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4.3.2 Défense de Alphonse HIGANIRO
Le Président : La défense de Monsieur HIGANIRO a également établi un acte de défense ?
Me. CUYKENS : Oui, qui a déjà été communiqué, Monsieur le président.
Le Président : Je vais demander à ce qu'il soit également distribué aux membres du
jury. L'original serait déjà déposé ?
Il est là. C'est vous Maître CUYKENS qui en donnerez
lecture ? Eh bien, je crois que tout le monde a un exemplaire.
Les parties civiles en ont ? Je suppose. Maître
CUYKENS, vous avez la parole.
Me. CUYKENS : Je vous remercie, Monsieur le président
Mesdames et Messieurs les jurés. Cet acte de défense
a pour but de répondre à l'acte d'accusation. Il convient tout d'abord que je
vous explique ce qu'est un acte d'accusation. C'est un texte, rédigé par Monsieur
le procureur général, qui expose son point de vue, sa compréhension du dossier
tout en précisant les reproches qu'il formule contre l'accusé. La défense de
Monsieur HIGANIRO va donc rectifier, nuancer ou compléter les propos de Monsieur
le procureur général pour parfaire votre information. Le présent acte de défense
n'est donc qu'une réaction à l'acte d'accusation. Pour cette raison, je ne vous
exposerai pas ici tous les arguments de défense de Monsieur HIGANIRO. Certains
apparaîtront dès son interrogatoire par Monsieur le président et en cours d'audience,
d'autres seront développés lors des plaidoiries.
Néanmoins, les arguments que nous vous présentons
ici sont ceux que nous souhaitons, que vous ayez à l'esprit tout au long des
débats et des auditions de témoins, comme vous retiendrez, dès à présent, que
Monsieur HIGANIRO conteste les accusations portées contre lui.
Par exemple, prenez le contexte historique exposé
dans l'acte d'accusation. Monsieur le procureur général n'est pas historien,
il ne vous donne pas un cours d'histoire. Il fait une synthèse personnelle des
différentes informations historiques qui figurent au dossier. Dans les prochains
jours, nous entendrons le témoignage de journalistes, d'historiens, de politologues
etc., qui viendront vous présenter l'histoire du Rwanda. Vous constaterez par
vous-mêmes qu'ils ne tiennent pas tous les mêmes propos, qu'ils ne donnent pas
tous les mêmes explications. On vous invitera sans doute à vous faire une opinion
personnelle de l'histoire des massacres de 1994. Et pourtant, vous n'êtes pas
ici pour ça. Vous n'êtes pas réunis ici pour dire la vérité historique, vous
êtes ici pour dire la vérité judiciaire. C'est-à-dire pour déterminer si tel
fait précis, reproché à tel accusé, est ou non établi. Quelle que soit donc
votre conviction quant aux événements qu'a connu le Rwanda en 1994, ce n'est
pas cette conviction-là qui vous sera demandée à la fin de ce procès. Restez-y
attentif.
Lorsque Monsieur le procureur général vous dit que
le 8 août 1996, le Tribunal pénal international pour le Rwanda n'a pas confirmé
l'acte d'accusation, vous devez comprendre que cette juridiction a estimé que
les accusations de génocide et de crimes contre l'humanité, portées par le procureur
de ce Tribunal contre Monsieur HIGANIRO, n'étaient pas fondées. Le dossier que
vous aurez à disposition pendant votre délibération, le dossier sur lequel repose
l'accusation de Monsieur le procureur général, est un dossier qui a fait le
voyage vers Arusha siège du Tribunal pénal international pour revenir ensuite
en Belgique et aboutir enfin devant vous.
