assises rwanda 2001
recherche plan du site
Instruction générale d'audience Audition témoins de contexte compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction générale d’audience > Audition témoins de contexte > A. Desforges, historienne
1. C. Braeckman, journaliste 2. F. Reyntjens, juriste 3. A. Desforges, historienne 4. G. Sebudandi, journaliste 5. Y. Mukagasana, écrivain 6. R. Zacharia, médecin 7. J.P. Chrétien, historien, J.F. Dupacquier, journaliste 8. F. Twagiramungu, ex premier ministre rwandais 9. J. Matata 10. C. Vidal, historienne, sociologue 11. C. De Beul, ingénieur technicien 12. W. Defillet, assistant social 13. E. Vandenbon, assistante sociale 14. A. Vandeplas, magistrat retraité 15. le témoin 39, ex militaire de l’APR 16. le témoin 135 17. Explication suite déroulement procès 18. le témoin 41, sociologue 19. F.X. Nsanzuwera, ex procureur République à Kigali 20. A. Guichaoua, sociologue et commentaires A. Higaniro
 

5.5.3. Témoin de contexte: Alison  DESFORGES, historienne

Le Greffier : La Cour.

Le Président : L’audience est reprise, vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Je vais demander aux cameramen d’arrêter de filmer. Et si Madame DESFORGES est présente, elle peut approcher.

Le Président : Madame, quel sont vos nom et prénom ?

Alison DESFORGES : Alison DESFORGES.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

Alison DESFORGES : J'ai 58 ans.

Le Président : Quelle est votre profession ?

Alison DESFORGES : Je suis historienne par formation mais pour l’instant, je travaille comme Advisor Consultant à l’organisation Human Rights Watch.

Le Président : Quel est votre lieu de domicile ou de résidence ?

Alison DESFORGES : C’est au n° 591, Avenue de La Fayette, Buffalo, New York.

Le Président : Connaissiez-vous, Madame, les accusés avant les faits mis à leur charge ?

Alison DESFORGES : J’ai fait la connaissance une fois de Monsieur HIGANIRO.

Le Président : Oui. Vous n’êtes pas de la famille des accusés, ni de la famille des parties civiles ?

Alison DESFORGES : Non.

Le Président : Vous ne travailliez pas, ni pour les accusés, ni pour les parties civiles ?

Alison DESFORGES : Non.

Le Président : Je vais vous demander, Madame, de bien vouloir lever la main droite et de prononcer le serment de témoin qui vous est présenté.

Alison DESFORGES : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie. Vous pouvez vous asseoir, Madame. Madame, la Cour s’excuse de vous entendre avec retard par rapport à l’horaire qui était prévu et vous remercie d’avoir bien voulu patienter jusqu’à maintenant.

Alison DESFORGES : Pas de problème.

Le Président : Euh… vous venez d’exposer dans votre interrogatoire d’identité que vous étiez historienne de formation mais que vous aviez une fonction un peu particulière de consultante. Vous pouvez exposer en quoi cela consiste ?

Alison DESFORGES : Enfin, Human Rights Watch est une organisation internationale des droits de l’homme, qui fait des recherches concernant la situation des droits de l’homme dans plusieurs pays du monde. Parce que j’avais la spécialité d’avoir étudié l’histoire de la région des Grands Lacs, j’ai commencé, il y a assez longtemps, à faire des missions pour Human Rights Watch comme bénévole, pour surveiller la situation des droits de l’homme, au Rwanda.

Après l’année du génocide, j’ai mis de côté mon travail d’historienne, professeur d’histoire à l’université, pour commencer à travailler à plein temps pour Human Rights Watch. Dans cette capacité, j’ai dirigé un projet de recherches concernant le génocide au Rwanda avec des collègues de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme. Pendant 5 ans, on a recueilli des témoignages et des documents concernant l’histoire de ce génocide et après, j’ai rédigé un rapport, une histoire de quelque 900 pages concernant le génocide. En même temps, j’ai fait le suivi de la situation actuelle au Rwanda et maintenant aussi au Burundi et au Congo. C’est-à-dire qu’on fait des enquêtes et puis on fait des rapports et on essaye d’influencer la politique des gouvernements.

Le Président : Des gouvernements de ces États-là ?

Alison DESFORGES : De ces Etats-là mais aussi des Etats, par exemple, des Etats qui sont des bailleurs de fonds pour essayer de multiplier les pressions sur des gouvernements qui sont en train d’abuser des droits de leurs citoyens pour essayer de les persuader d’arrêter ces pratiques.

Le Président : C’est cela. Des connaissances que vous avez… Vous m’avez dit, vous avez recueilli notamment des témoignages ? Au Rwanda même ?

Alison DESFORGES : Oui.

Le Président : Vous avez également pu… semble-t-il, non seulement consulter mais peut-être même, emporter des documents ?

Alison DESFORGES : On n’a rien emporté.

Le Président : C’étaient uniquement des documents consultés, photocopiés, peut-être…

Alison DESFORGES : C’est cela exactement, par principe, on n’emporte pas des originaux.

Le Président : C’est cela. Vous avez fait ce travail à quelle époque ?

Alison DESFORGES : On a commencé en février 1995 et le livre enfin a été publié au mois de mars - avril 1999.

Le Président : Vous avez été sur place, au Rwanda ? Vous-même ? Ou pas ?

Alison DESFORGES : Pas de façon continue mais assez régulièrement, chaque deux, trois mois, pendant une période de deux, trois semaines. Oui.

Le Président : Savez-vous fournir des informations sur l’aspect éventuellement historique qui pourrait expliquer comment, le 6 avril 1994 ou le 7 avril 1994, débute au Rwanda, un génocide ?

Alison DESFORGES : Oui. J’ai longuement étudié ce problème.

Le Président : Vous pourriez en faire la synthèse… ? Pendant moins de deux jours ? Et même je dirais, moins de deux heures ? (Rires)

Alison DESFORGES : Moins de 900 pages. Oui. Euh…

Le Président : Quelles sont peut-être, je dirais dans l’histoire du Rwanda, les étapes importantes qui permettent de comprendre ce qui s’est déroulé.

Alison DESFORGES : Il faut commencer, je crois, avec le contexte socio-économique, n’est-ce pas ? Parce que le Rwanda est un pays d’une pauvreté presque inimaginable pour des gens qui habitent ici en Belgique. C’est un pays très, très pauvre. Un pays surpeuplé où la plupart, la grande majorité de la population, sont des cultivateurs qui ont très peu de terres pour nourrir leur famille. Alors, à cause de cela, l’État et le contrôle de l’État a une importance énorme. La partie, comment dirais-je, la partie privée de l’économie est très limitée. Donc, pour les gens qui ont une ambition de s’améliorer un peu la vie, il y a très peu de possibilités, sauf avec un travail lié à l’État. Pour certains aussi peut-être, à l’Église ou à des ONG maintenant. Quelques-uns aussi, par des entreprises privées. Mais pour la grande majorité, pour le groupe qui voudrait, qui avait une certaine ambition, le contrôle de l’État était très important.

Alors, le génocide s’est déroulé dans un contexte de guerre mais aussi dans un contexte de lutte pour le pouvoir à l’intérieur du pays. Alors, il y avait les deux conflits qui s’entremêlaient et chacun a renforcé l’impact de l’autre. Et c’est un peu cela qui a donné tant de force et de virulence à ces luttes.

Alors, en même temps, bien sûr, il y a la question démographique, le fait que même s’il y a trois groupes de population, si l’on parle de façon très littérale, le troisième est tellement petit, tellement limité en nombre, que ce groupe n’a pas d’importance politique. Donc, on est dans une situation de polarisation, de polarité avec deux groupes qui se confrontent et avec un groupe qui est beaucoup plus nombreux que l’autre. Donc, une majorité qui est beaucoup plus forte.

Mais, c’est la minorité qui avait le pouvoir pendant quelques siècles. Alors, le système de l’état, un état monarchique, était assez fluide avant l’arrivée du régime colonial et les groupes qu’on dénomme maintenant Hutu et Tutsi, à cette époque n’avaient pas les mêmes lignes rigides. En effet, les dénominations claniques avaient beaucoup plus d’importance à ce moment que maintenant. La question ethnique est vraiment un phénomène beaucoup plus du 20ème siècle, suite à des changements dans le système, causés par l’administration coloniale.

Alors, avec l’arrivée tout d’abord des Allemands et ensuite des Belges, les administrateurs coloniaux ont employé cette structure étatique pour contrôler la population, pour exploiter la région. En faisant une alliance avec l’élite de l’État, ils ont donné à cette élite, la possibilité d’intensifier et d’élargir ses zones de contrôle. Donc, c’était une sorte de réciprocité. Souvent on parle de la période coloniale comme si les gens de l’Afrique n’étaient que des poupées, des gens à manipuler par les administrateurs. Mais en effet, l’élite rwandaise qui est devenue de plus en plus une élite Tutsi était aussi des joueurs, des joueurs très importants dans ce jeu réciproque. Ils ont profité des présences, de la présence coloniale pour devenir plus importante.

Et en même temps, avec l’administration coloniale, on a introduit certaines idées liées a la mythe hamitique qui accordait aux Tutsi beaucoup plus de prestige et une sorte de supériorité supposée. Alors, avec cette idéologie, il y avait aussi l’idée que les Tutsi sont venus d’ailleurs, et cela est devenu une idée très importante au moment du génocide, parce que, ce qui était, dans le temps, la base de la fierté dans un certain sens des Tutsi, le fait qu’ils sont venus d’ailleurs, le fait qu’ils étaient supérieurs, tout cela s’est retourné contre eux, comme reproche avec l’idée : « Vous, les gens qui sont venus d’ailleurs, qui sont venus s’imposer chez nous, vous n’avez pas de raison d’être ici, allez-vous-en. On va vous éliminer parce qu’en réalité vous n’avez pas de droit pour être parmi nous ».

Donc, ce qui était dans le temps, un élément de prestige est devenu après, un élément de reproche et cela c’est suite à une révolution politique et sociale qui a commencé en 1959, vers la fin de l’époque coloniale. A ce moment, l’administration belge et aussi l’Eglise qui a toujours joué un rôle très important dans la vie politique du pays, se sont changés de côté, soi-disant, et plutôt que de donner beaucoup d’importance aux Tutsi, ils ont plutôt encouragé les Hutu. Et cela a beaucoup facilité cette révolution, ce changement dramatique de pouvoir.

En même temps, cette idéologie a été renversée, sans être écartée, et pour cela, je crois que l’on peut prendre comme symbole, la carte d’identité qui a été introduite par l’administration coloniale pour faciliter la distinction entre Hutu et Tutsi. Il y a la possibilité, quelques fois, de distinguer de façon physique les Hutu des Tutsi mais ce n’est pas toujours le cas. En partie à cause des mariages mixtes : des enfants de mariages mixtes prenaient toujours la catégorie de leur père mais quelques-uns ressemblaient plus à leur mère. Donc, on pourrait avoir la catégorie Hutu et se ressembler à des Tutsi. Et cela est arrivé pendant le génocide ; il y a eu des gens qui ont été tués parce qu’ils ressemblaient aux Tutsi même si leur carte d’identité c’était écrit Hutu. Donc, avec le système d’enregistrement de la population et la question de donner ces cartes d’identité, on a, dans une certaine façon, fixé symboliquement les frontières entre ces peuples, on les a mis, on les a créées d’une façon beaucoup plus solide, d’une façon cohérente, plus consistante qu’avant.

Et la carte, qui était dans le temps, le symbole de qualité, le symbole d’être noble, d’être membre de l’élite privilégiée, cette même carte, continuée après l’indépendance, est devenue le document qui équivalait à une peine de mort pour celui qui le portait, parce qu’au moment du génocide, quand des gens passaient à des barrières ou quand ils étaient rassemblés dans les églises, par exemple, les assaillants ont fait le tri, quelque fois, basé sur ces cartes, et ceux qui avaient la carte Tutsi étaient là pour être tués, tandis que ceux qui avaient la carte Hutu avaient la permission ou bien de continuer ou bien de sortir avant que l’église a été attaquée.

Donc, avec la révolution en 1959, il y a eu une transformation très importante dans le personnel de l’Etat mais certaines des idées restaient toujours très importantes. Alors, après la révolution, beaucoup des Tutsi qui ne se sentaient plus à l’aise, qui étaient les victimes de discriminations et pour certains, des attaques, même des tueries, ils ont fui le pays, et ils restaient à l’extérieur. Pendant les années 1960, certains de ces groupes s'organisaient pour faire des incursions, des attaques à l'intérieur du pays. Et ça, à ce moment, s’est établi un système de représailles qui avait aussi son importance au moment du génocide. C’est-à-dire, l'attaque des groupes de rebelles Tutsi souvent a eu comme résultat des représailles contre la population à l'intérieur du pays, avec l'accusation que ces gens de l'intérieur ont facilité ou bien aidé cette attaque de l'extérieur.

À ce moment, les nouveaux autorités, les gens qui venaient de prendre position par exemple comme bourgmestre, étaient en train d'essayer d'établir leur pouvoir, ce qui n'était pas toujours facile. Ils ont trouvé que, quand il y a eu des attaques contre des Tutsi à l'intérieur de la communauté, des Tutsi s’enfuyaient, ça laissait à ces autorités la possibilité de distribuer leurs terrains. Et en distribuant les terrains des gens, des gens qui sont partis, ils ont acquis beaucoup plus de pouvoir. Donc, il y a eu un bénéfice immédiat pour eux en chassant le plus grand nombre possible. Et je crois que ça a eu comme résultat, c'était une des causes en tout cas, de l'élargissement du cercle des gens ciblés. Au commencement des attaques, 59-60, c'étaient des attaques contre une élite politique : des chefs, sous-chefs, et ceux qui étaient liés à eux. Ce n'étaient pas des attaques contre des Tutsi comme peuple. Mais on a appris avec ce système de représailles que, en faisant élargir le cercle des victimes, on arrivait à un certain bénéfice politique. On gagnait le plus large le cercle. Et ça aussi a eu son importance au moment du génocide. Il y a eu un certain nombre de gens qui ont reçu des terres après des razzia, après des tueries de Tutsi en 59, 60 jusqu'à 65, 66. Et ces gens qui ont eu des terres des Tutsi partis, avaient aussi un certain intérêt à retenir leurs terres. Au moment du génocide, ça c'était un thème très important exploité par le gouvernement intérimaire : c'était l'idée que la victoire du FPR, la victoire des Tutsi qui cherchaient à revenir, pourrait renverser la révolution. C’est-à-dire, ceux qui ont gagné la révolution, ceux qui avaient des terres et des champs, pouvaient perdre le tout avec la victoire du FPR. Donc ça, c'était un élément important de propagande.

Alors, le régime du général le témoin 32 ! Juvénal le témoin 32, a été mis en place après un coup militaire en ‘73 et pendant presque vingt ans, il a régné, il a gouverné avec beaucoup de succès. C’est-à-dire, beaucoup de succès dans le sens que le gouvernement a instauré un système très organisé. Il y a eu du calme, il y a eu des progrès économiques. Il n'y a pas eu de conflits ethniques. Ce qu'il y a eu, c'était de la discrimination : les Tutsi n'avaient pas la possibilité souvent d'accéder à l'éducation supérieure, ni à des postes gouvernementales sauf s'ils faisaient semblant d'être Hutu. Ce qui est arrivé assez souvent pour les gens qui avaient l'espoir de monter un peu dans la société.

Vers la fin des années 80, le succès commençait à s'évanouir, suite à certains changements économiques, suite aussi à une augmentation de corruption à l'intérieur de ce régime. le témoin 32, au commencement, a représenté un centre de pouvoir au Nord du pays. Et ça, c'était aussi un élément d'une certaine importance à ce moment du génocide : c'était un esprit régionaliste parmi les Hutu. Donc, l'histoire du génocide, c'est une histoire de conflit entre groupes ethniques, mais c'est aussi une histoire de conflit entre groupes régionales. Et les Hutu du Nord étaient des rivales, des opposants souvent des Hutu du Sud. le témoin 32 et son groupe représentaient les Hutu du Nord. Et, vers le commencement des années 90, les autres Hutu du pays en avaient marre. Ils disaient : « Ca suffit, maintenant c’est à nous ». Alors, il commençait à s'organiser une opposition politique à l'intérieur du pays. Au même temps, des Tutsi qui étaient toujours à l'extérieur, qui voudraient rentrer chez eux et qui n'avaient pas réussi à rentrer chez eux, une partie de ces Tutsi s'organisait en mouvement militaire guerrier, le Front patriotique rwandais et ils ont lancé une guerre contre le gouvernement rwandais.

