assises rwanda 2001
recherche plan du site
Débats Plaidoiries de défense compte rendu intégral du procès
Procès > Débats > Plaidoiries de défense > Défense A. Higaniro
1. Défense V. Ntezimana 2. Défense A. Higaniro 3. Lecture par président lettre Monseigneur A.N. Dupuis 4. Défense C. Mukangango 5. Défense J. Mukabutera
 

9.4.2. Défense de Alphonse HIGANIRO

Le Greffier : La Cour.

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Monsieur HIGANIRO n’est pas là ? Monsieur HIGANIRO. Ne vous inquiétez pas, nous aurions appliqué la Convention européenne des droits de l’Homme et permis à ce qu’il soit représenté.

Bien. Des excuses d’abord pour le retard avec lequel l’audience commence, mais dû à quelques embarras apparemment, de circulation. Bien, Maître EVRARD, je crois que c’est vous qui débutez pour la défense de Monsieur HIGANIRO. Vous avez la parole.

Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. Madame, Messieurs les jurés, Monsieur le président, Madame, Messieurs les juges, Monsieur l’avocat général, Monsieur HIGANIRO est un mathématicien. On a affaire à un technicien plus qu’à un politicien. Et les débats nous l’ont montré. Pour lui, ce procès, c’est une seconde procédure. Et, dans ces deux procédures, il se trouve impliqué pour des faits qui nous occupent maintenant, et selon ses termes, ce qui nous occupe maintenant : « est une équation à 1000 inconnues ».

La première inconnue est certainement qu’il ne comprend pas de la même manière que nous, Belges, ce qui se passe ici. Quand l’avocat prête serment, comme le font d’ailleurs les jurés, les magistrats, il jure de respecter la Constitution, les lois du peuple belge, de ne pas se départir du respect dû aux tribunaux et de ne conseiller, concilier ou défendre aucune cause qu’il ne croit juste, en son âme et conscience. La première mission a donc été celle de conseiller et, à de nombreuses reprises, nous avons dû donner à Monsieur HIGANIRO, de véritables cours de droit pénal et de procédure pénale. Mais, même face à cela, il laisse entendre qu’il est bien étranger aux modes de perception des choses, au rôle de chacun, aux méthodes utilisées.

Et je prendrai un seul exemple. Je lui ai un jour signalé que si j’épousais la fille du médecin personnel du Roi, et bien cela ne me laisserait aucune possibilité d’inviter le Roi à dîner. Il en est resté bouche bée. Sa culture ne lui permet pas de comprendre cela. Et alors, on mesure l’abîme qui nous sépare.

Cet abîme, il est culturel aussi. Ne nous en cachons pas. C’est une difficulté que, tous ici, nous devons affronter. Des témoins comme Monsieur NSANZUWERA, comme Monsieur le témoin 109, comme Monsieur Filip REYNTJENS, sont venus vous dire les difficultés qui peuvent se poser dans la compréhension du langage. Le bien parler, s’il se transforme dans la bouche de l’avocat général, comme bien mentir, c’est au-delà de la vérité et de la perception de tous ceux qui ont fréquenté le Rwanda.

Un dernier mot quant au sens des mots : il faut pas aller si loin, il faut pas aller au Rwanda pour se rendre compte que les sens des mots peuvent avoir des interprétations différentes, peuvent avoir des sens différents. Prenez, Mesdames et Messieurs les jurés, le moindre contrat d’assurance. Un contrat d’assurance automobile. Vous avez un accident. Vous convoquez votre assurance et votre assurance va vous faire les pires difficultés pour vous rembourser. Elle va lire son contrat comme vous ne le lisez pas. Elle va trouver, derrière des formules du contrat, des choses que vous n’avez pas vues. Voilà déjà un sens des mots, si proche de nous et qui existe. Et qui est bien différent de ce que nous pouvons penser et de ce pense une autre personne.

Prenons encore un exemple : un contrat de bail. Un ethnologue français a mené une enquête à Paris et il a essayé de se présenter dans la peau d’un locataire potentiel et il a pris contact avec différents propriétaires. Il a vu des petites annonces. On annonçait : « Appartement 5e étage, vue sur la Seine », et la réalité est bien différente quand on se rend sur les lieux. Quand on vous dit « 5e étage », c’est peut-être pour vous dire simplement qu’il n’y a pas d’ascenseur et que l’appartement n’est peut-être pas au 5e étage mais au 4e. Quand on vous dit « Vue sur la Seine », ce n’est pas une vue sur ce fleuve tranquille, mais c’est une vue sur les immeubles qui donnent sur la Seine. Vous aurez peut-être l’occasion, en vous penchant sur un balcon, de voir un petit angle de la Seine. Le sens des mots. Le sens des mots. Il est bien différent, même pour nous, dans des exemples si proches.

Pourtant, par un arrêt de renvoi, arrêt de renvoi de la Chambre des mises en accusation, qu’il conteste par ailleurs, Monsieur HIGANIRO se trouve devant vous, poursuivi pour - on l’a rappelé à de nombreuses reprises - des crimes de guerre. C’est sur cette base que les questions vous seront posées. Mesdames et Messieurs les jurés, l’acte de défense que vous avez - il vous a été distribué - répondait à l’acte d’accusation que vous avez aussi. Ils vous ont été distribués en début de cette session.

La plaidoirie elle, celle des avocats, répond à notre troisième mission. Je vous ai parlé de la mission de conseiller, concilier, défendre. La plaidoirie appartient à cette 3e mission, la défense. Elle est une forme d’aboutissement. La plaidoirie aussi est, en termes d’avocat, un exposé oral des moyens de défense, à l’appui d’une cause et elle répond naturellement au réquisitoire que vous avez entendu la semaine dernière, du moins partiellement. Et ce réquisitoire, tout comme la plaidoirie, est un exposé oral. Le réquisitoire est aussi un exposé oral : le point de vue de la compréhension du dossier par le ministère public, dans lequel il tente de préciser les reproches qu’il formule contre l’accusé, Monsieur HIGANIRO, et, au terme duquel il vous demande du déclarer coupable de toutes les charges qui pèsent sur lui.

Quand je dis que le parquet tente, il tente. Il tente de préciser, car il ne peut pas suffire, pour le ministère public, l’accusateur public, de se sentir international, quoiqu’il est bien belge, de déclarer que chacun d’entre vous compose un jury international, quoique bien belge. Une seule personne ici peut faire dans sa chair, dans ce qu’il a vécu, la différence entre un tribunal international et un tribunal belge, comme est celui que compose la Cour d’assises, c’est Monsieur HIGANIRO. Parce que Monsieur HIGANIRO a vu son dossier, et c’est le seul, parmi les accusés, transféré d’abord devant un autre tribunal international, le tribunal international pour le Rwanda, pour ensuite revenir ici, devant vous. Seul lui, peut comprendre ce qu’est ce tribunal international.

Il ne peut suffire non plus, pour le parquet général, de globaliser, de flétrir faussement l’attitude d’avocats belges ou de certains barreaux à l’égard des juifs pendant la seconde guerre mondiale, en taisant celle de la magistrature ou du moins certains de ses membres, et en espérant ainsi laisser planer un doute sur la légitimité de notre mission d’avocat.

Il ne lui suffit pas non plus d’évoquer les tribunaux de Tokyo ou de Nuremberg, ni de ramener, sans nuances, l’histoire de drames humains les plus lourds, aux trois génocides : arméniens, juifs et rwandais. Sans parler du Tibet, du Vietnam, de l’Erythrée ou de tant d’autres qui n’ont pas la faveur de l’actualité. Certes, le parquet général renvoie à son acte d’accusation qu’il a établi avant les débats, mais il aurait dû, à notre avis, et l’expérience de 23 ans de métier dont il vous a fait état, nous le faisait espérer, ne pas s’en tenir à des généralités sur la répression des crimes internationaux, mais expliquer, suite aux débats, quels sont aujourd’hui :

1.    Les éléments de définitions contenus dans la loi du 16 juin 93 dont on vous demande de faire application, cette fameuse loi relative à la répression des violations graves du droit international humanitaire.

2.    Il aurait dû vous dire quelle était la réunion des éléments de ces définitions contenues dans la loi. Il aurait aussi dû vous dire quels étaient les éléments matériels et de témoignage, qui établissent les comportements qualifiables en une infraction à poursuivre.

3.    Il aurait dû vous parler aussi de l’élément moral. En droit, on parle d’ « élément moral », mais ce n’est jamais que l’intention de l’auteur.

4.    Et enfin, il aurait dû vous parler du rattachement qu’il y a à faire entre ces éléments matériels et une intention que l’on porte à un accusé.

Sans ces éléments, sans la réunion de ces 4 éléments, dont il appartient au ministère public d’en faire la preuve, il ne peut y avoir d’infraction.

Quantité d’inconnues de l’équation de Monsieur HIGANIRO touchent au fait que, si les débats ont révélé un ensemble de choses, il s’attendait, et il était légitime qu’il s’attende à un exposé méthodique de ces 4 points pour en arriver à la demande d’une déclaration de culpabilité. Pour lui, la question reste donc entière.

Et pourtant, le président - et je plaide sous le contrôle de la Cour - dès le début de cette affaire, vous a bien indiqué que les questions qui vont vous être posées, concerneront les crimes de guerre tels qu’ils ressortent de l’acte qui vous saisit, l’arrêt de renvoi de la Chambre des mises en accusation et tels qu’ils ressortent de l’acte d’accusation dont Monsieur HIGANIRO conteste toujours l’existence et la validité.

Car enfin, de la part des avocats des parties civiles qui sont à ma gauche, qui représentent des victimes qui souffrent encore, qui ont souffert, tout comme les accusés ont souffert également, Monsieur HIGANIRO vous a dit dès le début, qu’il a perdu des membres de sa famille, à commencer par son beau-père. On a entendu, du côté des parties civiles, uniquement le génocide, toujours le génocide et rien que le génocide. Génocide, il y a eu. Tout le monde est d’accord, et tout le monde en est affecté.

Mais les accusations de génocide, portées par les parties civiles, relayées par une presse peu regardante aux détails, sauf dans les pré-réquisitoires, comme titrait le journal « Le Soir » des 19 et 20 mai dernier, ne sont-elles pas plutôt, dans l’acte d’accusation du parquet général, en réalité des accusations de crime de guerre ? C’est une question qu’il faut se poser.

Alors, face à ce discours que nous avons entendu et qui concernait le génocide, la question est double : elle est celle de savoir pourquoi on vous parle uniquement de génocide et comment on vous en parle.

A la première question : pourquoi ? Eh bien, je voudrais reprendre les termes du juge d’instruction. Vous vous rappellerez qu’il a toujours refusé d’utiliser ces mots-là. Il a parlé de « massacres à grande échelle ». Est-ce que les invocations, le fait que l’on ne vous parle que de « génocide », est-ce que ce n’était pas là, uniquement pour vous émouvoir ? Il faut vous poser la question.

Et maintenant, comment on vous en parle ? A l’écoute des plaidoiries des parties civiles, il nous semble avoir assisté à ce que l’on appelle une stratégie de l’encerclement. Monsieur HIGANIRO connaît tout le monde. Il connaît les frères, les beaux-frères. Il a eu, dans le cadre de certaines activités, à rencontrer certaines personnes. Et donc, on en tire de cela, une nécessaire complicité.

Moi, je vous dirais que, même si dans la famille de ma belle-sœur, des personnes participaient à une activité illicite, ce n’est pas pour cela que je connais ces gens-là. Ce n’est pas pour cela que l’on peut glisser, d’un jugement éventuel sur ce qu’elles ont fait, vers ma personne. C’est bien cela que l’on essaie d’induire chez vous.

Toutes ces invocations du génocide ne sont-elles pas, là aussi, pour vous suggérer qu’il est indécent - et on l’a dit à 4 reprises - en en faisant d’ailleurs un signe de culpabilité pour Monsieur HIGANIRO, indécent pour la défense des accusés de se mettre en doute, de mettre en doute les éléments qui vous sont présentés comme des évidences. Les avocats des parties civiles l’ont fait encore ici récemment, il était indécent d’interroger un témoin, il était indécent de lui poser des questions. On vous a dit qu’il était jeune, on vous a dit 1000 raisons mais, pour quelqu’un qui est chargé des crimes les plus graves, qu’y a-t-il d’indécent à venir interroger un témoin ? Posons-nous aussi la question.

De tout cela, il ressort que l’accusé, Monsieur Alphonse HIGANIRO, paraît « présumé coupable » et c’est tellement évident. Certains journaux d’ailleurs l’ont titré. Et, dans l’opinion publique, il est bien difficile, il est même plus facile de penser cela que de penser le contraire.

Alors, Mesdames et Messieurs les jurés, réfléchissons un peu. A quel titre serions-nous, par avance, accusés de révisionnisme parce que nous venons vous parler d’événements tels que Monsieur HIGANIRO les a vécus, parce que nous venons vous parler de la non-culpabilité d’un accusé poursuivi en Belgique devant un jury belge ? A quel titre, comme il en a toujours été tout au long de ce procès, Monsieur HIGANIRO, qui aurait dû bénéficier de la présomption d’innocence, a-t-il dû constamment démontrer sa non-culpabilité face à des pièces nouvelles, impossibles à contredire, même face à des accusations de dernières minutes parues dans les journaux, des courriers qui sont communiqués à la Cour et qui nous sont encore arrivés le 29 mai dernier ? Est-ce donc là, l’inimaginable, l’impossibilité d’avouer qui, pour l’avocat général et les parties civiles, sont les seules attitudes possibles pour l’accusé ? A cela, nous répondons : « Non ».

Qu’est-ce, alors, qui fait que nous ne puissions pas parler ? Est-ce le type d’infraction reprochée qui le veut ? L’horreur des événements du Rwanda en 1994 ? Est-ce que c’est en raison d’un procès particulier qui, qu’on le veuille ou non, est très médiatisé ? Ou encore, est-ce parce que Monsieur HIGANIRO était l’ami du  président Juvénal le témoin 32, amitié et fidélité jamais reniées par l’accusé ? Est-ce encore parce qu’il a été ministre de 1991 à 1992 ? Est-ce parce qu’il a été diplomate au Secrétariat général de la conférence ou de la communauté économique de la région des Grands Lacs ? Est-ce parce qu’il a épousé la fille du médecin personnel du président ? Est-ce parce qu’il a été gestionnaire de la SORWAL ? Est-ce parce qu’il ne partage pas les opinions politiques de son épouse ? Et jusqu’où cela devra-t-il aller ? Plus loin encore, chez vous ?

Vous, membres du jury, est-ce que vous vous contenterez des éléments qui vous sont présentés par l’accusation, ou laisserez-vous le doute qui profite à toute personne poursuivie devant les tribunaux belges, profiter aussi à l’accusé ? Ou alors, sous la pression de tout cela, renverserez-vous à la fois la présomption d’innocence et son prolongement naturel qui est le doute favorable à l’accusé ?

Il y a d’autres questions encore. Avons-nous affaire à un procès d’assises ordinaire ? Ou alors, des règles spéciales, non dites, non écrites doivent s’appliquer dans ce cas particulier ? Suffit-il ainsi de vous dire que d’autres états dans le monde, attendent votre décision, décision qui sous-entendu, ne peut être qu’une décision de culpabilité pour qu’à la suite de l’exemple belge, d’autres états poursuivent également la lutte contre l’impunité ? Suffit-il de vous dire que ce procès est une grande première dans l’histoire de la Belgique et que la Belgique doit être fière de ce qui se passe ici ? Suffit-il de vous dire ça, tout en vous disant que la Belgique fait avec les moyens qui sont les siens, et le juge d’instruction a dit que les moyens étaient faibles, plus faibles que devant le tribunal international ? Il faut vous poser la question. Est-ce qu’elle pouvait, et est-ce que ce qu’elle a fait, était assez ? Etait-ce suffisant ? Et l’effort est-il le garant de votre résultat ? Comme disent certains : « On ne dépense pas 100 millions pour des acquittements ». Tous ces éléments en question, doivent-ils intervenir dans votre opération de jugement ? Ce serait pour l’accusé une inconnue de plus, et qui lui semblerait particulièrement curieuse et inique.

Alors, avant de donner la parole à Maître CUYKENS et à Maître MONVILLE, je vais aborder 5 points qui répondent à quelques-unes des inconnues qui se posent au profane, à Monsieur HIGANIRO, étranger à notre état et à sa vie judiciaire. Et des points qui, selon nous, doivent être présents dans vos esprits, au moment où les questions vont vous être données et où vous aurez à y répondre.

Maître CUYKENS et Maître MONVILLE vous diront, l’une pour les faits de Butare, l’autre pour les faits de Kigufi, qu’il n’est pas question d’invoquer ce doute raisonnable dont je vous ai parlé, qu’il n’y a pas de place pour ce doute en ce qui concerne Alphonse HIGANIRO. Et même, s’il devait y avoir une place pour ce doute, serait-ce contraire aux principes les plus élémentaires de la procédure pénale ?

Je voudrais revenir à un témoin que nous avons entendu le 20 mai de cette année. Le conditionnel utilisé par Madame Alison DESFORGES pour qualifier les comportements de Monsieur HIGANIRO. Le témoin, dont on a appris qu’elle était trieuse de documents qu’elle avait cherchés, et notamment avec un avocat des parties civiles ici présent, vous a dit que, dans toute sa rigueur scientifique, elle utilisait le conditionnel quand, par recoupement, elle ne pouvait arriver à une certitude de chercheuse. Cette certitude de chercheuse, n’est-elle pas analogue à votre conviction, cette intime conviction dont le code d’instruction criminelle vous dit qu’elle doit se former dans votre délibéré et se porter sur la culpabilité de l’accusé. Alors, la question qui vous est posée, n’est-elle pas aussi de savoir si vous n’avez pas à répondre au conditionnel ?

Souvenez-vous encore, comme l’a dit un témoin, Monsieur le témoin, à Butare, bastion de l’opposition, lorsqu’il y avait des troubles, des attentats à la bombe dans les marchés publics, on parlait de Monsieur HIGANIRO et on l’associait à 2 autres personnes : le frère du président, médecin à l’université et une troisième personne. Et pourquoi les associait-on ? Et pourquoi parlait-on d’eux quand il y avait des troubles ? Parce que, a dit ce témoin : « On ne prête qu’aux riches ».

La défense de l’accusé va en venir à toutes ces questions. Et donc, à nouveau, rectifier, nuancer, compléter les propos de Monsieur le procureur général et des avocats des parties civiles. La défense de l’accusé va vous présenter les questions et les arguments qui doivent être présents dans vos esprits au moment où, quand vous quitterez cette salle pour réfléchir à la culpabilité de Monsieur HIGANIRO, vous aurez à vous prononcer sur celle-ci. J’imagine que cette réflexion sur la culpabilité, elle a sans doute déjà cheminé longtemps dans vos esprits et que le moment de réfléchir, ensemble ou séparément, et de devoir prendre une décision qui condamnera ou acquittera l’accusé, sera, pour certains, une sorte de délivrance au terme de ces longues semaines.

En un 1er point, je mettrai en évidence des éléments qui sont ressortis des débats et qui touchent les moyens de preuve.

En un 2ème point, je remonterai dans le temps pour exposer la situation judiciaire globale de Monsieur HIGANIRO, à savoir son passage, le passage de son dossier au Tribunal pénal international pour le Rwanda.

Sur ces 2 premiers points, vous vous en souviendrez, nous avions déposé des conclusions, en début de procès. Et on a hurlé au loup, en disant : « Jusque dans cette salle, la défense est procédurière, elle refuse la vérité ». C’était extraordinaire d’entendre cela ! Et on l’a entendu encore en plaidoirie la semaine dernière.

En réalité, nous voulions seulement attirer votre attention et déblayer le dossier d’un ensemble de pièces qui concernent d’autres procédures de personnes qui ne sont pas ici. Des procédures pendantes devant le tribunal international ou des pièces qui ne sont pas traduites et qui, sauf erreur, ne le sont toujours pas. Des pièces qui sont arrivées dans le dossier en des circonstances curieuses. Certaines, bien sûr, concernaient Monsieur HIGANIRO. Elles ne sont pas ces pièces accablantes dont les parties civiles ont fait état. D’autres pièces, les plus nombreuses, concernaient d’autres accusés.

Nous n’avions pas été sélectifs. On vous parlera de tout cela, de ces pièces, et de ce qu’elles sont devenues suite au débat, et des difficultés qu’elles ont posées pendant les débats et qu’elles continuent à poser encore maintenant.

Le 3ème point portera sur la manière dont les charges sont présentées dans l’acte d’accusation et le réquisitoire de Monsieur l’avocat général, comme crimes de guerre.

En un 4ème point, je m’attacherai aux modes de participation qui sont retenus dans l’acte d’accusation. A la lecture de l’acte d’accusation, vous verrez qu’on retient des modes de participation qui sont tirés d’une loi, la loi du 16 juin 1993 : avoir incité, avoir provoqué, avoir ordonné. Tout cela sont des modes de participation. Ils posent des questions. Et ces questions, je vais vous les poser.

Le 5e et le dernier point se rapportera à la question liée à une notion fondamentale en droit, celle de l’imputabilité, c’est-à-dire de savoir si tel fait, avec toute la certitude que demande le droit pénal, en excluant tout doute raisonnable, se rattache ou non, à un individu.

Autrement dit, si tel comportement appelé « crime de guerre » a été posé par l’accusé, en tant que participant, comme civil, du côté des belligérants. Alors, vous me direz : pourquoi vous parlez de tous ces éléments ? Vous avez été constitués comme juges, chacun d’entre vous et tous ensemble. Vous avez à vous prononcer sur des faits reprochés à l’accusé. Mais ce prononcé que vous aurez à faire, est guidé par le droit. C’est ce même droit qui fait que vous êtes ici, constitués.

La culpabilité sur laquelle vous avez à vous prononcer, n’est pas morale, elle n’est pas plus politique. Elle n’est pas non plus historique. La culpabilité sur laquelle vous avez à vous prononcer est juridique et c’est en ce sens que des éléments de droit doivent éclairer votre conviction.

Cette culpabilité juridique particulière, ce n’est pas celle d’une entreprise, la SORWAL, ce n’est pas celle d’un état ou d’un parti, le MRND, d’un régime politique, ce n’est pas non plus celle de l’entourage présidentiel, ce n’est pas non plus la culpabilité d’une région, celle du Nord du Rwanda, dont est issu l’accusé. Non.

Il s’agit d’une culpabilité judiciaire et particulièrement pénale, c’est-à-dire, par essence, et partout dans le monde, personnelle et individuelle, et vous ne pouvez pas, quoi que vous en pensiez, quoique vous en ayez peut-être la tentation et la facilité, vous ne pouvez pas glisser de l’une à l’autre. Je m’explique.

Les responsabilités éventuelles des cadres de la SORWAL qui sont venus témoigner et qui vous ont dit être restés à Butare pendant les événements, je pense à Monsieur le témoin 40, à Monsieur le témoin 21, je pense aussi à la responsabilité éventuelle d’employés de la SORWAL, et on en a un exemple : Monsieur NKUYUBWATSI, la culpabilité ou la responsabilité de l’épouse de Monsieur HIGANIRO dont je vous rappelle qu’elle n’a pas été poursuivie devant le tribunal international et que, devant les juridictions belges, celles-ci ont prononcé une ordonnance de non-lieu à poursuivre, alors même que son hypothétique implication dans des trafics d’armes a été rapportée ici, devant vous, par un témoin, Monsieur NSANZUWERA. Tout cela, de même que la responsabilité des veilleurs de jour de la maison de Kigufi, Messieurs le témoin 3 et le témoin 12, toutes ces responsabilités éventuelles n’ont pas à entrer en ligne de compte dans les réponses aux questions qui vont vous être posées.

Vous avez à répondre, uniquement et seulement, aux questions qui vous seront posées quant à la culpabilité de Monsieur HIGANIRO. De même, ce n’est pas parce que vous avez devant vous 4 accusés, qu’il faut faire glisser dans votre esprit, ou dans votre jugement, une culpabilité des uns sur les autres.

De même, l’exemple historique que le parquet attend de vous, et le parquet semble dire que tout le monde, le monde entier, l’attend de vous, il a les yeux braqués sur vous, cela ne doit pas vous faire entrer dans l’idée que, si l’un ou l’autre des accusés sont non coupables, il y a lieu d’en déclarer d’autres coupables, pour satisfaire à votre devoir de juré.

Monsieur HIGANIRO a contesté depuis le début, la jonction des dossiers qui fait que vous vous retrouvez en face de 4 accusés et non d’un seul. Et il la conteste encore aujourd’hui. C’est vrai, la loi belge parle, pour provoquer la jonction de certains dossiers, de la bonne administration de la justice. Mais, n’est-ce pas là un beau paravent pour dire que des problèmes pratiques, l’organisation de la Cour, la convocation de témoins qui viennent du Rwanda ou d’ailleurs dans le monde, le coût d’un procès en assises qui serait le coût de procès séparés pour 4 accusés, est-ce que tout cela n’est pas un beau paravent pour vous faire induire qu’il y a en face de vous 4 personnes, et vous faire sentir que si certains ont à être déclarés coupables, eh bien, il faut peut-être tous les déclarer coupables ? Cette question, pour l’accusé, elle reste entière, et il n’a pas de réponse. C’est pour lui une inconnue de plus.

Mais l’accusé, doit-il supporter que, parce que la Belgique se dote d’une loi d’extension universelle de sa compétence territoriale en matière pénale - pour les crimes internationaux, crimes de génocide, crimes contre l’humanité et crimes de guerre -, l’accusé, doit-il supporter et faire les frais d’une possible assimilation avec les autres accusés ?

Comment est-ce que Monsieur HIGANIRO peut ne pas penser que tout ce que vous avez vu, entendu et qui concerne uniquement les autres accusés, ne fasse sur vous, impression ? Comment ne peut-il pas craindre que, face à tout cela, votre attitude devant un grand procès soit différente de celle que vous auriez sans doute eue en présence d’un seul accusé.

L’opération de détermination de la culpabilité est une opération complexe. Elle est intellectuelle, certainement, puisqu’elle se base sur un dossier écrit, des textes écrits, des témoignages, puisqu’elle doit s’encadrer aussi de la connaissance d’éléments de nature juridique qui posent de réelles questions.

L’opération complexe est aussi mentale, parce que votre affectivité a été sollicitée, tout comme la nôtre, par les représentations que vous vous faites nécessairement du Rwanda ; par les représentations que vous vous faites de l’accusé au moment des faits, aujourd’hui ; par les images aussi, toutes ces images que nous avons vues projetées ; par les témoignages ; l’accusation orale de l’avocat général ; les exposés des avocats qui représentent des victimes qui ont fait cette démarche courageuse de se constituer partie civile, parfois, ici même, à l’audience, après qu’ils aient, qu’elles aient pourtant répondu par « non » à la question qui leur était posée de savoir si les témoins connaissaient les 4 accusés.

Cette opération complexe, enfin, est aussi émotionnelle. Le moins possible, nous l’espérons. Et pourtant, personne n’a été épargné dans la vision du drame qui a tourmenté tout un peuple, des hommes, des femmes, des enfants, des vieillards, d’avril à juillet 1994. Tout le monde a été touché par les images et les paroles entendues et cela fait désormais partie de nous-mêmes.

Devant toutes ces questions, devant toutes ces inconnues, vous comprendrez que vous n’aurez pas, de la part de la défense de Monsieur HIGANIRO, d’effet de manchette de journal, à la René HAQUIN, ni d’effet de machette de métal, à la manière de l’avocat général.

Après avoir abordé ces 5 points qui sont les inconnues principales pour l’accusé et des notions importantes qui vont, nous l’espérons, vous aider à répondre aux questions importantes qui vont vous être soumises, je cèderai la parole à Maître CUYKENS et à Maître MONVILLE.

Le Président : Merci, Maître EVRARD. Vous allez aborder ces 5 points dans l’immédiat ? Vous en avez pour combien de temps, à peu près ? Trois quarts d’heure ? Bien. Oui, allez-y.

Me. EVRARD : Merci. Une des premières inconnues, un des premiers points que je souhaite aborder devant vous, c’est la question des moyens de preuve.

Vous savez que nous avions déposé des conclusions pour voir écartées certaines pièces, et je vous ai expliqué tout à l’heure les raisons qui motivaient cette demande. Les débats nous ont montré que nous avions raison de mettre en cause certains témoignages, l’arrivée dans le dossier de certaines pièces. Se moquer dans la presse de la petite culotte de Madame le témoin 143, entendue le 24, le 27 avril de cette année, ça ne relève pas du bon goût. Mais cela n’enlève rien à l’importance de son témoignage et de ce qu’elle a révélé quant à la nature d’un témoignage, celui de Monsieur Jean-Bosco SEMINEGA.

Et, je vous dirais que c’est confirmé par une lecture que j’ai faite d’un procès-verbal, le procès-verbal de la dernière commission rogatoire, celle qui est partie de Belgique au Rwanda pour organiser, préparer les témoins à venir ici, devant vous. C’est un procès-verbal du 13 février 2001 et on y lit à la page 2 :

« 19 heures. Nous rencontrons, à l’hôtel des Mille Collines Monsieur MABUYE Janvier, avec qui nous avions préalablement pris rendez-vous et qui se présente comme étant un membre de la sécurité extérieure du Rwanda. En sa compagnie, nous parcourons les listes des témoins qu’il a reçues de Monsieur RWAHAMA, deuxième conseiller de l’Ambassade du Rwanda à Bruxelles ».

Alors, nous nous interrogeons devant ce genre de pratique : que fait un membre de la sécurité extérieure du Rwanda ? Lors d’une commission rogatoire, ne s’adresse-t-on pas plutôt aux homologues, aux officiers de police judiciaire, aux magistrats, pour retenir des informations et pour en avoir ? Pourquoi, pourquoi doit-on communiquer à un membre de la sécurité extérieure du Rwanda, des éléments et pourquoi ce membre de la sécurité extérieure du Rwanda doit-il être celui qui va lire, parcourir la liste des témoins et aider à leur recherche ?

Rappelez-vous que le dernier point de l’acte de défense que nous avions déposé se terminait par une considération générale. Il rappelait un témoignage du 7 septembre 1995, pièce 158, sous-farde 50, carton 14. C’était une lettre, une lettre de quelqu’un qui n’avait aucun intérêt à prendre parti pour l’un ou pour l’autre, et cette lettre nous montrait ceci :

« La peur et la crainte d’actions de vengeance très grande dans cette période d’après guerre et, à juste titre, chacun au Rwanda sait ce que signifie être montré du doigt et de ce qu’il n’est pas difficile de trouver ici des témoins à charge. Le gouvernement actuel est représenté dans toutes les instances importantes. Par contre, les témoins de la défense sont obligés de se taire ».

Face à cet exemple et face à cette lecture, faut-il douter de tout ? Tous les témoins ont-ils vu la police d’état ou certains seulement ? Combien ont eu le courage du dire ? Un seul ? D’autres, peut-être ? Ailleurs… nous n’en savons rien.

Quant au mode de preuve, un second élément a retenu notre attention. Il s’agit de cette cassette, de 2 cassettes venues bien à propos, durant les débats. Une cassette transmise par un journaliste, non seulement au juge d’instruction, mais aux parties civiles, s’il vous plaît. Elle nous a montré Monsieur NKUYUBWATSI qui se débat dans une procédure d’aveu et je ne reprendrai pas ce que Maître BELAMRI vous a dit hier concernant les procédures d’aveux au Rwanda et tout l’intérêt que des personnes peuvent y trouver.

Cette cassette ne vous a pas tout montré. On vous a montré un membre du parquet, on vous a montré un journaliste. On a fait des déplacements. On a entendu l’audition de Monsieur NKUYUBWATSI, mais à la fin de cette cassette - et Maître BELAMRI vous l’avait également exposé - se présentait toute sa motivation à vouloir se présenter devant les caméras pour vous dire quelle était sa situation judiciaire actuelle. Et c’est exactement cette procédure d’aveu.

Pour nous, la question était de savoir : mais comment contredire cela ? Va-t-on organiser une vidéo-conférence ? En tout cas, il n’est pas prévu que ce Monsieur NKUYUBWATSI vienne témoigner. Comment alors l’accusé peut-il se défendre sur ces points ? Et, en relisant les courriers datés du 2 avril 2001, émanant de la République rwandaise, du parquet général auprès de la Cour suprême à Kigali, courriers adressés à Monsieur le juge d’instruction, Damien VANDERMEERSCH, on écrit ceci :

« Monsieur le juge d’instruction, je vous prie de trouver, en annexe à la présente, les résultats des enquêtes menées dans le cadre de la commission rogatoire internationale nous envoyée dans l’affaire NKUYUBWATSI Innocent, pendante devant les assises de l’arrondissement administratif de Bruxelles ».

Dans l’esprit de je ne sais qui, est-ce du juge d’instruction, en tout cas dans l’esprit du parquet de Kigali, ce qui concerne Monsieur NKUYUBWATSI répond à une affaire pendante devant les assises de Bruxelles, comme si Monsieur NKUYUBWATSI, c’était une affaire pendante devant les assises de Bruxelles.

Alors, quand on vous parle des difficultés de certains modes de preuves, en voilà encore un pour nous, qui est un bon exemple. L’accusé doit constater, et vous aussi, que là où le journaliste passe, et le journaliste va jusqu’en prison, le juge d’instruction quant à lui, ne passe pas, et quand il passe, il ne passe pas nécessairement avant lui, et les pièces ne lui sont pas toujours communiquées.

Pire encore, les informations et documents annoncés par Monsieur HAQUIN dans le journal « Le Soir » du 17 avril 1994, n’ont jamais été transmises au juge d’instruction. Voilà un journaliste qui annonce des éléments, il vous dit qu’il a des documents. Et ces documents, qu’en fait-il ?

Il les garde pour les sortir au bon moment. Mais elles n’ont jamais été transmises. Elles n’ont jamais été demandées au juge d’instruction.

On doit aussi constater que le régime en place, au Rwanda, actuellement, laisse entrer un journaliste en prison, le laisse sortir, encadré de forces de l’ordre, en présence d’un membre du parquet, mais ne permet pas qu’un détenu, avec toutes les mesures de sécurité possibles, que l’on peut imaginer, puisse venir témoigner devant une Cour.

Et, il en est de même pour 2 témoins à décharge que Monsieur HIGANIRO avait cités, Messieurs le témoin 3 et le témoin 12, ses gardes de jour de la villa de Kigufi. Il avait demandé qu’ils viennent témoigner devant cette Cour, et cela nous aurait certainement éclairés sur cet aspect du dossier. Monsieur HIGANIRO a très rapidement appris que ces personnes ne viendraient pas et cela a été confirmé ici, à l’audience. Et Monsieur HIGANIRO a alors mesuré toute la responsabilité qu’il portait, du fait d’avoir fait citer 2 témoins car, dès l’instant où ces témoins ont été cités, ils ont été inquiétés. Il a alors pris, quoi que lui en coûte sa défense, la décision de ne citer personne d’autre venant du Rwanda, pour ne mettre personne en danger. Ces 2 personnes, selon les informations que nous avons, sont actuellement libres.

C’est curieux, car si des accusations sérieuses pesaient contre elles, elles auraient directement rejoint les prisons, où se trouvent actuellement plus de 150.000 détenus, incarcérés pour participation au génocide et dont le témoignage de Monsieur NSANZUWERA vous a dit qu’il a dénoncé, en mars 1995, le fait que le taux de mortalité dans les prisons est de 1 sur 10.

Un autre élément a retenu notre attention quant au mode de preuves. On a reçu, ce 29 mai, sur les bancs, une lettre adressée à la Cour, d’un témoin à charge de Monsieur HIGANIRO, Monsieur Edouard KAYIHURA. Ce témoin accuse Monsieur HIGANIRO de choses extrêmement graves mais, ni pendant l’instruction, ni à aucun moment, ce témoin n’a été entendu. Personne n’a fait état de son existence et certainement, il n’est pas venu devant vous.

Alors, pour Monsieur HIGANIRO, ce sont les mêmes questions : comment peut-il s’expliquer les éléments qui sont portés contre lui ? Comment peut-il contredire ces points ? Comment peut-il contredire toutes ces pièces qui, durant les débats, sont arrivées comme sorties d’un chapeau, sans qu’il puisse exercer aucune forme de contradictoire sur celles-ci ? Et je pense, et ce sont les derniers éléments, je pense à l’intervention de deux avocats des parties civiles qui ont sorti deux espèces de chèques, en les montrant, en les agitant devant nous et en nous parlant de financement, via une agence de coopération belge.

Je pense aussi aux pièces comptables de la SORWAL. Monsieur HIGANIRO, dès le début de l’instruction, a demandé que l’ensemble des pièces de la comptabilité de la SORWAL, l’ensemble des procès-verbaux des conseils d’administration, tous ces éléments qui pouvaient montrer quelle était la situation de la société, ces éléments qui pouvaient faire apparaître des éventuels dysfonctionnements, Monsieur HIGANIRO a toujours demandé au juge d’instruction que ces éléments soient versés. Ils ne l’ont jamais été.

Il a fallu attendre que des parties civiles se constituent pour la société, pour voir apparaître au compte-gouttes, un document le matin, un autre à midi, des pièces et quelles pièces ? Forcément « le best of », les pièces choisies. Jamais, nous n’avons eu l’ensemble des documents qui auraient permis à Monsieur HIGANIRO de vous démontrer, de vous expliquer les charges qui pesaient sur lui, sur des points précis, points qui d’ailleurs, faut-il le souligner, ne sont apparus et… que dans des journaux et ont ensuite été relayés ici, par des témoins, la semaine dernière.

Voilà, Mesdames et Messieurs les jurés, les éléments, les modes de preuves, la critique que nous souhaitions faire de certains points qui, pour nous, depuis le début de ce procès, étaient essentiels et qui, nous devons le regretter, durant ces débats, ont été abordés mais, sur le fond, pas sur la forme. Il était temps du faire ici !

