais même les quelques interventions individuelles par la suite, et à ce niveau-là, Monsieur le juge d’instruction VANDERMEERSCH dira qu’il n’y a aucun signe, aucune trace d’intervention de Vincent NTEZIMANA lors de cette réunion. Finalement, Vincent NTEZIMANA quittera Butare le 25 mai 1994.

Alors, du 7 avril au 25 mai, il est préoccupé par différentes choses : par ses enfants qu’il évacue le 12 avril, par les gens qu’il héberge, par lui-même bien entendu. Je vous l’ai expliqué ce matin : sauver sa peau et celle des siens, celle de ses proches, c’est normal, c’est de l’instinct. On réagirait tous de la même manière. C’est dans ce contexte qu’il va effectivement à une ou deux reprises, faire le petit, « la boucler, la fermer » comme il le dit, mais où il a aussi tenté certaines choses : il a hébergé des gens, du 10 au 12, il a hébergé Longin, il a hébergé le témoin 142, il a essayé l’évacuation, il a tenté cette évacuation par les listes. Il a protégé contre l’accusation d’un professeur qui avait une épouse russe, ça c’est Longin le témoin 118 qui nous raconte : « Oui, il est intervenu une fois pour nous protéger. Il y avait des menaces de la part d’un professeur du quartier, qui avait une épouse russe et Vincent est intervenu. Il a aussi dit de se méfier de Innocent NKUYUBWATSI ». Il a fait certaines choses : il ne s’est pas tu, il ne s’est pas dévoyé, il n’a peut-être pas non plus été un super héros. Il a fait ce qu’il pouvait !

Alors, on essaie de ratisser large, hein. Deux thèses : soit Vincent NTEZIMANA est un extrémiste depuis toujours, depuis 90, depuis 91, « On l’a toujours su et tout explose en avril 94, mais c’est le résultat d’un long parcours ! », mais si c’était aussi évident que cela, cet extrémisme, cette virulence affichée dont on ne doute pas, comment concevoir que quelqu’un d’intelligent, de sage, de réfléchi comme le professeur Pierre-Claver KARENZI lui fasse un minimum confiance ? Et quand on voit tout ce qu’il y a d’écrits, de lu, de prises de position, de 90 à 93-94 : il n’y a rien, rien qui vienne confirmer cette thèse de l’extrémisme ! La deuxième thèse : c’est le dérapage. « Vincent NTEZIMANA, en avril 94, il a basculé, il a dérapé, il a peté les plombs » et qu’est-ce qu’on a là ? On a cinq faits, rien de plus, on essaie du faire passer pour un génocidaire hyperactif, il est partout à tout moment. Cinq faits ! Les génocidaires à cette époque-là, ils agissaient à visage découvert, ils croyaient à leur impunité. Alors, où sont les faits, où sont les éléments de preuve ? Ces deux thèses sont inconciliables ! On ne peut pas tenter de vous faire passer l’une ou l’autre de manière conjointe, c’est inconciliable ! Mais inconciliable aussi la personnalité de Vincent NTEZIMANA !

Il est tout en même temps, cet homme-là : super intelligent, mais bête, il a même déçu certaines parties civiles. Ah, il est idéologue, il est très fin, mais c’est en même temps quasi une brute épaisse et un peu imbécile qui est capable de massacrer, de taper. Il est acharné, virulent, extrémiste, mais il est séducteur, charmeur, affable, double, triple ou quadruple face je n’en sais rien ! Tout cela est inconciliable ! Ca me fait penser à une seule chose dans ces magasines qu’on affectionne tant nous les femmes, peut-être même les hommes, pour dire : « Tiens, la plus belle fille du monde, comment voudriez-vous qu’elle soit ? Monsieur le sixième juré, Monsieur le troisième juré, Monsieur le douzième juré ? Les lèvres de Julia ROBERTS, les cheveux de Nicole KIDMAN ? », et alors on en fait un puzzle comme ça - ou pour les femmes, je ne veux pas vous frustrer - le sourire de Brad PITT ou les abdominaux de Pierce BROSNAN ? Ca fait un puzzle sans aucune cohérence, ça fait une image construite sans lien. Inconciliable ! On ratisse large et comme on n’a rien, on veut que Vincent NTEZIMANA soit tout. On n’a rien et il faut donc qu’il soit tout en même temps ! A propose de Vincent NTEZIMANA, il y a ceux qui disent, le professeur REYNTJENS, tellement cité, qui parle des propos de Vincent NTEZIMANA, je vous ai déjà cité sa phrase, elle est importante, « Les propos ne sont absolument pas des propos où le type de discours extrémiste que tenait Vincent NTEZIMANA à l’époque ». Ou rappelez-vous au début, Faustin TWAGIRAMUNGU ce monsieur du MDR qui avait accepté d’être dans le nouveau gouvernement après la prise de pouvoir par le FPR parce qu’il espérait faire quelque chose, ce grand Monsieur qui vient nous dire, même si Vincent NTEZIMANA était son adversaire en politique, mais il vient nous le dire : « Jamais, ni au-dedans ni au dehors, Vincent NTEZIMANA ne m’est apparu comme extrémiste. Jamais ! Ni au-dedans, ni au dehors du parti politique ».

