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5.5.10. Témoin de contexte: Claudine VIDAL, historienne, sociologue
Le Président : Madame, quels
sont vos nom et prénom ?
Claudine VIDAL : Je m’appelle
Claudine VIDAL.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
Claudine VIDAL : Je suis née en
1937.
Le Président : Quelle est votre
profession ?
Claudine VIDAL : Je suis directeur
de recherche en sociologie au CNRS.
Le Président : Quelle est votre
commune de domicile ou de résidence ?
Claudine VIDAL : Sèvres, 92, en
France.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés avant les faits mis à leur charge, c’est-à-dire en gros avant le
mois d’avril 1994 ?
Claudine VIDAL : Je ne connais
aucun d’entre eux.
Le Président : Vous n’êtes donc
pas parente ou alliée des accusés ?
Claudine VIDAL : En aucune façon.
Le Président : Etes-vous parente
ou alliée des parties civiles ?
Claudine VIDAL : En aucune façon.
Le Président : Etes-vous attachée
au service des accusés ou des parties civiles ?
Claudine VIDAL : En aucune façon.
Le Président : Je vais vous demander,
Madame, de bien vouloir lever la main droite et de prêter le serment de témoin.
Claudine VIDAL : Je jure de parler
sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie,
vous pouvez vous asseoir, Madame. Madame, vous nous avez exposé il y a un instant
que vous étiez directeur ou directrice de recherche en sociologie au CNRS. Avez-vous
des connaissances particulières en ce qui concerne la société rwandaise ?
Claudine VIDAL : Oui, mon premier
travail, je suis africaniste, on nous appelle comme cela au CNRS et mon premier
travail de recherche a commencé au Rwanda en 1967 où j’ai travaillé plusieurs
années sur l’histoire du Rwanda, et notamment l’histoire précoloniale. Je connais
donc bien le Rwanda et la société rwandaise, au moins de cette époque, c’est-à-dire
de 1967 à 1974.
Le Président : Avez-vous fait
des recherches pour les périodes postérieures ?
Claudine VIDAL : J’ai fait des
recherches pour la période postérieure, à partir de 1990 et surtout 1994.
Le Président : Alors, des recherches
que vous avez effectuées, pouvez-vous éclairer la Cour et le jury sur peut-être
certaines conditions, qu’elles soient historiques, sociologiques, culturelles,
politiques, qui pourraient donner une explication à l’émergence des événements
qui vont débuter le 6 ou le 7 avril 1994 et donner lieu à un nombre important
de morts, sans que personnellement je ne qualifie ce dont il s’agit ?
Claudine VIDAL : Je voudrais exposer,
parler sur un thème relativement pointu mais c’est celui que je connais le mieux
en tant que personne ayant vécu au Rwanda plusieurs années, c’est-à-dire sur
l’implication des intellectuels et des gens éduqués dans la construction de
la haine anti-Tutsi au Rwanda. Car en effet, ceci m’a frappé, dès 1967, donc
dès l’année où j’ai commencé mes travaux. En même temps, et ceci, dans ma spécialité,
dans le travail que j’ai fait au Rwanda, j’ai été frappée de constater à quel
point une utilisation de l’histoire du Rwanda, une utilisation falsificatrice
a été sans arrêt mise en avant pour donne, si on peut dire, des assises séculaires
à ces sentiments de haine. Quand j’ai commencé en 1967 au Rwanda, l’atmosphère
était très lourde car, je fais un bref rappel, il y avait eu en 1963, des massacres
très graves et très importants de Tutsi. En 1963, il y avait eu une attaque
faite de l’extérieur par des « guérilleros » Tutsi en décembre 1963.
Cette attaque a été immédiatement suivie par des massacres très importants de
paysans Tutsi à l’intérieur et en même temps par l’exécution de notables Tutsi
plus connus. Donc, on voyait déjà une réaction que l’on verra beaucoup plus
à partir de 1990 : toute attaque de l’extérieur du Rwanda est répercutée
par des massacres de population Tutsi à l’intérieur.
En 1967, l’atmosphère était lourde. Le souvenir de ces massacres
pesait incontestablement. Or, moi je travaille sur les collines puisque je travaille
sur l’histoire du Rwanda et que j’ai besoin de reconstituer ce que l’on pouvait
savoir des relations entre Hutu et Tutsi. Ce travail était tout à fait possible
puisque vous vous souvenez, on l’a sans doute dit ici, les premiers européens
sont arrivés au Rwanda au début du 20e siècle, si bien que je m’entretenais
avec des personnes âgées, des vieillards qui étaient nés avant l’arrivée des
européens qui connaissaient donc bien tout ce registre. Or, je me suis aperçue
que sur les collines, le discours de haine entre Hutu et Tutsi était absolument
inexistant. Les paysans rwandais, âgés certes, racontaient les exactions qu’ils
avaient dû subir de la part de certains chefs Tutsi durant la colonisation mais…
euh, comment dirais-je… ne prolongeaient pas ces accusations individuelles en
termes de haine ethnique.