Un dernier point. Toutefois, nous avions mis en cause une technique tout à fait légale. On inculpe, on instruit à charge de Monsieur HIGANIRO, de son épouse, d’autres personnes, et puis, à charge de X, et énormément de pièces qui ont été transmises au dossier durant le mois d’avril, l’ont été parce que le juge d’instruction a estimé que ces pièces avaient un intérêt pour ce procès. Il les a transmises au procureur général et elles se sont retrouvées dans le dossier.

J’en ai relevé une pourtant, et nous avions demandé à ce qu’elle soit écartée parce qu’elle nous paraissait manifeste quant à une sorte de volonté, en tout cas, de chercher au maximum, même au-delà de la période de saisine du juge d’instruction, des éléments, encore et encore, à charge de Monsieur HIGANIRO. Et je voudrais vous lire l’intitulé et le pro justicia d’un procès-verbal subséquent, suite à un devoir demandé par Monsieur le juge d’instruction en date du 4 avril 2001, dans le dossier 3795. On aurait pu penser que sur ce document, nous trouverions la mention : « A charge de X ». On trouve : « A charge de X » rajouté à la main, mais on trouve surtout tapé à la machine : « A charge de HIGANIRO Alphonse ». Et, nous avions demandé que cette pièce soit écartée parce que, selon la procédure, un juge qui n’est plus saisi, ne peut pas déposer dans le courant des débats, après sa saisine, des pièces qui, manifestement, sont instruites, non pas à charge de X comme vous le dit le procès-verbal, mais à charge de HIGANIRO Alphonse. Ca nous paraissait inacceptable !

Ces pièces n’ont pas été évoquées, mais il y avait, en tout cas, des risques. Et ces risques, nous les avions dénoncés, je vous l’ai dit, non seulement pour Monsieur HIGANIRO, mais également pour des pièces qui touchaient également d’autres accusés.

Passons maintenant au 2ème point. L’acte d’accusation en 4 lignes, vous pose les bases légales - c’est en première page - des poursuites qui sont intentées par le ministère public et vous trouvez là, la mention de cette fameuse loi du 16 juin 1993, de répression des crimes internationaux.

La longue expérience du ministère public aurait dû vous dire que, comme devant les tribunaux de Nuremberg et de Tokyo ou les chambres spécialisées chargées de la répression des crimes contre génocide et des crimes contre l’humanité au Rwanda qui - vous ne le savez peut-être pas - se sont mises à fonctionner en 1997, mais sur base d’une loi de 1996, réprimant donc des faits antérieurs, le ministère public aurait dû vous dire que rien n’empêchait la poursuite de Monsieur HIGANIRO sur base d’autres chefs que ceux de « crimes de guerre ».

On vous a dit : « Ah, il y a la loi de 1993, mais elle ne prévoyait pas tout, il y a eu le complément de la loi de 1999, on a dû attendre cette loi et c’est donc pour cette raison-là qu’on poursuit les accusés pour crimes de guerre ». Eh bien, non. Et les 2 exemples que je vous ai cités, les 3 exemples que je vous ai cités, le démontrent à suffisance. Nuremberg et Tokyo, ce sont des procès qui ont lieu, les statuts ont été créés après que les faits aient été commis.

C’est la même chose que le Rwanda. Et pourquoi ? Tout simplement parce qu’il ne s’agit pas ici de s’en référer à une technique législative nationale belge, mais il faut aller un peu plus haut. Il faut aller à la source de ce qui fonde des accusations et des chefs d’accusations de crimes internationaux, c’est-à-dire, le droit international des conflits armés et ce droit est par essence un droit coutumier. C’est par essence un droit qui appartient au fond commun de la conscience universelle et donc, rien n’empêche, rien n’empêchait de poursuivre pour d’autres faits que pour des crimes de guerre.

Alors, on vous dira « Mais pourquoi avoir choisi cela ? ». Eh bien, peut-être, en ce qui concerne Monsieur HIGANIRO, parce que précisément, lorsqu’en 1996, son dossier part au Tribunal pénal international, il ne se trouve pas physiquement présent au Tribunal international - la procédure ne le veut pas - mais Monsieur HIGANIRO se trouve devant un acte d’accusation, et c’est mon 2ème point, un acte d’accusation pour « crimes de génocide » et « crimes contre l’humanité ».

Peut-être, ici en Belgique, n’a-t-on pas voulu faire une répétition de ce qui avait déjà été fait pour Monsieur HIGANIRO. Laissez-moi vous lire quelques passages du réquisitoire du procureur international. Le procureur international est à La Haye. Il a un bureau à Arusha, en Tanzanie où se trouve le tribunal. Il a un 3ème bureau pour ses enquêtes, à Kigali et il mène ses propres enquêtes. A un moment donné, il a demandé à la Belgique que tout le dossier de l’instruction belge à charge de 4 accusés, et Maître BELAMRI ou Maître CARLIER, excusez-moi, vous ont dit hier que pour Monsieur NTEZIMANA, le Tribunal international a estimé qu’il n’y avait pas à s’intéresser à lui. Ça n’a pas été le cas pour Monsieur HIGANIRO.

Pour Monsieur HIGANIRO, il y a eu des enquêtes au Tribunal international. Et les moyens d’investigation - comme le juge d’instruction vous l’a dit - sont beaucoup plus élevés au Tribunal international. Si vous allez sur n’importe quel site Internet et notamment celui du Tribunal, vous verrez que dans les offres d’emploi du Tribunal, on demande des gens de haute qualification, de très haute qualification pour y travailler. On ne prend donc pas des gens qui n’ont pas de pratique, qui n’ont pas de connaissances des choses. Et voilà que le procureur international dépose un acte d’accusation pour faits de génocide, crimes contre l’humanité et complicité dans le génocide. Et Monsieur Alphonse HIGANIRO, après un bref descriptif de sa personnalité, est accusé.

Il est accusé d’avoir, en relation avec les événements qui sont décrits plus haut - et je vais vous les rappeler brièvement - il est accusé d’avoir fait un effort, notamment par le biais de la SORWAL, pour faire parvenir des armes, pour entretenir des militaires. Il est accusé d’avoir écrit cette lettre où l’on trouve les termes « nettoyer », « accuser ». Il est accusé aussi, sur base d’autres éléments, d’avoir entretenu des milices dans l’usine. On dit même que l’usine aurait servi comme dépôt de munitions. On dit aussi que, dans le cadre du conflit armé existant au Rwanda, il aurait utilisé tous les moyens possibles pour soutenir les milices Interahamwe. On dit aussi qu’il aurait contribué à pourchasser, avec les Interahamwe, des personnes qui devaient être tuées.

Cet acte d’accusation - nous l’avons demandé au juge d’instruction - est arrivée dans le dossier, à un certain moment, la décision faisait suite à l’examen de l’acte d’accusation. Et, très naturellement, nous avons demandé à recevoir les éléments justificatifs qui étaient fournis à l’appui de l’acte d’accusation du procureur international. Et qu’est-ce qu’on nous a répondu ? On nous a répondu très simplement que les règles du Tribunal international ne permettaient pas la communication d’éléments de procédure internationale aux états concernés. C’est la raison pour laquelle le ministre belge et la Cour de cassation n’ont jamais reçu que la décision faisant suite à l’examen de l’acte d’accusation.

Alors, quand je vous disais qu’il y a des pièces qui, curieusement, se trouvent dans le dossier, il y en a aussi qui, curieusement, ne s’y trouvent pas. Et, si nous avions eu les éléments justificatifs de l’acte d’accusation, nous ne nous trouverions peut-être pas ici, devant vous.

Autre curiosité, c’est que la demande des conseils de Monsieur HIGANIRO, ceux qui sont ici, devant vous, nous avons fait, au stade encore de l’instruction, à la fin de l’instruction, c’est-à-dire, au moment où on va décider ou non, de renvoyer l’affaire devant la Cour d’assises, nous avons fait - et la loi nous le permettait - nous avons demandé que ces documents internationaux nous soient fournis. Et, tout d’un coup, on les a vus arriver. On a vu arriver l’acte d’accusation. Mais on n’avait pas demandé que cela. On avait demandé aussi les éléments justificatifs. Encore une fois, on trie les choses. On nous donne ce que l’on veut bien nous donner. Et c’est la seule chose sur laquelle nous puissions nous défendre !

Cette décision, faisant suite à l’acte d’accusation, est datée du 8 août 1996. Vous n’avez peut-être jamais eu l’occasion de voir une décision de non-lieu à poursuivre, ou une ordonnance de la Chambre du conseil, c’est-à-dire, cette Chambre à juge unique, devant laquelle on statue, mois après mois, sur la détention préventive et où, au terme de l’instruction, le juge est entendu dans son rapport et le président prend une ordonnance de renvoi devant une juridiction, pour que l’affaire soit jugée ou non.

C’est un peu la même chose qui se passe au Tribunal international et devant un juge. Le 8 août 1996, ce juge prend une décision : « Dans l’affaire Alphonse HIGANIRO, ayant été saisi par le procureur, d’un acte d’accusation, conformément aux normes du Tribunal international, après avoir entendu le procureur sur tous les éléments de preuve », mais on n’a pas entendu Monsieur HIGANIRO, la procédure ne le prévoit pas, c’est un face à face entre le juge et le procureur qui peut apporter tous les éléments qu’il souhaite, qui peut tout dire.

Eh bien, le juge dit que, conformément toujours aux statuts de ce tribunal et aux règlements de procédure : « Il rejette l’acte d’accusation transmis par le procureur, pour chacun des chefs d’accusation : génocide, complicité dans le génocide, crime contre l’humanité ». Et, plus loin que cela, et peut-être plus loin que ne le ferait une juridiction belge qui décide simplement qu’il n’y a pas lieu à ordonner le renvoi ou qu’il y a lieu à ordonner le renvoi, sans motiver plus sa décision, le juge international nous dit quoi ? Il dit : « Déclarons qu’au vu des éléments soumis par le procureur, pour chacun des chefs d’accusation présentés dans l’acte d’accusation, nous n’estimons pas qu’il existe des présomptions suffisantes ».

Et il va plus loin. Il dit : « Déclarons en outre que, pour plusieurs des actes cités dans les éléments justificatifs… » - ces éléments justificatifs dont je vous dis qu’ils ont été demandés et qu’on ne les recevra sans doute jamais, et sur lesquels est fondé l’acte d’accusation - « …il n’a pas été suffisamment prouvé que ces actes ont été commis au su et avec l’approbation de l’accusé, ce qui lierait ainsi l’accusé aux dits actes ».

Alors, quand l’avocat de Monsieur NTEZIMANA vous demande que l’on rajoute une question sur le crime de génocide, Monsieur HIGANIRO, il a déjà été jugé. Je ne vais pas vous tromper dans ce que je vous dis. Et je vais apporter immédiatement un correctif. C’est une décision, et, il suffit de regarder les rapports qui sont faits au nom de la Commission de la justice du sénat sur le projet de loi relatif à la coopération judiciaire avec la Belgique, le Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie et le Tribunal international pour le Rwanda, il suffit de lire cela pour vous dire qu’il y a naturellement une controverse. Quelle est-elle ? Celle de savoir si une décision internationale comme celle-ci équivaut, ou non, à une décision de non-lieu qui serait rendue par une juridiction belge ?

Et, une décision de non-lieu - je ne vais pas vous tromper non plus - c’est une décision qui est provisoire. Elle existe. Elle a une autorité. Elle a une force tant que des éléments nouveaux, des charges nouvelles ne vous sont pas apportées par l’instruction. Donc, je dois aussi, pour être complet, vous dire que la saisine du Tribunal international, elle n’est pas terminée. Selon le statut et le règlement de la procédure, le procureur qui, ici manifestement, se voit rejeter son acte d’accusation, peut revenir quand il le veut, avec les éléments qu’il veut, les dossiers qu’il veut, avec tout, il peut revenir. Et le juge international, sur base des même statuts et des règlements de procédures internationaux, peut dire : « Eh bien, moi, juge, je vous demande des éléments complémentaires, vous ne m’en donnez pas assez mais je vous en redemande, revenez devant moi ». Je ne sais pas si cela s’est produit. Et, peut-être, cela peut-il encore se produire ? Je n’en sais rien.

Mais, toujours est-il que sont pendantes deux procédures : l’une pour génocide et crimes contre l’humanité, devant le tribunal international ; l’autre, devant vous, pour crimes de guerre.

Dans les travaux parlementaires, vous verrez que, concernant ces crimes de guerre, et malgré les exemples qui ont été cités par l’avocat général, ceux de tribunaux de Nuremberg et de Tokyo, il existe, il subsiste, et je cite : « Une tendance à statuer de la sorte, c’est-à-dire, à poursuivre des personnes suspectées de crimes de guerre. Il subsiste une tendance à statuer de la sorte sur les crimes de guerre. En effet, au Conseil de sécurité, le Rwanda a voté contre la création d’un Tribunal international. Les personnes qui détiennent actuellement le pouvoir au Rwanda, les vainqueurs de la guerre civile voulaient faire juger les personnes suspectées de crimes de guerre par les juridictions locales. C’est à juste titre que la communauté internationale a estimé que ce serait contraire à son sens de la justice et aux droits de la défense ». Et c’est la raison pour laquelle un Tribunal international pour le Rwanda a été créé, un tribunal spécialisé pour juger, non seulement des crimes de génocide, des crimes contre l’humanité, mais aussi des crimes de guerre.

La consultation de la jurisprudence, c’est-à-dire des décisions qui ont été rendues par le Tribunal international, montre qu’à chaque fois ou presque à chaque fois, quand c’était justifié par le procureur, le chef d’accusation de « crimes de guerre », article 4 des statuts et du règlement de procédure ont été introduits dans les actes d’accusation. Mais, la jurisprudence et les décisions vous montrent aussi qu’à aucun moment, le bureau du procureur n’a été en mesure d’établir, pour des civils, pour d’autres personnes, des bourgmestres, qu’il y avait eu un lien particulier, un lien qui permet peut-être de dire qu’un civil pouvait être assimilé à un belligérant dans le cadre d’une guerre et qu’il pouvait donc être poursuivi de ce chef, pour crimes de guerre.

Brièvement maintenant, avant je suppose une interruption, je voudrais évoquer deux points qui traverseront l’ensemble de ce qui va vous être dit par Maître CUYKENS et Maître MONVILLE.

Je veux parler des modes de participation et de la question importante de l’imputabilité. A lire l’arrêt de renvoi de la Cour d’appel du 27 juin 2000, ceci, qui fonde votre compétence, qui fait que nous sommes tous ici, à lire cet arrêt, on trouve la totalité des modes de participation, comme s’il suffisait de vous livrer en pâture, l’ensemble des modes de participation allant de la participation active jusqu’à l’omission d’agir et en vous laissant le choix de décider celui qui est le bon. Il semble que c’est une façon curieuse de faire, et Monsieur HIGANIRO attendait peut-être que, dans un réquisitoire, on lui parle, de façon précise, des modes d’agir.

L’arrêt vous dit : « Donner l’ordre, proposer ou offrir de commettre des crimes de droit international ou en accepter une telle offre, provoquer à commettre, participer - au sens de la loi belge - omission d’agir ou tentative ». Il est exact que dans l’acte d’accusation, toutes les accusations portées contre Monsieur HIGANIRO, sauf une, une tentative d’homicide volontaire, toutes portent sur la commission d’homicides volontaires à l’égard de toute une série de personnes. Et je peux me tromper, mais techniquement, on a repris un ensemble de noms et ce sont les noms des personnes qui se sont constituées parties civiles. S’il y avait eu d’autres parties civiles, nous aurions eu sans doute d’autres noms. Et puis, de toute façon, c’est sans grande importance puisqu’il y a aussi un point qui indique que même des personnes inconnues ont fait l’objet d’homicides.

En ce qui concerne le mode de participation pour Monsieur HIGANIRO, la chose curieuse, c’est que tout cela, c’est par des écrits qu’il l’a commis. Alors, il faut peut-être raisonner en deux mouvements. Le premier mouvement, c’est de dire : « Mais ces écrits, Monsieur HIGANIRO n’en a jamais contesté la paternité ». Il n’a jamais dit que ces écrits n’étaient pas de lui. D’ailleurs, on n’a jamais très bien compris pourquoi on avait fait une analyse graphologique alors que d’autres personnes ici ont éventuellement contesté des écrits, et il n’y a pas eu d’analyse graphologique.

Il y a un premier principe, face à une telle énonciation générale et globale. L’accusé doit savoir avec clarté ce pourquoi il est poursuivi et les modes de participation qui sont visés. Et il appartient au ministère public de montrer que tous les éléments constitutifs des modes de participation sont réunis. C’est une inconnue. Une de plus pour Monsieur HIGANIRO. Parce qu’il a le sentiment que ces modes de participation vous sont jetés globalement et qu’ils ne sont pas analysés.

Je vais, en particulier, revenir à 2 modes de participation criminelle qui, pour Monsieur HIGANIRO, posent difficultés : la participation criminelle et la provocation.

La participation criminelle, dans notre droit… la Cour est belge, n’est pas une forme courante de criminalité. Elle doit donc répondre à un des modes prévus, prévus par la loi. Elle n’est qu’un aspect occasionnel d’une autre infraction. La question est de savoir si donc, les écrits démontrent - les écrits dont on vous a longuement parlé - démontrent la volonté de s’associer au crime et s’il y a eu, ou non, rencontre des volontés entre ceux qui ont commis les crimes et ceux qui, de manière occasionnelle, participent à ces crimes. Les écrits, vous dit la loi belge, doivent être publics, affichés, diffusés. Qu’en est-il ici ? C’est une question.

La loi et la doctrine aussi, requièrent d’un acte, que la participation criminelle soit un acte antérieur au crime ou concomitant, donc, pas un acte postérieur. L’infraction principale, de plus, doit être consommée et réalisée. Et la participation criminelle, enfin, doit être une aide indispensable. Il faut donc vous poser la question de savoir si, par des écrits, par les écrits dont Monsieur HIGANIRO ne conteste pas la paternité, par ces écrits, il a fourni l’aide indispensable que demande la loi à la commission des homicides pour lesquels il est poursuivi ?

Le 2ème point, c’est la provocation. « Provoquer », c’est dans le sens courant : susciter, inviter à. Pour des juristes - mais c’est pas une phrase très compliquée, c’est faire naître une résolution criminelle ou la renforcer. La provocation doit être une aide directe et là, tout se pose, se pose toute la question, pardon, du lien de causalité : est-ce que, par les écrits, Monsieur HIGANIRO a porté une aide directe à la commission des homicides qui lui sont reprochés ?

Cette provocation trouve différents moyens : le don, la promesse, l’artifice coupable dit la loi, l’abus d’autorité, de pouvoir, la machination, l’artifice coupable. La provocation peut être simplement publique, adressée à un nombre indéterminé de personnes - il faut une forme de publicité. Ou alors, elle est privée, on appelle ça, le mandat criminel. Vous aurez aussi à vous poser la question si les écrits que l’on reproche à Monsieur HIGANIRO, rentrent dans soit ce mandat criminel, soit cette provocation par écrit, publique, adressée à un nombre indéterminé de personnes.

Je vais en terminer brièvement avec le problème de l’imputabilité qui, déjà, a été sous-jacent dans mon esprit, en vous parlant des modes de participation.

L’imputabilité, pour en parler, je voudrais revenir un peu dans le temps : Monsieur l’Avocat général a regretté et il a dit qu’il ferait tout son possible pour que cela n’arrive pas cette fois-ci, a regretté qu’il n’y ait pas eu de décision lui permettant que les accusés se présentent, ici, devant vous, menottes aux poings, amenés chaque matin et ramenés chaque soir à la prison. Il a dit que c’était une erreur peut-être. Il a dit qu’en tout cas, qu’à son opinion, cela n’aurait pas dû être comme cela.

Je voudrais encore un peu remonter dans le temps. L’imputabilité, c’est le fait de ramener à une personne, des faits. Et, pour cela, il faut des indices. Et, la première démarche, lorsque l’on se trouve en face d’indices, Mesdames et Messieurs les jurés, c’est le premier moment, quand on se trouve en face d’indices, c’est le mandat d’arrêt. Il y a eu un mandat d’arrêt en 1995, quand le juge d’instruction belge a commencé son instruction.

Et puis, il y a eu une décision, la demande de dessaisissement du Tribunal international, tout le dossier, à titre officieux, il avait déjà été communiqué avant, pour pouvoir justifier la demande du Tribunal international que tout le dossier parte à Arusha ; mais cette demande officielle arrive le 11 janvier 1996, et le 11 janvier 1996, c’est une décision couperet pour la Belgique : l’instruction ne peut plus se poursuivre.

Le Tribunal international demande alors des mesures provisoires : « Ben, gardez-le, ici, chez nous, tant que… tant qu’on ne le fait pas venir en Tanzanie ». Ça veut dire ça. Et puis, la décision de rejet de l’acte d’accusation international arrive le 8 août 1996. Et le 13 août 1996, la Cour de cassation, comme le veut la loi, décide de redistribuer l’affaire à l’endroit où elle en était avant ce voyage, et on remet l’affaire à l’instruction.

S’il y avait eu des indices, et Dieu sait que dans des affaires plus simples, pour des faits moins graves, il n’y a pas beaucoup d’hésitation à décerner un mandat d’arrêt et à avoir une détention préventive de quelques mois. Mais s’il y avait eu des indices, pensez-vous qu’à partir de la libération de Monsieur HIGANIRO, il n’y aurait pas eu un mandat d’arrêt à la moindre présence d’un élément nouveau ? Eh bien, non.

Aussi étonnant que cela puisse paraître, il n’y a pas eu de mandat d’arrêt nouveau. A aucun moment. Et cela va même plus loin, et c’est la raison pour laquelle il comparaît libre, devant vous. Il n’y a jamais eu, à partir du moment où il est libéré par une décision de la Chambre des mises en accusation, la Cour d’appel, il n’y a pas eu de décernement de mandat d’arrêt.

Or, s’il y avait eu le moindre indice, et les crimes dont on l’accuse ici sont les crimes les plus importants dans notre droit, croyez-vous qu’on n’aurait pas décerné un mandat d’arrêt ? Nous le pensons. Et nous le pensons avec la pratique que nous avons des tribunaux et qui nous montre que ces mandats sont décernés parfois avec légèreté, facilement, pour des faits même mineurs. Alors, l’imputabilité, elle commence là, là où sont les indices. Elle commence à ce stade-là.

L’avocat général, en termes d’imputabilité, vous a dit qu’il est de connaissance courante, et il a parlé de stratégie de la défense. Eh bien, je vais devoir le décevoir. Parce que, pour Monsieur HIGANIRO, il ne fait absolument rien de ce qu’il semble avoir aperçu de tous les accusés qu’il a eu à fréquenter devant cette Cour. L’avocat général vous a dit : « C’est une stratégie de la défense que de parler d’autre chose que des faits. Et on va vous en parler maintenant ». L’avocat général vous a dit : « Oh ! que très facilement, les accusés nient les faits, ou plus encore, les admettent mais mettent en cause d’autres personnes ». Avez-vous, Mesdames et Messieurs du jury, le sentiment qu’à aucun moment Monsieur HIGANIRO a refusé de prendre en compte des pièces ou des éléments dont il a toujours reconnu la paternité ? Avez-vous ce sentiment qu’il ait, à un moment ou à un autre, rejeté une responsabilité sur quelqu’un d’autre, des chefs d’accusation qui sont portés contre lui ? Je peux me tromper, mais j’ai suivi attentivement les débats et il m’a semblé ne pas avoir vu ce comportement de la part de Monsieur HIGANIRO.

On nous a aussi dit que, quant aux faits imputables : « Ben, c’est pas difficile, il y a des différences culturelles » et puis, on a exagéré dans la différence culturelle et on vous a dit : « Bien parler, c’est mentir ». Et donc, si les témoins viennent vous mentir, il n’y a pas de raison de penser que les accusés ne mentent pas aussi. C’est assez simple comme raisonnement.

C’est séduisant, mais ça n’apporte rien à la démonstration que devait faire, qu’aurait dû faire le ministère public, de l’imputabilité : c’est-à-dire, de répondre à la question de savoir si, pour les différents homicides volontaires, prémédités, et la tentative volontaire et préméditée, qu’il met à charge de Monsieur HIGANIRO, ces faits pouvaient être reliés de façon certaines à Monsieur HIGANIRO, dans les circonstances qu’il a décrites dans son acte d’accusation, c’est-à-dire, par la rédaction d’écrits. J’ai dit et je vous remercie.

Le Président : Merci, Maître EVRARD. Je vous avais dit, Mesdames et Messieurs les jurés, que je n’interviendrais que s’il y avait des problèmes juridiques qui me paraissaient ne pas être exposés correctement par les parties.

Je ne vais pas reprendre Maître EVRARD sur l’ensemble de son exposé car il y a, dans l’exposé qu’il a fait, des choses qui sont susceptibles de contradiction. Et le président n’a certainement pas à prendre position lorsqu’il existe des jurisprudences ou des doctrines qui peuvent être contradictoires. Il y a cependant un point sur lequel, ou deux points plus exactement, sur lesquels je voudrais vous reprendre, Maître EVRARD. C’est d’abord que, en ce qui concerne les écrits qui sont reprochés à Monsieur HIGANIRO, comme modes de participation aux accusations dont il fait l’objet, vous constaterez que l’arrêt de renvoi et l’acte d’accusation, ne mentionnent ces écrits que pour certains des chefs d’accusation, et pas pour tous.

Me. EVRARD : Exact.

Le Président : Ensuite, vous avez dit qu’en ce qui concernait le mode de participation qu’est la provocation, il fallait que le crime soit consommé. L’article 4 de la loi de 1993 indique très précisément, aussi bien dans les modes de participation des articles 66 et 67 de notre code pénal qu’en ce qui concerne un autre mode de participation que serait une autre provocation…

Me. EVRARD : …qu’elle soit ou non, suivie d’effet. Tout à fait.

Le Président : Voilà. Nous sommes d’accord sur ces deux points ?

Me. EVRARD : Absolument, Monsieur le président, c’est une…

Le Président : Je tenais à ce que le jury soit quand même informé de cette nuance qu’il convenait d’apporter.

Me. EVRARD : Donc, pour que les choses soient tout à fait claires, c’est plus clair dans mes notes, mais peut-être moins dans mon exposé, le… tant dans le droit belge, à l’article 66, 67, que dans la loi de 93, dont vous devez faire application, euh… que la provocation soit, ou non, suivie d’effet constitue toujours une provocation. C’est une chose que j’ai effectivement omis de vous dire.

Le Président : Merci, Maître EVRARD. C’est Maître MONVILLE, je crois, qui intervient par la suite. Nous allons quand même, je pense, faire une suspension d’audience. Vous en auriez pour combien de temps, Maître MONVILLE, pour cette intervention-ci, parce que je pense que vous en avez deux ?

Me. MONVILLE : J’essaierai de terminer peut-être vers 13 heures. Il y a eu un petit décalage ce matin, mais…

Le Président : Oui. Ca, je comprends. Il y en aura sans doute un, ce soir.

Me. MONVILLE : Oui. En tout cas, ça prendra tout le temps que ça prendra.

Le Président : Oui, mais dites-moi si vous en avez pour, euh…

Me. MONVILLE : Ca prendra au moins une heure et demie. 

Le Président : 1h ý. Bien, il est 11h20. nous reprenons à midi moins vingt. L’audience est entre-temps suspendue.

[Suspension d’audience]

Le Président : Maître MONVILLE, vous avez la parole.

Me. MONVILLE : Je vous remercie, Monsieur le président. Si René MAGRITTE vivait encore, il aurait souhaité assister à ce procès. Il se serait installé discrètement, au milieu de la salle, avec son chevalet, ses toiles, ses pinceaux, sa palette de couleurs et il est certain qu’il aurait pris le temps, qu’il aurait eu le temps, vu la longueur des débats, d’observer. De tout observer, de s’imprégner. De s’imprégner de l’ambiance. Il aurait fait tout cela avant de laisser s’exprimer son talent.

Qui aurait-il immortalisé dans ce décor solennel ? Monsieur l’avocat général et sa machette ? Assurément, c’était surréaliste. Les questions de Monsieur le 6ème juré ? Un témoin anonyme venant confier sa douleur ? Un avocat de la défense, maintenant dans un climat électrique ? Une question face à Monsieur le président ? Ou peut-être, tout simplement, un quidam portant chapeau-melon ? Peu importe. Peu importe mais ce qui est certain, c’est le titre qu’aurait donné le peintre à son œuvre : « Ceci n’est pas un procès historique ». En grand. Sur le tableau. Et il aurait eu raison.

Ceci n’est pas un procès historique. Méfiez-vous des apparences. Et il ne faut pas être grand connaisseur en surréalisme pour s’en convaincre. Mesdames, Messieurs les jurés, Monsieur le président, Madame, Messieurs les juges, Monsieur l’avocat général n’est, semble-t-il, au vu du déroulement de ce procès, pas un grand amateur d’art surréaliste parce que, lui, n’a cessé de vous dire, de répéter, de marteler une évidence solaire : « Ceci est un procès historique, ceci est un procès unique ». Il est temps, il est grand temps de vous mettre définitivement à l’air. Ouvrons les fenêtres. Otons de vos épaules une pression inutile. Ce procès n’est pas historique, le qualificatif n’est pas idoine. Il est, comme tout procès d’assises, un procès tragique. Horriblement tragique. Mais, si vous voulez bien, reprenons les choses dans l’ordre.

« Ce procès est historique, ce procès est unique ». Je - pas moi - Monsieur l’avocat général parle, je représente l’ordre public belge mais également l’ordre public international et vous, vous êtes un tribunal international, c’est un moment, à nouveau, historique ; tous les yeux seront rivés vers vous et vous prouverez qu’il y a une justice internationale, qu’il y a une conscience universelle.

Quel élan, Monsieur l’avocat général. C’était superbe ! Et quelle conviction au début de votre réquisitoire. Quelles prémices ! Je m’attendais au meilleur. Malheureusement, la suite m’a moins séduit. Et c’est bien vite que ces bonnes intentions ont été remisées pour faire place à un pragmatisme, à un réalisme finalement, de bon aloi. Et, si le maniement des mots fut judicieux, permettez-moi de penser que celui des armes le fut moins.

Procès unique. Cette notion interpelle. Cette notion m’a interpellé. Cette notion doit vous interpeller. Que veut-on dire ? Moi, je voudrais y croire à cette justice universelle. A ces autorités judiciaires belges, dont, pour l’instant, vous faites parties, qui se grandissent en s’érigeant, levez-vous, contre les crimes de droit international. Mais il y a maldonne.

On dit : « Procès unique ». Unique. Ca veut dire qu’il n’y aura pas de répétition. Que d’autres procès du même type ne pourront pas voir le jour. Comme on voudrait croire, comme on voudrait croire qu’il n’y a, derrière l’organisation de ce procès, aucune autre considération que celle d’être à l’avant-garde de cette justice internationale et d’y rester. Allons-y. Les exemples abondent.

Monsieur l’avocat général, que fera votre fils, que fait votre fils, et je ne suis pas le seul à le penser, contre les Taliban, si demain je dépose une plainte pour ce génocide qui est en train de s’organiser. C’est plus des étoiles qu’on porte sur les uniformes : c’est le signe distinctif des non-musulmans. Que ferons-nous ? Que ferons-nous ? Que faisons-nous face à la situation indigne des Palestiniens dans les territoires occupés ? Monsieur Louis MICHEL s’en est ému. Que faisons-nous ? Que ferons-nous contre les personnes qui prennent la responsabilité, aujourd’hui, d’être les fossoyeurs de la planète ? Protocole de Kyoto, ça vous dit quelque chose ? La planète se réchauffe, il faut faire quelque chose. Il y en a qui disent : « Non ». Le profit économique. Et si demain, si demain des centaines, des milliers, des millions de gens en souffrent, en décèdent, n’est-il pas temps, aujourd’hui, d’agir, d’intervenir ? Oui, je voudrais croire, Monsieur l’avocat général, que tous ces problèmes vous préoccupent. Et, si j’en avais la confirmation, vous dissiperiez tout doute dans mon esprit.

« Procès historique, procès unique », la formule est inexacte. Elle est même ramassée. Raccourcie. C’est le procès de la pensée unique. Volonté claire, dans le chef du parquet mais aussi des avocats de la partie civile, de faire de ce dossier un tout cohérent. Trop cohérent. Jusqu’à l’absurde. Jusqu’au surréalisme. Et on en reparlera.

Dans cette affaire, il y a une vérité indéboulonnable. Une façon de dire, une façon d’écrire l’histoire du Rwanda de façon univoque. Je n’y viendrai pas. Je ne suis pas expert. Vous avez entendu, comme moi, les témoignages.

Il y a une façon unique d’analyser les faits à charge de Monsieur HIGANIRO et surtout - Maître EVRARD l’a rappelé ce matin - il y a des témoignages, des éléments de preuves dont on ne peut débattre. Prenez la déposition du jeune le témoin 123.

Et pourtant, on a reconnu certaines imperfections, certains ratés. Monsieur l’avocat vous l’a dit, Monsieur l’avocat général. La magistrature a peut-être un peu fauté. Le FPR a certainement fauté. La MINUAR a certainement fauté. L’ONU a, finalement, également fauté. Eh bien, moi, j’espérais mieux. Je le redis : j’espérais mieux, Monsieur l’avocat général. Mais, quand il s’est agit de faire application de la critique à soi-même, là, c’est RAS. Rien à signaler. Circulez, il n’y a rien à voir. Tout va bien.

Procès unique, procès de la pensée unique. Risque-t-il de devenir un procès univoque ? Une seule voix ? Mais, s’il vous plaît, réveillez-vous ! Ca, c’est l’inverse de ce que doit être la fonction de rendre la justice. La justice, elle a toujours deux plateaux. Elle ne peut se faire que s’il y a débat contradictoire. Et, pour débattre, il faut nécessairement être deux : les droits de la défense l’exigent.

Procès unique. Procès historique. Procès exemplaire. Procès exceptionnel, a-t-on entendu. Même concept. Non. Non. Car, Mesdames, Messieurs les jurés, ce que l’on vous demande de faire, c’est le travail quotidien de tout juge, c’est la mission impartie aux membres de tout jury en Belgique : statuer sur la culpabilité, voire, ensuite sur la peine. C’est, dans chaque affaire, le même problème, la même chose. Et nécessairement, dans une affaire d’assises, il y a toujours un drame à l’origine, même si le drame à l’origine de cette affaire, est le plus horrible.

Mais, ici, se joue aussi une tragédie, ne l’oubliez pas. « Tragédie » dans le sens grec du mot. Sophocle et les autres auteurs grecs anciens : unité de lieu, unité de temps et unité d’action. C’est ça, votre mission. Je devrais m’éclipser. Je ne devrais être que le porte-parole. C’est la relation entre vous et Monsieur HIGANIRO qui importe. Rien d’autre. Vous allez devoir, comme dans toute affaire d’assises, soupeser les éléments à charge, à décharge. Vous allez devoir trancher. Qu’est-ce qui va retenir votre intime conviction ? Et vous ne devrez vous justifier de cette décision que face à vous-mêmes, que face à cette intime conviction, et pas face à l’Histoire.

Procès exceptionnel. J’ai dit : « Non ». Il l’est, pour partie et je réponds : « Oui », en raison du cadre dans lequel ce procès intervient, en raison des faits qui sont mis à charge - mais mis à charge ne veut pas dire prouvés - des accusés, mais pas en raison de votre mission. Procès du génocide : « Non ». Procès de 4 personnes accusées, pas condamnées - je veux en tout cas le croire - de crime de génocide : « Oui ». Et vous ferez fausse route, si vous prenez pour argent comptant la maxime de Monsieur le procureur général : « C’est un moment historique et tous les yeux sont rivés vers vous ». Non, et 100 fois, non. Vous n’allez pas écrire une page de l’histoire judiciaire belge et si vous le pensez, vous serez les acteurs, permettez-moi l’expression, d’un « flop-story judiciaire ».

Trois dernières observations avant de rentrer dans le vif du dossier, et j’aurais l’honneur de vous parler ce matin des écrits attribués à Monsieur HIGANIRO.

Procès de la pensée unique. Procès aussi où les adeptes de la méthode COUE ont fait merveille.

Moi, je vais me proposer d’un peu vous secouer. Méthode COUE, vous savez tous ce qu’enseignait le bon docteur COUE, psychologue. Méthode consistant à répéter inlassablement ce dont on veut se convaincre. Il ne vous aura pas échappé, durant tous ces débats, le réquisitoire de Monsieur l’avocat général, les plaidoiries des parties civiles, mais que d’énumérations. Que de répétitions de termes, tous plus lourds les uns que les autres, avons-nous entendus. De vraies litanies. Et tout ça, pour parler de Monsieur HIGANIRO.

Je cite - c’est un choix : « Monsieur HIGANIRO, il a réuni tous les moyens pour contrecarrer les Accords d’Arusha, pour organiser le dérapage non contrôlé. Il utilise de tout son poids, de toute son autorité, tous ses crédits à sa disposition, pour arriver au pays mort. Il a préparé, organisé, supervisé les massacres, etc. ». En veux-tu, en voilà. Arrêtons les frais, ces énumérations, ces répétitions sont peut-être un moyen commode de se convaincre qu’on apporte la preuve mais, quand elles sont utilisées pour se dispenser d’examiner le dossier sur le fond, je dis : « Le raisonnement est biaisé ». Chaque terme semble renforcer le précédant et la démonstration est terminée : tautologie, méthode COUE . Vous m’avez compris.

Et, ce qu’il y a de plus surprenant, quand on relit toutes ces plaidoiries, ces réquisitoires, et même les dépositions de témoins, c’est de voir l’effet de résonance, l’effet d’écho, l’effet démultiplicateur qui est réservé à des accusations parfois tout à fait gratuites, je veux dire « gratuites » dans le sens où elles ne sont pas prouvées, pas prouvées par des choses qui doivent retenir votre attention. En droit belge, ils disent : « D’abord l’écrit, les documents, etc. » tout ça : on oublie, et spécifiquement pour s’occuper de Monsieur HIGANIRO.