Lorsque vous lisez que la Chambre des mises en accusation
de la Cour d'appel de Bruxelles a remis Alphonse HIGANIRO en liberté, le 6 septembre
1996, vous devez également savoir que depuis cette date, Monsieur HIGANIRO n'a
plus été détenu. Monsieur le juge d'instruction VANDERMEERSCH, qui viendra témoigner
devant vous dans les prochains jours, en avait le pouvoir. Pour remettre Monsieur
HIGANIRO en prison, il lui suffisait de démontrer qu'il avait découvert de nouveaux
indices de culpabilité et de dire que sa détention était indispensable pour
la sécurité de la société. La même Chambre des mises en accusation de la Cour
d'appel de Bruxelles a, en date du 27 juin 2000, décidé que Monsieur HIGANIRO
serait jugé par la Cour d'assises. A cette date, elle pouvait ordonner la détention
de Monsieur HIGANIRO et elle ne l'a pas fait. Cette décision est très significative,
parce que pour des affaires moins graves que celles-ci, la Chambre des mises
en accusation ordonne quasi systématiquement la détention de l'accusé. En conséquence,
malgré la gravité des accusations portées contre lui, Monsieur HIGANIRO comparaîtra
librement devant vous pendant toute la durée du procès.
Pour ce qui concerne les faits qui sont reprochés
à Monsieur HIGANIRO, Monsieur le procureur général a décidé de diviser en trois
catégories les faits reprochés à Monsieur HIGANIRO. Nous répondrons donc à ces
accusations en trois temps. Vous verrez au cours des débats, Mesdames et Messieurs
les jurés, que cette division n'est pas aussi évidente qu'il y paraît à la lecture
de l'acte d'accusation.
Pour ce qui concerne les écrits, on vous parle tout
d'abord d'une lettre du 16 janvier 1993 de Monsieur HIGANIRO au président le témoin 32.
Monsieur le procureur général prend bien la peine de vous dire que vous ne devrez
pas juger ce document et son rédacteur, néanmoins il vous en parle quand même.
Monsieur HIGANIRO s'expliquera à ce sujet. Mais notez, dès à présent, qu'il
ne s'agit pas d'un discours public, d'un article de presse, d'une publication
quelconque mais bien d'une lettre strictement privée, sans aucune publicité
quelconque. Notez également que cette lettre est datée du 16 janvier 1993, soit
plus d'un an avant l'embrasement du Rwanda.
On vous parle ensuite de deux documents, l'un daté,
l'autre non, émanant d'une commission politique et contenant une liste de propositions
quant à la situation du pays. Monsieur HIGANIRO conteste être le rédacteur de
ces documents. Il faut constater qu'il est le seul membre de cette commission
à être poursuivi de ce fait. Alors que d'autres membres de cette même commission
se présenteront devant vous comme simples témoins.
Un quatrième document figure dans cette première
catégorie et pourtant n'a rien à voir avec les précédents. Il ne s'agit pas
d'un document de nature politique mais bien d'une correspondance professionnelle
entre le directeur général de la SORWAL Monsieur HIGANIRO et le directeur
technique de cette entreprise Monsieur le témoin 21 il s'agit de la lettre du
23 mai 1994. Ici également nous attirons votre attention sur le fait que le
rédacteur de cette lettre est poursuivi mais pas son destinataire. Par ailleurs,
il apparaît clairement que cette lettre est une réponse à une autre qui n'a
jamais été retrouvée, malgré la demande insistante de la défense en ce sens.
Enfin, c'est l'interprétation de cette lettre qui fonde l'accusation et non
son texte en lui-même. Nous souhaitons que vous gardiez cette question à l'esprit
et que vous vous interrogiez, dès à présent, sur la fiabilité d'une telle accusation.
Pour ce qui concerne le cadre professionnel, Monsieur
HIGANIRO a quitté Butare en date du 7 avril 1994 ; il était toujours absent
le 19 avril, date du début des tueries à Butare. Il n'y est revenu qu'une seule
journée, le 26 avril, pour organiser la réouverture de la SORWAL qui était en
inactivité depuis son départ. L'acte d'accusation précise qu'un véhicule de
la SORWAL a été réquisitionné par l'école des sous-officiers. Ceci démontre
nécessairement, pour autant que cette affirmation soit démontrée, que l'école
des sous-officiers n'a dû demander l'autorisation de personne pour utiliser
ce véhicule. Il est par ailleurs surprenant de considérer que Monsieur HIGANIRO
est accusé d'être l'organisateur des massacres à distance, alors que de nombreux
témoins viendront vous dire que les tueries n'ont commencé à Butare qu'à la
suite de l'intervention autoritaire des représentants du gouvernement intérimaire.