Alors, l'opposition interne politique, qui était pour la plupart Hutu, pour certains partis mixtes, Hutu-Tutsi. Mais, ces gens voyaient la possibilité de faire une alliance avec le mouvement guerrier qui venait de l'extérieur. Et c'est ça surtout qui faisait peur aux gouvernants, à le témoin 32 et son cercle, le cercle qui l'entourait. Pour lui, il fallait exclure la possibilité d'une alliance Hutu-Tutsi parce qu'il savait bien que ça allait éventuellement le faire quitter le pouvoir. Et ça, c'était une des raisons pour lesquelles il a cherché tellement de faire des Tutsi des ennemis du pays.

Alors, après l'attaque du FPR, en octobre 90, il a commencé une campagne pour créer l'impression que les Tutsi de l'intérieur étaient des alliés naturels et inévitables du FPR qui a attaqué le pays. C'était une reprise un peu de l'idée des années 50. Alors, en faisant cette accusation, l'espoir était de recréer une solidarité parmi les Hutu, et de donner l'impression aux Hutu qui pensaient s'allier avec des Tutsi, que c'était vraiment très, très dangereux. Parce que ces gens-là, c'étaient des ennemis. C'était des « Ibyitso », des complices de l'ennemi de l'extérieur. « Et si vous, les gens de l'opposition intérieure Hutu, si vous commencez à vous mettre de leur côté, vous aussi, vous aussi sont des ennemis de notre pays ». Alors, la propagande parlait des Rwandais comme si c'étaient des gens alliés à le témoin 32 et son groupe et des Ibyitso, c'étaient tous les autres.

Alors, la guerre a continué, après octobre 90 jusqu'au moment de la signature des accords d’Arusha, au mois d'août 93. Alors, pendant cette période, il y a eu plusieurs efforts à terminer la guerre et il y a eu aussi pendant cette période, une continuation de cette propagande contre les Tutsi comme des complices et des Ibyitso.

Pour souligner comment ces gens étaient exclus et dangereux comme ennemis du pays, les autorités ont même autorisé les attaques. Deux semaines après le commencement de la guerre en octobre 90, il y a eu les premières tueries. A peu près 300 Tutsi tués dans la commune de Kibilira, il y a eu plusieurs autres attaques : en 91, au Nord-Ouest, des gens qui s'appelaient des Bagogwe qui étaient apparentés aux Tutsi ; 92, mois de mars, à Bugesera ; après à Kibuye. Alors, chaque fois, il y avait un peu le même, le même modèle. Tout d'abord, de propagande pour établir que dans cette communauté même, il existait un vrai danger. Il y avait une menace à l'intérieur de cette communauté. Après, de la violence, des gens tués. Et après, les autorités qui faisaient semblant de ne pas pouvoir contrôler cette violence. Donc, l'explication que c'était une violence spontanée de la population qui avait peur, une peur qui a été créée par les autorités elles-mêmes. Mais bien sûr, cela n'était pas dit. Donc, une attaque où des gens ont été tués.

Et au même temps, chaque fois qu'il y a eu ces attaques, il n’y a eu presque pas de réactions de la communauté internationale. Même si les organisations des droits de l'homme ont fait par exemple des rapports et ont essayé de tirer attention sur ça, il n’y a eu presque pas de réactions.

Alors, après la signature des accords d’Arusha, en principe, le pays était, la guerre était terminée. Mais, ni les gens du FPR, ni les gens du gouvernement rwandais n'acceptaient pas vraiment cet accord. Et tous les deux côtés ont continué des préparatifs de côté, de façon discrète. Plus ou moins.

Du côté du gouvernement rwandais, il y avait un groupe et c'est un groupe qui est un peu difficile à définir. Il y a la question par exemple : est-ce que le président lui-même faisait partie ? Est-ce que sa femme faisait partie ? Mais en tout cas, il y avait un groupe qui commençait à croire que la seule façon d'empêcher une victoire du FPR, une victoire totale, serait de mettre, de mobiliser la population pour des tueries à grande échelle, des Tutsi. Cette idée a été décrite comme une forme d’ autodéfense civile. Cette idée d’autodéfense civile, c'était plus ou moins une extension de l'idée qu’une personne Tutsi par définition, est un ennemi. Même votre voisin. Même la personne avec laquelle vous avez fait des études. Même votre belle-fille. Ces personnes sont par définition, des ennemis. Et un programme d'autodéfense civile, ça veut dire se protéger contre des ennemis de l'intérieur. Même plus que l’ennemi de l'extérieur. Mais en effet, il n’y a pas de distinction.

Une fois cette idée lancée (et c'était lancé au courant de 93, je crois, au commencement surtout de 93, que ça a pris un certain ampleur), ça a été renforcé après la signature des accords, au mois d'août. Et nous voyons par exemple des commandes de nombres importants de machettes. La machette c'est un instrument d'habitude agricole qu'on emploie pour couper les arbres ou les buissons ou autre chose. On a accepté qu'on ne pouvait jamais acheter assez de fusils, assez d'armes à feu pour tout le monde. Donc, on a décidé d'employer aussi ce qu'on appelait des armes blanches, des machettes, et aussi d'autres armes comme par exemple des gourdins fabriqués de façon artisanale, à la maison.

Pendant les mois de septembre et octobre, ce mouvement commençait à devenir de plus en plus défini, de plus en plus important. Et puis fin octobre, il y a eu l'assassinat du président du Burundi, le pays à côté, qui était le… plus ou moins, qui avait plus ou moins la même composition, la même population démographique. Et là, il y a eu une victoire électorale qui a été applaudie partout au mois de juin parce qu’on a élu un président Hutu, de façon tout à fait honnête, claire et transparente. Fin octobre, il a été assassiné par des militaires Tutsi. L'armée restait dominée par des Tutsi. Et après, il y a eu des massacres. Des dizaines de milliers de personnes tuées. Des Tutsi et aussi des Hutu. Ca a eu une très grande importance à l'intérieur du Rwanda, parce que ça donnait beaucoup de renfort aux gens des groupes Hutu qui disaient : « Vous voyez, on ne peut jamais se fier à ces gens-là. Ils ont dit, qu’ils, ils ont accepté le résultat de cette élection avec un président Hutu et puis ils l’ont assassiné. Et si nous, si on continue avec ces accords d’Arusha, où on a fait un accord pour partager le pouvoir, nous aussi on va arriver au même résultat ». Tandis que du côté des Tutsi, ce qu'ils ont vu c'étaient des tueries massives des Tutsi qui ont été organisées par, quelquefois par des autorités Hutu. Et eux aussi, ils commençaient à avoir plus peur.

L'autre aspect important de cet assassinat et des tueries qui ont suivi, c'était qu'il n'y a pas eu de réaction internationale. Des dizaines de milliers de civils tués et personne ne disait un mot. Donc, ceux qui étaient déjà en train de penser à des tueries à grande échelle au Rwanda, à côté, ils pouvaient très bien tirer la conclusion : « Pourquoi pas ? On va quand même trouver un moyen de l'expliquer après. Il n'y aura pas de conséquences ». Ca a une très grande importance parce que si on essaie de comprendre comment des gens pourraient imaginer un génocide et imaginer la possibilité de réussir, il faut essayer de comprendre qu’ils espéraient faire ça, ils ont espéré faire ça dans un contexte d'impunité. Parce qu’il y avait d'autres qui ont fait ça, sans être punis. Et donc, toutes les déclarations qu’il y a eu après le génocide des Juifs, après l'holocauste, tout ça, ça n'équivaut à rien quand on a vu la même chose arriver à côté, sans conséquence, sans punition.

Alors, c'était tout de suite après l'assassinat du président du Burundi qu'on a vu la première proclamation publique du mouvement de Hutu Power. Le pouvoir Hutu. Ça a eu une très grande importance parce que, comme j'ai dit, il y a eu, parmi les Hutu eux-mêmes, certaines rivalités politiques. Alors, les Hutu n'étaient pas unis. Il y a eu des partis politiques différents. Il y a eu des différences régionales. Pour essayer de mettre en marche un système de soi-disant autodéfense civile, il fallait créer un groupe unifié. Et les gens du MRND, c’est-à-dire le parti du président, ils savaient bien qu’ils avaient déjà perdu une bonne partie du pays aux autres partis politiques qui étaient dominés par des Hutu mais qui n'étaient pas avec eux. Donc, l'importance de Hutu Power, c'était que c'était un ciment, c'était une idéologie qui pourrait permettre aux gens de dépasser les barrières partisanes pour oublier : « Moi je suis MDR, moi je suis MRND, moi je suis PL, moi je suis PSD… ». « Non, non, non, non. Tous, nous sommes tous des Hutu ». C’est ça qui est important. Et si ce mouvement n’a pas réussi, s’il n’y aura pas eu un vrai succès de cette idéologie de Hutu Power, le génocide n’aurait jamais eu l’ampleur qu’il a eue. Parce que les zones, les communes contrôlées par des autorités du MRND n'étaient pas si nombreuses. Il a fallu attirer l'adhérence, la collaboration des autorités qui contrôlaient comme partisans des MDR ou PL ou PSD, pour pouvoir élargir les zones de tueries partout dans le pays.

Alors, avec l'établissement plus solide de cette idéologie de Hutu Power, au même temps, on a intensifié la propagande. Pendant les 2-3 premières années, la propagande qui jouait un très important rôle enfin dans le génocide, ça a été fait par moyen des journaux, des journaux écrits. Après le mois d'août 93, on a commencé avec des émissions de la radio, radio RTLM : Radio Télévision Libre des Mille Collines. Au commencement, on a surtout joué de la musique. Et il paraît que RTLM avait des bandes beaucoup plus intéressantes que n'importe quelle autre radio. Et c'est comme ça qu'on a attiré tout d'abord de l'auditoire. Après le mois d'octobre, RTLM a adopté une voix beaucoup plus virulente et a commencé à demander par exemple, que le premier ministre, si elle n'acceptait pas de changer sa position, qu'elle soit assassinée. Ca, c’était commencement du mois de décembre, émis sur les ondes par RTLM.

Parce qu’une partie importante de la population ne lit pas, la radio était un moyen très important de communication. Pendant longtemps il n’y a qu'une seule radio, c'était la radio nationale. La radio nationale, c'était la voix du gouvernement. C'était comme ça qu'on annonçait des réunions, qu'on annonçait qui a réussi à des examens, qui devrait se réunir à la préfecture la semaine prochaine pour une réunion. Donc, les gens avaient accepté la radio comme la voix de l'autorité. Radio RTLM n'était pas la même chose que la radio nationale, c'était plutôt une radio privée mais quelquefois, elle a émis sur les mêmes ondes. Donc, ça a permis une certaine confusion entre les deux radios. Et au moment du génocide, cette radio à joué un rôle d'une importance énorme, pas seulement parce qu'elle incitait aux tueries et à la violence, mais en plus, elle donnait même des renseignements très concrets : il y a une camionnette rouge et qui part maintenant sur la route vers Gitarama, avec numéro de plaque tel, tel, tel. Dans cette camionnette, il y a de l'ennemi. Dans la maison de Monsieur untel, il y a des gens qui se sont cachés dans le plafond de cette maison. Il faut se demander pourquoi il y a des gens qui se cachent dans cette maison. Alors, des messages comme ça. Et des autorités communales même disaient à la population : « Ce que vous entendez de la radio, il faut l’accepter comme nous autres, de nous les autorités mêmes ». Alors, pendant les mois de décembre, janvier, février, mars, cette radio continuait à hausser le ton, à parler de façon de plus en plus violente contre des Tutsi et des Hutu de l'opposition et aussi contre les troupes de l'ONU qui sont arrivées dans le pays pour maintenir la paix. Et surtout les soldats belges parmi ces gens de la force de maintien de la paix. Alors cette radio, ça faisait une partie importante des préparatifs pour le génocide.

En plus, on commençait à organiser de plus en plus des milices. Les milices existaient depuis plusieurs années comme des groupements de jeunes, formés militairement par des militaires ou bien des anciens militaires du côté du parti MRND, le parti du gouvernement, aussi du côté des partis opposants. C’est-à-dire que les milices tout d'abord, c'était un phénomène de luttes partisanes. Et en partie parce que les milices avaient aussi cette histoire de lutte partisane et parce qu’ils étaient aussi un peu limités comme nombre : ce n'étaient pas des milliers et des milliers et des milliers de milices, de miliciens. Non. Pour élargir la possibilité d'un réservoir d'assaillants, il a fallu aussi commencer à organiser en employant les canaux administratifs. Et alors, l'idée qui a été déjà discutée assez tôt en 93, est devenue de plus en plus importante avec le commencement de 94, l'idée d'employer l'administrateur pour la mobilisation de la population, pour recruter et entraîner les jeunes pour qu'ils puissent devenir des tueurs. Ca, c’est… c'est… il y avait un petit problème pour les organisateurs : c'était qu’au niveau le plus bas, au niveau des cellules, les responsables n'étaient plus payés. Et ça c'était quelque chose qui les inquiétait déjà avant le génocide. Et après le génocide, ça c'était une des choses que le gouvernement intérimaire a fait toute suite, c’est d’instaurer des paiements encore une fois au niveau le plus bas. Parce que c'était, c'était une façon de se rendre compte du fait qu’au niveau plus bas, c'étaient ces gens-là qui avaient la tâche de mobiliser la population.

Alors, les préparatifs : propagande, recrutement des milices, commencement de recrutement par façon administrative, aussi distribution des armes. A la fin du mois de décembre, il y avait l'évêque de Nyundo qui a fait publier une lettre où il demandait : « Pourquoi le gouvernement, pourquoi les autorités administratives sont-elles en train de distribuer des armes parmi les gens de nos églises ? ». Donc, ça aussi c'était connu : la distribution des armes. Et, au commencement de janvier, un des miliciens, un homme responsable des formations des miliciens, a même fait rapport au général des troupes des forces de maintien de la paix, de l'étendue de l'organisation qui existait déjà le 11 janvier, trois mois avant. Et, il disait au général Dallaire : « Nous avons la possibilité de tuer 1000 Tutsi en vingt minutes ». Et il a décrit comment ces groupes étaient organisés partout dans la ville de Kigali, pour effectuer ces tueries. Donc, c'était un tel niveau d'organisation déjà.

Mais l'organisation n'était pas terminée. Parce que, même avec la propagande, même avec le recrutement, les organisateurs ne savaient pas, ne savaient pas encore comment allait réagir le grand nombre, le grand nombre de gens qu'il fallait attirer vraiment pour mettre en fonction ce système de tueries. Ils ne savaient pas parce que l'organisation n'était pas tout à fait complète. Mais avec le 6 avril, avec la chute de l'avion, avec la tuerie du président le témoin 32, ils étaient devant une situation où il a fallu agir. Et l'organisation était déjà si prête qu'il ne fallait que peu pour la pousser. Donc, ils ont fait l'effort, ils ont tenté la chance, et ils ont mis ça en marche.

Tout d'abord, ils ont pris contrôle par un groupe de troupes d'élite, surtout la garde présidentielle et quelques autres bataillons qui étaient à la capitale. Avec ce groupe d'élite militaire, ils ont réussi à prendre le contrôle d'autres unités militaires. Avec le contrôle d'une partie importante de l'armée, ils avaient la possibilité d'influencer l'administration civile, et puis après, la structure des partis politiques. Donc, entre le 6 avril et le 12 avril, ils ont réussi à prendre en main tous les leviers du pouvoir. Et avec le 12 avril, à la radio, on a entendu des appels des politiciens, des hommes des partis politiques opposés au MRND, opposés à ce petit groupe proche du président, ces appels qui disaient aux gens : « C'est le moment d'oublier les problèmes des partis politiques. C'est le moment de s'unir autour de cette idée de solidarité Hutu. C'est le moment de Hutu Power ». Et tous les gens, à ce moment, ont reçu ce message : « Il faut se mettre ensemble, parce que nous, comme peuple, nous sommes menacés par cet ennemi de l'extérieur et de l'intérieur. Et nous avons tous le devoir de réagir, de nous protéger ».

