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5.2.2. Présentation des parties : Alphonse HIGANIRO
Le Président : Vous voulez encore ajouter quelque chose pour qu’on
fasse un aperçu de votre personnalité ?
Vincent NTEZIMANA : Non, Monsieur le président.
Le Président : Alors vous
pouvez vous asseoir, Monsieur HIGANIRO. Monsieur HIGANIRO, vous êtes né en 1949 ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur le président, je suis né en 1949.
Le Président : A Gaseke.
Alphonse HIGANIRO : A Gaseke.
Le Président : Vous aviez cinq sœurs et deux frères apparemment ?
Alphonse HIGANIRO : J’ai cinq sœurs et deux frères.
Le Président : Monsieur HIGANIRO, votre nom à vous, cela veut
dire quoi en français, pour autant que cela ait un sens ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur le président. Mon nom est un message
que mon papa a adressé à sa famille proche, les frères, pour leur dire qu’un
garçon de plus c’est bien. Cela veut dire que dans nos traditions anciennes,
les garçons étaient préférés aux filles. Je pense que cela ne choque pas beaucoup
parce qu’il y a certains pays où c’est encore comme ça et chez nous c’est dans
le passé, on préférait avoir plus de garçons que de filles. Il se trouve que
mon papa avait deux garçons et deux filles, je suis né le 5ème, j’étais
un garçon. Alors, il disait au milieu environnant qu’il a un garçon de
plus. C’est ce que ça signifie en français.
Le Président : Votre père est décédé alors que vous étiez encore
un jeune enfant, vous n’aviez que quatre ans.
Alphonse HIGANIRO : Oui, Monsieur le président.
Le Président : Votre maman est toujours en vie ?
Alphonse HIGANIRO : Quand j’ai quitté le pays, elle était toujours
en vie mais j’ai appris dernièrement qu’elle est décédée, je ne sais pas de
quoi, mais certainement pas des suites de la guerre.
Le Président : Vous avez des nouvelles de vos frères et sœurs ?
Alphonse HIGANIRO : J’avais deux frères, l’un a été fusillé fin 1994
et l’autre est encore en vie.
Le Président : Et vos sœurs ?
Alphonse HIGANIRO : Une sœur est morte de maladie, les autres sont
encore en vie, Monsieur le président.
Le Président : Et ceux qui sont encore en vie vivent au Rwanda ?
Alphonse HIGANIRO : Ils vivent au Rwanda sur les collines où ils étaient
avant la guerre.
Le Président : Vous êtes marié, Monsieur HIGANIRO ?
Alphonse HIGANIRO : Je suis marié…
Le Président : Depuis 1984 ?
Alphonse HIGANIRO : Depuis 1984, Monsieur le président.
Le Président : On fait évidemment grand cas de ce que votre épouse
était la fille du médecin personnel du président le témoin 32. En tout cas,
on veut voir là-bas quelque chose qui permettrait de dire que vous êtes très
proche du président le témoin 32 et que vous faisiez partie de ce cercle très
restreint que l’on appelle « l’Akazu». Je crois que vous contestez
faire partie de l’Akazu parce que ce cercle restreint est vraiment très
restreint et ne vous comprend pas ?
Alphonse HIGANIRO : C’est ce mot-là qui me gênait tout à l’heure. D’abord,
je suis proche du président le témoin 32, c’est peut-être l’occasion, si vous
le permettez, Monsieur le président, d’apporter quelques précisions. D’abord,
mon beau-père, depuis longtemps, était un ami de Monsieur le témoin 32. En fait,
si vous permettez une petite seconde, je vous dirai comment cela s’est fait.
Mon beau-père a fait un gros accident, je ne le connaissais pas encore, bien
sûr, dans les années 1960 et il s’est retrouvé à l’hôpital après avoir perdu
presque tout son sang. On a trouvé quelqu’un qui avait du sang compatible avec
le sien, Monsieur le président, et il se trouve que celui qui lui a donné du
sang, c’est précisément Monsieur le témoin 32. Alors, au sortir de l’hôpital,
il est allé voir ce monsieur qui lui a sauvé la vie et leurs amitiés ont commencé
comme ça. Monsieur le témoin 32, comme vous le savez aussi certainement, Monsieur
le président, est de la première promotion de l’école d’officiers du Rwanda.
