5.2.3. Présentation des parties: Consolata MUKANGANGO
Le Président : L’audience est reprise, vous pouvez vous asseoir.
Je vais demander à Madame MUKANGANGO de bien vouloir se lever. Madame, vous
vous appelez, en religion, sœur Gertrude ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, Monsieur le président.
Le Président : Je vous avouerais que pour moi, ce serait plus
facile de vous appeler comme cela mais comme vous êtes accusée, je vais quand
même vous appeler Madame MUKANGANGO tout en vous demandant, comme je l’ai demandé
à Monsieur NTEZIMANA et à Monsieur HIGANIRO, si votre patronyme a une signification ?
Est-ce que MUKANGANGO signifie quelque chose, un événement heureux ou malheureux
ou une invocation quelconque ?
Consolata MUKANGANGO : Je ne crois pas que mon nom ait une signification
particulière au Rwanda. Les jeunes filles portaient le même nom que moi et donc
je ne connais pas la signification.
Le Président : Vous êtes née en 1958 dans la préfecture de Gitarama
et plus précisément, puisque le Rwanda est le pays des mille collines et que,
semble-t-il, on localise les gens par les communes qu’ils habitent ou où ils
résident ou où ils naissent, vous êtes née sur la co lline de Kinyambi
Consolata MUKANGANGO : Oui, Monsieur le président.
Le Président : Vous semblez, en tout cas lorsque vous avez établi
votre curriculum vitae avec la police judiciaire, avoir eu quelques doutes sur
vos origines ethniques ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, Monsieur le président.
Le Président : Vous avez une carte d’identité Hutu mais vous n’êtes
pas certaine de votre origine ethnique ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, Monsieur le président. J’ai une carte d’identité
Hutu mais pendant ma jeunesse et jusqu’à la fin de ce génocide, j’ai été toujours
considérée comme Tutsi ayant une carte d’identité Hutu.
Le Président : Vous aviez un frère et deux sœurs ?
Consolata MUKANGANGO : J’ai un frère et deux sœurs.
Le Président : Qui sont toujours en vie ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, ils sont toujours en vie, Monsieur le président.
Le Président : Ils vivent toujours au Rwanda ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, ils sont au Rwanda, Monsieur le président.
Le Président : Vos parents, par contre, sont décédés. Votre père
aurait été assassiné, avez-vous expliqué, au cours de la guerre au Rwanda, mais
à quel moment, parce que la guerre au Rwanda, cela peut être en 1990 ou à un
autre moment, cela peut être en 1994, en 1992, en 1993 ?
Consolata MUKANGANGO : Mon père est décédé en 1994 à l’époque du génocide.
Mes parents ont dû fuir la maison paternelle à cause de l’attaque des miliciens,
mon père fuyant avec les autres a été fusillé avec ma mère ; mon frère
et les autres ont réussi de se cacher et ont survécu.
Le Président : Quel a été votre parcours scolaire ?
Consolata MUKANGANGO : J’ai fait l’école primaire dans mon village à Kinyambi.
Après cela, j’ai fait l’école familiale chez les sœurs bernardines de Oudenaarde
pendant trois ans. Quand j’ai terminé mes études, j’étais déterminée à devenir
religieuse mais les conditions familiales m’ont sollicitée pour une aide durant
un an, que j’ai acceptée. Après cela, je suis rentrée.
Le Président : Vous pouvez expliquer quelles étaient ces circonstances
qui ont fait que vous n’avez d’abord, semble-t-il, pas pu poursuivre des études
que vous auriez bien voulu poursuivre ?
Consolata MUKANGANGO : Quand j’ai terminé la formation de l’école familiale,
j’avais bien réussi et mon père aurait aimé que j’étudie, moi également. Mais
étant deuxième d’une famille de cinq enfants, ma grande sœur venant de se marier,
je me suis sentie obligée d’aider ma mère qui avait une petite santé et pour
lui permettre de s’habituer à ne pas avoir ma sœur et moi-même auprès d’elle.
Après un an, elle a pu se débrouiller, donc je suis entrée dans le couvent.
Le Président : Vous avez expliqué qu’il y a eu ce problème-là
mais qu’en plus il vous aurait fallu, semble-t-il, un piston pour trouver une
école ? Pour rentrer à l’école au Rwanda, il faut un piston peut-être ?
Ce n’est pas impossible. Nous, c’est pour devenir magistrats qu’il nous faut
un piston !
Consolata MUKANGANGO : Mon père étant un simple marchand, n’avait pas
une situation importante au niveau social pour me permettre d’avoir accès facilement
à l’école secondaire, je n’ai pas eu de piston parce que cela est un fait qui
était courant.
Le Président : Vous êtes donc rentrée relativement jeune finalement
au couvent, vous aviez 19 ans, je crois ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, Monsieur le président.
Le Président : Vous êtes immédiatement rentrée au couvent de Sovu ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, Monsieur le président.
Le Président : La colline de Sovu par rapport au lieu où vous
avez vécu votre enfance et votre adolescence, c’est très éloigné ou pas ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, à ce moment-là, c’était assez bien éloigné
parce que les routes n’étant pas asphaltées, passer de ma colline de Kinyambi
jusqu’à Butare c’était très loin et cela faisait une question de toute une journée
de voyage en voiture.
Le Président : Au sein du monastère, vous avez suivi une formation ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, j’ai suivi une formation normale comme toutes
les jeunes qui entrent dans la vie monastique, le postulat, le noviciat et durant
ce temps, il y avait des cours qui nous étaient accordés, organisés par la supérieure
de la communauté.
Le Président : A un moment donné, vous avez quitté le Rwanda pour
vous rendre d’abord en France pour suivre des cours de théologie ?