Par contre, les choses étaient différentes dans les milieux occidentalisés
et surtout les milieux, si je peux dire, les plus intellectualisés, les mieux
éduqués. En effet, c’était là que se divulguait, que se diffusait et se martelait
même une histoire du passé que j’ai appelée, moi, dans mes ouvrages, une histoire
ressentiment. On racontait, on martelait que les Tutsi étaient des envahisseurs
qui, il y a des siècles de cela, avaient envahi le Rwanda et mis la population
Hutu en coupe réglée. C’étaient donc des étrangers au Rwanda et des spoliateurs,
des profiteurs, etc. On racontait aussi que les Tutsi semaient la division parmi
les Hutu et c’est là que, en dehors des thèmes historiques, arrivent des thèmes
racistes sur… comment dirais-je… la malignité des Tutsi. Nous travaillons plusieurs
années. Le climat est lourd mais les choses sont tout de même calmes. Et je
répète qu’en milieu rural, le milieu rural c’était tout de même 90% de la population
à l’époque, mes recherches se passent très bien et le fait de parler ouvertement
de relations entre Tutsi et Hutu ne provoque aucune gêne et les gens me répondent
très précisément à toutes les questions que je leur pose autour de ces thèmes.
J’en arrive maintenant en 1973, au printemps 1973, et là, j’étais
à Butare. Commence une campagne anti-Tutsi très virulente. Elle consistait en
ceci : des comités de salut public se sont érigés dans les administrations,
à l’université, dans les écoles, pour chasser les Tutsi qui étaient employés.
Donc, les étudiants également, les élèves, les professeurs, même des européens
qui employaient un boy Tutsi ont pu être sommés de chasser leurs boys. J’étais
stupéfaite de voir - et d’entendre puisqu’à ce moment-là je suis intervenue,
j’ai parlé, j’ai discuté avec beaucoup de personnes, notamment des étudiants
- de voir la virulence anti-Tutsi des discours qui se tenaient, notamment au
niveau de l’université. Or, c’étaient des étudiants qui avaient une vingtaine
d’années et qui donc n’avaient certainement pas pu en 1967, souffrir de ce qu’ils
appelaient la féodalité Tutsi. Ils étaient beaucoup trop jeunes et en même temps
cette féodalité Tutsi était un des grands thèmes ; je leur rappelais qu’à
l’époque c’était le colonisateur belge qui gérait le Rwanda et que si les paysans
avaient dû souffrir d’exécuter les corvées, c’étaient les colonisateurs qui
leur faisaient, qui exigeaient ces corvées, ce n’était pas la féodalité Tutsi.
Mais rien n’y faisait. On avait un discours de langue de bois complet
et une espèce de joie effectivement à faire chasser leurs collègues Tutsi. Je
vais donner tout de suite une double précision. C’est que, d’une part, les extrémistes
se recrutaient dans les milieux éduqués, occidentalisés mais je suis loin de
dire que tout le monde était ainsi dans ces milieux. Il y avait une part d’extrémistes
et une part de gens qui regrettaient beaucoup ces événements et ces brutalités
à l’égard de leurs collègues Tutsi. Je précise aussi que dans la petite ville
de Butare qui était vraiment une ville minuscule à l’époque, comme à Kigali
aussi où je suis allée voir, les petites gens de la ville, les petits citadins,
donc les petits commerçants, les gens du marché, les boys, les gardiens, ces
gens-là étaient contre ces mouvements et ne le comprenaient pas. Quant à la
paysannerie où je suis également allée voir ce qu’ils en pensaient, ils étaient
également complètement contre ou n’en comprenaient pas du tout la logique. On
sait comment ces événements ont fini. En fait, c’était effectivement un mouvement
qui partait du haut, qui avait été organisé par des leaders politiques cherchant
à déstabiliser le Rwanda et tout ceci a fini par un coup d’état en juillet,
et le général le témoin 32 a pris le pouvoir.
Personnellement, j’ai quitté le Rwanda pour n’y revenir que beaucoup
plus tard, tout simplement parce que j’avais été tout de même indignée par ce
que j’avais vu en 1973. A ce moment, de nombreux Tutsi que je connaissais, des
jeunes gens, ont quitté le Rwanda. Une vague d’émigration de rwandais Tutsi,
à cette époque. Elle était même assez nombreuse pour qu’ils se soient surnommés
entre eux les « soixante-treizards » plus tard. Je ne pouvais pas
revenir travailler dans un pays avec des collègues qui excitaient effectivement
aux mots d’ordre haineux, aux mots d’ordre raciste. J’ai continué à travailler
sur le Rwanda et à publier beaucoup puisque, historienne, j’avais récupéré,
enregistré beaucoup de matériaux historiques et j’ai publié beaucoup de choses
d’histoire. Pendant les 17 ans qui se sont passés, je suivais naturellement
avec beaucoup d’intérêt toutes les publications qui avaient lieu à l’université
rwandaise. Or, j’ai constaté que pendant les 17 années où effectivement au Rwanda
les mots d’ordre anti-Tutsi avaient cessé d’être publics, il n’y avait plus
d’incitation aux massacres comme ce que j’avais pu entendre en 1973. Il s’est
tout de même développé une histoire du Rwanda avec de bons historiens rwandais,
et notamment de bons historiens rwandais d’origine Hutu.