Alors, avec les préparatifs déjà en place, ils ont mis en marche les tueries très, très vite dans la capitale et dans certaines autres parties du pays, notamment le Nord-Ouest et à l'Est et certaines autres régions. Mais le centre du pays et le Sud ont résisté. C'étaient des régions où le contrôle des autres partis politiques était le plus important. C'était aussi surtout la préfecture de Butare, c'était là où l'intégration Hutu-Tutsi était la plus avancée. Il y avait la population la plus importante des Tutsi et en plus, il y avait beaucoup de Tutsi qui sont arrivés là, d'ailleurs dans le pays pour se réfugier là. En plus, il y avait un préfet qui était lui-même Tutsi. Donc, cette région et la région jusqu'à un peu au Nord, Gitarama, les gens n'ont pas accepté de tuer à grande échelle.

Jusqu'à la fin de semaine du 16 avril, quand les tueries ont commencé, et ça, vous connaissez très, très bien, vous savez très bien, il n'y a pas eu de réaction positive à l'extérieur. Il n'y a eu qu’une réaction de fuite. On a retiré les troupes belges. On  parlait de réduire les effectifs de l'ONU. Les autres pays ont tous évacué leurs citoyens, laissant sans défense les Rwandais. Le 15 avril, vendredi après-midi, à New-York, le Conseil de Sécurité à New-York discutait la question de la retraite totale, complète de la MinuaR, de la force de la paix. Ils ont enfin remis la décision à la semaine après. Mais, c'était très clair qu'à ce moment-là, les États-Unis qui étaient très puissants et d'autres pays aussi étaient d'accord pour retirer toute la force. Par hasard, le gouvernement du Rwanda avait une place au Conseil de Sécurité cette année-là. Et on n’a jamais demandé à son représentant de se retirer.

Donc, cette décision du Conseil de Sécurité du vendredi après-midi a été connue au Rwanda, le matin du 16. Et le matin du 16, le gouvernement intérimaire s'est réuni et a décidé, avec ce manque de réaction internationale, de pousser plus loin, de pousser à Gitarama, de pousser à Butare. Et donc, on a démis le général qui n’était pas assez ferme pour les tueries. On a mis en place un autre, et on a démis deux préfets, y compris le préfet de Butare. Et le lundi après, on a commencé à faire pression à Gitarama et ensuite à Butare, avec la descente des membres du gouvernement, pour tenir une réunion. Et alors, le 19, à Butare, le président du pays avec les ministres ont tenu une réunion où ils ont humilié l'ancien préfet Tutsi. Là où ils ont passé le message très clair aux cadres inférieurs de l'administration : « Si vous n'êtes pas avec nous, vous aussi, vous faites partie de l'ennemi. Ne croyez pas que ça ne vous touche pas. Que ça ne vous concerne pas, ce problème des Tutsi parmi vous. Parce que c'est à vous aussi d'agir. Et si vous n'acceptez pas, alors - la menace était claire - vous aussi, on va vous, vous, vous enlever de vos postes et comme ça vous-mêmes vous serez en danger ». Et c’était suite à cette réunion et l'installation du nouveau préfet que des tueries ont commencé à grande échelle, à Butare.

Alors, le gouvernement a eu trois canaux pour arriver à la population : le canaux des militaires et souvent des soldats allaient ici et là pour organiser des tueries, des massacres et pour dire aux gens de tuer ; des gendarmes aussi. Il y avait aussi les cadres administratifs. Il y avait aussi des dirigeants des partis politiques. Donc, trois moyens d'arriver à même le citoyen ordinaire. Pour mettre pression et pour donner des « incentives », pour donner des possibilités, des récompenses, en plus de la radio.

Et ce gouvernement qui mettait de telles pressions sur les gens ordinaires pour suivre une politique du génocide, ce gouvernement avait aussi la possibilité de se présenter comme légitime. Pourquoi ? Parce qu’il n'y avait personne dans le monde qui disait le contraire. Donc, les Rwandais étaient face à un gouvernement qui a adopté une politique de tuer des Tutsi. Ils recevaient des ordres de suivre cette politique. Mais en même temps, il faut voir que la décision d’accepter ces directives du gouvernement, ça restait une décision individuelle, et personnelle. Il faut souligner que la plupart des Rwandais n'ont pas accepté de tuer leurs voisins. C'est tout à fait faux de dire que « les Hutu » ont fait un génocide. Ce n'étaient pas les Hutu, c'étaient des individus Hutu. Et donc, c'est pour ça qu’on peut faire des procès du génocide au lieu de simplement écrire des histoires. Parce que ce sont des questions de comportement des individus. Et nous avons des cas de beaucoup d'individus qui ont refusé. Quelquefois ils ont refusé au coût de leur vie. Mais d'autres ont réussi à s’évader, parce que les Rwandais avaient toujours des stratégies pour évader les autres, comme tous gens qui habitent un état très, très autoritaire, on développe des stratégies, on est sous le lit, on n’est pas à la maison quand quelqu'un tape à la porte, on a mal à la tête, on trouve des moyens pour s’excuser, pour essayer de ne pas suivre des ordres.

Donc, le fait qu’il y a eu une pression énorme, ce fait ne doit pas excuser ni minimiser les décisions qui ont été prises par des individus et parce que des individus ont refusé. Il y en avait beaucoup qui ont aidé leurs voisins, qui ont caché des gens, qui ont donné à manger, n'est-ce pas. Mais c'était un mouvement d'une telle complexité qu’il y avait des gens qui ont fait les deux à la fois : des gens qui ont aidé, qui ont sauvé, et en même temps ont tué d'autres. Ou des gens qui, au commencement, ont accepté de tuer et après une semaine ou deux, ils ont dit : « Mais mon Dieu, qu'est-ce que c'est, qu'est-ce qu'on fait ? Oui, on peut tuer un jeune homme croyant que c'est un ennemi. Mais on ne peut pas tuer une vieille dame, ou un petit enfant ». Il y en avait d'autres, au contraire, qui ont refusé au commencement. Ils ont dit : « Non, non, non, ce n'est pas bon ». Mais après des semaines de pression, ils ont accepté. Donc, c'était un mouvement très complexe et très compliqué. Mais quand même, il y a des possibilités à voir clair dans des décisions où des gens ont pris.

Après l'élargissement du génocide, il y a une période quand le gouvernement a annoncé une pacification. La pacification, c'était que… une politique du gouvernement pour, pas pour arrêter les tueries, mais pour les faire d'une autre façon. Parce que quand même, il commençait à se rendre compte qu'il y a une certaine attention internationale qui a été attirée, et donc, il y a eu plusieurs efforts de soi-disant « proclamer la paix ». Mais ce que ça voulait dire vraiment, c'était que des gens ordinaires n'avaient plus le droit de tuer eux-mêmes, mais devaient plutôt livrer des Tutsi à des autorités pour être examinés soi-disant et tués de façon plus discrète. Et ça, c'était vers fin avril que cette période a commencé.

Il y a eu après, une augmentation des tueries, vers la mi-mai. Et encore une fois, juste avant l'arrivée des FPR dans la région de chaque partie du pays.

À la fin, il y a très peu de Tutsi qui restaient. Et à ce moment, les tueurs commençaient à s’entretuer. Et même des gens qui étaient unis dans cet effort génocidaire commençaient encore une fois à faire revivre leur ancienne haine. Et donc à la fin, on a vu, dans plusieurs communautés, des Hutu qui tuaient d'autres Hutu. Mais en les tuant, souvent, ils les accusaient d'être vraiment des Tutsi qui ont changé d'identité. Donc, on a continué cette idéologie et on l'a tournée, contournée même contre d'autres Hutu. Donc, c'était une forme de… de… de déguise idéologique, ethniciste, pour résoudre des problèmes politiques.

Et ça, enfin pour terminer, et je crois que je n'ai pas bien respecté vos ordres, vos directives, et je m'excuse, mais vous voyez que c'est très compliqué, enfin, pour dire que le génocide c'était une façon d'essayer de résoudre des problèmes politiques pour un groupe restreint qui se confrontait à la possibilité de perdre le pouvoir et qui a trouvé une façon idéologique, employant l'idéologie ethnique pour essayer de retenir le pouvoir en recréant une solidarité parmi les autres Hutu et en faisant créer comme ça une force de frappe contre les Tutsi.

Le Président : Je vous remercie. Petite demande d'explication. Les accords d’Arusha, mois d'août 1993. Accords dits de paix. Et pourtant si j'ai bien suivi votre exposé, les deux groupes, à la fois le FPR et en tout cas le MRND ou les gens proches du pouvoir, proches de la mouvance de Monsieur le témoin 32, sont en train de s'armer et de se préparer à continuer la guerre.

Alison DESFORGES : Mmm.

Le Président : Est-ce que j'ai bien compris ça dans votre exposé ?

Alison DESFORGES : Oui. Oui. De façon, de façon discrète, bien sûr. Parce qu’en principe, tout le monde était d'accord. Tout le monde acceptait. Mais en réalité, le groupe qui entourait le témoin 32 et le témoin 32 lui-même, étaient convaincu que les accords entre autres favorisaient le FPR. Et donc, même avant que l'encre ne se sèche pas, ils commençaient déjà à préparer une autre étape de la guerre. Tandis que les gens du FPR, on aurait pu supposer qu'ils étaient très contents, n'est-ce pas ? Parce que l'accord leur donnait vraiment une partie importante de pouvoir. Mais, ou bien parce qu'ils étaient ambitieux pour avoir plus, ou bien parce qu’ils savaient que l'autre côté était en train de préparer la guerre et donc pour, comme moyen de se défendre, eux aussi. Donc, c'est très difficile sans avoir accès à leurs documents de savoir qui a pensé quoi. Mais ce qui est certain, c'est que les deux côtés ont continué de faire…

Le Président : Ils ont continué dans une logique de guerre, en tout cas.

Alison DESFORGES : Exactement. Oui.

Le Président : Le FPR occupe une partie du territoire à ce moment-là ?

Alison DESFORGES : Oui

Le Président : Est-ce que cette partie du territoire est une partie que tient véritablement le FPR, c’est-à-dire, je m'exprime peut-être, vous n'êtes peut-être pas non plus une stratège militaire j'imagine, mais est-ce que le FPR tient à ce point le territoire que si les Forces armées rwandaises voulaient y pénétrer, il pourrait en être chassé ?

Alison DESFORGES : Ils contrôlaient complètement ce territoire. En effet, ils ont fait déplacer presque toute la population avec leur avance militaire. Il y avait très peu de population civile qui reste dans leur zone de contrôle.

Le Président : Bien. Mon assesseur a lu votre ouvrage, ce qui fait que lui, il peut préparer mieux que moi, les questions à vous poser.

L’Assesseur : Vous déclariez qu’ils ont pris, ils sont arrivés à prendre les leviers du pouvoir. Vous avez utilisé le terme « ils » au pluriel à plusieurs reprises. Est-ce qu'il est possible, je suppose à la tête de l'état ou dans les sphères de la tête de l'état, de désigner des personnes que représentait ce « ils » ?

Alison DESFORGES : Oui. Heu… En effet, ça c'est bien sûr le travail qui est en train de se faire maintenant parmi les équipes d'enquêteurs du TPIR, le Tribunal international. Et parmi ces gens-là qui ont été identifiés, il y a eu par exemple le colonel BAGOSORA, comme personnage militaire, il y avait dans la région de Butare par exemple le colonel SIMBA. Il y a eu parmi les personnages politiques, Monsieur KAREMERA, il y a eu Monsieur NGIRUMPATSE, il y a eu bien sûr, ceux qui ont accepté de prendre des postes officiels au sein du gouvernement, même si certains comme par exemple le président, on accepte maintenant que le président n'avait pas beaucoup de pouvoir ; c'était un Monsieur assez âgé qui n'avait pas beaucoup de poids politique et qui était là plus ou moins comme symbole. Mais le premier ministre, même s'il était assez jeune, a joué un certain rôle. Il y avait Monsieur NIYITEGEKA qui a joué un rôle d’importance. Et puis, il y a eu un deuxième niveau de gens, comment, peut-être des fonctionnaires qui avaient un rôle d'importance aussi, surtout au niveau régional et, par exemple à Butare, il y avait un certain KALIMANZIRA qui a joué un rôle d'importance, il paraît. Il y a eu la ministre Pauline NYIRAMASUHUKO dans la région de Butare surtout, mais aussi au niveau national. Heu… Oui. Enfin, on peut les identifier. Oui.

L’Assesseur : C'est ça. Vous avez souligné le rôle très important de l'autodéfense civile, de l'autodéfense civile que vous citez toujours entre guillemets. Vous pouvez nous décrire de façon plus ou moins détaillée ce qu'était l'autodéfense civile qui semble être répartie dans tout le pays ?

Alison DESFORGES : Oui. Alors, peut-être, peut-être c'est, c'est utile de penser à certaines institutions qui existaient avant, comme presque… comme des cellules qui ont été prises par le concert, c’est-à-dire, des structures qui, en tant que telles, étaient bénignes. Il n'y avait rien, rien de nécessairement nocif dans ces structures. Mais avec le génocide, ces structures ont été accaparées par les gens qui avaient l'idée génocidaire et ont été tournées ou bien détournées sur cet autre but. Donc, l'idée de défense civile, d'armer la population, ça datait des années 90 et 91 et c'était employé tout d'abord à la frontière Nord du pays comme renfort de l'armée, l'armée nationale. Et à ce moment, on a choisi un certain nombre d'hommes civils qui ont reçu des armes à feu et qui faisaient des patrouilles, accompagnés des militaires, pour essayer d'empêcher l'avance ou bien les incursions du FPR.

Il y a eu aussi, ailleurs dans le pays, un système de barrières qui a été mis en fonction tout de suite après le commencement de la guerre et puis qui a pris un peu, qui est tombé un peu en désuétude parce qu’il paraît que ça n’avait plus, ce n'était plus, ce n'était plus nécessaire. Et ça, c'était un système où les gens de chaque commune ou bien de chaque petite cellule avaient la responsabilité de contrôler qui passait sur les routes et les petits chemins dans leur, leur communauté.

Il y a eu aussi, à certaines périodes, une augmentation des attaques qui semblaient purement criminelles. Et parce que l'Etat est devenu assez démuni de ressources, il y a des gens qui ont créé, certains voisinage qui ont créé des systèmes de sécurité simplement pour se protéger contre les criminels.

Donc, il y avait plusieurs différentes formes d'action civile pour se protéger contre des menaces, avant le commencement du génocide. Mais avec le génocide, des autorités locales ont intégré tout ça, ont organisé tout ça d’une façon beaucoup plus structurée pour pouvoir, pour pouvoir mobiliser la population ordinaire à participer dans ce système. Alors, le principe c'était que la population avait l'obligation de répondre à l'appel de l'autorité au moment, quand il y avait un besoin et que la population devrait être encadrée par des gens avec un peu de formation : ou bien des anciens militaires à la retraite ou bien des gens qui faisaient partie des réserves militaires ou bien des miliciens qui ont été formés par des militaires, et la population ordinaire, sous la direction de ces types-là, allait attaquer dans les églises, dans les maisons privées, allait faire des patrouilles, allait maintenir les barrières pour contrôler le mouvement des gens dans la communauté.

Ce système a fonctionné, même au commencement du génocide mais ça a été mis en place de façon formelle par des ordres qui dataient du 25 mai. Ça, ç'était plus ou moins un format de, de formalité pour, pour mettre sur papier ce qui existait déjà. Et le système fonctionnait avec une collaboration entre l'autorité administrative locale et l’autorité militaire, parce que dans chaque partie du pays il y avait un camp militaire et le commandant de ce camp avait la responsabilité de ces zones. Et donc à Butare, ça a voulu dire que le colonel le témoin 151, qui était le commandant à Butare ­ Gikongoro, se chargeait de ce système d’autodéfense des civils et du recrutement des jeunes hommes et de leur formation pour apprendre à tirer par exemple et aussi la distribution des armes et l'emploi, la direction des activités jour par jour, c’est-à-dire, était faite par l'autorité administrative, souvent avec l'aide d'un soi-disant Conseil de Sécurité.

Le Conseil de Sécurité à chaque niveau, si c’était au niveau de secteur, niveau de communes, niveau de préfecture, ça existait déjà avant le génocide. Et ça existait pour, surtout pour des questions de criminalité, autre question de sécurité dans la ville. Mais avec le génocide, ces conseils de sécurité sont devenus souvent les moteurs locales du génocide. C'était pas toujours le cas, mais souvent le cas. Et nous avons trouvé dans les documents, des procès-verbaux des réunions de ces conseils de sécurité où ils ont pris la décision par exemple : demain matin à 7h00 on doit tous se réunir pour aller soi-disant chercher des armes. Ça c'était une formule pour aller chercher des Tutsi. Parce qu'on disait que des gens, des Hutu qui n'acceptaient pas le génocide et qui acceptaient de cacher des Tutsi, on les accusait souvent d'avoir caché des armes pour le FPR. Et dans ce cas, dans ce cas particulier, par exemple on disait : « Demain matin à 7h00 allez chercher des armes chez untel, untel, untel et voilà la liste, n'est-ce pas ».

