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5.5.11. Témoin de contexte: Christian DE BEUL, ingénieur technicien
Le Président : Monsieur DE
BEUL peut approcher. Qui a-t-on comme autres témoins ? On a DE BEUL, DEFILLET…
Monsieur DE BEUL, est-ce que vous vous exprimez en français ?
Christian DE BEUL : Oui, je peux
bien m’exprimer en français je crois, oui.
Le Président : Sans difficulté ?
Parce que, si nécessaire, nous avons une interprète.
Christian DE BEUL : Non, ce n’est
pas nécessaire.
Le Président : Monsieur
l’huissier, il faudrait vous enquérir auprès des autres témoins présents, Monsieur
DEFILLET et Madame VANDENBON, sur le point de savoir s’ils s’expriment en français
ou en néerlandais ou s’il est nécessaire…
Bien. Donc, il y aura du travail pour vous, Madame. Monsieur, quels
sont vos nom et prénom ?
Christian DE BEUL : DE BEUL Christian,
Louis, Marie, Joseph.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
Christian DE BEUL : J’ai 51 ans.
Le Président : Quelle est
votre profession ?
Christian DE BEUL : Je suis considéré
être ingénieur technicien, mais je donne des cours de formation au ministère
des finances.
Le Président : Quelle est
votre commune de domicile ou de résidence ?
Christian DE BEUL : A Pont-à-Celles.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés, Monsieur NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO, Madame MUKANGANGA… Madame
MUKANGANGO pardon, Madame MUKABUTERA, avant les faits qui leur sont reprochés,
c’est-à-dire en gros, avant le mois d’avril 1994 ?
Christian DE BEUL : Non, je ne
les connaissais pas.
Le Président : Vous n’êtes
pas parent ou allié des accusés ?
Christian DE BEUL : Non.
Le Président : Ni des parties civiles
?
Christian DE BEUL : Non.
Le Président : Vous n’êtes
pas attaché au service ni des accusés ni des parties civiles ?
Christian DE BEUL : Non.
Le Président : Je vais vous
demander alors, Monsieur DE BEUL, de bien vouloir lever la main droite et de
prononcer le serment de témoin.
Christian DE BEUL : Je jure de
parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie.
Monsieur DE BEUL, qu’est-ce qui vous permettrait, sur le plan personnel ou professionnel,
de nous donner des explications à propos des événements qui se sont déroulés
au Rwanda en 1994 ? Etiez-vous là-bas ? Aviez-vous des contacts là-bas ?
Travailliez-vous là-bas ?
Christian DE BEUL : Oui. Effectivement,
je travaillais au Rwanda. Je suis arrivé au Rwanda à partir de 1979 et j’ai
quitté le Rwanda le 12 avril 1994. Je travaillais d’abord comme volontaire pour
les Nations Unies, à la FAO. J’étais chargé de différents projets de construction,
entre autres à Kigali, par après à Ruhengeri, Butare et Cyangugu. En 1982, j’ai
travaillé un an à l’école française en tant qu’enseignant de physique et de
chimie et en 1982, j’ai commencé à travailler pour la coopération belge en tant
qu’ingénieur au niveau du ministère des travaux publics, dans un projet de développement
et un bureau d’architecture attaché au ministère des travaux publics. Et là,
j’ai suivi pas mal de chantiers à travers tout le pays. Je crois que j’étais
très proche de la population rwandaise. On avait des équipes de travailleurs
qu’on dirigeait nous-mêmes, on faisait des travaux pour le compte de la Belgique,
dans le pays. Je voyageais beaucoup et j’avais beaucoup de contacts à l’intérieur
du pays. A partir de 1989, j’ai commencé à donner cours à l’école technique
de Kicukiro où j’ai travaillé, où j’ai enseigné, où j’ai donné des cours de
construction jusqu’au 12 avril 1994.
Le Président : De l’expérience
que vous avez vécue, je dirais, sur le terrain et très proche de la population,
si je comprends bien le rôle que vous y avez eu, que ce soit dans des constructions
ou dans l’éducation de personnes, à prendre, j’imagine, leur avenir en main,
avez-vous ressenti à un moment donné que ce qui allait se déclencher le 6 avril,
allait arriver ?