L’exemple le plus frappant : c’est mon grand ami, le témoin expert, Monsieur GUICHAOUA. Je ne sais pas si vous avez des frères ou sœurs, des enfants en âge d’étudier à l’université, mais s’ils veulent faire l’économie ou la sociologie, envoyez-les à l’université de Lille. Je crois qu’on y réussit les 2 doigts dans le nez : méthodologie 0 ; étudier le cours : pas indispensable ; lire la presse : on peut, mais sans même lire la date à laquelle l’article publié est dans vos mains ; et surtout, les conversations de café, les petites cachotteries : ça, c’est ce que vous devez avoir comme matériaux pour réussir. Méthodologie : zéro pointé.

Mais qu’est-ce qu’il a dit ? Ce qu’il a dit, ce Monsieur GUICHAOUA, c’est devenu parole d’évangile dans ce procès. Sur la base des prémices, Monsieur le président a demandé, hein : « La défense va vous poser la question de vos sources, quelles sont ces sources ? ». Et il a répondu. Et donc, ce qu’il a dit, eh bien, va être répété, amplifié par chacun des intervenants ultérieurs. Aucune critique, hein. Aucune remise en question. Aucune pondération par rapport à ce qui a été dit. Et, on ne tient même pas compte d’aucune information qui aurait pu être donnée en sens inverse, même si ces informations sont avérées - je pense que Maître CUYKENS vous en touchera un mot tout à l’heure.

Autre exemple de cette chambre d’écho, de cet effet démultiplicateur. Témoignage de Monsieur NKUYUBWATSI. Un point bien précis. Monsieur NKUYUBWATSI - on a vu sa tête à l’écran - est la première personne, et la seule personne, qui évoque la tenue d’une réunion le 6 avril 94, souvenez-vous : l’avion vient d’être abattu, le président le témoin 32 est décédé, le beau-père de monsieur HIGANIRO aussi. Hop, qu’est-ce qu’on fait ? D’après Monsieur NKUYUBWATSI, réunion de crise chez Monsieur NIEZIMANA et le coup de fil du capitaine de Kigali, Monsieur KABERA qui dit : « Nous, on a commencé ».

Monsieur HIGANIRO - sauf erreur de ma part, je peux avoir manqué quelques épisodes de ce procès, mais j’ai été attentif - n’a pas été entendu sur ce point, on ne lui a pas posé de question, il n’a rien pu dire. Mais vous avez entendu l’avocat d’une partie civile, vous dire : « Monsieur HIGANIRO a dû nous confirmer l’existence de cette réunion ». Eh bien, de nouveau, c’est un exemple de la manière dont on raisonne. Ca porte aussi un autre nom : le « wishfull thinking ». Ce que je pense, ce que je veux qui soit, devient ce que je dis et ce qui est la réalité.

Voilà à quoi nous sommes confrontés et je voudrais répéter la mise en garde que Maître EVRARD a formulée ce matin : « Répéter ce dont on veut se convaincre, sans vérification préalable, sans recoupement sur la base de documents écrits, par exemple, répéter ce dont on veut se convaincre, ne peut vous convaincre ». Et je rejoins Maître EVRARD en vous demandant de respecter une méthodologie qui vous est exposée par Madame DESFORGES : comparer ce qui est écrit, ce qui est oral, ce qui est rumeur souvent, et si vous arrivez à franchir le pas du conditionnel que Madame DESFORGES n’a pas franchi en ce qui concerne Monsieur HIGANIRO, alors peut-être pourrez-vous réfléchir à autre chose qu’à un acquittement.

Deuxième remarque : l’attitude de Monsieur HIGANIRO à l’audience, a été critiquée.

Maître EVRARD en a déjà fait état, je vais être relativement bref. Florilège : Maître GILLET, « Aucun sentiment, pas de pleurs, aucune compassion ». Maître Clément de CLETY : « Les accusés sont comparés à des serpents, la froideur, la fausseté ». Soit. Monsieur le procureur général : « Les accusés sont trop policés, ils cherchent à mettre une distance entre les faits et eux-mêmes, ils s’adaptent sans cesse, on va y revenir, ils veulent donner une bonne image d’eux-mêmes ».

C’est tellement facile à dire, Mesdames et Messieurs les jurés. Mais qu’est-ce qu’on attend de ces personnes ? Quelle sera l’attitude correcte qui ne suscitera aucune critique ? Qu’ils pleurent, qu’ils viennent à pleurer maintenant, que va-t-on nous dire : « Mais, c’est du chiqué, c’est la courbe rentrante, pour essayer d’un peu vous émouvoir ». On va pas dire : « C’est un accès de sincérité ». Qu’ils se défendent, comme le fait Monsieur HIGANIRO - toujours resté au front Monsieur HIGANIRO, hein, jamais cherché à fuir - c’est la même chose, on s’indigne : « C’est indécent de se défendre. Et la mémoire des victimes, la mémoire des rescapés ». Qu’ils se taisent, le droit au silence est également évoqué. On leur reprochera, on leur reprochera : « Le silence, leur silence les accuse ». Même si vous avez devant vous des avocats qui sont des ardents défenseurs des droits de l’homme, qui savent, qui ont écrit, qui ont assisté à des colloques sur le droit au silence. Eh bien, ici, on oublie tout ça. Tout en fonction d’un but. Il n’y a pas d’attitude correcte, si ce n’est celle de se défendre. Vous devez l’admettre, et toute autre considération de votre part serait catastrophique pour le bien de ce procès.

On a, sauf erreur de ma part, le droit de soutenir son innocence : ce n’est pas du bétail. On ne vient pas ici comme on va… quand on doit abattre une vache. Il y a un débat, on peut quand-même faire quelque chose. Mais ce qu’on veut, moi, je vais vous dire ce qu’on veut, c’est ce qui embarrasse le contradicteur. On veut des aveux, des bons aveux. Là, c’est le confort royal. Plus besoin de devoir argumenter sur un dossier mal ficelé, un dossier où le doute se distille à chaque fois qu’on en ouvre un nouveau pan. On veut des aveux : ça dispense de prouver, les aveux. C’est ça qu’on souhaite. Ce serait tellement confortable. Il n’y aura pas d’aveux. Il n’y a pas matière à aveux. On peut se défendre de tout. Et on vous le prouvera.

Et puis, parlant de l’attitude de Monsieur HIGANIRO, mais mettez-vous, s’il vous plaît, un instant à sa place : il faut être fort, psychologiquement, pour résister, pour endurer huit semaines de procès. Lorsque vous risquez la prison à vie - il le sait - et surtout dans une affaire où chaque jour vous réserve un nouveau coup de théâtre. Monsieur le président vient de nous dire : « Ah, il y a une pièce qui vient de m’arriver ». Eh bien, de ce côté-ci, on tressaille, on se dit : « Mais avec quoi on va encore venir ». Dieu merci, je ne sais pas si je peux employer ce mot, compte tenu du texte qui vient d’être lu, mais pour une fois, c’était pas pour nous.

Que pouvez-vous dire, que pouvez-vous dire des sentiments, de ceux qui animent Monsieur HIGANIRO ? C’est quelqu’un qui vit sous tension. Seul. Et là aussi, Monsieur l’Avocat général, vous avez été un peu emporté par votre élan : Monsieur HIGANIRO est un homme seul. Il n’y a personne pour le défendre, ni église, ni université. C’est un homme livré à lui-même.

Et enfin, parlant de l’attitude de Monsieur HIGANIRO, puis-je vous demander de ne pas oublier qu’il a lui-même été affecté par les événements de 1994, dès le 6 avril. Dès le 6 avril. Alors, si les intérêts de toutes les parties civiles sont légitimes, personne n’a le monopole du cœur dans ce procès.

Dernière observation de cette rapide introduction : le manque de moyens de la justice.

Ca a été dénoncé par Monsieur l’avocat général, Maître EVRARD vous a déjà un peu planté le décor. Je dois vous dire que cette partie du réquisitoire, elle me laisse à la fois perplexe et amer. Monsieur l’avocat général vous l’a dit, il a insisté sur les moyens dérisoires avec lesquels la Belgique, la justice belge avait travaillé en comparaison avec les fastes, les ors du Tribunal pénal international. Je crois que ce n’est pas tout à fait exact. Le juge d’instruction nous a quand même confirmé qu’il avait travaillé une année, full time, sur ce dossier. Il nous a confirmé également qu’il avait pu exécuter 3 commissions rogatoires en 6 mois de temps, de juin à décembre. C’est pas mal : il n’y a pas beaucoup de dossiers dans lesquels on travaille comme ça.

Moi, j’ai relevé un manque de moyens flagrants : la pellicule photo. Apparemment, il y a eu un gros problème. Vous vous souviendrez des photos de Kigufi, la villa de Monsieur HIGANIRO. Eh bien là, manque de moyens, on n’a pas réussi à photographier le portail qui donne l’accès direct sur le lac Kivu. Ça, c’est exact. Pas tout à fait exact au manque de moyens. Maître EVRARD l’a dit : « On parle d’un budget de 100 millions ». Ce n’est pas rien pour organiser un procès et peut-être que là, ce procès est historique.

Perplexité, vous disais-je. Amertume quand je vois l’affectation de ce budget. Et j’imagine ce que nous, avocats de la défense, tous les avocats de la défense, nous aurions pu faire si nous avions reçu chacun un million, un petit million pour assurer la défense de nos clients. Eh bien, nous serions allés sur place. On dit : « C’est pas possible ». Mais si, c’est possible. Tout le monde y va. Et nous aurions pu compléter votre intervention sur l’UNR, sur la SORWAL, sur Monsieur NKUYUBWATSI, sur Monsieur REKERAHO. Et je suis certain que les résultats que nous vous aurions proposés auraient été beaucoup plus convaincants que ce que Monsieur TREMBLAY, Monsieur HABIMANA, le roi de la technique spéciale d’enquête ou Monsieur GUICHAOUA vous ont dit.

Amertume qui devient irritation quand je constate que la justice n’est pas rendue que dans ce prétoire. Il y a un décalage de plus en plus grand - et on l’a constaté au fil des jours de cette session d’assises - entre ce qui se passe dans cette salle - c’est ici qu’on rend la justice - et ce qui se passe à l’extérieur, et parfois bien loin. Le procès, Mesdames et Messieurs les jurés, il se tient sur la place publique, il se tient dans d’autres enceintes, avec d’autres intervenants, et je le regrette.

Est-il normal que des journalistes dits d’investigation - je précise, pas des journalistes d’enquêtes - est-il normal que ces journalistes, comme l’a rappelé Maître EVRARD, se voient ouvrir toutes grandes les portes des prisons ? Est-il normal qu’ils se voient remettre les archives de certaines sociétés, la SORWAL - archives auxquelles les experts les plus renommés n’ont pas eu accès ? Est-il normal que des pièces soient produites au gré des circonstances, pièces soigneusement triées, et donc incomplètes, et ce, au mépris des droits de la défense de Monsieur HIGANIRO ? Est-il normal que pratiquement tous les avocats des parties civiles aient pu, eux, se rendre à leur guise et parfois sous des casquettes différentes, au Rwanda et que la même possibilité n’ait pas été offerte aux avocats de la défense ? Est-il enfin normal que les seuls témoins à décharge - c’est extraordinaire ça, ça doit vous interpeller - les seuls témoins à décharge qui devaient venir du Rwanda pour Monsieur HIGANIRO aient essuyé un refus d’autorisation de la part des autorités rwandaises ?

Je vous le répète, mon constat est amer. Vous êtes le tribunal de l’humanité entière. Soit, mais les principes fondamentaux de la Convention européenne des droits de l’Homme - il n’est pas possible que vous n’ayez pas entendu parler un jour de cette Convention qui garantit les droits de tous les citoyens européens et même au-delà de nos frontières, des frontières de l’Europe - eh bien, ces droits, ces principes fondamentaux, ils sont foulés aux pieds. Où est l’égalité des armes ? Où est le respect du principe du débat contradictoire ? Très difficile à assumer pour la défense.

Et il ne vous aura pas échappé, le glissement dans les accusations portées contre Monsieur HIGANIRO. On a déplacé le centre d’intérêt du dossier consacré à Monsieur HIGANIRO. Tout ce sur quoi maintenant on insiste, sur quoi on plaide du côté de nos contradicteurs, eh bien, tout cela se trouve en dehors des 50 cartons qui sont là. Pourtant, il y avait déjà de la matière. Et, chaque fois que Monsieur HIGANIRO fournit une explication - et ces explications sont bonnes, on en rajoute une couche. J’appelle cela une « accusation caméléon ». Ce n’est pas Monsieur HIGANIRO qui, sans cesse s’adapte, c’est les accusations qui, sans cesse, changent de couleur. Et nous prendrons le temps qu’il faut, Mesdames et Messieurs les jurés pour démonter ces accusations, une par une.

J’en viens au premier volet des accusations portées contre Monsieur HIGANIRO, volet intitulé : « Proposition, provocation, ordre à commettre des crimes de droit international par des écrits ».

C’est difficile, hein, quand on lit ça, de savoir ce qu’on veut exactement dire. C’est tellement difficile que même des juristes peuvent parfois ne pas tout avoir à l’esprit et il faut deux têtes bien pleines pour arriver à vous expliquer, avec des mots simples, ce qui en droit est, et reste compliqué.

Premier volet : concerne les activités politiques de Monsieur HIGANIRO, l’impact supposé de ses activités mais, surtout, de ses écrits dans l’engrenage des circonstances qui ont abouti aux événements dramatiques d’avril 1994. Monsieur l’avocat général vous a fait part de son sentiment :

1. HIGANIRO était farouchement opposé à tout changement.

2. Il a averti de ce qu’il était opposé au changement et de ce qu’il ferait si le changement arrivait - ça, c’est l’interprétation de la lettre du 16 janvier 1993.

3. Il a tout fait pour que le coup d’état civil d’Arusha n’aboutisse pas.

4. Il a réuni les moyens pour contrecarrer l’application de ces accords et organiser le dérapage.

5. Il a utilisé de tout son poids, de toute son autorité, pour arriver à ce pays « mort ».

6. Il a donc préparé, organisé et supervisé les massacres.

Voilà, le boulot est terminé. Voilà la démonstration de Monsieur l’avocat général. Voilà de quoi nous devons débattre. Vaste débat. Le débat peut-être le plus terrible. On désigne Monsieur HIGANIRO comme un des principaux organisateurs, planificateurs du génocide, ni plus ni moins. Tout cru, c’est ça que ça veut dire. C’est normal, hein. Ça ne m’inquiète pas dans le raisonnement de Monsieur l’avocat général. Ce procès - je vous le répète - est nécessairement historique. Alors, on ne peut pas se satisfaire de juger des seconds couteaux. Et donc, Monsieur HIGANIRO sera l’homme, au cœur du pouvoir, qui a mis au point, qui a programmé le génocide.

Vous aurez constaté, Mesdames, Messieurs les jurés, qu’aucune partie à ce procès n’a ménagé ses efforts pour tenter de vous en convaincre : HIGANIRO = planificateur = ce qui a de pire au Rwanda, il était dans tous les coups. Et, ce que je qualifierais de bonne volonté, toute cette bonne volonté, toute cette agitation, finalement pour un résultat, mais dérisoire, pour vous soumettre des éléments de preuves dérisoires : 3 écrits, « 4 » dit Monsieur l’avocat général. Moi, je vous dirais qu’il y en a 5, parce que j’ai regardé tout le dossier.

Avant de procéder à l’examen, par le détail de ces accusations, je voudrais revenir sur un point de droit pour baliser votre réflexion et Dieu sait si ce point est déterminant. Monsieur l’avocat général vous a dit et répété tout le bien qu’il pense de la loi du 16 juin 1993 qui donne à la Belgique, compétence universelle pour juger des crimes de droit international. Il ne s’est pas privé de souligner les ressources multiples que cette loi lui offre. Et il l’a fait notamment lorsqu’il a décrit les différents modes de commission des infractions prévus à l’article 4 de la loi. C’est là où Monsieur le président est intervenu, tout à fait à propos - et je vous répète que les choses ne sont pas toujours simples à suivre.

L’article 4 de la loi, en fait, il n’y a que ça qui doit nous intéresser. Il énumère les actes, les modes de commission. Il y a les actes de participation, il y a l’ordre de commettre un crime de droit international, la proposition de commettre un tel crime, la provocation à commettre un tel crime et puis, il y a l’omission d’empêcher de tels crimes.

Moi, je voudrais qu’on s’arrête un instant aux mots « ordre », « proposition », « provocation ». C’est des notions qui sont tellement proches les unes des autres, que je suis certain que vous devez peut-être les confondre.

Je dois évoquer également une autre notion sur laquelle il faut insister, et Monsieur l’avocat général l’a dit lui-même, c’est cette notion : « …non suivie d’effet ». Donc : ordre, proposition, provocation de commettre un crime même non suivie d’effet, même non suivie d’effet. Que dit la loi ? Eh bien, c’est chou vert et vert chou : c’est comme si le crime avait été commis. Et le problème qui a donné lieu à la rectification ou au complément d’information fourni par Monsieur le président, il tient en fait à la différence entre le droit belge et ce que vous demande de faire la loi, à caractère international, du 16 juin 93.

En droit belge, quand il y a un ordre non suivi d’effet, eh bien ce n’est pas punissable - sauf une loi du 25 mars 1891 que je laisse entre parenthèse parce qu’elle n’est pas souvent appliquée. Retenez ça : en Belgique, si je donne à quelqu’un l’ordre de commettre un crime et qu’il ne le fait pas, eh bien, c’est pas punissable.

En droit international, après la loi du 16 juin 1993, c’est punissable. Je dis : « Monsieur le 7ème juré, allez tuer telle personne », c’est dans le cadre d’un génocide, d’un crime de guerre ou tutti quanti. Eh bien, même s’il ne le fait pas - on sait que Monsieur le 7ème juré ne le fera pas - moi, je reste punissable.

Et donc, c’est très confortable, hein, c’est très confortable pour la partie poursuivante. Quel que soit votre verdict, pour autant qu’il y ait culpabilité - convenons-en quand même - eh bien, pour autant qu’il y ait un verdict de culpabilité, le résultat est le même. Le résultat est le même parce qu’on assimile toutes ces hypothèses où vous demandez, où vous incitez quelqu’un à faire quelque chose et qu’il se passe rien ; on assimile ça aux situations où il s’est vraiment passé quelque chose, on va même jusqu’à assimiler ça au niveau de la peine. Je dis à Monsieur le 7ème juré : « Allez me tuer une centaine de Tutsi et revenez dans une heure », il y va, il n'en fait rien évidemment, on se perd de vue, les événements changent, je suis poursuivi, j’ai donné l’ordre, Monsieur le 7ème juré vient le dire : « C’est Maître MONVILLE, il m’a dit, il faut tuer ces 100 Tutsi ». La conviction est faite. Je suis passible de la peine maximale, la perpétuité.

Et donc, Monsieur l’avocat général, il a beau jeu de vous laisser toute latitude. Il se dit : « Mais, l’éventail des possibilités est suffisamment large, il irait bien mal, hein, que vous n’en reteniez pas un : l’ordre, la provocation, l’ordre non suivi d’effet, la proposition, tout ça est bon ».

Alors moi, je crois, Monsieur l’avocat général, que vous vous être trompé d’arme. C’était pas une machette qu’il fallait brandir. Mais c’est un jeu de fléchettes pour Mesdames et Messieurs les jurés. Vous auriez dû les inviter au « vogel-pick judiciaire ». Tout ce qu’a fait Monsieur HIGANIRO correspond à tous les modes de participation. Et la cible, elle ne devrait même pas être fixe, on devrait pouvoir la faire tourner ; elle est large hein, ne vous inquiétez pas, vous ne pouvez pas rater la cible. Mettez le bandeau sur les yeux parce que ça, la justice, elle aime bien, et allez-y. Boum, boum, boum. Vous tombez toujours dans une bonne case.

Mais là, on oublie une chose fondamentale : c’est que vous êtes des juges. Vous êtes des juges et, juridiquement, quand on analyse ce premier volet du dossier - et je me permets d’attirer toute votre attention sur ce point, on vous demande de considérer Monsieur HIGANIRO comme l’auteur moral des infractions, des crimes mis à sa charge, comme la cause première de ces crimes. Ca a été dit. Monsieur HIGANIRO ne dit pas qu’il a mis la main à la pâte. « Non, non, il était derrière, aux consoles », c’est ça qu’on vise : quelqu’un qu’on considère comme l’auteur moral d’une infraction, d’un crime. Cela, c’est la définition de la provocation. Provoquer. C’est ce que vous devez retenir.

L’ordre. Monsieur HIGANIRO a-t-il donné des ordres ? Mais, on va relire, on a évoqué ses écrits politiques, politiques entre guillemets, c’est pas un ordre. Un ordre, il revêt un caractère impératif. C’est ce que j’ai évoqué tout à l’heure. « Monsieur le 7ème juré, vous allez tuer ». Il n’y a rien de tout ça. Il n’y a rien de tout ça. Donc, vous devrez dire, en tout cas : « Non » aux questions qui vous seront posées relativement à l’ordre comme mode de commission de l’infraction, en ce qui concerne Monsieur HIGANIRO.

La proposition, c’est encore différent. La proposition, elle, appelle une réponse, et d’ailleurs, c’est prévu par la loi. On dit : « C’est celui qui propose et c’est celui qui, évidemment, accepte », donc, il y a nécessairement une interaction entre celui qui propose et celui qui accepte. Ce n’est pas de ça qu’on parle. Ce n’est pas de ça qu’on parle, j’ai réfléchi au problème parce qu’il est complexe, je le répète. Si jamais, vous devez envisager de répondre à des questions sur la culpabilité de Monsieur HIGANIRO, pour ce premier volet, ça ne peut être que la question de la provocation. S’il vous plaît, c’est essentiel, c’est fondamental, ne croyez pas que ces notions sont interchangeables. Elles sont tout à fait distinctes.

Provocation pose un dernier problème sur le plan juridique. Suivie ou non suivie d’effet, je n’y reviens pas. Monsieur l’avocat général vous a dit : « Qu’est-ce que j’aurais aimé vous dire que ça n’a pas été suivi d’effet ». Malheureusement, effectivement, si on suit la thèse qu’il défend, l’effet : il a eu lieu. Mais la provocation nécessite un lien direct, un lien direct entre l’infraction et cette provocation. Il faut un fil entre les deux. Il faut pouvoir relier les deux. Et ça, vous allez devoir aussi réfléchir à cette question.

Que lit-on dans la meilleure littérature belge ? Provocation peut revêtir deux formes. Maître EVRARD en a parlé, il y a la provocation de proximité, j’ai envie de dire. C’est quand vous utilisez les moyens d’influence qui sont à ce point efficaces que vous arrivez à peser sur la volonté de la personne qui doit commettre l’infraction. C’est ce que maître EVRARD a rappelé comme étant le « mandat criminel ». C’est pas de ça qu’on parle, hein, c’est pas de ça qu’on parle.

Et alors, il y a une deuxième possibilité, c’est ce qu’on appelle la « provocation publique », c’est le provocateur qui s’adresse à un nombre indéterminé de personnes, ces personnes restant indéterminées, et cette provocation, eh bien, elle requiert une certaine publicité. Soit une publicité orale : on tient un meeting et dans ce meeting, eh bien, il y a un discours, et à l’occasion de ce discours, on demande certaines choses. Rappelez-vous peut-être le discours du 19 avril 1994. Soit par écrit, publicité par écrit, ah ! des écrits distribués, vendus, qui ont eu un certain retentissement.

Je pense, Mesdames et Messieurs les jurés, que c’est dans cette dernière catégorie que vous devez placer les écrits politiques attribués à Monsieur HIGANIRO - et je ne suis certainement pas le seul à le penser, je vous rappellerai la plaidoirie de Maître NKUBANYI - plaidoirie que j’ai trouvée remarquable, je pense que c’était sa première intervention en Cour d’assises, et je lui ai d’ailleurs dit, il a fait ça de manière extraordinaire -, il a dit : « Les faits qui accusent Monsieur HIGANIRO sont ces écrits, les idées contenues dans les rapports n° 1 et 2 qui sont des idées répandues autour de lui et des idées qui sont parvenues aux instances du MRND ».

Il faudra donc démontrer, indépendamment de l’effet, puisque ça, ça n’intervient pas, indépendamment donc de l’effet, que ces 2 rapports du petit comité du Comité directeur des fonctionnaires de Butare, il faudra donc démontrer que ces 2 rapports ont eu une certaine forme de publicité, c’est une condition qui est prévue par la loi. Si cette condition n’était pas remplie, je pense que c’est avec difficulté que vous pourriez répondre positivement aux questions qui vous seront posées. Voilà sur le plan juridique.

Je voudrais en revenir maintenant aux faits, à ce que vous avez à juger. Et la question qui se pose à vous est la suivante : ces écrits et, finalement, le texte des PV des deux réunions équivalent-ils à une provocation à commettre un crime de droit international ? Voire, restons objectifs ou le plus large possible, une proposition ? Je dis que pour moi, la proposition, il faut qu’il y ait une interdépendance, une interaction, mais puisque Monsieur l’avocat général a intitulé cette partie des faits reprochés à Monsieur HIGANIRO : Proposition, provocation ou ordre, je veux encore même bien imaginer que la proposition puisse, in fine, être retenue.

Je répète la question : « Est-ce que ces textes équivalent à une proposition ou à une provocation à commettre des crimes de droit international ? ». Eh bien, évidemment : non. Et je crois que nous ne sommes pas les seuls à le penser. C’est un peu court, jeune homme, c’est un peu court. Je crois que c’est pour cela que nos contradicteurs s’évertuent à élargir le champ des investigations, à chercher ailleurs, aux alentours, aux pourtours et même bien plus loin, parfois. Mais ils oublient que seuls les faits postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi du 16 juin 93 peuvent entrer le ligne de compte.

Nous pourrions limiter, je pourrais limiter mon approche à vous parler uniquement de ces deux rapports. J’ai choisi de démonter, d’examiner avec vous, tout le contexte politique. Et dans ce contexte politique - et je vais devoir aller très loin dans l’explication - se pose une question centrale : qui est Monsieur HIGANIRO ? Qui est-il ?

Au-delà de son parcours professionnel, quel est le profil politique de Monsieur HIGANIRO dans la société rwandaise du début des années 90 ? A ce sujet, vous avez tout entendu. Résumons. HIGANIRO - et si je fais des énumérations, c’est pas les miennes, hein. C’est celles que j’ai entendues : « HIGANIRO est un cacique, un apparatchik du régime le témoin 32, un dur ». « HIGANIRO, c’est un homme de l’ombre qui tire les ficelles du pouvoir en coulisse, un extrémiste qui déteste les Tutsi ». « HIGANIRO, c’est quelqu’un qui ne se gêne pas pour faire connaître ses idées et les propager », Monsieur l’avocat général vous l’a dit. « HIGANIRO, c’est quelqu’un qui est certain de son impunité », c’est Maître NKUBANYI qui vous l’a dit. Il vous a rappelé, d’ailleurs, que cette impunité, elle semblait quelque part aller de soi au Rwanda puisque l’Etat, entre 1959 et 1994, avait toujours encouragé, voire récompensé les crimes contre les Hutu. Alors le cocktail, il est détonnant. Et je vais essayer de vous démontrer qu’on n’en est pas à une incohérence près. Moi, j’en ai relevé 5. Elles sont fondamentales.

1ère incohérence. L’appartenance politique de Monsieur HIGANIRO.

Lui dit : « Je suis MRND ». Des témoins sont venus le confirmer. Mais on a entendu beaucoup d’autres choses, hein. On a entendu des personnes qui sont venues vous dire : « Mais HIGANIRO, c’est un CDR. Il était là. Il était affilié. Mais pas un petit CDR de base. C’est une figure de proue du CDR ». Monsieur le témoin 139 est venu dire ça. « Il organise des meetings CDR à Butare. Une fois par semaine, des réunions. Monsieur HIGANIRO, c’est pas qu’un cumulard MDR, MRND ­ CDR, mais il est même au PL ». Et souvenez-vous de ce témoin qui est venu dire une chose extraordinaire. Il avait infiltré le PL. On lui a dit : « Mais comment est-ce que vous pouvez imaginer qu’il était une taupe dans ce parti, puisque, même vous, vous l’avez identifié ». On n’a pas eu de réponse satisfaisante et Maître GILLET, c’est un homme charmant, un homme intelligent qui réfléchit beaucoup, peut-être parfois trop, qui vient vous dire en plaidoirie : « Mais moi, je me gratte la tête, j’ai encore vu 3 témoignages qui confirment ça : il devait être au PL, il devait être là pour essayer un peu de… que les choses se passent différemment ».

Mais écoutez, Monsieur HIGANIRO, ce n’est pas un politicien boulimique, hein. Un parti, c’est bien assez et surtout, et surtout, n’oubliez pas non plus ce que des personnes, de plusieurs bords différents, sont venues vous dire, Monsieur HIGANIRO qui a été nommé ministre 10 mois, Monsieur HIGANIRO, c’est pas un politicien : c’est un technicien. Vous croyez que ça n’existe pas ça ? Vous croyez que tous les ministres sont des gens qui ont fait carrière dans le sérail politique.

Balayons devant notre porte. Je ne sais pas si vous savez le nombre de ministres que compte notre gouvernement fédéral ? 18. Connaissez-vous le ministre des télécommunications, entreprises et participations publiques ? Rick DAEMS. J’ai trouvé sa photo sur Internet. Je l’avais jamais vu avant. On a un peu parlé de lui quand il s’agissait de privatiser Belgacom, mais c’est un nom qu’on oublie tout aussi vite. Il y a d’autres noms, vous savez. Le ministre de la défense nationale ? Il faut chercher pour le trouver, hein, André FLAHAUT, si, quand on entend son nom, on s’en souvient. Mais il n’y a pas que des éminents politiciens : Louis MICHEL, Isabelle DURANT, Magda ALVOET, Franck VAN DEN BROECK. On a aussi des techniciens dans le gouvernement. Et alors, nous avons aussi des ministres à, à différents échelons, hein. Communauté française, gouvernement wallon, Bruxelles-Capitale. Je vais poser une devinette : Alain HUTCHINSON, état du Connecticut ou secrétaire d’état chargé du logement au gouvernement de la région Bruxelles-Capitale ? Ben, c’est la 2ème solution. Ça existe partout. On ne nomme pas que des politiciens en vue, dans des gouvernements. Monsieur HIGANIRO était un technicien.

Deuxième incohérence. Les fonctions, le rôle présupposé de Monsieur HIGANIRO dans le cadre du génocide planifié à Butare.

Qu’est-ce qu’on nous a dit : « Il a préparé la machine de guerre, il a préparé la machine à tuer, il a financé et entraîné les Interahamwe ». Certains ont même suggéré - et c’était relayé par Monsieur l’avocat général dans son réquisitoire - que tout le personnel était Interahamwe. Ben, ça veut dire quoi ? C’est qu’on sait tous que le Sud du pays n’était pas acquis au MRND. Monsieur HIGANIRO, c’est la tête de pont génocidaire en milieu ennemi. C’est ça : il était là pour permettre que les choses se passent dans le sens qu’on souhaitait. Ben alors, si c’était ça son rôle, s’il a fait ça, entre 92 et 94, ça a quand même duré pratiquement 2 ans, mais comment expliquez-vous qu’à Butare, il ne s’est rien passé avant le 19 avril 1994, ce fameux discours que j’évoquais de Monsieur SINDIKUBWABO ? Comment expliquer alors, si HIGANIRO devait être le fédérateur de ce mouvement génocidaire à Butare, qu’il n’est même pas venu à cette date pour appuyer ce discours, puisque selon d’autres : « Monsieur HIGANIRO, c’est lui qui tenait les marionnettes dans le théâtre. Quelqu’un parlait et lui restait dans l’ombre ». Mais vous imaginez, ce discours et Monsieur HIGANIRO qui était là, à côté, mais ça aurait dû… mais c’est l’évidence, il fallait qu’il soit là.

Troisième incohérence. On y reviendra cet après-midi : Monsieur HIGANIRO, c’est l’homme-orchestre.

C’est l’homme-orchestre. Il est au four et au moulin, pendant les événements. Entre avril et le mois de juin, puisqu’il est parti à ce moment-là. Trafic d’armes, trafic de voitures, trafic de devises, organisation de la retraite du gouvernement transitoire, consultance du gouvernement intérimaire. Et, les allumettes. Parce qu’il en a vendu beaucoup. Tout cela est-il compatible ? Je vous pose la question. Retenez-la, j’y reviendrai cet après-midi.

Nouvelle incohérence : Monsieur HIGANIRO est un génocidaire insouciant, serein, nous a-t-on dit en avril 94, sûr de son impunité.

Mais, est-ce qu’on n’oublie pas un peu vite dans quel état Monsieur HIGANIRO se trouvait le 6 avril 94 ? Il vient de perdre 2 personnes qui, pour lui, comptaient : son beau-père et le président. Alors, croyez-vous que sa seule préoccupation, le 6 avril 94, aurait été de se rendre chez le capitaine NIZEYIMANA, à une réunion qui n’a pas eu lieu - mais enfin soit - et d’aller dire ce que Maître GILLET nous a répété pendant sa plaidoirie : « Les Tutsi ont tué le président. Il faut trouver une autre solution avec eux ». Voilà. Vous croyez à ça ? Vous croyez à cette réunion ?

Sérénité. Impunité. Quelqu’un qui est serein, quelqu’un qui croit qu’on ne va pas le punir, il ne se tracasse pas, hein, il fait comme moi, hein, j’étale mes documents, hein. Je ne cache rien, hein. Impunité, sérénité. Mais pourquoi, bon sang, on ne retrouve aucun document concernant ces trafics ? ça laisse des traces. Concernant son implication, tout simplement, dans les massacres. Et on a si peu retrouvé. Si peu retrouvé. En tout cas, ce n’est pas faute d’avoir cherché, j’y reviendrai tout de suite.

Cinquième incohérence : Monsieur HIGANIRO, il fait partie du gouvernement de l’ombre, aux côtés de Monsieur NZIRORERA, ce que les Anglais appelle les « Shadow Cabinet ».

Mais, Monsieur NZIRORERA, n’est-ce pas justement celui-là qui se voyait calife à la place du calife ? Vous savez que j’ai pas beaucoup de sympathie pour Monsieur GUICHAOUA, mais il est venu vous dire : « Ce Monsieur NZIRORERA, il était ambitieux. Lui, il roulait pour sa propre écurie, hein. Ce qu’il voulait, c’est se mettre à la place d’HABYARIAMANA ». Et la fidélité au président tout ça, qu’est-ce qu’on en fait ?

Voilà. 5 incohérences. 5 incohérences et je pourrais en énumérer d’autres. Mais tout ceci, Mesdames et Messieurs les jurés, n’est encore rien, n’est encore rien à côté de l’évidence qui suit : comment pouvez-vous imaginer, si Monsieur HIGANIRO gravite dans les secrets de l’Etat rwandais, s’il prépare cette machine génocidaire, sûr de son impunité, s’il a à sa disposition tous les moyens que Monsieur l’avocat général lui a généreusement prêtés, comment est-il possible que l’on n’ait retrouvé que 3, 4 misérables documents ?

Est-ce là l’illustration de la maxime « Grandeur et décadence » ? Comment, surtout, Monsieur HIGANIRO, le puissant, l’influent, l’homme qui se tient à l’ombre des grands meetings, l’homme qui assiste à des réunions secrètes, comment en est-il réduit à devoir réunir autour de lui deux collègues de travail, deux voisins de quartier pour discuter politique, début 1994 ? Comment est-ce possible alors qu’à ce moment-là, selon ses détracteurs, ça chauffe et on a nécessairement besoin de lui ailleurs ? Et cette réunion du petit comité, je dis : « C’est médiocre ». On n’a pas de moyens, là, vraiment on n’a pas de moyens. On dresse un procès-verbal à la main. Procès-verbal qu’on approuvera moyennant correction lors d’une seconde réunion, c’est ce qui est fait partout dans le monde : quand des gens se réunissent, on dresse un PV et à la réunion suivante, on commence toujours la réunion par l’approbation du PV précédent.

Comment est-ce possible qu’on n’ait retrouvé que ça ? Qu’on en soit, qu’on soit contraint de ne discuter que de ça ? Et tout cela, dans un pays - comme l’a si bien rappelé Monsieur le juge d’instruction - où il y a une grande tradition du document écrit. « Dès qu’on rédige un document, vous a dit Monsieur VANDERMEERSCH, on envoie une copie à plusieurs destinataires, jusque dans les hautes sphères. On fait connaître son opinion ». Or, dans le cas d’espèce, aucun document retrouvé ne semble avoir connu une quelconque diffusion : la lettre du 16 janvier, c’était adressé au président, les rapports de la Commission, du petit comité, rien, ces documents ont été retrouvés chez Monsieur HIGANIRO, nulle part ailleurs, et même la lettre du 23 mai 1994 dont vous parlera Maître CUYKENS - et je n’ai pas à anticiper sur sa plaidoirie, même cette lettre, elle n’a certainement pas connu une publicité quelconque.

Dernier élément. Et c’est un élément important. Pour apprécier le poids politique réel de Monsieur HIGANIRO, c’est le témoignage de Monsieur Faustin TWAGIRAMUNGU ; c’est lui qui était le premier ministre du gouvernement intérimaire. Il parle de Monsieur HIGANIRO : « Un homme calme », membre de l’Akazu ? « Non, c’est surtout des membres de la famille du  président ». MRND ? « Ce n’était pas un membre important du MRND ». Et je cite sa déclaration : « Je n’ai jamais vu ce monsieur dans aucune réunion et je n’ai jamais entendu dire qu’il était membre du Comité central du MRND ». C’est là que les décisions se prenaient comme chez nous. Particratie. C’est dans les bureaux politiques des partis que les choses se décident. Et là, Monsieur HIGANIRO ne figurait pas.