Il s’est retrouvé être le chef, au fil des ans, de l’armée et quand mon beau-père
et lui se sont connus, il lui a proposé d’être le médecin de l’armée mais tout
en gardant son statut civil, il n’était pas en tenue militaire, il était toujours
en civil et il n’a pas fait d’ailleurs de formation militaire. Quand Monsieur
le témoin 32 est devenu président de la République, il l’a choisi, dans la continuité
de cette amitié, comme médecin personnel. Je n’étais pas encore marié à sa fille
parce que je me suis marié en 1984 et que le président le témoin 32 est devenu
président en 1973 et donc quand j’ai fiancé la fille de mon beau-père, il était
déjà médecin personnel du président.
Le Président : Et donc, votre beau-père est décédé dans l’attentat
qui a eu lieu le 6 avril 1994 ? Il était à bord de l’avion ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, exactement. Comme il était d’usage, le président
se déplaçait avec son médecin personnel. Quand l’avion a été abattu, il était
à bord. Comme il n’y a pas eu de survivant, il est mort aussi. Ici se prête
l’occasion de dire que cela a été pour moi extrêmement pénible dans ce sens
que ma belle-mère n’était pas au pays, elle était hospitalisée ici à Bruxelles
et quand mon beau-père est mort, je me suis retrouvé avec ses huit enfants plus
mes deux enfants et dans une situation où les esprits étaient très échauffés
et j’ai eu vraiment du mal à maintenir la cohésion entre toutes ces personnes
de différents âges et de différentes idées. Et ce qui est aussi extrêmement
pénible, c’est que le corps du beau-père, chaque fois qu’on a fui de la zone
de combat vers une région qui n’était pas encore en combat, le corps du beau-père
nous suivait aussi jusqu’à ce qu’on l’ait abandonné quelque part, ce qui signifie
qu’on n’a jamais organisé ses funérailles, ce qui a toujours posé un problème
évidemment jusqu’à présent au deuil qu’on considère comme étant toujours là.
Le Président : Vous pouvez faire un aperçu de votre parcours scolaire ?
D’abord comme élève et puis peut-être après comme professeur ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, j’ai fait mes études secondaires scientifiques
au pays, je les ai terminées en 1969. A ce moment-là, la Belgique organisait
des examens de recrutement des meilleurs élèves pour leur octroyer une bourse
d’étude. J’ai réussi cet examen très brillamment en mathématique, c’était assez
bien en mathématique et j’ai été retenu par la commission de sélection pour
venir ici. Une fois arrivé ici, je me suis inscrit à l’université catholique
de Louvain pour faire des mathématiques pour des raisons essentiellement parce
que j’étais bien fort en mathématique, je me trouvais à l’aise et puis la deuxième
raison, c’est que j’avais toujours souhaité être enseignant et c’était une branche
qui me conduisait tout droit vers l’enseignement.
A la fin de mes études, en juin 1973, je suis directement rentré
au pays parce que je voulais attraper la rentrée scolaire de septembre de la
même année pour pouvoir me faire engager comme professeur. Quand je suis arrivé,
je crois que j’étais le deuxième ou le troisième des mathématiciens rwandais
à cette époque, j’ai donc été tout de suite affecté dans une école normale pour
la formation des futurs enseignants et j’ai été titulaire dans cette école normale
du cours de mathématique. Une année scolaire après, j’ai été affecté au bureau
pédagogique. Qu’est-ce que cela veut dire ? Le bureau pédagogique, c’était
un bureau du ministère qui était chargé de la programmation, de l’élaboration
des programmes et aussi de l’inspection spécialisée, c’est-à-dire par discipline.
