5.2.4. Présentation des parties : Julienne MUKABUTERA
Le Président : Madame MUKABUTERA, votre nom a-t-il une signification
particulière ?
Julienne MUKABUTERA : Je ne vois pas ce que je dois dire à propos de
mon nom. Je l’ai reçu de mes parents mais comme les autres ont répondu, quand
les parents donnent un nom à un enfant, c’est qu’il y a quelque chose qui devait
signifier dans la famille. Et quand on m’a donné mon nom, normalement, comme
j’ai expliqué dans mon curriculum vitae durant mes interrogatoires devant la
police judiciaire, dans ma famille nous sommes douze enfants mais chaque fois
mon père espérait avoir un garçon et chaque fois ce sont des filles. Moi, je
suis la sixième et mon frère est le cinquième. Mon père espérait avoir à ma
naissance un garçon. Alors, le nom était déjà désigné, il se serait appelé BUTERA.
Quand je suis née, j’étais une fille et c’est comme cela qu’on m’a appelée MUKABUTERA
pour satisfaire le désir de mon père.
Le Président : Vous êtes née en 1964 sur la colline de Sovu ?
Julienne MUKABUTERA : Sur la colline de Sovu.
Le Président : Donc la colline sur laquelle se trouve le monastère
ou le couvent dans lequel vous allez, quelques années plus tard, rentrer ?
Julienne MUKABUTERA : Oui, je ne savais pas que le monastère de Sovu
existait parce que j’ai fait l’école primaire dans mon village, qui était dirigée
par des laïcs mais pas des religieux. Et je connaissais tout simplement le monastère
de Gihindamuyaga.
Le Président : Vos parents sont toujours en vie ? Votre père,
en tout cas pas.
Julienne MUKABUTERA : Mon père est mort le 5 janvier 1986, c’est quelque
chose à corriger dans les interrogatoires.
Le Président : On parle de l’année 1990, je crois.
Julienne MUKABUTERA : Non, c’est en 1986. Il travaillait dans un hospice
à Butare, depuis ma naissance il travaillait là. Voilà qu’un jour des bandits
ont attaqué son magasin. Il a reçu beaucoup de coups et c’est suite à cela qu’il
est mort.
Le Président : Votre maman vit toujours ?
Julienne MUKABUTERA : Elle vit toujours sur la colline.
Le Président : Sur la colline de Sovu toujours ?
Julienne MUKABUTERA : Oui.
Le Président : Vous avez de ses nouvelles ?
Julienne MUKABUTERA : Jusqu’à présent, je n’avais pas de nouvelles mais
j’ai eu la chance de l’entendre le dimanche des Rameaux et cela m’a fait beaucoup
d’émotion parce que c’était la première fois que j’entendais la voix de ma mère.
Une amie est allée avertir qu’il y aura des événements terribles contre moi
alors on a fait tout pour que je puisse entendre pour me bénir et me donner
des forces pour que je sois… Pour que le Seigneur me donne des forces pour me
confronter à ces événements qui sont terribles et pour moi et pour ma mère.
Le Président : Vous avez des nouvelles d’autres membres de votre
famille, des frères et sœurs ?
Julienne MUKABUTERA : Nous sommes douze enfants mais actuellement nous
sommes six. Trois frères, deux filles et moi-même qui suit la troisième. Mes
frères vivent toujours sur la colline et ma jeune sœur est mariée d’après des
nouvelles que j’ai entendues via la Croix Rouge belge en 1996-1999 et
ma petite jeune sœur, la dixième, pour le moment elle est dans un état traumatique
parce qu’elle a été violée en 1998, elle a eu un bébé juste d’une année, elle
vit avec ma mère. Mon frère cadet est encore jeune, il vit avec ma mère. Ce
que j’ai appris qui m’a terrifiée le dimanche des Rameaux, normalement dans
ma famille, il n’y avait pas de différence entre les Hutu et les Tutsi. D’ailleurs,
mon frère est marié avec une Tutsi qui vit avec lui aujourd’hui, ils ont neuf
enfants je pense. Quand je suis entrée au couvent ils avaient quatre enfants,
aujourd’hui, c’est neuf enfants d’après les nouvelles. Ma marraine et mon parrain
étaient une famille Tutsi. J’ai appris que toute la famille a été exterminée,
il ne reste qu’une fille qui a échappé, qui a été accueillie dans une famille,
ça m’a fort blessée le dimanche des Rameaux.