Je vous ai dit que nous allons examiner les documents qui sont reprochés à Monsieur HIGANIRO. Avant cet examen, je suis désolé de vous imposer cette parenthèse, cette digression, mais nous sommes occupés avec le contexte politique puisque Monsieur l’avocat général vous a dit : « Vous devez resituer ces écrits dans le contexte », dans le contexte on a entendu beaucoup d’autres choses. On a parlé de l’Akazu et de Monsieur HIGANIRO. On a parlé des militaires et de Monsieur HIGANIRO. On a parlé…

[Interruption d’enregistrement]

Me. MONVILLE : …un peu de tout. Un peu de tout. Selon certains témoins, c’est une fois : « Non ». Selon un autre, c’est une fois : « Oui ». Et selon un troisième, c’est : « Ni oui, ni non ». Je crois que la question est mal posée.

La vraie question : c’est de savoir ce que l’on veut prouver en affirmant que Monsieur HIGANIRO était membre de l’Akazu. La réponse est la suivante : on veut démontrer que Monsieur HIGANIRO est en fait, au cœur des rouages de l’Etat rwandais et qu’il participe à la prise de décisions stratégiques, décisions nécessairement secrètes.

Des exemples : ben, le dévoiement de la notion d’autodéfense collective vers la défense, l’autodéfense civile. 2ème exemple : la mise au point du dialectique génocidaire. Il faut convaincre les gens, comment va-t-on faire ?  3ème point : la définition de l’ennemi. Un autre point : mise sur pied d’un média, pour assurer la propagation des idées génocidaires. Et 5ème point : le noyautage des grandes entreprises rwandaises pour financer le génocide.

C’est ça qu’on veut prouver. On dit : « Monsieur HIGANIRO, à chaque fois que des décisions pareilles sont prises, vous êtes dans la confidence ». Et c’est précisément, de ce genre de décision en tout cas, qu’il est certain que Monsieur HIGANIRO était exclu.

Trois témoignages : il y a celui de Monsieur GUICHAOUA, mais je ne reviens pas dessus. Il y a eu celui de Monsieur le témoin 41, ce Hutu modéré qui a demandé à pouvoir s’exprimer pour la première fois et qui est reparti en disant : « Je suis soulagé. Vous m’avez écouté, merci, Monsieur le président ». Il a dit : « Monsieur HIGANIRO, s’il était dans l’Akazu, c’était dans l’orbite, pas dans le noyau dur ». Et Monsieur NSANZUWERA, procureur à Kigali qui n’a pourtant pas dit des choses favorables à Monsieur HIGANIRO, mais il a quand même dû reconnaître que, s’il estimait que le beau-père de Monsieur HIGANIRO était membre de l’Akazu, il dit : « Non, non, il y avait un problème avec sa femme, sa femme avait des problèmes, car c’était une Tutsi ». Est-ce que je peux vous rappeler que Monsieur HIGANIRO a épousé la fille de cette Tutsi.

Alors, une autre évidence : si Monsieur HIGANIRO est au cœur de ce complot, mais pourquoi, à nouveau, doit-il faire des réunions de petit comité à Butare ? Et pourquoi doit-il écrire au président ? Pourquoi ? Ils se voient tout le temps, ils sont en contact pendant des mois, des années. Et il faut réunir 4, 5 personnes à Butare et il faut écrire une jolie lettre au président pour lui dire les choses qu’on a sur le cœur ?

Les relations entre Monsieur HIGANIRO et les militaires.

Alors ça, c’est une nouvelle rengaine du dossier et on nous l’a véritablement rabâchée à coup d’arguments d’autorité, j’entends encore Monsieur l’avocat général vous dire : « Dans le génocide, il y a 3 piliers : - il y en aura un 4ème parce que le dossier des sœurs était joint à celui de Messieurs HIGANIRO et NTEZIMANA - il y a les idéologues, les industriels et les militaires ».

Mais le pôle militaire, il est pas là derrière. Qu’en est-il du pôle militaire ? Les escortes. Qu’a-t-on fait grand cas des escortes ! Beaucoup d’agitation. Tempête dans un verre d’eau. Monsieur HIGANIRO a bénéficié de 2 escortes. Je vais y venir rapidement. Est-ce quelque chose d’exceptionnel ? Mais non, Mesdames, Messieurs les jurés. Deux personnes au moins sont venues déposer devant votre Cour et ont dû signaler également avoir eu recours à l’escorte. Chacun faisait selon les moyens du bord. Monsieur le témoin 109 était à Kigali le 12 avril 1994, il a fait le trajet Kigali-Gitarama grâce à l’escorte qu’il avait obtenue suite à un contact avec l’ancien préfet. Et Monsieur NSANZUWERA, aussi, est venu vous dire dans quelles conditions il a pu, finalement, assurer sa sécurité grâce au fait qu’il ait pu prendre place dans une escorte qu’avait mise sur pied, un militaire qu’il connaissait.

Alors, les escortes de Monsieur HIGANIRO, ben, il y a celle du 7 avril, quand il quitte Butare ; c’est pas son escorte, on l’a dit, hein, au tout début de ce procès. Je me souviens encore de Maître LARDINOIS, prendre le micro en disant  -  je crois que c’est à Madame DESFORGES : « Est-ce que le fait d’avoir une escorte au moment où les événements se sont déclenchés, est-ce que ça avait une signification ? » « Très grande importance », vous dit Madame DESFORGES. « Ca », ce sont des gens importants qui ont une escorte ». Que nenni, hein. C’était pas son escorte. C’était une escorte qui avait été mise sur pied par Monsieur GASINSI pour SINDIKUBWABO, et lui, il est monté dans le train. C’est tout. Ce n’est pas l’escorte de Monsieur HIGANIRO.

Même chose, quand il quitte Kigali pour rejoindre Kigufi, le 12 avril, c’est l’escorte qui est organisée par le colonel BAGOSORA, pour accompagner des proches de sa famille. Et grâce à qui Monsieur HIGANIRO se retrouve-t-il avec ses proches dans cette escorte ? C’est grâce à l’intervention de Madame le témoin 28, elle est venue devant vous, qui est la femme de Monsieur Pasteur le témoin 21 qui, lui-même est le frère de BAGOSORA.

Et voilà. Ne pas dire et ne pas essayer de vous faire croire n’importe quoi. Ces escortes, ça s’est passé pas une fois, deux fois. Ça s’est passé dans toutes les régions du Rwanda, et Monsieur HIGANIRO n’a pas eu d’escorte personnelle.

Les relations avec les militaires. Ah ! on est revenu à la charge souvent, notamment avec Monsieur BAGOSORA. Ben, il le connaît, soit. Mais il n’y a aucun contact, aucun lien. C’est des gens qui ne se fréquentent pas. Monsieur HIGANIRO m’a dit : « Moi, j’ai jamais invité cette personne chez moi. Ni l’inverse ».

Monsieur NIZEYMANA. Monsieur HIGANIRO l’a dit : « Je suis le parrain de son fils ». Il l’a dit devant vous, quand Monsieur le président lui a posé la question. Et alors ? Quelle est la relation avec les événements d’avril 94 ? Où voit-on, dans le dossier, une proximité suspecte ? Un contact entre ces deux personnes ? Si, il y en a un : le 7 avril, tôt au matin, quand Monsieur HIGANIRO va chez le commandant de place, Monsieur le témoin 27, il parle de l’escorte et il rencontre Monsieur NIZEYIMANA. Alors moi, je me demande comment on peut prétendre qu’au moment des faits, ces 3 piliers que je viens de rappeler, eh bien, ils ont travaillé en parfaite symbiose ? Comment peut-on prétendre ça ? Comment peut-on prétendre que NTEZIMANA, NIZEYIMANA et HIGANIRO décident ensemble de quelque chose ? Il y en avait, en tout cas, un, qui n’était pas là : c’était Monsieur HIGANIRO.

La protection de Monsieur HIGANIRO, on en a parlé aussi. Par des militaires, à son domicile. A Butare, sa maison est sous surveillance militaire. Depuis quand ? Depuis novembre 93. Pourquoi ? Ben, la période n’est pas un période du tout calme, hein. La période n’est pas une période du tout calme. Il y avait des massacres, à mon avis, perpétrés par tous les camps, régulièrement. Et, notamment en novembre 93, vous avez, dans la préfecture de Ruhengeri, le massacre de 50 militants MRND. Vous savez également que Monsieur HIGANIRO était quelqu’un qui était mal accueilli depuis le début, à Butare, et il a souhaité obtenir une surveillance militaire ; celle-ci a été obtenue grâce à l’intervention de Monsieur NIZEYIMANA, avec l’accord de son chef de corps, et le préfet est également au courant. Et alors, on ne peut quand même pas dire que c’étaient des militaires, euh… hein, gardes présidentiels qui gardaient son domicile : ce sont des étudiants de l’école militaire, qui se relayaient.

Kigufi ? Ben, il y a les gardes de Monsieur HIGANIRO, garde de jour, garde de nuit. Ca, c’est du privé. Et, à son arrivée, le 12 avril, il est accompagné par 2 militaires : il y en a un qui l’a suivi depuis Butare ; il y en a un autre qui provient de l’escorte de Monsieur, qui a été donnée par Monsieur BAGOSORA, et c’est tout. Et c’est tout. Et alors, on a fait grand cas tout un moment, dans ce procès - et c’est là que je vous dis que les accusations lissent - parce que là, on s’est rendu compte que c’était pas très clair. Monsieur le président a posé à plusieurs témoins, la question de savoir s’il y avait des militaires devant la villa, à Kigufi, est-ce que ces militaires avaient des bérets rouges, des barrettes noires ? Enfin, on a passé en revue tous les galons et tous les signes distinctifs des militaires au Rwanda. Et vous avez eu Monsieur KESAKERA qui était le voisin du dessus, là hein, celui qui va de bon matin, faire trempette dans le lac, et lui, il a dit : « J’ai vu, s’il y avait des militaires devant chez Monsieur HIGANIRO, c’étaient des bérets rouges ». Et ça, c’était le flop. Parce que les bérets rouges, c’est en tout cas pas la garde présidentielle. Ce sont les gendarmes.

Et, un dernier point au niveau des relations avec les militaires, c’est Monsieur NKUYUBWATSI. Maître CUYKENS vous en entretiendra quand elle parlera de la SORWAL.

Question suivante : Qu’en est-il de la proximité de Monsieur HIGANIRO par rapport à certaines personnalités rwandaises ? Alors, je ne vais pas égrainer le chapelet des noms, tous plus effrayants les uns que les autres, qui ont été évoqués. Je vais simplement vous soumettre des réflexions de bon sens.

Toutes les personnes citées proviennent de la même région, de la même partie du pays. Alors, est-il anormal que des personnes qui se sont peut-être croisées, qui ont peut-être grandi ensemble si elles ont le même âge, se connaissent ? Je vous rappellerai que le Rwanda ne connaît que 5 à 10 % de personnes lettrées et ces personnes en font partie. Eh bien, il me semble inévitable qu’ils se connaissent. Mais, est-ce pour autant qu’ils ont des relations plus étroites ? Qu’ils se fréquentent ? Soyons prudents.

Deuxième réflexion : qu’est-ce qu’on juge devant cette Cour d’assises ?

Qu’est-ce qu’on juge ? Ce n’est pas le carnet d’adresses de Monsieur HIGANIRO. Ce sont ses actes, ses écrits éventuels. Il ne suffit pas de dire : « Untel est membre des escadrons de la mort, un autre est chef des renseignements, et un troisième est trafiquant d’armes ». Mais, Mesdames et Messieurs les jurés, à ma connaissance, il n’existe pas, en droit belge, de délit ou de crime de liaisons dangereuses ou de relations douteuses.

Si les parties civiles qui ont consacré beaucoup d’attention sur ce point estiment que ces relations dont elles parlent étaient à ce point compromettantes, mais pourquoi n’en a-t-on pas fait état plus tôt ? Vous avez devant vous des avocats qui ont une connaissance remarquable de la situation du Rwanda, depuis des années. Des avocats qui suivent l’actualité judiciaire au jour le jour. TPIR Rwanda, nous sommes informés. Tous ces points, toutes ces informations, eh bien, ils les ont gardés dans leurs cartons. Mais, ils ne datent pas d’aujourd’hui, ils ne datent pas d’hier. Pourquoi n’a-t-on pas demandé au juge d’instruction d’investiguer ? On le savait. On pouvait le faire. Et, pourquoi n’a-t-on pas communiqué ces informations pendant l’enquête préliminaire ?

Ce qu’on cherche, c’est l’effet de surprise. Je ne veux pas parodier Bourvil, il disait : « L’eau ferrugineuse, oui. L’alcool, non ». Ici, ce serait : « L’effet de surprise, oui. La loyauté, non ». Alors, je crois qu’il est permis de douter des intentions, de la pureté des intentions des uns et des autres, quand on revient avec des informations de ce type. Et, de nouveau, restons concentrés sur le débat : si la volonté est de démontrer l’implication de Monsieur HIGANIRO dans le cours des événements, dans le cours du processus génocidaire, eh bien, c’est un nouveau coup d’épée dans l’eau.

Monsieur HIGANIRO ne fréquentait pas, comme ça a été plaidé, l’intelligentsia du génocide. Deux petits exemples. Il a été dit : « Monsieur HIGANIRO, il recevait fréquemment la famille du président, chez lui ». Non. Il a reçu, à un moment, et qui, rétrospectivement, tombe évidemment bien mal : Pâques 1994 ; c’est un fait isolé, unique ; c’est une fête de famille avec les enfants, les conversations n’étaient pas politiques, il y a des photos qui ont été montrées au dossier, où on voit 3 hommes à table et on dit à Monsieur HIGANIRO : « Ah ! On ne parlait pas politique, regardez ça : Monsieur BOOH-BOOH, le président et vous. Ils ne discutaient pas de politique entre ces trois-là ? ». Eh bien, nous vous produirons d’autres photos, en tout cas, une autre photo, avec un cadre plus large ; c’est une question de zoom, hein, on dirait que, dans ce procès d’assises, il n’y a que des hommes si je prends le 5ème, le 6ème et le 7ème juré, hein, mais, si j’élargis la cadre, je vois Madame le 4ème juré et on ne peut plus dire que c’est vrai ! Et voilà comment on procède avec Monsieur HIGANIRO. Les femmes étaient à table et on n’a pas parlé politique !

Une autre preuve qui est beaucoup plus importante, parce que cette réunion du 3 avril, finalement, c’est l’anecdote. Preuve de l’absence de proximité entre Monsieur HIGANIRO et cette intelligentsia : Monsieur HIGANIRO, il quitte le Rwanda, le 4 juin 1994, seul, personne ne l’accompagne. Où est cette intelligentsia du génocide ? Elle n’est pas avec lui. Pas de mouvement de repli organisé. Je l’ai dit et je le répète : « Monsieur HIGANIRO, c’est un homme seul ».

Je parlais des réunions politiques, entre guillemets, début avril. Permettez-moi d’avancer dans le même mois. Le 5 avril 94. On a beaucoup attribué de réunions à Monsieur HIGANIRO, hein. Monsieur OUMEHOYE, il est venu dire qu’il y avait eu une réunion entre HIGANIRO, sa femme et le recteur de l’UNR, toute la journée, chez un commerçant à Butare, le témoin 23. Et il dit « A mon avis, ça devait être louche car on s’attendait à une attaque des Interahamwe ». Problème : c’est qu’à cette date, Madame HIGANIRO est toujours à Kigufi et Monsieur HIGANIRO lui, il vient à peine de rentrer à Kigali. Alors, méfiez-vous, s’il vous plaît, des personnes qui disent avoir vu Monsieur HIGANIRO, à des réunions ou à des meetings.

Revenons encore parce que c’est… c’est délicieux, cet épisode. L’épisode du 6 avril 1994 : cette réunion, tard dans la nuit, entre NIZEYIMANA, HIGANIRO et NTEZIMANA.

Je le répète : on vient d’apprendre la mort du président, du beau-père de HIGANIRO. Et c’est important parce que, dans le dossier, si on suit la déclaration de Monsieur NKUYUBWATSI, c’est pour une fois, la seule  réunion des 3 piliers : ça va chauffer. Et, Maître GILLET vous le dit : « Mais, c’était la catastrophe, c’était, a-t-il dit, le cataclysme ». Alors, à quoi est-ce qu’on peut s’attendre ? Ben, on peut s’attendre à ce qu’il y ait une éruption de violence hein, on va avoir des propos musclés. Monsieur HIGANIRO vient d’apprendre le décès de ces 2 personnes. Il n’est pas amorphe, hein. HIGANIRO, il a déjà tout perdu à ce moment-là, si on s’inscrit dans la logique de nos contradicteurs. HIGANIRO, il vient aussi d’apprendre du capitaine KAREBA ou KABERA : « A Kigali, nous, on a déjà commencé, hein ». A bon entendeur, salut. Alors, on s’attend à ce que Monsieur HIGANIRO, qui est le seul qui est dans le secret des dieux, hein, - NIZEYIMANA et NTEZIMANA ne peuvent pas être au courant ­ alors, on s’attend à ce qu’il dévoile aux autres, les secrets du plan machiavélique du génocide. Plan auquel, depuis longue date, il est associé. Mais, n’oublions pas, ça a été dit et redit : « Tout est prêt. Il ne manque plus qu’une étincelle. L’étincelle vient d’avoir lieu ». Alors, ça a dû ressembler à quoi cette conversation ? Mais Monsieur NKUYUBWATSI, il est en deçà de la réalité. Voilà ce qui a dû se dire :

HIGANIRO : « Vincent, sors la liste que nous avons confectionnée, tu sais, là, ces braves étudiants à qui nous avons… que nous avons si gentiment embrigadés. C’était quoi encore, ton association ? ADSK. T’as ta liste ? Ildephonse, fonce. Téléphone à mes lieutenants à la SORWAL. J’en ai quoi, 30, 40, 50 sous la main. Ils peuvent déjà agir. Et, et par quoi commençons-nous ? On a des listes ? Hein ! Toi, tu veux le professeur KARENZI ? Pourquoi pas. Où installons-nous les barrières ? ».

Ça, il devait dire, Monsieur HIGANIRO. Tout était prêt. Il savait ce qui se passait à Kigali. La répétition générale, elle avait déjà eu lieu. Et, à la place de ça, vous devez croire que Monsieur HIGANIRO réagit tout   penaud : « Et nous, qu’est-ce que nous faisons avec ces Tutsi ? Il faut trouver une solution ». Ça, hein, c’est le discours Télétubbies. C’est comme ça. Arrêtons le grotesque ! Arrêtons le grotesque ! Cette réunion, c’est pure invention de Monsieur NKUYUBWATSI !

Et je ne parle pas des rumeurs, hein, Mesdames et Messieurs les jurés ! La rumeur et Monsieur HIGANIRO : on pourrait écrire un bouquin. Deux témoins sont venus vous dire des choses qui doivent vous faire réfléchir et qui vous donnent une idée du phénomène, de l’ampleur. le témoin : « HIGANIRO avait la réputation de licencier des gens à la SORWAL et de les remplacer par des gens de la CDR ». Clac. Monsieur le président : « Est-ce une constatation personnelle ? ».« Mais non, c’est la rumeur - il ajoute - il n’y a pas de fumée sans feu ». Ben, voilà. Monsieur le témoin 125, ils sont venus dans la foulée, ces deux-là. Il déclare : « Quand, à Butare, il y avait des troubles, on rendait les gens du Nord responsables : le frère du président et Monsieur HIGANIRO. Réflexion du témoin : « On ne prête qu’aux riches, la rumeur doit être fondée ». Mais voilà. CQFD.

Dernier point, quant au personnage de Monsieur HIGANIRO. HIGANIRO et la RTLM.

Alors moi, je vous invite à repartir de l’acte d’accusation. C’est une mine de renseignements extraordinaire. Prenez la page 28 de l’acte d’accusation, pour laquelle Monsieur l’avocat général connaît son dossier, il a tout lu. Il fait une synthèse. Que lit-on à la page 28 ? « Enfin, HIGANIRO a dû reconnaître qu’il était membre du Conseil d’administration de RTLM - radio des génocidaires, et qu’il avait effectué un versement de 100.000 francs rwandais en faveur de cette radio, le 13 juillet 93 ». Ah bon ? Ah bon ?

Dans le réquisitoire, on devient plus prudent, hein. On laisse tomber le mandat d’administrateur, mais on vous parle du versement ; et c’est encore inexact : c’est le prix de souscription de parts. C’est pas la même chose. Si je verse 100.000 francs à une association, ou si je souscris des parts, c’est pas la même chose. Mais, en tout cas, on sait que, Dieu merci, maintenant Monsieur HIGANIRO n’est plus considéré, ni comme le fondateur, ni comme un membre du Conseil d’administration de RTLM : c’est un actionnaire parmi tant d’autres.

Attendez hein ! On va pas s’en sortir à si bon compte et on va transformer le reproche, et Maître GILLET est adroit. Maître GILLET est adroit. Il fait référence à un témoin du TPIR, témoin qui est venu dire - vous voyez quand je vous dis qu’on suit l’actualité, on suit tout -, ce témoin est venu dire au TPIR : « Moi, je crois ce que dit Maître GILLET, aucune raison de mettre sa parole en doute ». J’espère qu’il fera de même en ce qui me concerne. Mais il a dit : « Il y a un témoin qui, lui, est venu dire qu’il avait refusé de souscrire 2 parts, après s’être informé. Mais, Monsieur HIGANIRO, pourquoi vous n’avez pas fait ça ? »

Et voilà. On s’érige en censeur éthique du comportement de Monsieur HIGANIRO : voilà ce que vous auriez dû faire. Toujours très facile, ex post, après les faits, de venir dire ce qu’on aurait dû faire avant. Et on vient même dire : « Mais, Monsieur HIGANIRO, pourquoi vous n’avez pas revendu vos parts ? Pourquoi ? Moi, je reste avec cette question-là ».

Mais moi, je vais aller plus loin, Mesdames et Messieurs les jurés. Je peux vous garantir que si Monsieur HIGANIRO avait revendu ses parts, on serait venu vous dire : « Mais vous voyez, il avait des parts, il se rend compte que ça va pas, il les revend, il savait donc que cette radio était infâme, infamante et il n’a même rien fait pour l’empêcher d’émettre ». Accusation caméléon. On change à chaque fois de couleur et c’est pas Monsieur HIGANIRO qui s’adapte, il répond. Alors moi, je vous demande de considérer cette participation, comme toute participation, quand vous achetez des actions d’une société : c’est un acte dépourvu de signification, dépourvu d’intérêt, c’est un acte purement économique. Gestion de son patrimoine privé.

J’en ai terminé avec la situation politique de Monsieur HIGANIRO. Je ne sais pas si vous souhaitez que je continue. J’en ai encore pour plus de temps que prévu, mais la matière est abondante, Monsieur le président. Moi, je peux tout terminer d’une foulée parce que l’après-midi sera consacré à d’autres débats.

Le Président : Il est 13h25. Vous en avez pour combien de temps, encore maintenant, dans cette partie-là ?

Me. MONVILLE : Pour moi, une bonne demi-heure. Moi, je veux bien plaider jusque 14 heures, ça ne me dérange pas.

Le Président : Maître CUYKENS ? Vous avez deux interventions, Maître CUYKENS ?

Me. CUYKENS : Oui, mais la deuxième sera extrêmement réduite.

Le Président : Mais, Maître CUYKENS, donc, vous en avez encore pour une demi-heure, Maître CUYKENS vous en avez pour…

Me. CUYKENS : 1h º , 1h ý quand même.

Le Président : Pour vos deux interventions ?

Me. MONVILLE : Non, moi, il faudra encore 45 minutes cet après-midi.

Me. CUYKENS : C’est-à-dire qu’on avait compté, effectivement, 3 heures sur l’après-midi, à deux, mais là, on est un peu décalé, donc voilà.

Le Président : Oui, mais ça, peu importe. Si c’est 3 heures, à deux, que ce soit dans l’après-midi ou dans la soirée, peu importe, hein. Ça reste toujours trois heures.

Me. MONVILLE : Monsieur le président, ce qu’il y a, c’est que l’heure tardive ? Ce que je dois… ce dont je dois parler maintenant est extrêmement technique et je me demande s’il ne serait pas préférable qu’on fasse une pause maintenant.

Le Président : Mais je suis bien d’accord qu’on fasse la pause maintenant.

Me. MONVILLE : Ah, excusez-moi.

Le Président : Le problème est de savoir, pour l’ensemble de ce qu’il vous reste comme intervention, l’ensemble, hein, pas seulement…

Me. CUYKENS : 3h ý, je pense.

Le Président : 3h ý. Pour le tout ? Pour tout ce qu’il reste à dire ?

Me. CUYKENS : Oui.

Le Président : Bien. Bon, il est une heure et demie. Presque une heure et demie. Nous allons suspendre maintenant. On reprendra à 14h30. Faites le compte : 14h30, plus 3h30, plus au moins º d’heures de suspension, vous voyez à peu près quelle est l’heure à laquelle ça pourrait se terminer aujourd’hui. Donc, l’audience est suspendue. Elle reprendra à 14h30.

[Suspension d’audience]

Le Président : L’audience est reprise, vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Maître MONVILLE, vous avez la parole pour la suite de votre plaidoirie.

Me. MONVILLE : Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames, Messieurs les jurés, nous allons reprendre le cours de cet exposé, là où nous l’avions laissé avant la pause de ce midi. Je suis toujours occupé avec le premier volet des accusations portées contre Monsieur HIGANIRO : les écrits, écrits à caractère politique et, comme il y avait politique, eh bien, on a d’abord discuté de politique, le profil politique de Monsieur HIGANIRO, et de la place qu’on a souhaité lui voir jouer dans la société rwandaise.

J’ai évoqué plusieurs thèmes, vous vous en souviendrez : HIGANIRO et l’Akazu, les militaires, la RTLM. Il est maintenant temps de recentrer le débat sur mon propos initial, c’est-à-dire, l’analyse des documents attribués à Monsieur HIGANIRO. Quoique. Quoique.

Avant de ce faire, je voudrais vous convaincre que vous avez sous les yeux, en tout cas, au dossier répressif, tous, exactement tous les écrits compromettants qu’on ait pu retrouver au Rwanda contre Monsieur HIGANIRO. Et vous allez constater qu’on s’est donné un mal de gueux pour y arriver. Jugez-en !

Toujours repartir de l’acte d’accusation.

Page 20. Que lit-on sous le petit a) ?

Proposition, provocation et ordre de commettre des crimes, c’est de ça qu’on parle. « 4 documents seront retrouvés, lors de la commission rogatoire, dans les locaux de la SORWAL, se situant à des époques différentes, mais tous cadrant dans un scénario génocidaire ».

C’est bien de ça qu’on a parlé, hein ? Monsieur HIGANIRO et le scénario génocidaire. Le texte complet de trois de ces documents est repris dans l’acte d’accusation. Malheureusement, c’est inexact. Cette phrase est inexacte et vous allez le constater avec moi : l’exportation de documents photocopiés - parce que, curieusement, on n’a retrouvé aucun original - l’exportation de documents photocopiés, disais-je, a été érigée au Rwanda, en un véritable sport national. Permettez-moi de vous en décrire les filières.

Qu’a-t-on retrouvé à la SORWAL ? Je sais pas si vous vous rappellerez l’audition de Monsieur le témoin 22. Qui est ce Monsieur le témoin 22 ? C’est le directeur général qui a succédé à Monsieur HIGANIRO, et ce Monsieur le témoin 22, il a été très embêté quand il est venu déposer devant vous. Très embêté, pourquoi ? Parce que nous lui avons posé des questions sur les documents qu’il aurait retrouvés, tant à la SORWAL, ça, ça peut se comprendre hein, il arrive là-bas, le nouveau gouvernement lui dit : « Ben, cette usine d’allumettes, elle doit fonctionner », il regarde dans les bureaux, dans les tiroirs, dans les armoires, ça ne pose pas de problèmes.

Mais ce Monsieur le témoin 22 est allé également au domicile de Monsieur HIGANIRO à Butare, à Mbuye. Et vous vous souviendrez de sa réponse extrêmement confuse, notamment quant à savoir la date à laquelle il avait été fouiller l’immeuble de Monsieur HIGANIRO ; et devant son embarras, la défense lui a posé une question : « Mais, Monsieur - via Monsieur le président, évidemment - avez-vous, oui ou non, rendu visite, visité la maison de Monsieur HIGANIRO, avant ou après le 8 juin 1995 ». Et sa réponse : « Ca, certainement pas, c’était bien plus tard. »

Problème, c’est que ce monsieur le témoin 22 - le 8 juin 1995, c’est la commission rogatoire, la 2ème au Rwanda - il a remis des documents, ils sont pratiquement tous ici, il a remis un sérieux paquet de documents aux enquêteurs et, notamment, des documents qu’il avait retrouvés, dit-il, au domicile de Monsieur HIGANIRO. Dans sa déposition, il dit : « Je vous autorise à consulter les dossiers d’HIGANIRO que j’ai retrouvés chez lui, à son habitation à Buye, et que j’ai ramenés ici. »

Réponse d’une extrême confusion, disais-je, parce que Monsieur le témoin 22 ne s’est pas contenté de recevoir chaleureusement les enquêteurs ; mais il a remis certains documents qu’il avait retrouvés, à une personne et cette personne, c’était un abbé Célestin - l’enquête n’a pas permis de l’identifier plus avant, et Monsieur le témoin 22, quand on lui dit : « Mais, avez-vous transmis ces documents à quelqu’un ? », il hésite, et il dit : « Oui, oui, ça doit être à Human Rights ».

De nouveau, c’est contredit par les éléments du dossier, par sa propre déclaration. Alors, il communique des éléments aux enquêteurs, soit, tous les documents qu’il a retrouvés. Tous, mais surtout, tous ceux à charge de Monsieur HIGANIRO. Ah, on n’a pas pu mettre la main sur la lettre rapport de Monsieur le témoin 21, à laquelle Monsieur HIGANIRO a répondu. On n’a pas pu mettre la main sur les documents comptables, les bilans, par exemple. On n’a même pas pu mettre la main sur les procès-verbaux du Conseil d’administration. C’est donc un véritable miracle que nous ayons obtenu certains documents comptables, tout en fin de parcours, en mai 2001, documents comptables malheureusement incomplets, hein. Maître CUYKENS reviendra sur ce point.

Que communique-t-il aux enquêteurs ? Il communique une copie de la lettre du 23 mai, les rapports du petit comité, l’agenda de Monsieur HIGANIRO en 91 et 93, et également le PV de la réunion du 21 novembre 93 qui a institué le comité des fonctionnaires de la ville de Butare ­ donc, c’était la réunion où on a décidé de former ces petits comités et, par ailleurs, de former un comité directeur. Ah oui ! ben, il manque au moins un document : 4 documents seront retrouvés dans les locaux de la SORWAL, mais, qu’en est-il de la lettre du 16 janvier 93 ? La lettre du 16 janvier 93, adressée par Monsieur HIGANIRO à Monsieur le témoin 32, n’a pas été retrouvée à la SORWAL. Première filière.

Deuxième filière, et là, nous allons suivre la chronologie du dossier. Le 5 avril 1995, le 5 avril 1995, on est au tout début de l’instruction et, à cette date, vous avez au dossier, une lettre adressée par Monsieur TOCH au juge d’instruction. Le commissaire principal TOCH écrit à Monsieur le juge d’instruction. Qu’est-ce qu’il dit ? « J’étais en mission au Rwanda ». Ca n’a rien à voir avec le dossier dont question. « Mais pendant un séjour, j’ai rencontré sœur Marie- Juvénal ».

Bon, sœur Marie Juvénal, je vais vous la resituer : c’est une sœur qui travaille au couvent bénébikira, qui a accueilli les enfants KARENZI. Donc, il a rencontré sœur Marie-Juvénal qui lui a remis trois documents à transmettre - c’est un enquêteur, hein, il connaît la hiérarchie judiciaire, mais à transmettre à l’attention de Monsieur GASANA Ndoba. Tiens donc !

Quels sont ces 3 documents ? Eh bien, il y a le rapport d’Yvette, on en a déjà beaucoup parlé. Ben ça, ça ne pose pas de problème, hein : Yvette, elle l’a hébergée, et elle dit même, sœur Marie-Juvénal que, vu le traumatisme et les événements qu’elle avait vécus, elle lui avait conseillé de dresser le relevé de ce qui s’était passé.

Plus curieux, ce sont les 2 autres documents, signés Alphonse HIGANIRO, nous dit Marie-Juvénal, et qu’elle a reçus de l’abbé Caritas, à Butare. Mais, comment a-t-elle pris connaissance de ces documents ? Eh bien, elle va rendre visite à l’abbé Caritas, à Butare : « Bonjour l’abbé, qu’est-ce que vous faites ? » « Ah ! Je suis en train de parcourir des documents. Je peux voir ? » « Ben oui, je vous en prie ». « Ah, Alphonse HIGANIRO ! Je peux en avoir, je peux les prendre ? ». Très bien, et on lui remet 2 documents, à savoir une copie de la lettre du 23 mai et le rapport, non daté et non signé, du petit comité, c’est-à-dire, le premier rapport. Pas le second.

Ce n’est pas tout. D’autres bienfaiteurs se sont également occupés de Monsieur HIGANIRO. Commission rogatoire n°2, 21 juin 95. Je vous rappelle qu’on est allé le 8 juin, à la SORWAL. Le 21 juin 95, une dame Gloriose UWIMPUHWE. Que fait-elle ? Elle remet des documents qui ont été retrouvés par sa sœur. Où ça ? Dans la maison de Monsieur HIGANIRO à Butare - carton 10, pièces, sous farde 34, pièce 40. Alors, qu’est-ce qu’elle va remettre, on pourrait se dire : « Tiens, il y a peut-être des choses plus intéressantes, à charge et à décharge ». Bien entendu : non. Ce qu’on va retrouver, ce sont des documents à charge.

Et, je crois qu’il est intéressant, non seulement de s’intéresser aux annexes - je vais vous les énumérer mais surtout de relire le texte du PV dressé en présence de Monsieur VANDERMEERSCH qui vous a dit avec quelle minutie il rapportait les propos des personnes qu’il voyait devant lui : « Exposons avoir rencontré à Kigali, Madame UWIMPUHWE qui nous a communiqué avoir reçu de sa sœur, une série de documents retrouvés dans la maison d’HIGANIRO Alphonse. Elle nous remet copie de ces documents que nous annexons au présent procès-verbal. L’intéressée nous a fait savoir qu’elle avait le souvenir qu’il y avait encore d’autres documents et qu’elle allait faire des recherches à ce sujet ». Ca, c’est extraordinaire, hein ! Sa sœur lui remet des documents, mais elle, elle a le souvenir qu’il y a encore d’autres recherches à faire, on n’a pas été plus loin, on a pris tout ça pour argent comptant.

Que trouve-t-on dans les annexes ? On trouve une invitation, signée par Monsieur HIGANIRO ­ enfin, ce n’est pas signé, c’est une lettre sans signature plutôt - adressée à Monsieur HABYARMIANA, pour le 10ème anniversaire de mariage du couple HIGANIRO. Monsieur HIGANIRO vous a dit : « C’est un faire-part ». On ne sait jamais, ça peut servir, ça démontre encore une relation entre Monsieur HIGANIRO et Monsieur le témoin 32. On retrouve le procès-verbal de la réunion de constitution de l’ADSK. Des réunions donc, il y en a eu deux, pendant les mois d’octobre et novembre 1993. On retrouve la fameuse lettre du 16 janvier 93, la lettre adressée au président.

On retrouve un arrêté de détachement de fonctionnaire, arrêté de détachement de l’agent de première catégorie, Monsieur HIGANIRO, lorsqu’il a été nommé à la SORWAL et - on n’est pas à une confusion près, on vous a dit : « Il a été nommé par décret présidentiel », Monsieur HIGANIRO vous a dit : « Mais non, j’ai dû être détaché, je suis fonctionnaire, je devais avoir l’autorisation de ne plus exercer comme fonctionnaire ». C’est la pièce que nous retrouvons dans le dossier.

Et alors, on retrouve également un PV relatant un incident entre deux domestiques de Monsieur HIGANIRO ; c’est un petit résumé, une conversation à 3 : Monsieur HIGANIRO, il y a eu un problème entre ses 2 domestiques et il les interroge l’un et l’autre. Ça n’a rien à voir avec le dossier, mais sachez qu’il s’agit d’une sombre histoire de bouteille de whisky qui était vidée et qui était ensuite remplie avec de l’acide. Et, c’est intéressant pourquoi, Mesdames et Messieurs les jurés ? Parce que ça démontre que l’on a ratissé large ; on a examiné, on a vraiment examiné tous les documents qui étaient présents dans la maison de Monsieur HIGANIRO, à Butare. Et je vous rappelle que Monsieur HIGANIRO est toujours un homme… a toujours été un homme sûr de son impunité, hein. On ne poursuit pas des gens qui tuent des Tutsi au Rwanda, on les félicite. Et vous voyez, après cette recherche, après ce tri minutieux, on en est réduit à s’intéresser à des querelles de domestiques et on se dit : « Peut-être, il y a quelque chose qui intéresserait quelqu’un : ça parle de tentative d’empoisonnement ».

Et ce n’est pas tout. Première filière : la SORWAL ; 2ème filière : sœur Marie-Juvénal avec l’abbé Caritas ; 3ème filière : Madame Gloriose. Ça devait pas encore être assez, hein. Parce que, quand on retourne, en septembre 95, pour la 3ème fois au Rwanda, Monsieur VANDERMEERSCH qui s’entoure toujours des mêmes garanties, il va rencontrer une Madame MUNGENI.

