assises rwanda 2001
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compte rendu intégral du procès
Procès > Acte d’accusation, actes partie civile, actes défense > Actes défense > Défense A. Higaniro
1. Défense V. Ntezimana 2. Défense A. Higaniro 3. Défense C. Mukangango et J. Mukabutera
 

4.3.2 Défense de Alphonse HIGANIRO

Le Président : La défense de Monsieur HIGANIRO a également établi un acte de défense ?

Me. CUYKENS : Oui, qui a déjà été communiqué, Monsieur le président.

Le Président : Je vais demander à ce qu'il soit également distribué aux membres du jury. L'original serait déjà déposé ?

Il est là. C'est vous Maître CUYKENS qui en donnerez lecture ? Eh bien, je crois que tout le monde a un exemplaire.

Les parties civiles en ont ? Je suppose. Maître CUYKENS, vous avez la parole.

Me. CUYKENS : Je vous remercie, Monsieur le président

Mesdames et Messieurs les jurés. Cet acte de défense a pour but de répondre à l'acte d'accusation. Il convient tout d'abord que je vous explique ce qu'est un acte d'accusation. C'est un texte, rédigé par Monsieur le procureur général, qui expose son point de vue, sa compréhension du dossier tout en précisant les reproches qu'il formule contre l'accusé. La défense de Monsieur HIGANIRO va donc rectifier, nuancer ou compléter les propos de Monsieur le procureur général pour parfaire votre information. Le présent acte de défense n'est donc qu'une réaction à l'acte d'accusation. Pour cette raison, je ne vous exposerai pas ici tous les arguments de défense de Monsieur HIGANIRO. Certains apparaîtront dès son interrogatoire par Monsieur le président et en cours d'audience, d'autres seront développés lors des plaidoiries.

Néanmoins, les arguments que nous vous présentons ici sont ceux que nous souhaitons, que vous ayez à l'esprit tout au long des débats et des auditions de témoins, comme vous retiendrez, dès à présent, que Monsieur HIGANIRO conteste les accusations portées contre lui.

Par exemple, prenez le contexte historique exposé dans l'acte d'accusation. Monsieur le procureur général n'est pas historien, il ne vous donne pas un cours d'histoire. Il fait une synthèse personnelle des différentes informations historiques qui figurent au dossier. Dans les prochains jours, nous entendrons le témoignage de journalistes, d'historiens, de politologues etc., qui viendront vous présenter l'histoire du Rwanda. Vous constaterez par vous-mêmes qu'ils ne tiennent pas tous les mêmes propos, qu'ils ne donnent pas tous les mêmes explications. On vous invitera sans doute à vous faire une opinion personnelle de l'histoire des massacres de 1994. Et pourtant, vous n'êtes pas ici pour ça. Vous n'êtes pas réunis ici pour dire la vérité historique, vous êtes ici pour dire la vérité judiciaire. C'est-à-dire pour déterminer si tel fait précis, reproché à tel accusé, est ou non établi. Quelle que soit donc votre conviction quant aux événements qu'a connu le Rwanda en 1994, ce n'est pas cette conviction-là qui vous sera demandée à la fin de ce procès. Restez-y attentif.

Lorsque Monsieur le procureur général vous dit que le 8 août 1996, le Tribunal pénal international pour le Rwanda n'a pas confirmé l'acte d'accusation, vous devez comprendre que cette juridiction a estimé que les accusations de génocide et de crimes contre l'humanité, portées par le procureur de ce Tribunal contre Monsieur HIGANIRO, n'étaient pas fondées. Le dossier que vous aurez à disposition pendant votre délibération, le dossier sur lequel repose l'accusation de Monsieur le procureur général, est un dossier qui a fait le voyage vers Arusha ­ siège du Tribunal pénal international ­ pour revenir ensuite en Belgique et aboutir enfin devant vous.

