assises rwanda 2001
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compte rendu intégral du procès
1. Introduction 2. Chronologie 3. Contexte historique et social 4. Contexte politique 5. Contexte judiciaire

Contexte judiciaire


La justice du génocide et des massacres se fait sur trois plans : devant les juridictions rwandaises, devant le Tribunal pénal international pour le Rwanda, et devant les juridictions nationales des pays ayant donné l’asile aux auteurs présumés de ces crimes (Lausanne 1999 et Bruxelles 2001).

Juridictions rwandaises

1. Procès classiques

Pour rappel, le gouvernement d’Union nationale a été mis en place le 17 juillet 1994, et la nouvelle assemblée nationale de transition (prévue dans l’Accord de paix d’Arusha) a voté une loi organique sur la répression du crime de génocide. Il s’agit de la loi organique n°8/96 du 30 août 1996 sur l’organisation des poursuites des infractions constitutives de crime de génocide ou des crimes contre l’humanité.

Le 27 décembre 1996, les procès commençèrent. Aujourd’hui plus de 8.000 procès ont eu lieu. Plus de 90.000 personnes attendent leur jugement. Environ 12.000 d’entre elles sont en liberté provisoire.

Les premiers jugements furent marqués par des condamnations à mort et l’absence d’acquittement. Les premiers procès furent également marqués par l’absence d’avocats pour assister les prévenus et les victimes. De plus et surtout, le nombre de procès fut et reste insignifiant eu regard au nombre impressionnant des prisonniers poursuivis du crime de génocide, ce qui a fait dire à certains observateurs internationaux, que le processus de la justice au Rwanda était mal maîtrisé, lent et qu’on n’en voyait pas les effets en terme de dynamique sociale. Nous pensons que cette critique n’est pas tout à fait fondée puisque la justice rwandaise, liée au génocide, connaît aujourd’hui des résultats positifs qu’il faut encourager.

Résultats
Depuis 1998, les avancées de la justice sont remarquables : le nombre de peines maximum a régressé : le nombre des condamnations à mort est passé de 18 à 10% ; le nombre des condamnations à vie a baissé de 32 à 30% ; le nombre des acquittements est passé à 20,5%.

L’association Avocats sans frontières (ASF) tirait le constat suivant après deux ans de procès : « …les magistrats ont attesté de leur capacité croissante à rendre une justice véritablement contradictoire, et cela est un succès remarquable, auquel il convient de rendre un hommage ».

Ce constat positif est dû principalement à l’organisation des procès dits «groupés », et à la procédure d’aveu, deux processus dans lesquelles s’est impliqué RCN Justice & Démocratie.

Malgré ce bilan positif reconnu par des observateurs étrangers et neutres , la situation reste préoccupante, surtout dans les prisons. Plus de 90.000 personnes attendent d’être jugées, dont 12.000 sont en liberté provisoire. Les autres sont détenus dans des établissements pénitentiaires dont la capacité est largement dépassée, et dans des cachots communaux où la vie est précaire . Force est toutefois de reconnaître, que la problématique liée à la liquidation du contentieux judiciaire né du génocide reste préoccupante.

Le gouvernement rwandais est conscient de cette problématique. Conscient que l’on ne peut pas décréter une amnistie en faveur des auteurs présumés du génocide, également conscient que les prévenus du génocide ont le droit d’être jugés dans des délais raisonnables. Le gouvernement, après des consultations menées sous la direction du président de la République et du ministre de la justice auprès d’un nombre élargi d’intellectuels rwandais et de la communauté internationale, a opté pour une justice citoyenne participative, appelée « gacaca ». Le parlement a voté la loi instaurant les juridictions gacaca en 2001.

 

2. Gacaca

Histoire

Une institution pré-coloniale.
Dans le Rwanda pré-colonial, l’institution « gacaca » est une sorte de juridiction présidée par le chef de famille, chargée de régler les conflits sociaux et le contentieux liés à la propriété. Les infractions telles que les coups et blessures, le vol de bétail et de cultures, le déplacement des bornes,… sont justiciables devant la «gacaca ». Certains crimes comme le viol ou la destruction des biens étaient jugés devant ces juridictions. Echappaient aux juridictions gacaca les crimes de sang.

Maintenue par l’Etat colonial
L’administration belge - tout en instituant des juridictions modernes - n’a pas supprimé l’institution de Gacaca. Toutefois, les chefs de famille ont vu leur pouvoir diminué au profit des juridictions modernes. Le pouvoir colonial avait «intérêt » à casser l’institution, car le nouveau droit importé et imposé d’ailleurs comme la religion, avait une mission «civilisatrice » : il fallait rompre avec les traditions coutumières. Mais l’institution résista au droit écrit.

Restaurée par 1ère et la 2è république.
A l’indépendance du Rwanda et durant les deux républiques, le pouvoir ne va pas non plus supprimer l’institution gacaca, mais va plutôt se l’approprier. Ce sont les conseillers communaux et les responsables de cellule qui assument le contentieux réglé auparavant par la gacaca. Avant de saisir les tribunaux de canton, les parties portent leur problème soit au responsable de cellule, soit au conseiller communal. Les bourgmestres réglaient même certaines affaires relevant normalement de la compétence des tribunaux de canton.

La gacaca va se trouver très affaiblie : en contact avec la procédure, l’institution perd de sa force. N’ayant pas de force contraignante, les décisions rendues au cours d’une séance de gacaca n’engagent pas les parties. L’institution gacaca va également entrer dans la compétence de l’autorité administrative. En effet, sous les deux républiques, le pouvoir exécutif est très fort, et met sous sa tutelle le pouvoir législatif et le pouvoir judiciaire.