Donc, cette histoire du Rwanda qui allait contre les mythes manipulés
par les extrémistes existait, au Rwanda. Cette histoire, que disait-elle en
quelques mots ? Je ne suis pas là pour faire un cours d’histoire ;
elle disait qu’on ne pouvait pas savoir qui est arrivé au Rwanda des premiers,
que ce soient les Tutsi ou les Hutu, ce que je confirme complètement. Un historien
est quelqu’un comme Saint-Thomas, il ne croit que ce qu’il voit, c’est-à-dire
il a un document ou il n’en a pas. Or, les documents que nous pouvons, nous,
rassembler sur le Rwanda, datent à peu près de la fin du 18e siècle.
Or, à la fin du 18e siècle, les documents d’histoire orale que nous
avons prouvent la coexistence de Tutsi et de Hutu. Avant, lesquels sont arrivés
les premiers ou les seconds, on ne peut absolument pas le savoir. Mais, deux
siècles avant l’arrivée des européens, les deux sont là, les deux ont défriché
ensemble, attestaient tous nos documents, tout ce que nous avons pu faire. Des
historiens rwandais, je citerais par exemple Monsieur, il est décédé, Emmanuel
NTEZIMANA, avait fait des recherches absolument excellentes sur toute cette
histoire. Donc, on pouvait au Rwanda même, connaître une histoire du Rwanda
qui ne soit pas une histoire falsifiée.
Dès l’attaque menée par le FPR en octobre 1990 contre le Rwanda,
j’ai repris mes études du présent rwandais, pas seulement de l’histoire et j’ai
cherché à savoir ce qui se passait, ce qui se publiait ; j’ai discuté avec
beaucoup de Rwandais en Europe. J’étais étonnée de voir que le discours historique
falsificateur et haineux reprenait, comme en 1973, comme si entre-temps aucune
histoire, aucun progrès de la connaissance n’avaient été enregistrés et reprenait
chez des universitaires, chez des intellectuels. Ainsi, par exemple, en 1991,
l’université du Rwanda, au campus de Ruhengeri, a sorti un ouvrage sur les relations
interethniques à la lumière de l’invasion d’octobre 1990. Une partie de ces
articles niait totalement les progrès de la connaissance sur l’histoire du Rwanda
et revenait sur ce discours stéréotypé. Il y en a eu de bien pires après, c’est-à-dire
qu’on se rendait compte qu’en fait le discours qui avait été créé et mené dans
les comités d’épuration anti-Tutsi de 1973, était repris en 1990 et souvent
inspiré d’ailleurs par les mêmes.
Là encore, on se rend compte que dans le milieu des intellectuels,
tous ne marchaient pas tout de même de ce pas. Il y a eu des gens, comme par
exemple cet historien dont je vous parlais tout à l’heure, il a été fondateur
de l’ADL, une Association de Défense des droits de L’homme qui, en 1992, avait
fait une grande enquête dénonçant les massacres des Tutsi. Il y a eu quelqu’un
comme François-Xavier NSANZUWERA, par exemple, un juriste qui, en 1993, a écrit
un livre assez long et très sévère vis-à-vis de la justice rwandaise et de l’impunité
dans laquelle elle laissait les auteurs de meurtres racistes. Il y a eu par
exemple le témoin 58 qui, excusez-moi je ne sais plus si c’est fin 1992
ou début, je crois que c’est en 1992, a écrit une lettre ouverte célèbre où
il dénonçait ce qui se passait au Rwanda et disait qu’il se démettait de ses
charges à l’ORINFOR car il ne voulait pas être complice de criminels, ce qui
était à l’époque extrêmement courageux, il a d’ailleurs quitté le Rwanda. Or,
ce le témoin 58 était le demi-frère d’un autre intellectuel appelé Léon
MUGESERA et qui a été l’auteur d’un discours appelant à la haine contre les
Tutsi, voire à plus, la même année.
Vous voyez que le monde intellectuel n’était pas obligé de marcher
dans la haine et les invitations aux violences contre les Tutsi. Il reste que
beaucoup d’entre eux l’ont fait et je me suis toujours demandé pourquoi. Alors,
on se pose souvent une question un peu naïve, on se demande : « Mais
enfin, est-ce qu’ils y croient ? Est-ce que tout de même, tel intellectuel
peut écrire des bêtises sur l’histoire du Rwanda énormes ? Est-ce
qu’il peut faire des appels à la haine aussi bas ? ». En fait, c’est
une question qui finalement est un peu psychologique mais n’a pas beaucoup de
sens. En fait, la meilleure question était de se demander : « Quel
intérêt y ont-ils ? ». Or, il est vrai que des universitaires au Rwanda
sont des gens qui n’ont pas accès à beaucoup de privilèges, qu’ils soient financiers
ou qu’ils soient politiques ou d’influence, s’ils ne sont pas bien avec l’appareil
politique. Il semble bien que beaucoup de ces gens qui ont signé des choses
invraisemblables, à mon avis, se sont dévoyés, je maintiens ce terme, pour obtenir
des positions, pour être bien vus de tel segment du pouvoir ou même du pouvoir
présidentiel. D’autres se sont tus et il y en a eu tout de même beaucoup, ce
qui représentait tout de même une forme de résistance réelle car ceux qui n’entraient
pas dans ce concert n’étaient tout de même pas très bien vus et en tout cas
ne risquaient sûrement pas d’obtenir de l’avancement. Et il y a eu quelques-uns,
j’en ai cité, mais il y en a eu d’autres qui ont pris des positions courageuses.