J’ai donc été affecté à ce bureau pédagogique pour élaborer le programme des
mathématiques mais aussi pour inspecter l’enseignement de cette discipline.
Mais comme j’avais fait seulement la licence en mathématique, je n’avais pas
fait de graduat, je n’avais pas fait de méthodologie spéciale dans cette discipline,
j’ai dû revenir ici pour suivre un cours de formation d’inspecteur de mathématique,
c’était alors à l’université d’Anvers. J’ai terminé en 1977 cette formation.
Je suis retourné au pays et j’ai enseigné encore tout en continuant
à être membre du bureau pédagogique jusqu’à ce que mon chef au niveau de la
direction générale soit nommé ministre. Alors je l’ai remplacé à son poste de
directeur général des études de recherche pédagogique jusqu’à ce que le ministère
ayant l’enseignement dans ses attributions soit scindé en deux. C’était, je
pense, en 1982, le volet primaire et secondaire est devenu un ministère à part
entière et le volet enseignement supérieur, recherche scientifique et culture,
un autre ministère. Le ministre qui était mon chef est allé diriger un de ces
ministères et moi, j’ai été promu secrétaire général dans l’autre ministère.
Je suis resté dans le secteur de l’enseignement jusqu’à ce que je sois nommé
à la Communauté économique des pays des grands lacs, entendez par-là cette Communauté
qui regroupait les trois anciennes colonies belges, c’est-à-dire le Rwanda,
le Burundi et le Zaïre. Je suis resté là de fin 1982 à 1991.
Le Président : Un petit instant. Vous gagniez combien à cette
époque-là, en 1991, comme secrétaire exécutif de cette Communauté économique ?
Alphonse HIGANIRO : Je gagnais là-bas autour des 300.000 francs rwandais
par mois, cela faisait dans les 60.000 francs belges si on utilise le taux d’alors
et c’était une Communauté internationale qui appliquait les salaires des fonctions
publiques internationales.
Le Président : Ensuite, vous restez à ce poste jusqu’en 1991 et
puis vous devenez ministre des transports ?
Alphonse HIGANIRO : En février 1991, je deviens ministre des transports.
Le Président : Une autre question, le ministre des transports
gagne combien à l’époque ?
Alphonse HIGANIRO : Le ministre des transports, disons, il faut exclure
ce que l’on appelle les avantages en nature, les avantages matériels, le logement,
le véhicule, le personnel de soutien à la maison et les frais de représentation,
cela mis à part, ce que le ministre touche réellement est, selon qu’il est marié
ou célibataire, on peut dire dans les 60.000 francs rwandais.
Le Président : Donc vous tombez d’un statut où gagnez 300.0000
à 60.000 avec certes, à côté, des avantages, logement, voiture, etc.
Alphonse HIGANIRO : Mais pour être complet, je dois dire qu’à la CEPGL,
les avantages ministériels connexes, je les avais aussi, j’avais logement aussi,
etc. En fait, effectivement, ce qui s’est passé, je suis tombé de 300.000 francs
à 60.000 francs mais je dois dire ici qu’une promotion à un poste de ministre,
ça donne une autre satisfaction que la simple satisfaction matérielle et financière.
Donc, j’étais heureux d’être choisi et nommé membre d’un gouvernement, nommé
ministre. Là, je dois dire que je n’avais pas de problème. En fait, les problèmes
se sont posés à partir du moment où dix mois seulement après ma nomination au
poste de ministre, je suis limogé et évacué du gouvernement.
Le Président : Est-ce que ce limogeage n’est pas la manœuvre de
ce qui est vraiment, selon vous, l’Akazu ? Le beau-frère, ce n’est
pas non plus l’Akazu ?