Madame MUGENI, il la rencontre cette fois, à l’UNR, donc, c’est l’université où Monsieur NTEZIMANA travaillait. Et elle lui dit : « Je vous remets un document que j’ai trouvé dans la maison de Monsieur HIGANIRO ». Extraordinaire. C’est carton 19, farde 20, pièce 42. Et là, qu’est-ce qu’on retrouve ? Qu’est-ce qu’on met entre les mains des enquêteurs ? C’est le 1er rapport du petit comité.

Quelles conclusions en tirer ? Toutes ces personnes se sont rendues au domicile de Monsieur HIGANIRO. Monsieur le témoin 22 l’a dit, il a même dit à la fin de son audition : « Oui, mais je faisais des enquêtes ». On ne sait pas bien quoi. La sœur, Madame UWIMPUHWE, Gloriose, la sœur de Gloriose, Madame MUGENI. Mais qu’allaient-ils y faire ? Sœur Marie-Juvénal n’y est pas allée, mais quelqu’un d’autre probablement. Tous ont emporté des documents. Peut-être pas, parce que s’ils emportent tous des documents, alors, il n’y en a plus pour le suivant. Tous n’ont fait parvenir aux enquêteurs que des photocopies, et nous avons 3 fois le même document, notamment le rapport n°1 du Comité des fonctionnaires de Butare : le témoin 22, sœur Marie-Juvénal et MUGENI.

Alors, même si cela n’affecte pas l’authenticité de ces pièces, et vous vous souviendrez que Monsieur le président avait posé la question à Monsieur HIGANIRO après l’audition de Monsieur le témoin 22 : « Monsieur HIGANIRO, est-ce que vous avez rédigé la lettre du 23 mai ? » « Oui ». « Est-ce qu’il y a eu 1 et 2 rapports à Butare, du comité des fonctionnaires ? » « Oui ». Soit. Mais cela démontre quand même un zèle, une volonté de faire converger vers Bruxelles, toutes les pièces à charge de Monsieur HIGANIRO, quitte à prendre les enquêteurs pour des girouettes.

Et alors, Monsieur le juge d’instruction qui vérifie la fiabilité de ses sources, qui avance à pas de loup, il nous a dit : « Dormez tranquilles, il y a rien qui a pu arriver, on n’a pas pu essayer de me manipuler ». Enfin, je suis quand même étonné, moi. On reçoit des pièces par 4 canaux différents. 4 fois, on va dans la même maison. 4 fois, on amène des photocopies. Tout va bien. « Dormez tranquilles, Mesdames et messieurs les jurés. J’ai tout vérifié. J’ai pas pu être manipulé. On ne peut pas me la faire, à moi ».

Nous, on vous avait mis en garde, on vous avait mis en garde, Mesdames et Messieurs les jurés. Les personnes qui ont effectué des recherches au Rwanda, les personnes qui ont fouillé le domicile de Monsieur HIGANIRO, n’étaient certainement pas animées des meilleures intentions et je crois qu’en voilà la démonstration. Ce sont des choses que nous avons dû relire, des recoupements que nous avons dû faire. Ce dossier est gigantesque, mais comment pouvez-vous expliquer autrement qu’il ait fallu au minimum, peut-être qu’il y en a encore d’autres, mais au minimum 4 personnes qui se mettent ensemble, qui travaillent dans une même direction pour faire affluer à Bruxelles, des pièces à charge de Monsieur HIGANIRO ?

Et alors, malgré cette bonne volonté, malgré cet enthousiasme, hein, on y est allé, eh bien, ce résultat, je l’ai dit tout à l’heure, il est quand même décevant. « 4 malheureux documents - vous dit l’avocat général - à charge de Monsieur HIGANIRO ». Moi, je dis : « Il y en a 5, voire 6 ». Je les énumère : il y a l’agenda de 91 ; il y a la pétition de janvier 94 - on en a parlé - contre Monsieur TWAGIRAMUNGU ; il y a la lettre du 16 janvier 93 ; il y a les rapports 1 et 2, du petit comité - permettez-moi de les traiter simultanément - et il y a enfin la lettre du 23 mai 1994, que je ne commenterai pas, Maître CUYKENS s’en chargera. Il est évident que cet écrit n’a rien à voir avec, entre guillemets, le volet politique, ça a à voir avec la gestion de la SORWAL.

Examen du contenu de ces documents.

L’agenda de 1991.

Trois passages doivent retenir votre attention.                           

Premièrement : l’élimination du président de la Cour constitutionnelle.

On vous a dit : « Regardez comme tout ça est cohérent. En 91, Monsieur HIGANIRO écrit : En tout cas, éliminer KAVA - c’est le diminutif du nom du président de la Cour constitutionnelle - tout court ». Et qu’est-ce qui s’est passé, le 7 avril 1994, Monsieur KAVA est assassiné et on ajoute : « C’était le capitaine qui avait eu en ligne Monsieur HIGANIRO la veille qui a exécuté cette mission ». Mais il faudrait peut-être tout lire, hein. Il faudrait peut-être tout lire. Et, qu’est-ce qu’on lit dans l’agenda ?         « En tout cas, éliminer KAVA de la cour constitutionnelle, il y a blocage, d’où que l’on examine la situation ». Et Monsieur HIGANIRO vous a dit : « Ce petit passage, ça n’a rien à voir avec un plan génocidaire. Il y a un budget, c’est comme ça qu’on fait fonctionner un état, on fait voter au gouvernement un budget, il y a des lignes de crédit, après, on peut les affecter aux ressources qui sont prévues. Eh bien, il y avait un blocage et on voulait sortir de ce blocage institutionnel ».

Deuxième passage. Le passage sur RUKOKOMA. Alors, RUKOKOMA, c’est quoi ? Ah ! On a dit : « C’est Monsieur TWAGIRAMUNGU, c’était son surnom ». RUKOKOMA doit préoccuper au plus haut point. Ah ! Ben, oui, hein ! Monsieur HIGANIRO, ben, vous lui réservez le même sort, hein. C’est ça, votre liste à vous, peut-être. Il fallait éliminer aussi TWAGIRAMUNGU ». Mais il faut lire tout le texte. C’est quand même pas très difficile de lire un texte jusqu’au bout. « RUKOKOMA doit préoccuper au plus haut point. Répondre aux arguments de l’opposition, arguments terre à terre et arguments scientifiques ». Alors là, on ne comprend plus, hein, on ne comprend plus bien. Monsieur le 6ème juré, il fronce les sourcils. Moi aussi, comme vous. Mais c’est pas de Monsieur TWAGIRAMUNGU qu’on parle : c’est de la conférence nationale. On lui a donné le surnom après, parce qu’il s’y est identifié. Mais, c’est dans une conférence. On débat. Il y a des arguments. On répond aux arguments.

Troisième passage : l’engagement des 30 Hutu au parquet de Kigali. Alors là, Monsieur le procureur général, il s’est appesanti sur ce point. Et il aurait peut-être dû de nouveau vous donner la lecture complète du texte, de la phrase. « Fonctionnement de l’appareil judiciaire vis-à-vis des délits de presse - et là, on lit un mot en Kinyarwanda - parquet 30 personnes Bahutu ». Donc, il faut engager 30 personnes, des Hutu. Mais c’est pas 30 personnes, dans n’importe quel contexte. C’est bien le fonctionnement de l’appareil judiciaire vis-à-vis des délits de presse. Et, quel est ce           contexte ? Il y avait une nouvelle loi qui devait certainement réprimer plus sévèrement les délits de presse. Monsieur HIGANIRO a dit : « Ben voilà, si on doit engager des personnes, engageons des Hutu ». Il faut recruter et ça se comprend hein, ça semblait bien nécessaire avec des revues telles que « Kangura », le délit de presse, là-bas, c’était peut-être quelque chose qui retenait l’attention.

Voilà l’agenda. Quand on lit les mentions qui y figurent, je crois qu’on peut avoir une toute autre opinion que celle qui vous a été relayée par l’accusation.

Deuxième document : c’est la pétition du 14 janvier 1994.

Vous vous souviendrez qu’elle a été signée tant par Monsieur HIGANIRO que par Monsieur NTEZIMANA. Madame le témoin 143 est venue vous dire : « Mais cette pétition, c’est une réaction par rapport au programme de Monsieur TWAGIRAMUNGU et même des Tutsi l’ont signée ». Eh bien oui, on lit que : « Monsieur TWAGIRAMUNGU défend ses intérêts personnels, il se permet de se substituer aux partis politiques et on demande au peuple rwandais de se lever comme un seul homme pour combattre ce Monsieur TWAGIRAMUNGU ». Mais vous allez tout de suite comprendre, hein, vous allez comprendre pourquoi Monsieur TWAGIRAMUNGU cristallise de telles opinions ?

Mais je voudrais faire une observation : n’avez-vous pas souvenir du nom de certains politiciens qui ont pu, dans notre histoire à nous, dans notre histoire récente, déchaîner les passions, voire même les haines. Chez nous. Souvenez-vous, début des années 80, et même plus tard dans les années 80 : le carrousel fouronnais. Voulez-vous relire les articles parus dans la presse, plutôt néerlandophone, au sujet de Monsieur HAPPART ? Vous rappelez-vous que Monsieur HAPPART n’était plus jamais désigné que par la première lettre de son nom ? Monsieur H. On ne savait même plus écrire le nom de Monsieur HAPPART dans la presse flamande, durant les années 80. Alors, s’il vous plaît, soyons humbles : ce sont des choses qui arrivent dans toute démocratie.

Troisième document : la lettre du 16 janvier 93.

ça, c’est un écrit purement privé mais c’est sans conséquence, en ce qui vous concerne, en ce qui concerne les questions qui vous seront posées, puisqu’elle est antérieure à la date d’entrée en vigueur de la loi du 16 juin 93. Quel est le reproche ? Quel est le reproche ? Monsieur HIGANIRO se sent obligé de dire tout haut au président, ce qu’il complote tout bas. Avec qui ? Avec le même président, ses amis et ses intimes. Et l’avertissement, excusez-moi de schématiser, il est le suivant : « Juvénal, fais attention. Si tu acceptes n’importe quoi, à Arusha, et si tu laisses voir le jour à ce gouvernement de transition, c’est le dérapage naturellement contrôlé garanti ».

Observation : Nous sommes en janvier 1993. Les accords d’Arusha sont signés le 4 août de la même année ; nous sommes donc 8 mois avant les accords et 15 mois avant le début du génocide : avril 94. HIGANIRO annonce donc au président ce qui va arriver, ce que d’aucun ont appelé ici : « L’apocalypse ». Il a, Monsieur HIGANIRO, un don de voyance mais extraordinaire, parce que de cette lettre, cette lettre du 16 janvier 93, on doit nécessairement conclure qu’à cette date, au 16 janvier 93, tout est pris. Ah oui ! On ne peut pas dire : « Dérapage naturellement contrôlé » ou alors c’est un fanfaron, il fait de l’esbroufe. Puis-je vous rappeler qu’à Butare, terrain d’action - je l’ai déjà dit - attribué à Monsieur HIGANIRO, là où il devait faire régner terreur et désolation, il n’y aura aucun massacre avant le discours du 19 avril 1994. Où est le lien ? Je le cherche toujours.

Explication de Monsieur HIGANIRO quant à la raison d’être de cette lettre. Il a dit : « Les accords n’étaient pas définitifs et j’avais le droit d’exprimer mon opinion à celui qui est le guide de la nation, celui vis-à-vis duquel j’entretenais, nonobstant sa fonction, une relation privilégiée, toujours faite de déférence », il a parlé de la différence d’âge et du fait que c’était pas une amitié euh… copain-cochon, non, c’était tout à fait différent.

Réponse de nos détracteurs : « Ah ! Mais c’est pas crédible ça, c’est un prétexte, Monsieur HIGANIRO ». « Vous adressez au président, un message codé ». Ca, ça va revenir aussi. Eh bien, je vous demande pourquoi c’est pas crédible ? Pourquoi la déclaration de Monsieur HIGANIRO n’est pas crédible ? Et je vais vous demander de faire à nouveau œuvre d’humilité.

N’aurions-nous pas intérêt à, d’abord, balayer devant notre porte. Et ne risquons-nous pas, à accréditer l’idée des parties civiles notamment, de tomber dans une certaine facilité, un certain simplisme, voire une caricature ? Et, de quel droit pouvons-nous donner à autrui, des leçons, nous qui donnons le mauvais exemple ? Et, si vous en voulez, je n’ai que l’embarras du choix.

La politique, qu’elle soit intérieure, politique belge, qu’elle soit européenne, qu’elle soit africaine, elle est souvent faite de compromis, de compromissions, d’accords boiteux, de marchandages laborieux. Arusha est certainement une bonne illustration. On force. Le FMI, ça a été dit : « Vous voulez des crédits ? Il nous faut de la démocratie ». On force des ennemis à s’asseoir autour d’une table, à trouver un accord, et même si on sait que les personnes qui négocient n’ont pas les mêmes concepts, ni les mêmes idées à l’esprit. Au niveau européen : le sommet de Cannes, l’année dernière. L’élargissement de l’Europe à 27 ou à 30. Marchandage dans un état de crispation des états nationaux : je veux trois sièges, t’en veux 4, je t’en donne 6 : c’est ça, la politique. Au niveau belge. Ah ben, nous sommes dans l’actualité : les accords de la Saint-Polycarpe, du Lambermont, ça vous dit quelque chose ? Réforme de l’état, la dernière en date. Accord signé par les partis gouvernementaux et un peu plus, il y a déjà des mois. Ces accords suscitent pourtant commentaires, réactions controverses, à un point tel - et je dois modifier ma plaidoirie sur ce point  - que ces accords, tout définitifs qu’ils soient, doivent être et vont être renégociés. Voilà.

Donc, quand Monsieur HIGANIRO lui dit : « Ben, il y a des négociations, il n’y a pas d’accord définitif ». Monsieur HIGANIRO, c’est un prétexte, hein, c’est un prétexte. Que faisons-nous ? Exactement la même chose. Mais plus fondamentalement, ne croyez-vous pas, Mesdames et Messieurs les jurés, que lorsqu’un débat politique tourne autour d’enjeux essentiels, ce débat justifie l’emploi d’un vocabulaire, d’un langage d’affrontement de l’opposition, et la tenue de propos musclés, voire virulents ?

Alors, on va pas faire une revue de presse, hein. On pourrait, en ce qui concerne ces accords du Lambermont. Mais je vais vous demander l’attention, une seconde, concernant un discours qui a été tenu au congrès du FDF, Front Démocratique des Francophones, ce 17 février. Maître GILLET sourit mais c’est un parti démocratique, c’est un parti qui représente une certaine sensibilité de la population. Eh bien, vous allez voir ce qu’un responsable de ce parti, écrit.

Note d’orientation sur l’axe francophone. C’est un discours qui était public.

« Alors que la détermination de la Flandre d’accéder à son indépendance, à l’intérieur de la Belgique, s’il se peut, n’a jamais été aussi clairement affichée,  la résistance francophone elle, semble fléchir. Les hommes politiques francophones sont mangés par la gestion de leur pré carré, que ce soit belge, bruxellois ou wallon. On continue ? Jamais, au grand jamais, nous n’avons cru que les concessions francophones des années 60, 70, 80 et 90 calmeraient, écoutez bien, calmeraient le formidable appétit d’indépendance de la Flandre, appétit qui se double d’une passion nationaliste qui s’exerce contre Bruxelles et sa périphérie ».

Nous, on peut parler de Flamands, avec leur appétit d’indépendance, et Monsieur HIGANIRO, met : les Tutsi assoiffés de pouvoir, ça c’est du génocide. Continuons. « Et l’on comprendra dès lors que pour les Wallons et les Bruxellois, le con-fédéralisme - vous avez remarqué la subtilité du langage - comme l’a dit avec une rare vivacité, lui aussi, le constitutionnaliste Francis DELPEREE, le baron DELPEREE, le con-fédéralisme est le fédéralisme pour les cons. Superbe. Et on termine. Aujourd’hui sur la stratégie à adopter si l’on veut bien ne pas s’en tenir aux déclarations incantatoires, on doit constater que les francophones sont divisés : entre partis, entre Wallons et Bruxellois, les Bruxellois se divisant à leur tour - je vous passe les complexités du statut bruxellois - serait-il présomptueux de ma part de devancer les débats en commission pour dire combien seule l’alliance de Bruxelles avec la Wallonie est susceptible de sauvegarder le caractère francophone de notre région et d’y garder intact des principes démocratiques ? ».

Division, union, alliance. Mais c’est des mots qu’on retrouve : l’union des Hutu, ça fait partie du discours politique. Et on ne s’en émeut pas en Belgique. Vous avez ici, Maître RAMBOER - il n’est pas là aujourd’hui, Maître FERMON, Monsieur l’avocat général. Je pense ne pas me tromper en précisant qu’ils sont d’origine néerlandophone. Je crois que nous devons leur tirer notre chapeau : qui aurait pu suivre, quel francophone aurait pu suivre un tel procès dans la langue de VONDEL ? Ce ne sont pas des adversaires, pas du tout, ce sont des gens charmants. Mais, dans le discours politique, c’est tout à fait différent, dans tous les pays. Et alors, terminons cet écrit, et qui n’est pas un écrit qui incite à quoi que ce soit, hein, ou alors, il faut le poursuivre : « Ne boudons pas notre plaisir, fût-il limité : les combats de demain seront plus décisifs encore ».              Voilà ce qu’on lit dans un exposé du 17 février, lors du congrès du Front Démocratique des Francophones.

Alors moi, j’en tire une conclusion. En Belgique, on peut critiquer les accords signés. Au Rwanda, pas. En Belgique, en 2001, on peut employer un langage imagé : parler d’union, de division des francophones, d’alliance, parler de l’appétit d’indépendance. Au Rwanda, en 94, c’est… c’est pas possible, hein. Ça, c’est des termes directement génocidaires.

Venons-en aux deux rapports du petit comité.

Monsieur l’avocat général vous a dit - moi, je ne vais pas reprendre ces textes par le détail, vous les connaissez et je ne vais pas en faire l’apologie - mais Monsieur l’avocat général vous a dit : « Ces écrits doivent être assimilés - de nouveau, l’éventail le plus large - à des offres, des propositions, des provocations, sans équivoque, nettes, et qui vont avoir la conséquence voulue ». Tout y est.

Première observation : ces rapports ce sont donc des écrits publics, hein. On veut qu’ils aient un effet utile. La première condition, pour arriver à retenir un des modes de participation prévus par la loi, n’est peut-être pas remplie ? Je pose la question. Qui nous assure que ces textes ont eu une diffusion, ont eu une certaine publicité ? Je vous rappelle que l’organe qui devait recevoir ces documents, le Comité directeur, n’a jamais vu le jour. Je vous rappelle également qu’on ne les a retrouvés que chez Monsieur HIGANIRO et là, ceux qui voulaient nous mettre dedans, nous aident, puisque toutes les personnes des 4 filières qui ont fait parvenir ces documents au juge d’instruction, ont dit : « On les a retrouvés chez       qui ? » « Chez Monsieur HIGANIRO ». Ca aurait été différent, sur le plan technique, si on avait retrouvé ces documents ailleurs. Tout le monde dit : « C’est chez HIGANIRO ».

Deuxième observation. Ca ne vous aura pas échappé que, parmi les personnes qui assistaient à ces réunions, figurait Monsieur le témoin 21, c’est le scripteur, c’est lui qui tient la plume. Il est venu ici, il a confirmé. Monsieur le témoin 40 aussi, il a participé à la deuxième réunion. Il s’est également présenté. Et alors ? Et alors, Monsieur l’avocat général ? Il n’y a rien à redire. Est-ce qu’il n’y a pas une politique de deux poids, deux mesures ? Est-ce que ce qui est répréhensible pour Monsieur HIGANIRO ne l’est absolument pas pour autrui. Vous pouvez accepter ça, vous, un texte génocidaire ? Ah, s’il l’écrit seul, qu’on le poursuive seul ! Moi, ça me dérange pas mais on vous dit : « C’est exceptionnel, c’est gravissime, faut plus que ça recommence, faut que les gens comprennent ». On en choisi un, même pas celui qui a écrit le texte. Monsieur HIGANIRO vous a expliqué qu’il y avait une première version, puis une seconde : la synthèse de la première. Mais non, ça n’intéresse pas. Ça n’intéresse pas qu’éventuellement il y a un débat encore plus contradictoire. Monsieur HIGANIRO, c’est une cible.

Troisième observation. Qu’en est-il du contenu de ces deux rapports ? Ce sont, en fait, des frères siamois. Le premier : c’est un brouillon, et le second : un PV au net. Mais alors, on a dit : « Mais, Monsieur HIGANIRO vous n’avez pas dit ça, hein, pendant l’instruction préparatoire, vous avez dit… vous êtes venu nous dire ça, maintenant, à l’audience ». Mais on n’a même pas besoin que Monsieur HIGANIRO le précise. Monsieur VANDERMEERSCH est venu le confirmer, il nous a dit : « Le rapport n°2, il y a la répétition des mêmes idées ». Et c’est exact.

Et vous verrez que dans ces 2 rapports, on parle beaucoup des accords d’Arusha. Les accords d’Arusha étaient signés au moment où ces rapports ont été dressés. Mais ne faut-il pas avoir égard, outre la signature de ces accords, à leur mise en œuvre et à la mise en œuvre des institutions de transition ? A savoir, le GTBE, ça fait très… très scientifique : c’est un gouvernement de transition à base élargie et l’assemblée nationale de transition.

Je voudrais faire appel au support audio-visuel, Monsieur le président, pour la suite de l’exposé.

Voilà. Je disais donc qu’on a parlé des accords d’Arusha, mais quand un accord est signé, ben, il y a encore la mise en œuvre. Et là, il y a eu de très gros problèmes. De quoi voudrais-je vous parler ? C’est des articles 52 et 55 d’une part, et 60 et 62 des accords, en fait, c’est le protocole qui règle les institutions de transition. Alors, l’article 52 que vous voyez, il parle de la nomination des ministres. Que dit-il ? « Le premier ministre, en concertation avec chaque force politique appelée à participer au gouvernement, choisit les candidats au portefeuille dévolu aux différentes forces politiques ». Le reste est moins important.

Et alors, si on pouvait passer à l’article 55 ? Le voilà. L’article 55 prévoit la répartition des portefeuilles : MRND : 5, FPR : 5, MDR : 4 - enfin, vous savez lire comme moi - et jusqu’au PDC qui a un portefeuille.

En ce qui concerne l’article 60, lui, il traite, non plus du gouvernement, mais de l’assemblée nationale de transition. L’assemblée nationale de transition est, sauf exception prévue à l’article 63, composée de 70 membres. Ils sont nommés par leur force politique auquel ils appartiennent et leur mandat couvre toute la période de transition.

Vous avez encore l’article 62 qui prévoit la répartition des sièges : les forces politiques principales ont 11 sièges et le PDC, lui, n’a que 4 sièges. Donc, vous voyez que le MRND ne se taillait certainement pas la part du lion dans ces accords.

Or, Mesdames, Messieurs les jurés, nous savons que, malgré ces accords, malgré ces répartitions, la guerre, la préparation de la guerre, la guérilla, tout ça continue. Et nous savons également qu’il va y avoir une fracture importante au sein de tous ces partis, à l’exception du MRND, ce qu’on a appelé les modérés et les Hutu Power. Conséquence très importante : mais, qui va occuper les sièges prévus dans les accords ? C’est les forces politiques qui disent : « Voilà mes 11 députés, ou mes 4 députés ». A partir du moment où ce qui était unique devient bicéphale, qui représente l’entité ? Qui représente le MDR ? Qui va représenter le PSD ? Qui va représenter le PL ? Grave problème.

Même chose pour le gouvernement. J’ai parlé tout à l’heure de Monsieur TWAGIRAMUNGU. Vous vous rappellerez qu’il s’est auto-proclamé ministre et qu’il a voulu jouer, à sa manière, le rôle qu’il croyait devoir jouer. Et vous avez vu, à l’article 52, que c’est lui qui choisit en concertation avec les partis politiques. Mais, de nouveau, avec quels partis politiques ? Quelle aile ? La conséquence, c’est qu’en fonction de la réponse à cette question - quel parti ? Quelle aile ? - eh bien, c’est tout un équilibre institutionnel qui peut basculer. Et le drame, Mesdames, Messieurs les jurés, c’est qu’il n’y avait pas d’arbitre.

Il n’y avait pas d’arbitre. Au gouvernement, le premier ministre, mais il dépend des partis politiques, donc, c’est le chat qui se mord la queue. Chaque parti a une représentation. Qui détermine cette représentation ? Les partis. Au Parlement, même chose : qu’est-ce que désigne les députés ? Les partis. Et le problème est insoluble. Qui est légitime ? Qui ne l’est plus ? Alors, pour une fois, Monsieur l’avocat général, je vais abonder dans votre sens : vous devez situer ces écrits dans leur contexte. C’est chose faite. Vous lirez les deux rapports en ayant à l’esprit ces explications.

Et voilà, ce qui dans le langage de l’époque, langage imagé peut-être, mais langage imagé qui n’est pas propre à la société rwandaise, voilà ce qui aurait pu être le parachèvement d’un coup d’état civil, voilà pourquoi on se préoccupe aussi de l’union de tous les Hutu. Parce que, si vous mettez à la place des partis autres que le FPR et le MRND, soit pro-FPR, soit pro-MRND, vous arrivez à des majorités totalement différentes et l’équilibre de départ est rompu. Et ça, c’est peut-être un coup d’état civil. On négocie quelque chose. On dit : « Il faut un équilibre. Toutes les forces politiques sur un pied d’égalité ». Et ensuite, on biaise. C’est quelque chose qui est difficile à admettre.

Je voudrais faire un dernier rapprochement - j’en ai terminé avec le support audio-visuel, Monsieur le président. Je voudrais rapprocher une dernière fois cette situation au Rwanda avec celle que nous connaissons à Bruxelles. Je vous répète qu’il faut être très humble, très modeste, et qu’il ne faut pas chercher très loin en dehors de ce prétoire, pour essayer de comprendre ce qui s’est passé à 6000 km.

Nous avons une actualité politique très dense. Il n’y a pas que l’actualité judiciaire. Je vous ai parlé tout à l’heure des accords, je crois qu’on les nomme « de la saint Polycarpe ». Il y en a eu également au sein du gouvernement bruxellois - je ne connais pas tous les saints du calendrier - je les ai appelés les accords de la « saint Glinglin » parce que je ne connais pas le nom exact. Enfin, il y a eu des accords institutionnels pour Bruxelles et notamment une revendication néerlandophone : assurer une présence minimale de la minorité néerlandophone au sein des communes.

Et on a dit : « Il faut un échevin… au minimum un échevin néerlandophone dans chaque commune de la Région ». Ça, c’est ce qui, semble-t-il, a ou va être voté. Alors moi, je vous pose la question : qu’est-ce qu’il arrivera si, éventuellement, cette représentation minimum garantie sur papier, devenait factice ? Imaginez, on peut tout imaginer, on dit : « Il faut un néerlandophone dans chaque commune, un échevin néerlandophone », mais imaginez qu’un parti néerlandophone, bidon voie le jour… A Bruxelles, c’est toujours les électeurs qui décident, hein. Je pourrais dire demain : “ Ik ben nederlandstalig, stem voor mij ”. Et qui est-ce qui va voter pour moi ? On ne le saura pas, mais j’aurais un parti néerlandophone. Et, si maintenant, on venait à contourner les accords et à faire nommer, ben, un échevin à profil francophone bilingue ? Pas à exclure, hein.

Pour l’instant, il y a des recours au Conseil d’état. On dit : « Est-ce que c’est respectueux de l’égalité entre tous les Belges, qu’il y ait une disparité entre le poids du vote entre les néerlandophones et les francophones à Bruxelles ». Mais, imaginez que ça puisse arriver. Vous ne pensez pas qu’il y aurait des politiciens qui réagiraient de manière extrêmement ferme, immédiatement ? Moi, je suis certain de ça. Je suis certain de ça. Et, s’il vous plaît, ne critiquons pas aveuglément ce qui s’est passé au Rwanda. Ne critiquons pas aveuglément la politique rwandaise. Balayons devant notre porte.

Il reste une dernière question sur ces deux rapports. Si vous les lisez, vous verrez qu’on parle des accords d’Arusha, on parle de ce que je viens d’évoquer. Mais ma démonstration ne peut pas être suivie sur un point : ces accords parlent d’autre chose. « Des plans d’extermination existent. L’autodéfense collective, il faut re-dynamiser des cellules ». Ça, ça n’a rien à voir avec Arusha, c’est exact. Mais je vous demanderai de faire à nouveau l’effort de resituer ces mots dans leur contexte. Nous sommes fin 93, début 94, période qui n’est pas une période de calme. Des tensions existent, des massacres sont perpétrés dans le pays, de tous côtés, il y a des exécutions sommaires, et ce n’est pas l’apanage du gouvernement le témoin 32.

Surtout, revenons à une circonstance très importante : il y a eu l’assassinat du président NDADAYE, fin octobre 93. Vous vous souviendrez de ce qui a été dit par plusieurs témoins, sur les répercussions de ce coup d’état au Burundi au sein de la population rwandaise ; je fais, notamment, allusion au témoignage de Monsieur DEFILLET : « On pensait que cela ne marcherait pas non plus chez nous ».

NDADAYE, pour rappel, c’est le premier président Hutu élu démocratiquement au Burundi ; quatre mois après son entrée en fonction, il est éliminé. Et vous vous souviendrez également, concernant l’autodéfense collective, les observations de Madame DESFORGES. Elle vous a dit : « La défense collective, c’était à l’origine, une bonne structure, une structure non nuisible. C’était une réaction face à la criminalité, à l’insécurité, un système mis au point pour renforcer la sécurité dans les villages. Malheureusement, cette structure a été accaparée par les génocidaires ». Question que je vous pose : n’est-il pas normal, dans cette période de grande incertitude, de grande tension, de penser à appliquer une solution qui a déjà marché, la défense collective, pour sécuriser la population ?

Voilà, c’est à nouveau le contexte dans lequel je vous demande de resituer ces écrits, parce que je crois que tout autre raisonnement confinerait à l’absurde. Sauf à imaginer Monsieur HIGANIRO comme le roi de la gaffe et comme quelqu’un qui pratique l’humour - excusez-moi le terme Monsieur HIGANIRO - l’humour noir. Il faut aller jusqu’au bout de ses raisonnements. Si ce que je viens de vous dire n’est pas exact, c’est ça qu’on vous demande de retenir. Roi de la gaffe, et qui passe son temps, par des écrits insignifiants, à révéler ce qui lui a été confié dans les coulisses du pouvoir. Et j’en terminerai avec ça.

Trois exemples. KAJUGA. KAJUGA, Interahamwe, chef des Interahamwe. Qu’est-ce que Monsieur HIGANIRO lui dit : « Mais venez, cher ami. Achetez mes allumettes, mais ne les payez pas et allez-y, financez les Interahamwe. S’il vous plaît, voilà la preuve, voilà le reçu, vous m’avez payé. Mais, je vais quand même vous assigner. On va aller devant le tribunal et comme ça vous pourrez produire ce document ».

Deuxième exemple. La lettre du 16 janvier au président : « Monsieur le président, vous êtes allé à Arusha. Ça ne s’est pas bien passé. Et vous savez que Théoneste BAGOSORA, il est fâché, et moi aussi. Si ça continue, on va mettre à exécution notre plan secret que vous connaissez ».

Troisième exemple. Les 2 rapports de la Commission. « Moi, Monsieur HIGANIRO, qui a assisté à toutes ces réunions, au cœur du pouvoir -cabinet fantôme et tout ce qui s’ensuit - ben, je vais informer mon parti, le MRND, je vais créer une structure d’abord : le Comité des fonctionnaires de Butare, le 21 novembre 93, et je vais rédiger un rapport nécessairement crypté, oui, très crypté, pour rappeler à mon parti - mais mon parti, c’est Monsieur NZIRORERA, par exemple, qui est le chef du gouvernement fantôme -, je vais rappeler comment nous avons décidé de propager le génocide ? » Les cellules. Alors moi, je n’ose pas imaginer la tête de Monsieur NZIRORERA.

Imaginons que ces deux rapports aient atterri sur le bureau, un jour, du bureau national du MRND. Monsieur NZIRORERA y rentre, il voit ce rapport, rapport du comité, et il lit dans ce rapport, les informations ultra-confidentielles que personne n’est censé avoir divulguées. Peut-être, allons jusque là, que Monsieur HIGANIRO voulait qu’il s’étrangle, puisque c’était le rival de Monsieur le témoin 32 - il faut aller jusque là - il voulait peut-être qu’il s’étrangle de rage en disant : « Mais, qu’est-ce qu’il fout, cet HIGANIRO, même pas capable de garder un secret ! Avec 4, 5 personnes là, à Butare, il va raconter des choses qui ne nous concernent que nous ».

Ma conclusion, Mesdames et Messieurs les jurés : c’est par la négative que vous répondrez à toutes les questions qui vous serons posées, concernant ces deux écrits finalement, parce qu’il n’y aura que ceux-là. Ils n’ont aucun lien avec le génocide ; ce ne sont ni des ordres, ni des provocations, ni des propositions à commettre des crimes de droit international, ils ne sont en rien annonciateurs de l’apocalypse. Il n’y a ni doute, ni hésitation : c’est une certitude.

Le Président : Merci, Maître MONVILLE. Vous aurez encore une intervention, tout à l’heure ?

Me. MONVILLE : Oui.

Le Président : Alors, je suppose que vous mettrez à profit cette intervention pour faire la comparaison, aussi alors, avec l’état de conflit armé international, ou non international, dans lequel se trouvent la Belgique et le Rwanda.

Me. MONVILLE : Monsieur le président. Enfin, je ne vois pas pourquoi, votre remarque est formulée maintenant. Je parle aux jurés. Mais je vous remercie de cette remarque.

Le Président : Oui. Donc, si j’ai bien compris, votre plaidoirie ne s’adressait pas du tout à la Cour ?

Me. MONVILLE : Comment ?

Le Président : Votre plaidoirie ne s’adressait pas du tout à la Cour ?

Me. MONVILLE : Mais, sauf erreur de ma part, je crois que c’est le jury qui entrera en délibération, seul, sur les questions de culpabilité.

Le Président : Ah ! Et vous pensez que la Cour n’a jamais à intervenir à propos de la culpabilité ?

Me. MONVILLE : Si.

Le Président : Bien. Maître CUYKENS, vous avez la parole pour la suite de la défense de Monsieur HIGANIRO.

[Interruption d’enregistrement]

Me. CUYKENS : Je voudrais faire distribuer ceci. Je vous remercie Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, Madame le président du jury, Mesdames et Messieurs les jurés, je voulais intervenir pour la défense de Monsieur HIGANIRO.

Je vais vous dire un tout petit mot pour la défense de la défense de Monsieur HIGANIRO. Je pense que la démonstration de Maître MONVILLE était de vous faire comprendre qu’il y a toujours deux façons d’aborder un événement historique. Il y a une façon du voir, rétrospectivement, avec toutes les informations qu’on en a eues depuis. Et il y a une façon du voir au moment même, situé dans son contexte.

Et, si aujourd’hui on vous a parlé des accords de Polycarpe, et si éventuellement, dans un an, dans un mois, dans un certain délai, on devait se retrouver dans une situation de guerre civile, nous serions les témoins, nous aujourd’hui, de ce que ces accords… de ce que ces contestations par rapport à ces accords, n’ont pas nécessairement le sens qu’on pourrait leur donner a posteriori. C’est dans ce sens-là, je pense, qu’il faut comprendre l’intervention de Maître MONVILLE et tâcher de se repositionner, chaque fois, lorsqu’on impute un fait à quelqu’un, dans son contexte.

Parce qu’effectivement, a posteriori, on peut retirer des conséquences, on peut trouver des liens, on peur enchaîner des situations et on peut faire remonter l’origine du génocide du Rwanda, jusqu’au siècle passé. C’est ce que certains témoins sont venus vous dire : « Au siècle passé, il y a un enseignement de l’histoire qui va finalement déclencher une mentalité, etc. » mais ceux qui, au départ, enseignent cette histoire, avaient-ils l’intention de provoquer un génocide 100 ans plus tard ? C’est ça, la question qu’il faut se poser.

Alors, pour ce qui me concerne, je vais vous parler de ce qui est reproché à Monsieur HIGANIRO à Butare. Puisque, vous le savez, on a voulu déjà mettre en doute la version de Monsieur HIGANIRO, au sujet de son arrivée à la SORWAL. Monsieur HIGANIRO dit : « Quand je suis arrivé à la SORWAL, pour moi, c’était en quelque sorte, une situation de rattrapage, mais c’était franchement pas une situation très agréable ». Et, tout le monde de dire : « Mais enfin, Monsieur HIGANIRO, voyons, vous venez d’être ministre, vous ne gagniez pas beaucoup d’argent comme ministre, il vous a donné les montants, et puis, vous arrivez à la SORWAL où vous avez une situation confortable ». Mais, Monsieur HIGANIRO vous a dit, lorsqu’il a été interrogé, qu’avant d’être ministre - il était effectivement représentant à la Communauté des Grands Lacs - et là, il avait un salaire encore plus élevé que celui de la SORWAL.

Alors, je pense qu’il faut aussi voir cette conception de Monsieur HIGANIRO, dans son contexte général et, lorsqu’il quitte son poste à la Communauté des Grands Lacs, pour devenir ministre, ben, même si c’était un technicien, c’est quand même glorieux, c’est quand même une petite gloire à lui, que d’être appelé au gouvernement. Mais ensuite, il n’est pas mis sur une voie de garage, ce n’est pas une voie de garage, la SORWAL, on est bien d’accord, mais pour lui, oui, parce qu’il ne retourne pas à la Communauté des Grands Lacs où là, non seulement, il avait un salaire supérieur mais il avait aussi un rôle de représentation : cette Communauté des Grands Lacs regroupe différentes nations autour de ces Grands Lacs. Donc, ça a du sens aussi, cet aspect-là des choses.

