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5.5.2. Témoin de contexte : Filip Reyntjens, juriste
Le Greffier : La Cour.
Le Président : L’audience est reprise, vous pouvez vous asseoir.
Les accusés peuvent prendre place. Deux accusés n’ont pas de défenseurs. Ils
ne sont pas là, il n’y en a aucun. On ne peut pas poursuivre tant que les accusés
n’ont pas au moins un conseil. Je me permets aimablement de rappeler aux avocats
de la défense qu’on ne sait poursuivre les travaux que si les accusés sont accompagnés
d'au moins un de leurs conseils. Bien, nous allons entendre maintenant le professeur
REYNTJENS.
Le Président : Professeur, quel sont vos nom et prénom ?
Filip REYNTJENS : REYNTJENS Filip.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
Filip REYNTJENS : J'ai 48 ans.
Le Président : Quelle est votre profession ?
Filip REYNTJENS : Je suis professeur d'université.
Le Président : Quelle est votre commune de domicile ou de résidence ?
Filip REYNTJENS : Anvers.
Le Président : Connaissiez-vous les accusés avant les faits mis
à leur charge ?
Filip REYNTJENS : Euh… J'ai rencontré Monsieur NTEZIMANA, je crois,
une fois avant le génocide, lors d'un débat télévisé et je l'ai rencontré, je
crois, deux fois depuis le génocide. Monsieur HIGANIRO, je le connaissais de
nom et les deux sœurs, je ne les connaissais pas.
Le Président : Bien. Etes-vous parent ou allié des accusés ou
des parties civiles ?
Filip REYNTJENS : Non.
Le Président : Etes-vous attaché à leur service ?
Filip REYNTJENS : Non.
Le Président : Je vais vous demander, Monsieur, de bien vouloir
lever la main droite et de prononcer le serment de témoin.
Filip REYNTJENS : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de
dire toute la vérité, rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir.
Filip REYNTJENS : Merci.
Le Président : Professeur, pouvez-vous tout d'abord vous situer,
je dirais, sur le plan professionnel, de manière à ce que nous comprenions dans
quelle mesure vous êtes apte ? Vous avez des connaissances en ce qui concerne
le Rwanda, les événements qui s'y sont déroulés en 1994 et peut-être même avant.
Quels sont vos liens avec ce pays ou avec ces événements ?
Filip REYNTJENS : Mon intérêt pour le Rwanda date de juillet 76.
C'est le moment où je suis devenu professeur à la faculté de droit de l'université
nationale du Rwanda à Butare et c'est à partir de ce moment-là que je me suis
intéressé scientifiquement, en tant que juriste et politologue, au Rwanda et
plus largement à la région des grands lacs. Et je n'ai pas cessé de m'y intéresser
scientifiquement depuis donc ça fait 25 ans.
Le Président : C'est ça.
Vous y avez donc fait des séjours.
Filip REYNTJENS : Oui, en effet.
Le Président : Vous pouvez peut-être situer la période de ces
séjours ?
Filip REYNTJENS : Initialement, un séjour d'un peu plus de deux ans
en 76-78. Et depuis lors, je suis retourné chaque année au Rwanda pour des périodes
parfois assez brèves, une semaine, parfois de plusieurs mois, jusqu'en 93. Mon
dernier séjour avant le génocide date d'avril 93 et je suis retourné au Rwanda
une fois après le génocide, en octobre 94.
Le Président : C'est ça.
Bien. Comme ça on voit un petit peu qui vous êtes et ce que vous connaissez
de la situation. Pouvez-vous, brièvement, hein, éventuellement apporter des
explications, des éclaircissements à la Cour et au jury sur les éléments, les
causes historiques, sociologiques, politiques qui auraient pu être un début
d'explication à ce qui s'est passé à partir du 6 avril 1994 ?
Filip REYNTJENS : Je vais essayer d'être très bref, Monsieur le président,
parce que c'est une question qui mériterait une journée de réponse. Et je vais
essayer de ne pas aller trop en arrière dans le temps. Je pense qu'il faut quand
même signaler, que même si les ethnies rwandaises (Hutu, Tutsi et Twa) existaient
avant la période coloniale, et là les proverbes rwandais l'attestent et la littérature
orale rwandaise l'atteste, qu’il y avait, même d'après certaines recherches,
certaines formes d'antagonismes ethniques. Avant la période coloniale, il est
certain qu'un certain nombre de mesures du pouvoir colonial (qui était en fait
un pouvoir mandataire puisque la Belgique n'était pas… ou le Rwanda n'était
pas une colonie de la Belgique), un certain nombre d'interventions qui, je crois,
ne visaient pas cet objectif mais qui ont eu ces conséquences-là, ont tendu
à exacerber et à rigidifier les catégories ethniques et les sentiments d'appartenance
ethnique. Si on veut que j'élabore, je le ferai mais je ne le fais pas maintenant,
euh…
Dans les années 50, lorsque la démocratisation et la perspective
d'indépendance du Rwanda, comme tous les autres pays d'Afrique, est à l'ordre
du jour, s'est posé le problème de la démocratisation. Or, on constatait, c’est
un constat qui était facile à faire, que le pays était géré, dirigé au niveau
politique, administratif, judiciaire, par des cadres qui étaient Tutsi, alors
que les Tutsi ne constituaient, au milieu des années 50, qu'à peu près entre
15 et 16 % de la population.
Ce constat a donné lieu à l'émergence d'une contre-élite Hutu qui
a été, à partir du milieu des années 50, soutenue tant par l'administration
belge que par l'Église catholique qui était une puissance importante au Rwanda.
Il y a eu donc un renversement d'alliance puisque tant le pouvoir mandataire,
tutélaire ensuite, et l'Église avaient initialement soutenu cette classe politico-administrative
juridique ou judiciaire Tutsi. Et de ce renversement d'alliance est issu - ce
n'est pas la seule raison, mais enfin est issue ce qu'on appelle la révolution
rwandaise qui a débuté le 1er novembre 59 et qui a, sur une période
d'à peu près deux ans parce que cela s'est consolidé juridiquement par un
référendum en septembre 61 mais au cours de cette période de deux ans qui
a été une période assez violente, cette élite Tutsi a été remplacée par une
élite Hutu. Et donc, le Rwanda, le 1er juillet 62, est devenu indépendant
sous un régime qui était dominé par les Hutu. Il y avait certains Tutsi qui
fonctionnaient au sein de cet appareil mais c'était quand même un régime qui
était essentiellement Hutu. Et donc, ce qui s'est passé au Rwanda, on l'a également
vu au Burundi avec les conséquences néfastes que l'on sait : une majorité
démographique Hutu s'est muée en majorité politique.
Lorsqu'à la fin des années 89, le régime le témoin 32 qui était arrivé
au pouvoir suite à un coup d'état en juillet 73, s'est senti de plus en plus
menacé tant à l'intérieur que par des formes de conditionnalité imposées par
des bailleurs de fonds qui à la fin de la guerre froide imposaient la démocratisation,
le respect des droits de l'homme, la bonne gouvernance, donc, ce régime - qui
était, je ne dirais pas un régime des Hutu mais de Hutu, hein, c'est ceux qui
dirigeaient le pays qui étaient une minorité parmi la majorité démographique,
ce n'était certainement pas tous les Hutu qui partageaient les privilèges qui
sont inhérents à l'exercice du pouvoir - ce régime s'est senti de plus en plus
menacé. Il y a eu un double phénomène quasiment conjoint dans le temps. D'une
part cette poussée, cette fièvre de démocratisation qui a donné lieu à l'intérieur
du Rwanda à l'émergence de contestations, de prises de position, voire de création
de partis politiques d'opposition. Mais d'autre part, quasiment au même moment,
l'attaque militaire par le Front patriotique rwandais à partir du territoire
ougandais qui a fortement menacé la survie du régime.
On est alors entré dans ce qu'on appelle je ne sais pas si Madame
BRAECKMAN vous en parlé dans le processus des négociations d'Arusha qui a
mené le 4 août 93 à l'accord d'Arusha qui contient un certain nombre de protocoles
et qui impliquait une redistribution fondamentale des cartes politiques au Rwanda,
puisque sa position de monopole politique, l'ancien parti unique, le MRND, devenait
un acteur tout à fait normal, comme tous les autres acteurs politiques. Ce qui
était évidemment pour ceux qui avaient, comme je l'ai dit, pu bénéficier des
privilèges, une menace profonde pour la subsistance de ces privilèges. On a
vu, après la signature de l'accord, des blocages de plus en plus forts et, je
dirais, également une bipolarisation de la vie politique au Rwanda. Je veux
dire par bipolarisation, les partis d'opposition qui se trouvaient, si vous
voulez, entre le FPR d'une part et le MRND d'autre part, se sont l'un après
l'autre scindés en ailes. L'une se rapprochant du FPR, voulant mettre en application
l'accord d'Arusha, l'autre se rapprochant du MRND et craignant les effets de
la mise en application de l'accord d'Arusha, crainte renforcée d'ailleurs par
ce qui s'est passé au Burundi en octobre 93, où un coup d'état militaire de
l'armée essentiellement Tutsi du Burundi avait défait, avait détruit un jeune
régime démocratique qui suit les élections de juin 93. Et le sentiment de beaucoup
de Hutu, même des Hutu modérés, à l'époque était que et c'est des sentiments
qui sont exprimés très ouvertement que ceci était la preuve qu'on ne pouvait
pas faire confiance aux Tutsi et qu'ils allaient, de toute façon, tenter de
prendre le pouvoir par la force.
De blocages en blocages, à partir de janvier 94, impossibilité de
mettre en place le gouvernement de transition, impossibilité de mettre en place
le parlement de transition, les diverses parties se sont installées dans une
logique de guerre, plutôt que dans une logique de solutions politiques, et le
prétexte, ou le moment, qui a permis de déclencher le génocide - mais qui aurait
à mon sens été déclenché de toute façon - a été l'attentat contre l'avion du
président le témoin 32, le soir du 6 avril 94. Et on constate que dès le matin
du 7 avril, les massacres, tant politiques qu'ethniques, débutent. Quand je
dis massacres politiques, il s'agit là d'opposants Hutu qui ont été ciblés pour
élimination et ensuite les Tutsi globalement, et on voit ce phénomène à partir
du 7 avril. Le matin du 7 avril à Kigali, les Tutsi ont été globalement considérés
comme des alliés du FPR et c'est par ce biais-là, je dirais, par ce biais politique
que toute l'ethnie Tutsi a été ciblée pour extermination. Nous estimons que,
sur base de sondages familiaux et communaux, nous estimons qu'à peu près les
trois-quarts des Tutsi ont trouvé la mort entre avril et juillet 94.
Le Président : A propos des assassinats politiques qui commencent
à Kigali le 7 avril, les premières cibles ne sont-elles pas les personnes qui
constitutionnellement auraient dû, en raison de la mort du président le témoin 32,
exercer le pouvoir ?
Filip REYNTJENS : Tout à fait ! On a nettement l'impression
que la garde présidentielle parce qu'en fait, ce sont quelques sections de
la garde présidentielle qui ont opéré ces assassinats, qui à ce moment là étaient
encore sélectifs, et qui ont débuté, je crois, vers 5 heures et demie, 6 heures
du matin - on a l'impression qu'ils ont opéré, je dirais, la constitution en
mains. Tous ceux qui devaient jouer un rôle, si l'on voulait rester dans la
logique de l'accord d'Arusha, ont été éliminés l'un après l'autre. D'abord évidemment,
Madame UWILINGIYIMANA le premier ministre (ou est-ce qu'on dit la première
ministre aujourd'hui, je ne sais pas), Monsieur KAVARUGANDA, le président de
la Cour constitutionnelle, qui devait recevoir le serment de prise de fonctions,
et les deux candidats présidents de l'assemblée nationale, Monsieur Félicien
NGANGO du parti PSD, Hutu (pas le PSD Hutu, mais Monsieur NGANGO était Hutu)
et Monsieur NDASINGWA du parti libéral qui, lui, était Tutsi. Je signale d'ailleurs
que trois des quatre personnes qui ont été tuées étaient Hutu mais la logique
là, n'est pas une logique ethnique, c'est une logique de tentative - qui a d'ailleurs
réussi dans un premier temps - tentative de bloquer toute perspective de la
mise en application de l'accord d'Arusha.
Le Président : Les gardes présidentiels ou la garde présidentielle
a joué un rôle important là ?
Filip REYNTJENS : Tout à fait ! Tous les, comment dire… tous
les éléments que nous avons, et d'ailleurs l'élément le plus utile enfin il
y a des témoignages, par exemple de l'épouse de Monsieur KAVARUGANDA qui, elle,
a eu la vie sauve - mais il y a surtout, je crois, le journal de campagne du
deuxième bataillon commando belge qui était chargé de la protection de ces personnalités,
font état - d'ailleurs on peut suivre l'avancée, si vous voulez, de
ces sections de la garde présidentielle à travers les heures qui sont marquées
dans le journal de campagne - on constate qu'il s'agit chaque fois d'éléments
de la garde présidentielle.
Le Président : Est-ce que vous pouvez parler éventuellement, pas
très longuement, mais du rôle qu'aurait pu avoir à partir du 6-7 avril le colonel
BAGOSORA ?
Filip REYNTJENS : Je crois que le colonel BAGOSORA est sans doute
le personnage clé dans le déclenchement du génocide. Je ramasse en deux mots.
Au moment où BAGOSORA apprend que l'avion du président le témoin 32 a été abattu,
il rentrait chez lui, c'était vers 9 heures du soir le 6 avril. Il rentrait
chez lui venant d'une réception au contingent bengalais de la MINUAR, donc de
la force des casques bleus de l'ONU. Ne sachant pas ce qui se passait c'est
ce qui me fait dire qu'il n'était pas impliqué dans l'attentat contre l'avion
d'le témoin 32 ne sachant pas ce qui se passait, il est passé d'abord au ministère
de la défense où il était directeur de cabinet, d'où il a appelé l'état-major
parce qu'il savait qu'il y avait eu une réunion à l'état-major mais il ne savait
pas qui était là, il ne savait même pas s'il n'y avait pas un coup d'état qui
était dirigé contre lui. S'étant assuré par ce coup de fil ou ces coups de fil,
qu'il y avait suffisamment d'« amis » à l'état-major, il s'y est rendu
et il y a été « bloqué » pendant une assez grande partie de la nuit.