L’Assesseur : On peut rester au niveau local de Butare comme vous l'avez fait. Vous parlez de la SORWAL et d'un certain nombre de gens qui y travaillaient et qui semblaient jouer un certain rôle, notamment sur le plan du financement de l'autodéfense civile puisqu'il y avait des aspects matériels à tout cela.

Alison DESFORGES : Oui. Alors, le gouvernement national a décidé que les communautés, les préfectures elles-mêmes devraient essayer de créer des fonds d'autodéfense. Et ces fonds d'autodéfense, d'après un ordre ministériel, devraient fournir des outils, soi-disant, pour les groupes d'autodéfense, c’est-à-dire, des machettes et des choses pareilles. Aussi des rafraîchissements, c’est-à-dire, des choses à boire et à manger. Il faut se souvenir que dans ce contexte de pauvreté, il y avait des gens qui avaient vraiment faim. Vraiment faim. Et une façon de payer les miliciens, c'était souvent de donner à manger. Donner à manger, aussi donner à boire, donner des drogues aussi. Alors, ces fonds d’autodéfense c'était pour payer ces frais. Aussi payer les frais par exemple de pétrole, pour le déplacement des bus, peut-être le pétrole aussi pour brûler les maisons ou les bâtiments. Alors, il y a eu le directeur administratif de la SORWAL et aussi, si je ne me trompe pas, le directeur technique de SORWAL, qui faisaient partie de l'équipe de gens qui avaient la charge des comptes pour l'autodéfense civile dans la préfecture de Butare.

L’Assesseur : On peut peut-être, tant que nous abordons le thème de la SORWAL, parler de façon plus générale du rôle que vous attribuez dans    - ou du moins qui est peut-être attribué à la SORWAL - dans le mécanisme à partir du 6 avril et même avant le 6 avril puisqu'on dit que la SORWAL hébergeait, employait et hébergeait pas mal de monde.

Alison DESFORGES : Oui. La SORWAL était une entreprise parastatale, peut-être ça c’est pas exactement le terme correct, mais une entreprise qui a été établie avec une portion des actions tenues par le gouvernement rwandais. Et il y a eu, comme représentant du gouvernement rwandais sur le conseil d'administration de SORWAL, Monsieur NGIRUMPATSE dont j’ai cité le nom il n’y a pas, pas quelques minutes, Monsieur NGIRUMPATSE qui était à ce moment le président du MRND.

L’organisation de cette usine à allumettes avait une fonction aussi très importante dans le sens que son directeur a été nommé directement par le président de la République, dans une forme de reconnaissance de l’importance de cet organisme et la SORWAL était un endroit où un certain nombre de gens extérieurs à la communauté de Butare, ont été engagés avant et pendant le génocide et des gens qui ont été hébergés là-bas et qui étaient des Interahamwe, qui étaient en tout cas appelés des Interahamwe par nos témoins, des gens qui étaient vus comme des extrémistes, comme des gens anti-Tutsi par les gens de la communauté.

L’Assesseur : Quand vous dites « vous » au témoin, dans ce cas-ci, c’est-à-dire que ce sont des personnes que vous avez personnellement entendues vous-même et votre équipe ?

Alison DESFORGES : C'est ça.

L’Assesseur : Vous vous basez donc toujours sur des déclarations que vous avez entendues ?

Alison DESFORGES : Nous n'avons pas de documentation écrite sur cette question.

L’Assesseur : C'est ça. Toujours sur le plan strictement local que nous avons atteint, un personnage important que vous décrivez est le capitaine NIZEYIMANA, qui est une relation, et de Monsieur HIGANIRO, et de Monsieur NTEZIMANA, qui a déjà dit au cours des débats que c'était une relation personnelle, un ami. Est-ce que vous pouvez nous parler de ce capitaine ?

Alison DESFORGES : Monsieur le capitaine NIZEYIMANA d’après quelques sources en tout cas, était apparenté au colonel BAGOSORA et à cause de ça, avait un certain poids politique parmi les autres militaires, qui dépassait, qui lui donnait la possibilité d’avoir plus d’importance que son rang de capitaine. Il a été décrit par nos témoins comme un personnage connu pour sa virulence contre des Tutsi à un tel niveau que ça faisait le sujet des chansons…

[Interruption d’enregistrement]

…en ville de Butare et aussi à l'école militaire et notamment était responsable de la tuerie de la Reine Mère et de nombreux, aussi d'autres personnages en ville de Butare. En effet, c'était parmi les militaires, une des forces les plus importantes, pendant le génocide.

L’Assesseur : Dans votre ouvrage, vous dites que le capitaine NIZEYIMANA, finalement, avait la responsabilité, à peu près pour la moitié du secteur de Butare ou du moins de Butare ville, des tueries.

Alison DESFORGES : C'est ça. Alors, il y avait trois groupements militaires en ville, plus ou moins : il y avait l’ ESO, l'école militaire où était basé le capitaine, il y avait le camp de Ngoma, qui à ce moment était commandé par un lieutenant qui s'appelait HATEGEKIMANA, et puis il y avait la gendarmerie. Et chacun de ces trois groupes militaires ont pris une partie de la ville comme leurs responsabilités pour des tueries.

L’Assesseur : Et, est-ce qu'il y a des documents, des témoignages précis qui permettent de retracer cela, parce que ce personnage, je pense, est d'une importance première.

Alison DESFORGES : Oui. Euh, c'était pas écrit d'après… non je crois que j'ai jamais vu un document qui dit ça, c'étaient plutôt des témoignages d'un nombre important, y compris des experts, des militaires de l'ancien gouvernement.

L’Assesseur : Et, pouvez-vous nous éclairer sur les relations personnelles qui existaient entre, d'une part Monsieur NTEZIMANA et Monsieur NIZEYIMANA, et d'autre part, entre Monsieur HIGANIRO et Monsieur NIZEYIMANA ?

Alison DESFORGES : Alors, euh d'après nos témoins, le capitaine NIZEYIMANA et Monsieur Vincent NTEZIMANA étaient amis, étaient souvent vus ensemble. On sait que le capitaine a obligé à aider Monsieur NTEZIMANA au moins une fois avec un transport au Nord, ce qui était à ce moment très difficile à arranger parce qu’il y avait très peu de véhicules qui circulaient, et quand Monsieur NTEZIMANA a voulu partir au Nord-Ouest, c'était le capitaine qui lui a procuré ou bien arrangé l'emploi du véhicule de SORWAL, donc qui a arrangé ça. Euh, et des témoins ont souvent dit que NTEZIMANA a passé beaucoup de temps dans la compagnie du capitaine. Et que, en effet, ils ont même occupé la même maison pendant une certaine période, donc, il y a beaucoup d'indications qu'ils ont été fortement associés pendant cette période de génocide.

Alors la deuxième partie de votre question c'était entre… ?

L’Assesseur : Monsieur HIGANIRO ?

Alison DESFORGES : Et le capitaine ?

L’Assesseur : Et le capitaine.

Alison DESFORGES : Monsieur HIGANIRO avait un grand poids politique parmi le groupe à Butare, le groupe des gens du Nord. Monsieur HIGANIRO lui-même, je crois, n'était pas tout à fait à l'aise dans la société ordinaire à Butare, parce que c'étaient des gens du Sud, qui le regardaient un peu comme quelqu'un étranger à leur société. Mais avec les autres comme le capitaine NIZEYIMANA, je crois qu'il a eu un rôle de grande importance parce que Monsieur HIGANIRO a été lié, dans les yeux de tout le monde, très fortement avec le président, pas nécessairement avec le cercle élargi du président, mais avec le président de façon personnelle.

L’Assesseur : Vous expliquez aussi que le capitaine NIZEYIMANA était arrivé à affecter des soldats à la garde de Monsieur HIGANIRO, ce qui était tout à fait irrégulier, semble-t-il.

Alison DESFORGES : Oui, ça c'est militaire ex FAR qui m'a fait ce témoignage que c'était un peu, ça a causé un peu de problème entre le capitaine NIZEYIMANA et son supérieur, le colonel le témoin 151 parce que le colonel n'a pas été consulté par NIZEYIMANA avant qu'il n'a pris cette décision d'affecter certains militaires comme garde personnelle à Monsieur HIGANIRO.

L’Assesseur : Bien. Un autre personnage, c'est Monsieur NKUYUBWATI qui semble aussi avoir été mêlé aux relations entre les trois personnages qu'on vient de citer.

Alison DESFORGES : C'est ça, oui. Monsieur NKUYUBWATSI, un jeune homme du Nord, est arrivé dans la communauté de Butare comme étudiant à l'école militaire et puis, a dû quitter l'école suite à un accident. Donc, il n'était plus que capable d'être soldat, d'être militaire. Et puis le capitaine NIZEYIMANA a aidé, l'a aidé à se faire engager à la SORWAL. Et il a logé pendant une certaine période avec sa sœur, chez le capitaine et puis, quand le capitaine n'avait pas assez de place chez lui ou peut-être d'après quelques témoignages, quand Madame la capitaine n'avait plus de patience avec la présence de la sœur de Monsieur NKUYUBWATSI dans sa maison, ces jeunes gens ont été déplacés et Monsieur NTEZIMANA a accepté de les héberger après la demande du capitaine NIZEYIMANA.

Alors, pendant le génocide, ce jeune homme, Monsieur NKUYUBWATSI, d'après des témoins, a participé à plusieurs tueries et on m'a dit même que maintenant il a été arrêté par les autorités rwandaises et a accepté sa responsabilité ; je n'ai pas vu, mais on m'a dit que ça a été vu à la télévision que, une certaine partie de son témoignage et qu’il a tué, il aurait tué une jeune fille, au moins une jeune fille, dans le jardin de Monsieur NTEZIMANA et peut-être aussi a été impliqué dans la tuerie d'une deuxième jeune fille, aussi qui faisait partie de la maison de Monsieur NTEZIMANA, en plus, au moins une autre personne, un jeune homme qui a été tué à une barrière. Donc, c'était un jeune homme qui circulait en uniforme militaire, qui n’était peut-être pas milicien comme tel mais qui souvent a accompagné des militaires pour servir comme guide, qui était dans un certain sens chef de patrouille, dans le sens qu'il devrait aller chercher des gens à tuer, sur ordre, des ordres surtout de NIZEYIMANA.

L’Assesseur : Et Monsieur NTEZIMANA a déclaré devant la Cour que Monsieur NIZEYIMANA ­ donc, le capitaine - aurait hébergé chez lui des Tutsi. On a pu comprendre que cela voulait dire que c'était pour les protéger. Est-ce que ça paraît vraisemblable ?

Alison DESFORGES : C'est bien possible. C'est bien possible comme j'ai dit, ça c'est pas du tout extraordinaire dans le contexte rwandais. J'ai eu même de sources fiables, des renseignements comme quoi le colonel BAGOSORA, qui est généralement reconnu comme un des chefs du génocide, que lui-même a aussi protégé des Tutsi chez lui. Donc, c'est rien d'extraordinaire avec ça.

L’Assesseur : J'en viens à un autre personnage, notabilité de Butare, qui est Monsieur Jean Berckmans NSHIMYUMUREMYI, qui est donc le vice-recteur de l'université de Butare, à cette époque. Il semble avoir une importance également assez considérable sur le plan de l'organisation de l'autodéfense civile notamment, et de son financement. Et par ailleurs, vous lui attribuez la paternité du document les « Dix commandements des Bahutu » qui remontait à plusieurs années auparavant. Il semble que ce document pouvait avoir été élaboré au sein de l'université de Butare à l'époque où cette personne en était le vice-recteur. Je fais erreur ?

Alison DESFORGES : Euh, non, je crois que je ne dis pas exactement ça.

L’Assesseur : Qu’il faisait partie d'un même groupe ayant élaboré…

Alison DESFORGES : Euh, pas lui personnellement. Non, non, je ne crois pas. Il faut revoir un peu le passage, c'est peut-être un problème de traduction qu'on a pas bien suivi mais ce que j'ai dit en anglais, en tout cas, et ce que j'espère, a été dit aussi en français, c'était plutôt qu’il y avait des enseignants, des intellectuels qui ont joué un rôle dans la formation, dans la création de ces « Dix commandements ». Mais ce n'était pas mon intention de lier ça à Monsieur le vice-recteur.

Il a joué un rôle, comme vous avez dit, dans l'organisation de l'autodéfense civile et aussi, il y a eu un groupe important de Tutsi qui ont pris asile à l'hôpital universitaire et Monsieur le vice-recteur a avalisé un plan pour expulser ces gens de cet asile à l'hôpital, soi-disant, pour leur remettre dans un état de fonctionnement normal.

L’Assesseur : Et ce vice-recteur semble avoir adopté des positions qui étaient, en tout cas, extrémistes ou…

Alison DESFORGES : Il a été connu un peu partout comme extrémiste. Moi-même, j'ai vu un entretien télévisé qu'il a fait avec une journaliste britannique, qui a été aussi transcrit en partie dans le livre « Season of Blood » où la journaliste lui a parlé des tueries des Tutsi, et lui a donné comme réponse, comme quoi, c'est la guerre et on doit s'attendre à voir des gens mourir. Ce qui n'était pas du tout… c'était la réponse banale donnée souvent par les autorités rwandaises, encore une fois pour indiquer que les Tutsi civils, dans leurs yeux, équivaut à une partie de la guerre, à des forces militaires. Et pour moi, ça indique certainement une forme d'extrémisme anti-Tutsi et ça, ce sont des mots que je lui ai vu dire.

L’Assesseur : Bien. Et Monsieur NTEZIMANA étant un professeur à l'université de Butare, est-ce qu'on a des éléments que je n'ai pas nécessairement aperçus dans votre livre, au sujet des relations qu'il aurait eues avec son vice-recteur. Du type de relations qu'il entretenait avec lui.

Alison DESFORGES : Je n'ai pas d'autres éléments et je crois que peut-être pour ce procès, l'aspect qui est le plus pertinent de leurs relations, c'est l'histoire des listes que Monsieur NTEZIMANA aurait dû créer soi-disant pour des gens qui cherchaient à se faire évacuer et le fait qu'il a remis ces listes au vice-recteur.

Le Président : Y a-t-il d'autres questions parmi les membres du jury ? De la part de Monsieur l'avocat général ?

L'Avocat Général : Oui, Monsieur le président. Je reviens un petit instant sur la personne du vice-recteur. Bon, les engagements du vice-recteur et comme vous venez de le dire, son attitude anti-Tutsi était déjà connue avant les événements.

Alison DESFORGES : Oui.

L'Avocat Général : Bon, connaissant… bon… c'était une connaissance commune.

Alison DESFORGES : Je dirais que c'était une connaissance commune. Oui.

L’Avocat Général : Connaissant donc la réputation et l'attitude du vice-recteur, est-ce qu'il était envisageable que lorsqu'on remet des listes reprenant des personnes qui veulent s'enfuir vers le Burundi et qui ne reprenaient que des Tutsi, que le vice-recteur aurait accédé à cette demande, évacué ou fait le nécessaire pour mettre à disposition des véhicules pour évacuer.

Alison DESFORGES : Non.

L’Avocat Général : Je passe à autre chose, on l'a déjà dit mais je voudrais simplement que vous le confirmiez. On a entendu notamment le discours du président intérimaire, Théodore SINDIKUBWABO, en traduction. Est-ce que vous pouvez confirmer qu'à cette époque l'usage du terme « nettoyer » et « travailler » était équivalent à « exterminer » « tuer ».

Alison DESFORGES : Sans doute.

L’Avocat Général : Alors, j'ai une question un peu plus générale. Est-ce que vous pourriez brièvement nous dire quelques mots concernant le rôle de la hiérarchie sociale au Rwanda, donc les relations entre dépendants inférieurs, supérieurs, etc. Donc, est-ce que la hiérarchie sociale, la place de l'individu dans la société, joue un rôle considérable au Rwanda ?

Alison DESFORGES : Oui, et ça depuis très longtemps. C'était…

L’Avocat Général : Donc, je fais référence, par exemple, au système de l' « Ubuhake ».

Alison DESFORGES : Oui.

L’Avocat Général : Par exemple.