Alphonse HIGANIRO : Je pense
bien que le président, en me remerciant, il a l’habitude d’appeler ses anciens
ministres et de leur dire merci, il ne m’a pas dit exactement ce qui s’est passé
mais j’ai senti, mais ici avec toute la réserve, j’ai senti, moi, que c’était
la conséquence des problèmes que j’avais avec le colonel SAGATWA. Parce
que le colonel SAGATWA était le chef de cabinet du président, cela veut
dire que le courrier passe chez lui, les audiences passent chez lui. Cela veut
dire qu’il était un passage incontournable pour arriver au président, mais nous,
pour les ministres, ce n’était pas le cas pour moi parce que mon beau-père avait
des relations particulières avec le président, ce qui me permettait, par ce
circuit, de pouvoir dans mes fonctions de ministres arriver au président sans
passer par le colonel SAGATWA. Mais cela ne lui faisait évidemment pas
plaisir parce qu’il voulait contrôler un peu tout ce mouvement-là. Mais en plus,
il me semblait difficile, étant ministre, de pouvoir recevoir les injonctions
d’un chef de cabinet. Et même, c’est le chef du cabinet du président si je suis
membre du gouvernement de son président. On se rencontre au conseil du gouvernement.
Je pensais que je pouvais téléphoner au président de la République démocrate
dans ma fonction de ministre, pouvoir le rencontrer pour l’un ou l’autre problème
dans mes fonctions de ministre mais cela m’a coûté évidemment très vite le poste.
Mais comme le président n’avait rien à me reprocher, et surtout qu’il était
l’ami de mon beau-père, il a essayé d’amortir le choc. Il m’a alors proposé
à la direction de la SORWAL. La direction de la SORWAL, contrairement
à ce que l’on dit dans certains écrits, n’est pas un établissement para-étatique,
c’est une société anonyme, entièrement privée.
Le Président : Mais il me semble que, curieusement, dans le dossier,
j’ai vu que vous étiez nommé par le président, par un arrêté présidentiel, qui
vous délègue comme fonctionnaire à la direction de la SORWAL.
Alphonse HIGANIRO : En fait, Monsieur le président, c’est un arrêté
de détachement, c’est-à-dire qu’avant d’aller à la SORWAL, je suis un fonctionnaire
de l’Etat. Pour aller dans le privé, il faut d’abord perdre cette qualité de
fonctionnaire de l’Etat ou du moins la suspendre. Alors, le président de la
République, puisque j’étais de la première catégorie comme tous les universitaires,
il lui appartient de prendre un arrêté de détachement de la fonction publique
pour que mes avantages de la fonction publique s’arrêtent puisque tout ce qui
était pension, etc., ça se faisait alors via une autre caisse. C’est cela l’objet
de cet arrêté, Monsieur le président.
Le Président : C’est une société dans laquelle l’Etat rwandais
est actionnaire ? Le principal actionnaire ?
Alphonse HIGANIRO : Il est minoritaire mais principal actionnaire,
c’est-à-dire qu’aucun des actionnaires n’est majoritaire, aucun n’a 51% mais
parmi tous les actionnaires, il a 27%. C’est à lui qu’on a demandé de proposer
au conseil d’administration un candidat ou des candidats à la direction générale
de la société.
Le Président : Comme directeur à la SORWAL, vous gagniez combien ?
On avait 300.000 à la Communauté économique des grands lacs, 60.000 comme ministre,
directeur de la SORWAL, c’est combien ? Moi, j’ai entendu dans l’acte d’accusation
quelque chose de l’ordre de 300.000 francs rwandais aussi.
Alphonse HIGANIRO : C’est une erreur, Monsieur le président.
Le Président : Il me semblait avoir vu dans le dossier d’autres
chiffres.
Alphonse HIGANIRO : Moi aussi, dans l’acte d’accusation, c’est marqué
302.000 et quelque, mais c’est une erreur. Dans le dossier à la SORWAL, l’instruction
aurait dû trouver qu’il y a là un contrat et même dans les pièces ici, qui sont
des pièces à conviction au greffe, il y a aussi un procès-verbal du conseil
d’administration qui m’a recruté, il est bien précisé là-dedans que je touche
120.000 francs rwandais + 30.000 francs de frais de représentation. Et moi,
j’ai dit dans les auditions que je touche 150.000 francs mais en réalité, c’est
120.000 francs + 30.000 francs pour couvrir certains frais qui ne sont pas prévus
dans le budget mais qui servent à promouvoir les intérêts de la société.