Il y a eu des débats à l'état-major. Vers minuit, le colonel BAGOSORA avec le
général DALLAIRE et, je pense, le colonel RWABALINDA se sont rendus chez Monsieur
BOOH-BOOH qui était le représentant spécial du secrétaire général de l'ONU,
qui a essayé de les convaincre qu'il fallait que le premier ministre et que
le gouvernement assurent l'expédition des affaires courantes. BAGOSORA est ensuite
rentré à l'état-major, il a refusé de façon « tant soit » à l'état-major
que face à Monsieur BOOH-BOOH, il a refusé de façon très nette d'impliquer Madame
UWILINGIYIMANA et le gouvernement dans la gestion des affaires du pays, parce
qu'il estimait qu'elle était une fonction - son expression était : « Le
gouvernement ne fonctionnait déjà pas en situation de non-crise, pourquoi est-ce
qu'il fonctionnerait en situation de crise ? » - et que, de toute
façon, Madame UWILINGIYIMANA était « Icyitso », était complice du
FPR et qu'elle ne pouvait pas gérer le pays.
Et ce n'est que vers 1 heure du matin, 1 heure1 heure º du matin
que BAGOSORA a, je dirais, repris sa liberté, est rentré chez lui. Il prétend
qu'il est rentré chez lui, qu'il n'a rien fait, qu'il a pris une douche et qu'il
a mis un nouvel uniforme. Mais je crois savoir qu'il a été en contact à partir
de ce moment-là avec, notamment, des unités de la garde présidentielle et je
crois d'ailleurs que les massacres n'ont débuté qu'en fin de nuit, et pas par
exemple à 10 heures du soir parce que BAGOSORA n'était pas disponible jusque
vers 1 heure-1 heure ý du matin. Et cela, à mon sens, explique que les massacres
débutent vers 5 heures ý-6 heures du matin. Donc il a… J'ajouterais que celui
qui aurait pu diriger cette machine à tuer n'était plus disponible. Il s'agit
du colonel SAGATWA, le secrétaire particulier du président le témoin 32 mais
qui, lui, a péri dans l'avion présidentiel avec le témoin 32, et que c'est par
le biais d'un certain nombre d'officiers, notamment le commandant de la garde
présidentielle, le major MPIRANYA, que BAGOSORA a déclenché cette machine à
tuer, je dirais au milieu de la nuit, disons entre 2 et 4 heures du matin.
Le Président : Donc, quand vous dites qu'on déclenche une machine
à tuer, ça veut dire qu'une machine était donc mise en place ?
Filip REYNTJENS : Oui, nous savions enfin nous savions moins que
nous savons maintenant bien évidemment mais nous savions quand même qu'il
y avait… Si vous permettez je fais un petit retour dans le temps…
Le Président : Je vous en prie.
Filip REYNTJENS : Euh… Nous avons vu - quand je dis nous, c'est,
disons, les observateurs du Rwanda - nous avons observé dès fin 91 mais de façon
extrêmement visible à partir de mars 92, un phénomène de massacre téléguidé
dont l'objectif était de saborder le processus de démocratisation et plus tard
le processus de négociation d'Arusha. Et je vous donne un seul exemple qui nous
- et moi en particulier - qui nous a interpellés, c'est un massacre qui s'est
produit dans le Bugesera, dans le Sud de Kigali en mars 92. Et lorsque j'ai
fait en septembre 92 une enquête, assez sommaire d'ailleurs, sur ce massacre-là,
il était très clair qu'il ne s'agissait pas d'affrontements spontanés mais que
c'étaient, comme je l'ai dit, des massacres téléguidés. Des éléments étaient
introduits de l'extérieur de la région, dans le Bugesera, des éléments de la
garde présidentielle, par exemple, mais également des Interahamwe, je suppose
qu'on a dit au jury ce que c'est que les Interahamwe ?
Le Président : Oui, ils ont d'ailleurs une petite liste avec les
organisations, les partis…
Filip REYNTJENS : Très bien. Préparation de l'opinion par des émissions
incendiaires à la radio, le rédacteur en chef d'une revue extrémiste Hutu, « Kangura »,
qui diffuse des couvertures de sa revue dans la région. Enfin donc, un certain
nombre de phénomènes qui montrent que ceci n'est pas spontané, n'est pas fortuit,
mais est organisé. Et en fait, je considère les événements, par exemple du Bugesera
en 92, comme une sorte… une première sorte de répétition générale de ce qui
s'est produit à partir du 7 avril 94 à une échelle évidemment inouïe et incomparable.
J'ai pu à l'occasion de cette mission, parler à des gens qui étaient impliqués
dans ce qu'on appelait « les escadrons de la mort », ou ce qu'un journaliste
rwandais, Monsieur le témoin 58, a appelé « le réseau zéro ». Et on constate
qu'il s'agissait à l'époque ce cercle est allé en s'étendant - mais qu'à l'époque,
septembre 92, il s'agissait d'une quinzaine de personnes que j'ai pu citer nommément.
J'ai d'ailleurs été assigné par certaines de ces personnes pour « atteinte
à leur honneur » qui valait, je pense, 10 millions par honneur par personne.
Il était très clair qu'il y avait déjà là, en 92, des noyaux de réseaux de déstabilisation.
Et on a évidemment vu plus tard - et je reviens sur 94 maintenant
- on a appris plus tard, mais on savait en substance, ce que ce fax dit. Mais
le général DALLAIRE, le commandant de la MINUAR, a envoyé le 11 janvier 94 un
fax au Department Of Peace Keeping Operation à New York, informant le DPKO qu'un
informateur - dont nous connaissons le nom, il s'agit de Monsieur Jean-Pierre
TURATSINZE - affirme qu'il y a acquis, pour la seule ville de Kigali, un réseau
d'un millier, pas d'un millier, d'une trentaine de cellules Interahamwe prêtes
à tuer, d'après lui, 1000 personnes, Tutsi bien évidemment, essentiellement
1000 personnes par heure dès que l'ordre serait donné ; ça nous l'avons
appris, ce détail nous l'avons appris après le génocide. Mais nous savions déjà
avant le génocide, et il y avait eu des affrontements déjà avant avril 94, il
y avait déjà eu, par exemple fin février, des affrontements qui ont coûté la
vie à plusieurs dizaines de personnes à Kigali.
Donc, l'appareil étant Interahamwe, dont je pense qu'il ne faut pas
surestimer le nombre, les Interahamwe dits professionnels qui avaient bénéficié
d'un entraînement paramilitaire d'après toutes les sources, ne sont que de 1.700
à 2.000, ce n'est pas des dizaines de milliers. Et certaines unités de l'armée,
je pense en particulier à la garde présidentielle, le bataillon para-commando
et le bataillon Reiki, le bataillon de reconnaissance, étaient prêtes. Je ne
dis pas qu'il y avait un plan de campagne établi de façon précise avant le début
du génocide, par exemple on tue qui d'abord, ça je ne le crois pas. Mais ce
n'était pas difficile, pendant la nuit si on m'avait demandé, moi, qui est-ce
qu'il faut tuer maintenant, qui sont les personnes ? Et je ne
parle pas seulement des personnes qui étaient nécessaires constitutionnellement,
mais je parle d'autres personnes qui étaient considérées comme des opposants.
Si j'avais fait là une liste de 100 personnes, ce serait probablement plus ou
moins la même liste que le colonel BAGOSORA aurait faite.
Le Président : Autre question. Le
FPR a lancé une attaque le 1er octobre 1990 depuis l'Ouganda contre
le Rwanda. Cette attaque a été finalement repoussée. Mais le FPR a ré-attaqué
à plusieurs reprises. Le FPR a aussi occupé une partie du territoire rwandais.
A partir de quand cette occupation a-t-elle commencé ?
Filip REYNTJENS : Oui, donc l'offensive initiale du FPR a été défaite
fin octobre 90, le FPR avait subi beaucoup de pertes et s'était retiré en Ouganda,
et c'est d'ailleurs à l'époque le major KAGAME - qui est aujourd'hui général
KAGAME - mais le major KAGAME qui est revenu dare-dare des Etats-Unis, où il
était en formation pour reprendre en mains ses troupes, parce que le commandant
initial de l'APR, donc l'Armée du Front Patriotique, a trouvé la mort sur le
front le 2 octobre déjà, Fred RWIGEMA. Et KAGAME a mené une tactique qui était
beaucoup plus réaliste, qui était une tactique de semi-guerilla, donc pas de
guerre conventionnelle comme l'avait entamée, tentait du faire le FPR à partir
du 1er octobre, mais une guerre de semi-guérilla qui a permis assez
rapidement - moi je dirais dès mars-avril 91 - d'occuper de façon consolidée
- il y avait eu des opérations, des raids, des commandos - mais d'occuper de
façon consolidée une petite partie, que je pourrais vous montrer sur la carte
s'il le faut, mais une petite partie à l'extrême Nord du Rwanda mais qui était
vraiment très petite qui était constituée de 2-3 communes et même pas de territoire
entier de ces 2-3 communes. Ce n'est que suite à une offensive sur Byumba en
avril ou mai 92, que le FPR a pu occuper un territoire qui en faisait un acteur
incontournable. Et je crois qu'en fait c'est la combinaison d'une part, de la
mise en place d'un gouvernement de coalition en avril 92, et l'occupation d'une
portion beaucoup plus importante du territoire rwandais à partir de mai, je
crois 92, qui… ces deux phénomènes ensemble expliquent pourquoi le processus
d'Arusha a pu commencer.
Le Président : De mai 92 jusqu'au 6 avril 1994, à partir de ce
territoire qu'occupait de manière permanente, si je comprends bien, le FPR ou
l'APR, je dirais le bras armé du FPR, y a-t-il eu des attaques vers d'autres
parties du territoire rwandais ?
Filip REYNTJENS : Il y a eu des accrochages entre FAR (Forces Armées
Rwandaises) et APR, mais relativement peu en fait, ce front s'est assez bien
stabilisé. Je l'ai moi-même survolé, lors de ma visite de septembre 92, et je
vous avoue que l'atmosphère était très relax sur le front, donc il n'y avait
pas de combat. En revanche, le FPR ou l'APR a mené une offensive extrêmement
importante à peu près un an plus tard, début mars, je crois, début février,
début mars… non, début février 93, qui est allée très loin et qui a été stoppée,
tout d'ailleurs comme l'offensive de Byumba en 92, qui a été stoppée avec l'aide
d'un dispositif français. La France a maintenu depuis contrairement à la Belgique
qui a retiré ses troupes début novembre ou fin octobre 90 la France a toujours
maintenu un dispositif qui était appelé « Opération Noroît », qui était
un dispositif assez réduit. Mais chaque fois que le FPR menait une offensive
qui semblait dangereuse, il y avait un renforcement de ce dispositif de l'ordre
d'une ou de deux compagnies et donc cette offensive-là, de mars 93, a été arrêtée
surtout grâce à l'aide de ce dispositif noroît français. Ça ce sont les deux
véritables offensives avant celle qui a débuté, bien sûr, tôt le matin du 6
avril. Le FPR a repris la guerre dès 5 ou 6 heures du matin le 6 avril et pas
à 16 heures comme on le dit souvent.
Le Président : Le 6 avril, vous dites bien le 6 avril…
Filip REYNTJENS : Oh pardon, excusez-moi, le 7 avril. Excusez-moi.
Le Président : Selon ce que vous savez, le FPR ou le bras armé
du FPR était-il organisé, hiérarchisé ?
Filip REYNTJENS : Ah oui ! C'était une véritable armée, une
armée avec un état-major, un chef d'état-major, une organisation en bataillons,
en bureaux G1-G2-G3, etc. C'était une véritable armée. D'ailleurs le FPR - l'APR
initialement - est issu de ce qui s'appelait à l'époque la NRA, la National
Resistance Army, l'armée ougandaise. Et donc ce sont des éléments ceux qui
ont attaqué initialement, les 3.000-4.000, parce que ce n'était pas une armée
de 30.000 hommes à l'époque - les 3.000-4.000 qui ont attaqué le 1er
octobre 90 étaient des hommes, quasiment sans exception, des hommes de la NRA
qui avaient déjà un grade militaire au sein de la NRA.
Le Président : Ces éléments vous paraissent peut-être très curieux
mais c'est un problème qui est important notamment pour savoir si nous sommes
compétents pour juger les faits.
Filip REYNTJENS : Je ne sais pas si j'ai répondu à votre question,
Monsieur le président.
Le Président : Ah oui, à ma question vous avez répondu, mais ça
peut paraître, notamment au jury, des questions qui sont sans intérêt, et il
y a des conditions, hein, aux incriminations dont les accusés font l'objet.
Il faut que ces conditions soient remplies pour qu'ils puissent être déclarés
coupables de ce qu'on leur reproche. Il y a des éléments constitutifs de l'infraction
qui doivent exister. Euh… est-ce qu'il vous est possible de parler du rôle du
président le témoin 32, de savoir s’il avait encore en 1994 et peut-être même
déjà quelques mois ou quelques années peut-être avant qu'il ne soit tué dans
l'attentat du 6 avril, s'il avait encore véritablement la maîtrise du pouvoir,
de fait, hein, je veux dire de fait ?
Filip REYNTJENS : Oui, c'est une question très difficile. Euh… j'ai
eu l'occasion de discuter à plusieurs reprises avec le président le témoin 32
et je lui disais toujours ses quatre vérités, même avant le début de la guerre.
L'impression qu'il me donnait souvent, c'était qu'il comprenait bien, mais qu'il
fallait que je comprenne qu'il n'était pas tout à fait libre de ses mouvements,
qu'il y avait des contraintes considérables qui évidemment sont devenues dans
son esprit très importantes après le début de la guerre. Euh… j'hésite à répondre
tout simplement parce qu'il est très difficile de savoir. Est-ce que le témoin 32
était en partie le prisonnier de son entourage, ou est-ce que c'était un bon
acteur qui essayait de donner l'impression qu'il était en partie prisonnier
de son entourage ? Ce que je peux vous dire c'est que…
De deux phénomènes : le premier c'est que le président en tant
que président, en tant qu'homme politique exerçant le pouvoir, a vu sa capacité
d'action diminuer de façon absolument dramatique, si l'on compare cela à la
situation antérieure à partir de la mise en place du premier gouvernement de
coalition, donc à partir du 16 avril, je crois, 92. Tout simplement parce que
son parti n'était plus majoritaire au sein de ce gouvernement ? Le gouvernement
était composé moitié-moitié, pour moitié MRND, l’autre moitié représentant des
partis d'opposition.
En plus, ces positions de monopole dont avait bénéficié le MRND et
donc le témoin 32 en tant, jadis, que président du MRND - parce qu'il était également
président du parti - cette position s'est affaiblie davantage. Par exemple suite
à la mise en place d'autorités locales et préfectorales issues d'autres partis
que le MRND. La nomination au sommet de l'armée, par exemple, également sous
les auspices du gouvernement de coalition, de chefs d'état-major tant de l'armée
que de la gendarmerie, qui n'étaient pas ses proches, alors que les anciens
chefs d'état-major étaient des gens sur lesquels il pouvait compter, qui faisaient
partie de ce qu'on appelle parfois l’Akazu, la « petite maison »,
le noyau de ceux qui gravitaient autour du président de la République. Il est
évident, par exemple, que lorsque les colonels RWAGATIRITA pour la gendarmerie
et SERUBUGA pour l'armée ont été remplacés par le général NDINDILIYIMANA et
le général - je pense qu'ils le sont devenus après leur nomination - le général
NSABIMANA au niveau de l'armée, qu'un levier du président le témoin 32 pour utiliser
l'armée a disparu. Il a pu parachuter BAGOSORA au poste de directeur de cabinet
au Ministère de la défense il est vrai. Ça c'est le premier phénomène, donc
il y a l'évolution politique globale qui a incontestablement diminué le pouvoir
personnel incontesté du président le témoin 32.