Consolata MUKANGANGO : Oui.
Le Président : A Angers ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, quand j’ai fait mes vœux perpétuels en 1984,
la supérieure m’a demandé d’aller en France pour faire des études de théologie
en vue de m’occuper des jeunes sœurs dans la vie religieuse.
Le Président : Vous n’êtes pas restée très longtemps là-bas en
France ? Vous avez, semble-t-il, préféré alors venir en Belgique pour poursuivre
cette formation théologique ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, quand je suis arrivée en France dans l’université
d’Angers, j’ai suivi des cours de théologie mais je ne m’y suis pas sentie à
l’aise. Etant encore jeune dans la foi, je n’étais pas à même de suivre les
courants d’idées qui circulaient à cette époque, cela me déstabilisait au niveau
de ma foi et j’ai préféré revenir en Belgique où des cours étaient organisés
pour les moines et moniales et qui étaient mieux adaptés à ce que je désirais
faire.
Le Président : Vous êtes donc venue suivre ces cours à l’abbaye
de Maredsous ?
Consolata MUKANGANGO : Les cours étaient organisés à partir de l’abbaye
de Maredsous pour tous les moines et moniales bénédictins et cisterciens et
cela se donnait dans un lieu différent tous les trimestres.
Le Président : Normalement, il s’agit d’un cycle de trois ans
mais que vous n’avez pas achevé d’un coup, si je puis dire, vous êtes rentrée
au Rwanda à un moment donné parce que vous étiez, avez-vous expliqué, fatiguée
et vous êtes revenue alors en Belgique en 1990 pour terminer ce cycle d’enseignement
théologique ?
Consolata MUKANGANGO : Effectivement, oui.
Le Président : Ces études terminées, vous êtes alors retournée
au Rwanda en 1991, toujours dans le même couvent de Sovu où vous êtes restée
jusqu’en 1994, jusqu’en juillet 1994 ou fin juin ou début juillet 1994 ?
Consolata MUKANGANGO : Jusqu’au 3 juillet 1994, je suis restée à Butare
et nous avons été évacuées dans le camp de Murambi à Gikongoro où nous
avons pu avoir un avion pour Bukavu et de Bukavu à Goma, de Goma à Bangui,
nous sommes arrivées en France et de France en Belgique.
Le Président : Vous êtes devenue la sœur supérieure de Sovu à
quelle époque ?
Consolata MUKANGANGO : J’ai été élue supérieure de la communauté le 2
juillet 1993.
Le Président : C’est par élection ? Les élections se font
comme chez nous tous les quatre ans pour le Parlement, ou je ne sais pas ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, cela s’est fait par élection dans la communauté.
La prieure est élue pour huit ans. J’ai été élue pour quatre ans parce que j’étais
la première rwandaise à être élue comme prieure après un mandat prolongé de
notre fondatrice, mère Marie-Jeanne DE MEULEMEESTER et donc, comme
la communauté faisait un nouveau passage, nous avons préféré avoir un mandat
de quatre ans pour pouvoir faire certaines expériences.
Le Président : Vous êtes donc à Maredret maintenant depuis combien
de temps ?
Consolata MUKANGANGO : Je suis à Maredret depuis le 6 août 1994.
Le Président : Vous avez des fonctions particulières dans ce couvent ?
Consolata MUKANGANGO : Actuellement, depuis quatre ans, je fais une formation
de secrétariat de direction à l’école de la ville de Namur. A cause de cela,
je n’assume aucune fonction dans la communauté de l’abbaye de Maredret.
Le Président : Pour les deux hommes que j’ai interrogés il y a
quelques minutes, je leur ai demandé quels étaient leurs loisirs, j’imagine
qu’il n’y a pas d’équipe de basket ou de football ou que sais-je à l’abbaye
de Maredret, mais avez-vous des loisirs ou des centres d’intérêt particuliers ?
Consolata MUKANGANGO : Mes loisirs comme religieuse, en dehors de la prière
et de la lecture, j’aime les promenades, les marches.
Le Président : N’étiez-vous pas une bonne chanteuse ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, j’ai assumé la charge de responsable de chœur
au monastère au Rwanda et j’aimais beaucoup chanter.
Le Président : Est-ce que vous chantez encore ?
Consolata MUKANGANGO : Malheureusement, à cause de la guerre et tous les
assauts que j’ai subis, je ne sais plus chanter.
Le Président : Vous souhaitez éventuellement encore ajouter autre
chose pour qu’on cerne un peu votre personnalité ?
Consolata MUKANGANGO : Oui, ce que je peux ajouter, c’est que durant ma
vie religieuse à Butare, j’ai pu collaborer à la Fondation des jeunes religieux
et religieuses des communautés à Butare. J’ai enseigné l’anthropologie morale,
donc j’aidais les jeunes à découvrir le sens de la liberté dans cette ligne,
que la vraie liberté c’est l’amour et là-dedans j’ai bien réussi à faire passer
le message. Je me suis occupée aussi de la revue Urumuli Rwa Kirisitu qui
avait comme président l’abbé Smaracht MBONYINTEGE aussi dans le sens de
l’évangélisation et aussi j’ai écrit quelques fascicules à propos des apparitions
de Kibeho et aussi pour traduire le message du pape pour aider la population
à avoir une vraie compréhension de la doctrine mariale.
Le Président : Souhaitez-vous encore dire quelque chose ?
Consolata MUKANGANGO : Je vous remercie, Monsieur le président.
Le Président : Vous pouvez vous asseoir, Madame. J’ajoute que
vous n’avez évidemment pas d’antécédent judiciaire en Belgique et que j’imagine
que vous n’en aviez pas au Rwanda ?
Consolata MUKANGANGO : Non. |