Le Président : Sans rentrer dans les détails, certes, cela met
un peu de baume sur votre cœur parce que c’est une situation importante malgré
tout, d’être directeur de cette société, que le traitement ou le salaire est
même plus élevé que celui d’un ministre, cela ne vous plaît pas beaucoup ni
à votre épouse parce que, semble-t-il, il faut déménager, il faut aller habiter
à Butare, il faut que les enfants changent d’école. C’est une préfecture dans
laquelle vous êtes considéré comme un parachuté, si je puis dire.
Alphonse HIGANIRO : C’est exact, Monsieur le président. D’abord, ça
ne me plaît pas parce que le poste de secrétaire exécutif adjoint à la CEPGL,
c’est un poste qui a un avantage financier comme nous l’avons évoqué tout à
l’heure mais qui a aussi un avantage d’épanouissement intellectuel. Je ne suis
pas confiné dans la fabrication des allumettes, à la CEPGL j’ai des fonctions,
des attributions, d’abord dans le domaine qui m’a toujours intéressé, j’avais
les ressources humaines dans mes attributions mais aussi ça me permettait de
pouvoir rencontrer des intellectuels, des politiciens au niveau de la Communauté.
Maintenant, bien sûr, je perds mon salaire, il faut le dire aussi, 300.000 à
60.000 francs, j’ai dit tout à l’heure que je pouvais l’accepter parce que je
suis promu ministre dans un gouvernement mais si c’est une manœuvre pour pouvoir
m’évacuer dix mois après vers la SORWAL, même si le salaire est de 120.000 francs,
je passe quand même de 300.000 à 120.000, en plus cela n’a plus cet épanouissement
intellectuel que me conférait le premier poste. Je ne dis pas que c’est un poste
que j’aurais gardé toute ma vie, la CEPGL, non ce n’est pas cela puisque quand
j’ai été nommé là-bas, j’ai remplacé aussi quelqu’un d’autre mais il y avait
une façon du faire qui soit plus correcte, qui dit : « Voilà, votre
mandat est terminé », je suis d’accord.
En plus, Monsieur le président, effectivement on m’a fait d’abord
passer de Gisenyi à Kigali, cela signifie qu’il y a rupture de scolarité pour
les enfants en plein milieu de l’année, de Gisenyi vers Kigali, ils vont dans
une autre école. Et maintenant on me fait encore, dans la même année, puisqu’on
m’a nommé ministre en février 1991, maintenant je dois partir à la SORWAL fin
1991, je dois encore faire la rupture de scolarité vers une autre école. Ces
enfants sont scolarisés en langue française et le passage à Butare, c’est un
problème pour trouver une école en langue française. Ma femme, quand on est
arrivé à ce stade-là, elle a dit : « Là je ne suis plus d’accord ».
Le Président : Sur le plan
politique pour vous, c’est relativement plus simple que pour Monsieur NTEZIMANA,
il n’y a pas des passages d’un parti politique à l’autre, vous n’avez jamais
été affilié qu’à un seul parti politique ?
Alphonse HIGANIRO : Je suis resté dans le MRND même quand le multipartisme
est arrivé. Le MRND a revu ses programmes pour s’adapter aux exigences du multipartisme
et j’ai continué avec ce parti.
Le Président : Par contre, semble-t-il, votre épouse …
Alphonse HIGANIRO : Suite à ce changement de trajectoire assez segmenté,
elle a quitté le MRND.
Le Président : Elle a rejoint un autre parti ?
Alphonse HIGANIRO : Elle a rejoint un autre parti, la CDR qui était
un des partis importants dans le Nord. Elle a dit au parti du président :
« Non, je ne reste plus ».