Deuxième élément. Je crois que la belle-famille du président le témoin 32,
c'est-à-dire la famille de son épouse, son épouse et sa famille ont joué un
rôle important dans la prise de décision au Rwanda, dans l'ombre évidemment,
même si certaines de ces personnes occupaient des fonctions au sein de l'appareil
de l'État. Mais d'autres étaient même des privés. Mais j'ai déjà évoqué le nom
du colonel SAGATWA, il était secrétaire particulier du président, mais également
membre de la famille de l'épouse du président. Dans la région du président et
au Nord du Rwanda en général, je crois que la qualité de la famille joue encore
un rôle plus important que dans d'autres parties du pays. Il y a, mais je vais
essayer d'éviter les termes techniques, mais il y a traditionnellement dans
le Nord du pays une sorte de système de clientèle foncière. Donc, on a des patrons
fonciers, des clients fonciers. Il est évident que les familles qui sont des
patrons fonciers, qu'on appelle des « abakonde », sont des familles
de meilleure qualité - on dirait en Belgique, pas aujourd'hui mais il y a 50
ans, on dirait de bonne famille - plus puissantes, plus influentes. La famille
de l'épouse du président le témoin 32 est une famille d' « abakonde »,
de patrons fonciers, pas de très grands patrons fonciers mais quand même des
patrons fonciers, alors que la famille d'le témoin 32 est une famille de petits
clients fonciers. Ce n'est, à ma connaissance, que le grand-père d'le témoin 32
donc, c’est une profondeur historique-généalogique extrêmement brève - ce
n'est que, je crois, le grand-père du président le témoin 32 qui a immigré dans
la région où le président a grandi. Et donc, c'est une famille de petits clients
fonciers. Donc, cette famille était la famille de l'épouse du président le témoin 32,
était une famille qui était puissante en termes économiques mais en termes de
prestige également. Et je suis certain, même si je n'ai jamais participé évidemment
au conseil de famille, je suis certain qu'le témoin 32, même pour prendre des
décisions dans le domaine politique ou dans les attributions constitutionnelles
qui étaient les siennes, si elles étaient importantes, qu'il ne le faisait pas
sans consulter ses beaux-frères par exemple.
Le Président : Est-ce qu'il vous est possible de parler parce
qu’on parle beaucoup d'ethnisme, hein de lutte entre Hutu et Tutsi. Est-ce
que c'était pas plus profond que ça, autre chose aussi que ça, l'exercice du
pouvoir ? Est-ce qu’aussi vous semblez dire : « Bon, les Hutu,
quelque part, c'est un petit peu normal, ce sont les plus nombreux démographiquement,
donc si on fait par exemple des élections démocratiques il serait assez normal
qu'il y ait au pouvoir plus de Hutu que de Tutsi » - mais est-ce qu'au
sein même des Hutu il n'y avait pas… peu finalement, peu de personnes qui exerçaient
le pouvoir réel par rapport à l'ensemble des Hutu ?
Filip REYNTJENS : Tout à fait ! Donc, d'abord sur cette question-là,
je l'ai déjà dit, c'était une minorité dans la majorité, hein ! Tout comme d'ailleurs,
si l'on devait considérer le pouvoir actuel au Rwanda comme un pouvoir Tutsi,
ce ne serait pas le pouvoir des Tutsi mais ce serait un pouvoir de certains
Tutsi. Euh… pas 5 % des Tutsi sont au pouvoir au Rwanda aujourd'hui et
pas 5 % des Hutu étaient au pouvoir au Rwanda avant 94. Donc ça, c'est
certainement un élément. Le deuxième, c'est que Hutu et Tutsi ne sont pas -
mais limitons-nous à Hutu puisqu'on parle de 94 - Hutu n'est pas une catégorie
aussi monolithique qu'on le pense parfois. Il y avait certainement avant le
début de la guerre… Je dois dire que l'attaque par le FPR a fait rejaillir le,
je dirais, le complexe ethnique, a réintroduit de façon plus forte qu'avant
l'aspect ethnique dans la vie politique du Rwanda et dans les violences du Rwanda.
Mais il y avait de « nouvelles ethnies » qui étaient en train de naître
et qui, à mon sens, avant octobre 90, étaient devenues plus importantes que
l'antagonisme Hutu-Tutsi. C'était l'antagonisme entre ceux du Nord, qu'on appelle
parfois les Bakiga, les ressortissants des préfectures de Gisenyi, Ruhengeri,
dans une moindre mesure Byumba et les autres, tous les autres qu'on appelait
les Banyanduga, Hutu et Tutsi confondus. Tout cela donc… Un antagonisme devient
ethnique s'il fait une différence. Je veux dire par-là, si être Hutu ou Tutsi
conditionne l'accès à l'école, à la fonction publique, au crédit, à l'impunité
etc. Si à un moment donné être Mukiga (personne du Nord) devient plus important
pour avoir accès à ces ressources ou si être Munyenduga (du Sud, du centre ou
de l'Est) devient un élément d'exclusion, de nouvelles ethnies naissent. L'enjeu
est le contrôle de l'État, est le pouvoir, l'enjeu est en fait tout à fait universel.
Nous avons tendance à voir la politique africaine - et dans ce contexte-ci la
politique rwandaise - comme quelque chose d'exotique, d'anormal, de pathologique
à la limite, hein, les luttes tribales qui ont toujours existé, et ceci explique
cela. Non, ces phénomènes sont parfaitement universels, il s'agit de l'accès
au pouvoir. Si…
Le Président : Vous voulez dire notamment que chez nous c'est
aussi exotique que chez eux.
Filip REYNTJENS : Exactement, exactement. Ou que chez eux c'est pas
moins exotique que chez nous. Euh… A cette différence près - mais qui n'est
pas typiquement rwandaise - à cette différence près que l'accès au pouvoir en
Afrique, le contrôle de l'État en Afrique est un enjeu beaucoup plus important
qu'en Europe, parce que l'État est quasiment le seul instrument d'accumulation
et de reproduction de classes sociales. Celui qui accède au pouvoir accède à
tout et celui qui perd le pouvoir perd tout et je vous ai dit, accès aux crédits,
aux bourses d'études, aux per diem offerts par les
missions à l'étranger, à la justice ou à l'injustice, à l'impunité, etc., etc.
Je dis toujours en boutade, que lorsque Monsieur De Haene, il y a presque deux
ans de cela, a perdu sa fonction de premier ministre, il n'était plus premier
ministre, mais il n'a pas mangé une tartine de moins, il a probablement vécu
mieux qu'avant. C'est pas le cas pour un dirigeant en Afrique. La règle c'est « the
winner takes all », le vainqueur prend tout, « Vae victis »,
hein. Euh… et cela ne vaut pas seulement pour l'individu, cela vaut également
pour sa famille, pour son ethnie, pour sa région, dans d'autres pays pour sa
religion. Perdre le pouvoir signifie par exemple qu'il n'y aura plus de travaux
d'infrastructure dans votre région d'origine, plus de dispensaire, plus d'école,
plus d'adduction d'eau etc.
Donc, en d'autres termes, l'enjeu est un enjeu parfaitement universel,
de là je dis toujours : « Ceci n'est pas un conflit ethnique, c'est
un conflit politique au sein duquel l'ethnicité a été manipulée, tout comme
chez nous ». Chez moi parce que je suis Anversois le Vlaams Blok manipule
l'ethnicité pour aboutir à des objectifs politiques, à dessein politiques. Je
ne sais plus quelle était votre question, Monsieur le président, parce que j'ai
fait toute une excursion.
Le Président : Ça répond à cette question, qui était de savoir
s'il y avait d'autres antagonismes, peut-être plus profonds ou moins profonds,
mais existant en tout cas, que cette opposition Hutu-Tutsi, qui semble comme
ça une évidence, mais qui en fait recouvre d'autres choses. Ce dont je voudrais
que vous me parliez peut-être aussi c'est de ce que c'est que l’Akazu.
Filip REYNTJENS : L’Akazu, c'est du kinyarwanda pour « petite
maison » ou « petite hutte ». Au Rwanda, ça réfère j'essaie
de trouver une expression plus gentille que « clique » mais je ne
la trouve pas tout de suite donc, appelons ça la « clique » gravitant
- mais qui est une assez grande clique, je vais vous expliquer tout de suite
pourquoi - gravitant autour du pouvoir, disons du président le témoin 32 et de
sa belle-famille, et qui était liée par des éléments ; primo par l'idéologie,
une idéologie qui était ethnisante Hutu pure et dure, deuxièmement, par un commun
régional très souvent, beaucoup de gens du Nord-Ouest et en particulier de la
préfecture de Gisenyi, en particulier la région du Bushiru, d'où est originaire
le témoin 32 mais également des gens - et on revient à l'enjeu qui est le contrôle
de l'État - également des gens qui avaient des intérêts purement commerciaux,
mercantiles, pour que le pouvoir ne change pas de mains. Impossible évidemment
de dire…
D'ailleurs l’Akazu, les membres de l’Akazu n'avaient pas de carte
de membre, ce n'est pas une association formelle bien évidemment. Je suis d'ailleurs
certain que cette association non formelle a changé constamment les frontières,
le fait d'y appartenir ou pas, c'est un phénomène qui est constamment changeant.
Mais je pense qu'il est possible, pour un certain nombre d'individus, de dire
si idéologiquement ou régionalement ou économiquement ils appartenaient à l’Akazu
et c'étaient ces gens… Oui et je disais, il y a évidemment des individus qu'on
ne peut identifier comme faisant partie de l’Akazu, mais comme je l'ai dit tout
à l'heure, ceci dans un sens implique également toute une région. Par exemple
le Bushiru, cette région de la préfecture de Gisenyi a bénéficié - tout simplement
parce que le pouvoir était entre les mains de certains Bashiru - le Bushiru
a pu bénéficier d'un certain nombre d'avantages dont d'autres régions n'auraient
même pas osé rêver. Donc, c'est un concept qui est relativement flou et j'ajouterais,
si vous permettez, pour terminer, que le simple fait d'appartenir à l’Akazu
- si jamais on pouvait prouver la chose, ce qui n'est pas évident - mais le
simple fait, à mon sens, d'appartenir à l’Akazu en soi ne constitue pas une
infraction. Ce sont des gens qui visaient à défendre leurs intérêts, certains
l'ont fait de façon criminelle.
Le Président : Est-ce que selon vous, Monsieur, ou selon les renseignements
que vous auriez, pas… pas parce que vous avez le sentiment que… mais sur base
d'éléments dont vous auriez connaissance, est-ce que Monsieur HIGANIRO - Monsieur
HIGANIRO, je ne dis pas Madame HIGANIRO - Monsieur HIGANIRO faisait partie de
l’Akazu ou a pu en faire partie ?
Filip REYNTJENS : Oui, je crois que si on… Non, si la question est…
Est-ce que vous pensez que Monsieur HIGANIRO faisait partie de l’Akazu, la réponse
est oui. Je crois qu’il y a suffisamment d'éléments qui montrent que Monsieur
HIGANIRO était proche du président de la République, et de cette façon-là, la
suggestion concernant son épouse, je suppose, Monsieur le président, réfère
au père…
Le Président : Au lien de parenté…
Filip REYNTJENS : …au docteur AKINGENEYE. Je ne sais pas si le docteur
AKINGENEYE faisait partie de l’Akazu. Pour lui, j'aurais beaucoup plus de doutes.
C'était le médecin personnel du président de la République, qui est quand même
une fonction de très très grande confiance. Je sais que le docteur AKINGENEYE
était très proche du président de la République et je n'oserais tout de même
pas le classer dans l’Akazu. Monsieur HIGANIRO, en revanche, je le classerais
dans l’Akazu étant donné les fonctions qu'il a exercées, étant donné également
que, par exemple, la famille du président le témoin 32 venait chez lui déjeuner
dans sa résidence à Gisenyi. Si cela arrivait une seule fois, ce serait peut-être
une coïncidence, mais je pense qu'il y a trop de contacts, et de par les fonctions
exercées par Monsieur HIGANIRO, je le classerais dans l’Akazu, sans doute pas
un personnage central au sein de l’Akazu mais quand même.
Le Président : Monsieur HIGANIRO nous a notamment expliqué, lorsqu'il
a exposé son parcours - il a eu tout un parcours, je dirais, administratif,
avec des fonctions très importantes, diplomatiques, je dirais, hein, dans… Il
a été secrétaire-adjoint au secrétaire général-adjoint à la Communauté économique
des grands lacs, et puis il est devenu… il a quitté cette administration pour
devenir, pendant quelques mois seulement, ministre - et puis, il nous a expliqué
que les beaux-frères du président ont voulu l'éjecter du gouvernement et y sont
arrivés. Parce qu'effectivement, il n'a plus été repris dans le gouvernement,
il n’a été ministre qu'une dizaine de mois. Et il a été envoyé dans le Sud,
à Butare pour être directeur d'une fabrique d'allumettes qui n'était pas para-étatique,
semble-t-il, qui était une société anonyme dans laquelle, certes, l'État rwandais
a été actionnaire principal, sans être actionnaire majoritaire. Est-ce qu'il
aurait donc été exclu de l’Akazu à un moment ?
Filip REYNTJENS : Je ne peux pas répondre à cette question-là. Mais
le fait de n'avoir été ministre… Parce qu'il est vrai qu’en général, pas toujours,
mais en général, lorsqu'on était ministre dans les gouvernements successifs
depuis 73, les gouvernements le témoin 32, ont était en général au moins deux
fois ministre. J'en connais très peu qui ne l'ont été qu'une seule fois, donc,
qui n'ont pas survécu à un remaniement. Par la suite, très souvent, ils ne survivaient
pas au deuxième remaniement. Il y en a qui sont restés pendant de très nombreuses
années aussi. Donc, ça c'est vrai. D'autre part, ceci évidemment se situe dans
un contexte politique complètement différent de la période précédente, nous
sommes en période de cheminement vers le multipartisme et des négociations qui
commencent à se faire entre plusieurs partenaires.
Et donc, le président le témoin 32, à partir de ce moment-là, était
obligé tout simplement d'abandonner un certain nombre de ministres puisque le
MRND n'avait plus droit au même nombre de ministres qu'avant. Donc cet argument,
pour moi, est peu convaincant. Etre nommé à la SORWAL, l'usine d'allumettes
à Butare, n'est pas un exil, Butare n'est pas un endroit particulièrement désagréable.