Et puis, intéressant aussi, c’est ceux qui ne disent rien. Le professeur GUICHAOUA, deux heures et demie, trois heures ici. Rien ! Pas un mot sur Vincent NTEZIMANA ! Etonnant ! Ou Pie-Joseph, ce Pie-Joseph le témoin 96 qui avait fait cette vision synoptique. Dans la vision synoptique, il n’y a pas Vincent NTEZIMANA alors que pourtant, il essaie de faire un détail, un éventail de toutes les personnes responsables des massacres à Butare. Lui, il reviendra même sur ses déclarations, puisque dans le cadre de l’instruction, il avait déclaré que Vincent NTEZIMANA avait prononcé des discours anti-Tutsi sans équivoque, « Il évoquait la thèse de l’élimination systématique de tous les Tutsi ». Entendu à l’audience, ici, il corrige, « Il ne s’agit pas de Monsieur Vincent NTEZIMANA, il s’agit de quelqu’un d’autre que je ne citerai pas ici avec qui nous avons eu des problèmes ».

Vincent NTEZIMANA a été, est, et restera cet esprit libre qui a été capable de condamner en même temps le régime dictatorial du président le témoin 32 et en même temps l’action violente, la guerre du FPR. Ses idéaux démocratiques sont profonds, il s’est retrouvé en condamnant les deux camps, comme la langue entre les dents. « Comme la langue entre les dents », vous vous rappellerez que c’est le terme ­ oh, je perds mon bouquin - les termes utilisés par le témoin 135 qui est venue, ici, devant vous, nous raconter son histoire et qui a eu le courage, en tant que femme Tutsi - femme Tutsi épouse d’un Hutu - elle est venue nous apporter son témoignage à la demande de Vincent NTEZIMANA. L’aurait-elle fait si elle était persuadée de son implication dans le génocide ?

Pour terminer, à propos d’un incident, lors d’un barrage, Marie-Aimable nous raconte un incident à un barrage : on moleste quelqu’un dans une voiture et les militaires disent à ce petit bonhomme : « Cette voiture, tu l’as volée toi-même à un Tutsi que tu as peut-être même tué, n’est ce pas ? ». L’argument nous écœure ! Oui, il suffit d’être Hutu pour être suspect ! Comme si tous les Hutu étaient automatiquement des    assassins ! Bosco, son mari, a repris ses esprits, il plante son regard noir dans le mien, et il lui dit : « On fout le camp. Tout de suite ! ».

Je vous remercie.

Le Président  : Merci, Maître BELAMRI. Maître CARLIER, vous souhaitiez, je crois, conclure ?

Me. CARLIER : Très, très brièvement, oui.

Le Président : Vous avez la parole !

Me. CARLIER : Il est 16 heures, pour 16 h 20, on a fini. Et c’est de vous que je veux parler. Je ne vous connais pas, effectivement, mais vous êtes les jurés. On vous a donné les faits, le dossier, la personne et puis, c’est vous qui devrez juger. Vous. Et tout est possible. Vous savez, le juge Damien VANDERMEERSCH, le juge d’instruction, a été entendu dans cette commission sénatoriale d’enquête sur le génocide au Rwanda, et deux fois, le juge d’instruction a dit ceci pour justifier qu’il voulait, de son point de vue, qu’il y ait un procès ; je vous ai dit tout à l’heure, d’autres avaient dit : « Il ne faudrait pas de procès », mais lui a toujours estimé qu’il en fallait un.