Le Président : Sur le plan politique, vous avez exercé, dans le
parti politique, des fonctions particulières importantes au niveau national,
préfectoral ?
Alphonse HIGANIRO : D’abord, avant que je sois politiquement limogé,
que je sois déchu du gouvernement, j’étais fonctionnaire international et à
ce titre, je ne pouvais pas avoir des activités politiques, c’était incompatible,
je n’ai pas eu d’activités politiques, j’étais au niveau préfectoral à cette
époque-là dans une commission technique préfectorale mais on ne peut pas dire
que c’était MRND puisqu’il n’y avait que MRND, tout le monde était là-dedans,
comme c’est dit dans l’acte d’accusation, dès la naissance. Quand j’ai quitté
les fonctions internationales, je suis devenu ministre, j’avais les seules fonctions
de ministre et quand j’ai quitté le poste de ministre, je suis arrivé à la SORWAL
et là aussi j’ai dit : « D’accord, je reste dans le parti du président
le témoin 32 pour les relations que j’ai évoquées mais je ne fais plus rien,
c’est-à-dire que je ne fais plus de réunions du parti ». Chez nous, il
existe des meetings populaires où les partis viennent, organisent, appellent
tout le monde. J’ai dit : « Je ne ferai plus ce genre de réunions,
j’ai coupé toute activité politique dans la préfecture de Butare ».
Le Président : Vous avez pourtant participé à un comité, une Commission
de fonctionnaires de Butare attaché à MRND ? C’est peut-être, par rapport
à ce que vous appelez les meetings, les grandes réunions publiques, un travail
de petit comité privé ?
Alphonse HIGANIRO : Tout à fait. C’est l’occasion peut-être d’apporter
une précision. D’abord l’appeler commission politique, c’est une erreur de traduction.
Le procès-verbal de cette réunion est entièrement en kinyarwanda et sa traduction
exacte en français, c’est le petit comité du comité des fonctionnaires affiliés
au MRND et résidant à Butare, avec le fait que même la traduction « fonctionnaires »
est incorrecte, c’est plutôt « abakozi » en kinyarwanda, donc cela
veut dire qu’en français on peut dire les travailleurs. Je n’étais pas fonctionnaire
comme tant d’autres gars qui étaient à la SORWAL et qui n’étaient pas fonctionnaires.
Mais nous étions dans ce petit comité-là. Que s’est-il passé au juste ?
Le Président : Je ne vais pas vous demander, à ce stade-ci, d’expliquer
parce qu’on va alors toucher au problème des faits et vous allez devoir vous
expliquer assez longuement, j’imagine, sur les termes qu’on retrouve dans ces
documents, sur le travail qui a été fait, mais donc cela n’a rien à voir avec
une activité au sein du parti ?
Alphonse HIGANIRO : Non, c’était une commission créée, auto-créée des
fonctionnaires sans aucun rapport avec un quelconque organe du parti, c’était
entièrement privé.
Le Président : Vous avez eu des activités culturelles et sociales
avec monsieur NTEZIMANA ? Pouvez-vous rappeler peut-être le nom de cette
association ?
Alphonse HIGANIRO : C’est ADSK, cela vaut dire Association pour le
Développement Social du Kingogo, c’est notre région, c’est la région de
NTEZIMANA et de moi-même, c’est la région qui se trouve au Sud de la préfecture
de Gisenyi, en frontière avec la préfecture de Gitarama. Mais en fait,
en confirmation de ce que NTEZIMANA a dit tout à l’heure au sujet de l’idée,
j’ajouterais qu’il est venu me voir effectivement et m’a donné l’idée, il m’a
dit : « Voilà, il y a des problèmes de bourse, il y a des problèmes
de santé, etc. », parce qu’il pensait que nous pouvions par exemple construire
une pharmacie dans le chef-lieu de la sous-préfecture, « Est-ce que nous
ne pourrions pas faire quelque chose ? ». Je ne vais pas recommencer
l’explication qu’il a donnée. J’ai dit : « Oui, je te suis ».
