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4.3.3. Défense de Consolata MUKANGANGO et de Julienne MUKABUTERA
Le Président : La défense de Madame MUKANGANO, souhaite-elle également donner lecture
d'un acte de défense ?
Me. WAHIS : Acte de défense commun.
Le Président : Acte de défense commun que vous lisez Maître WAHIS. Donc, pour les
deux accusées Mesdames MUKANGANGO et MUKABUTERA.
Vous voulez bien en distribuer un exemplaire aux
jurés et jurés suppléants. L'original ? Vous ne l'avez pas encore. L'original
de l'acte de défense pourrait-il être déposé Maître WAHIS ? Il est signé ?
Vous avez la parole pour la lecture de cet acte
de défense.
Me. WAHIS : Je vous remercie, Monsieur le président.
Mwamutseho, mugire a mahuro
Voilà, Mesdames et Messieurs les jurés un début
de salutations qui vous serait adressé en Kinyarwanda. Ça ne vous dit pas grand-chose et c'est bien normal. Pourquoi devrait-on
attendre de vous que vous ayez une connaissance pointue du Rwanda, de son histoire,
de sa langue, de sa culture, de ses problèmes sociaux ethniques, de son génocide
en 1994. Et pourtant la justice belge vous charge de démêler la vérité judiciaire
de trois affaires en un seul procès. Concernant des faits qui se sont déroulés
à plus de 6.000 kilomètres d'ici, il y a sept ans, dans un contexte de folie
meurtrière que vous pouvez à peine imaginer. Procès extraordinaire, exceptionnel,
grande première clament certains. Sans doute, y a-t-il de la grandeur de la
Belgique, de se doter d'une loi qui lui permet de connaître de tous les crimes
de génocide commis de part le monde et d'empêcher ainsi l'impunité qui souvent
s'attache à de tels actes. Ce faisant, la Belgique se conforme aux conventions
internationales et prend place, il faut pouvoir le dire, dans le peloton de
tête des pays soucieux du respect des droits de l'homme.
Ce procès n'en demeure pas moins aussi le procès
de tous les dangers. En effet, aussi brillants que soient les enquêteurs belges,
comment vont-ils pouvoir mener au mieux une instruction difficile, à distance,
à l'exception de trois commissions rogatoires très temporaires au Rwanda ?
Comment vont-ils pouvoir apprécier comme il convient, la crédibilité des témoins
qu'ils interrogent via des collègues rwandais et réagir à ces témoignages en
prenant des initiatives et les mesures d'instruction nécessaires à la manifestation
de la vérité. Tout ceci met en lumière les difficultés énormes d'une instruction
de qualité à 6.000 kilomètres des lieux, par rapport à une mentalité et un contexte
étranger aux enquêteurs ? Comment attendre, par ailleurs, d'un jury d'honnêtes
citoyens belges qu'il puisse en quelques semaines, sans avoir même jamais mis
le pied au Rwanda, percevoir comme il convient toutes les réalités, les enjeux,
les difficultés et les pièges d'un procès de génocide ? Comment attendre
de vous qu'en si peu de temps vous soyez suffisamment imprégnés de la mentalité
rwandaise pour pouvoir, sans risque de vous tromper, déceler le vrai du faux ?
Combien de coopérants ou de missionnaires reconnaissent,
que même après des années passées dans ce pays, cela reste un exercice extrêmement
délicat. Plusieurs d'entre nous sont intervenus dans des procès de génocide
au Rwanda, dans le cadre de l'action menée par Avocats Sans Frontières ;
tous ceux-là, sans exception, peuvent vous dire combien, en entendant les victimes
du génocide, en lisant leurs témoignages dans les dossiers, ils ont été bouleversés,
atteints au plus profond d'eux-mêmes, pris de nausées devant l'horreur de ce
qui s'est passé. Tous, nous avons, à un moment ou un autre, pleuré. Et vous
aussi, cela vous arrivera. Lorsque vous verrez des images insoutenables, lorsque
vous entendrez certains témoignages, lorsque vous écouterez la douleur de ceux
qui ont été meurtris, avilis, blessés, laissés pour morts, qui ont vu leurs
femmes, leurs maris, leurs enfants se faire tuer devant leurs yeux, sans pouvoir
rien faire. A ces moments, vous serez submergés par leur souffrance, submergés
aussi de compassion, vous n'aurez qu'une seule envie, de leur donner la main
et de pleurer avec eux. Ce sentiment est juste mais il peut aussi être source
d'un terrible danger, celui de vouloir faire, dans cette enceinte, le procès
d'un génocide. Cette tentative sera d'autant plus forte qu'elle se développera
au plus profond de vos sentiments, de vos émotions. Il ne peut être question
de juger ici le génocide de 1994. Il vous est exclusivement confié de dire si,
dans trois affaires bien précises, en fonction de tous les éléments qui auront
été développés de part et d'autre, ces accusés sont ou non coupables des faits
qui leur sont reprochés. Il vous faudra pour cela pouvoir faire abstraction
de tout le poids que font peser sur ces trois affaires, les horreurs du génocide.