Lorsque vous lisez que la Chambre des mises en accusation de la Cour d'appel de Bruxelles a remis Alphonse HIGANIRO en liberté, le 6 septembre 1996, vous devez également savoir que depuis cette date, Monsieur HIGANIRO n'a plus été détenu. Monsieur le juge d'instruction VANDERMEERSCH, qui viendra témoigner devant vous dans les prochains jours, en avait le pouvoir. Pour remettre Monsieur HIGANIRO en prison, il lui suffisait de démontrer qu'il avait découvert de nouveaux indices de culpabilité et de dire que sa détention était indispensable pour la sécurité de la société. La même Chambre des mises en accusation de la Cour d'appel de Bruxelles a, en date du 27 juin 2000, décidé que Monsieur HIGANIRO serait jugé par la Cour d'assises. A cette date, elle pouvait ordonner la détention de Monsieur HIGANIRO et elle ne l'a pas fait. Cette décision est très significative, parce que pour des affaires moins graves que celles-ci, la Chambre des mises en accusation ordonne quasi systématiquement la détention de l'accusé. En conséquence, malgré la gravité des accusations portées contre lui, Monsieur HIGANIRO comparaîtra librement devant vous pendant toute la durée du procès.

Pour ce qui concerne les faits qui sont reprochés à Monsieur HIGANIRO, Monsieur le procureur général a décidé de diviser en trois catégories les faits reprochés à Monsieur HIGANIRO. Nous répondrons donc à ces accusations en trois temps. Vous verrez au cours des débats, Mesdames et Messieurs les jurés, que cette division n'est pas aussi évidente qu'il y paraît à la lecture de l'acte d'accusation.

Pour ce qui concerne les écrits, on vous parle tout d'abord d'une lettre du 16 janvier 1993 de Monsieur HIGANIRO au président le témoin 32. Monsieur le procureur général prend bien la peine de vous dire que vous ne devrez pas juger ce document et son rédacteur, néanmoins il vous en parle quand même. Monsieur HIGANIRO s'expliquera à ce sujet. Mais notez, dès à présent, qu'il ne s'agit pas d'un discours public, d'un article de presse, d'une publication quelconque mais bien d'une lettre strictement privée, sans aucune publicité quelconque. Notez également que cette lettre est datée du 16 janvier 1993, soit plus d'un an avant l'embrasement du Rwanda.

On vous parle ensuite de deux documents, l'un daté, l'autre non, émanant d'une commission politique et contenant une liste de propositions quant à la situation du pays. Monsieur HIGANIRO conteste être le rédacteur de ces documents. Il faut constater qu'il est le seul membre de cette commission à être poursuivi de ce fait. Alors que d'autres membres de cette même commission se présenteront devant vous comme simples témoins.

Un quatrième document figure dans cette première catégorie et pourtant n'a rien à voir avec les précédents. Il ne s'agit pas d'un document de nature politique mais bien d'une correspondance professionnelle entre le directeur général de la SORWAL ­ Monsieur HIGANIRO ­ et le directeur technique de cette entreprise ­ Monsieur le témoin 21 ­ il s'agit de la lettre du 23 mai 1994. Ici également nous attirons votre attention sur le fait que le rédacteur de cette lettre est poursuivi mais pas son destinataire. Par ailleurs, il apparaît clairement que cette lettre est une réponse à une autre qui n'a jamais été retrouvée, malgré la demande insistante de la défense en ce sens. Enfin, c'est l'interprétation de cette lettre qui fonde l'accusation et non son texte en lui-même. Nous souhaitons que vous gardiez cette question à l'esprit et que vous vous interrogiez, dès à présent, sur la fiabilité d'une telle accusation.

Pour ce qui concerne le cadre professionnel, Monsieur HIGANIRO a quitté Butare en date du 7 avril 1994 ; il était toujours absent le 19 avril, date du début des tueries à Butare. Il n'y est revenu qu'une seule journée, le 26 avril, pour organiser la réouverture de la SORWAL qui était en inactivité depuis son départ. L'acte d'accusation précise qu'un véhicule de la SORWAL a été réquisitionné par l'école des sous-officiers. Ceci démontre nécessairement, pour autant que cette affirmation soit démontrée, que l'école des sous-officiers n'a dû demander l'autorisation de personne pour utiliser ce véhicule. Il est par ailleurs surprenant de considérer que Monsieur HIGANIRO est accusé d'être l'organisateur des massacres à distance, alors que de nombreux témoins viendront vous dire que les tueries n'ont commencé à Butare qu'à la suite de l'intervention autoritaire des représentants du gouvernement intérimaire. On ne comprend pas, dans ce cas, pourquoi Monsieur HIGANIRO qui, selon l'accusation agirait pour ce même gouvernement intérimaire, ne serait pas rallié à cette intervention.