Alors, nous avons travaillé, travaillé, travaillé et quand la guerre est arrivée,
nous avions déjà une petite cagnotte de 300.000 francs. Je ne sais pas en tout
cas ce qu’elle est devenue, c’est allé tellement vite. Mais notre objectif était
celui-là. A côté de cela, j’avais aussi des activités sociales personnelles.
J’avais par exemple une école secondaire d’infirmières que j’étais en train
de construire dans ma commune natale avec l’aide de quelques associations philanthropiques.
Le Président : Des ONG ?
Alphonse HIGANIRO : Des ONG Nord-Sud coopération, Monsieur le président.
Quand par exemple, j’ai dit dans l’acte d’accusation que je ne me souciais pas
des petites gens, ce sont des actions directement dirigées vers les petites
gens justement. Parce qu’une formation secondaire, c’est cela qui faisait le
plus grand problème aux enfants rwandais parce que les places secondaires étaient
réservées à 10% de ce qui sortait de l’école primaire. Quand je dis « réservées »,
c’est un terme impropre, il n’y avait que 50 places. Alors, construire une école
secondaire dans une commune, c’était un avantage énorme qu’on donne aux enfants
de cette commune. On ne paie plus des frais de déplacement vers des écoles nationales,
ensuite ils ont quand même un peu de priorité parce que l’école est chez eux.
On ne peut pas s’intéresser moins bien aux petites gens que de faire des actions
de ce genre.
Le Président : Vous n’étiez pas aussi affilié au Rotary de Butare ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, j’ai été affilié au Rotary, j’étais rotarien
à Butare.
Le Président : Alors, notamment, à propos de ce club Rotary, les
membres n’étaient-ils pas majoritairement Tutsi, les membres rwandais ?
Alphonse HIGANIRO : Oui, tout à fait, Monsieur le président, c’était
majoritairement Tutsi.
Le Président : Pour être membre d’un club comme celui-là, il ne
faut pas être parrainé ou invité ?
Alphonse HIGANIRO : Il faut être parrainé.
Le Président : Est-ce qu’il suffit de rentrer là pour qu’on devienne
membre ? Non, je n’imagine pas.
Alphonse HIGANIRO : Surtout, il faut avoir du travail parce que l’objectif
est de pouvoir aider les autres. Généralement, au Rotary, il faut un travail.
Le Président : Oui, mais est-ce qu’on devient membre comme cela,
on sonne à la porte, on dit : « Moi je voudrais être membre ? ».
Et on vous dit : « Oui, bien sûr, entrez ? ».
Alphonse HIGANIRO : J’avais un ami qui s’appelait le témoin 32 Jean-Baptiste.
Le Président : Qui était le préfet ?
Alphonse HIGANIRO : Qui était le préfet de Butare, un ami de longue
date qui a été mon parrain pour être membre du Rotary.
Le Président : Vous êtes resté au Rwanda jusqu’à quelle date ?
Alphonse HIGANIRO : Je suis resté jusqu’au 4 juin, Monsieur le président.
Mais ici, je peux apporter une précision si vous le permettez. J’avais un problème
avec le corps de mon beau-père et puis après j’ai eu un beau-frère qui a été
tué pendant la guerre aussi, donc un des frères de ses enfants et comme le corps
qui nous avait suivi se trouvait à la morgue à Gisenyi, j’avais ce problème
que chaque matin les enfants allaient ouvrir le cercueil pour aller pleurer,
etc. Leur maman étant hospitalisée ici, c’est devenu une situation très difficile
à gérer et je me suis dit qu’il fallait que je m’en débarrasse. Si je dois
rester dans cette galère, que je reste seul mais que je puisse les envoyer tout
près de leur maman pour que là-bas ils se réunissent et ils essaient d’oublier
un peu. Donc, je les avais déjà envoyés le 14 mai 1994. Je suis resté seul là-bas
à Gisenyi auprès du corps de mon beau-père jusqu’au 4 juin. Mais qu’est-ce qui
s’est passé au 4 juin ? Le 4 juin, j’ai reçu un message via Goma de l’autre
côté où on me disait que l’équipe devenait trop grande, ils n’avaient pas le
moyen de subsister. Or, ils ne savaient pas non plus embrayer vers les centres
d’aide publique. Alors, j’ai dû prendre l’avion et régler ce problème pour d’abord
introduire leur demande de statut de réfugié, ce qui leur permettrait alors
de pouvoir être pris en charge par l’aide publique ici. Quand je suis arrivé
ici, je me suis occupé de ces tâches-là mais entre-temps, j’ai appris à la radio
que d’où je venais à Gisenyi, c’était déjà tombé dans les mains du FPR. Evidemment,
ce n’était plus pour moi encore possible de penser à retourner au pays, je me
suis joint…
Le Président : Vous avez, vous aussi, introduit une demande.