Chacun son point de vue, effectivement. Il dit ceci, deux fois, devant la commission sénatoriale : « Un verdict d’acquittement est aussi une manière de rendre justice ». Deux fois, effectivement, le juge d’instruction Damien VANDERMEERSCH dit cela. Vous, vous allez devoir juger. Vous étiez, au début de ce procès. Vous vous souvenez, le premier jour, tous ceux qui se sont défilés pour de bonnes raisons, pour de moins bonnes raisons. Vous pas, vous avez accepté. Il y en a même parmi vous qui ont revendiqué leur rôle de citoyen de ne pas être confondu avec quelqu’un d’autre, et c’était bien. Vous êtes devenus, tout à coup, des citoyens du monde à devoir juger ce qui s’est passé à 6.000 km d’ici.

Et une des premières choses que le président vous a dite, je cite pour être sûr de ne pas tronquer ses mots, sinon, il me corrigera : « Juger n’est pas chose facile ». Ca, vous devez déjà l’avoir compris, avec tout ce que vous avez entendu, les points de vue, etc. Il faudra trancher, et juger n’est pas chose facile. Vous avez fait un serment, on vous le rappellera encore, Madame la présidente, quand vous allez délibérer, on vous rappellera encore les teneurs de cela.

En âme et conscience, vous allez utiliser votre intime conviction. Et un jury, vous savez, vous le savez, vous, chacun, c’est pas une abstraction, c’est 12 jurés, un jury. C’est une présidente, c’est un deuxième juré, c’est un troisième juré, c’est une quatrième juré, c’est un cinquième juré, c’est un sixième juré, c’est un septième juré aussi, c’est un huitième juré, c’est une neuvième juré, c’est une dixième juré, c’est une onzième juré, c’est un douzième, le douzième aussi, je le cite, oui.

Mais ça veut dire : chacun, individuellement, en âme et conscience, devra décider, pas parce qu’il y en a un qui parle plus fort que l’autre ou qui mène le groupe ou quoi que ce soit, chacun devra donner son opinion et puis, juger, et ça, ce sera effectivement la chose la plus difficile. Et vous allez juger Vincent NTEZIMANA qui a comparu devant vous, librement, Monsieur l’avocat général a même dit ça : « Il ne l’aurait pas souhaité, il a comparu librement ».

Et, il a toujours conservé sa confiance en la justice. Ca n’est pas évident, après tout ce qui s’est dit, et ça n’est pas maintenant, c’est pas devant vous qu’il dit maintenant : « J’ai confiance ». Il l’a dit avant, il l’a écrit avant aussi, d’ailleurs dans son ouvrage, tout à la fin, si je me souviens bien, il dit cela. Oui, il dit ceci à la fin de son livre : « Il est possible qu’un procès se déroule sur mon dossier. Dire que cela ne me fait pas un peu peur au vu des enseignements du passé, serait mentir. Mais j’espère que la vérité et la justice l’emporteront, non seulement pour moi-même et pour ma famille, mais pour l’espoir de reconstruire un jour un Rwanda meilleur, avec ceux qui veulent sortir des logiques du mensonge et de la violence ».

Sortir de la violence ! La justice, ce n’est pas la violence. Parfois, d’une certaine façon, on la représente comme ça, y compris dans cette salle. Je ne sais pas si, de temps à autre, vous avez regardé les représentations, là-haut, la première, c’est bien l’allégorie de la justice avec la face cachée, les yeux bandé qui ne verrait pas, et le glaive, le bras séculier. La justice n’est pas cela. La justice ne peut pas être aveugle. La justice ne peut pas être un glaive que l’on brandit. La justice, c’est la lucidité, la prudence. Faites justice, ne faites pas vengeance. Merci de votre attention.

Le Président : Merci, Maître CARLIER. Nous aborderons demain la défense de Monsieur HIGANIRO. Comme il est encore relativement tôt, quelques mots à Mesdames et Messieurs les jurés. Nous allons avoir une semaine dont les journées se termineront relativement tôt, mais la semaine prochaine : mercredi, jeudi et vendredi seront de très lourdes journées. Mercredi, parce qu'en une seule journée, les parties civiles, Monsieur l’avocat général et la défense, répliqueront.

Des répliques, c’est pas répéter un réquisitoire ou répéter des plaidoiries qui ont déjà été faites : c’est répondre à des arguments qui ont été développés par les autres parties et auxquels on n’avait pas pu penser immédiatement et donc, on répond.