Je pense que je vais m’arrêter là et que maintenant je pourrais mieux éclaircir
les choses par les questions qu’on me posera.
Le Président : Si je comprends
bien, il n’y a en tout cas pas de déterminisme quelconque à partir du 6 avril
1994 à ce que des choses aussi horribles que celles qui se sont passées n’arrivent ?
Claudine VIDAL : Non. Non, il
n’y a pas de déterminisme historique. Il y a des phénomènes politiques. Ce qui
s’est passé au Rwanda comme il s’est passé ailleurs d’ailleurs dans ce genre
de massacres, il n’y a pas de massacres spontanés de cette envergure. Il faut
des dirigeants, il faut une organisation et il faut aussi, et c’est là où j’en
veux beaucoup à mes collègues rwandais qui sont entrés là-dedans, il faut aussi
des mots d’ordre. Il faut savoir que ces intellectuels avaient de l’influence
et que quand ils lançaient des mots d’ordre de cette nature, effectivement,
sur des gens beaucoup moins cultivés, sur des gens illettrés, cela a beaucoup
d’importance, beaucoup plus d’importance que cela pourrait en avoir en Europe.
On dit que si c’est un professeur qui le dit, quand même…
Le Président : Cela nécessite
aussi que l’on dise les choses dans un langage compréhensible par le paysan
sur sa colline, par le petit artisan dans la ville ou le petit commerçant de
Butare ?
Claudine VIDAL : Bien sûr. Là,
on peut aussi se reporter, depuis que je travaille sur ce qui s’est passé depuis
1990, je travaille beaucoup en même temps sur l’histoire de l’Europe et sur
une certaine histoire de l’Europe, celle du génocide des Juifs. On a vu combien
des intellectuels, raffinés par ailleurs, ont su écrire dans la presse européenne
des appels au meurtre des Juifs écrits dans une langue tout à fait populaire
et compréhensible par des gens peu instruits. Les intellectuels rwandais ont
su faire tout à fait la même chose.
Le Président : Avez-vous, dans
vos recherches notamment, trouvé que des termes du langage commun pouvaient
avoir, en 1990 ou en 1994, un sens bien plus particulier que le sens commun
lorsqu’on utilisait des termes comme « travailler », comme « nettoyer » ?
Je ne sais pas si vous avez, dans vos recherches, abordé ce problème ?
Claudine VIDAL : Je me débrouille
en kinyarwanda mais pas assez quand même pour entrer dans des précisions linguistiques.
Alors là, je préfère ne pas trop entrer là-dedans mais en dehors de termes que
l’on a dit codés et qui l’étaient peut-être, il y a eu aussi tout simplement
des dénonciations des Tutsi qui étaient très claires et notamment, avant avril
1994, et notamment celles qui consistaient à assimiler les Tutsi de l’intérieur
au FPR. On retrouve les logiques qui existaient, dès 1963. En 1963, on assimilait
les Tutsi de l’intérieur à ceux qui attaquaient le Rwanda de l’extérieur et
dans ces discours qui ont été faits au Rwanda à partir de 1990, ceci a été clairement
dit, nullement codé.
Le Président : Il y a eu une assimilation
qui a même été plus loin, la définition de l’ennemi dans certains documents
dits confidentiels mais, si je ne m’abuse, retrouvés notamment au ministère
de la défense, l’ennemi a été défini comme le Tutsi et même pas comme le FPR,
d’après ce que j’ai lu et on assimile aussi à l’ennemi le Hutu…
Claudine VIDAL : Le Hutu qui protège
ou même tout simplement ne cherche pas à éliminer le Tutsi. Vous faites sans
doute allusion aux documents de l’état-major qui a été produit dans l’enquête
internationale de 1993 ?
Le Président : Notamment.
Claudine VIDAL : Là, c’était un
document secret tout de même. Mais il y a eu des discours dans la presse clairs
qui assimilaient l’envahisseur FPR aux Tutsi de l’intérieur.
Le Président : Bien. Y a-t-il
des questions de la part des membres du jury ? De la part des parties ?
Monsieur l’avocat général ? Des parties civiles ? Maître GILLET ?
Maître RAMBOER par la suite ?