Alphonse HIGANIRO : Une demande au statut de réfugié.
Le Président : Est-ce que vous avez pu avoir une activité professionnelle
en Belgique ?
Alphonse HIGANIRO : Non, Monsieur le président, c’était difficile.
Mon domaine c’est l’enseignement. Avec ce qu’on écrivait dans les journaux à
mon sujet, c’était difficile de pouvoir me présenter devant les élèves même
si ce n’était pas vrai, mais toujours est-il que c’était lu et j’ai préféré
prendre le retrait vis-à-vis de cette fonction, surtout que j’ai été vite mis
en prison au moment où ça passait au Tribunal international et que l’équivalent
du non-lieu a été prononcé, j’ai dit : « Bon, je vais maintenant m’occuper
du dossier de régularisation du séjour des enfants », et je me suis retrouvé
face à un réquisitoire du renvoi en Cour d’assises, ce qui signifie qu’il fallait
non seulement mettre de l’ordre ici dans la tête qui était déjà sous épreuve
depuis 1994, mais cela signifiait aussi que je devais m’occuper du dossier,
regarder ce qu’il y avait dedans, etc., de sorte que pratiquement j’ai été tout
le temps sous pression.
Le Président : Vos enfants ont quel âge maintenant ?
Alphonse HIGANIRO : L’aîné à 16 ans, Monsieur le président, et la fille
a 13 ans, Monsieur le président.
Le Président : Votre épouse a du travail en Belgique ou pas
non plus ?
Alphonse HIGANIRO : Non, elle ne travaille pas. Elle aussi avait le
problème des papiers, elle n’a toujours pas les papiers de qualité de réfugiée
parce que son cas est resté pendant au mien en quelque sorte.
Le Président : Pour vos loisirs, Monsieur NTEZIMANA, lui, c’est
un joueur de basket, vous, vous avez des loisirs particuliers ?
Alphonse HIGANIRO : Quand j’ai un peu de temps, quand tous ces problèmes
me laissent un peu de répit, je fais la lecture, j’aime bien lire, certaines
sortes de livres, des bibliographies par exemple et aussi me mettre à niveau
en ce qui concerne les mathématiques parce que j’essaie de faire en sorte quand
même que mes enfants n’aient pas des problèmes de mathématique alors que c’est
ma spécialité.
Le Président : Vous n’avez pas non plus de condamnation en Belgique
et j’imagine que vous n’en aviez pas non plus au Rwanda ?
Alphonse HIGANIRO : Non, Monsieur le président.
Le Président : A moins que vous ne voyiez quelque chose à ajouter
pour cerner votre personnalité, Monsieur HIGANIRO ?
Alphonse HIGANIRO : Monsieur le président, je crois que vous m’avez
donné l’occasion de presque tout dire.
Le Président : Vous pouvez vous asseoir. Je vous avais demandé
de prendre vos dispositions pour qu’on travaille un peu plus tard aujourd’hui,
cela a-t-il été fait ? Je vous suggère peut-être dix minutes de suspension
d’audience avant que nous ne reprenions les auditions de Mesdames MUKANGANGO
et MUKABUTERA. |
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