Pour ce qui concerne les actes commis par les employés de la SORWAL, avant d'en imputer la responsabilité à Monsieur HIGANIRO, il convient de démontrer qu'il a personnellement engagé ces personnes. Qu'il aurait dû ou pu prévoir en les engageant, que ces personnes commettraient de tels actes, qu'il était informé durant les événements que de tels actes étaient commis et qu'il avait la possibilité réelle d'empêcher qu'ils ne se commettent.

Pour ce qui concerne le cadre privé, au moment du meurtre de la famille le témoin 123, l'acte d'accusation précise que l'accusé était présent à Gisenyi, le lieu du drame. En réalité le meurtre se commet le 8 avril 1994 alors que Monsieur HIGANIRO est absent de Gisenyi. Il n'y arrivera que plusieurs jours plus tard, le 12 avril. Il convient de noter que les domestiques de Monsieur HIGANIRO qui, selon l'accusation, auraient joué un rôle important dans ces faits, ne sont pas poursuivis pour ceux-ci, ni en Belgique, ni au Rwanda, ni devant le Tribunal pénal international.

Pour ce qui concerne les expertises, la lettre du 23 mai 1994 apparaît dans le dossier, le 13 avril 1995. Interrogé pour la première fois à ce sujet le 27 avril 1995, Monsieur HIGANIRO reconnaît en être le rédacteur et en explique le contenu. Le juge d'instruction charge un expert graphologue de déterminer si cette lettre est bien de la main de Monsieur HIGANIRO, en date du 5 juillet 1995, et reçoit la réponse de celui-ci le 31 août 1995. L'expert confirme les déclarations de Monsieur HIGANIRO. Les documents de la commission politique, Monsieur HIGANIRO a toujours contesté avoir été le rédacteur de ces documents. L'expertise graphologique confirme ses déclarations.

Pour ce qui concerne l'expertise psychiatrique, cette expertise a pour premier objectif de vérifier la santé mentale de l'accusé. En effet, s'il est déclaré fou, il ne peut être tenu pour responsable de ses actes. Ce n'est pas le cas de Monsieur HIGANIRO. Le deuxième objectif de cette expertise est de vous éclairer sur la personnalité de Monsieur HIGANIRO. Ces informations ne sont pas destinées à vous permettre d'apprécier sa culpabilité ou son innocence. Vous n'êtes pas ici pour répondre à la question suivante : « Au vu de la personnalité décrite par les experts, Monsieur HIGANIRO serait-il capable de commettre les faits qu'on lui reproche ? ». Non, vous êtes ici pour dire, au vu des preuves qui vous seront soumises, s'il les a ou non commis. Il n'est par ailleurs pas inutile de vous indiquer que si la psychologie et la psychiatrie sont des sciences, ce ne sont pas pour autant des sciences exactes. Il convient encore de souligner que ces expertises s'appuient sur des tests psychologiques qui ont été, je cite : « Principalement validés chez des personnes appartenant à la culture occidentale urbanisée ».

Nous avons été particulièrement interpellés par une pièce du dossier répressif, à savoir une lette anonyme adressée le 4 septembre 1995 aux enquêteurs. Cette lettre rédigée en termes généraux et ne visant aucun des accusés actuels ou inculpés de l'époque. Un test de, je cite : « La peur et la crainte d'actions de vengeance très grande dans cette période d'après-guerre et à juste titre. Chacun au Rwanda sait ce que signifie être montré du doigt ». Je cite toujours : « Il n'est pas difficile de trouver ici des témoins à charge, le gouvernement actuel est représenté dans toutes les instances importantes. Par contre, les témoins de la défense sont obligés de se taire ».

Je vous remercie de votre attention.

Le Président : Je vous remercie Maître CUYKENS. L'original est déposé Monsieur le greffier ? Oui ?