Me. GILLET : Oui, Monsieur le
président. J’aimerais souhaiter avoir quelques précisions de la part du témoin
sur le statut de l’intellectuel dans la société rwandaise, d’une part, et sur
la capacité d’influence dans le contexte que le témoin a décrit d’intellectuels
qui se seraient mobilisés contre ce qui se passait. Est-ce qu’il était possible,
moyennant une mobilisation des intellectuels ou de certains intellectuels, ceux
qui ne partageaient pas les visions véhiculées par le régime de l’époque, est-ce
qu’il était possible d’aller contre le cours des choses ?
Le Président : Donc, double question.
La place de l’intellectuel ou des intellectuels dans la société rwandaise ?
Y avait-il possibilité, pour les intellectuels qui n’auraient pas partagé les
vues du pouvoir, de faire basculer le cours des choses, de changer le cours
des choses ?
Claudine VIDAL : Les intellectuels
avaient une place ambiguë dans la société rwandaise. Par rapport à ces fameux
90% de la population rurale, ce sont effectivement des gens d’importance parce
qu’ils ont fait des études, parce que quand on vient les voir, ils sont dans
une villa, ils passent pour des gens riches, influents et ils ont de l’influence.
Par contre, quand on examine leur position par rapport à l’appareil politique
et à l’appareil des puissants au Rwanda, et beaucoup plus bien sûr en 1990 qu’avant
1973, ils ont de l’influence à condition d’être liés au monde des dominants
et beaucoup d’entre eux, je pense qu’il y a eu beaucoup de recherches faites
là-dessus par les différents tribunaux et aussi par les historiens, et beaucoup
en fait de ces intellectuels sont liés par mariage, par des liaisons dans des
organismes semi-publics ou bien en occupant des positions dans les partis politiques,
sont liés à ces dominants. S’ils ne sont pas dans de telles positions, effectivement
ils n’ont pas, vis-à-vis de ce groupe de dominants, le pouvoir que sans doute
on leur prête dans le milieu rural. Mais, ce sont des gens dont la parole compte
incontestablement.
Maintenant, le rôle des intellectuels pour s’opposer aux massacres ?
Tout dépend tout de même de la période considérée. Certains, je l’ai rappelé
tout à l’heure, les ont dénoncés dès 1990. Il faut se rappeler que le premier
massacre de Tutsi en riposte à l’invasion du FPR, a eu lieu le 10 octobre,
à Kibilira, 10 jours après l’invasion. Ceux-là ont certainement pu avoir de
l’influence. Mais, à mesure que la violence grandissait, il est certain que
ces intellectuels, ceux qui pouvaient s’opposer avec efficacité à ces massacres,
étaient ceux qui avaient un rapport avec les organismes politiques, avec les
partis. Or, j’ai constaté que beaucoup d’entre eux se sont effectivement, à
partir du multipartisme, opposés au régime le témoin 32, se sont opposés au FPR
mais peu d’entre eux ont pris directement des positions claires sur ce qui se
commettait à l’encontre des Tutsi.
Le Président : Par ailleurs, lorsqu’ils
n’étaient pas dans la sphère du pouvoir, avaient-ils accès aux moyens de communication
vers l’extérieur, vers le public, la radio nationale, la radio des Mille Collines,
si on n’était pas proche du pouvoir, est-ce qu’on y avait accès ?
Claudine VIDAL : Eh bien, là je ne suis pas du tout témoin de faits
par rapport à cette période. Mais, j’ai le sentiment que les choses étaient
tout de même très contrôlées, que le discours était quand même contrôlé puisque,
par exemple, le témoin 58 était directeur de l’ORINFOR quand il a démissionné en 1992
et il a démissionné, je l’ai dit tout à l’heure, de manière tout à fait éclatante
en disant qu’il ne voulait pas continuer à travailler avec des criminels. Alors,
si le directeur de l’ORINFOR est obligé de démissionner, j’imagine qu’il n’était
pas très commode pour les autres de venir s’exprimer publiquement dans ces médias-là.
Le Président : Vous pouvez dire
ce que c’est l’ORINFOR ?
Claudine VIDAL : C’était… je ne
sais plus très bien ce que veut dire ce sigle.
Le Président : Quel était son
rôle ?
Claudine VIDAL : Son rôle, c’était
la radio d’Etat.
Le Président : D’autres questions
encore Maître GILLET ?
Me. GILLET : En rapport direct,
Monsieur le président, avec ce que le témoin vient de dire. Vraiment, je ne
sais pas du tout si le témoin pourra en parler parce que, d’après sa littérature,
c’était un tout petit peu moins son domaine mais c’est quand même lié. Effectivement,
on constate que des intellectuels s’opposent au pouvoir en place, aux violences
des milices à l’égard des membres des partis, mais ne s’opposent pas aux massacres
comme tels, au sort qui est réservé à la population civile et c’est vraiment
une interrogation que j’ai depuis longtemps, et notamment en rapport avec ce
dossier-ci particulier et un des accusés, c’est de savoir comment cela fonctionne
dans l’esprit de ces intellectuels qui profitent de l’espace démocratique qui
se crée pour se créer un champ politique dans des partis d’opposition, qui s’oppose
violemment au régime mais qui à la fois semble ne pas s’intéresser aux massacres
des populations civiles.
Le Président : Avez-vous une réponse
à cette interrogation ?