Et c'est une fonction qui fait de quelqu'un, au niveau de Butare, un véritable
notable en plus. Etre nommé dans une parastatale ou une quasi-parastatale comme
la SORWAL, était considéré par la plupart des fonctionnaires rwandais, parce
que n'oublions pas qu'il s'agit de fonctionnaires, hein, il n'y avait pas au
Rwanda de tradition de séparation entre divers types de carrière, une carrière
politique, une carrière diplomatique, une carrière universitaire etc. On pouvait
être professeur d'université aujourd'hui, devenir secrétaire général dans un
ministère demain, quelques mois plus tard ambassadeur, ministre et puis directeur
général d'une… de la SONARWA, la Société Nationale d'Assurance du Rwanda, par
exemple. Donc, il n'y a pas de véritable carrière unique au Rwanda, tout le
monde était, relevait en fait tout le monde, tout le monde, il y avait des
privés, bien évidemment - mais enfin tout le monde relevait du secteur public.
Donc, pour un fonctionnaire comme Monsieur HIGANIRO, être nommé directeur de
la SORWAL était certainement plus avantageux que de repartir comme directeur
d'un quelconque service dans un quelconque ministère.
Le Président : Vous ne connaissez pas du tout les deux religieuses,
hein, je crois ?
Filip REYNTJENS : Pardon ?
Le Président : Les deux religieuses, vous ne les connaissez pas
du tout. Monsieur NTEZIMANA, vous avez dit tout à l'heure avoir eu l'occasion
du rencontrer avant les faits ainsi que postérieurement. Alors lui, il est
de la mouvance présidentielle, il est dans les Hutu Power, il est dans les extrémistes ?
Filip REYNTJENS : Je n'ai jamais…
Le Président : Selon ce que vous savez de lui, de ce que vous
avez pu apprendre, pas seulement par lui.
Filip REYNTJENS : Non, bien sûr. Non, je n'aurais pas considéré -
je pense que ça n'a jamais été suggéré - Monsieur NTEZIMANA comme faisant partie
de l’Akazu. Ici, je dois faire une distinction qui est très importante dans
le contexte de ce type de procès. Je vais tout de suite vous dire un mot sur
l'émission télévisée au cours de laquelle nous étions tous les deux avec d'autres
personnes sur le plateau.
Le Président : Ça remonte à 1991.
Filip REYNTJENS : 91, août, je crois.
Le Président : Vous indiquez dans votre audition par le juge d'instruction,
1992. Mais c'est peut-être 1991, hein… vous confondez…
Filip REYNTJENS : Euh… je vais vous dire pourquoi je pense que c'est
91 maintenant . Lorsque j'ai été entendu par le juge d'instruction, c'était
probablement en 95 quelque chose comme ça. Ça datait d'il y a mais j'ai revisionné
la cassette de cette émission en vue de ce témoignage parce que ça fait longtemps.
Euh… c'était… je ne sais pas ! C'est facile à vérifier. Donc, je n'ose
pas sous serment vous dire si c'était 91 ou 92. Moi je pensais avoir retenu
91 sur base de ce que j'ai vu sur la cassette. Donc, je pense que c'était août
91…
[Interruption d’enregistrement]
Filip REYNTJENS : …j'ai connu, et cela n'essaie pas de « bémoliser »
ce que je vais dire au sujet de Monsieur NTEZIMANA, mais j'ai connu, moi personnellement
- et certains étaient même des amis - des politiciens rwandais qui étaient opposants
modérés, refusant toute dérive ethnique ou ethnisante, en 91-92, voire 93, et
qui en 94, ont appelé au génocide. Il y en a, donc, il y en a qui ont basculé.
Il y en a beaucoup qui ont basculé. Euh… tout le monde n'a pas basculé, bien
évidemment. Mais entre le mois… je dirais entre juillet même un peu avant
je vous ai parlé de l'attaque du FPR de mars 93 - il y a beaucoup de politiciens
d'opposition qu'on appelait modérés et des cadres de la société civile qui à
partir de mars 93 - lorsque le FPR a mené son attaque sur Kigali qui a échoué
- ont commencé à se poser de très sérieuses questions au sujet des intentions
du FPR et ont émis des craintes de plus en plus nettes au sujet d'une éventuelle
tentative de prise de pouvoir par les armes par le FPR et donc, de plus en plus
dans leur esprit, de la part des Tutsi. C'est à cause de ces phénomènes-là d'ailleurs
que les et en vue également de la négociation dans le cas de la négociation
de l'accord d'Arusha que les partis politiques se sont scindés en ailes. Le
MDR, principal parti d'opposition s'est scindé en deux ailes, lors d'un congrès
qu'ils ont tenu à Kabusunzu à Kigali le 22-23 juillet 93, si mes souvenirs sont
bons. Le PL s'est scindé fin août 93 après la signature de l'accord d'Arusha
et puis même le PSD, dans une moindre mesure mais même le PDC un Parti Démocrate
Chrétien s'est scindé.
Et donc, il y a eu, je dirais, raidissement progressif, il n'y a
pas un moment précis. Je vous dis cela parce que - je reviens sur votre question
tout de suite mais je vous dis cela parce que ce que je vais dire maintenant
au sujet de Monsieur NTEZIMANA peut vous informer sur son état d'esprit en août
91, si telle est la date. Moi-même je ne peux rien apprendre à cette Cour, au
sujet de ce que Monsieur NTEZIMANA aurait fait ou ne pas fait à partir du 7
avril 94. Je ne suis pas témoin oculaire, j'ai lu ce que d'autres ont écrit,
j'ai eu accès au dossier du Tribunal pénal international parce que j'y suis
témoin expert dans une autre affaire Butare, mais je ne suis pas, moi, témoin
des faits, donc, je n'ai, moi, personnellement, aucune opinion sur l'innocence
ou la culpabilité de Monsieur NTEZIMANA et je n'ai d'ailleurs pas le bénéfice
qu'aura cette Cour et le jury à l'issue de ce procès, je n'ai pas le bénéfice
du débat contradictoire. Je reviens sur votre question, lors du débat, je l'ai
encore revisionné et c'était mon souvenir était même plus faible que celui
que j'ai maintenant après avoir revu la cassette, Monsieur NTEZIMANA, lors
de cette émission s'est profilé comme primo, un opposant acharné - et moi je
dirais assez courageux - du régime le témoin 32.Il est entré en collision frontale,
lors de cette émission, tant avec l'ambassadeur du Rwanda, Monsieur NGARUKIYINTWARI,
et avec un représentant du MRND un étudiant dont j'oublie le nom, EVODE je crois ;
confrontation-collision tout à fait frontale.
Donc, d'une part opposant au régime et raisonnant à mon sens en terme
politique et non pas en terme ethnique, également refusant d'ailleurs la suggestion
que la guerre pouvait être un prétexte pour ne pas continuer à ouvrir le champ
politique. Donc, mon souvenir qui a été renforcé après avoir revisionné cette
cassette, il y a deux, trois jours, mon souvenir - mais bien avant le génocide
- est un souvenir de quelqu'un qui ne faisait certainement, bien au contraire,
pas partie de l’Akazu.
Le Président : Bien. Questions ?
Me. WAHIS : Dans l'optique de ce que vous venez de développer,
le PRD, le parti qui avait été fondé notamment par Monsieur NTEZIMANA et dont
il était le secrétaire général, quel était son profil ?
Filip REYNTJENS : Je crois que c'est impossible à dire parce que
ce parti, à ma connaissance, n'a pas véritablement mené des activités. C'est
une scission du MDR, scission opérée par ce que j'appellerais des jeunes, plutôt
des jeunes cadres ou militants du MDR mais qui n'ont pas eu, à ma connaissance,
l'occasion de faire preuve de quelque position que ce soit. J'ai lu, bien évidemment,
les statuts du parti. Mais le statut, ça… ça n'apprend rien sur ses statuts,
ce sont des statuts parfaitement bien fréquentables bien évidemment.
Le Président : La circonstance que son président soit devenu directeur
des services de renseignements du gouvernement provisoire, ça peut-être des
engagements d'ordre purement personnel à ce président, sans mettre en cause…
Filip REYNTJENS : Oui, je crois que…
Le Président : …l'idéologie de l'ensemble de ce mouvement était
de soutenir le gouvernement provisoire.
Filip REYNTJENS : Je crois qu'il n'était pas mandaté par son parti,
d'ailleurs à ma connaissance les organes du parti ne se sont pas réunis après
le début du génocide. Donc, je pense qu’il a accepté cette nomination à titre
personnel, sans avoir le mandat de son parti. Mais cela, évidemment, en dit
long sur l'idéologie à l'époque, parce que lui aussi et j'oublie son nom maintenant…
Alexis NSABIMANA je l'ai connu avant le génocide, je le considérais comme
modéré. Mais évidemment, accepter une fonction pareille au sein de ce gouvernement-là
- sauf si on y était contraint et forcé, mais je ne pense pas que c'était son
cas, parce qu'il y a certains ministres qu'on est allé cueillir chez eux, avec
des blindés, ne l'oublions pas donc, lorsque le gouvernement a été formé le
8 avril 94, certains de ces ministres, je crois, n'auraient pas refusé d'accéder
à ce gouvernement. Je pense qu'ils auraient été tués s'ils l'avaient fait. Certains
qui ont refusé les fonctions… notamment celui qui était pressenti pour devenir
ministre de l'intérieur et qui était dans le gouvernement précédent, Monsieur
MUNYAZESA, était à l'étranger, il avait la chance d'être à Dar Es-Salaam, parti
avec le président le témoin 32 et une chance pour lui, il n'est pas revenu dans
le même avion, et il a pu refuser cette nomination parce qu'il était à l'étranger.
Il y en a d'autres qui ont refusé et qui ont quitté le pays, mais il n'y en
a pas beaucoup. En ce qui concerne Monsieur NSABIMANA, je n'ai pas l'impression
qu'il a été contraint et forcé, et donc, ça en dit long ; accepter une
fonction dans un gouvernement dont il était très clair dès le premier jour qu'il
s'engageait sur la voie du génocide, me paraît extrêmement euh… je cherche le
mot, incriminant.
Me. WAHIS : Vous avez situé l’Akazu. Pourriez-vous resituer
la garde présidentielle ? Quant à sa composition, je parle de ses dirigeants
et son interaction, ses relations avec cette Akazu ?
Filip REYNTJENS : Oui, la plupart des éléments de la garde présidentielle
venaient du Nord-Ouest du pays. Ceci de nouveau, le Rwanda n'a rien de très
exceptionnel, ici. Et là, je ne vais pas parler de l'armée belge, mais d'autres
armées africaines. Les gardes prétoriennes en Afrique, les gardes présidentielles,
tous les présidents africains, même les plus démocratiques, aujourd'hui ont
une sorte de garde prétorienne qui a un nom qui diffère d'un pays à l'autre
mais le principe est le même, ce sont des hommes de confiance, et les hommes
de confiance, on les trouve dans son entourage immédiat. D'ailleurs voyez -
je vais quand même faire une comparaison belge voyez dans les cabinets ministériels
en Belgique, la plupart des gens viennent de l'arrondissement du ministre, hein,
parce qu'ils ont collé des affiches et bon voilà ! Donc, on s'entoure de ceux
en qui on a confiance, donc, le bataillon garde présidentielle était composé
en majorité je ne dis pas exclusivement mais en majorité de gens venant
du Nord-Ouest et en particulier de la préfecture de Gisenyi.
Cela veut dire, bien évidemment, qu’eux avaient une loyauté envers
le président de la République et que pour cette simple raison-là, objectivement
parlant, ils étaient l’Akazu, ils étaient soutien de l’Akazu. Et d'ailleurs,
lorsque l’Akazu a monté des opérations de déstabilisation - je vous ai parlé
des massacres du Bugesera en mars 92 - à ma connaissance, 75 éléments de la
garde présidentielle en tenue civile ont été introduits dans la région, c'est
sur ceux-là qu'on pouvait compter. Donc, dans ce sens-là - et l'on a vu également
lorsque le génocide a été déclenché à Butare, 15 jours après le début du génocide
ailleurs dans le pays - c'est en partie en introduisant des éléments de la garde
présidentielle et des Interahamwe venus de l'extérieur de la préfecture qu'on
a pu, je dirais, aspirer la préfecture de Butare dans le cours des événements.
Donc, c'est encore important à la limite c'est un peu le bras armé de l’Akazu.
Le Président : D'autres questions ? Monsieur l'avocat général ?
L’Avocat Général : Je vous remercie, Monsieur le président. Le président
y a déjà fait allusion, donc, je vais poser la question parce que, effectivement,
dans le cadre de la compétence de cette Cour, il y a certains éléments constitutifs
qu'il faut donc mettre en place. Donc, ma question est la suivante : peut-on
dire que le Rwanda était en état de guerre interne avec occupation du territoire,
d'abord d'une petite partie du territoire puis d'une plus grande partie du territoire
après l'attaque de février 93 ? Mais peut-on dire que cet état de guerre
existait à partir d'octobre 90 ?
Filip REYNTJENS : L'état de guerre interne, en effet, oui.
L’Avocat Général : Donc, à partir d'octobre 90 jusqu'en juillet 94,
le Rwanda était en guerre interne avec occupation du territoire.
Filip REYNTJENS : Oui. Parce qu'il y a un problème juridique probablement.
Matériellement, oui. Mais les belligérants avaient signé le 4 août 93 un accord
de paix, et avaient déjà signé bien avant un accord de cessez-le-feu. Une des
enveloppes parce qu'en fait l'accord de ce qu'on appelle l'accord de paix
de Arusha est une enveloppe qui comporte un certain nombre de protocoles
dont les accords (parce qu'il y en a plusieurs des accords) de cessez-le-feu
et c'était un accord de paix qui dit qu'à partir de la signature de cet accord,
la guerre prend fin. Je vous signale la chose, cette chose n'est pas mon problème,
mais on pourrait dire, si l'on veut bien, on pourrait dire que entre le 4 août
93 et la reprise des hostilités tôt le matin du 7 avril 94, que le Rwanda n'était
pas en situation de guerre.
L’Avocat Général : Oui, ce n'est pas parce qu’il y a un accord de
paix que ça veut dire que le pays est en paix. Parce qu’en février 93, il y
a eu une nouvelle attaque du FPR avec une prise de territoire plus importante.
Filip REYNTJENS : Excusez-moi, Monsieur l'avocat général, mais ça
c'est antérieur à la signature de l'accord d'Arusha.