Le Président : Vous avez donc fait vos études primaires à l’école
du village de Sovu ?
Julienne MUKABUTERA : Sur mon village.
Le Président : Et puis vous avez également fait trois années d’études
secondaires ?
Julienne MUKABUTERA : Quand j’ai terminé le cycle primaire, à ce moment-là,
ça commençait la réforme pour les écoles primaires, il fallait ajouter deux
ans. Mon père, comme je réussissais bien, a choisi que j’aille faire des post-primaires
parce qu’en ville, à Butare, on donnait tous les cours en français tandis que
la réforme, c’était dans ma langue maternelle. J’ai fait trois ans de post-primaires.
Le Président : A Butare ?
Julienne MUKABUTERA : A Butare. Et je rentrais
le soir. Mon papa, quand il allait travailler, il m’emmenait. Après trois ans,
mon père m’a conseillé de faire des études secondaires, ce qui fait que j’ai
fait trois années de secrétariat à Butare toujours. A ce moment-là, cela n’a
pas été facile pour payer mes études. Il fallait donner 9.000 par trimestre.
Mon papa, comme il m’aimait beaucoup, il voulait bien que je sois développée,
il a tout fait mais j’ai été parrainée aussi par une famille Tutsi qui était
amie de mon parrain et ma marraine qui résidaient à Butare. Cette famille m’a
parrainée au point de vue matériel. Quand j’allais faire des exercices, j’allais
dans cette famille pour m’exercer à taper…
Le Président : A taper à la machine, parce que dans ce procès,
il vaut mieux être prudent.
Julienne MUKABUTERA : C’est à la mort de mon père que j’ai suspendu mes
études parce qu’il ne fallait pas que j’aille pénaliser ma mère pour payer assez
fort à mes études. J’ai abandonné, pensant que j’allais aider ma mère mais j’avais
une vocation religieuse.
Le Président : Après avoir dû arrêter vos études parce qu’il n’y
avait plus moyen de payer, c’était devenu difficile avec le décès de votre papa,
vous êtes alors entrée à ce moment-là au couvent de Sovu ?
Julienne MUKABUTERA : Mon père est mort le 25 janvier, je suis entrée
à Sovu le 8 septembre 1986, la même année que la mort de mon père.
Le Président : Qu’est-ce qui vous a décidé à entrer au couvent
de Sovu ?
Julienne MUKABUTERA : C’est une vocation, c’est un appel. Quand j’ai
décidé d’entrer au monastère, cela n’a pas été facile parce que je crois que
si mon père vivait encore, il n’aurait pas permis que j’entre parce que, comme
j’étais une fille, je dirais unique, parce que les autres sont mortes avant
que je grandisse, il aimerait bien que je fonde une famille. Moi aussi, cela
me convient bien mais j’avais des choses en moi-même, fonder la famille ou aller
dans une vie religieuse, mais ma pensée a pris fort qu’en moi-même c’était cette
vocation que j’ai préférée à répondre avant tout.
Le Président : Vous avez suivi tout le cycle de formation à Sovu,
dans ce couvent ?
Julienne MUKABUTERA : Au couvent, je suis entrée comme postulante et
j’ai passé une année. Comme j’avais une formation de base, j’ai entamé des études
de théologie dans la communauté. Au cours de cette formation, c’était entremêlé
avec les travaux manuels de la communauté, et on m’a demandé de travailler avec
d’autres sœurs dans l’atelier des hosties où j’ai travaillé pendant quatre ans.
Je travaillais aussi à l’infirmerie comme j’aime aider des malades, on a senti
que j’ai une aptitude d’être tout près des sœurs malades et c’est comme cela
que j’ai travaillé avec l’infirmière de la communauté deux jours par semaine.