Claudine VIDAL : Si vous voulez,
un peu comme historienne, je ne cherche pas trop à me mettre dans la tête des
gens mais je cherche plutôt à construire leurs positions les unes par rapport
aux autres et à voir effectivement quels sont leurs intérêts et ce que leur
apportent en maléfique ou en bénéfique, leurs positions. Par exemple, si j’observe
les prises de position extrêmement courageuses de François-Xavier NSANZUWERA
à une certaine époque, on sait que quand le génocide a commencé le 7 avril 1994,
il a pu heureusement se rendre et se cacher à l’hôtel des Mille Collines sans
quoi sa vie était en danger. Il a d’ailleurs failli être tué une première fois
à une première tentative de sortie de l’hôtel des Mille Collines. Lui-même avait
énormément d’ennuis à cette époque. En revanche, d’autres collègues de François-Xavier
NSANZUWERA ou bien du témoin 58 ou de cet historien qui s’appelait RUMIYA, eux n’avaient
absolument pas ces ennuis-là et se trouvaient bien considérés de l’appareil
politique. Et d’autres aussi, il faut le dire, et ce sont, je pense, les plus
nombreux, sont restés silencieux, enfin n’ont pas effectivement abondé dans
le sens de la haine contre les Tutsi, mais n’ont effectivement pas dénoncé très
ouvertement.
Le Président : Maître RAMBOER ?
Me. RAMBOER : Je vous remercie,
Monsieur le président. J’aimerais, parce qu’on parle des intellectuels, il y
a quand même au Rwanda toute une classe, je dirais, d’intellectuels qui est
liée à l’Eglise catholique, donc, je pense au clergé moi aussi et aux supérieurs
hiérarchiques dans l’Eglise, justement à ce sujet, quel était leur discours
en ce qui concerne le problème Hutu et Tutsi ? Peut-être une deuxième question
à ce sujet, est-ce que Madame qui est historienne peut nous éclairer sur justement
le rôle tenu par l’Eglise au moment du renversement des alliances, donc, pendant
la fameuse révolution sociale de 1959 jusqu’en 1962 ?
Le Président : Deux questions.
Le discours des intellectuels attachés à l’Eglise, qu’ils soient de la hiérarchie
de l’Eglise et plus particulièrement puisque, semble-t-il, cela représentait
un grand nombre de la population de l’Eglise catholique, que ce soit la hiérarchie
ou des gens plus près du peuple mais qui pouvaient être considérés comme des
intellectuels comme les prêtres notamment. Quel est leur discours à l’égard
du problème haine raciale Tutsi-Hutu ? Deuxième question, je l’ai déjà
oubliée, Maître RAMBOER.
Me. RAMBOER : C’est surtout la
question de renversement des alliances !
Le Président : Le rôle de l’Eglise
dans le renversement des alliances sur le plan historique.
Claudine VIDAL : Je pense que
c’est une histoire très complexe que celle de l’Eglise catholique rwandaise
et de ses rapports politiques avec les pouvoirs. Je connais bien cette histoire
au moment de la colonisation, c’est-à-dire mettons dans le premier demi-siècle
parce que l’Eglise, là, a une importance très grande, notamment dans le choix
qu’a fait le mandataire belge de s’appuyer, pour mettre en place une administration,
exclusivement sur des éléments Tutsi et même sur des éléments Tutsi recrutés
dans les lignages d’origine royale. Cette politique aurait pu être différente,
effectivement, elle a été tout à fait encouragée par l’Eglise, il y a eu des
textes abondamment cités, de responsables de cette Eglise, de responsables européens
disant qu’il faut s’appuyer sur les Tutsi, ce que le mandataire belge a
fait, d’une part, en conservant les apparences de la monarchie, car la thèse
qui veut que la féodalité continuait durant la colonisation est évidemment complètement
aberrante.
Donc, le système administratif conservait les apparences de la royauté
mais était très bien contrôlé par l’administration belge. Alors, l’Eglise avait
incontestablement encouragé ceci. Bien entendu, il s’en était produit des injustices
criantes, notamment en ce qui concerne les gens éduqués au Rwanda, donc les
Hutu aussi. Et l’Eglise avait formé de nombreux séminaristes Hutu et ce sont
ces séminaristes que l’on retrouvera avant l’indépendance, protester contre
la mainmise d’une minorité Tutsi sur l’ensemble de l’appareil administratif
et ces gens-là voyaient bien que si la décolonisation se faisait avec ce même
appareil, les gens éduqués Hutu n’auraient jamais accès à des postes de pouvoir.
Le terme de renversement d’alliance me paraît brutal, enfin les choses ont été
compliquées. Mais il est vrai que l’Eglise a montré que dans l’appareil administratif,
il y avait une injustice flagrante. Il était dominé par des gens d’origine Tutsi.
Mais il n’y a jamais eu à cette époque, ni plus tard d’ailleurs, ni jusqu’en
1973, du moins à ma connaissance, des textes appelant à la haine, ces textes-là
émanant de clergés rwandais. Je n’ai pas personnellement vu de textes de cet
ordre. Mais la chose écrite au Rwanda est importante mais ce n’est pas la plus
importante, et de loin, dans un pays où il y a énormément d’illettrés.