Alors, pour ce qui concerne Butare, je vais tout de suite entrer dans le vif du sujet parce que nous sommes tous fatigués et je pense qu’il ne faut pas faire traîner les choses plus longtemps, et je vais vous parler de la SORWAL. Pour commencer véritablement dans le vif du sujet, je vais vous parler de la comptabilité de la SORWAL.

Alors, la comptabilité de la SORWAL, vous vous souviendrez qu’on avait interrogé Monsieur HIGANIRO, lors de son interrogatoire d’accusé, sur la situation économique de la SORWAL. Il avait dit : « Bien, écoutez, sous mon prédécesseur, Monsieur NGIRIRA, nous avions environ des pertes de 80 millions. Quand j’arrive le 13 février 1992, je m’attelle à redresser le budget de la SORWAL. En 1992, eh bien, on se retrouve avec une perte de 7 millions. Et, en 1993, eh bien, on se retrouve finalement avec un bénéfice de 61 millions. Alors, c’est vrai, comme vous l’a dit Maître MONVILLE, que Monsieur le juge d’instruction s’est présenté à la SORWAL et a demandé à Monsieur le témoin 22, qui en était le directeur général à l’époque, de lui remettre les documents ; mais les documents comptables, nous n’allons les recevoir que très récemment, via les parties civiles.

Et qu’est-ce que nous avons ? Eh bien, nous avons deux séries de pièces. La première série, qui sont les bilans de la SORWAL, tant de 1999 que de 2000, les comptes du résultat d’exploitation pour les mêmes années, c’est-à-dire, savoir s’il y a eu un bénéfice ou une perte, un tableau des clients douteux pour 1998, le bilan de la SORWAL au 31 décembre 93 et son bilan au 31 décembre 92, ainsi qu’un tableau du compte client, au 31 décembre 1992. Et c’est finalement suite à l’intervention de Monsieur le président qui a dit : « Ce serait peut-être bien si on avait un peu plus de documents au sujet de la SORWAL », que Maître GILLET est venu en disant : « Voilà, je rapporte finalement un document, une balance AG du compte clients de 1993, pour que tout soit complet et ça confirme ce que je vous ai dit ». Eh bien, on va voir, effectivement, si ça confirme ce que vous a dit Maître GILLET.

Selon Maître GILLET, et selon effectivement les documents qui sont déposés : en 1992, il y a 47 millions de clients douteux, et en 1993, il y a 103 millions de clients douteux. D’où démonstration : Monsieur GUICHAOUA a raison. Et Maître GILLET va plus loin, en disant : « Vous savez, il faut voir si cette société n’est pas en perte de vitesse. Et je vais vous dire : en 1992, on a des dettes vis-à-vis de ses fournisseurs, de 13 millions, et en 1993, les dettes vis-à-vis des fournisseurs sont à 32 millions ».

C’est très bien, mais les dettes, ça dépend si on peut les payer ou si on ne peut pas les payer. Il faut donc vérifier si on a des avoirs, en caisse, si on a des avoirs en banque, si on a de quoi payer les fournisseurs. Eh bien, tant en 92 qu’en 93, il y a suffisamment d’argent en banque pour payer ces fournisseurs. En 92, il y a 40 millions et en 93, il y a 37 millions. Et il n’y a pas que ça : il y a les valeurs disponibles à court terme, c’est-à-dire, tout ce qu’on peut utiliser, éventuellement, pour financer, pour faire des achats ou pour financer les factures. En 92, il y a 46 millions, et en 93, 52 millions. Et Monsieur HIGANIRO, il s’est employé aussi à résorber les dettes antérieures de la société. Et les dettes de 92 sont de 277 millions, les dettes à long terme, et en 93, de 226 millions.

Alors, Monsieur HIGANIRO vous a dit que lorsqu’il arrive, il se trouve dans une situation de monopole unique avec la société rwandaise RWANDEX. Et on lui demande de passer plutôt à une situation de 4 monopoles pour couvrir le Nord, le Sud, l’Est, l’Ouest, les 4 points cardinaux. Ça a été confirmé par Monsieur le témoin, qui est un ancien administrateur de la SORWAL qui est venu vous confirmer qu’effectivement, le Conseil d’administration avait donné mandat à Monsieur HIGANIRO de trouver 4 clients monopolistiques. Et Monsieur HIGANIRO de nous dire : « Je n’en ai trouvé que 2 ». « Mais enfin, Monsieur HIGANIRO, il faut quand même exécuter les décisions du Conseil d’administration ». Monsieur GUICHAOUA vous a dit : « Vous savez, on peut analyser les clients qui sont arrivés dans la SORWAL, en fonction de l’orientation politique du directeur général. Dans un premier temps, il y a tel type de client, sous NGIRIRA, il y a des clients MDR et sous Monsieur HIGANIRO, c’est des clients Interahamwe ». Et Monsieur HIGANIRO vous a dit : « Ecoutez, c’est pas le directeur général qui introduit les clients, on court derrière les clients, à la SORWAL » et, effectivement, quand on lui demande de trouver 4 situations de monopole, il n’en trouve que 2. Alors, c’est qui, ces situations de monopole ? Il y a Monsieur MUREKEZI Vincent et il y a Monsieur RUHUMURIZA.

Alors, si on reprend l’analyse des comptes. Ces comptes - pour votre information, si vous souhaitez vérifier ce que je vous dis, ce qui est votre droit le plus strict -, vous les trouverez, non pas dans toute la série de cartons dont on vous a parlé, mais dans des petites sous-fardes. Pourquoi ? Parce qu’elles ont été déposées au fur et à mesure des débats, et donc, elles sont peut-être plus faciles à repérer quand on n’a pas l’habitude de manier un gros dossier de cette ampleur.

RUHUMURIZA, il apparaît par la société Hardware Center, qui est la société de son épouse. En 1993, il y a effectivement une facture impayée de 27 millions. Que vous a dit Monsieur HIGANIRO à ce sujet-là ? Il vous a dit : « On a essayé la situation des monopoles et puis, on s’est rendu compte, effectivement, que certains clients ne payaient plus, on a donc suspendu les livraisons et ensuite, on a lancé des procédures ». Eh bien, c’est finalement le dernier document qui nous a été transmis par les parties civiles qui nous permet de vérifier cette information. Parce que, que veut dire : balance AG du compte clients ? Vous vous souviendrez peut-être de l’intervention de l’un de nous 3, je crois que c’est Maître MONVILLE qui disait : « Un compte client, il faut le vérifier dans le temps, dans l’évolution dans le temps, parce qu’une facture qu’on réclame en janvier, si elle est payée en février, elle n’est plus due, et si on arrête le décompte en janvier, eh bien, la facture reste due ». Et cette balance AG s’étale sur plus de 3 mois, c’est-à-dire que vous avez une colonne pour les factures qui ont un retard d’un mois, pour celles qui ont un retard de deux mois, pour celles qui ont un retard de 3 mois, une colonne pour celles qui ont un retard de plus de 3 mois et une colonne des cas litigieux. La colonne des cas litigieux nous permet de savoir dans quels cas on a intenté des poursuites.

Hardware Center : 27 millions, je vous disais. Une facture de 20 millions et quelques, à 3 mois, et une facture de 6 millions et quelques, à plus de 3 mois. Pas de facture à 1 mois, pas de facture à 2 mois. Ca veut dire quoi ? Ca veut dire qu’on n’a plus livré Hardware Center quand on s’est rendu compte qu’il ne payait plus. Ce fameux Interahamwe dont on est chargé du financement, on lui coupe les vivres, et on lui coupe les vivres quand ça ? Deux mois avant le 31 décembre 93, soit en octobre 93.

Autre société de RUHUMURIZA. La société SOJEDI. Une société en son nom personnel. Montant total : 10 millions. Montant à 1 mois : 3 millions et quelques. Montant à 3 mois : 6 millions et quelques. Ca veut dire qu’on a une facture avec trois mois de retard, de 6 millions, et une livraison dans le mois… enfin, 2 mois avant, de 3 millions. Et, si on vérifie le compte des clients de 1998, parce qu’on vous dit qu’on nous a tout donné : on n’a pas les comptes 91, on n’a pas les comptes 94, peut-être n’ont-ils pas été établis ? On n’a pas les comptes 95, 96, 97. Si on prend 98 et qu’on regarde la société SOJEDI, le montant pour lequel elle est rubriquée en 98, on s’aperçoit que ce montant ne correspond pas à l’impayé au 31 décembre 93. Ca veut dire quoi ? Ben, ça veut dire qu’on a continué de payer ensuite. Donc, effectivement, la société SOJEDI continue de payer ses factures. On en a la preuve par… à deux reprises. Une, dans cette balance AG, puisqu’on continue de la livrer et l’autre, dans le compte 98 où il apparaît que la facture impayée en 98 est inférieure à celle qui est rubriquée en décembre 93. C’est donc bien qu’on a dû payer quelque chose.

L’autre monopole, c’est MUREKEZI Vincent. MUREKEZI Vincent, il est rubriqué pour 15 millions. Là aussi, répartition. Facture à 1 mois : 8 millions et quelques. Facture à 3 mois, 7 millions et quelques. Donc, on se dit : « Si c’est un mauvais payeur, on aurait dû stopper les livraisons ». Mais c’est un bon payeur. Même constatation pour le bilan 98. Il a continué de payer, après décembre 93, ses factures.

Et on vous dit : « Oui, mais c’est Monsieur HIGANIRO qui a fait rentrer des clients Interahamwe dans la société ». Et vous vous rappellerez que, tant Monsieur GUICHAOUA que Maître GILLET, vous ont dit : « RUHUMURIZA, KAJUGA et le témoin 121 ont été achetés par les Interahamwe, en 1993 ». Eh bien, RUHUMURIZA, ses 2 sociétés, elles sont déjà dans la comptabilité en 1992, à l’époque où il n’avait pas été acheté par les Interahamwe. Et Hardware Center, elle est rubriquée pour 3 millions, dans la rubrique « Factures normales », donc, ça veut dire qu’il paye ses factures. Et SOJEDI, elle est rubriquée pour 7 millions, avec une facture normale de 4 millions et une facture à plus de 30 jours, de 3 millions. Donc, ce sont effectivement deux sociétés qui existaient déjà en 92, dans les clients de la SORWAL, 2 sociétés qui payaient régulièrement leurs factures et on vient vous dire : « Si Monsieur HIGANIRO en a fait des situations monopolistiques, c’est parce qu’il voulait financer les Interahamwe » ; alors qu’à l’époque où ces clients entrent dans la SORWAL comme clients, ils ne sont pas Interahamwe et qu’à cette époque-là, ils paient régulièrement leurs factures. Alors, Monsieur HIGANIRO, il doit deviner qu’un jour, ils ne paieraient plus les factures et que comme ça, on va financer les Interahamwe ?

Restent deux autres Interahamwe dont vous a parlé Monsieur GUICHAOUA : Monsieur KAJUGA et Monsieur le témoin 121. Et on vous a dit… Monsieur GUICHAOUA vous a dit, en tout cas : « Oui, oui, mais vous savez, on finance, on finance, on finance et… on ne va surtout pas porter plainte contre ces gens-là, c’est dangereux ».

KAJUGA Robert : il est rubriqué pour 2 millions et quelques, au 31 décembre 93 et sa facture est à plus de 3 mois, et il n’a pas été livré, ni en novembre, ni en octobre, ni en septembre 93.

le témoin 121 Georges : il est rubriqué pour 4 millions et quelques. Eh bien lui, il est rubriqué dans les cas litigieux, c’est-à-dire, ceux pour lesquels on introduit une procédure en récupération de cette créance, et il n’est pas livré ni en décembre, ni en novembre, ni en octobre, ni en septembre. Et, ce que vous disait Monsieur HIGANIRO à la suite de l’intervention de Monsieur GUICHAOUA, c’est que : « Lorsqu’on constatait qu’un client, qu’un débiteur ne payait pas, eh bien, on cessait les livraisons et ensuite, on portait plainte ». Alors, vous avez eu la version de Monsieur le témoin 40 qui vous a dit : « Moi, j’ai été chargé de récupérer certaines de ces sommes, à gauche et à droite, dans le pays ». Vous avez la version de Monsieur le témoin 22, le successeur de Monsieur HIGANIRO qui a dit : « Si, si, j’ai vu des dossiers plaintes », mais en attendant, il les a pas remis à Monsieur le juge d’instruction, hein, ces dossiers plaintes mais il les a vus… Mais, par contre, on continuait de livrer. Mais non ! Toutes les personnes qui sont rubriquées dans les « Cas litigieux » en 1993, ne sont plus livrées.

Alors, vous avez ensuite, bien entendu, l’information de dernière minute, le fax de lundi matin, d’une personne qui vous dit qu’il était procureur à Kigali et que, lorsque le parquet souhaitait poursuivre les mauvais payeurs de la SORWAL, eh bien, ces mauvais payeurs se présentaient avec une attestation de Monsieur HIGANIRO, en disant qu’il avait été payé. Mais ces attestations, pas plus que les dossiers plaintes, d’ailleurs, on ne les a reçus.

Alors, que faut-il penser de tout ça, finalement ? Monsieur HIGANIRO vous a dit : « J’ai tenté de faire ce que j’ai pu pour redresser cette société. Monsieur le témoin, l’administrateur, vous l’a confirmé ». Il a dit : « Moi, j’obéissais aux injonctions du Conseil d’administration, et Monsieur le témoin vous a dressé un portrait général de toutes les obligations qui pesaient sur le directeur général, parce que, « chat échaudé craint l’eau froide », par rapport à la gestion de Monsieur NGIRIRA qui avait été plutôt catastrophique, le Conseil d’administration s’était dit : celui-là, on va le tenir à l’œil ». Monsieur HIGANIRO vous a dit : « J’ai été chargé de trouver 4 monopoles, je n’en ai trouvé que 2 ». Ca a été confirmé par Monsieur le témoin.

Alors, il y a encore la question de la gestion de la SORWAL et, plus particulièrement, les PV du Conseil d’administration, les statuts, etc. Tout ça, on ne les a pas reçus, enfin le juge d’instruction ne les a pas reçus lorsqu’il s’est adressé à la SORWAL, à Monsieur le témoin 22. Les statuts de la SORWAL ont été versés au dossier, en annexe de la constitution de partie civile de la SORWAL, parce qu’il faut évidemment prouver la personne de la SORWAL, c’est ce qu’on appelle la « personnalité juridique ». Et ça confirme ce que vous a dit Monsieur HIGANIRO. Monsieur HIGANIRO vous a dit : « Lors des Conseils d’administration, les administrateurs votent à la majorité des présents. Et, effectivement, à l’article 20 de ces statuts : « Les décisions sont prises à la majorité des administrateurs présents ».

Alors, ce qui est intéressant de savoir aussi, c’est que Monsieur le témoin, l’administrateur, nous a dit : « Vous pensez bien que nous, on ne peut pas permettre qu’on vide la SORWAL comme ça, de tout son argent, pour financer je ne sais qui ». Et Maître NKUBANYI vous a dit : « On va vous plaider que parce qu’il y a un Tutsi dans le Conseil d’administration, ça n’était pas possible que la SORWAL finance les Interahamwe ». Ce n’est pas du tout ça que je vais vous plaider, moi. Moi je reprends les documents comptables qu’on nous a remis. Et, si vous regardez au bilan de 1993, eh bien, vous verrez qu’il y a deux investissements fondamentaux dans cette société : Monsieur le témoin, il représentait la BRD, une banque rwandaise qui avait investi 45 millions, en tout cas, 45 millions, il restait 45 millions à rembourser en 93.

Monsieur BRETECHE, il représentait la Swedish Fund, c’est un emprunt qui est rubriqué en 93, sous l’abréviation BITS, et c’est plus facile à suivre pour ce qui concerne le bilan 2000-99, parce qu’à côté de BITS, on vous a mis SFI : Swedish Fund Investment. Pour combien est-ce qu’il était intéressé, Monsieur BRETECHE, dans cette société ? Pour 153 millions. Alors, on va laisser passer les 153 millions, comme ça on peut financer les Interahamwe, hein. Tout ça est très crédible, évidemment.

Les procès-verbaux du Conseil d’administration que nous avons déposés parce qu’il ne faut pas les attendre de la part de la SORWAL. On a deux procès verbaux : le 24 mars 1993 et le 26 janvier 1994. Celui du 24 mars 1993 confirme ce que vous a dit Monsieur le témoin et Monsieur HIGANIRO : « Suite à la gestion désastreuse de Monsieur NGIRIRA, on a fait un audit, c’est-à-dire qu’on a fait vérifier ce qu’il avait fait ». Et cet audit, ce n’était pas un audit fait par la SORWAL elle-même, hein, c’est un audit fait par une société externe.

Alors, reprenons la thèse de Monsieur GUICHAOUA. Monsieur NZIRORERA se décide à financer les Interahamwe. Il va nommer Monsieur HIGANIRO à la SORWAL. On ne sait pas trop comment, m’enfin bon. Il va donc décider de circonvenir les membres du Conseil d’administration. Ah, il faut ce qu’il faut ! Donc, il débourse déjà 45 millions et 153 millions. Et puis, il va aussi circonvenir la société d’audit externe pour qu’elle rende un rapport négatif à l’égard de Monsieur NGIRIRA. Et, qu’est-ce que c’est, ce rapport de la gestion de Monsieur NGIRIRA ? On vous dit qu’il y a eu malversation, on vous dit qu’il y a eu fraude. Ça, c’est la cabale politique, hein, dont vous parle Monsieur GUICHAOUA. Comme il est placé au MDR, on va vraiment le saquer, cet homme-là. Pas du tout. Pas du tout.

On dit simplement qu’il y a eu mauvaise gestion. Il n’y a donc pas d’accusation grave, il y a une accusation d’incompétence. Alors, si c’est vraiment ce grand montage qu’il s’agit de mettre sur place, tant qu’à faire, tant qu’à acheter cette société d’audit, autant aller jusqu’au bout. Mais la société d’audit, elle va plus loin, elle dit : « A l’avenir, Messieurs les membres du Conseil d’administration, vis-à-vis de votre directeur général, ayez un contrat avec des clauses, et notamment des clauses de responsabilités ». Et, dans ce PV, on vous explique que Monsieur HIGANIRO, à la moindre faute lourde, il est viré sur-le-champ.                En Belgique, pour faute grave, il faut un préavis de 3 jours. Là, ils étaient tellement échaudés par l’expérience de Monsieur NGIRIRA que c’est vraiment le contrat serré. Et, c’est ce que vous a dit Monsieur HIGANIRO : « Je dois rendre des rapports trimestriels, des rapports mensuels, des ceci, des cela ». Vous pensez vraiment que, dans un tel cadre, Monsieur HIGANIRO peut organiser la fuite des capitaux de la SORWAL, vers les Interahamwe ?

Dans ce procès-verbal, on vous dit également que le Conseil d’administration a décidé de créer une deuxième équipe de travailleurs. Pourquoi ? Eh bien, parce que Monsieur HIGANIRO se dit : « Il faut redresser la société. Donc, on va mettre une 2ème équipe, on va tourner sur 2 équipes ». Retenez la 2ème équipe. On va y revenir.

Alors, le procès-verbal du 26 janvier. Ça, c’est le mieux. Le 26 janvier, le Conseil d’administration décide de ne plus faire cette politique de vente à crédit parce qu’effectivement, on donne les allumettes, le client doit vendre les allumettes et ramener le produit de la vente. Ça ne marche pas très bien. Et, quand est-ce que Monsieur HIGANIRO vous a confirmé ça ? Après le passage de Monsieur GUICHAOUA ? Tut, tut, tut. Lors de son interrogatoire d’accusé. In tempore non suspecto, c’est-à-dire quand c’était pas téléphoné. Il vous a dit  que suite à l’intervention de Maître HIRSCH qui a dit : « Enfin, Monsieur HIGANIRO, vous n’allez quand même pas nous dire que vous n’avez pas de contact avec la SORWAL lorsque vous étiez à Kigufi, en dehors du 29 avril ! J’ai ici deux bordereaux de versements » et Monsieur HIGANIRO a dit : « Mais non, ce qui se passait, c’est que, lorsqu’on avait démarché un client, on allait avec ce client à la banque, on vérifiait que ce client avait versé l’argent de la commande sur le compte de la banque et ensuite, on remettait à ce client une autorisation, et avec cette autorisation, il allait se fournir en allumettes ». Donc, il vous a confirmé, à l’audience, avant qu’on ne parle de tout ce problème de financement avec « crédit client », et ceteri, et cetera, qu’en 94, il n’y avait plus de vente à crédit.

Alors, on finance les Interahamwe, mais 3 mois avant décembre 1993, on stoppe les vivres et, en janvier 1994, on arrête carrément. Ça ne tient pas la route, hein. Ca ne tient pas la route, cette démonstration. Alors, on vient vous dire : « Oui mais, attention hein, la SORWAL était en situation de faillite lorsqu’on l’a reprise ». On voit effectivement des bilans de 99 et 2000. Moi, j’ai pas les bilans de 95, 96, 97, bon. Ceci dit, je peux comprendre que la situation financière de la SORWAL se soit trouvée très en difficulté, en décembre 1994. Il y a eu interruption des activités de la SORWAL. Ça, ça me semble tout à fait clair. Mais, entre faire une démonstration qui est basée sur un article de presse qui relate des comptes de 98 ou de 99, se baser sur la connaissance commune  - où ça ? Au Rwanda ; quand ? Maintenant -, et vous faire cette démonstration, alors que les documents… le peu de documents que nous avons finalement trouvés nous rapportent la preuve du contraire, eh bien, vous conviendrez avec moi que cette question de financement, franchement, ça ne tient pas la route.

On vous dit encore : « Oui mais, attention, la SORWAL, c’est pas une société de production d’allumettes, c’est une société de production d’Interahamwe ». On fournit des Interahamwe ! Lorsqu’on interroge Monsieur HIGANIRO, dans son interrogatoire d’accusé - de nouveau, quand c’était pas téléphoné - il dit : « Pour ce qui concerne les nominations ­ enfin, les contrats d’emploi - pour les cadres supérieurs et pour les cadres moyens, c’est le Conseil d’administration qui signe les contrats d’emploi. Pour les cadres inférieurs, c’est une commission de nomination. Et, pour les manœuvres et autres postes de ce genre-là, c’est moi qui signe les contrats de travail ».

Ça a été confirmé par Monsieur le témoin 130. Monsieur le témoin 130, c’est ce garçon qui est venu nous expliquer qu’il avait été embauché en février 94 et qui nous a parlé de la tranchée, le fil électrique, les deux citernes… et on l’a longuement interrogé sur les conditions de son embauche, et il dit : « Oui, j’ai rencontré Monsieur HIGANIRO, mais c’est pas devant lui que j’ai passé mon entretien d’embauche. J’ai passé mon entretien d’embauche devant plusieurs personnes ». Parce qu’effectivement, Monsieur le témoin 130 n’était pas engagé comme manœuvre, il était engagé comme cadre.

Alors, Maître GILLET vous dit : « J’ai compté dans les témoignages, il y a 33 ou 34 Interahamwe. Et, si on va plus loin et qu’on prend encore un autre témoignage, il y en a même 52, dans la SORWAL ». Et de vous dire : « Voilà, il y a 3 milices à Butare, vous avez déjà entendu parlé des 3 milices à Butare, vous ? Oui mais, on s’arrête 2 minutes : dans les 8 semaines des débats, vous avez entendu parler de 3 milices à Butare ? Moi pas. « Il y a 3 milices à Butare et Monsieur HIGANIRO se charge de la 3ème ». Le problème, c’est qu’il y a un document que Monsieur le témoin 22 a bien voulu nous donner ou a bien voulu donner à Monsieur le juge d’instruction, c’est le tableau salarial de 1993, dans lequel sont repris tous les employés de la SORWAL, du plus gros poste au plus petit. Vous voulez retrouver ça dans le dossier : carton 13, sous-farde 49, pièce 17, annexe 2. Alors, il faut compter les postes de manœuvres, les postes subalternes, entre guillemets, qui ont été susceptibles d’être engagés par Monsieur HIGANIRO.

Monsieur HIGANIRO arrive à la SORWAL le 13 février 1992. Il y a 5 domestiques qui sont engagés en 92, un aide : en 92, 9 manœuvres : fin 92, début 93, deux chauffeurs : début 93, 3 veilleurs de nuit : août 92 et trois gardes d’usine : décembre 92. Monsieur le témoin 21 n’a pas été engagé par Monsieur HIGANIRO, hein. Il est dans la SORWAL depuis 1988 et il est rubriqué dans le tableau salarial en 1990, parce qu’effectivement, il a atteint ce poste en 1990 et, qu’en outre, les statuts de la SORWAL qui ont été constitués, qui a été constituée en société, date de 1990. Monsieur SEBALINDA, celui dont il y a un agenda avec une mention de 50 millions etc. cadre supérieur : en septembre 92, mais ce n’est pas Monsieur HIGANIRO.

Monsieur le témoin 40, agent commercial, cadre également : engagé en 92, mais pas par Monsieur HIGANIRO. Alors, concernant Monsieur le témoin 40, on vous dit : « Ah lui, c’est vraiment un grand Interahamwe ! ». Et Maître GILLET vous dit : « C’est un grand Interahamwe et vous vous souvenez, il a volé une voiture avec NKUYUBWATSI », mais Maître HIRSCH, elle dit : « C’est un grand Interahamwe parce qu’il a prêté sa voiture à KAJUGA ». Alors, c’est vrai que les explications de Monsieur le témoin 40 étaient assez confuses, mais moi, j’ai entendu ni l’un, ni l’autre.

On vous dit : « Monsieur HIGANIRO, il a engagé des gens du Nord. Il a engagé des Interahamwe, il a remplacé des Tutsi par des Hutu ». Mais sur ces 23 postes dont on peut se dire qu’effectivement c’est Monsieur HIGANIRO qui les a engagés, combien y a-t-il de nouveaux postes et, notamment dans cette deuxième équipe, qu’il faut créer ? Est-ce qu’on a dû virer quelqu’un pour créer cette deuxième équipe ? Non, évidemment.

Sur ces 23 postes, où sont les dossiers du personnel ? Parce qu’on sait, maintenant, qu’il reste des documents à la SORWAL, et les dossiers du personnel avec, éventuellement, les lettres de recommandation, les dates de naissance, les lieux de naissance, les lieux de résidence.

Alors, ça nous fait donc, 23 personnes sur 114. C’est-à-dire 1/5 de l’ensemble du personnel. Mais, vous allez me dire : « Monsieur HIGANIRO - vous venez du dire - n’a de pouvoir que par rapport aux postes subalternes », eh bien, il y a 41 autres postes subalternes qui ont été engagés en 90, en 91. Et pourquoi Monsieur HIGANIRO, s’il est placé là par Monsieur NZIRORERA pour créer une société de production des Interahamwe, pour remplacer des Tutsi ou d’autres, par des Interahamwe, pour créer la fameuse 3ème milice dont on vous parle. Il ne fait pas du bon travail en deux ans, hein. Franchement, euh, pas terrible, terrible.

Alors, reste la question des militaires, parce que Maître MONVILLE vous en a touché un mot, mais on vous a dit : « Oui, dans cette usine, il y a trois veilleurs d’usine, engagés en août 92 et 3 gardes armés, engagés en décembre 92. Et on a retrouvé, effectivement, la filière de la demande d’armes pour armer ces gardes. Est-ce que vous pensez véritablement que, s’il doit créer une milice en cachette, tout ça doit apparaître au grand jour ? Et Monsieur HIGANIRO vous a dit : « En réalité, il y a eu des troubles et je me suis dit : ma société contient quand même des explosifs ». N’oubliez pas que c’est une société de fabrication d’allumettes, c’est donc un produit inflammable. C’est bizarre, quand même, qu’on n’ait pas encore accusé Monsieur HIGANIRO d’avoir produit des produits inflammables pour donner des moyens aux Interahamwe, hein. Parce que ça, c’est le moyen par excellence, hein.

Alors, il y a l’agenda de Monsieur SEBALINDA, là, le cadre dont Maître GILLET a dit : « Et je n’ai toujours pas eu de réponse, au bout de 3 semaines, de la mention de l’agenda de Monsieur SEBALINDA ». Mais vous, vous savez les mentions qu’il y a dans l’agenda de votre voisin ? Dans l’agenda de votre patron ? Dans l’agenda de votre collègue ? Vous pouvez expliquer pourquoi il a noté : rendez-vous avec untel ou bien : fournitures : 50 millions. Monsieur HIGANIRO, il ne sait pas. Il ne sait pas.

Alors, il y a l’entraînement des Interahamwe dans l’enceinte de l’usine. Monsieur le témoin 21 est venu nous expliquer qu’à la fin mai 1994, la SORWAL a essuyé des tirs. Il s’est donc rendu à l’école de sous-officiers et là, on lui a dit : « Ecoutez, des gardes, non. Mais des armes, éventuellement, voilà ». Et, il a dit : « Moi, j’ai demandé à ce que les employés de la SORWAL apprennent à monter et à démonter des armes ». Monsieur le témoin 40, il a dit : « Cet entraînement se faisait sur le terrain de basket de la SORWAL, mon bureau donnait directement dessus. Il y avait environ une dizaine de personnes qui ont appris à monter et à démonter des armes ». Et alors, Maître GILLET vous dit : « Oui mais, il y a eu le contrôle du préfet le témoin 32 ». Mais le préfet le témoin 32, il a été aveuglé par Monsieur HIGANIRO. D’une part, il vous dit : « Quand il est arrivé, tout avait été nettoyé, tout était bien propre et on ne pouvait plus rien voir » et d’autre part, il vous dit : « Il n’avait rien à voir parce qu’en réalité, les Interahamwe sont des employés de la SORWAL ».

Bon, mais en attendant, ce brave préfet sur lequel on arrête pas d’entendre les pires critiques, il s’est laissé berner, il s’est laissé embobiné, il s’est laissé séduire. N’oubliez pas que c’est notamment grâce à lui que Butare a eu 15 jours de répit dans ce génocide, mais qu’en plus, c’est grâce à lui qu’on a quand même trouvé une cargaison de machettes. Alors, cet homme si intelligent pour trouver une cargaison de machettes, il n’est pas assez intelligent pour trouver quelque chose dans la SORWAL. Et, sachez que l’intervention de Monsieur le témoin 32, ce n’est pas après le 20 avril, c’est avant le 20 avril. Pourquoi ? Parce qu’il y a des rumeurs qui disent que c’est un escadron de gardes présidentiels, toujours les mêmes, ceux qu’on ne sait pas identifier mais qui sont partout, qui se cachent dans la SORWAL.

Et Monsieur le témoin 32 va voir à la SORWAL et il ne trouve pas de garde présidentiel. Et il provoque une réunion publique et il dit : « La rumeur est fausse ». Mais la rumeur, elle a la dent longue, hein, et elle continue malgré tout. Parce que vous vous souviendrez que, début mai, on a entendu Monsieur RUSSONI et Monsieur le témoin 121, qui n’ont pas parlé d’entraînement. Alors, la SORWAL - on a vu les vidéos, je vous ai remis un plan - c’est un site qui n’est pas très, très étendu, mais c’est vrai que s’il y a 10 personnes qui s’entraînent une heure par jour à monter et à démonter une arme,  tout le monde ne les a peut-être pas vus.

Et, si véritablement Monsieur HIGANIRO avait monté une société de production d’Interahamwe avec financements, entraînements, gardes militaires, voulez-vous me dire pourquoi il faut attendre le 19 avril, le discours de SINDIKUBWABO, et l’arrivée de forces de Kigali dont vous a parlé Monsieur Rony ZACHARIA, l’arrivée de forces de Kigali, pour mettre à feu et à sang, Butare. Pourquoi cette entreprise qu’il gère depuis 2 ans, n’est pas prête à produire ces Interahamwe à grande échelle ? Ca ne tient pas la route une seule minute.

Je pense que je vais vous laisser souffler ici un petit quart d’heure, avant d’aborder la suite.

Le Président : Oui. Vous avez signalé avoir fait distribuer aux membres du jury…

Me. CUYKENS : Oui, c’est une pièce qui est au dossier.

Le Président : …une pièce qui est en fait au dossier, c’est l’annexe à l’audition de Monsieur le témoin 21, du 29 décembre 1999.

Me. CUYKENS : Voilà. Donc, je vous en ai communiqué copie, à vous ainsi qu’aux parties, pour que vous puissiez vérifier les mentions que j’ai rajoutées.

Le Président : Oui, il y a des chiffres qui n’étaient pas…

Me. CUYKENS : Parce que j’ai ajouté la référence, et sur les autres pages, j’ai rajouté les chiffres qui étaient coupés à la photocopieuse, mais c’est une pièce qui est au dossier.

Le Président : Et donc, cette distribution s’est faite quand vous étiez en train de parler.

Me. CUYKENS : Oui. Je voudrais demander à Mesdames et Messieurs les jurés, pour la reprise, d’avoir sous les yeux, la lettre du 23 mai de Monsieur HIGANIRO, forme manuscrite qui vous a été distribuée en cours d’audience, parce qu’on travaillera dessus aussi.

Le Président : Bien. Donc, nous allons suspendre l’audience pendant 20 minutes, hein. On reprendra à 5 heures moins le quart.

[Suspension d’audience]

Le Greffier : La Cour

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Maître CUYKENS, je vous restitue la parole pour la suite de votre plaidoirie.

Me. CUYKENS : Je vous remercie, Monsieur le président, Madame, Messieurs les juges, Madame le président du jury, Mesdames et Messieurs les jurés. Je n’en ai pas encore tout à fait fini avec la SORWAL, parce que je dois vous parler, évidemment, de Monsieur Innocent NKUYUBWATSI ; parce que Monsieur Innocent NKUYUBWATSI a été engagé à la SORWAL par Monsieur HIGANIRO, début 1993, sur proposition de Monsieur NIZEYIMANA, capitaine de l’école des sous-officiers. Pourquoi a-t-il été engagé ? Parce qu’il était recommandé et parce qu’il était également un ancien militaire, un déplacé de guerre. Est-ce qu’engager quelqu’un, un an avant avril 1994, parce que c’est un ancien militaire qui a été déplacé de guerre et qui cherche du travail, vous estimez qu’on peut en déduire que Monsieur HIGANIRO, à cette date, savait que cet homme allait se transformer en le tueur et l’assassin qu’on a vu ? Parce que c’est ça qu’on vous pose comme question.

Et, effectivement, Monsieur NKUYUBWATSI a grimpé les échelons dans la SORWAL. Pourquoi ? Parce qu’il connaissait le français et qu’il était quand même relativement instruit. Je pense que c’est Maître LARDINOIS qui vous a dit que, lors de la réunion du 29 avril à Butare, Monsieur le témoin 21 a dit à Monsieur HIGANIRO ce qu’il savait sur Monsieur NKUYUBWATSI, c’est-à-dire que NKUYUBWATSI lui avait avoué avoir tué telle ou telle personne. Mais, quand Monsieur le témoin 21 est venu nous dire cela, Monsieur le président l’a interrogé. Et il lui a demandé : « Vous apprenez cela, et quand vous rencontrez votre directeur général le 29 avril, vous ne lui dites rien ». Et le témoin 21 a répondu : « A ce moment-là, je ne le savais pas ». Et Monsieur le président a poursuivi son interrogatoire en disant : « Et dans la lettre rapport que vous envoyez et que reçoit Monsieur HIGANIRO le 23 mai, vous ne lui dites toujours rien ? » Et Monsieur le témoin 21 a dit : « Non, parce que je souhaitais avoir plus d’informations ». Alors, est-ce que vous avez la preuve que Monsieur HIGANIRO a été mis au courant des exactions de Monsieur NKUYUBWATSI ?

On a, au sujet de Monsieur NKUYUBWATSI - on vous l’a déjà dit - « 3 documents : son audition devant Monsieur HABYMANA et deux cassettes vidéo ». Dans son audition, Monsieur NKUYUBWATSI explique que, dans l’année 98-99, il est chômeur à Kigali et que dans l’année 99-2000, il est professeur dans un collège dans le Ruhengeri. Alors, on vous a déjà parlé des circonstances dans lesquelles Monsieur NKUYUBWATSI fait ses déclarations, et je voudrais vous rappeler la plaidoirie de Maître Clément de CLETY qui vous a dit : « Quand on apprécie la crédibilité d’une déclaration, on vérifie, notamment concernant des aveux, si ces aveux vont au-delà de ce qui est demandé, si la personne qui avoue va même avouer des faits pour lesquels on n’a aucune information ». Vous trouvez que c’est le cas de Monsieur NKUYUBWATSI qui est venu dire devant les caméras que lui, il n’avait tué qu’une seule personne ? Et Maître Clément de CLETY vous a dit : « Il faut aussi vérifier s’il n’y a pas de collusion possible entre la personne qui passe aux aveux et d’autres personnes ». Et Monsieur NKUYUBWATSI, il est à Kigali en 88 ­ 99, et dans le Ruhengeri en 99-2000. Et pourquoi faut-il attendre début mars 2001 pour que Monsieur NKUYUBWATSI soit poursuivi et pour qu’on accueille la presse à bras ouverts ? Non pas dans les prisons, en dehors des prisons, mais pas vraiment avec un uniforme rose, hein, pour rappeler le ballet rose de Monsieur l’avocat général.