Faire abstraction de toute la culpabilité ou la compassion qui peut en découler.
Autant cet effort est difficile, autant il constitue le prix d'une justice sereine.
Les procès de génocide, auxquels nous avons participé,
nous ont aussi appris combien la vérité est difficile à cerner au travers des
témoignages des différents intervenants. Leur sens de la vérité dans le cadre
de ce genre de procès est tout à fait déroutant pour nous. Bien plus que de
contribuer à la manifestation de la vérité, il est souvent question de gagner
contre quelqu'un d'autre, d'arriver à un résultat sans trop se préoccuper des
entorses à la vérité. Beaucoup de personnes ont leur sens de la vérité occulté
par tout ce qu'elles ont entendu, par la rumeur, à un point tel qu'en définitive
elles diront avoir vu ce qu'elles ont bien souvent entendu, appris. Elles rapportent
ce qu'on dit. Il y a tellement de comptes qu'on règle au travers de procès de
génocide, de vieilles querelles, une revanche à prendre, ou tout simplement,
c'est par exemple l'occasion de dépouiller quelqu'un de ses biens. Parfois aussi,
il y a des attentes profondément déçues. On était sûr que telle personne allait
pouvoir nous protéger et elle n'a pas pu empêcher le massacre des nôtres ;
la blessure est si forte et le ressentiment est tel, à l'égard de cette personne,
qu'il devient comme évident qu'elle devait être complice des tueurs. Et la rumeur
aidant, elle se verra accuser de toutes sortes de crimes et de faits à peine
imaginables.
Il vous appartiendra, Mesdames et Messieurs les
jurés, de voir clair dans tout cela et de pouvoir démêler le vrai du faux. C'est
un travail difficile, qui demandera beaucoup d'attention et surtout une prise
de distance par rapport à ce qui sera dit par les témoins. Rassurez-vous, nous
ferons le même travail. Il faudra vérifier la crédibilité des témoignages par
des questions précises, de temps, de lieux, de circonstances. Par des recoupements
avec d'autres témoignages, vous aurez peut-être parfois l'impression que les
questions que nous posons portent trop sur les détails, surtout par rapport
à tout ce que ces témoins auront vécu et enduré. La manifestation de la vérité
est cependant à ce prix et c'est elle et elle seule la vérité qui doit primer
sur toute autre considération.
Nous voudrions terminer cet acte de défense par
un souhait. Nous voici tous embarqués pour un procès long et difficile. Puissions-nous,
tout au long de ce procès, faire preuve de beaucoup de respect pour tous les
intervenants qui vont s'y succéder. Que la douleur et la souffrance de tous
puissent être véritablement écoutées, reçues, sans pour autant que nous y perdions
notre esprit critique. Voilà notre souhait et en tout cas notre souci.
Le Président : Je vous remercie Maître WAHIS. Monsieur l'avocat général vous avez
établi, et on a notifié aux accusés, des listes de témoins, et avec mon accord,
ces témoins ont été cités ou convoqués, selon un horaire qui était pré-établi
et qui est déjà, à l'instant même, dépassé, euh… sur plusieurs audiences. Est-ce
qu'il y a des remarques à formuler sur les listes, notamment, qui ont été notifiées
aux accusés ? Il y a eu deux notifications aux accusés, me semble-t-il ?