Alison DESFORGES : Enfin, « Ubuhake » comme tel, n'existe plus depuis des décennies ; ça a été soi-disant extirpé avec la révolution mais, en effet, les attitudes sociales qui ont été établies par un système de l'Ubuhake, ça continuait d'influencer fortement le comportement des gens. Et, c'est-à-dire qu’un personnage s'attendait à développer une suite d'autres gens qui étaient inférieurs, peut-être simplement inférieurs par âge, des gens plus jeunes, par exemple, ou des gens qui avaient un rang inférieur au leur, qui devraient les suivre, qui devraient implémenter leurs idées et leurs ordres. Et les autres, applaudir si nécessaire, même s'il faisait des choses bêtes. Et en récompense, ce personnage avait le devoir de les protéger et les aider contre d'autres. Et ces attitudes, je crois, avaient toujours une grande importance, ont toujours une grande importance.

En plus, ça explique un peu pourquoi pendant le génocide, on a vu des hiérarchies parallèles qui ont pu fonctionner à côté de la hiérarchie normale. Par exemple, Monsieur HIGANIRO n'était plus ministre, il n'était plus ambassadeur mais il restait toujours un membre de la suite du président. Dans ce sens, il était un client du président et avec des relations d'amitié si proches qu'il osait inviter le président chez lui. Donc, ça indiquait un certain lien d'importance entre les deux hommes. Et avec ce lien de patron-client - si on peut l'exprimer comme ça - le client ose faire des choses pour implémenter les ordres de son supérieur, de son patron même si ça va contre les ordres de son supérieur ordinaire dans les hiérarchies. Et donc, on a vu pendant le génocide, des capitaines qui osaient contrecarrer les ordres de, par exemple, de leur colonel. Ou bien, un bourgmestre qui osait ignorer les directives du préfet parce que ces gens se sentaient protégés et liés à d'autres autorités plus importantes qui pourraient couvrir leurs actes.

L’Avocat Général : Par exemple, le capitaine NIZEYIMANA avait une place certaine et une certaine place dans cette hiérarchie.

Alison DESFORGES : C'est ça, par exemple…

L’Avocat Général : Qui faisait par exemple que, il avait par exemple plus de gardes du corps ou plus d'officiers à sa disposition que le chef d'état-major ad intérim, Monsieur le témoin 27

Alison DESFORGES : Oui, enfin peut-être pas au moment quand il était chef d'état-major, mais au moment quand il était son commandant direct, oui.

L’Avocat Général : Monsieur HIGANIRO, vous y aviez répondu, occupait donc une certaine place dans cette hiérarchie sociale.

Alison DESFORGES : Oui.

L’Avocat Général : Et Monsieur NTEZIMANA, en tant que professeur à l'université, occupait aussi une certaine place dans la hiérarchie sociale ?

Alison DESFORGES : Oui, çà c'est un point très important. Les Rwandais respectent beaucoup l'éducation formelle. L'éducation est introduite par l'administration coloniale, et donc, ceux qui ont eu le privilège de suivre des études secondaires ou même plus, des études universitaires ou même ceux qui faisaient partie de ce petit noyau très privilégié de gens qui ont pu étudier à l'extérieur au niveau plus avancé, ces gens avaient beaucoup, beaucoup de respect et avaient un rôle très important à jouer dans la hiérarchie sociale. Et ça a été exploité pendant le génocide : à la radio par exemple, souvent on mettait certaines idées dans la bouche d'un soi-disant intellectuel pour donner plus de validité à cette idée.

L’Avocat Général : Bon, donc maintenant j’en arrive plus spécifiquement lorsque Monsieur HIGANIRO engage quelqu'un comme Monsieur NKUYUBWATSI, lui donne une certaine formation, un travail. Monsieur NKUYUBWATSI est, disons, l'obligé de Monsieur HIGANIRO ?

Alison DESFORGES : Tout à fait.

L’Avocat Général : Bon. Lorsque Monsieur NIZEYIMANA, dont on connaît le rôle, demande à Monsieur NTEZIMANA d'héberger Monsieur NKUYUBWATSI, Monsieur NKUYUBWATSI est l'obligé du capitaine NIZEYIMANA et de Monsieur NTEZIMANA ?

Alison DESFORGES : Oui.

L’Avocat Général : Bon, maintenant je passe à un autre point. Il y a encore une personne que vous mentionnez dans votre bouquin dont on n'a pas encore parlé, c'est Monsieur REKERAHO. Il s'agit donc du pan du dossier du monastère de Sovu. Est-ce que vous pourriez brièvement nous dire quels renseignements vous avez recueillis à ce sujet ?

Alison DESFORGES : Comme j'ai indiqué au moment des tueries, c'étaient souvent des gens qui avaient une certaine formation militaire qui ont dirigé des attaques. Dans la région de Butare, une de ces personnes qui étaient très importantes pour ces attaques, il y a eu Monsieur REKERAHO. C'était un ancien militaire qui, au moment du génocide, a vraiment joué un rôle assez extraordinaire pour des attaques dans la région de Huye. Mais, même à Butare, il était parmi les membres de groupes qui supervisaient l'autodéfense civile. Donc, c'était un personnage d'importance plus que locale, peut-être pas tout à fait régionale, mais il était connu, si je ne me trompe pas, même à Gikongoro, la préfecture à l'Ouest, comme un tueur très connu.

L’Avocat Général : Est-ce qu’une personne comme Monsieur REKERAHO aurait pu, par exemple, empêcher les tueries ou arrêter les tueries, ou donner l'ordre de tueries ?

Alison DESFORGES : Oui, je crois. S'il avait envie, il avait assez de poids pour arrêter comme d’ordonner des tueries. Oui.

L’Avocat Général : Et il avait aussi assez de poids pour protéger des personnes ?

Alison DESFORGES : Oui, certainement.

L’Avocat Général : Je n’ai plus d’autres questions, Monsieur le président.

Le Président : Les autres parties souhaitent-elles poser des questions ? Maître GILLET. Oui, je vous en prie.

Me. GILLET : Monsieur le président, j'ai plusieurs questions que je souhaiterais que vous posiez à Madame DESFORGES. L'on constate dans,  au moment où les tueries commencent à Butare que, bon elles commencent semble-t-il, par un assassinat qui est celui de la Reine Mère, donc l'épouse de l'ancien roi qui était à Butare, qui vivait là depuis très longtemps, et c'est un assassinat qui se fait dans des conditions d'ailleurs particulièrement atroces et j'aurais voulu savoir s'il y a une raison pour laquelle on s'en est particulièrement pris à la Reine Mère et précisément en premier lieu ?

Le Président : Oui. Vous est-il possible de répondre à cette question ?

Alison DESFORGES : Oui. Pendant les tueries antérieures souvent les femmes ont été protégées. On disait même qu’une femme n'a pas d'ethnie. Souvent peut-être parce qu'une femme d'un groupe ethnique pourrait se marier avec un homme d'une autre et donc avait un statut un peu ambigu. Donc, les femmes avaient quand même mérité une certaine protection pendant des tueries antérieures.

La Reine Mère a eu, a mérité encore de la protection spéciale parce que c'était quelqu'un lié avec un roi qui a été très très respecté, très aimé, et qui était elle-même connue comme un personnage tout à fait apolitique, une femme âgée, 80 ans, si je ne me trompe pas. Tout à fait pratiquante, très généreuse aux autres, qui n'avait rien à se reprocher.

Alors, le fait que le capitaine NIZEYIMANA a choisi de commencer le génocide avec la Reine Mère, avait une très grande importance symbolique. C'était tout d'abord une façon pour indiquer que tout ce qui avait un lien avec l'ancien régime était à extirper mais en plus, c'était pour indiquer qu’avec l'assassinat d'une telle personne, on indiquait clairement qu'il n'y avait pas de Tutsi qui étaient protégés, qui pourraient être considérés hors de combat. Si on pouvait tuer même cette dame avec son statut privilégié, avec son comportement idéal personnel, avec son âge, il n'y avait pas de Tutsi saufs.

Le Président : Oui ?

Me. GILLET : Alors, on constate que Monsieur KARENZI, qui est donc le frère d'une des parties civiles que nous représentons, est mort à peu près immédiatement après. C'est - je dirais, apparemment - c'est ce qu'on peut considérer comme étant le deuxième événement du génocide à Butare. Est-ce que Monsieur KARENZI revêt une certaine importance symbolique aussi ?

Alison DESFORGES : Monsieur KARENZI a été tué le jour après. Mais c'est vrai que dans le sens d'étape du génocide, sa tuerie a marqué aussi un point important. C'était un Monsieur Tutsi mais qui a été connu comme un personnage politique qui a eu un poste dans le Comité central du MRND qui était, dans le temps, le parti unique. Il était un Tutsi qui jouait le rôle de symbole, d'alliance symbolique entre des Tutsi et le président le témoin 32. Et le fait du tuer, encore une fois, c'était un homme assez âgé, distingué, bien aimé il paraît, de beaucoup de monde. Mais aussi le fait du tuer a servi encore une fois pour mettre tout le monde au courant des faits que le lien qui existait, la possibilité de s'allier avec des Tutsi, que c'était fini.

Me. GILLET : Donc, il y a, d'après ce que vous dites, et qui me semble, il est possible de déduire du dossier, un certain ordre décidé, probablement pré-établi dans les tueries pour conditionner la population à rentrer dans le système du génocide. Est-ce que vous pouvez confirmer cela ?

Alison DESFORGES : Je crois que c'était le cas et pas seulement à Butare mais dans d'autres communautés aussi. On a souvent remarqué que pendant les premiers jours, il y a certains personnages ciblés qui, dans les morts, étaient plus importants dans les yeux des tueurs que les morts d'autres personnes. C'est-à-dire, certains personnages qui ont été recherchés exprès, parce que c'étaient des personnes qui jouaient un rôle important dans la communauté. Ou bien, comme Tutsi bien connus ou bien, peut-être aussi comme Hutu de l'opposition bien connus et pendant les premiers jours, si on parle de Madame Agathe UWILINGIYIMANA, qui était le premier ministre ou si on parle de certains procureurs ou certains assistants médicaux au niveau local, qui étaient connus comme des Hutu qui étaient contre des idées génocidaires, ces gens aussi ont tous été tués pendant les premiers jours. Donc, de ces faits qu'on a remarqués, qu'on a constatés dans plusieurs communautés, je tire la conclusion que souvent on avait établi des listes et que, pour Butare, avec le choix de la Reine Mère et le choix de KARENZI, je crois que ça a été aussi le cas.

Me. GILLET : Est-ce que cette stratégie pouvait être définie par des militaires seuls ? On sait que Monsieur KARENZI a été tué par des éléments de la garde présidentielle. Est-ce que des militaires, le pôle militaire, je dirais, du génocide était en mesure de décider seul d'une telle stratégie ?

Alison  DESFORGES : Je suppose que c'est possible que le capitaine seul a pris de telles décisions, mais je crois que c'est peu probable. Parce que la responsabilité de dresser de telles listes était souvent une responsabilité conjointe, parce que le génocide était, dans des communautés, plus ou moins une entreprise gérée par un petit groupe de personnes qui se mettaient ensemble pour cette campagne de tueries et qui entre eux, ont décidé le choix des victimes. Et, je suppose qu’étant donné des forces politiques et intellectuelles importantes à Butare, que ces forces aussi ont participé dans la sélection des personnes ciblées.

Me. GILLET : Je suis effectivement frappé, dans l'ensemble du dossier, de voir le rôle que les intellectuels ont joué en général dans le génocide mais d'une manière générale, par le rôle que les intellectuels de l'université nationale du Rwanda…

Le Président : Question ! Pas de commentaires, pour le moment. Les commentaires c'est après les questions et après que les auditions soient clôturées. D'accord ?

Me. GILLET : Oui, mais j'introduis une question.

Le Président : Oui. Je voudrais que lorsqu'on interroge les témoins, on les interroge. Après on fait les commentaires, mais pendant l'audition du témoin, ce sont des questions que l’on pose. Et j'aimerais ne plus avoir à revenir sur ce point.

Me. GILLET : Alors, est-ce que je puis…

Le Président : Je vous prie de poser une question, si vous le souhaitez.

Me. GILLET : Alors, sur la question de la méthode, est-ce que je peux vous poser une question à vous pour savoir comment poursuivre ? Donc, il y a des documents qui se trouvent dans le dossier, qui montrent quelle est la part que des intellectuels ont prise par des communiqués, par des pétitions etc. et je souhaiterais savoir quelle est l'interprétation à donner à ce type d'intervention. Est-ce que c'est le genre de question…

Le Président : Ce n'est pas poser la question comme ça ? Oui ?

Me. GILLET : Oui, oui, bien sûr. Bon. Donc, on a notamment une déclaration, une intervention des intellectuels de Butare du 4 janvier 1994 qui m'interpelle beaucoup ; elle est signée d'ailleurs par Monsieur NTEZIMANA, et aussi par Monsieur HIGANIRO et d'autres personnes de la SORWAL, et dans cette déclaration, ils appellent le peuple à se soulever contre Monsieur TWAGIRAMUNGU qui s'impose absolument comme le premier ministre, euh, des institutions de la transition. Et je souhaiterais savoir quelle est l'interprétation à donner à cette intervention des intellectuels, cette manière des intellectuels d'intervenir - et spécialement de ceux de Butare - dans le champ politique à ce moment-là et de cette manière.

Alison DESFORGES : C'est un document que j'ai pas examiné mais je dirais que, d'après des éléments présentés ici, je trouve plusieurs choses remarquables : tout d'abord le fait qu'on trouve Monsieur NTEZIMANA et Monsieur HIGANIRO unis dans cette position politique, même s’ils représentent des partis politiques différents. Et surtout pour une date de  4 janvier, ça c'est vraiment un peu extraordinaire, parce que c'est déjà longtemps avant le génocide et à un moment quand on aurait pu supposer que ces gens représentaient des positions politiques assez différentes.

Alors le fait de l'emploi de la phrase « demander au peuple de se soulever contre… », ça aussi c'est une façon peut-être de s'exprimer qu'on ne s'attend pas à des intellectuels, se soulever dans le sens, je suppose, que même à la violence, euh… mais aussi le fait que des intellectuels ont présumé s'insérer dans le processus politique à ce moment. Parce que TWAGIRAMUNGU a été déjà désigné comme premier ministre depuis 4 à 5 mois, par les accords d'Arusha et c'est un peu difficile à voir pourquoi ils croyaient appeler à se prononcer d'une telle façon.

Le Président : Oui. D'autres questions ?

Me. GILLET : Oui, si vous me le permettez, Monsieur le président. J'essaie d'être le plus proche possible des faits et du dossier et donc, de prendre vraiment ce qui est en rapport direct avec Monsieur NTEZIMANA et Monsieur HIGANIRO. Il y a dans le dossier, un document qui est un procès-verbal d'une Commission politique du comité directeur des fonctionnaires affectés à Butare et adhérents au MRND et où il y a deux idées, disons essentielles : on veut différer la mise en place des institutions de transition parce qu'on regrette que l'union des Hutu ne soit pas encore suffisamment effective au niveau de la tête, mais alors… ça, c'est un thème que l'on connaît, que vous avez expliqué tout à l'heure ; mais il y a une deuxième idée qui me semble vraiment très mystérieuse sur laquelle je souhaiterais avoir une explication, on dit : « Enfin, il est indispensable et alors urgent d'organiser une défense collective qui doit passer par les cellules dont les responsables doivent être redynamisés ». Et c’est un document qui date du 13 février 1994. Quelle est votre interprétation de… votre décodage de cette idée ?

Alison  DESFORGES : Le 13 février…

Me. GILLET : Le 13 février 1994.

Alison DESFORGES : Et c'est un document de MRND ? D'un comité de MRND ?

Me. GILLET : Une Commission politique du comité directeur des fonctionnaires affectés à Butare, adhérents au MRND.

Alison  DESFORGES : Hum…

Le Président : Vous n'avez pas connaissance du document ?

Alison  DESFORGES : J'ai pas examiné ce document. Euh, cette idée de…

Me. MONVILLE : Est-ce que je pourrais prendre la parole une seconde….

Le Président : Le témoin est en train de répondre, vous prendrez la parole après.

Me. MONVILLE : Désolé. Ca a à voir avec sa déposition.

Le Président : Je vous prie de répondre.