Qu’est-ce qu’il dit, Monsieur NKUYUBWATSI ? Parce qu’on vous a parlé de cet événement, là, du 6 avril. « Pendant le génocide juste après que l’avion du président le témoin 32 soit abattu, HIGANIRO est venu chez NIZEYMANA, il était aux environs de 21 heures, le 6 avril. Et, pendant qu’ils étaient en train de causer et de boire de la bière - ils étaient au Denis - vers 23 heures, un capitaine KABERA, qui était garde du corps de le témoin 32, a téléphoné en disant que l’avion venait d’être abattu et qu’à Kigali, le travail de tuer les Tutsi avait commencé parce que l’on pensait qu’il était à l’origine de la mort du président ». Et il continue : « Et, aussitôt, quand HIGANIRO l’a entendu, il a dit à NIZEYIMANA qu’il fallait qu’ils s’organisent également pour pouvoir travailler de leur côté ». Et il a poursuivi en disant : « Tu sais, les Tutsi nous ont bien eus ». Et il a ajouté : « Il ne reste plus rien puisqu’ils viennent de tuer le témoin 32 ». Les Télétubbies dont vous parlait Maître MONVILLE. « Avant son départ pour Kigali, ils ont tenu une réunion de travail à laquelle ont assisté : le témoin 21, SEBALINDA Jean-Baptiste. Ils ont demandé au cours de cette réunion qu’on me change de poste de travail etc.»

Ben, c’est pas à ce moment-là, ça. C’est la réunion du 29 avril. Déjà, la mémoire de Monsieur NKUYUBWATSI n’est pas certaine, certaine… M’enfin c’est vrai qu’interrogé en 2001 sur des événements en 94, on peut se tromper.

Sauf pour ce 6 avril. Parce que les parties civiles vous ont dit comme un seul homme : « Le 6 avril, c’est le capitaine KABERA qui téléphone à HIGANIRO et qui lui dit que les massacres ont commencé, vers 23 heures ». On a vu le professeur REYNTJENS qui est venu nous dire : « Les massacres n’ont commencé à Kigali que le 7 avril, vers 5-6 heures du matin ». Alors, soi-disant, il y a un commandant, euh… un capitaine de la garde présidentielle qui lui, le sait déjà, la veille ? Tout ça n’est pas vraiment crédible. Et alors, Monsieur l’avocat général vous dit : « Oui, oui, mais il faut tenir compte de la relation entre NKUYUBWATSI et HIGANIRO : NKUYUBWATSI, il doit le respect à Monsieur HIGANIRO. Monsieur HIGANIRO l’a engagé ».

Et c’est ce que vous a plaidé Maître SLUSNY : le principe d’autorité, grande valeur africaine. Mais, est-ce qu’on a tous assisté au même procès ? Est-ce qu’on n’a pas tous vu les mêmes horreurs ? Est-ce que vous ne pouvez pas convenir avec moi qu’une des grandes valeurs africaines, c’est effectivement le respect des funérailles, et, est-ce que cette grande valeur n’a pas été bafouée pendant tous ces mois ? Alors, le principe d’autorité, une grande valeur africaine, celle-là, elle a subsisté ?

C’est même contredit par les témoignages. Monsieur le témoin 41 qui est venu témoigner le 17 mai, c’est le fameux Hutu modéré qui dit qu’il n’aime pas trop ce terme-là parce que c’est un petit peu difficile d’être un Hutu modéré, il vous a expliqué qu’à une barrière, il a vu un colonel de l’armée, de son parti, trembler devant des miliciens. Et pourtant, s’il y a bien quelqu’un à qui on doit le respect, c’est bien un colonel. Maître HIRSCH, elle-même, l’a reconnu dans sa plaidoirie. Et elle vous a dit : « Monsieur NIZEYIMANA, lorsqu’il est le boucher de Butare, il a supplanté ses supérieurs ». Et où se trouve le principe du respect de l’autorité, du respect des supérieurs, à ce moment-là ?

Et alors, vous avez la déclaration de Monsieur NKUYUBWATSI, au sujet de la relation entre Monsieur HIGANIRO et le préfet le témoin 32. C’est aussi un dialogue assez intéressant. « Je me rappelle qu’en 1993, il y avait, en ce moment, un préfet Tutsi à Butare et que ce dernier est venu un jour, chez HIGANIRO, en ma présence - nous savons que Monsieur HIGANIRO le conteste - en compagnie de sa femme et de sa fille. En s’adressant à HIGANIRO, le préfet a pris sa fille et a dit à HIGANIRO : je sais que les gens aiment toujours nier l’évidence. Dis-moi qui oserait nier que cette petite n’est pas Tutsi ? - Déjà, je trouve ça tout à fait crédible, moi, comme dialogue. Mais enfin bon - Et HIGANIRO lui a répondu : on verra jusqu’où vous conduiront ces histoires de Tutsi que vous évoquez. Il faisait semblant du respecter en lui répondant ainsi. Et, après le départ du préfet, HIGANIRO a appelé son employé de maison et lui a dit : désormais, qu’aucun Tutsi ne rentre plus dans ma maison ».

Et tout ça s’est relayé, hein. La pseudo-relation entre Monsieur HIGANIRO et Monsieur le témoin 32. Madame DESFORGES est venue nous dire que c’était pas une vraie amitié entre ces deux hommes-là. Monsieur le témoin est venu nous dire qu’en réalité, si le témoin 32 était l’ami de Monsieur HIGANIRO, c’est parce qu’il avait une dette morale. Maître HIRSCH reprend tout cela en disant : « Monsieur HIGANIRO, il a séduit le témoin 32 ». C’est vrai que, comme vous avez pu le voir depuis le 17 avril, Monsieur HIGANIRO, c’est vraiment un séducteur dans l’âme, hein.

Et alors, ça, c’est extraordinaire. Au sujet de ce Rotary dont Monsieur HIGANIRO est devenu membre grâce à son amitié à Monsieur le témoin 32. Amitié que tout le monde conteste au point même de critiquer le témoin 32, préfet de Butare et, sans doute, héros de Butare également. On vous dit : « Il y a un Monsieur DANIE. Monsieur DANIE, il est pas Rwandais, donc, pas de problème. Et Monsieur DANIE, il déclare que HABYARAIMANA lui a présenté, a présenté HIGANIRO au Rotary en disant : c’est un CDR, voilà, on va rééquilibrer le Rotary. Déjà, rééquilibrer le Rotary, c’est pas le gouvernement, hein, le Roraty ! C’est pas une question de sièges, hein ! Mais alors, le préfet Tutsi le témoin 32, venir dire… qui est, enfin, qui est véritablement reconnu comme un héros, comme quelqu’un de parfaitement modéré, venir dire : « Oh, j’ai un CDR, venez voir ! ». Non, mais vous trouvez ça crédible, vous ? ça n’a aucun sens.

Alors, il reste la question des voitures de la SORWAL. Monsieur le témoin 21 vous a dit : « J’ai exigé qu’on circule avec un chauffeur lorsqu’on est venu réquisitionner les voitures à l’usine. J’ai dit : écoutez, vous pouvez prendre les voitures mais, en tout cas, il faut un chauffeur de l’entreprise ». On ne le croit pas, Monsieur le témoin 21. Très bien. Qu’est-ce qu’on a d’autre ? On n’a pas grand chose d’autre. On a Monsieur Rony ZACHARIA, vous vous souvenez, qui a vécu des horreurs sans nom - elles ont été rappelées par Maître HIRSCH -, et qui nous a dit : « Vous savez, tous les véhicules ont été réquisitionnés, à un moment ou à un autre. Même les véhicules de MSF France ». Alors, est-ce que vous avez, dans tous ces débats, depuis le 17 avril, vous avez une seule preuve relative au fait que Monsieur HIGANIRO a consenti à l’utilisation de ces véhicules par des Interahamwe, a donné instruction pour que ces Interahamwe utilisent les véhicules, était au courant qu’on utilisait des véhicules, et avait le pouvoir d’y faire quelque chose ? Non.

Alors, la lettre du 23 mai 1994 que je vous ai demandé d’avoir sous les yeux, je vais d’abord vous la situer. Vous vous rappelez que le 12 avril, Monsieur HIGANIRO arrive à Kigufi. Le 28 avril, il retourne à Butare. Le 29 avril, se tient la réunion à la SORWAL. Le 14 mai, arrivent Messieurs le témoin 40 et NKUYUBWATSI qui vont lui donner une partie de la recette des ventes et le 23 mai, arrive le chauffeur du camion avec de l’essence et, nous dit Monsieur HIGANIRO, une lettre de Monsieur le témoin 21.

On vous dit du côté de l’accusation : « Comment lire cette lettre ? » Qu’est-ce qu’on vous dit ? On vous dit : « Ne lisez pas : merci pour votre lettre-rapport. Lisez : merci pour le rapport des tueries à Butare et pour le carburant, que j’espère, acquis au prix normal, qui me permet de tuer ». Ça, c’est ce qu’on vous demande de considérer. On vous dit : « Lorsque Monsieur HIGANIRO écrit : travailler, entre guillemets, il veut dire : tuer ». Voulez-vous me dire, pourquoi, si Monsieur HIGANIRO est ce grand génocidaire, ce grand planificateur, ce type qui est vraiment au centre du complot génocidaire, qui peut prendre toutes les décisions, qui peut pourvoir à toute l’organisation, pourquoi il doit faire venir de l’essence de Butare ? Pourquoi il n’a pas le pouvoir du réquisitionner sur place ? On ne vous a pas dit non plus à quoi cette essence avait été utilisée, dans la thèse de l’accusation, évidemment. Parce que, dans la thèse de la défense, nous verrons ça dans une minute.

On vous dit : « Lisez la deuxième phrase en disant : La situation militaire est grave, faute surtout d’armes et de munitions. Ces fournitures demeurent la grande préoccupation du gouvernement. » « Mais moi, Alphonse HIGANIRO, je m’en occupe » : c’est ça qu’on vous demande de lire.

On vous demande de lire : « Pour la sécurité dans Butare, il faut poursuivre et achever les tueries ». Et ça, c’est vraiment une instruction capitale. Ca, c’est vraiment une instruction utile. C’est une instruction nécessaire pour les Interahamwe restés à Butare ? C’est une instruction utile pour les Interahamwe restés à Butare ?

Et alors, phrase 4 : « Vous travaillez dans des conditions difficiles » : ben, continuons : « Vous tuez dans des conditions difficiles ». Là, il y pas de guillemets, mais… sécurité, fourniture d’eau etc. mais il faut tenir. « Surtout que les prochaines ruptures de stock nous permettent encore près de 2 mois de… tueries » ? Et ainsi de suite.

Alors, la phrase 5 : « Je m’occupe pour le moment de la défense de la république surtout en relation avec le Zaïre, notre seule porte de sortie actuellement ». On vous dit : ça, c’est le trafic d’armes. Mais c’est clair hein, moi HIGANIRO, je m’occupe du trafic d’armes que j’évacue vers le Zaïre. Ça, c’est pratique. Ou mieux, il évacue les génocidaires, il est chargé de ça. Et, pour la défense de la République, c’est une bonne idée de prendre la fuite, hein.

Et puis alors, vous avez toutes les autres considérations qu’on vous demande d’interpréter, on ne sait pas trop comment…

Mais, si vous reprenez l’explication de Monsieur HIGANIRO, Monsieur HIGANIRO vous dit : « Si j’ai mis des guillemets à travailler et à nettoyage, c’est pour faire référence à la lettre que j’avais reçue ». Et si vous regardez bien, n’y a-t-il des guillemets qu’à travailler et qu’à nettoyage ? Non. Il y a des guillemets à lettre-rapport. Et la grande erreur de Monsieur HIGANIRO, c’est pas d’avoir utilisé les termes travailler ou nettoyage : c’est d’avoir confondu les guillemets avec les astérisques. Parce que c’est comme ça qu’on fait une référence, en français. C’est avec un astérisque. Et on met « lettre-rapport » avec astérisque et « on » et « travailler » avec astérisque, et comme ça, on comprend que l’astérisque de « travailler » renvoie à l’astérisque de « lettre-rapport » mais quand on met des guillemets, évidemment non, ça c’est pas clair du tout.

Alors, il dit : « Merci pour votre lettre-rapport et pour le carburant, que j’espère acquis au prix normal, qui me permet de travailler ». Et il vous explique : « Comme j’avais décidé de prospecter dans la région, il fallait imputer ce carburant, non pas sur les frais du directeur général,  mais sur les frais de prospecteur commercial. Et c’est exact : il y a eu de la prospection commerciale faite par Monsieur HIGANIRO. On a les reçus : carton 13, sous-farde 49, pièce 50. Et il a, effectivement, reçu cette essence. Alors ça, c’est déjà confirmé.

« La situation militaire est grave, faute d’armes et de munitions. Ces fournitures demeurent la grande préoccupation du gouvernement ». Monsieur HIGANIRO explique qu’il reçoit une lettre de son directeur technique qui se plaint des conditions de travail. Et il lui dit : « Voilà la situation du pays ».

« Pour la sécurité dans Butare, il faut poursuivre et achever le nettoyage ». Alors, Monsieur HIGANIRO nous a parlé de ce problème de camion. Et vous devriez voir dans le dossier, le nombre de fois qu’on l'a interrogé sur le problème du camion. En lui disant : « Mais, bon, alors, sur l’aire de la SORWAL, par où arrive la boue ? Par où arrive le camion ? Comment est-ce qu’il s’embourbe ? Comment est-ce possible que… ? » Monsieur HIGANIRO il n’est pas… il n’a pas assisté à l’accident du camion.

Il reçoit une information, il dit : « Je reçois une information double. Il y a des problèmes avec ce camion, d’une part à l’extérieur de l’usine, sur des chemins qui ne sont pas asphaltés et d’autre part, dans l’usine, dans Butare, parce qu’il y a la région extérieure, et Butare ». Et il dit : « Pour la sécurité dans Butare - et c’est vrai, répond-il, à Monsieur le président, sur une de ses interpellations - j’aurais mieux fait d’écrire ça autrement ». Et alors, on vous dit : « Monsieur HIGANIRO, il a la plume facile. Il a la plume élégante. Et quand il veut bien s’exprimer, il s’exprime bien. Donc, tout ça ne tient pas la route ». « Vous travaillez dans des conditions difficiles. Mais il faut tenir surtout, que les prochaines ruptures de stock nous permettent encore près de 2 mois de travail ». Vous trouvez ça très français, vous ? « Les prochaines ruptures de stock nous permettent encore près de 2 mois de travail ». C’est les stocks qui permettent encore près de 2 mois de travail, ou bien, ne nous permettent plus que 2 mois de travail. C’est pas très français, c’est pas très élégant, cette plume-là.

Alors, je vous ai fait distribuer le plan de la SORWAL pour que vous voyiez qu’effectivement, il y a une voie d’accès principale qui est numéroté : 19, au milieu, sur la gauche, et une voie d’accès secondaire qui est numérotée : 31. Le long de cette voie d’accès secondaire, il y a un tracé en pointillés qui est constitué par la tranchée. Alors moi, je ne vais pas vous dire où ce camion a eu un accident, dans quelles circonstances ? Parce que, moi non plus, j’étais pas à la SORWAL, pas plus que Monsieur HIGANIRO. Mais, en tout cas, vous avez vu qu’il y a une aire bétonnée qui se trouve au numéro 22, à côté de l’entrepôt. On a vu ça aussi sur les cassettes vidéo. Mais vous avez vu qu’un peu plus haut, c’est le champ et la terre. Et vous voyez la tranchée. Alors, je ne sais pas à quel endroit à eu lieu cet accident, ou cet incident plutôt, et Monsieur HIGANIRO, non plus, ne le sait pas.

Monsieur HIGANIRO, il reçoit une information dont on lui dit : « Il y a eu un problème avec de la boue ». Et il dit : « Il faut poursuivre et achever le nettoyage ». L’accusation vous dit : « Non, non, poursuivre et achever le nettoyage, ça veut dire : poursuivre et achever les tueries ». C’est très utile, ça, comme instruction, hein, pour un grand planificateur, un grand génocidaire. C’est un plan bien construit, c’est un plan bien détaillé, c’est un plan bien intelligent.

Alors, il continue : « Ne m’envoyez pas les rapports trimestriels, ni le budget corrigé ». Enfin, c’est toutes ces obligations auxquelles il est tenu vis-à-vis du Conseil d’administration. Mais, grand génocidaire, il organise le financement des Interahamwe et il continue de s’inquiéter des consignes du Conseil d’administration ?

« On a eu beaucoup de pertes en personnel, il faut tourner en une seule équipe.» On vous l’a dit : « Une équipe d’abord, puis 2 équipes. Et puis, à la suite des pertes en personnel, plus qu’une équipe ».

« Réformer le veilleur MBONYUBWABO est une nécessité urgente. le témoin 121 Viannet doit habiter près de l’usine, sinon, le dispenser de travail pendant 15 jours ». le témoin 121 Viannet, il est venu nous confirmer qu’il s’était senti menacé, qu’il n’avait pas pu travailler, qu’on était venu le chercher de la SORWAL pour lui permettre de travailler à la SORWAL. Il confirme cette mention. « Alors, effectivement, il va de soi que tous les disparus, déserteurs et autres qui ne travaillent pas, pas de salaire ». Comme dit Monsieur le juge d’instruction : « C’est pas très charitable ». Ça, je suis tout à fait d’accord. Mais, pourquoi est-ce qu’il s’occupe encore des salaires de ses employés si, véritablement, c’est une usine pour financer les Interahamwe ? Pour produire des Interahamwe ? « Prière de respecter scrupuleusement le manuel de procédure et autres notes de services dans vos décisions, etc. etc

Alors : « PS. : La boîte d’allumettes coûte 15 francs à Gisenyi, en détail, quand elle est importée ». Donc, il continue de s’occuper du prix d’une boîte d’allumettes alors qu’il est là, en grand conclave, avec les grands chefs génocidaires et qu’il est en train de planifier le génocide. « L’agent commercial doit s’agiter pour vendre le maximum ». Parce que, pour contester la version de Monsieur HIGANIRO au sujet de cette lettre, on a été interroger Monsieur le témoin 40 en disant : « Et alors, on vous a retiré votre poste d’agent commercial ? » « Ben non, dit Monsieur le témoin 40, moi, j’ai continué à prospecter ». Mais Monsieur HIGANIRO, il n’a jamais dit qu’il avait remplacé l’agent commercial ; il dit qu’il joue le rôle d’agent commercial, là où il est. C’est pas pour ça que l’autre ne peut pas continuer à prospecter. Et c’est ce qu’il dit : « L’agent commercial doit s’agiter pour vendre le maximum ».

Alors, vous avez dans cette lettre six mentions professionnelles claires. Je pense que personne ne le conteste. Une mention relative à la situation du pays et la situation du pays, vous conviendrez avec moi qu’à cette date, elle n’est pas facile. Deux mentions qui ne sont pas claires et dont on veut vous faire dire qu’il faut les interpréter dans le sens d’une participation aux crimes qui sont reprochés à Monsieur HIGANIRO, alors que je vous démontre que Monsieur HIGANIRO, qui s’exprime clairement et qui a une plume facile, peut aussi, dans la précipitation, ne pas écrire correctement le français, non seulement en utilisant le terme travailler, nettoyer, mais également, en parlant de la rupture des stocks. Et vous avez l’expert graphologue qui vient vous dire qu’effectivement, il a écrit cette lettre d’une manière précipitée, d’une manière mouvementée. Et Monsieur HIGANIRO nous a dit : « Moi, j’ai reçu une lettre et, vite, j’y ai répondu et voilà ».

Vous avez la mention relative au carburant qui permet de travailler, qui est confirmée par les faits. On sait que le carburant est arrivé de Butare à Kigufi, et on a la preuve que Monsieur HIGANIRO a démarché des clients. Par contre, ce qu’on ne nous explique pas, c’est pourquoi, si c’est un grand génocidaire, il a dû faire venir du carburant de Butare, hein ?

Alors, il reste la question de ce nettoyage. Et, personne ne croit Monsieur le témoin 21, j’entends. J’entends. L’un d’entre vous, Mesdames et Messieurs les jurés, a posé la question au juge d’instruction : « Est-ce qu’on peut vérifier auprès du directeur de la prison si les prisonniers, qui ont été réquisitionnés le dimanche pour dégager le camion, l’ont effectivement été ? » Monsieur le juge d’instruction a dit : « ça n’a pas été possible ».

Pour ce qui concerne la tranchée, il n’y a pas que Monsieur le témoin 21 qui en parle. Il y a Monsieur le témoin 121 qui est venu nous en parler également, qu’il y avait une tranchée.

Et alors, reste le conducteur de ce camion. Et là, Monsieur le témoin 21 n’a pas tout de suite dit à Monsieur HIGANIRO qu’il n’avait pas pris le conducteur habituel du camion. Pourquoi ? Parce que, comme vous l’a dit Monsieur  le témoin 40, tout le monde a peur de Monsieur HIGANIRO dans l’entreprise et le témoin 21, plus particulièrement, parce qu’il a subi une mise à pied, déjà précédemment. Et donc, il se dit : « C’est de ma faute, j’ai pas mis le conducteur, habitué à ce camion, dans le camion. Donc, je ne vais pas dire qui conduisait le camion ». Et, quand il est interrogé par le juge d’instruction, le 30 décembre 99, il le dit. Il donne les noms des conducteurs, enfin de deux conducteurs possibles de ce camion. Ces 2 personnes n’ont pas été interrogées et je n’en fais pas le reproche au juge d’instruction : en 1999, c’est fort tard, ça, j’entends bien.

Mais donc, on essaye de vous faire avaler une version de ce texte en disant : « Voilà, il faut interpréter cette lettre comme ça ». Vous avez la certitude qu’il faut la comprendre comme ça ? Parce que, mine de rien, lorsqu’on la comprend dans le sens dont vous parle Monsieur HIGANIRO, eh bien, ça tient la route ce qu’il dit, sauf qu’on n’a pas la vérification pour la sécurité dans Butare. « Il faut poursuivre et achever le nettoyage ». D’accord. On n’a pas la vérification. Mais vous avez la certitude qu’il a donné et qu’il a écrit une lettre qu’il a fait porter à la SORWAL, pour dire :    « Il faut poursuivre et continuer les tueries à Butare, hein ». Ca c’est, ça c’est vraiment un ordre d’une utilité incroyable.

Alors, je reviens encore sur : « Je m’occupe pour le moment de la défense de la république surtout en relation avec le Zaïre, notre seule porte de sortie, actuellement ». Pourquoi porte de sortie ? Parce que Monsieur HIGANIRO démarche des allumettes. Et il veut démarcher des allumettes, et il veut trouver des gens qui vont aller les vendre à l’extérieur, c’est-à-dire, au Zaïre. Mais, il ne peut pas aller trouver des clients dans le Zaïre, parce qu’on n’exporte pas la monnaie rwandaise. Donc, il trouve des clients qui se trouvent sur la frontière et qui ont un commerce, à la fois, en francs rwandais et à la fois, en francs zaïrois, et qui peuvent ainsi s’y retrouver.

Et donc, la porte de sortie, c’est la porte de sortie de quoi ? Des armes ? Allons, allons. Des génocidaires ? Pour assurer la défense de la République ? Non, hein ! Des allumettes, vous allez me dire : « Mais à quoi ça sert, des allumettes pour la défense de la République ? » Et Monsieur HIGANIRO de dire : « Il fallait que nous payions l’impôt des entreprises, l’impôt sur le chiffre d’affaires qui est un impôt qui se paie régulièrement et non pas à la fin de l’année, et tout ça, c’est dû au communiqué à la radio, qui a eu lieu peu de temps avant que je ne retourne à Butare, pour cette réunion du 29 avril. Et Maître GILLET de dire : « Mais enfin, Monsieur HIGANIRO, vous avez entendu un discours de pacification, et vous dites que vous retournez à Kigufi, parce que vous savez que la guerre continue ; c’est donc bien la preuve que vous saviez que les massacres allaient continuer ». On a le texte de ce communiqué : carton 25, sous-farde 84. Il n’y a pas de numéro de pièce parce que les pièces ne sont pas numérotées. C’est un communiqué de la République rwandaise, cabinet du premier ministre, du 27 avril 94, qui dit toute une série de choses et notamment : « Qu’il faut inviter la population à soutenir entièrement le gouvernement et les forces armées qui se battent pour la souveraineté de notre pays et pour le retour de la paix au Rwanda ». Si la paix doit revenir, c’est donc bien qu’il y a guerre. Ce communiqué dit également : « Vous veillerez à ce que les employés retournent au travail, que les marchés publics se tiennent comme d’habitude et que les usines recommencent à fonctionner ».

Et alors, j’ai encore retrouvé dans le dossier, une pièce qui date d’après le retour… enfin, d’après l’arrivée de Monsieur HIGANIRO en Belgique. C’est une pièce qui date du 11 juin 94, et c’est au carton 13, sous-farde 49, pièce 17, annexe 14. C’est un ordre du jour manuscrit, écrit par le témoin 21. Un ordre du jour d’une réunion qui doit se tenir le 11 juin 94 qui dit :

« 1. Stratégie de commercialisation. C’est-à-dire : où est-ce qu’on démarche les clients ?

2. Stratégie de production, situation des approvisionnements. C’est-à-dire : où en est-on avec les stocks ?

3. Evolution de la situation actuelle et perspective pour le 2ème semestre. Comment est-ce qu’on va arriver à faire fonctionner la SORWAL dans la situation actuelle ?

4. Situation du personnel : désertion, absentéisme, abus. C’est effectivement cette mention, fort peu charitable, de la lettre de Monsieur HIGANIRO.

Et 5. - enfin je dis 5, je vais vous lire toutes les mentions mais là, la photocopie n’a plus pris les numéros - ICHA, Cantine, Café Lixemwaga, divers, relations sociales ». ICHA, en majuscules, I.C.H.A. : impôt sur le chiffre d’affaires. Alors ça, cette pièce, on ne l’a pas soumise à Monsieur HIGANIRO, à ma connaissance. Je dis bien, à ma connaissance. Et ça confirme ce qu’il dit : « On s’inquiète, pour la défense de la République, des impôts ».

Alors, voilà où on en est à propos de la situation de la SORWAL, je ne doute pas que d’ici à mercredi, date des répliques, nous aurons encore droit à d’autres pièces… Tant qu’on y est, si c’était possible, je souhaiterais les recevoir avant. Et, est-ce que vous estimez, au vu de tout ce que je vous ai dit, qu’il y a là, de quoi tirer une certitude, et quand je dis une certitude, je vais même plus loin, une preuve que Monsieur HIGANIRO a utilisé la SORWAL pour financer des Interahamwe ? Volontairement, en connaissance de cause ? Que Monsieur HIGANIRO, a créé, comme vous dit Maître GILLET, une troisième milice dans la SORWAL ? Volontairement, en connaissance de cause ?

Que Monsieur HIGANIRO a envoyé cette lettre du 23 mai pour encourager les Interahamwe, leur donner des instructions… parce que, un argument qui ne vous a pas été dit, c’est… mais je pense qu’effectivement, c’est ce que soutient ou soutiendrait l’accusation, c’est pourquoi cette lettre, elle est rédigée en français. Parce qu’en français, travailler et nettoyer, ça veut dire travailler et nettoyer, hein. Mais alors, on vous dit : « Oui, mais c’est pour ça qu’il y a l’usage des guillemets, c’est pour faire référence au Kinyarwanda ». Mais, si c’est pour faire référence au Kinyarwanda, alors pourquoi c’est pas pour faire référence à la lettre-rapport ? Et cette lettre- rapport, elle est où ? Alors, vous pouvez effectivement penser qu’elle a disparu. On peut aussi se demander si elle n’est pas à la SORWAL. Parce que, comme vous a dit Maître MONVILLE, on ne reçoit que des photocopies. Donc, on garde des pièces. On a la preuve que, lorsque Monsieur le juge d’instruction s’est présenté pour demander des documents, on lui a donné des documents, mais pas tous, il en vient d’autres…

Alors, tout ça, Mesdames et Messieurs le jurés, tout ce qui est relatif à la SORWAL, à mon avis, ça n’est effectivement qu’un peu plus de fumée pour vous faire croire que Monsieur HIGANIRO est ce grand planificateur, ce 3ème pilier des hommes d’affaires, alors qu’en réalité, quand on analyse les pièces, quand on analyse les documents, et quand on essaye d’analyser un petit peu la thèse de l’accusation, ça ne tient pas la route.

Je vais maintenant laisser la parole à Maître MONVILLE qui va vous parler des faits qui sont reprochés à Monsieur HIGANIRO, en relation avec Kigufi. Je vous remercie.

Me. MONVILLE : Je voudrais réagir aux propos que vous avez tenus à la fin de mon intervention, cet après-midi. Votre observation m’interpelle, votre observation m’a choqué. J’avais invité les jurés à réfléchir à un parallèle à établir entre un certain vocabulaire utilisé dans le discours politique, tant au Rwanda qu’en Belgique, et ce, avec une certaine pertinence, me semble-t-il. J’ai eu le sentiment, Monsieur le président, que ces propos ont été dénaturés. Mais mon sentiment, c’est pas grave. Mais l’effet, l’effet sur Monsieur HIGANIRO, ça c’est grave. Vous avez dit en inaugurant les débats : « Le président de la Cour d’assises va devoir se taire, il interviendra si des parties essaient de vous induire en erreur, notamment en droit, si on vous dit que le meurtre n’est pas passible de poursuites en Belgique, on essaie de vous induire en erreur ». Je pose une question, Monsieur le président, avec respect, mais je vous la pose : pensez-vous qu’il est conforme au droit de chaque accusé, qu’un président de Cour d’assises donne son sentiment sur une plaidoirie ? N’est-il pas de l’essence même du respect de l’intime conviction des jurés, qu’aucun commentaire, aucun commentaire ne soit prononcé sur une plaidoirie ?

Droit de la défense, mais surtout, devoir de réserve de celui qui est le président, de celui vers qui se tournent les jurés quand il y a une difficulté. Monsieur HIGANIRO, et je prends la parole sur ce point parce que vous avez demandé cette réaction, vous avez dit : « Maître MONVILLE, vous allez reprendre la parole ? ». « Oui, Monsieur le président ». « Vous allez un peu nous expliquer le conflit national, international armé, en Belgique ». Monsieur HIGANIRO, je pense que, avec raison, ne peut accepter de tels propos. Et alors, je me tourne vers vous avec loyauté. Pour l’instant, je n’en tire aucune conséquence, mais je voudrais que soit, ces propos soient rectifiés si je les ai mal compris, une certaine fatigue, une longue journée, soit, s’ils ne pouvaient être rectifiés, je voudrais qu’ils soient actés ; c’est, Monsieur le président, une question de principe sur laquelle il ne peut être tergiversé. Je souhaiterais qu’en toute loyauté, vous puissiez m’éclairer, nous éclairer sur ce point avant de poursuivre mon exposé.

Le Président : Vous ne souhaitez plus continuer à prendre la parole ?

Me. MONVILLE : Monsieur le président, je répète : « Je souhaite continuer à prendre la parole, mais il y a un point préalable. Soit les propos qui ont été tenus sont rectifiés, ou vous me donnez une explication qui me permet de mieux comprendre ».

Le Président : Ah ! mais je vais vous donner l’explication. Vous souhaitiez faire un parallèle, je crois ? C’est bien ce que j’ai compris ? Parallèle entre des propos politiques en Belgique et des propos politiques au Rwanda ?

Me. MONVILLE : Des discours, oui. Entre le vocabulaire utilisé.

Le Président : Alors, c’est peut-être moi qui ai mal compris. J’ai peut-être mal compris. Alors expliquez-vous. Voulez-vous faire un parallèle ou pas ?

Me. MONVILLE : Monsieur le président, je pense que j’ai consacré suffisamment de temps à cet exposé, mais je vais le synthétiser. Le discours politique est un discours qui est fait de tensions, qui est fait de luttes, au sens premier du terme. Le discours politique justifie quel que soit le pays, quel que soit le contexte, l’emploi d’un vocabulaire qui est parfois un vocabulaire avec une certaine connotation, et comme l’a dit Maître CUYKENS : « Interpréter a posteriori, c’est facile, mais quand on se place ex ante, avant que les choses n’arrivent, eh bien, il est toujours difficile d’imaginer ce que ça donnera quand on est dans une ambiance, quand on baigne dans un discours ambiant, il faut essayer de resituer ce discours ambiant dans le contexte et pas essayer d’interpréter ex post ». Voilà, Monsieur le président.

Le Président : Bien, donc je comprends…

Me. MONVILLE : C’était quelque chose qui était clair.

Le Président : Je comprends, à votre réponse, que vous ne faisiez pas un parallèle. Vous exposiez que dans des discours politiques, il y avait des termes que l’on pourrait peut-être qualifier de belliqueux. Alors, dans la mesure où vous ne vouliez pas faire un parallèle, je retire mon observation.

Me. MONVILLE : Est-ce que ça pourrait être acté ?

Le Président : Par contre, si vous vouliez faire un parallèle, je crois que vous deviez faire le parallèle jusqu’au bout.

Me. MONVILLE : Est-ce qu’il n’aurait pas été plus simple de simplement poser la question à la défense plutôt que de, de l’affirmer d’une manière péremptoire. Je voudrais peut-être qu’on acte que ces propos, que vous retirez ces propos, Monsieur le président.

Le Président : Dans la mesure où vous n’aviez pas demandé qu’ils soient actés, si nous avions cette explication, on n’actera, ni les propos, ni leur rétractation.

Me. MONVILLE : Voilà. Enfin, je ne veux pas faire de difficulté, je crois qu’on s’est compris et c’est la chose la plus importante. Je vous remercie.

Le Président : Vous pouvez poursuivre.

Me. MONVILLE : Je vous remercie.

Troisième volet : les faits mis à charge de Monsieur HIGANIRO, à Kigufi.

Changement total de décor. Non seulement géographiquement, mais également en ce qui concerne le rôle de Monsieur HIGANIRO ou le mode de commission de l’infraction. Monsieur HIGANIRO, l’homme de l’ombre, l’homme des coups tordus, il aurait mis la main plus concrètement à la pâte, chez lui, dans sa villa, à Kigufi. Nous allons repartir de nouveau de ce que nous a dit Monsieur l’avocat général : « Quelle est la trame de l’accusation ? ». Prenez l’acte qui porte le même nom, page 25. C’est assez sidérant de relire cela, pratiquement 2 mois après le début du procès. On y lit : « La villa de Monsieur HIGANIRO est encastrée dans le domaine du monastère, elle est enclavée, et pour obtenir un accès au lac Kivu, Monsieur HIGANIRO supprime son voisin ». Bien. Force est de constater que les débats devant cette Cour d’assises ont apporté certains éclaircissements. Je crois que plus personne, aujourd’hui, ne retient cette explication, mais il s’en est fallu de peu. Mesdames et Messieurs les jurés, je vous rappellerai les problèmes de Monsieur le juge d’instruction qui n’a pas pu, malgré son bon vouloir, vous montrer l’existence de ce portail mais heureusement, la vidéo qui a été projetée à permis de corriger le tir : il n’y a pas de problème d’enclavement, vous l’avez constaté ; et heureusement, le père le témoin 18 qui avait porté la même accusation, c’est d’ailleurs lui, c’est d’ailleurs sur la base de sa déposition que Monsieur l’avocat général avait rédigé son réquisitoire… euh, son acte d’accusation. Il a reconnu, quand il est venu ici, qu’il avait été mal informé. Ça, c’est une notion que j’apprécie beaucoup parce que, mal informé veut dire qu’il a été mal informé par quelqu’un d’autre, mais ici, c’est par lui-même, c’est de l’auto flagellation.

Il a écrit, le 5 novembre 1995, une lettre au juge d’instruction. Il en avait déjà écrit précédemment en disant qu’il savait des choses, le juge lui dit : « Ben, si vous savez des choses contre HIGANIRO, dites le-moi ». Et dans sa réponse du 5 novembre, Monsieur le témoin 18 dit au juge : « Ben, je ne peux rien faire de mieux que de reprendre le cours des événements des 7 et 8 avril 94, tels que je les ai vécus et j’ai consigné cela dans mon diaire », donc, c’est un agenda où il décrit, au jour le jour, ce qui s’est passé. Et il explique qu’il a suivi les événements depuis la propriété qui est située en face de la villa de Monsieur HIGANIRO, rappelez-vous cette petite crique, il y avait le couvent avec toutes ses dépendances, vous avez la végétation, la villa de Monsieur HIGANIRO, la maison de la famille le témoin 123, une seconde maison puis, à mon avis, des terrains vagues, enfin bref, c’est pas très précis et alors, si vous allez plus loin, vous apercevez tout ce qui concerne le domaine de monseigneur, c’est là que Monsieur le témoin 18 s’est situé.

Donc, il était là, en face. Mais que dit-il ? Ben, j’ai suivi certains événements avec les jumelles, et sa vue a l’air assez perspicace puisqu’il explique qu’il a notamment vu, à 18 heures, à l’heure où il commence à faire sombre, mais il a vu en tout cas le pillage de la maison de Benoît et il dit que : « Les domestiques de Monsieur HIGANIRO faisaient passer les meubles par-dessus la haie de cyprès ». Ça, il a vu, mais par contre, le portail, il n’a pas vu. Ça il n’a pas pu voir à l’époque, puisque dans sa lettre il dit : Monsieur HIGANIRO convoitait la maison pour avoir un passage direct sur le lac. Mais je dis : « Heureusement, Monsieur le témoin 18 a retrouvé une meilleure mémoire puisqu’il a été même jusqu’à préciser devant la Cour que le terrain, tout le terrain en fait, finalement, sur lequel les 3 immeubles sont construits, ces maisons appartiennent à la commune, tant la maison de la famille le témoin 123 que celle de la famille HIGANIRO ». Alors, c’est de nouveau embarrassant, hein, c’est embarrassant parce qu’on doit à nouveau changer son fusil d’épaule. Et l’alibi qui a été retenu pendant toute l’instruction et encore au tout début de ce procès, eh bien, il tombe. Mais je vous ai dit, Mesdames et Messieurs les jurés : « Il ne faut pas vous inquiéter, on va trouver autre chose ».