Le soir, après la prière, je travaillais aussi à la cuisine, préparer le souper
et nous préparer à la prière de la nuit avant de dormir. Après le cycle de postulante,
j’ai fait le noviciat pendant deux ans. Après, la communauté a bien vu que j’avais
des aptitudes à vivre dans la communauté et c’est ainsi que la communauté m’a
envoyée dans une autre communauté dans le monastère de Kigufi pour pouvoir
poursuivre des études de théologie à Kamonyi avec les sœurs bernardines. Je
suis allée à Kigufi en 1991 jusqu’en 1993. Là, je suivais les études de
théologie à Kamonyi deux fois par semaine et comme j’aime aussi la musique,
j’ai fait aussi le piano, je recevais des cours par certains professeurs des
écoles chrétiennes qui m’ont donné des cours de piano.
Le Président : Vous avez dû quitter Sovu en juillet 1994 ?
Julienne MUKABUTERA : C’est exact.
Le Président : Et vous êtes arrivée avec d’autres membres de votre
communauté à l’abbaye de Maredret ?
Julienne MUKABUTERA : C’est juste.
Le Président : A l’abbaye de Maredret, vous avez des fonctions
particulières ?
Julienne MUKABUTERA : En arrivant à Maredret, j’étais encore dans le
cycle du noviciat. On a commencé à accuser ma consœur et puis j’ai été rejointe
par après. La communauté se préparait à rentrer au Rwanda. C’est ici que j’ai
moi-même entamé des démarches pour recevoir des passeports pour retourner avec
ma communauté. Comme je ne me reprochais rien, je ne voyais pas ce qui m’empêchait
de retourner avec mes consœurs. Dans les démarches, on m’a refusé le passeport
pour retourner au Rwanda. A ce moment-là, ma communauté a décidé que je fasse
mes vœux solennels à Maredret en 1996. Après le départ de ma communauté, je
suis restée, ma consœur était là et moi-même et c’est à ce moment-là que ma
supérieure m’a conseillé de continuer les études philosophiques et théologiques
supérieures dans un institut inter-monastère. J’ai terminé ces études jusqu’au
mois de juillet 2000. Comme j’ai beaucoup de traumatismes quand je pense à tout
ce qui s’est passé dans notre pays, quelquefois j’ai des cauchemars et maintenant
je suis inscrite dans un institut de musicologie d’un centre belge entre
une communauté monastique ? C’était un cycle qui dure quatre ans, je suis
au troisième cycle dans la musicologie.
Le Président : Vous avez des loisirs particuliers ou des choses
qui vous intéressent dans la vie autres que le basket ?
Julienne MUKABUTERA : C’est-à-dire que comme maintenant j’aime la musique,
que c’est une formation, je compose beaucoup. Je fais la transposition de la
liturgie dans ma langue kinyarwanda en français et j’essaie la transposition
du kinyarwanda en français et aussi en essayant de transposer le grégorien,
ce sera pour l’intérêt de mes consœurs. Parce qu’il y a ma consœur qui est maintenant
maître du chœur, je fais cela pour l’intérêt de nos lycéens, c’est un service
que je rends à ma communauté tout en étant ici en Belgique.
Le Président : Vous avez encore des contacts avec la communauté
de Sovu ?
Julienne MUKABUTERA : C’est-à-dire que la communication n’est pas facile
mais la mère prieure, elle écrit, ça nous arrive que nous aussi quand il y a
des personnes qui rentrent au Rwanda, on essaie d’envoyer des nouvelles et des
échanges.
Le Président : Vous souhaitez ajouter quelque chose pour qu’on
approche un peu mieux votre personnalité ?
Julienne MUKABUTERA : Merci, Monsieur le président.
Le Président : Est-ce qu’éventuellement les membres du jury ont
des questions à poser à l’un ou à l’autre accusé en ce qui concerne leur
personnalité ? Vous pouvez vous asseoir, Madame MUKABUTERA. Monsieur l’avocat
général, les parties civiles ? Dans ces conditions, je crois qu’on va en
rester là pour aujourd’hui. L’audience va donc maintenant être suspendue, elle
reprendra demain à 9h du matin par l’audition du juge d’instruction sur la manière
dont il a pu mener son instruction et exercer ses fonctions. Je vous souhaite
à chacun une bonne soirée, à demain matin. |