Alison DESFORGES : Je trouve remarquable l'idée de la mention des responsables de cellules et l'idée de redynamiser des responsables des cellules. Parce que, comme j'ai remarqué le fait qu’on avait l'intention d'employer la structure administrative pour mobiliser la population et que ça, c'était un problème parce que les responsables n'étaient plus payés. Dans le temps, la position de responsables de cellule était une position du parti politique MRND plutôt que de la structure administrative comme telle. Et, au moment, quand on a instauré le multipartisme, on a fait la division entre les fonctions du parti et de l'État. Cette position de responsables de cellule est tombée entre les deux chaises et donc, ils n'étaient plus payés.

Et alors, à ce moment mi-février, on pensait déjà à l'importance de faire ça, et ça me fait penser aux remarques qui datent de mi-mai, je crois le 14 mai, quand le premier ministre est venu à Butare et il a présenté un discours à la faculté et aux autres intellectuels de l'université. Un des points qu'il a soulignés avec la plus grande fierté, c'était que son gouvernement a trouvé le moyen de payer les gens des responsables de cellules. Donc, je trouve assez remarquable que cette idée, qui était mise en avant comme problème pour le MRND en mi-février, a été citée comme quelque chose qu'on a bien accompli par le gouvernement intérimaire et notamment le premier ministre qui était du MDR. Alors, ça veut dire que l'idée d'employer la structure administrative avait une telle importance dans la structure du génocide que ça était reconnu comme nécessité en mi-février, ce que je trouve étonnant, qu'en mi-février ça c'était déjà, à ce moment, formulé comme un objectif de MRND. Et enfin ça a été achevé pendant le génocide.

Le Président : Bien. Maintenant vous avez la parole, Maître MONVILLE

Me. MONVILLE : Monsieur le président je suis désolé d'avoir un peu réagi spontanément mais je m'étonne simplement qu'on puisse interroger le témoin sur des documents qu'elle n'a ni vus, ni lus, et qu'on puisse solliciter sa réaction. Elle a déjà tellement de choses à dire ! Est-ce qu'on va passer tout le dossier en revue en demandant à chaque fois son intervention ? Et la moindre des choses, si vous estimez cette réaction opportune, ne serait-elle pas de soumettre ce document à la personne en question ? Si vous me donnez maintenant l'intitulé d'un document en me disant : « Réagissez par rapport à ce document… »

Le Président : On a demandé à commenter par le témoin, un passage de ce document dont il a été donné lecture.

Me. MONVILLE : Je ne connais pas les capacités de mémoire de chacun, mais je trouve qu'il est quand même plus normal, si on souhaite commenter une pièce, qu'elle soit toute lue ou qu'elle ne le soit pas du tout, et alors on ne demande pas de commentaires.

Le Président : Bien. D'autres questions ? Maître JASPIS et puis Maître RAMBOER.

Me. JASPIS : Monsieur le président, au préalable je constate que nous sommes occupés à écouter ce témoin depuis plus de 2 heures, je me demande dans quelle mesure…

Le Président : Nous allons faire effectivement suspendre…

Me. JASPIS : … et le témoin et le jury…

Le Président : …suspendre pendant un quart d'heure… de manière à souffler tous.

Me. JASPIS : Merci.

Le Président : Monsieur SEBUDANDI est là, je vous le signale. Donc, l'audience est suspendue, elle reprend à 17 heures 05.

[Suspension d’audience]

Le Président : L'audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir et les accusés peuvent prendre place. Madame DESFORGES peut revenir à la table des témoins ?

Bien. Alors, Maître JASPIS vous souhaitiez poser l’une ou l'autre question ?

Me. JASPIS : Oui, je vous remercie, Monsieur le président. Le témoin n'a pas encore eu l'occasion d'évoquer la question du rôle de l'Eglise qui nous intéresse bien sûr au premier chef, et je pense que le jury souhaitera peut-être aussi avoir quelques explications à ce sujet. J'aurais voulu bon, soit on peut partir du plus général vers le plus particulier, soit faire le chemin inverse. Disons que la question qui me préoccupe de façon plus concrète et plus en lien avec le dossier précisément, est l'attitude des deux dernières accusées. C'est la question de savoir, à travers l'ensemble du Rwanda, puisque le livre et l'enquête qui ont été effectués par Human Rights Watch, porte quand même sur l'ensemble du pays, est-ce qu'on peut noter des différences remarquables ou au contraire une certaine homogénéité dans le comportement des religieux, des prêtres, des religieuses, dans la manière dont les lieux de culte ont servi ou n'ont pas servi d'abri à ceux qui demandaient asile ?

Le Président : Est-ce qu'on peut peut-être d'abord aborder le problème de la hiérarchie de l'Eglise ?

Me. JASPIS : Je crois que c'est une bonne idée.

Le Président : Est-ce qu'il y a un rôle ? Et s'il y en a un, quel est-il ? Et ensuite peut-être, aborder alors le problème de savoir à quoi servaient avant les lieux de culte dans certains moments hein, de la vie du Rwanda, à quoi ils ont servi ? Et à quoi ils ont servi à partir d'avril 94 ou à quoi ils n'ont pas servi. Donc, peut-être d'abord le problème de la hiérarchie de l'Église.

Alison DESFORGES : Oui.

Le Président : Ou des Églises.

Alison DESFORGES : Oui. Alors, depuis l'époque coloniale, l'Église, surtout l'Église catholique, mais aussi les Églises protestantes ont été fortement impliquées dans la vie politique. Euh… les administrateurs coloniaux souvent demandaient des conseils et de l'aide d'une façon ou l'autre, des missionnaires qui ont été censés plus expérimentés, qui souvent passaient toute leur vie, toute leur vie dans le pays. Après l'indépendance euh… l'Église a eu un rôle différent, en partie parce que cette politique, enfin pour recommencer, la politique de jouer un rôle dans la vie de pouvoir, la vie gouvernementale, ça a continué, mais le personnel a changé. Même pendant le moment quand l'administration coloniale favorisait tellement les Tutsi, l'Église et surtout les séminaires de l'Église ont offert le seul chemin ouvert aux Hutu pour accéder à l'éducation et à une fonction un peu hors de l'ordinaire. Donc, c'est surtout dans ce réservoir de Hutu éduqués par l'Église que le nouveau gouvernement, et aussi les partis politiques, ont cherché leur personnel. Alors, euh… les nouveaux responsables du gouvernement rwandais étaient probablement aussi liés à l'Église que les Tutsi du système monarchiste. Parce que, comme les Tutsi, ils ont eu leur éducation, leur formation, grâce à l'Église.

L'implication surtout de l'archevêque pendant la période le témoin 32 a été souvent soulignée et avec importance, je crois, parce que ça indique à quel niveau cette implication, cette intégration entre certains fonctionnaires de l'Église et certains fonctionnaires gouvernementaux existaient. Jusqu’à la fin des années 80, l'archevêque du pays avait une place dans le Comité central du parti politique unique le MRND. Et d'après des témoignages, c'était sûrement grâce à un ordre direct du Vatican que l'archevêque a accepté enfin de laisser ce poste.

Alors, euh… au niveau local, souvent le prêtre ou bien le pasteur a joué un rôle important dans la politique de la communauté parce que c'était dans un certain sens, et le résident intellectuel le plus important, et bien sûr, le résident d'autorité morale. Euh… souvent des membres du clergé ont joué un rôle par exemple dans les comités de sécurité. Avant le génocide et aussi pendant le génocide. Certains membres du clergé ont continué à offrir les mêmes aides aux autorités administratives même pendant le génocide qu'avant. C'est-à-dire, annoncer à l'église le dimanche matin, des réunions de communes, des réunions qui seraient nécessairement des réunions où seraient organisées des campagnes de tueries. Euh, il y a eu certains cas de prêtres qui ont même pris leur place sur les barrières. Euh… d'habitude les membres du clergé n'ont pas joué un rôle si évident, au moment du génocide les cas qui sont souvent cités des prêtres qui portaient des armes, par exemple, ce sont des cas exceptionnels. Ce n'était pas habituel. Et c'est pour ça, je suppose, que ça a attiré tant l'attention.

L'Église, les églises, comme d'une façon aussi les écoles et les hôpitaux étaient toujours, dans le temps, des lieux d'asile, aussi souvent aussi des bureaux communaux. Donc, quand il y a eu des massacres, euh… pendant les années 60 et aussi les années 91-92, les personnes ciblées cherchaient protection à l'église, ou, s'il n'y a pas d'église très proche, dans un hôpital ou une école ou autre chose. Ces lieux étaient respectés. Je ne peux pas dire certainement partout et pour toujours, mais je ne connais pas moi-même des cas où des gens ont été attaqués ouvertement dans une église, avant le génocide de 94. Il y a eu des cas où des gens déplacés à une église par exemple ont souffert de privations ; on les a privés de l'eau ou de nourriture pour les obliger de quitter l'église mais une attaque comme telle, je crois, ça n'a pas eu lieu avant la période du génocide.

Alors, je trouve tout à fait naturel que des gens ont cherché l'asile, en 94 exactement, dans les mêmes endroits où ils ont réussi à trouver l'asile auparavant. C'est naturel. Mais cette fois-ci, l'histoire était différente. Une question importante dans chaque communauté : est-ce que les victimes sont eux-mêmes parties toutes volontiers à l'église ou bien est-ce qu'ils ont été incités à y aller, par les autorités administratives qui avaient en tête la facilité de tuerie ? Simplement comme on disait dans le temps, mettre les feuilles sèches ensemble dans un tas, ça brûle plus vite ! N'est-ce pas ? Alors, nous savons de façon certaine que donc, dans certaines communautés, par exemple, je pense à Nyakizu dans la préfecture de Butare, les autorités communales ont ordonné aux Tutsi d'aller à l'église avant que l'église a été attaquée. Il y a d'autres cas qui sont plus ambigus où des gens y sont partis, peut-être, de leur propre volonté. Il y a certains cas où on a refusé asile, mais ça c'était pas très souvent le cas, ça c'était assez rare qu'on a refusé asile aux gens mais oui, ça c'est arrivé. C'est aussi arrivé des cas où des gens ont été accorder asile, et après livrés. Ou bien livrés tous à la fois ou bien en petits groupes. Ca c'était vrai aussi dans les hôpitaux et les écoles, comme c'était le cas dans des églises et des lieux religieux. C'est bien sûr plus choquant quand ça arrive dans des lieux sacrés. Mais ça faisait partie du même contexte où des gens espéraient trouver asile et puis ont été déçus.

Euh… pour le comportement du clergé si ça c'était quelque chose d'uniforme partout dans le pays ? Je trouve que nos données, en tout cas, ne sont pas assez détaillées pour établir ça, mais j'ai l'impression plutôt que les variations étaient des variations individuelles plutôt que régionales. C'est-à-dire, ça dépendait des circonstances et des décisions individuelles des personnes en charge de chaque lieu.

Le Président : Maître JASPIS, encore d'autres questions, ou Maître RAMBOER ?

Me. JASPIS : Oui. On constate dans le dossier que de nombreuses personnes qui ont voulu se réfugier dans le monastère de Sovu et puis par la suite, dans le centre de santé, y ont séjourné pendant de nombreuses heures, plusieurs jours et il y a une question qui est assez lancinante qui concerne l'approvisionnement de ces gens. Donc, on note plusieurs fois que les personnes souhaitent être nourries, qu'on amène de la nourriture qui n'est pas distribuée ; on leur demande de se séparer de leurs affaires, qu'ils pourront les récupérer par la suite…

Le Président : Question, une question…

Me. JASPIS : …voici la question, Monsieur le président. Est-ce que le témoin peut nous renseigner sur le point de savoir si cette manière de laisser les gens séjourner longuement sans les nourrir ou en leur faisant croire qu'on va les nourrir, est un phénomène que l'on retrouve dans d'autres situations où des groupes de gens ont péri, après avoir cherché refuge dans des lieux qui sont, au fond un petit peu, des lieux publics et d'asile traditionnel ?

Alison DESFORGES : Oui. Euh… il y a un certain nombre de cas que nous avons documentés où des gens ont été privés de nourriture ou de l'eau, il paraît dans le but de les affaiblir pour rendre plus facile une attaque après.

Le Président : Donc, à plusieurs endroits ?

Alison DESFORGES : Plusieurs endroits, oui.

Le Président : Une autre question ? Maître RAMBOER ?

Me. RAMBOER : Oui, Monsieur le président. Je reviens au rôle de l'Église et je vais poser la question suivante au témoin. Est-ce que, si la hiérarchie de l'Église avait appelé, je dirais, à ne pas participer aux tueries, est-ce que le rôle du génocide au Rwanda aurait été différent, le déroulement, pardon, pendant le génocide au Rwanda aurait été différent ? Est-ce que ceci est vrai au niveau général et au niveau local, par exemple est-ce que plus spécifiquement pour Sovu, où une des prévenues était directrice du couvent, est-ce qu'elle aurait pu jouer de son autorité pour mettre fin aux tueries, ou avoir une influence vis-à-vis de ces personnes sur place ? Alors, plutôt donc, dans le registre que de ce que vous avez expliqué sur l’ Ubuhake, ce que le témoin a expliqué sur l’Ubuhake. Est-ce que la relation à l'intérieur de la hiérarchie catholique est aussi, je dirais, peinte par ce comportement traditionnel au Rwanda ? Et, est-ce que, si la réponse est oui, est-ce que c'est aussi vrai dans ce sens que les fidèles ont aussi cette attitude de déférence vis-à-vis de leur, je dirais, supérieur hiérarchique au sein de l'Église ?

Le Président : Donc, double question. Si la hiérarchie de l'Église catholique, demande Maître RAMBOER, était intervenue, le déroulement des massacres aurait-il été le même que ce qu'il a été ? Est-ce qu'au niveau local, le rôle du prêtre, de la sœur supérieure d'un couvent quel qu'il soit, une intervention auprès de milices, auprès de personnes qui s'apprêtaient à tuer, aurait-elle eu une influence ?

Alison DESFORGES : Pour la question de l'influence de la hiérarchie, je crois bien sûr, ça aurait eu une influence, euh… dépendant des circonstances : si c'était le Pape qui a parlé, ça aurait eu une certaine influence ; si c'était le Pape qui a parlé avec la collaboration des dirigeants d'autres Églises, ça aurait eu plus de poids ; si c'étaient ces autorités religieuses qui auraient parlé avec aussi les présidents des pays principaux donateurs de fonds au Rwanda, ça aurait eu encore plus de poids, n'est-ce pas ? Alors, impossible de délimiter avec exactitude quel poids une seule voix aurait pu avoir mais c'est certain que c'est le silence total pendant ces semaines, qui a rendu plus faciles les efforts du gouvernement génocidaire, ça c'est certain.

Pour chaque communauté euh… il faut connaître les dynamiques de cette communauté. Je suppose de façon générale qu'un prêtre aurait plus de poids qu'une sœur, même qu'une sœur directrice d'un couvent. Simplement parce que, oui, les idées de l'Ubuhake, ça existait à l'intérieur de l'Église mais aussi les idées de sexisme existaient à l'intérieur de l'Église, et à l'intérieur de la société rwandaise. Et la voix d'un homme avait beaucoup plus de poids que la voix d'une femme. Ca, il faut reconnaître, donc, ce serait plus facile je suppose en général tous les autres facteurs étant égaux, ça aurait été plus facile pour un prêtre d'avoir une influence que pour une sœur, même une sœur directrice d'une congrégation. Je suppose aussi qu’une sœur directrice d'une congrégation aurait pu avoir une influence quand même surtout avec, si elle s'y mettait avec une certaine persistance et énergie, elle aurait pu influencer la situation. Peut-être pas empêcher toutes les tueries, non ça c'est trop pour demander à n'importe qui, je suppose, mais pour limiter, oui, pour protéger un groupe, peut-être. Ça, c'est une question d'évaluation très difficile et je ne connais pas assez les dynamiques, je n'ai pas les données qu'il faut pour évaluer un cas particulier comme ça mais en général, je dirais qu'il faut voir de près quel est le poids de l'individu dans la communauté en question. Qui l'écoutait ? Est-ce que l'institution, par exemple un couvent, avait beaucoup d'importance économique ? Est-ce qu’il y avait beaucoup de gens qui ont fait leurs études auprès d'une certaine congrégation de sœurs ? Est-ce que le couvent offrait un certain nombre d'emplois ? Est-ce que le couvent avait des champs qu'il louait ou donnait aux gens ? Alors, est-ce que c'était un centre d'importance ou pas ? Et pour ça, j'ai pas examiné des cas particuliers pour pouvoir évaluer, mais c'est dans ce sens-là que j'allais poursuivre la matière pour essayer d'évaluer si une personne dans une institution particulière, aurait pu avoir une influence.

Le Président : Alors, second problème : hiérarchie sociale au sein de l'Église ?