Au sein de la cellule, le responsable de cellule fait également de la médiation ; au niveau du secteur, le conseiller communal règle certains conflits, et à la commune, le bourgmestre consacre une journée de sa semaine de travail à entendre les requêtes. Ces dernières se déroulent comme des audiences d’une juridiction. L’affaire sera portée devant la juridiction de jugement si le bourgmestre même conseille cette voie aux requérants. Il faut se rappeler que l’exécution des décisions judiciaires est de la compétence du bourgmestre et de ses conseillers (ils ont la qualité d’huissier en justice.). Bref, l’institution gacaca est récupérée par l’autorité administrative.


Enjeux

La société civile et les juridictions gacaca.
Les associations rwandaises de défense des droits de l’homme soutiennent le projet des juridictions gacaca. La Liprodhor écrit : « Tous les acteurs en matière de justice se heurtent à l’incontournable défi de la justice qui tarde et qui devient ainsi déni de justice : « justice delayed is justice denied ». Les détenus qui encombrent les prisons par centaines de milliers, les victimes du génocide qui attendent impatiemment la réparation morale et matérielle du préjudice subi, les magistrats qui se dépensent corps et âme mais en vain, les dirigeants du pays qui rêvent à l’éradication de la culture de l’impunité, à l’unité et à la réconciliation d’un peuple meurtri et divisé par un génocide fratricide, la communauté internationale honteuse de son impuissance de n’avoir rien fait pour empêcher l’irréparable ; tout ce monde là reste perplexe et impatient dans la recherche de la meilleure solution. Pourtant, une lueur d’espoir pointe déjà à l’horizon, à la veille du troisième millénaire, au moment où une solution presque magique, initiée par les autorités rwandaises, tente de résoudre le problème. C’est un mélange subtilement dosé de droit international, de droit interne et de la coutume incarnée par un nouveau vocable « juridiction gacaca ».

Le pari est difficile. Réaliser l’organisation de cette institution dans ce pays meurtri, c’est presque déjà réaliser la reconstruction du tissu social ! C’est aussi l’intérêt du pari.

L’Etat et la gacaca
Pourquoi le gouvernement rwandais a-t-il pensé aux juridictions gacaca pour résoudre le contentieux du génocide ? Il serait faux de prétendre que c’est seulement parce qu’il trouvait l’institution plus efficace que les chambres spécialisées. Le contentieux du génocide est au coeur de l’avenir même de la nation rwandaise. Des milliers de Rwandais ont participé au génocide : les chambres spécialisées sont dans l’incapacité matérielle de les juger dans un temps raisonnable. Le pays n’attendra pas 150 ans pour juger 100.000 prévenus du génocide. Le gouvernement rwandais ne peut pas non plus amnistier les auteurs du génocide. Ce serait le sacre de l’impunité, une insulte à la mémoire de plus d’un million de victimes et un déni de justice à l’égard des milliers de rescapés du génocide. Face à cet « enjeu », le gouvernement rwandais invite la population rwandaise à participer au processus de jugement des auteurs présumés du génocide et des autres crimes contre l’humanité. Les décisions prises engageront la communauté entière parce que le refus de la décision engage non seulement les individus, mais également tout le groupe.

Les gens seront jugés par leurs concitoyens et ce, sur les lieux des faits. Peut-on imaginer que la communauté conteste plus tard les décisions prises par ses représentants élus ?

 

Le TPIR

Le 8 novembre 1994, le Conseil de Sécurité de l’organisation des Nations Unies a créé le Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Ce tribunal est chargé de juger les personnes présumées responsables de violations graves du droit international humanitaire commises sur le territoire du Rwanda, et les citoyens rwandais présumés responsables de telles violations commises sur le territoire d’Etats voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994 ( article 1er du Statut du TPIR). Sept ans après sa création, le Tribunal pénal international pour le Rwanda a prononcé huit jugements. Le tribunal est appelé à fonctionner jusqu’en 2008.

 

Les juridictions nationales (Belgique, Suisse)

A eux seuls, le Rwanda et le Tribunal pénal international pour le Rwanda ne peuvent juger les auteurs présumés du génocide rwandais. Plusieurs juridictions nationales, et surtout celles des pays qui hébergent les auteurs présumés du génocide rwandais sont concernées. Mais la majorité de ces pays continuent à refuser de rejoindre une bonne partie de leur opinion publique, qui estime qu’un génocide ne peut pas rester impuni, et que leur pays ne doit pas servir de refuge aux criminels contre l’humanité.

On a attendu le 30 avril 1999 pour avoir le premier jugement rendu par une juridiction nationale d’un pays ayant donné accueil à un auteur présumé du génocide rwandais. En effet, ce jour-là, le Tribunal militaire de Lausanne condamna à perpétuité - sur base de l’article 116 du code pénal militaire suisse et d’infraction aux conventions de Genève - Mr F.Nyonteze, ancien Bourgmestre de la Commune Mushubati, réfugié en Suisse.
En Belgique les premières plaintes furent déposées en juillet 1994.

Malgré une volonté politique affichée, malgré un cadre juridique adéquat (la loi de juin 1993), le dossier judiciaire a beaucoup piétiné avant l’ouverture du procès en avril 2001.
En 2002, la Cour de Cassation belge a rejeté l’appel pour vices de forme de trois des quatre condamnés.

D’autres plaintes sont en cours d’instruction.

 

 
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