C’est quoi, cette autre chose ? Ben, c’est la chronique de la haine du Tutsi commune. Chronique d’une haine commune. Monsieur HIGANIRO aurait commandité l’assassinat de ses voisins parce qu’ils étaient Tutsi, parce qu’ils le gênaient et ce, dès le début des massacres, le 7 ou le 8 avril. Et alors, on va vous présenter un casting qui, cette fois, paraît mieux ficelé. Quoique.

Monsieur HIGANIRO, qui vient d’apprendre, ne l’oublions pas, le décès de son beau-père et du président, prend son téléphone assez rapidement, contacte ses lieutenants ou supposés, le témoin 3 et le témoin 12 qui sont pas dans la villa, elle est fermée quand il n’est pas là, mais, ne chipotons pas, et il dit à ses lieutenants : « Vous allez exécuter ce voisin » et les domestiques, évidemment, obtempèrent et font le nécessaire pour que les ordres soient exécutés. Et une semaine après, Monsieur HIGANIRO, qui partant de Kigali, arrive à Gisenyi, Kigufi, Monsieur HIGANIRO, qui ignore une présence inamicale, tapie dans la haie de cyprès, va faire à ses domestiques, une terrible confession : ils ont mal exécuté ses ordres, ils ont tué, mais, il y a des survivants. « Il faut tuer du bébé jusqu’au vieillard, je veux voir les cadavres pour me rendre compte » : incroyable ! Et c’est précisément le seul survivant de cette famille exécutée qui entend cela et qui, terrorisé, s’enfuit à grandes enjambées.

Arrêtons-nous. Arrêtons-nous. Monsieur HIGANIRO, l’homme, ça a été dit dans cette enceinte, qui a pouvoir de vie ou de mort à Kigufi, cet homme a donc ordonné l’exécution d’une famille entière, la famille le témoin 123, et pourquoi ? Parce que c’étaient des Tutsi, parce que ses voisins le gênaient. Voilà le casting. Il pèche à la fois par simplisme et incohérence. Mais, qu’importe, qu’importe ! On va devancer la critique et on va s’affranchir, et c’est une première judiciaire, si cela passe, ce serait vraiment historique, on va s’affranchir du devoir de démontrer, de prouver, c’est Monsieur l’avocat général qui doit prouver, actor incubit probatio, dit-on en latin, c’est lui qui doit prouver les accusations qu’il porte. Eh bien, on s’affranchit de devoir démontrer quoi que ce soit. Et Monsieur l’avocat général a créé une nouvelle figure juridique, je n’en n’avais pas encore apprécié toute la portée, mais on pourrait l’appeler : le témoin sanctuaire, le témoin inviolable, le témoin sacré. Rappelez-vous le réquisitoire : « J’ai déploré la manière dont on a tenté de déstabiliser le témoin, en posant des questions de détail ». Ce que dit le jeune Olivier, sans anticiper les plaidoiries de demain, c’est paroles d’Evangile.

Ça, c’est un tout petit peu court, quand même. Ou alors, si c’est exact, si c’est exact, si les choses se passent comme ça, ben, il n’y a plus besoin de tenir un procès, Mesdames et Messieurs les jurés, c’est plus la peine de prévoir la possibilité d’une contradiction, de prévoir que les témoins sont interrogés par le président, qu’après vous posez, Monsieur l’avocat général, les juge assesseurs posent des questions, les parties civiles, voire la défense ou peut-être est-ce que la possibilité de poser des questions s’arrête ici ? Peut-être qu’il y a une barrière ici ? Je sais pas ! Je vous dis : « Il faudrait examiner si ces choses-là sont compatibles avec les règles de notre procédure pénale ».

Et alors, ce qui est encore plus surprenant, c’est la volte-face finale de Monsieur l’avocat général : « Je n’ai pas la preuve absolue… » doit-il reconnaître, « …de l’ordre donné aux Interahamwe, de tuer Olivier, Benoît et toute sa famille ». Ah ben ! On pourrait s’en satisfaire, Mesdames et Messieurs les jurés, de pareilles conclusions, en vous expliquant, et c’est tout à fait exact, qu’elle trahit un doute dans le chef de la partie poursuivante. Si la partie poursuivante doute, vous douterez également ; on ne doit même pas vous démontrer que ce doute existe et le doute mène obligatoirement à l’acquittement.

Mais Monsieur HIGANIRO, il ne mange pas de ce pain-là. Qu’est-ce qu’on a entendu qu’on allait plaider ? Qu’est-ce qu’on a entendu qu’on allait plaider ? On va vous plaider le doute. On plaide pas le doute. C’est pas comme ça qu’on s’en sortira. Et Monsieur HIGANIRO, il entend vous démontrer qu’il n’a rien à voir avec ces faits et je comprends qu’il souhaite cette démonstration.

Tout d’abord, deux observations guidées par le bon sens. Je vous demande, Mesdames et Messieurs les jurés, de ne pas oublier que le jour où les faits se sont déroulés à Kigufi, Monsieur HIGANIRO vit lui-même des moments un peu difficiles. Il est à Kigali, les balles pleuvent. Son beau-père est mort. Sa famille n’est pas réunie. Est-ce qu’on sait faire 100 mètres ? Est-ce qu’on sait aller de l’un chez l’autre ? Tout ça paraît très difficile. Ne peut-on pas considérer que Monsieur HIGANIRO a d’autres préoccupations, à ce moment-là, que de penser à ses voisins ?

Deuxième observation. Maître LARDINOIS vous a donné sa chronologie de l’emploi du temps de Monsieur HIGANIRO pendant les événements d’avril et mai 1994. Mais il y a un… un point qu’il n’a pas, à mon avis, assez creusé, et je l’invite peut-être à y réfléchir. Monsieur HIGANIRO, qui arrive à Kigali le 7, ne quittera la capitale que le 12. Le 12 avril 94. Il reste donc 5 jours à Kigali. Cela a nécessairement une double conséquence : s’il a donné l’ordre depuis Kigali ou Butare, peu importe. Si le sort de la famille le témoin 123 est tellement important à ses yeux qu’il ait donné cet ordre dans les conditions que je viens de rappeler, mais pourquoi a-t-il attendu jusqu’au 12 avril minimum, et peut-être même plus tard, pour connaître le résultat ? Or, nous savons que le téléphone inter-préfectoral a continué à fonctionner, justement, au moins jusqu’au 12 avril. Madame DESFORGES est venue le dire. Celui qui donne un ordre, il attend souvent qu’on l’exécute et qu’on lui fasse rapport, mais Monsieur HIGANIRO, il s’empresse, c’est urgent, le 7, le 8, il faut y aller : « Ces le témoin 123, je ne peux plus les sentir ». Apparemment, il n’a rien demandé entre le 7 et le 12 et le 13. Il ne s’est pas inquiété de ça. Vous apprécierez.

Deuxième conséquence. S’il quitte Kigali, comme je le disais à l’instant, le 12 au matin, la route n’est peut-être pas très longue, mais elle est compliquée, il y a des barrages. On arrive à Kigufi que bien plus tard dans l’après-midi, on arrive d’abord à Gisenyi, la route vers Kigufi n’est pas très bonne et on suppose qu’il rencontre ses domestiques, hein, puisqu’ils sont là pour veiller sur la maison, il faut bien quelqu’un pour l’accueillir. Alors, ce qui est un peu contradictoire, c’est que les paroles que le jeune Olivier prête à Monsieur HIGANIRO, il les aurait tenues en matinée, vers 11 heures du matin. Et ce sont bien les paroles de quelqu’un qui vient de débarquer. « A Kigali, nous avons terminé le travail. Et vous ? Qu’est-ce qui se passe ici ? ». Quand les choses se sont-elles passées ? Très difficile à savoir, très difficile d’avoir une certitude.

Mais tout ça, c’est sans tenir compte d’un dernier retournement de situation. Il n’a rien compris, le jeune Olivier. Peut-être qu’il n’a pas bien compris ce qu’il a raconté aux enquêteurs. Peut-être que ça a été mal traduit. Mais il y a une nouvelle hypothèse que nous devons à l’extraordinaire sagacité de Maître LARDINOIS. Moi, j’avais toujours compris que le jeune Olivier était dans les cyprès et qu’il était si près des cyprès, qu’il était tout près de Monsieur HIGANIRO et de ses deux domestiques mais qui étaient sur leur parcelle, la parcelle de Monsieur HIGANIRO, et qu’il entendait donc une conversation à laquelle il n’aurait pas pu prendre part à l’insu des… des 3 interlocuteurs. Mais ça, vous devez oublier. Maître LARDINOIS, lui, il est beaucoup plus perspicace que ça. Il vous a dit : « Mais, HIGANIRO, en fait, il vient, accompagné de ses deux domestiques, sur la parcelle même où la famille a été enterrée ». Il a, en effet, plaidé que le témoin 3 et le témoin 12 indiquent où les corps se trouvent et les corps, ben, ils ne se trouvent pas sur la parcelle de Monsieur HIGANIRO. Et c’est là - on essaie de rattacher une certaine cohérence - et c’est là que Monsieur HIGANIRO aurait dit, devant ces sépultures : « Pourquoi vous n’avez pas tué toute la famille ? Montrez-moi les cadavres ».

Alors, il y a… il y a un point que moi, j’ai pas, pas très bien capté, Maître LARDINOIS. Mais comment est-ce que le jeune garçon a pu alors s’enfuir à toutes jambes sous les yeux de ses bourreaux ? Parce que le schéma que vous avez fait dresser, ben, il est clair, hein : si on est devant la tombe, ben et si, si on voit l’endroit où vous avez situé le jeune Olivier, et qu’il a fait le chemin inverse pour s’en aller, mais il a dû nécessairement passer sur les pieds de Monsieur HIGANIRO et de ses domestiques. Enfin, vous savez, moi, je suis comme maître CUYKENS, on finit par être relativiste, par douter de beaucoup de choses, et je m’attends à ce qu’il y ait encore une nouvelle version qui nous soit présentée, ou qu’on dise qu’on n’a pas bien compris, ou que les choses sont encore bien différentes.

Que nous apporte l’examen des dépositions des témoins. Alors, ils ne sont pas très nombreux les témoins : Il y a Olivier, il y a le père le témoin 18, il y a la boyesse des le témoin 123, il y a Monsieur le témoin, c’est celui à qui Monsieur HIGANIRO aurait dit : « Il faut éliminer ce petit Tutsi de médecin », et vous avez les sœurs du couvent de Kigufi. Contrairement à ce qui vous été annoncé, je ne passerai pas mon temps à relever les contradictions entre les déclarations à l’audience et ce qui a été acté au dossier, c’est superflu. Il suffit de relever les incohérences entre tous ces témoignages et je crois que vous aurez fait votre conviction sur cette affaire.

Première question : est-on sûr de la date des faits ? Je laisse même tomber l’heure des faits. Il y en a qui disent : « C’est le 7 », le père le témoin 18, la boyesse. Il y en a qui disent : « C’est le 8 », Olivier, les sœurs du couvent. On ne sait pas.

Quel est le rôle, dans les faits, des domestiques de Monsieur HIGANIRO ? Il y a ceux qui disent : « Ils étaient présents physiquement », la boyesse, elle, elle ne voit que le témoin 3, mais plus le témoin 12. DUPONT et DUPOND. Il y a ceux qui disent : « Ah non, ils ont montré, ils ont indiqué l’endroit où il fallait les éliminer », c’est Olivier. Il y a ceux qui ne savent pas s’ils étaient impliqués dans les faits, ou qui disent : « à mon sens, il n’est pas impliqué dans les faits ». Un peu plus affirmatifs, le témoin, les sœurs, Béata et les 2 autres qui ont été entendues. Et il y a ceux qui disent même : « Les domestiques, ils ont pillé la maison », le père le témoin 18 et Olivier. De nouveau, essayez d’y retrouver vos jeunes. Moi, j’y renonce !

Autre point : l’attitude de Monsieur HIGANIRO à son retour. Ah, ça, c’est quelque chose qui l’implique plus directement, la question étant de savoir s’il a cherché ou non, à savoir où était Olivier, ce qu’il était advenu d’Olivier, pour le supprimer. Ah ! C’est la suite logique du casting, hein. Ses hommes de main ont mal travaillé, il faut poursuivre la tâche, hein. Mais on va laisser de côté une question qui pourrait peut-être vous parler, vous paraître subsidiaire : à nouveau, la démarche de Monsieur HIGANIRO, elle n’est pas d’une très grande subtilité, hein. Pourquoi cet homme obéit, cet homme craint de tous en est-il réduit à agir lui-même ? Pourquoi ne peut-il simplement pas faire appel aux Interahamwe, en disant :  « Il y en a un qui reste. Vous venez à 200, à 300, vous ouvrez toutes les portes du couvent du domaine de monseigneur, vous me le retrouvez et vous faites ce que j’ai demandé de faire ». Je dis : « Je laisse ça de côté ». Et donc, la question est : Monsieur HIGANIRO a-t-il cherché à retrouver Olivier pour le supprimer ? Et là, KAFKA ne s’y serait pas retrouvé !

Le jeune Olivier est venu vous dire, à l’audience, qu’il avait appris par le témoin 52, c’est la sœur âgée, que Monsieur HIGANIRO était venu chez monseigneur et que, lors de cette visite, il avait demandé où était sœur Léocadie ainsi que les enfants du médecin. Donc, Olivier a appris ça du témoin 52. Et à l’audience, maître JASPIS, qui, sauf erreur de ma part, est un de ses conseils, a insisté en disant : « Mais, est-ce que c’est bien comme ça que les choses se sont passées ? ». Il a dit : « Oui, moi, je n’ai pas, je n’ai pas assisté à la conversation entre le témoin 52 et HIGANIRO ». Pourtant, en octobre 95, c’est une toute autre version à laquelle on a droit, Olivier disant : « J’ai surpris la conversation entre le témoin 52 et HIGANIRO parce que j’étais à la fenêtre de la chambre que nous occupions ». Ça, c’est Olivier !

Que dit sœur le témoin 52 ? « HIGANIRO m’a demandé au couvent - soit c’est chez monseigneur - où étaient Léocadie et Alphonsine, les deux sœurs. Il ne m’a rien demandé au sujet des enfants ». Monsieur le témoin 18 : « le témoin 52 vivait dans le domaine. Je n’ai pas le souvenir qu’HIGANIRO soit venu lui rendre visite en ma présence ».

Et alors, nous avons Monsieur le témoin 35, c’est celui qui est resté à Kigufi avec Monsieur HIGANIRO, pratiquement jusqu’à son départ. Il dit : « Oui, un jour, nous sommes allés nous promener et nous sommes allés jusqu’à la propriété de monseigneur, et Monsieur HIGANIRO a échangé quelques mots avec une sœur qui était là, sœur le témoin 52. Aucun propos n’a été tenu au sujet de l’assistant médical ». Donc, les choses sont difficiles à comprendre et peut-être que certains témoignages apportent un peu plus de clarté.

Et alors, il y a un dernier point, mais que je cite de manière très rapide, parmi les incohérences ou les incertitudes concernant cette affaire : c’est le lieu de sépulture des parents d’Olivier. Je vais pas égrener les différents témoignages. Tout le monde le situe, ce lieu de sépulture, en dehors de la parcelle. Vous avez vu ce que les parties civiles vous donnent comme informations. Mais moi, je relève que les deux derniers témoignages des deux sœurs, de la même congrégation que sœurs Gertrude et Marie-Kizito, et qui étaient à Kigufi, elles disent : « La sépulture, elle est pas là, elle est  tout près du dispensaire ». Voilà !

Alors, tout cela, mais c’est encore rien ! C’est encore rien à côté mais des choses énormes que nous avons entendues à l’audience et qui, si nécessaire, assoiront votre conviction de manière définitive. Il y a d’abord le témoignage de Monsieur le témoin. Ça, c’est le témoin clé à charge de Monsieur HIGANIRO, parce que beaucoup de monde a repris sa déclaration, c’est à lui que Monsieur HIGANIRO aurait déclaré : « Ce Tutsi d’à côté, qu’est-ce que vous en faites ? Pourquoi ne le tuez-vous pas, ce petit Tutsi de médecin ? ». Et on a repris ça pour dire : « Extrémiste, il déteste les Tutsi, il sait pas en voir un ». Déclaration qui aurait été tenue bien avant avril 94, hein. Ce Monsieur le témoin, c’est un voisin à Kigufi, je l’ai dit tout à l’heure, il habite au début de la colline, donc, certainement sa maison surplombe la villa. C’est un voisin, mais il n’y a aucune proximité avec Monsieur HIGANIRO. Il travaille à la BRALIRWA. Et il nous a confirmé ici, à l’audience, qu’il n’avait jamais parlé avec HIGANIRO, ni avant, ni après les faits. Mais un beau matin, Monsieur le témoin va faire sa petite brasse au Lac et il remonte et il trouve HIGANIRO dans son domaine, c’est ce qu’il dit. Et là, plutôt que de s’échanger des civilités, de parler de la température de l’eau, que sais-je, tout simplement, Monsieur HIGANIRO lui demande : « Mais pourquoi vous tuez pas le voisin, là ? Au revoir. Bonne journée. Oui, tout va bien, Monsieur HIGANIRO. Au revoir ». La vie continue, et la vie continue.

Autre gros problème. Parfois quand on veut en faire trop, on finit par mal faire. Ça, c’est très important, très important ce que je vais vous dire ! Olivier vous a dit à l’audience : « Ce n’était pas la 1ère fois, le 7 avril, que nous nous sommes réfugiés au couvent, c’était une habitude. Quand Monsieur HIGANIRO recevait des gens, il n’aimait pas la présence de ses voisins. Les invités lui faisaient des observations à ce sujet : pourquoi gardes-tu ces Tutsi comme voisins ? ». Et de nous citer un chiffre : « On est allé 20 fois chez les sœurs quand HIGANIRO recevait chez lui ». Et alors, malheureusement, parce que ça, évidemment, ça aurait été embarrassant pour Monsieur HIGANIRO, ça aurait pu démontrer qu’il avait vraiment une rancœur, ces gens vivaient dans un climat de terreur. C’est  un voisin insupportable ça, il vous fait fuir : dès qu’il reçoit quelqu’un, vous devez vous terrer au couvent.

Mais malheureusement, sœur Béata, elle est venue donner une autre explication et qui me semble peut-être plus convaincante. On lui a posé la question : « Les le témoin 123 se réfugiaient-ils au couvent ? ». « Oui… », a-t-elle dit « ...avec d’autres familles ». Ah déjà, c’était déjà pas que sur la famille le témoin 123 que Monsieur HIGANIRO avait une influence aussi néfaste, mais sur tout l’entourage. Il faut pas aller jusque là. On lui a demandé : « Quand, à quelles occasions ? ». « Le jour de manifestations de la CDR ! ». Ah oui, ça, on comprend mieux ! Ça, on comprend mieux ! Mais ça n’a rien à voir avec la présence d’invités, ou non, chez Monsieur HIGANIRO.

Et alors, ce qui est un peu la cerise sur le gâteau, mais c’est la journée du 3 avril 94. Ce jour-là, c’est la visite du président le témoin 32. Alors, s’il y a bien un jour où Monsieur HIGANIRO, animé de cette haine, devait ne pas souhaiter la présence de ses voisins, c’est bien ce jour-là. Or, il semblerait que les le témoin 123 étaient chez eux et qu’ils ont observé les invités. Souvenez-vous de la déclaration de la boyesse qui a pu confirmer que le bourgmestre de la commune était bien présent ce jour-là chez HIGANIRO. Donc, HIGANIRO, il peut pas supporter, il peut pas encaisser la présence de ses voisins, mais quand le président vient, ben… ils sont là.

Je voudrais demander de retenir un dernier point qui est tout à fait déconcertant et qui explique peut-être l’explication que Maître LARDINOIS a donnée à ces faits. C’est la déclaration de Marie MUKARUTAKWA. Alors, ça vous dit rien du tout. Qui est cette dame ? C’est une dame dont nous avons demandé la lecture de sa déposition, tout à la fin, juste avant le réquisitoire de Monsieur l’avocat général, nous avons demandé 5 lectures, c’était la dernière lecture.

Et elle, elle rapporte les propos d’Olivier lorsqu’il surprend la conversation entre HIGANIRO et ses domestiques. Et c’est là qu’on transforme les propos pour les faire basculer vers l’horreur, et vous savez que l’horreur, on veut vous la faire partager et que parfois, c’est peut-être avec excès, et cette sœur qui rapporte donc les propos d’Olivier, dit : « Olivier a entendu cette conversation alors qu’il était chez monseigneur… », ça, on ne sait pas bien ce qu’elle veut dire. « …mais HIGANIRO est allé exhumer les cadavres ». Voilà. C’est là que vous voyez cette déclaration, c’est la déclaration du témoin du témoin. Et je crois que ça, Monsieur HIGANIRO vous l’avait dit lorsqu’il avait été interrogé par Monsieur le président : « Mais qu’est-ce qu’on va encore me mettre sur le dos, est-ce que je… je vais passer mon temps si je veux et si je sais, puisque ses domestiques le lui avaient dit, si je sais que des survivants, euh, ont échappé aux massacres, est-ce que je vais aller voir, 6 pieds sous terre, qui est là et qui n’y est pas ».

Conclusion sur ce troisième volet. Nous vous demandons, à nouveau, de répondre par la négative à toutes les questions qui vous sont posées, tant pour l’assassinat que pour la tentative d’assassinat, parce qu’il ne faut pas l’oublier, Monsieur HIGANIRO est également poursuivi du chef de cette accusation. Monsieur HIGANIRO n’a pas ordonné, n’a pas commandité l’assassinat de la famille le témoin 123, et je crois que la manière dont Monsieur l’avocat général a voulu vous en convaincre, n’est pas adéquate devant une juridiction : ce n’était pas une démonstration, c’était un axiome, c’est-à-dire, un énoncé, une vérité indémontrable. Et contrairement à ce qui a été requis, il n’est pas prouvé que le récit d’Olivier a été corroboré par les dires d’autres témoins : le témoin, les sœurs le témoin 52, le père le témoin 18 et la boyesse ; je pense vous l’avoir démontré avec suffisamment de conviction.

Je voudrais terminer cette dernière intervention par une parenthèse, mais qui a son importance. Parenthèse concernant les activités supposées, de Monsieur HIGANIRO durant son séjour à Kigufi, entre le 12 avril et le 4 juin 96, activités autres que le deuil de son beau-père : ne l’oubliez quand même pas, il n’était pas seul, il y avait les enfants, il y avait beaucoup de monde, une vingtaine de personnes dans la maison, une situation qui n’était pas très facile à gérer et, outre la vente d’allumettes qui était matérialisée par des commandes, par des livraisons, souvenez-vous qu’on a parlé de plus de 8 millions de francs rwandais, et vous vous rappellerez également que la production écoulée sur un mois par la SORWAL, en temps normal, c’était 30 millions. Donc, c’est pas rien. Alors, les activités supposées de Monsieur HIGANIRO, il y en a eu beaucoup. Je l’ai dit ce matin, je le répète : il y a le trafic d’armes, le trafic de voitures, le trafic de devises, la retraite du gouvernement et la télé-consultance.

Trafic d’armes. Qui vous en a parlé ? C’est principalement Monsieur NSANZUWERA. Rappelez-vous cet épisode de l’accident d’un véhicule burundais à Kigali, début mars 94, véhicule rempli d’armes. Monsieur NSANZUWERA va mener cette enquête avec une rare efficacité. Je passe l’épisode lui-même de cet accident. Mais très vite, il va apprendre du gérant de la firme Ali-Rwanda, commerce d’alimentation, qu’il ne pourra pas aboutir. Pourquoi ? Parce que ce commerçant qui aurait avancé de l’argent, pas à celui-ci, mais à son épouse, Madame HIGANIRO, a, à nouveau, reçu une confidence, c’est extraordinaire le nombre de confidences, de… de choses inouïes, que l’on va confier à des tiers dans ce dossier. On va lui confier, Madame HIGANIRO va lui confier ceci : alors que ce commerçant s’étonne de la voir rembourser 500.000 francs d’intérêts en cash, elle lui aurait dit, vous imaginez la scène, elle ne connaît certainement pas plus que ça, ce commerçant : « Je peux payer une telle somme parce que je fais du trafic d’armes ». Mais oui, c’est évident qu’on dise ça, c’est évident. Incroyable ; tout ça est… est plus que plausible ! Et c’est en fait, le seul élément concret dont vous disposez, parce que tout le reste, c’est de la rumeur, de l’affabulation, un peu de fantasme de Maître BEAUTHIER. Il s’est beaucoup intéressé, rappelez-vous que c’est une question fondamentale et la réponse aussi, la corniche, gnagnagni, gnagnagna. Pff. Rien. Pas un élément concret.

Trafic de voitures. Ça, c’est de nouveau quelque chose, c’est rafraîchissant pour terminer sa plaidoirie. Nouvelle tempête dans un verre d’eau. Combien de véhicules y avait-il chez Monsieur HIGANIRO a Kigufi ? 4 : la jeep de son beau-père, la jeep de Monsieur le témoin 35, la Mercedes de Monsieur HIGANIRO et la Ford de la SORWAL. Ah ! Avec 4 véhicules dont on identifie les propriétaires, on fait difficilement un trafic. Rassurez-vous, il y a toujours une solution. Le chevalier blanc, c’est qui ? Innocent - porte bien son nom - NKUYUBWTASI. Et il va nous faire une déclaration fantaisiste et tout le monde va la reprendre en chœur : l’effet d’écho, l’effet démultiplicateur que je vous exposais ce matin. Qu’est-ce qu’il dit ? De nouveau une confidence. Je vous dis, c’est extraordinaire, les confidences ! C’est… c’est… moi, je ne peux pas imaginer Monsieur… Monsieur HIGANIRO, dès qu’il voit n’importe qui et surtout des petites gens, mais on se confie, c’est évident !

Monsieur HIGANIRO lui aurait dit le 14 mai 1994, il est venu avec Monsieur le témoin 40, il est venu pour livrer des allumettes, il y a un reçu… Tiens, ça m’étonne que Maître GILLET n’ait pas encore plaidé que c’était un faux parce que le témoin 40 et NKUYUBWTASI, c’est des Interahamwe, hein. Travailler le 14 mai, mais, c’est pas vendre des allumettes, hein. On verra ce qu’on entendra en réplique, peut-être qu’on aura une analyse graphologique de ce reçu du 14 mai 1994, et donc, ce 14 mai, il est relativement tard, ils ont fait tout le trajet, ils ont vendu puisqu’ils donnent de l’argent. Monsieur HIGANIRO les reçoit quelques minutes, il dit notamment à le témoin 40 : « Mais qu’est-ce que vous venez faire ici ? C’est pas votre secteur, je ne veux plus vous voir ». Et alors, je suppose Monsieur NKUYUBWTASI qui aime bien les belles voitures, il pose des questions à son patron et il lui aurait dit : « Mais oui, je vends des voitures au Zaïre. Ces voitures, c’est les Interahamwe qui me les fournissent. Chut, pas trop fort. Et je fais ça pour financer les Interahamwe. Allez, salut, hein, excusez-moi, hein… ». Mais à quoi ça rime ? A quoi ça rime ?

Trafic de devises . J’ai moins envie de sourire. J’ai moins envie de sourire parce qu’il y a eu une inélégance dans le chef des conseils des parties civiles. On a voulu piéger Monsieur HIGANIRO, je dis : « Bravo : c’est comme ça qu’on conçoit un débat contradictoire. Belle image vers l’extérieur ». Mais heureusement, on a de nouveau remué ciel et terre pour rien. On a voulu insinuer, je ne sais quel versement d’une ONG Nord-Sud. Et puis finalement, la partie civile est rentrée dans le rang. Elle a bien fait d’ailleurs, pour ne pas qu’un second procès de ce type doive avoir lieu, elle est rentrée dans le rang, mais surtout elle a entendu, comme nous, les explications du directeur de l’agence Nord-Sud, Monsieur COLLART, qui avait lu la presse, presse qui continue à instruire avec toutes les garanties d’objectivité qu’elle représente, l’affaire à charge de Monsieur HIGANIRO, et Monsieur COLLART est venu dire, en un mot : « Mais avec quoi on vient ? RWABAKUMBA, mais c’est quoi, ça ? ». On va vous expliquer quand on doit verser de l’argent au Rwanda, en francs rwandais, il y a une politique très restrictive, on ne peut ni importer, ni exporter des capitaux « Eh bien, Monsieur RWABUKUMBA nous a servi de banquier ». Point à la ligne !

Et, puis-je encore vous faire remarquer, parce que c’est peut-être pas inintéressant, puisque Monsieur HIGANIRO, le génocidaire est censé avoir fui pour se mettre à l’abri. Quand on fuit pour se mettre à l’abri, on emporte un viatique. Mais, Monsieur HIGANIRO, il est parti sans le sou.  Il est parti sans le sou et d’ailleurs, il était impossible de faire sortir des devises du Rwanda, et même les salaires qu’il serait censé avoir touchés, eh bien, ceux-là, il n’aurait jamais pu les prendre avec lui, les convertir en francs belges, avant son départ. Ça, c’est pour le trafic de devises.

Puis après, il y a la retraite du gouvernement intérimaire. Alors ça, c’est la trouvaille de mon ami, vous connaissez son nom, de l’excellent, le créatif et toujours si peu scientifique, Monsieur GUICHAOUA. Lui, il ne tient pas compte de tout ce qu’on vient de vous dire ; il aurait pu, il aurait pu. Il avait sûrement des informations. Mais ça, il le balaye du revers de la main, et il décrète que le gouvernement intérimaire cherchait à se replier, c’est la débandade. Alors, naturellement, vers qui on se tourne quand c’est la débandade ? Vers « The King », hein, c’est lui, «  The King », l’homme à tout faire, l’homme de toutes les situations ! « Monsieur HIGANIRO, est-ce que vous pouvez organiser notre sortie ? », Maître CUYKENS l’a bien dit, c’est de sortie qu’on parle. C’est pas de rentrée pour les armes, pour les voitures, ça Monsieur GUICHAOUA, il a peut-être une meilleure compréhension du français que d’autres personnes qui ont regardé cette lettre du 23 mai, mais donc, on veut permettre au gouvernement génocidaire de quitter le pays.

Alors, je ne vais pas m’appesantir inutilement sur cette 4ème activité de Monsieur HIGANIRO, et je voudrais simplement en venir alors, à la dernière piste, parce qu’il y a toujours du nouveau. Finalement, ça maintient toujours notre intérêt, j’espère aussi le vôtre ; c’est la piste de Maître GILLET.

Il aurait dû naître au Canada et être trappeur, je crois qu’il n’y a pas beaucoup d’ours qui auraient échappé à sa sagacité. Et là, on invente la consultation à distance, la consultance à distance. Et ça, ça nous donne une dernière image de Monsieur HIGANIRO, qui est tout à fait idyllique, hein. Monsieur HIGANIRO s’est d’abord découvert un nouvel ami : Monsieur KABUGA. Ah ! On n’avait pas encore entendu parler de lui, mais je vous dis : « C’est une très bonne piste ». Et Monsieur KABUGA qui mène grand train, eh bien, il a rejoint son hôtel le Méridien. Oui, finalement être à l’hôtel, quand on a des problèmes dans sa famille, Madame devait être d’humeur infecte, on pleure tout le temps : « Tu te débrouilles bobonne, moi, je vais à l’hôtel Méridien à Gisenyi, c’est beaucoup plus confortable ! ». Et alors, à 2 ou avec d’autres, ils vont dispenser des conseils au gouvernement intérimaire. 18 francs 33 la minute. Ben oui. Tululut. Et ils ont d’ailleurs, c’est eux, ça on le sait, le communiqué qui appelait à la reprise des activités, le 25 ou le 27 avril 1995. Ca, Mesdames et Messieurs le jurés, c’est la goutte d’eau qui fait déborder le vase. C’est le point final de l’anti-démonstration. On finit par accuser Monsieur HIGANIRO de n’importe quoi. Mais surtout, s’il vous plaît, que ça reste dans le domaine de l’invérifiable. Tout le monde est passé à côté de cela, sauf Maître GILLET. Merci, Maître GILLET !

Alors moi, je vais vous résumer cette dernière partie de mon exposé. Je me demande si les parties civiles, avant de phosphorer, « Rupiner à bloc » comme écrit QUENEAU sur les activités que Monsieur HIGANIRO aurait eues, est-ce qu’elles n’auraient pas dû, tout simplement, relire leur dossier ? Car tout ce que je viens de vous dire que ce dont je viens de vous parler, cela ne se retrouve pas dans le dossier. Par contre, ma réponse, celle de Monsieur HIGANIRO comme d’habitude, elle s’y retrouve, et Maître CUYKENS, elle y a déjà fait allusion, c’est un argument qui est imparable. Quel que soit le scénario envisagé, quelle que soit l’activité que vous reteniez, elles sont contradictoires, mais soit. Monsieur HIGANIRO reste un proche du pouvoir, un cacique, un des soutiens indispensable au gouvernement intérimaire, les marionnettes, je passe même ce qu’on a dit sur cette brave Pauline, pantin désarticulé, peut-être que Monsieur HIGANIRO disait des discours à sa place, hein. Mais cet homme-là, cet HIGANIRO que je viens de décrire, il est obligé de demander de l’essence à Butare, pour travailler de l’autre côté du pays ; alors que les réserves stratégiques sont situées à moins de 30 kilomètres de chez lui, à Bigogwe, il est même pas fichu, cet homme-là, d’avoir le carburant pour faire toutes ses activités. Ça, c’est incroyable, ce n’est plus de la justice, c’est de la justice fiction. C’est, en un mot, et la boucle est bouclée : du surréalisme. Et, Mesdames et Messieurs les jurés, de ce surréalisme-là, je suis certain que René MAGRITTE n’en aurait pas voulu. J’ai dit. Je vous remercie.

Le Président : Merci, Maître MONVILLE. Double question : Maître CUYKENS, vous en avez pour combien de temps, Maître VERGAUWEN, combien en avez-vous, demain ? Maître CUYKENS.

Me. CUYKENS : Oui, Monsieur le président, je vais, je vais réduire…

Le Président : Oui, mais non, je ne vous demande pas de réduire. Je vous demande pour combien de temps vous en avez ?

Me. CUYKENS : Je pense, 5 minutes.

Le Président : 5 minutes. Bien, alors si vous n’en avez que pour 5 minutes, je vous donne la parole.

Me. CUYKENS : Merci, Monsieur le président. Madame, Messieurs les  juges, Mesdames et Messieurs les jurés, je réduis effectivement cette conclusion parce qu’on ne va pas y faire toute la nuit.

Pourquoi prend-on tant de temps pour la défense de Monsieur HIGANIRO ? Ben, parce qu’on vous l’a dit, il y a eu une accusation caméléon : c’est pas l’un, c’est l’autre, c’est pas celui-là, c’est un 3ème, c’est pas celui-là, c’est un 4ème. Et nous avons essayé de répondre à tout, comme Monsieur HIGANIRO a essayé de répondre à tout, devant vous, sans se défiler. Il a, depuis le début dans ce dossier, reconnu tout un tas de choses. Il a reconnu qu’il avait profité du cortège de Monsieur SINDIKUBWABO. Il a reconnu qu’il avait engagé Innocent NKUYUBWATSI. Il a reconnu la paternité de ses écrits. Il a reconnu qu’il avait profité du cortège de BAGOSORA. Toutes des choses hyper-compromettantes et qu’il reconnaît quand même, dès le début de cette instruction. Alors, maître EVRARD vous parlait ce matin du serment des avocats, en vous disant : « Vous avez prêté serment lorsque vous avez pris les places qui sont les vôtres maintenant ». Mais nous avons également prêté serment. Nous avons prêté serment de fidélité au Roi, d’obéissance à la Constitution et aux lois du peuple belge. Et je vous demande d’apprécier dans quelle mesure nous avons respecté cette partie-là de notre serment, en vous disant quels sont les principes de loi qui s’appliquent. Quelles qu’en soient les preuves ou ce qu’on veut vous faire passer pour preuves qu’on vous rapporte devant vous, et ce qu’il faut en penser. Lorsque nous vous demandons de respecter votre serment, qui est aussi un article de la loi qui requiert de vous que vous ayez une intime conviction, nous ne faisons, en cela, que respecter notre propre serment.

Nous avons également prêté le serment de ne point nous écarter du respect dû aux tribunaux et aux autorités publiques ; le respect que nous devons à la Cour et le respect que nous devons à chacun d’entre vous. Mesdames et Messieurs les jurés, est-ce que nous vous avons manqué de respect en invoquant votre bon sens, en invoquant votre raison, alors que votre propre serment vous demande de ne pas tenir compte de la crainte, de la haine, de l’affection, bref d’émotions.

Et nous avons également prêté serment de ne conseiller ou de ne défendre que des causes que nous ne croirions justes, en notre âme et conscience ; et nous croyons que la défense de Monsieur HIGANIRO est une cause juste, en notre âme et conscience.

Et, plus nous voyons cette accusation caméléon, plus nous voyons que des témoins sont retenus au Rwanda, et l’Etat rwandais de dire : « Nous prions la Cour de désigner d’autres témoins à décharge », on se croirait dans un procès stalinien ; et plus nous voyons que des pièces nous débarquent comme ça de la SORWAL pour porter une accusation de financement des Interahamwe, alors que dans un dossier normal vous auriez eu toute la comptabilité saisie par Monsieur le juge d’instruction et vous auriez eu un expert comptable, comme vous avez eu des experts graphologiques ou des experts psychiatres venus vous dire : « Bien, voilà ce qu’il faut tirer comme conclusion ». Alors, est-ce que vous pensez que nous avons respecté notre serment en vous présentant la défense de Monsieur HIGANIRO, et en demandant de vous que vous ne respectiez que votre serment ? Je vous remercie.

Le Président : Merci, Maître CUYKENS. Nous allons donc suspendre l’audience pour aujourd’hui. On la reprend demain à 9 heures. Je vous souhaite une excellente soirée à tous et à toutes.