La liste de Monsieur l'avocat général, et mardi donc hier dans le courant
de la matinée, la liste des témoins qui avait été demandée, soit par la défense,
soit par des parties civiles qui n'étaient pas reprises, dans les témoins cités
par l'avocat général. Seuls les accusés reçoivent notification puisqu'il n'y
a jamais de notification aux parties civiles devant la Cour d'assises et que
la notification à l'avocat général c'est simplement la demande qui est faite
par les parties par quelque courrier que ce soit. Euh… je vais demander à… donc,
tous les témoins ont été notifiés, en tout cas, aux accusés, mêmes ceux qui
n'étaient pas convoqués, ne sont pas prévus dans l'horaire. Donc, notamment,
je me souviens Maître HIRSCH, par exemple, que vous aviez sollicité peut-être
l'audition d'un médecin-psychiatre. Il est notifié donc si ce témoin arrivait
même sans convocation, il est dénoncé et peut être entendu comme témoin.
Euh… bien, cet horaire évidemment comme je vous
le dis est dépassé, je me réserve évidemment le droit de modifier cet horaire.
Euh… il y aura nécessairement des modifications certains des témoins ont déjà
fait savoir qu'à la date où ils sont convoqués, ils ne sont pas disponibles,
donc il faudra trouver une autre. Certains ne comparaîtront pas, parce qu’ils
ne savent pas comparaître parce qu'ils sont détenus, parce qu'ils ont des
motifs professionnels, parce qu'ils ne veulent peut-être pas comparaître, nous
verrons bien mais… donc, il y a une série de personnes qui ont déjà fait savoir
qu'elles ne seraient pas là soit au moment qui était prévu dans l'horaire
le moment de la citation ou de la convocation qui leur a été adressée soit
qui ont fait savoir qu'elles ne viendraient pas du tout. Et donc, en fonction
de ça, nous allons essayer de déplacer les gens, les mettre à des endroits où
d'autres ne viendraient pas etc. On vérifiera aussi, au moment opportun, ce
qu'il faut faire, lire des déclarations, ne pas les lire, faire venir le juge
d'instruction, faire venir un enquêteur pour rapporter la teneur des déclarations.
On verra à ce moment là ce qu'il conviendra de faire.
Bien. Euh… ce que la loi impose, c'est que le greffier
donne lecture de la liste de ces témoins. Je signale aux personnes qui sont
dans la salle et qui peut-être figurent sur ces listes de témoins, que la loi
leur interdit d'assister au débat jusqu'au moment où leur témoignage sera reçu.
Ce qui signifie que si elles sont présentes dans la salle d'audience, elles
vont devoir se retirer et soit aller dans la salle des témoins jusqu'à leur
déposition, mais elles ne vont pas rester j'imagine plusieurs jours dans
cette salle. Donc, revenir au palais de justice au moment qui serait le plus
proche de celui où leur témoignage devrait être reçu et se placer, à ce moment
là, dans la salle des témoins. Y a-t-il des oppositions des parties à l'audition
de l'un ou l'autre témoin ? Et notamment opposition des accusés à l'un
ou l'autre des témoins qui figurent sur les listes qui leur ont été notifiées.
Soit parce qu'il y aurait ou pas de notification, ce qui semble ne pas être
le cas. Monsieur l'avocat général avait déjà dit que ce qui lui était écrit
ou adressé par courrier, valait pour lui notification et les accusés ont en
principe dû recevoir notification de tous les témoins. La première liste qu'avait
établi Monsieur l'avocat général et ensuite notification de tous les témoins
dénoncés, soit par les autres accusés, soit par les parties civiles.
Bien. Euh… Monsieur l'huissier d'audience, au fur
et à mesure de l'arrivée des témoins, je vais vous demander de bien vouloir
les conduire dans la salle qui leur est réservée et de veiller au respect de
mes instructions qui sont les suivantes :
Vous voudrez veiller à séparer les témoins à charge
des témoins à décharge, de séparer également les témoins à charge et les témoins
à décharge des personnes qui seraient entendues en vertu de mon pouvoir discrétionnaire,
si besoin, il faut empêcher les témoins de conférer entre eux du crime et de
l'accusé ou des accusés avant leur déposition. Vous savez que les témoins ne
peuvent sortir de la salle qui leur est réservée que pour faire leur déposition
dès qu'un témoin se présente à l'entrée; vous aurez soin du conduire immédiatement
dans cette salle de témoins. Ces instructions valent évidemment pour chacune
des audiences au cours desquelles des témoins devraient être entendus. |
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