Alison DESFORGES : Ça existait, mais c'était aussi important de se souvenir du fait que l'Église avait aussi une dimension ethnique et qui avait une portion, une partie du clergé, des sœurs et des frères, qui étaient Tutsi et d'autres Hutu. Et donc, il y avait que les mêmes structures hiérarchiques qui étaient au même temps entremêlées avec des considérations ethniques.

Le Président : D'autres questions ? Oui. Maître VERGAUWEN.

Me. VERGAUWEN : Pourriez-vous demander au témoin ce qu'elle sait du journal Kinyamateka dont on a déjà parlé ce matin, et est-ce qu'elle pourrait nous en dire un petit mot sur la position de ce journal par rapport au gouvernement, avant les faits du génocide.

Le Président : Le connaissez-vous ?

Alison DESFORGES : J'ai pas, oui je connais bien sûr Kinyamateka. Alors, pour la période immédiatement avant le génocide, je sais que le journal a adopté une position assez critique envers le gouvernement et qu’il a publié un nombre d'articles par exemple qui ont exposé que des cas de corruption qui a eu comme résultat l'arrestation et un procès de certains journalistes, y compris le rédacteur SIBOMANA.

Le Président : Oui.

Me. VERGAUWEN : Oui, je vous remercie, Monsieur le président. Vous ne m'en voudrez pas de revenir avec une question de contexte tout à fait générale. Le témoin a parlé tout à l'heure de la communauté internationale, il a parlé de la MINUAR. Je voudrais qu'il puisse nous en parler peut-être avec un peu plus de précisions. Que peut-il nous dire donc sur les raisons de l'installation de cette MINUAR au Rwanda, les raisons de son départ ? Je voudrais que le témoin puisse également nous parler de la position du général DALLAIRE et notamment de ce fameux télégramme qui a été envoyé à New-York, le 11 janvier 1994. Bref, de l'attitude de la communauté internationale avant le génocide, pendant le génocide et après le génocide.

Le Président : Oui.

Alison DESFORGES : Pendant les années 80, la plupart des pays d'Europe et d'Amérique du Nord ont vu le Rwanda comme une sorte de modèle de développement économique. Et c'était vraiment un peu extraordinaire que pendant des années, quand d'autres gouvernements étaient en train de tomber en dettes sérieusement, que le Rwanda restait toujours plus ou moins liquide. Cette situation a changé vers la fin des années 80 et aussi en même temps avec une augmentation des accusations de corruption contre le gouvernement, l'évaluation tout à fait favorable du gouvernement le témoin 32 a commencé à tomber un peu.

Avec la guerre, pour la plupart, la France, la Belgique et les États-Unis étaient des pays les plus impliqués en suivant la situation de la guerre et pendant une certaine période, ils se sont collaboré et ils ont trouvé tous un intérêt en essayant de terminer cette guerre. Mais en même temps, le gouvernement français était fortement identifié avec le régime le témoin 32 et après un certain moment, il s'est séparé de la politique de la Belgique et des États-Unis pour prôner surtout un soutien au gouvernement d'le témoin 32, même en toujours faisant semblant d'avoir un intérêt d'achever un cessez-le-feu et un accord de la paix.

Après février 93, même le gouvernement français ou certains des militaires en tout cas, ont accepté que la force du FPR était assez puissante pour continuer à causer des vraies difficultés au gouvernement rwandais et aussi suite à certains changements dans le         gouvernement français, des autorités françaises, certains d'eux en tout cas, commençaient à en avoir marre de la crise au Rwanda. Et donc, il y a eu une politique ambiguë de la partie de la France pour la présidence et surtout Mitterrand lui-même et certains militaires proches de lui, ont voulu continuer à soutenir le régime le témoin 32, tandis que d'autres ont préféré se retirer et laisser le travail de maintien du gouvernement rwandais, entre les mains de l'ONU.

Et donc, après la grande avancée militaire du FPR en 93, la France a commencé à militer au sein de l'ONU, pour la création d'une force de maintien de la paix, pour pouvoir retirer ses forces qui étaient là comme vraiment le grand soutien du gouvernement rwandais, pour que les forces de l'ONU pourraient remplacer ses propres troupes. Alors, c'était aussi vu comme un objectif de la politique de la Belgique et des Etats-Unis, d'arriver à un cessez-le-feu et un accord de la paix. Et, c'est suite à des pressions de ces trois pays qu'enfin les deux côtés ont accepté de signer, même à contrecœur.

Après août jusqu'au mois d'avril, il y a eu cette semblance d'implémenter les accords sans vraiment les implémenter, en même temps continuer des préparatifs de la guerre et c'est dans ce contexte que la force de maintien de la paix, la MINUAR a été établie et envoyée au Rwanda.

Il paraît que les autorités onusiennes comptaient sur un succès facile au Rwanda. Comme j'ai dit, les préparatifs pour continuer la guerre étaient assez cachés et tout le monde acceptait comme acquis le désir des deux côtés pour avoir une vraie situation de paix. Surtout, parce que les deux partis sont venus à New-York, à l'ONU, pour demander ensemble, la création de force de maintien de la paix.

Alors, les premières évaluations ont indiqué la nécessité d'une force d'au moins 5.000 hommes. Les États-Unis qui étaient à ce moment dans une période, comment dirais-je, de vouloir réduire ses obligations, a proposé plutôt 500 hommes. Alors, le compromis enfin a été 2.000 et quelque, 2.800. La Belgique a été appelée à jouer un rôle important avec l'envoi d'un bataillon. Mais enfin, la Belgique aussi a trouvé que c'était trop et n'a envoyé que la moitié de ça. Alors, la force comme constituée était trop faible par au moins 50 % de ce qui a été demandé par le général DALLAIRE.

En plus, ils ont été envoyés sans connaissance politique totale. Ils n'avaient aucune idée de quoi il s'agissait. Ils croyaient que c'étaient des gens fermement dévoués à l'idéal de la paix et ils ne voyaient pas de difficulté.

Euh… l'attitude des États-Unis a été très importante parce qu’à ce moment, on venait de voir l'échec total de la force onusienne en Somalie avec la mort de 18 soldats américains, qui a été très médiatisé. Et donc, les Américains ont accepté, un peu à contrecœur, cette force. Il paraît qu'il y a eu un petit échange, comment est-ce que c'était ? C'étaient les États-Unis qui a voulu une force pour Haïti, la France a voulu une force pour le Rwanda et les Russes ? Je crois les Russes ont voulu une force pour… je ne m'en souviens plus. Mais en tout cas, il y avait un échange de votes comme ça souvent s'est fait parmi les diplomates et ils ont arrangé, créé ces forces. Et les pauvres militaires qui ont été envoyés sans beaucoup de connaissance politique, ni d'équipement nécessaire. Alors, vous pouvez, si vous voulez, trouver tous les détails de cette histoire assez scandaleuse de manque d'équipement, manque de connaissance, manque d'intelligence, manque de presque tout. Sauf peut-être manque de courage, sur la part de certains.

C'est remarquable que DALLAIRE lui-même s'est rendu compte assez tôt du fait que la situation était beaucoup plus compliquée que prévu. Et donc, même au mois de novembre quand il a rédigé les règles de l'engagement qui étaient les règles pour le comportement, jour par jour, des militaires, qu'il a écrit un paragraphe disant que « D'après notre mandat, on doit s'impliquer seulement avec l'aide des autorités gouvernementales rwandaises… », parce que ça c'étaient les termes du mandat, n'est-ce pas ? On était là sur un mandat, à l'invitation de notre gouvernement, pas pour imposer, s'imposer une force de la paix, mais a écrit DALLAIRE « …mais s'il y a une situation des émeutes ethniques, des tueries à grande échelle, des violations de droit international, des crimes de guerre, dans une telle situation, nous sommes obligés de façon morale et légale d'agir, même sans le consentement du gouvernement rwandais ». Ça, c'était sa position. Ça n'a jamais été ni accepté, ni rejeté à New-York, ça restait comme ça.

Quand il a commencé à voir la situation se détériorer, au mois de novembre, avec des tueries au Nord-Ouest et puis au courant du mois de décembre, avec la propagande de RTLM et puis avec les renseignements qui sont arrivés de côté de ce milicien, il a pris la décision d'agir. Dans son interprétation du mandat de la force, il n'avait pas de doute, pour lui de sa capacité, de son pouvoir d'agir. Et donc, il a simplement envoyé un télégramme à New-York pour dire : « Demain à l'aube une force militaire va aller faire une razzia sur une cache d'armes des miliciens ». Il n'a pas demandé l’autorisation, il a simplement écrit ça pour information. Et après que… une toute petite période, même je crois que c'était une demi-heure à peu près, il a eu la réponse de New-York : « Interdit, impossible de faire une telle action, ce n'est pas dans votre mandat ». Et à ce moment, l'idée à New-York, ce qui était fortement influencé par les Etats-Unis, c'était qu’il ne faut pas prendre des risques. Parce que, si on prend des risques comme on a pris d'ailleurs en Somalie en cherchant des caches d'armes, et si les forces onusiennes tombent dans une situation qu'ils ne pouvaient plus contrôler, ça pourrait amener à encore un échec terrible pour les forces de maintien de la paix, et surtout, il faut éviter encore un échec. Et DALLAIRE lui-même a dit une fois que le Rwanda c'était la première fois de sa vie où, comme militaire il a eu comme ordre d'éviter des risques. Il a dit : « D'habitude, quand on est militaire, on a un objectif, et une fois qu'on a un objectif, après, on essaie d'achever cet objectif avec le minimum de risques. Et au Rwanda, l'objectif même c'était d'éviter des risques.

Et donc, depuis le mois de février, il a appelé au secours cinq fois, chaque fois sans réponse. La Belgique s'est rendue compte de la gravité de la situation et mi-février a demandé au Conseil de Sécurité d'élargir le mandat de force de maintien de la paix et d'envoyer plus de troupes. Cet effort a été bloqué par les États-Unis et le Royaume-Uni. Les États-Unis ont pris la décision, peut-être même au moment de créer la force mais certainement au mois de janvier, au moins. Les États-Unis ont pris la décision que s’il y a des complications, si la situation commence à se détériorer, la seule chose à faire c'est de se retirer complètement. Alors, quand les tueries ont commencé le 6 avril, c'était connu très vite à Bruxelles et à Washington et certainement à Paris parce qu’eux ils avaient encore de meilleures sources d'informations ; on savait bien de quoi il s'agissait. Mais, plutôt que de réagir avec un effort de contrôler la situation, la seule réaction a été de se retirer et même le même soir, la réaction des États-Unis était de retirer complètement la force de l'ONU. En effet, c'était la position qui a été encore rendue plus forte avec la décision de la Belgique de retirer ses troupes. Euh… et donc, on connaît bien l'histoire après, sauf qu’ils ont quand même accepté, suite à des efforts de certains activistes, ils ont quand même accepté de laisser une petite force là qui ont réussi à protéger peut-être 20.000 personnes, peut-être 30.000 personnes mais à part ça, ils ont refusé de faire autre chose, même des choses qui n'auraient pas pu engager encore des troupes, comme par exemple de faire cesser les émissions de la radio qui auraient eu une importance énorme, symbolique, logistique et toutes autres façons.

En tout cas, je ne sais pas quoi dire en plus. C'était un échec total. Je crois que tout le monde accepte ça maintenant, il n'y a pas de doute. Et le résultat était énorme, en partie parce que, comme j'ai dit auparavant, les Rwandais qui ont subi les pressions de participer, ont subi ces pressions de façon assez continue et… mais ils ont réagi de façon différente, presque d'un jour à l'autre. Je crois que c'était très rare qu'une personne n'a pas posé la question presque chaque jour : « Est-ce que vraiment je vais continuer avec ça aujourd'hui ? ». Et le fait que le Rwanda avait une forte dépendance financière sur la communauté internationale, aurait pu avoir beaucoup d'influence parce que les Rwandais savaient que les fonds de l'extérieur avaient un rôle dans leur propre communauté, souvent la commune même avait le devoir de négocier avec un bailleur de fonds de l'extérieur pour avoir une église, pas une église, une école, un hôpital… Et donc, ces gens étaient prêts à écouter et c'est étonnant de lire les procès-verbaux au niveau des collines, des collines très loin du centre, tout à fait à l'Ouest du pays, des procès-verbaux où les gens du conseil communal discutent la politique de la Belgique, ou la politique des États-Unis, et leur réaction au génocide. Et dans nos documents, je vous assure que nous avons trouvé des discussions pareilles, où les gens écoutaient la radio où ils ont suivi le fait que les représentants du gouvernement génocidaire ont été accueillis à Paris ou bien qu'ils continuaient à siéger à l'ONU. Et donc, le lien entre le comportement de la Communauté internationale et le comportement sur les collines pour moi, est bien établi.

Le Président : Une autre question ?

Me. VERGAUWEN : Oui, simplement une confirmation que je demande. Donc, le témoin est-il d'accord de dire que la Communauté internationale a abandonné le Rwanda et que, si elle ne l'avait pas abandonné, peut-être que les choses se seraient passées différemment.

Alison DESFORGES : C'est pas peut-être, c'est certainement.

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie.

Le Président : Une autre question ? Maître CUYKENS ?

Me. CUYKENS : Oui, merci, Monsieur le président. Dans son livre, le témoin précise que, dans la nuit du 12 avril, les communications longues distances ont été interrompues dans le Rwanda. Est-ce qu'elle peut éventuellement préciser de quelles communications il s'agit et ce que signifie « longues distances » ?

Alison DESFORGES : Si je me souviens bien, les communications téléphoniques à l'intérieur de la ville de Kigali, une certaine partie de la ville a perdu le service téléphonique assez tôt. (Toux) Je m'excuse. Euh… peut-être déjà vers le 10, assez tôt en tout cas. Le service téléphonique, ailleurs dans le pays, comme par exemple à Butare, a été coupé, je crois c'était le 12 et c'est probablement ça, à cette date que vous faites référence. Le service, à l'extérieur du pays, a été interrompu à plusieurs reprises de Kigali et à plusieurs reprises repris, mais pour ça, j'ai pas les dates précises dans ma tête.

Le Président : Les communications à l'intérieur du pays, en tout cas à partir du 12, les communications téléphoniques, à partir du 12 à l'intérieur du pays, c'est plus possible.

Alison DESFORGES : C'est ça.

Le Président : Par contre, seraient éventuellement encore possible éventuellement des communications par radio ?

Alison DESFORGES : Ça existait. Et c'est vrai, par exemple des ordres du gouvernement, on continuait à passer ça souvent par radio, souvent en passant par le réseau militaire de radio, mais ça exclut bien sûr la possibilité de communications en détail et très souvent, c'était assez rare.

Le Président : Oui, Maître CUYKENS.

Me. CUYKENS : Oui, Monsieur le président. A plusieurs reprises le témoin dit qu'il n'y a pas vraiment de règles générales par rapport au comportement des gens pendant le génocide ; il y a des personnes qui ne tuent pas du tout, il y a des personnes qui tuent immédiatement et qui continuent, il y a des personnes qui vont décider de tuer plus tard, d'autres vont décider de tuer plus tôt. Et par ailleurs, elle nous explique qu'il y a une relation de client à patron, une relation « d'obéir ». Est-ce qu’il y a aussi là-dedans des exceptions ? Il y a aussi la possibilité que tout client n'obéisse pas nécessairement aux ordres de son patron ?

Alison DESFORGES : Enfin, n'importe quel système hiérarchique, n'importe quel système social, il y a toujours des exceptions, il y a toujours des aberrations. Quand on parle, on parle toujours en généralité quand on décrit un système social. Euh… oui, bien sûr, ça arrive, il y a des conséquences, des gens avec la hiérarchie sociale comme avec les hiérarchies administratives d'ailleurs. On avait des stratégies, si on était inférieur, comment manipuler que des gens plus importants, c'était le même esprit, ça faisait partie de tout.

Le Président : Oui ?

Me. CUYKENS : Est-ce que le témoin sait quelles étaient les relations entre Monsieur HIGANIRO et le préfet de Butare, Monsieur le témoin 32 ?

Le Président : Oui.