Une seule journée pour toutes les parties civiles, pour Monsieur l’avocat général et pour toute la défense… j’espère que les parties civiles et la défense - Monsieur l’avocat général lui, il doit se concerter qu’avec lui-même -, mais que les parties civiles ou les avocats des parties civiles et les avocats de chacun des accusés, comprendront qu’ils ont intérêt à se concerter pour que ce soit court et, peut-être, à ne pas intervenir tous, mais je ne sais pas s’ils le comprendront.

Donc, la journée de mercredi risque d’être longue, celle de jeudi sera nécessairement longue, parce qu’après les répliques de mercredi, en fin de journée du mercredi, les accusés auront chacun la parole en dernier, s’ils souhaitent encore ajouter quelque chose à ce que leurs avocats ont dit. Mais, jeudi, la journée sera sûrement longue. Parce que les débats seront clôturés, les questions vous seront présentées, les parties auront éventuellement à faire des observations, à déposer des conclusions, éventuellement pour que les questions soient modifiées. Ces questions vous seront présentées, commentées, expliquées.

Il vous sera également expliqué comment, techniquement, vous devrez procéder pour délibérer et puis, vous rentrerez en délibération. Et rentrer en délibération, c’est rentrer en conclave. Ca veut dire qu’on vous enferme, et que vous ne sortez de votre salle de délibération qu’une fois que vous avez répondu à toutes les questions. Dans mon projet actuel, dont je ne vous parle pas encore, il y a 26 questions auxquelles vous devez répondre. Alors, vous voudrez peut-être lire tout le dossier qui se trouve dans l’armoire, ou une partie de ce dossier, rien ne vous en empêche, effectivement, c’est dans votre rôle, mais sachez qu’une fois rentrés dans cette salle de délibération, vous ne sortirez que quand vous aurez répondu à toutes les questions.

Et puis, le lendemain - parce que j’espère que vous aurez fini, éventuellement dans la nuit de jeudi à vendredi -, le lendemain, il y aura un débat, si vous avez déclaré qu’au moins un des accusés est coupable d’au moins un fait. Il y aura, alors, un débat sur la peine, une nouvelle délibération et un arrêt à rendre.

Si je vous dis cela, c’est pas pour vous faire peur, mais c’est surtout pour que vous puissiez prendre vos dispositions, dès à présent. Sachez que mercredi, on n’aura sans doute pas fini à 5 heures. Sachez que jeudi et vendredi, on fait ce qu’on dit : « Au finish », quelle que soit l’heure. Donc, prévenez vos maris, vos épouses, les enfants. Prenez les dispositions pour que vous ne soyez pas dans l’embarras, jeudi à 5 heures, en vous disant : « Non d’une pipe, on n’est qu’à la première question et je dois aller chercher mes enfants ». Vous ne pourrez pas sortir pour aller chercher les enfants ! Ce sera donc, mercredi, cela se terminera plus tard, j’imagine 17 heures, mais jeudi et vendredi, ça risque de se terminer fort tard. Mais ceci dit, vous pouvez être très rapides aussi mais, comme je ne peux pas présumer de ce que vous pensez et de ce que vous penserez à ce moment-là - pas de ce que vous pensez maintenant d’ailleurs -, de ce que vous penserez à ce moment-là, je ne sais pas si votre délibération sera longue, sera courte. Je préfère imaginer qu’elle sera longue et donc, vous dire : « Envisagez cette possibilité-là, quand vous serez enfermés dans votre salle, vous n’en sortirez plus ». On vous donnera encore à manger et à boire ! Et quand je dis : « La salle de délibération », c’est un espace suffisant que pour y trouver des commodités.

Mais donc, je tiens à vous avertir, dès à présent, pour que vous ayez le temps de vous organiser et que les jurés suppléants ne cherchent pas nécessairement des jeux de cartes. J’ai peut-être eu un mot malheureux, d’ailleurs, quand j’ai parlé de jeux de cartes. Il y a peut-être d’autres jeux de société à trouver, le Cluedo, je ne sais pas, des trucs comme ça. Bon ! Donc, prenez vos dispositions, soyez attentifs à ce problème-là pour que vous ne soyez pas pris, mercredi, jeudi et vendredi, au dépourvu en vous disant : « On pensait avoir fini à 5 heures et c’est pas le cas ».

Voilà, donc, l’audience est maintenant suspendue et elle reprend demain à 9 heures.