L’Avocat Général : Oui…
Filip REYNTJENS : Ah oui, mais donc il n'y a pas eu de… à ma connaissance…
L’Avocat Général : Il n'y a eu aucune…
Le Président : Pas de cessez-le-feu, aucune attaque, aucune escarmouche
entre le 4 août 1993 et le 7 avril 1994…
Filip REYNTJENS : Non, la seule chose qu’il y a eu… à ma connaissance,
il n'y en a pas eu, euh… la seule qu'il y a eu, c'est un massacre de plusieurs
dizaines d'autorités civiles et de leurs familles dans la zone tampon - et j'oublie
le nom de la commune, mais je pourrais la retrouver - massacre dont la responsabilité
a été imputée au FPR, ça n'a jamais été formellement prouvé. La MINUAR a mené
une enquête mais n'a pas voulu publier les résultats de l'enquête, je pense
que c'était en novembre 93. A part ça, et ça ce n'est même pas dans… ce ne sont
même pas des faits de guerre, c'est un massacre opéré contre des civils. Mais
il y a et là il faudrait peut-être interroger les témoins plus compétents
que moi, et je pense qu'ils ne sont pas loin puisque, par exemple, le colonel
MARCHAL, je suppose, qui était commandant en second de la MINUAR, pourrait attester
ça de façon beaucoup plus fiable que moi - mais à ma connaissance, il n'y a
pas eu sauf peut-être l'un ou l'autre coup de feu qui a été tiré mais il
n'y a pas eu de véritable violation du cessez-le-feu entre le 4 août 93 et le
7 avril. Ça aurait d'ailleurs été assez difficile, puisqu'à partir du 31 décembre
93, un bataillon du FPR était stationné à Kigali. Et si la guerre avait repris
pendant cette période-là, ce bataillon se serait probablement trouvé dans une
extrêmement difficile situation.
L’Avocat Général : J'ai une deuxième question et encore une troisième.
Bon, vous avez dit clairement que la fonction de directeur général de la SORWAL
ne peut pas être considérée comme une forme de disgrâce ou de dégradation.
Filip REYNTJENS : Non.
L’Avocat Général : Au contraire même plutôt…
Filip REYNTJENS : En tout cas c'est…
L’Avocat Général : …par rapport à la fonction de ministre par exemple ?
Filip REYNTJENS : …Hum ! C'est un choix très difficile, ce sont deux
fonctions assez différentes. Vous savez, être directeur général d'une société,
qu'elle soit parastatale ou quasi-parastatale, donne également accès à des formes
illicites d'enrichissement. Donc, ce sont des fonctions qui sont assez convoitées
est-ce qu'on dit ça ? non ? Oui ? - assez convoitées.
L’Avocat Général : Oui, convoitées. Monsieur HIGANIRO dit, dans sa
propre déclaration, qu'il a été envoyé à Butare, et j'emploie ses termes :
« Dans le bastion de l'opposition », c'est lui-même qui emploie ce
mot. Maintenant je vous pose la question si vous ne savez y répondre, vous n'y
répondez pas. Est-il possible d'envisager que Monsieur HIGANIRO, proche du président,
ex-ministre, membre de l’Akazu, ait été envoyé dans le bastion de l'opposition
avec une mission ?
Filip REYNTJENS : Ça m'étonnerait, mais ce n'était pas… ces bastions
de l'opposition n'étaient pas menaçants, mais c'était un bastion de l'opposition.
Lors des… ce qu'on appelait les présélections de bourgmestre en mars ou avril
93, la préfecture de Butare a été celle qui a voté le plus pour des candidats
issus de l'opposition. D'ailleurs, le bourgmestre de Butare, enfin de la commune
urbaine Ngoma, mais donc Butare, était issu du parti PSD, un parti d'opposition ;
le préfet de Butare était un préfet issu du partir PL. Tout ça, c'est vrai,
mais cela se faisait en très bonne entente à Butare. Moi j'ai été à plusieurs
reprises à Butare pendant cette période, les gens discutaient au-delà des frontières
qui les séparaient politiquement, partageaient des verres au Faucon et à l'Ibis,
aux deux cafés les plus connus de Butare. Et il y avait d'ailleurs beaucoup
d'autres personnes qui dans ces cas-là, auraient dû se sentir menacées dans
ce bastion. Si vous permettez, j'en citerai seulement une, c'est le frère du
président le témoin 32 lui-même, le docteur BARARENGANA qui vivait à Butare,
qui n'a jamais été dérangé, qui était professeur à la faculté de médecine à
Butare.
L’Avocat Général : Ma troisième question. Vous avez fait référence
donc à l'émission télévisée que vous situez donc en août 91, lors de laquelle
Monsieur NTEZIMANA s'est montré un critique virulent du président. A ce moment-là,
Monsieur NTEZIMANA étudie ici en Belgique, il fait son doctorat. Il retourne
au Rwanda en 93 et est immédiatement nommé professeur à l'UNR. Bon, est-ce qu'il
vous semble normal qu'une personne, qui aurait critiqué violemment le président
en place, n'ait subi aucune mesure alors que vous dites que l’Akazu j'ai repris
votre expression l’Akazu était une « clique importante » avec une
idéologie commune Hutu pure et dure.
Filip REYNTJENS : Oui, mais elle n'avait pas du tout le monopole
du pouvoir. Le système politique rwandais était d'une ouverture absolument inouïe
pendant la période, moi, que je situerai grosso modo entre début 91 et la mi-93.
Et quand je dis ouverture inouïe c'est… les gens affichaient très, très ouvertement
leurs préférences politiques, qui étaient très souvent des préférences d'opposition.
Les gens portaient des casquettes dans les couleurs de leur parti, hissaient
le drapeau du parti devant leur maison, la presse était irresponsablement libre,
on pouvait diffamer, calomnier, écrire ce qu'on voulait, il n'y avait pas la
moindre déontologie, mais on le faisait dans tous les sens. le témoin 32 était
pris à partie d'une façon qu'aucun journaliste belge n'oserait d'ailleurs
il serait immédiatement sanctionné n'oserait le faire. Et la nomination à
l'université n'était, à ma connaissance, à cette époque-là, n'était plus du
tout le monopole du pouvoir. J'ajouterai que très souvent dans le passé, peut-être
pas de façon systématique, mais en tous cas dans ma faculté qui est la faculté
de droit, lorsqu’un des assistants rentrait avec un doctorat obtenu à l'étranger,
il était, je dirais, presque de routine, immédiatement nommé parce qu'on en
avait besoin. D'ailleurs, il était envoyé pour étude doctorale dans l'espoir
qu'il revienne et qu'on puisse le nommer pour ce qu'on appelait la « rwandisation »
du corps académique. Donc ça, ça me paraît normal, le contraire m'aurait étonné.
Le Président : D'autres questions de la part des parties ou du
jury, hein ?
Je l'ai déjà dit plusieurs fois, c'est pas une salle
de bal ici et je sais bien que dans les journaux ont dit qu’apparemment c'est
ma seule obsession c'est que la porte soit ouverte et que les GSM ne sonnent
pas. Mais je trouve que c'est essentiel, d'abord parce que l'audience doit être
publique, pour la porte, et pour les GSM c'est parce que c'est une salle d'audience.
Donc, je vais demander au service de la police fédérale, puisque apparemment
quand on dit les choses ça ne parvient pas à franchir certaines oreilles, pour
qu'une personne puisse rentrer dans la salle, vous vérifiez s'il a un GSM, vous
lui faites éteindre le GSM. Je vous remercie.
Maître CUYKENS ?
Me. CUYKENS : Je vous remercie, Monsieur le président. Quand
on a entendu Monsieur HIGANIRO, il nous a dit qu'il n'était pas membre de l’Akazu,
mais il a dit qu'il était proche du président. Le témoin nous dit : « Est
membre de l’Akazu toute personne proche du président ». Est-ce qu'il y
a des définitions variables de l’Akazu ? Est-ce que selon les gens qu'il
a rencontrés au Rwanda, soit selon les experts, soit selon la population, il
y a des définitions variables de cette notion d’Akazu ?
Filip REYNTJENS : Je peux répondre ?
Le Président : Bien sûr.
Filip REYNTJENS : Non, mais je pensais que les questions venaient
de vous, Monsieur le président ?
Le Président : Généralement quand je passe… vous entendez un cri.
Filip REYNTJENS : Si vous n'objectez pas, je réponds. D'accord ?
J'ai déjà dit, en réponse à une question posée par Monsieur le président, que
l’Akazu est, par définition, un concept flottant, fluctuant, que ce n'est pas
une organisation ou une association formelle avec un président, un vice-président
et un trésorier. Donc, quand on dit que quelqu'un appartient à l’Akazu, c'est
parce qu'on constate sur base d'un faisceau d'indications qu'il est, et l'expression
a été utilisée, qu'il est proche du président. Maintenant, si quelqu'un était
uniquement proche du président, parce que le président apprécie hautement ses
capacités techniques - et le président demandait par exemple à Monsieur BIRARA,
l'ancien gouverneur de la Banque centrale, de venir le voir une fois par mois
parce qu'il veut comprendre comment fonctionne la politique monétaire - là évidemment
c'est un autre type de proximité, je ne considérais pas Monsieur BIRARA comme
faisant partie de l’Akazu, proche de l’Akazu ou proche du président. Membre
de l’Akazu ça signifie être concerné ensemble avec le président, avec son entourage
par, je dirais, le maintien dans la mesure du possible du statu quo politique,
économique, point de vue accès à des ressources et privilèges etc. Et malheureusement,
je ne peux pas offrir une définition plus précise. J'ai une définition dans
mon bouquin de 94, « L'Afrique des grands lacs en crise » que je pourrais
vous lire mais qui formule mieux ce que je dis maintenant, mais qui n'apprendra
pas plus à la Cour.
Le Président : Mais avez-vous éventuellement connaissance de ce
que d'autres… Vous êtes témoin ici, quand vous allez à Arusha, vous êtes peut-être
expert ?
Filip REYNTJENS : Témoin.
Le Président : Témoin…
Filip REYNTJENS : Oui, oui.
Le Président : Euh… de ce que d'autres témoins ayant vos qualités,
hein, c'est-à-dire étant professeur d'université, formé en droit, en sociologie,
en socio-politique ou en d'autres matières, est-ce que d'autres ont une autre
définition que vous ?
Filip REYNTJENS : Non ! En substance, c'est la même définition
qui est, je le concède, une définition assez floue, et par la force des choses,
elle est floue. Tout le monde vous donnera - y compris les Rwandais d'ailleurs
- vous donneront une définition qui est à peu près celle-ci. Et je répète ce
que j'ai dit, il est en fait, dans un sens, impossible, de prouver que quelqu'un
est membre de l’Akazu parce que l’Akazu en tant que structure formelle, n'existe
pas. Donc c'est sur base des intérêts perçus, des contacts perçus, de proximité
qu'elle soit régionale, idéologique, mercantile ou autre. C'est sur base d'un
faisceau d'indications qu'on dit : « Tel fait partie de l’Akazu, tel
non ». Il y a des cas limites et il y a le noyau central, il y a une périphérie.
C'est un concept par définition assez insaisissable et donc assez indéfinissable.
Le Président : D'autres questions ?
Me. CUYKENS : Oui, Monsieur le président. Est-ce que vous pourriez
demander au témoin… donc il nous explique que, à son estime, si Monsieur HIGANIRO
n'a pas survécu à ce remaniement de gouvernement, c'était lié au processus de
démocratisation. Donc, dans le gouvernement qui a suivi le départ de Monsieur
HIGANIRO, quelle était la composition politique de ce gouvernement ? Est-ce
qu'il y avait beaucoup de ministres qui étaient membres de partis de l'opposition ?
Le Président : Monsieur HIGANIRO est membre du gouvernement de
février à… décembre 1991.
Filip REYNTJENS : Oui. Donc, c'est le dernier gouvernement monopartite.
Le premier gouvernement de coalition (mais qui n'en était pas vraiment un) va
être formé en décembre je pense c'était même fin décembre, peut-être même
le 31 décembre 91 lorsqu'un ministre - je pense un seul ministre du PDC -
entre au gouvernement. Mais quelques mois plus tard déjà, vu la contestation,
y compris des démonstrations sur la voie publique, qui était assez impressionnante
à Kigali et dans d'autres villes du pays, a été nommé, formé le premier véritable
gouvernement de coalition le 16 avril 92 sous la primature expression qu'on
utilise au Rwanda de Monsieur Dismas NSENGIYAREMYE. Donc, en d'autres termes,
je dirais : primo, Monsieur HIGANIRO fait partie a fait partie du dernier
gouvernement homogène même si celui qui a suivi était quasi homogène, que je
n'ai pas d'explication particulière pour laquelle entre, disons, début janvier,
date de la formation du gouvernement NSANZIMANA, ce gouvernement de « coalition »,
et le 16 avril - formation du véritable gouvernement de coalition. Pourquoi
pendant cette période-là - si c'est le cas d'ailleurs, parce que moi je n'ai
pas revérifié cela, mais si on le dit, je pars de l'hypothèse que c'est vrai
- pourquoi pendant cette brève période-là, il n'a pas été retenu comme ministre,
je ne sais pas.
Le Président : Je crois qu'il devient directeur de la SORWAL en
février 92 déjà… sauf erreur de ma part.
Filip REYNTJENS : Ah, mais ça expliquerait ça d'ailleurs dans ce
cas-là. Ah oui, mais voilà, mais la question reste tout de même. Pourquoi est-ce
qu'il n'est pas resté ministre ?
Me. CUYKENS : Une dernière question, Monsieur le président. Est-ce
que le témoin sait quelles étaient les fonctions de Monsieur HIGANIRO avant
de devenir ministre ? Est-ce qu'il le sait de connaissances personnelles ?
Filip REYNTJENS : De connaissances personnelles, certainement pas,
parce que je ne me suis jamais particulièrement intéressé à Monsieur HIGANIRO.
Pourquoi est-ce qu'on connaît Monsieur HIGANIRO ? Parce qu'il est inculpé
devant une Cour d'assises en Belgique et que le TPIR s'est intéressé un moment
à lui. Moi je n'ai jamais considéré Monsieur HIGANIRO comme un des personnages
les plus importants de la vie politique au Rwanda. Je crois… il a été secrétaire-général
à un moment donné dans son… on appelait cela directeur de cabinet je ne sais
pas ce qu'est déjà un directeur de cabinet - je suppose que c'était avant de
devenir ministre, et c'était je crois, mais là je n'en suis pas du tout certain,
je crois que c'était peut-être même le cabinet de l'information, mais je n'en
suis pas certain. Je pense qu'il occupait une fonction de ce genre-là. Mais
là, si j'avais su, j'aurais vérifié.
Me. CUYKENS : Je vous remercie.
Me. EVRARD : Monsieur le président, je souhaiterais poser une
question au témoin.
Le Président : Oui, je vous écoute.