Ce qu’il faut savoir après, c’est ce qui se passe dans les missions,
dans les écoles contrôlées par l’Eglise. En 1990 et avant, mais là j’ai repris
des études sur ce qui se passait en 1990, il faut savoir que l’Eglise, comme
le reste du pays, était extrêmement contrôlée, noyautée par le MRND, c’est-à-dire
par le parti unique de l’époque. Là, ce sont des prêtres rwandais qui me l’on
raconté et qui même l’ont écrit notamment dans un numéro spécial des « Temps
modernes » que j’avais édité en 1995, la hiérarchie catholique dans une
mission, dans une institution enseignante, etc., était également celle du MRND,
c’est-à-dire que le MRND avait ses cellules à l’intérieur même des organismes
religieux, c’est dire si eux aussi étaient contrôlés. Par exemple, on demandait
aux écoles religieuses d’appliquer les quotas pour l’admission des élèves Tutsi
ou Hutu. Or, ces quotas qui s’appliquaient plus ou moins d’ailleurs partout
au Rwanda n’ont jamais été l’objet de loi, n’ont jamais été dans la Constitution
mais c’était une pratique qui avait, si je peux dire, force de loi. Cela s’appliquait
dans certains cas et pas dans d’autres, tout dépendait un peu de la personnalité
aussi des religieux qui s’occupaient de ces choses. Néanmoins, le père Modeste
qui est décédé maintenant et qui a écrit dans les Temps modernes disait - il
était d’origine Tutsi disait qu’il était très difficile tout de même de contrecarrer
les mots d’ordre du MRND à l’intérieur de l’institution religieuse.
Le Président : D’autres questions ?
Maître VANDERBECK ?
Me. VANDERBECK : Je vous remercie,
Monsieur le président. Je voudrais plutôt que vous puissiez poser une question
qui fait plutôt appel aux qualités de sociologue africaniste du témoin qui a,
semble-t-il, étudié le milieu rural rwandais pour qu’elle puisse nous dire éventuellement
ce qu’elle considère être l’incidence des divisions administratives de la vie
sur les collines, sur le tissu social rwandais et sur-le-champ relationnel des
gens, à quoi se limite-t-il ou à quoi s’étend-il ?
Le Président : Oui.
Claudine VIDAL : Il y a certainement
une énorme différence entre le milieu rural rwandais qui existait en 1990 et
celui que j’ai connu, moi, au début des années 1970. D’abord, le contrôle politique
au début des années 1970, du milieu rural, était incontestablement moins rigoureux
qu’il l’a été après. Le régime le témoin 42 était incontestablement un régime autoritaire
mais qui ne s’était pas encore donné les moyens de contrôler très finement la
population, alors que le régime le témoin 32, lui, se les était donnés. Il est
certain que la division des communes en secteurs, puis en cellules, a pu permettre
de contrôler beaucoup plus strictement la population rurale et donc de faire
passer des mots d’ordre. N’ayant donc pas enquêté dans les années 1990 moi-même
en milieu rural, je ne peux pas aller plus loin dans ma réponse.
Le Président : Est-ce que
vous pouvez peut-être quand même éclairer sur le problème de la relation dominant/dominé,
maître/serviteur, une sorte de lien peut-être un peu particulier ?
Claudine VIDAL : Le Rwanda est
un pays extraordinairement inégalitaire où le système hiérarchique a une importance
très profonde qui va jusque dans l’intimité et la constitution mentale des gens.
C’était vrai du Rwanda précolonial et du Rwanda du début des années 1960 sur
lequel j’ai travaillé, mais il faut bien voir que cela n’était pas seulement
- et là je retravaille contre les mythes qui ont été développés sur l’histoire
du Rwanda - ce n’est pas seulement le roi et ses chefs Tutsi, c’est aussi les
sous-chefs, c’est aussi les riches, c’est aussi le chef de lignage et c’est
aussi le père sur ses enfants. Il y a toute une délégation de hiérarchie et
d’inégalités très puissantes du mari vis-à-vis de la femme si bien que vous
avez toute une cascade d’obéissances. Se rebeller contre ce système d’autorité
était anciennement considéré comme aller contre le bien-être du Rwanda. On tuait
des gens parce qu’ils étaient rebelles, il y avait un mot pour cela parce qu’en
se montrant rebelle à l’autorité consacrée, qu’elle soit celle de son chef de
lignage, qu’elle soit celle du chef, qu’elle soit celle du roi, etc., on mettait
en danger mystiquement le bien-être du Rwanda. C’est vous dire si l’autorité
avait des assises fortes aussi bien sociales que politiques que sacrées. Dans
le Rwanda que j’ai connu du début des années 1970, ces rapports d’autorité étaient
encore tout aussi prééminents. Et je n’ai pas du tout l’impression qu’ils aient
diminué du moins dans la société rurale au début des années 1990. Néanmoins,
dans les milieux occidentalisés qui se sont élargis à l’époque, le Rwanda s’est
tout de même urbanisé, on l’a vu au moment du multipartisme, il y a eu tout
de même des mouvements anti-autoritaires, il y a eu des manifestations, par
exemple des choses auxquelles on ne se serait jamais attendu auparavant, mais
cela a été extrêmement réduit.