Alison DESFORGES : D'après ce que j'ai entendu c'était, ça avait l'air d'être en tout cas, une relation d'amitié. Euh… mais ça pourrait être un cas qui pourrait en effet démontrer exactement ce que nous étions en train de discuter. le témoin 32 étant Tutsi, aurait eu beaucoup de difficultés à avoir accès à l'éducation supérieure et surtout à avoir la possibilité d'étudier à l'extérieur du pays. D'après ce que nous avons entendu en tout cas, c'était le beau-père de Monsieur HIGANIRO qui a arrangé la bourse pour le préfet aux Etats-Unis, qui lui a donné cette possibilité presque inespérée de continuer ses études à l'extérieur. Donc, dans un certain sens, il y aurait nécessairement une relation entre le témoin 32 et la famille de celui qui était à un moment donné en tout cas, son patron et puisque HIGANIRO était le beau-fils de ce Monsieur, on suppose que c'était exact, qu’il y a eu une relation qui semblait être amicale. Mais les Rwandais sont même plus doués que beaucoup d'autres gens, je crois, dans le domaine des relations sociales et arrivent souvent à donner une impression d'amitié quand ça n'existe vraiment pas.

Le Président : C'est peut-être pas unique, vous savez !

Alison DESFORGES : Non, j'accepte, mais je dirais simplement qu'ils sont peut-être plus doués que la plupart des gens.

Le Président : Oui, Maître CUYKENS.

Me. CUYKENS : Oui. Une dernière question. Le témoin nous disait que le 19 avril viennent à Butare, des représentants du gouvernement intérimaire, pour convaincre la population de commencer les massacres. Est-ce qu'elle sait si Monsieur HIGANIRO est le 19 avril, à Butare ?

Alison DESFORGES : Je ne sais pas s'il était là ou non. Non, je ne sais pas.

Me. CUYKENS : Je vous remercie.

Le Président : D'autres questions ?

Me. EVRARD : Merci, Monsieur le président. Je souhaiterais poser une question d'ordre général très courte, une question de méthodologie, au témoin. Il y a une enquête qui est menée pendant 5 ans, visiblement qui donne lieu à un rapport que l'on dit être un livre, je n'en ai lu qu'une version en français et donc, vous voudrez bien m'excuser. D'une part, concernant Monsieur HIGANIRO, il y a très peu de pages et je remarque par rapport à l'ensemble du livre, qu'on utilise très souvent le conditionnel. Ça amène ma deuxième question. Pourquoi le conditionnel ? première question. Deuxième question. Quelle est la méthodologie qui est utilisée dans les recherches ? On se rend au Rwanda, mais qu'est-ce que l'on fait là-bas et avec qui ? Question de méthodologie.

Alison DESFORGES : Alors, comme j’ai dit, je suis, par formation, historienne et au moment de mes études de doctorat et après d'ailleurs, j'ai fait surtout l'histoire orale du Rwanda du 19e et même du 18e siècle. C'est-à-dire que mon expérience, c'était dans la récolte des témoignages oraux des gens et dans l'analyse de tels témoignages. Euh… quand nous avons commencé les recherches pour ce travail de documentation du génocide, nous nous sommes rendus compte du fait que les témoignages oraux seraient d'une très grande importance. Donc, on a travaillé avec un nombre de 10 personnes je crois, pendant cette période de 5 ans et on a travaillé d'habitude en équipe de deux, c'est-à-dire deux personnes sur place et puis moi qui arrivais chaque six semaines, huit semaines, pour travailler avec eux. J'ai formé les enquêteurs moi-même dans la meilleure méthodologie que je connaissais moi-même. Euh… ce qui, ce qui se basait surtout sur une forte dose de scepticisme, c'est-à-dire, j'ai essayé surtout d'inculquer un sens des critiques, dans mes enquêteurs parce que je me suis rendu compte très tôt dans mes propres expériences comme étudiante, qu'il faut regarder des témoignages oraux comme d'ailleurs des témoignages écrits, comme toujours sujets à des erreurs ou bien volontaires ou bien pas nécessairement faites avec intention de décevoir, mais simplement parce qu'on se trompait.

Pour évaluer des témoignages dans un contexte du génocide, c'est plus difficile que des témoignages d'histoires ordinaires bien sûr, parce que les émotions sont beaucoup plus fortes, les intérêts aussi sont beaucoup plus forts. C'est aussi, je crois, plus compliqué que d'évaluer des témoignages dans un cas criminel ordinaire. Parce que c'est pas simplement un crime, un seul crime qu'on examine, mais un complexe qui était en même temps un événement historique. Et ça veut dire que des gens qui ont vécu cette expérience ou bien comme victimes ou bien comme tueurs ou bien comme personnes qui n'étaient ni l'un, ni l'autre, ils ont intégré dans leur tête pas seulement leur propre expérience, mais aussi les expériences d'autres gens qui ont parlé de cet événement. Alors, cette forme de, si on peut dire, contamination possible des témoignages, existe bien sûr dans un cas ordinaire d’un crime, mais avec un événement qui est un événement historique, c'est plus… plus compliqué parce qu'il y a tant de gens qui ont eu la même expérience et qui en parlent, qui ont le besoin d'en parler. Et même sans le vouloir, des gens peuvent facilement intégrer dans leur propre tête ce qu'ils ont entendu. Alors, je me suis rendu compte de ça et donc, dès le commencement, j'ai insisté sur le fait qu'il faut avoir des sources multiples, des sources concordantes si possible, et d'aller toujours avec un esprit très critique.

Euh… certainement, on n'a pas toujours réussi. Il faut accepter qu'il y a certainement des erreurs. Tout ce que je peux dire c'est que ça représente les meilleurs efforts des gens qui ont travaillé de façon très sérieuse et des gens qui sont bien préparés pour le travail et que les témoignages qui ont été recueillis, ont été travaillés par moi et par d'autres qui sont des experts dans le domaine.

Alors, nous avons aussi eu la possibilité, heureusement pour le travail, d'avoir accès à des documents écrits. Et ça nous a beaucoup aidé à construire le narratif, l'histoire de ces événements. Et autant que possible bien sûr, on a essayé de faire un recoupage des témoignages avec les documents écrits, et quand on a eu l'heureuse coïncidence des deux sources concordantes, à ce moment on avait la certitude presque et on a pu employer, ne pas employer le conditionnel. Dans d'autres cas, on a adopté plutôt une formule plus conservatrice pour protéger la réputation autant que possible et au même temps d'écrire les événements et aussi pour parler franchement, de nous protéger aussi. Parce qu’il y a des questions de diffamation. En anglais, on n'a pas les mêmes possibilités. Malheureusement, la langue française est beaucoup plus riche dans ses possibilités. Donc, l'anglais est moins nuancé dans ce sens-là. Mais c'est pour ça qu'on a employé le conditionnel souvent. Si on n'avait pas la même certitude qu'on a pu avoir quand il y a eu un recoupage de sources écrites ­ sources orales, donc on est resté avec le conditionnel.

Me. EVRARD : Monsieur le président, je souhaiterais encore poser une question de méthodologie.

Le Président : Oui.

Me. EVRARD : Je souhaiterais que l'on demande au témoin comment elle a procédé au choix de ses chercheurs, de ses enquêteurs, quelle est leur mission, quelle est la mission qui leur a été donnée, comment tout cela se finance, parce que je suppose que si on organise une recherche, il faut pouvoir se rendre sur place, il faut pouvoir y loger, il faut pouvoir assumer certains…

Le Président : Je vais vous dire que ça ne nous fera pas avancer beaucoup. Ce type de question ne fera pas avancer beaucoup le débat et donc je ne vais pas la poser.

Me. EVRARD : Pardon, Monsieur le président. Est-ce qu’il ne faudrait pas clarifier quand-même quelque chose ? Est-ce que…

Le Président : J'ai dit que la question n'était pas posée.

Me. EVRARD : Je souhaiterais, Monsieur le président, poser une autre question.

Le Président : Oui

Me. EVRARD : Si vous le permettez, qui touche au… On nous dit : « Il y a nos témoins, il y a nos documents ». On a entendu dire qu'il s'agissait de copies qui ont été prises. Je souhaiterais poser une question concernant les rapports éventuels, les transmissions de documents qui auraient eu lieu entre Madame Alison DESFORGES et le juge d'instruction.

Le Président : Vous avez transmis des documents au juge d'instruction, Madame ?

Alison DESFORGES : Oui.

Le Président : Donc, des copies, des copies que vous aviez.

Alison DESFORGES : C'est ça. Oui.

Le Président : Vous avez fait un choix dans ces copies ?

Alison DESFORGES : Non, j'ai… Non, je crois que presque certainement j'ai donné le tout à Monsieur le juge d'instruction comme d'ailleurs au TPIR.

Le Président : Oui ?

Me. EVRARD : Monsieur le président, vous estimerez peut-être que je reviens à ma question précédente, mais je voudrais poser une question qui n'appelle pas beaucoup de réponses, qui ne souhaite pas créer un incident dans votre Cour mais tout le monde pourra lire dans le carton 41, c'est-à-dire, le livre qui se trouve au dossier, que parmi les enquêteurs se trouve Monsieur Eric GILLET. S'agit-il de l'avocat des parties civiles, ici présent ?

Alison DESFORGES : Oui.

Me. EVRARD : Je vous remercie.

Le Président : Un petit instant. D'autres questions encore ? Donc, on est à la défense, on va poursuivre le mandat de défense, hein ? Maître CARLIER ?

Me. CARLIER : Monsieur le président, je ne sais pas si le temps le permettra et donc, vous en déciderez aussi non j'aurais aimé poser la même question que celle que j'avais posée à Madame BRAECKMAN, nous sommes en présence d'une historienne. Mais de lui demander peut-être son opinion sur le futur du Rwanda ? Si elle est encore retournée et ce qu'elle pense des possibles réconciliations.

Le Président : Quid du futur ? Si vous en avez une idée…

Alison DESFORGES : Oui. J'y vais assez souvent. Euh… je ne suis pas optimiste.

Le Président : Voilà, une réponse qui est courte.

Me. CARLIER : Une autre question plus précise et qui concerne le dossier de Monsieur Vincent NTEZIMANA. Madame Alison DESFORGES a parlé de Monsieur Vincent NTEZIMANA. Est-ce qu'elle se souvient éventuellement quand elle a eu les premières informations relativement à Monsieur Vincent NTEZIMANA ?

Alison DESFORGES : Vraiment non, je ne peux pas me souvenir de ça et je suppose, parce qu'on a commencé les enquêtes en février 95, que c’est certainement après ce moment-là, mais on a travaillé de façon assez continue sur ces recherches. Je sais bien que j'ai rédigé les chapitres concernant Butare en 98. Vers juillet-août 98, je crois que j'ai terminé les chapitres sur Butare. Mais, entre février 95 et juillet 98, je ne peux pas dire.

Le Président : Oui. D'autres questions ?

Me. HIRSCH : Une petite question, Monsieur le président.

Le Président : Oui, généralement ça peut-être une petite question et une longue réponse hein… ou l'inverse…

Me. HIRSCH : Je pense que, malheureusement, la question sera un tout petit peu plus longue que la réponse.

Le Président : Alors, je crains que ça ne commence par un commentaire.

Me. HIRSCH : Non. Non plus. Je peux commencer par « est-ce » mais en fait, je voudrais faire référence, Monsieur le président, à votre interrogatoire de personnalité de Messieurs HIGANIRO et NTEZIMANA. Vous avez posé la question aux deux, concernant l'existence de relations entre eux et ils vous ont tous les deux répondu devant le jury qu'effectivement, ils faisaient partie d'une même association qui est une association de bienfaisance, dont le but, l'objectif, était de venir en aide aux jeunes et aux mêmes plus jeunes étudiants de leur région d'origine qui est donc le Nord-Ouest du Rwanda. Nous avons appris également que cette association s'était constituée au mois de février 1994, soit deux mois avant le début du génocide, qu'elle s'était déjà réunie à plusieurs reprises et qu'à la dernière assemblée, il y avait 300 personnes et que la somme de 300.000 francs avait été réunie. Monsieur HIGANIRO ajoutant qu'il ne se rappelait plus de ce que l'argent était devenu. Je voudrais poser la question suivante ou que vous posiez, Monsieur le président, la question suivante à Madame Alison DESFORGES. Est-ce qu'il lui paraît plausible qu'une association avait cet objectif-là… ?

Le Président : Vous savez ça hein, ce type de question-là devant une juridiction anglo-saxonne, c'est : « Objection votre honneur », hein…

Me. HIRSCH : Objection alors…

Le Président : Mais, avez-vous connaissance de fonds recueillis par une association culturelle en février 94 et de la destination de ces fonds ? Ça, je peux vous poser aussi bien en droit anglo-saxon qu'en droit belge.

Me. HIRSCH : Merci, Monsieur le président.

Alison DESFORGES : Euh… j'ai pas connaissance des fonds de cette association ni de l'emploi éventuel de ces fonds, non.

Le Président : Oui, Maître LARDINOIS.

Me. LARDINOIS : Je vous remercie, Monsieur le président. Je souhaiterais que vous posiez la question suivante au témoin. Il ressort du dossier que Monsieur HIGANIRO et sa famille, sa belle-famille ont quitté Kigali le 12 avril. Ils ont bénéficié pour ce faire, d'une escorte de garde présidentielle fournie par Monsieur Théoneste BAGOSORA un des principaux responsables du génocide. Monsieur BAGOSORA les aurait, semble-t-il, accompagnés jusqu'à Nyabarongo ou jusqu'à Gitarama les versions diffèrent dans le dossier par rapport aux témoignages des belles-sœurs. Est-ce que vous pourriez demander au témoin s'il est imaginable que Monsieur HIGANIRO ait pu bénéficier d'une telle escorte s'il n'avait pas été un cacique du système et s'il n'avait pas apporté son soutien au gouvernement de…

Le Président : Alors, encore une fois, on ne va pas faire appel à l'imagination du témoin, hein ? Mais, le fait de bénéficier d'une escorte de garde présidentielle, est-il quelque chose que l'on attribue à n'importe qui ?

Alison DESFORGES : Non. Ça indique une certaine importance dans le système et encore plus si c'était BAGOSORA qui a fait la désignation ou bien qui les a accompagnés. Mais, même le fait d'avoir de la garde présidentielle comme protection, c'était assez exceptionnel. Euh… il y a eu le, je crois que c'était le frère du président, avait quelques gardes présidentiels à Butare mais à part lui et la maison du président lui-même, je crois qu’à Butare même il n'y en avait pas.

Le Président : Bien. Maître CUYKENS.

Me. CUYKENS : Oui, Monsieur le président. Sauf erreur de ma part, je ne peux pas lire de déclaration de témoin auprès du juge d'instruction. Néanmoins, je constate une contradiction entre ce que nous dit le témoin ici et ce qu'elle a dit chez le juge d'instruction. Chez le juge d'instruction, elle a parlé de tri…

Le Président : De ?

Me. CUYKENS : …de tri dans les documents. Ici elle nous dit qu'il n'y a pas eu de tri dans les documents.

Alison DESFORGES : Ah… C'est possible que j'ai pas donné les documents, par exemple, de la préfecture de Kibuye. Parce qu’à ce moment, le juge d'instruction n'avait pas d’intérêts à la préfecture de Kibuye. Mais bien sûr, s'il voudrait les avoir tous, il peut les avoir volontiers. S'il y a eu un tri, c'était simplement pour réduire les problèmes de copies. Mais vraiment, je ne m'en souvenais pas du tout de ça, j'avais l'impression que j'ai tout donné, mais c'est possible qu'il y a eu un tri sur base régionale.

Me. CUYKENS : Ça ne parle que de la préfecture de Butare dans cette audition.

Alison DESFORGES : Ça, je ne peux pas expliquer ça, vraiment j'avais l'impression que j'ai tout donné. Je peux faire une vérification de ma liste de documents contre ce qu'il a eu, mais en effet, peut-être oui. Parce que par exemple, oui, nous avons eu des données, par exemple, nous avons pris des copies des documents des années 91-92 et 93, un certain cas et je suppose que j'ai pas donné ces documents. Euh, aussi on a pris des données concernant des questions financières parce qu'on a cru peut-être que pouvoir faire une analyse de tout ça et ça ce n'était pas praticable, donc, j'ai mis ça de côté. Donc, c'est bien possible. Et je me trompais simplement. C'est bien possible.

Me. CUYKENS : Je vous remercie.

Le Président : Encore des questions ? S'il n'y a plus de question, Madame, est-ce bien des accusés ici présents, dont vous avez voulu parler, persistez-vous dans vos déclarations ? Confirmez-vous vos déclarations ?

Alison DESFORGES : Oui.

Le Président : Les parties sont d'accord pour que le témoin se retire ? Vous pouvez, Madame, disposer librement de votre temps. La Cour vous remercie.

Alison DESFORGES : Merci.