Me. EVRARD : Le témoin vient de nous dire qu'il connaît Monsieur
HIGANIRO de nom, qu'il le connaît finalement parce qu’on en a parlé, que vous
vous êtes intéressé au TPIR au Tribunal Pénal International pour le Rwanda,
que c'est depuis qu'il est inculpé que le témoin a connaissance de Monsieur
HIGANIRO. Alors la question est la suivante. A partir de ce moment-là, les éléments
qui permettent de dire que Monsieur HIGANIRO appartient à l’Akazu sont des éléments
d'une hypothèse théorique ou ce sont des éléments qui ont été recueillis, je
ne sais pas par quel moyen ? Y a t’il on nous dit que l’Akazu était quelque
chose qui n'est pas matérialisée quelle est la manière dont vous avez connaissance
de cela ? Est-ce que vous échafaudez une hypothèse d'ordre mathématique,
de probabilité en disant : « Voilà, il y a une série de critères et
Monsieur HIGANIRO répond parfaitement aux critères ». Est-ce que c'est
parce que l'on répond parfaitement aux critères qu'on est systématiquement membre
de l’Akazu ? Voilà la question…
Le Président : Oui.
Filip REYNTJENS : Je connais le nom et le cas de Monsieur HIGANIRO
depuis - je l'ai peut-être dit là tout à l'heure - depuis qu'il est inculpé.
Et évidemment Monsieur HIGANIRO a été arrêté et a passé, je ne sais moi, un
an en détention préventive. Donc, il est évident que j'ai certainement… je me
suis certainement davantage intéressé à lui depuis cette époque-là, et ça c'était,
je crois, 95. Euh… il se pourrait - mais là je n'en suis pas du tout certain
- il se pourrait que je connaissais le docteur AKINGENEYE, donc j'aurais pu
savoir que Monsieur HIGANIRO était le gendre du docteur AKINGENEYE. Cela dit,
peu importe je crois. Lorsque je dis que je considère que Monsieur HIGANIRO
a fait partie de l’Akazu, je le fais, comme je l'ai déjà exposé, sur base d'un
certain nombre, un faisceau d'indications qui - et j'ai d'ailleurs reconnu
et d'ailleurs tout le monde intellectuellement honnête devrait le reconnaître
- que puisqu'il s'agit d'un concept flottant, flou, pas bien défini, informel,
relativement invisible, mouvant également, changeant. On peut être membre de
l’Akazu maintenant, mais peut-être plus demain. Donc, c'est sur base d'un certain
nombre d'indications que j'ai d'ailleurs rappelées tout à l'heure en réponse
à une question posée par Monsieur le président, que si on pose la question :
« Est-ce que d'après vous HIGANIRO faisait partie de l’Akazu dans cette
acception, dans l'acception qu'on donne au terme ? », ma réponse est oui.
Et ça ne vaut pas plus que cela. Mais idéalement, si vous permettez, Monsieur
le président, idéalement il faudrait - mais ça devient évidemment difficile
dans un procès qui est assez médiatisé il faudrait à la limite poser la question
à 5 ou 6 personnes, objectives, neutres, impartiales. Eh bon, si ce sondage…
parce que c'est ça en fait… Comment est-ce que ceux qui suivent ce système perçoivent
la position des uns et des autres ? Ça, c'est ma perception, et elle ne
vaut que cela.
Le Président : En d'autres termes aussi donc euh… si on interroge
quelqu'un d'autre qui aurait peut-être la même définition que vous de l’Akazu
ou proche de celle que vous donnez, il pourrait dire : « Moi je pense
que Monsieur HIGANIRO n'est pas de l’Akazu ».
Filip REYNTJENS : Je ne peux pas l'exclure. Nous ne sommes vraiment
pas en mathématique ici.
Le Président : C'est ça. Oui.
Me. EVRARD : Monsieur le président, une précision d'ordre historique
peut-être. On a dit tout à l'heure que la Belgique n'était pas le colonisateur
au Rwanda et au Burundi et on a fait référence à deux choses. C'est une précision
d'ordre historique, mais je pense qu'elle a son intérêt. On nous dit que…
Le Président : Donc, ce n'est pas une question… c'est un commentaire…
Me. EVRARD : Non, c'est une question que je pose au témoin mais
c'est parce qu'il est juriste et je pense historien. En tout cas, il a évoqué
des éléments d'histoire. Il nous a dit qu'il y avait eu un pouvoir mandataire
ensuite tutélaire. Je crois savoir, et je demande simplement confirmation au
témoin, on fait référence à un mandat de la Société des nations, et puis à partir
du Traité de Versailles de 1919, on fait référence, ou à partir des Nations
Unies en tout cas, on fait référence à une tutelle. Donc, on n'a pas un pouvoir
colonisateur.
Filip REYNTJENS : Je peux confirmer ça, hein ! C'est donc la Belgique
qui a reçu le mandat de la Société des nations jusqu’au moment où la Société
des nations a été remplacée par les Nations Unies et où, en vertu d'une disposition
de tout un chapitre de la charte des Nations Unies, la tutelle a été confiée
à la Belgique jusqu’à la date de l'indépendance, le 1er juillet 62.
Le Président : C'est ça. D'autres questions ? Maître WAHIS ?
Me. WAHIS : Monsieur le président, j'ai une question d'ordre
général sur la structure sociale. Vous avez parlé de la notion Hutu-Tutsi, vous
avez parlé du régionalisme. Est-ce qu'il n'y a pas quand même une spécificité ?
Est-ce qu'il n'y aurait pas une spécificité au Rwanda, Monsieur le président,
qui est la notion de clan ?
Filip REYNTJENS : Je crois que les clans au Rwanda, qui ont joué
un rôle très important dans le passé, en termes, je dirais, opérationnels, politiques,
modernes, ne jouent - en tous cas, ne jouaient, j'en suis moins certain aujourd'hui
- mais ne jouaient quasiment aucun rôle. Quand on prend « clan » dans
le sens anthropologique du terme, hein, je suppose que c'est… - parce que le
clan c'est pas le clan des siciliens, on parle de clan dans le sens anthropologique
du terme - un groupe descendant théoriquement d'un ancêtre éponyme commun, c'est
ça la définition du clan en anthropologie. Non, politiquement parlant donc,
dans un sens opérationnel, l'appartenance à un clan, à mon sens - jusqu'en 94
du moins, j'ai des doutes sur la situation aujourd'hui - était devenue sans
pertinence ou quasiment sans pertinence. Et d'ailleurs les clivages rwandais,
je dirais, « court-circuitaient » les clans. Je m'explique. Tous les
clans rwandais sont multi-ethniques, aucun clan… il n'y a pas de clan Tutsi
ou de clan Hutu, de clan Twa, tous les clans sont tri-ethniques, sont Hutu,
Tutsi et Twa. Ce qui d'ailleurs est une indication d'une mobilité sociale entre
groupes ethniques considérables jadis de toute façon. Deuxièmement, on retrouve
les clans partout au pays. Donc, le clivage ethnique et le clivage régional
ne se retrouvent pas dans les clans. Il est vrai que certains clans sont davantage
représentés dans certaines parties du pays, mais ils sont partout. Donc, politiquement
parlant, opérationnellement, lorsqu'on situe la chose dans le cas d'un procès
comme celui-ci, je pense que les clans n'ont joué aucun rôle.
Le Président : Oui, Maître WAHIS.
Me. WAHIS : Une seconde question, Monsieur le président. Au
niveau du rôle de l'Église au point de vue social, au point de vue développement,
au niveau scolaire, médical etc. Quel est le rôle de l'Église au Rwanda ?
Filip REYNTJENS : Mais c'est un rôle extrêmement important. L'Église
a organisé quasiment pas l'ensemble mais organisé une très grande partie
de l'enseignement secondaire. Une partie aussi d'ailleurs de l'enseignement
primaire mais qui lui aussi était organisé par l'État et d'ailleurs également
au niveau communal. Mais donc, au niveau de l'enseignement, extrêmement important,
au niveau économique également. Imaginez-vous les monastères en Europe au Moyen-Age,
hein, ce sont des centres de production, même d'activités bancaires, les économats
généraux ; des missions jouaient un rôle de banque en situation d'absence
de banque. Les scieries, des ateliers mécaniques, des garages d'entretien pour
les véhicules, soins de santé, un certain nombre d'hôpitaux étaient sont toujours
d'ailleurs des hôpitaux gérés par les églises d'ailleurs, parce qu’il n'y
a pas que l'Église catholique romaine, il y a également des dénominations protestantes
qui ont déployé des activités extrêmement importantes au Rwanda.
Donc, c'est un acteur, je dirais, après l'État, l'acteur le plus
important, incontestablement et dans certains domaines, un acteur sans doute
plus important que l'État. Cela c'est d'ailleurs ce n'est pas exactement le
rôle joué par l'Église catholique en l'occurrence dans le développement que
je souligne ici mais également politiquement. Tant l'Église missionnaire avant
l'indépendance que l'Église rwandaise et la hiérarchie ecclésiastique rwandaise
ont toujours eu des liens assez étroits et parfois même très étroits avec le
pouvoir. Le pouvoir colonial, pas seulement au Rwanda… on évoque pour le Congo
belge la « trinité » État-Église-Entreprises qui ensemble, ont fait
cette grande œuvre civilisatrice. Mais politiquement par exemple, après l'indépendance,
l'archevêque de Kigali, Monseigneur NSENGIYUMVA, était jusqu'en 90 - juste avant
le début de la guerre, en vue d'une visite papale - était membre du comité central
du parti unique MRND. Ça exprime de façon très nette, la proximité qu'ils ont
entre ces élites qui avaient d'ailleurs - lorsqu'on évoque le développement
- qui avaient d'ailleurs, en termes de développement, des objectifs tout à fait
communs et qui se considéraient comme complémentaires et qui l'étaient.
Le Président : D'autres questions ? Maître WAHIS encore ?
Me. WAHIS : Oui, Monsieur le président. Au niveau de la mentalité
rwandaise, est-ce qu'il y a quelque chose de particulier par exemple dans le
sens de la vérité ?
Filip REYNTJENS : C'est une question bien posée, hein ! Parce que
vous ne suggérez rien ! C'est une question extrêmement difficile qui, elle aussi,
mériterait de longs développements, je ne vais pas les faire et je pense qu'il
faudrait peut-être d'ailleurs appeler d'autres témoins qui sont plus experts
que moi.
C'est une question difficile en plus parce qu'il y a beaucoup de
Rwandais dans cette salle, que j'ai moi beaucoup d'amis rwandais, et que je
vais devoir dire des choses qui ne sont pas toujours très agréables, mais en
fait eux le savent très bien et le disent eux-mêmes. Ce que nous appelons parfois…
ce que nous appelons « mentir », les Rwandais l'appellent souvent
« bien parler ». Bien parler, ça ne veut pas dire forcément de dire
la vérité. Mais c'est de dire quelque chose qui est utile pour la poursuite
de stratégie j'y reviendrai tout de suite et surtout bien parler signifie
ne pas être pris la main dans le sac lorsque l'on ne dit pas la vérité. Le locuteur
rwandais - et je ne parle pas uniquement des témoins devant un Tribunal, devant
une Cour - mais les Rwandais communiquent d'une façon qui est assez complexe
et qui n'est jamais, je dirais, immédiate. Je veux dire par-là, la communication
entre Rwandais, très souvent, est une communication stratégique. Celui qui pose
une question à un autre va se poser la question d'abord : « Est-ce
que je suis le supérieur hiérarchique ou inférieur hiérarchique de cette personne-là ? »,
et ce n'est pas dans le cadre d'une seule hiérarchie, globalement, socialement :
« Est-ce que je suis l'aîné social ou le cadet social ? ». Ça
détermine le comportement, ça détermine ce qu'on peut dire, ce qu'on peut répondre.
On me pose une question, je vais d'abord décider. C'est pour ça que ça prend
tellement de temps pour un Rwandais de répondre à une question simple, parce
qu'il doit d'abord rapidement faire le… il doit rapidement essayer de ramasser
tous les éléments du problème devant lequel il est confronté, et développer
une stratégie. Est-ce que celui qui me pose une question peut me faire du bien
ou du mal ? Est-ce qu'en donnant cette réponse, il va me faire du bien,
en revanche, si je donne cette réponse, il va peut-être me faire du mal, il
va me causer un tort.
Donc, en d'autres termes, la communication n'est pas une communication
immédiate, c'est une communication, je dirais, « médiate », parce
qu’elle sera influencée par un certain nombre de considérations d'ordre stratégique
d'avenir, déterminées notamment par la question de savoir ce que celui qui me
pose la question peut me faire, oui ou non : « Est-ce qu'il est en
position d'autorité, est-ce qu'il peut m'arrêter ? Est-ce qu'il peut me
chasser de mon boulot ? Est-ce qu'il a suffisamment d'influence pour convaincre
quelqu'un d'autre de me chasser de mon boulot et de m'enfermer ? Est-ce
qu'il peut à la rigueur me tuer ? ». Ça ce sont les questions auxquelles,
dans une situation normale de conversation hors génocide avant 90, les Rwandais
fonctionnaient. Il est évident, qu’en situation extrême, en situation d'extrême
violence où les conséquences d'une extrême violence… ce raisonnement devient
encore plus poignant.
Il y a un pasteur néerlandais qui a vécu, je ne sais pas, 40 ans,
je crois, au Rwanda, Monsieur OVERDULVE qui a écrit dans une revue missionnaire
qui malheureusement est assez mal diffusée, un article, il y a 2-3 ans, je crois ;
et je pense que le titre de l'article était « Fonction de la langue et
de la communication au Rwanda », et il développe mieux que moi je pourrais
le faire ce thème-là, et d'ailleurs il montre à quel point ceci peut avoir son
influence dans le cadre de procès et donc dans le cadre d'audition de témoins.
Parce que lorsque… il y a déjà celui qui pose la question, le président de la
Cour qui pose la question, et les témoins, mais donc, il y aura un positionnement
stratégique de la part du témoin rwandais. Mais entre le témoin rwandais ou
entre le président de la Cour excusez-moi, Monsieur le président et les
témoins rwandais, il y aura sans doute, dans certains cas, un interprète qui
sera Rwandais et qui va lui-même raisonner de façon stratégique.
Donc, c'est une… je pense qu’il faut bien se rendre compte mais
là je pense que la Cour aurait vraiment avantage à poser la question à quelqu'un
qui est plus expert que moi - c'est, je crois, une question qui est tout à fait
cruciale d'autant plus que « bien parler » est parfois le mensonge,
peut également être un mensonge organisé ; il y a eu et là les indications
sont nombreuses, et à mon sens, fiables il y a eu délation organisée au Rwanda.