On ne comprend pas, dans ce cas, pourquoi Monsieur HIGANIRO qui, selon l'accusation
agirait pour ce même gouvernement intérimaire, ne serait pas rallié à cette
intervention.
Pour ce qui concerne les actes commis par les employés
de la SORWAL, avant d'en imputer la responsabilité à Monsieur HIGANIRO, il convient
de démontrer qu'il a personnellement engagé ces personnes. Qu'il aurait dû ou
pu prévoir en les engageant, que ces personnes commettraient de tels actes,
qu'il était informé durant les événements que de tels actes étaient commis et
qu'il avait la possibilité réelle d'empêcher qu'ils ne se commettent.
Pour ce qui concerne le cadre privé, au moment du
meurtre de la famille le témoin 123, l'acte d'accusation précise que l'accusé était
présent à Gisenyi, le lieu du drame. En réalité le meurtre se commet le 8 avril
1994 alors que Monsieur HIGANIRO est absent de Gisenyi. Il n'y arrivera que
plusieurs jours plus tard, le 12 avril. Il convient de noter que les domestiques
de Monsieur HIGANIRO qui, selon l'accusation, auraient joué un rôle important
dans ces faits, ne sont pas poursuivis pour ceux-ci, ni en Belgique, ni au Rwanda,
ni devant le Tribunal pénal international.
Pour ce qui concerne les expertises, la lettre du
23 mai 1994 apparaît dans le dossier, le 13 avril 1995. Interrogé pour la première
fois à ce sujet le 27 avril 1995, Monsieur HIGANIRO reconnaît en être le rédacteur
et en explique le contenu. Le juge d'instruction charge un expert graphologue
de déterminer si cette lettre est bien de la main de Monsieur HIGANIRO, en date
du 5 juillet 1995, et reçoit la réponse de celui-ci le 31 août 1995. L'expert
confirme les déclarations de Monsieur HIGANIRO. Les documents de la commission
politique, Monsieur HIGANIRO a toujours contesté avoir été le rédacteur de ces
documents. L'expertise graphologique confirme ses déclarations.
Pour ce qui concerne l'expertise psychiatrique,
cette expertise a pour premier objectif de vérifier la santé mentale de l'accusé.
En effet, s'il est déclaré fou, il ne peut être tenu pour responsable de ses
actes. Ce n'est pas le cas de Monsieur HIGANIRO. Le deuxième objectif de cette
expertise est de vous éclairer sur la personnalité de Monsieur HIGANIRO. Ces
informations ne sont pas destinées à vous permettre d'apprécier sa culpabilité
ou son innocence. Vous n'êtes pas ici pour répondre à la question suivante :
« Au vu de la personnalité décrite par les experts, Monsieur HIGANIRO serait-il
capable de commettre les faits qu'on lui reproche ? ». Non, vous êtes
ici pour dire, au vu des preuves qui vous seront soumises, s'il les a ou non
commis. Il n'est par ailleurs pas inutile de vous indiquer que si la psychologie
et la psychiatrie sont des sciences, ce ne sont pas pour autant des sciences
exactes. Il convient encore de souligner que ces expertises s'appuient sur des
tests psychologiques qui ont été, je cite : « Principalement validés
chez des personnes appartenant à la culture occidentale urbanisée ».
Nous avons été particulièrement interpellés par
une pièce du dossier répressif, à savoir une lette anonyme adressée le 4 septembre
1995 aux enquêteurs. Cette lettre rédigée en termes généraux et ne visant aucun
des accusés actuels ou inculpés de l'époque. Un test de, je cite : « La
peur et la crainte d'actions de vengeance très grande dans cette période d'après-guerre
et à juste titre. Chacun au Rwanda sait ce que signifie être montré du doigt ».
Je cite toujours : « Il n'est pas difficile de trouver ici des
témoins à charge, le gouvernement actuel est représenté dans toutes les instances
importantes. Par contre, les témoins de la défense sont obligés de se taire ».
Je vous remercie de votre attention.
Le Président : Je vous remercie Maître CUYKENS. L'original est déposé Monsieur le
greffier ? Oui ? |
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