Le Président : D’autres questions ?
Oui, Maître VERGAUWEN ?
Me. VERGAUWEN : Je vous remercie,
Monsieur le président. Le témoin nous a parlé à l’instant, à propos des milieux
religieux, de l’influence du parti du MRND dans les milieux religieux. Est-ce
que, à la connaissance du témoin, il y aurait eu des religieux, des individus
religieux, des prêtres qui se seraient, pendant la période précédant le génocide,
opposés aux discours de haine, auraient formulé des critiques par rapport à
cet aspect des choses ?
Claudine VIDAL : Je ne peux vous
répondre que sur un seul cas, c’est sur ce qui s’est passé à Butare, c’est-à-dire
le travail qui a été réalisé au sein du SAT, Service d’Action Théologique, où
un théologien laïc et des prêtres se sont employés à faire des sessions d’éducation,
d’enseignement et de diffusion de non-violence active et qui parlaient très
ouvertement, qui dénonçaient les actions violentes à l’encontre de n’importe
qui, et en particulier des Tutsi, cela a existé. Le prêtre en question s’appelait
l’abbé Modeste MUNGWARAREBA, c’est un rescapé du génocide et il a été secrétaire
de l’épiscopat rwandais jusqu’à son décès. A Butare, ces gens-là se sont ouvertement
prononcés contre la violence.
Le Président : D’autres questions
encore ? Maître WAHIS ?
Me. WAHIS : Merci, Monsieur le
président. Dans le cadre du contexte, on a beaucoup parlé de politique, d’histoire,
mais on a en fait très peu parlé des gens et je me demande s’il ne serait pas
utile, on a affaire à un témoin qui s’est beaucoup rendu sur les collines, qu’elle
puisse nous parler de ce que vivent les gens sur les collines, par exemple une
journée type d’une famille rwandaise sur une colline.
Claudine VIDAL : Je peux vous
parler de ce que vivaient les gens, le degré de précision que vous me demandez
me renvoie à la période où je travaillais sur les collines, les choses ont pu
changer après. D’abord, le milieu rural est tout de même diversifié. Il y avait
des paysans pauvres, c’était bien entendu la majorité. Il y avait aussi des
paysans qui, parce qu’ils avaient un peu plus de terres, parce que des gens
de leur famille avaient un peu mieux réussi et pouvaient les aider, donc une
moyenne classe paysanne. Et puis, il y avait aussi, en milieu rural, un petit
milieu urbanisé, c’étaient les enseignants, des commerçants, c’était la petite
administration locale qui travaillait à la commune, au bureau de la commune,
etc., qui habitaient dans ces petits centres autour des communes et des paroisses.
Donc, vous avez quand même en milieu paysan, une population plus stratifiée
qu’on ne se l’imagine au départ.
La vie d’un paysan moyen, même les plus riches, s’ils travaillent
moins eux-mêmes, vivent la même vie que les autres, on se lève à l’aurore. C’est
à ce moment-là d’ailleurs que le paysan prend son repas qui sera unique et on
va travailler aux champs, on va vendre au marché, c’était une vie très dure
aussi bien pour aller chercher l’eau, entretenir, cultiver, vendre le peu de
choses qu’on a, acheter aussi d’autres choses, il fallait énormément travailler
et se débrouiller de toutes les façons. C’est un pays où la circulation monétaire
était, à l’époque où j’ai travaillé, extrêmement réduite. Pour la paysannerie
moyenne, elle roulait en fait sur la vente de bière de banane. On a des bananes,
on vend de la bière, avec cet argent, on réussit à inscrire un enfant à l’école,
à payer le minerval et puis plus tard, on rachète de la bière ou on en revend.
La circulation monétaire se faisait par ces… j’ai des collègues qui avaient
travaillé à recomposer tout cela… par ce petit circuit d’argent sur un petit
marché local. Mais quand on est malade, quand on a beaucoup d’enfants à envoyer
à l’école, on n’a pas d’argent pour tout cela. C’était une paysannerie très
pauvre d’ailleurs, le Rwanda à l’époque était classé parmi les 10 pays les plus
pauvres du monde et ceci n’avait pas beaucoup changé, je crois.
Le Président : D’autres questions
encore ? S’il n’y a plus de questions, les parties sont-elles d’accord
pour que le témoin se retire ? Madame, est-ce bien les accusés ici présents
dont vous avez voulu parler ? C’est ce que la loi me dit que je dois vous
demander et cela signifie en clair : Persistez-vous dans vos déclarations ?
Claudine VIDAL : Je persiste dans
mes déclarations sur le Rwanda, ce sont des choses d’ailleurs que j’ai déjà
écrites à plusieurs reprises.
Le Président : Madame, la Cour
vous remercie et vous pouvez disposer librement de votre temps.
Claudine VIDAL : Je vous remercie. |
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