Je n'ose pas prétendre que cette délation était organisée à l'occasion de ce
procès-ci, mais il y a eu au Rwanda des procès où la délation a été organisée,
où certains témoins à charge ont été payés pour témoigner dans un sens donné,
où les témoins à décharge ont été intimidés et n'ont pas osé témoigner. Il y
a récemment - et je suppose… puisqu'un journal de toute façon en a déjà fait
état - il y a quelques jours, la motion déposée par la défense de Monsieur
AYAKESU, condamné par le TPI pour faux témoignage… Si ce que le nouveau témoin
de la défense dit est vrai - c'est quand même un témoignage assez précis et
détaillé - si c'est vrai, il faudra en effet revoir ce procès parce qu'alors
ce serait une… comment dire… une machination absolument énorme.
Donc, en plus, ce jury, même cette Cour et ce jury sont confrontés
à des situations qui se sont produites à 7.000 kilomètres d'ici, confrontés
à ce, je dirais, ce problème de communication ne sachant, par exemple, ce qui…
comment des témoins ont été ou n'ont pas été conditionnés avant de venir ici.
Je pense qu'il faut - et ce n'est pas vraiment une réponse à la question mais
je pense que la suggestion se trouvait dans la question et je pense qu’il
faut être extrêmement vigilant, mais il faut également être prudent de ne pas
jeter l'enfant avec l'eau du bain, parce qu'il y a eu un génocide au Rwanda
et il y a des coupables, le génocide spontané ça n'existe pas. Donc, il y a
des coupables, des témoins doivent pouvoir témoigner. Donc, je pense que si,
d'une part, il faut être très vigilant, il faut, d'autre part, évidemment permettre
à ce que des témoignages soient versés au débat, parce que sinon il est absolument
impossible de déterminer judiciairement la vérité. Excusez-moi pour la dernière
partie de mon exposé parce que là j'étais en train de jouer au professeur plutôt
qu'au témoin, je crois.
Le Président : D'autres questions alors ? Maître LARDINOIS
et ensuite Maître BEAUTHIER.
Me. LARDINOIS : Je vous remercie, Monsieur le président. Peut-être
une première question… Je voudrais simplement que le témoin confirme qu'au regard
de l'élément pécuniaire, le passage d'un poste de ministre à celui de directeur
de la SORWAL est certainement une promotion ?
Le Président : Mais nous avons eu la réponse par Monsieur HIGANIRO
lui-même, hein ? Il nous a donné le montant des traitements de ministre
et de directeur de la SORWAL.
Filip REYNTJENS : Mais ça se trouve au Journal officiel, hein. Je
ne sais pas. Mais moi ça ne m'étonnerait pas que le traitement du directeur
de la SORWAL soit plus élevé que celui d'un ministre.
Me. LARDINOIS : Alors, une deuxième question, et je reviens à la
question relative à la réunion qui a eu lieu chez Monsieur HIGANIRO et ensuite
à la résidence de Monsieur le président défunt, Juvénal le témoin 32, donc, le
dimanche de Pâques 4 avril 94, réunion qui a précédé le voyage de Juvénal le témoin 32
et du président burundais à Gbadolite chez Monsieur MOBUTU. Je voulais savoir,
d'une part, si le témoin pouvait donner plus de précisions concernant cette
réunion, s'il en a d'autres puisqu'il fait état de ce que les personnes présentes
à cette réunion se sont insurgées lorsque le représentant des Nations Unies,
Monsieur BOOH-BOOH, a demandé l’application, la mise en place des institutions
de transition. Et d'autre part, est-ce qu'on peut considérer que la présence
de Monsieur Alphonse HIGANIRO à cette réunion, à un moment crucial, peut être
considérée comme la preuve qu'il a conservé un rôle, je dirais, l'oreille du
président, et un rôle influant au sein de l’Akazu ?
Filip REYNTJENS : Je commencerais par la dernière partie de votre
question. C'est j'ai parlé d'un faisceau d'indications c'est un des éléments
de ce faisceau, hein ; le président de la République ne va pas déjeuner
chez n'importe qui. Je veux dire - c'est un élément qui me fait dire - s'il
n'y avait que cela, je ne conclurais par l'appartenance de Monsieur HIGANIRO
à l’Akazu, c'est certainement un élément. J'ai à l'époque, mais là, c'est pour
ça que j'ai mes notes…
Le Président : Non, non, je suis désolé…
Filip REYNTJENS : Ah !
Le Président : Je suis désolé. Peut-être devant d’autres juridictions
c'est possible, mais hélas, tant que la loi n'aura pas été enfin elle est
votée, elle est publiée, mais n'est pas applicable à ce procès-ci - renvoyée
avant l'entrée en vigueur de la loi, les témoins ne peuvent pas disposer de
notes.
Filip REYNTJENS : Il n'y a pas de problèmes.
Le Président : Donc, euh… enfin… dans ce cas-là…
Filip REYNTJENS : Non, mais dans ce cas-là, je vais tout simplement
être flou et de toute façon, ce que je pourrais dire à ce sujet se trouve là-dedans
et je suppose qu'il n'est pas interdit aux parties de lire ce bouquin. Donc…
Le Président : Aux parties, non…
Filip REYNTJENS : Aux parties, non, hein. Euh… et bon j'aurais pu
l'apprendre par cœur avant de venir ici, bien évidemment. Non, il faut comprendre,
dans une recherche, quelqu'un va d'un thème à l'autre, maintenant je suis occupé
par autre chose que par les trois jours qui ont fait basculer l'histoire, donc,
euh… je n'ai pas le souvenir exact de ce que j'ai écrit dans ce bouquin. Euh…
tout ce que je peux vous dire, c'est que cette réunion a été organisée à la
demande, je crois, de Monsieur BOOH-BOOH, le représentant spécial du secrétaire
général de l'ONU. Et le récit de et maintenant je dois réfléchir je pense
qu'une des mes sources sur cette rencontre est évidemment ce Monsieur BOOH-BOOH
lui-même. Donc, j'ai interrogé Monsieur BOOH-BOOH au sujet de cette réunion
et lui m'a dit notamment qui était présent, de quoi il a été question. Je crois
- mais je n'en suis pas certain - je crois l'avoir interrogé par téléphone -
parce que je ne l'ai pas rencontré - mais avoir interrogé par téléphone Monsieur
HIGANIRO, qui était déjà en Belgique lorsque je faisais la recherche pour ce
livre ; que je l'ai interrogé - j'en suis en fait certain, de l'avoir interrogé
- au sujet de cette rencontre. Est-ce que j'ai d'autres sources ? Je ne
le pense pas, ce sont les deux sources.
Le Président : Qu'est-ce qui se discute à cette réunion ?
C'est simplement une visite de courtoisie ?
Filip REYNTJENS : Monsieur BOOH-BOOH voulait convaincre Monsieur
le témoin 32 de faire en sorte que l'accord d'Arusha soit appliqué. Il y avait
plusieurs choses à la fois. Donc, il y avait eu des réunions d'ambassadeurs
à Kigali, ambassadeurs d'un certain nombre de pays occidentaux à Kigali. Il
y avait en plus l'échéance ou la perspective assez rapprochée - et si mes souvenirs
sont bons, c'était pour le 5 avril - d'une décision qui devait être prise par
le Conseil de sécurité concernant la prolongation du mandat de la MINUAR et
donc BOOH-BOOH, probablement sur instructions du secrétaire général qui à l'époque
était BOUTROS-GALI, a essayé de convaincre… et je me rappelle des termes qu'il
a utilisés, il m'a dit qu'il avait utilisé des termes : « Faites un
geste historique et annoncez que vous allez mettre en place les institutions
prévues par l'accord d'Arusha ». Je signale - mais ça c'est sans lien,
peut-être pas sans lien, avec cette rencontre, ce n'est peut-être pas sans lien
avec la rencontre en fait - j'ajoute que le 6 avril, lorsque le matin le président
le témoin 32 part à Dar Es-Salaam, il annonce à son directeur de cabinet, Monsieur
RUHIGIRA, qu'il va annoncer que le 8 avril les institutions prévues par l'accord
d'Arusha seraient mises en place. Et là - évidemment le témoin 32 n'est pas mon
témoin, mais RUHIGIRA est mon témoin - et la preuve, c'est que RUHIGIRA attendait
le président de la République le soir du 6 avril à l'aéroport, parce qu'il avait
préparé le communiqué. Et il avait fait un mémo préparant le communiqué qui
serait lu ce soir même ou le lendemain à la radio, pour annoncer que le 8 avril
les institutions seraient mises en place. Donc, je n'exclus pas que le témoin 32
ait finalement fini par céder, notamment suite aux représentations faites par
Monsieur BOOH-BOOH lors de la rencontre à Gisenyi.
Le Président : Bien. Maître BEAUTHIER vous souhaitez poser une
question ?
Me. BEAUTHIER : Je serai bref. Simplement, il y a une question
qui m'oblige à revenir sur deux déclarations de Monsieur REYNTJENS qui connaît
très bien les choses, il est témoin, il est là souvent. Il a parlé à deux reprises,
et je cite ses mots : « Accès à des ressources et des privilèges »,
et on a l'impression qu'il avait envie de nous dire que, de plus en plus, ce
régime qui se recentrait autour de certains, devenait de plus en plus corrompu
ou à la limite de la corruption. Est-ce que vous avez noté au fil de vos voyages,
de vos visites que de plus en plus, on assistait à un régime particulier où
des gens s'accrochaient au pouvoir ? Il y avait le glissement ethnique,
il y avait la manière dont on érigeait l'autre comme ennemi, mais est ce que
vous ne croyez pas aussi qu'il y avait une manière pour le pouvoir, pour se
tenir en place, économiquement avec l'aide sans doute de l'étranger, de capter
de plus en plus d'argent ? Est-ce que ça se voyait ?
Filip REYNTJENS : Je crois que oui. Euh… le Rwanda était, lorsqu'on
le comparait à d'autres pays d'Afrique jusque vers 84-85, un pays au niveau,
soulevé par Maître BEAUTHIER, plutôt fréquentable. La gestion était je ne
dis pas qu'il n'y avait pas de fuite mais dieu sait s'il y a des fuites dans
d'autres pays, dont le nôtre. Euh… donc c'était… comparé à d'autres pays d'Afrique,
c'était une gestion qui était relativement saine. Je résiste à la tentation
de l'illustrer par l'une ou l'autre anecdote. Il y avait parfois des gendarmes
qui insistaient pour vous donner une quittance lorsqu'ils vous imposaient une
amende ; ça il y a beaucoup de pays d'Afrique où je n'ai jamais vu ça.
Il fallait que le quittancier soit vide maintenant je parle de fin des années
70 le quittancier était vide mais il y avait quand même 200 francs pour un
phare, 200 francs pour le klaxon etc. L'État avait besoin d'argent à la fin
du mois (l'État, pas l'individu) et le quittancier étant vide, il fallait promettre
de repasser le lendemain pour aller chercher le reçu, je veux dire c'est quand
même assez fort. Bon ! A partir de 84-85, l'illustration la plus forte en est
que Monsieur BIRARA qui était et que j'ai déjà cité qui était le gouverneur
de la Banque nationale, a démissionné en 84 parce qu'il estimait que le Rwanda
était en train de s'engager sur des voies qu'il appelait « zaïroises »
et on sait très bien ce que cela signifie. Je pense que ceci est devenu de plus
en plus grave et que… Je vais vous donner un exemple.
Un de mes anciens étudiants - et là je parle d'une situation dont
il aura dû me parler en 87 ou 88 un de mes anciens étudiants était directeur
général des douanes, en principe un poste qui permet de se, comment dire, de
se faire des à-côtés assez considérables, mais l'homme était est toujours
je crois tout à fait intègre. Un beau-frère du président le témoin 32 est venu
le voir, c'était Monsieur RWABUKUMBA qui gérait ou qui était propriétaire de
plusieurs entreprises mais notamment la centrale, et qui est venu voir le Monsieur
en question parce qu'il venait juste d'être nommé - et qui disait : « Félicitations
pour ta nomination et à part ça, tout continue comme avant, bien évidemment »,
et mon ancien étudiant, directeur général de la douane de poser la question :
« Mais ça veut dire quoi : ça continue comme avant ? ».
« Eh bien, c'est-à-dire que je ne paie pas d'impôts, ni droits d'entrée,
ni droits de sortie ». Donc, on était déjà fin des années 80, on avait
déjà atteint le niveau où un certain nombre de membres de l’Akazu si je peux
me permettre l'expression estimaient qu'ils étaient au-dessus de la loi.
Comme je l'ai dit en réponse à une question de Monsieur le président,
ce type d'activité serait devenue - à l'issue d'une transition démocratique
- serait devenue impossible, parce que la « clique » au pouvoir n'aurait
plus le pouvoir. Ce serait peut-être devenu une autre « clique » au
pouvoir, mais en tout cas, celle-là savait - et je pense qu'elle avait raison
- prévoyait de devoir au moins partager le pouvoir et probablement du perdre
ou de perdre la substance du pouvoir. Parce que n'oublions pas j'ai parlé
du bras armé de l’Akazu et j'ai surtout parlé de la garde présidentielle - mais
en fait les Forces armées rwandaises, en vertu de l'accord d'Arusha, allaient
être constituées pour 40 % des éléments de FPR, mais au niveau du commandement
- à partir du commandement de bataillon - 50/50.
Donc, en d'autres termes, ce levier-là l'armée disparaissait
également ou en tout cas on en perdait le contrôle. Je pense, pour répondre
à la question de Maître BEAUTHIER, que cette perspective-là - et c'est pour
ça que j'ai toujours dit et répété que ce conflit et cette violence, si on l'analyse
bien n'est pas ethnique essentiellement, mais est une violence politique, parce
que l'enjeu était le contrôle de l'État - cette perspective-là, de perdre ces
privilèges-là, a incité ce milieu-là dont je vous ai dit qu'il était déjà bien
identifié en septembre-octobre 92, a tenté de saborder le processus tant de
la démocratisation que des négociations d'Arusha puisque je vous ai dit que
l'accord d'Arusha a en fait abouti à une redistribution fondamentale des cartes
politiques.
Le Président : Bien. Euh… moi je veux bien, mais plus ça va longtemps,
moins on entendra de témoins. Nous avons un témoin cet après-midi qui vient
d'Allemagne. Nous avons Madame DESFORGES qui vient des États-Unis. Alors, ou
bien ce sont des questions auxquelles peut-être ce témoin seul est susceptible
de répondre ou bien vous pouvez avoir des réponses par d'autres témoins…
Filip REYNTJENS : Monsieur le président, si vous permettez, parce
que je suis évidemment tout à fait à la disposition de la justice et les témoins
sont les auxiliaires de la justice, il faut tout de même que je signale que
je suis président de mon institut à Anvers et qu'à 14 heures j'ai un conseil
de mon institut qu'en principe je dois diriger. Et puisque vous parlez d'Allemagne
et des États-Unis, moi je ne vis pas très loin, je vis à Anvers. Si jamais cette
Cour estimait qu'elle avait besoin de moi je serais tout à fait disposé à revenir.
Le Président : Ce ne serait pas avant le mois de mai vous savez
! Bien. Alors…
Me. CARLIER : Je voudrais me limiter à une question.
Le Président : Eh bien, allez-y Maître CARLIER.
Me. CARLIER : L'autre question étant la question générale que
nous avions posée à Madame BRAECKMAN. J'aurais voulu avoir un autre point de
vue aussi là-dessus, mais je crois que nous devrons nous en passer compte tenu
de l'heure. La question que je maintiendrais alors Monsieur le président, est
une question plus précise. Il sera question dans ce dossier, dans ce procès,
relativement à Monsieur NTEZIMANA, d'un texte qui s'appelle : « Les
Dix commandements. L'appel à la conscience des Bahutu » qui est
un texte appelant à la haine ethnique à l'égard des Tutsi. Je voudrais savoir
deux choses. D'une part, est-ce que le témoin a des informations sur l'origine
et les auteurs possibles de ce texte qui a été publié dans la revue extrémiste
« Kangura » dont il a parlé, et la deuxième question est de savoir,
compte tenu de ce qu'il a dit de Monsieur Vincent NTEZIMANA, quand il l'a rencontré
à cette émission de télévision en 1991, est-ce qu'il pense possible que Monsieur
Vincent NTEZIMANA serait l'un des auteurs de ce texte qui aurait été écrit,
semble-t-il, dans l'année 1990, soit un an avant cette émission ?
Le Président : 1. Avez-vous connaissance de ce texte ?
Filip REYNTJENS : Oui, bien sûr.
Le Président : 2. Avez-vous des informations quant à l'origine
ou quant aux auteurs de ce texte ?
Filip REYNTJENS : Je n'ai pas d'informations directes, mais à un
moment donné - et j'avais d'ailleurs à l'époque suggéré qu'on l'entende - il
est évident que Monsieur Vincent NGEZE, l'éditeur ou le directeur de la publication,
sait d'où vient le texte. Et je crois savoir - mais il ne me l’a pas dit directement
et donc c'est une source secondaire, qui doit être insuffisante pour former
l'opinion de la Cour - j'ai cru comprendre qu'il aurait dit que ce texte venait
du Nord-Kivu donc du Congo, où il y a une forte communauté Hutu dans la région
de Buango, Masisi, Walikale, Rutchuru. C'est tout ce que je puis dire à ce sujet-là.
En ce qui concerne… et il faudrait… Monsieur NGEZE est tout à fait joignable
puisqu'il est détenu à la prison d'Arusha dans l'attente de son procès, donc
il ne va pas aller nulle part, donc on pourrait lui poser la question. Euh…
je dois avouer que si on m'avait dit, après l'émission télévisée - et admettons
que ce soit août 91 - qu'on m'aurait dit que Monsieur NTEZIMANA était l'auteur
de ces deux textes, je ne l'aurais pas cru. C'était manifestement - en tout
cas en août 91 - c'était manifestement pas le type de discours qui était tenu
par Monsieur NTEZIMANA.
Le Président : Bien. Oui, Monsieur l'avocat. Maître NKUBANYI c'est
bien ça ?
Me. NKUBANYI : Je m'excuse d'insister un peu, parce que c'est
une question qui me semble très importante pour la suite des témoignages, parce
qu'il s'agit de la crédibilité des témoignages au sujet de la vérité ou non
qui serait dite par les Rwandais. Parce qu'ici le témoin, il a été professeur
de droit au Rwanda et je voulais savoir, à son avis l'importance de la preuve
testimoniale devant les Tribunaux rwandais, donc l'importance…
Le Président : Non, ça n'a vraiment pas d'intérêt parce que c'est
le problème de la preuve testimoniale ici qui est importante.
Me. NKUBANYI : Oui. C'est que…
Le Président : Alors, on peut évidemment faire du cours de droit
rwandais tout ce qu'on veut hein, Monsieur l'avocat, mais on a quatre personnes
à juger selon notre procédure, si vous voulez bien, je ne poserai pas la question.
Me. NKUBANYI : J’y renonce, Monsieur le président.
Le Président : Une autre question éventuellement importante, hein,
où dont on se dit que si nous n'avons plus Monsieur REYNTJENS sous la main,
on ne saura jamais y répondre. Maître CUYKENS ?
Me. CUYKENS : Oui, avec mes excuses, Monsieur le président, mais
je pense que le témoin est le plus compétent dans ce domaine. Est-ce qu'il peut
nous expliquer si la notion d'Interahamwe a connu une évolution dans sons sens,
parce qu'on sait que pendant les événements, Interahamwe signifie milicien qui
participe au génocide. Est-ce que ça a eu d'autres significations avant ou après ?
Le Président : Oui.
Filip REYNTJENS : Oui, tout à fait. Euh… donc dans son acception
stricte, Interahamwe - d'ailleurs le terme complet c'est « Interahamwe
za MRND » donc, les Interahamwe du MRND - Interahamwe signifie je ne
sais pas si on l'a déjà expliqué Interahamwe : « mettre un pas ensemble »,
intera : « le pas », hamwe : « ensemble ». Enfin
les Rwandais vont peut-être me corriger mais je pense que c'est bien ça ;
« Interahamwe za MRND », donc du MRND, tout comme d'autres partis
politiques avaient des mouvements de jeunes, « Inkuba » pour le MDR
par exemple, « foudre », ça fait des noms assez militants. Euh… ça
c'est le mouvement de jeunesse comme d'ailleurs il y a, à ma connaissance, des
jeunes PRL dans ce pays, c'est pas en soi punissable.
Le Président : Pas seulement…
Filip REYNTJENS : Et pas seulement le PRL, excusez-moi, je vous rassure
tout de suite je suis politiquement sans avis. Donc, j'ai pris n'importe quel
exemple. Euh… ces mouvements de jeunes, par la suite, sont devenus - et c'est
de nouveau un processus, il n'y a pas de nuits de cristal - euh… sont devenus
ceux qui faisaient le service d'ordre des démonstrations, sur la voie publique
par exemple. Pour protéger les manifestants contre les manifestants d'autres
partis ou, à la limite, pour de temps en temps taquiner ou attaquer les autres
partis. Euh… ensuite ils se sont armés de bâtons et de gourdins, et ensuite
des bâtons avec des clous et puis l'une ou l'autre machette. Donc, c'est un
processus. Certains je l'ai déjà évoqué certains Interahamwe za MRND - donc
pas des autres mouvements de jeunes - ont reçu un entraînement paramilitaire,
notamment et surtout au camp Gabiro, mais également, d'après moi, dans la forêt
de Nyungwe, organisé par l'État. Par exemple, ce sont des bus de l'ONATRACOM,
l'Office Public des Transports en Commun qui ont déplacé ces Interahamwe .
J'ai dit qu'il s'agit d'à peu près 1.700 à 2.000 Interahamwe qu'on appelait
parfois professionnels. Ça, c'est l'évolution du concept, du phénomène, Interahamwe
avant le génocide. A partir du génocide, tout celui qui tue s'appelle Interahamwe.
Ce ne sont pas seulement les membres des jeunesses du MRND qui tuent, ce sont
également les membres des ailes qui se sont rapprochés du MRND, des partis MDR,
PSD, PL et PDC et CDR bien évidemment, « Impuzamugambi » une autre
jeunesse. Mais également un simple passant qui s'inscrit dans la logique de
la violence et qui amène sa machette de chez lui et qui s'installe sur une barrière
comme beaucoup l'on fait sans être membre d'un quelconque mouvement de jeunesse.
Donc, en d'autres termes, le concept Interahamwe a connu une extension
énorme pendant le génocide. Tout ceux qui tuaient, tout ceux qui aidaient les
tueurs, tout ceux qui dénonçaient les cachettes de ceux qui devaient être tués,
en d'autres termes tous ceux qui se sont inscrits, physiquement, violemment,
dans ce projet génocidaire, on les appelait Interahamwe. Et pour vous illustrer
le caractère flou de ce type de concept - parce qu'il y en a beaucoup d'autres
qui sont flous - mais pour me limiter à celui-ci, est appelé Interahamwe aujourd'hui,
« tout celui qui s'oppose au pouvoir actuel au Rwanda », y compris
certains Tutsi qui ont fait défection, qui ont fui vers l'étranger, qui ont
fait des déclarations très hostiles à l'encontre du gouvernement et du FPR en
particulier. Hé bien, on les traite aujourd'hui - donc, des Tutsi dont certains
sont des rescapés du génocide - aujourd'hui sont traités d'Interahamwe. Donc
c'est un concept qui est… Ceux qui au Congo - parce que l'armée rwandaise est
très présente au Congo ceux qui au Congo combattent cette armée rwandaise
sont, d'une part, les Mayi-Mayi, guerriers congolais, mais tous ceux qui ne
sont pas Congolais et qui les combattent, on les appelle aujourd'hui Interahamwe.
Donc, je pense qu'il faut, lorsqu'on parle du terme Interahamwe, il faut savoir
à quel moment on situe la question parce que le concept a connu une extension
sémantique absolument énorme.
Le Président : Bien. Maître VANDERBECK.
Me. VANDERBECK : Merci, Monsieur le président, mais je voulais simplement
suggérer à la Cour, moi je suis tout à fait d'accord de renoncer provisoirement
à mes questions à l'adresse du témoin REYNTJENS, mais je souhaiterais, dans
la mesure où elles me semblent lui être destinées, pouvoir peut-être…
Le Président : Posez-la. On aura perdu déjà 30 secondes de moins.
Allez-y.
Me. VANDERBECK : Mais non, mais… Mais tout à l'heure, Monsieur REYNTJENS
faisait référence, et ça me semblait assez important, au témoignage qui était
donné dans le cadre d'un procès qui se déroule au TPI actuellement, procès à
charge de Monsieur AKAYESU au témoignage d'une personne. Je voudrais savoir
si nous pensons à la même personne, c'est-à-dire, est-ce qu'il s'agit de cet
ancien officier du FPR qui aurait témoigné - qui aurait, j'en parle au conditionnel
- qui aurait témoigné à l'occasion de ce procès de ce que lui, en tant que
FPR, il avait amené à créer des dossiers toutes pièces à charge de différentes
personnes, et notamment dans le dossier AKAYESU il aurait été amené à créer
un dossier qui n'existait pas, sur base de charges au départ tout à fait inexistantes
pour emmener Monsieur AKAYESU devant le TPI ?
Filip REYNTJENS : Je ne pense pas. Ce témoin-là, je ne connais pas
le nom du témoin parce que dans la motion déposée par les avocats de la défense,
le témoin est appelé « BBB » ; donc on utilise des lettres pour
garantir leur anonymat. De toute façon s'il ne s'agit pas d'après moi du témoin
auquel pense Maître VANDERBECK qui est le colonel HAKIZABERA, je crois. Et dans
ce cas-là, il ne s'agissait certainement pas de lui, non, il s'agit ici
d'un témoin - et c'est pour ça que c'est à mon sens important et assez poignant
- c'est un témoin Tutsi de la commune de Taba dont Monsieur AKAYESU était le
bourgmestre, qui relate en très grands détails - mais il faut vérifier, parce
que ceci aussi pourrait être une machination bien évidemment - mais qui relate
dans un très grand détail la façon dont, à l'issue de 5 ou de 6 réunions auxquelles
a participé par exemple, un inspecteur ou un officier de police judiciaire,
un représentant de l'association Ibuka, l'association des rescapés du génocide
Ibuka, et où on a monté sur 5 ou 6 réunions, de façon très détaillée, une énorme
conspiration qui a dû, si ceci est vrai, qui a de façon très efficace induit
le Tribunal international en erreur. Parce que dans ce cas-là, tous les témoignages,
enfin tous les témoignages, il y a d'ailleurs dans la motion également évidemment
une plainte en faux témoignage, et une demande de condamnation d'un certain
nombre de personnes deux je crois nommément citées dont Monsieur KARANGWA
qui était l'officier de police judiciaire et témoin V, témoin D, témoin etc.,
des témoins anonymes mais que manifestement la défense a pu identifier avec
l'aide de son témoin.
J'ai cité cela tout simplement parce que ceci montre et d'ailleurs
la délation et l'organisation de délation a même été reconnue par le FPR. Le
FPR a demandé à un moment donné il y a je crois deux ou trois ans de cela
lorsque Ibuka lançait une accusation à charge d'un candidat député de la préfecture
de Cyangugu, candidat député qui devait être installé pour le compte du FPR,
sur le quota du FPR, a lancé Ibuka. Cyangugu a lancé une campagne - à tort ou
à raison, moi je n'en ai aucune idée a lancé une campagne de délation et il
y a eu à l'époque un communiqué du FPR demandant au gouvernement de sévir contre
ceux qui lancent des fausses accusations et contre les syndicats de délation.
La ligue rwandaise LIPRODHOR ligue des droits de l'homme LIPRODHOR a dénoncé
les faux témoignages à charge, tout comme à décharge d'ailleurs. Il y a eu de
nombreux faux témoignages à charge et à décharge. J'ai cité ces exemples tout
simplement parce que j'ai un peu appelé à la vigilance là tout à l'heure.
Le Président : Bien. Plus de question. Les parties sont-elles
d'accord pour que le témoin se retire ? Monsieur le professeur, est-ce
bien les accusés ici présents dont vous avez voulu parler ? Persistez-vous
dans vos déclarations ?
Filip REYNTJENS : Oui.
Le Président : Vous pouvez enfin prendre la route pour Anvers
et vous rendre à la réunion.
Filip REYNTJENS : Merci, Monsieur le président.
Le Président : Bien. 13 heures
30. On avait demandé à Madame DESFORGES de venir à 13 heures 30. Nous n'allons
pas dîner aujourd'hui. Non, nous allons quand même interrompre… Nous sommes
désolés il faudra désolés pour Madame DESFORGES qui, si elle est là… Nous
allons suspendre jusqu'à 14 heures 30. Nous reprendrons à 14 heures 30 dans
une heure. Je demande quand même aux membres du jury, s'ils doivent prendre
des contacts avec leur famille notamment, à le faire parce que comme nous avons
un témoin qui vient d'Allemagne, que le témoignage de Madame DESFORGES prendra
quand même un certain temps, nous n'aurons pas fini à 5 heures ou à 5 heures
et demie, aujourd'hui. J'espère que Monsieur SEBUDANDI n'a peut-être pas grand
chose à dire, je ne sais pas, il n'y a peut-être pas beaucoup de questions à
lui poser, je l'ignore. Mais non, nous n'aurons pas fini à 5 heures ou 5 heures
et demie. 18 heures 30 ? Non, nous allons… écoutez, il faut quand même
qu'on se dégourdisse les jambes, qu'on mange, qu'on digère et qu'on puisse entendre,
sans s'endormir pendant la digestion, les témoignages. Donc, l'audience est
suspendue et reprend à 14 heures 30. |
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