Christian DE BEUL : On sentait
très bien qu’il y avait d’énormes tensions, ça c’est clair, qu’il y avait une
impasse au niveau politique et on craignait que la seule solution, pardon, pas
la solution, ce n’est pas ce que je voulais dire, mais que cela pourrait aboutir
dans des violences, cela oui. J’étais, en décembre 1993, revenu en Belgique
pour le 50e anniversaire du mariage de mes parents et là j’ai averti,
j’avais dit de toute façon autour de moi qu’on craignait que cette impasse pourrait
aboutir dans une nouvelle reprise de la guerre et que cela pourrait être pire
que ce que mon épouse avait vécu en 1972, au Burundi, où il y a eu un massacre
de plus de 300.000 personnes. Il n’y avait pas d’ind… euh… les indices étaient
présents, mais je crois que, si on veut parler uniquement de 1994 ou avril 1994,
je crois que ce serait malhonnête et je crois que ce serait utile de reprendre
le cours de l’histoire et même avant la guerre de 1990. Si vous me le permettez,
je voudrais bien expliquer un petit peu ce qu’était la situation du Rwanda et
aussi des pays environnants, avant le début de la guerre en 1990.
Le Président : Vous êtes
sociologue, historien ?
Christian DE BEUL : Je ne suis
pas sociologue. Je suis effec…
Le Président : Ce n’est pas
pour vous empêcher de parler…
Christian DE BEUL : Non, non.
J’ai suivi des cours de sociologie en tant qu’étudiant libre, j’ai suivi des
cours d’anthropologie en tant qu’étudiant libre, après mes études d’ingénieur.
Effectivement, j’ai suivi des cours d’économie à ce moment-là aussi. Je me suis
intéressé au développement bien particulier mais je crois que voir uniquement
dans les aspects, la petite période d’avril 1994, ce sera trop injuste.
Le Président : Je conçois
bien. Mais le problème, c’est que moi je n’ai pas de traces de quoi que ce soit
d’une audition de vous dans le dossier, donc, je ne sais pas où vous vous situez.
A la limite, je ne sais pas ce que vous pouvez nous raconter. Mais, si vous
voulez donner une fois de plus des explications d’ordre historique, sociologique,
politique et culturel, allez-y.
Christian DE BEUL : Oui. Merci
bien. Je crois effectivement qu’on a fait énormément de tort à la population
rwandaise. Je parle de la population, je ne parle pas du tout des accusés, je
ne parle pas seulement de l’élite de ce pays, mais surtout de la population
qu’on a difficilement comprise, qu’on n’a même pas comprise du tout. On les
accusait très facilement. On a mis tout le monde un petit peu dans le même sac,
mais, on n’a pas tenu compte de leur environnement, de ce contexte. Je crois
qu’il faut revenir avant 1990. Il faut aussi situer cette problématique, pas
seulement dans le contexte uniquement national, mais dans un contexte aussi
régional. Il y a quand même des éléments qui ont joué, que ce soit maintenant
à partir de l’Ouganda, que ce soit maintenant à partir du Burundi.
Si on veut voir un petit peu l’Ouganda, on sait qu’il y avait une
situation très précaire qui avait existé. Il y avait le président OBOTE qui
avait été renversé par Idi AMIN. Je crois que tout le monde sait à peu près
ce que Idi AMIN a présenté pour l’Ouganda, qui a été par après, par intervention
de l’armée tanzanienne, renversé. Il y a eu les accords de paix de Nairobi à
un certain moment, mais les accords de Nairobi, qui devaient conclure dans des
élections, ont abouti à un refus, ou de toute façon l’actuel président MUSEVENI
n’avait pas eu de voix, lors de ces élections présidentielles. Il a repris le
pouvoir par une révolution, il a repris le pouvoir par une force armée. Cela,
c’était la situation avant que le conflit de 1990 s’ouvrait. Au Burundi, il
y avait aussi des conflits perpétuels, il y a eu différents coups d’état. Le
dernier coup d’état datait, si mes souvenirs sont bien, de 1987 où BUYOYA a
repris le pouvoir. Ce qu’il est important de voir, je crois, dans le contexte,
c’est en août 1988, quand il y a eu des tueries dans le Nord-Est du Burundi,
où il y a plus de 30.000 personnes qui ont été tuées. C’est assez étonnant,
on était très proche du Burundi, mon épouse avait enseigné dans cette région,
on a suivi cela de très très près. Ce qui nous a frappés, c’est qu’au moment
où cela se passait, on avait plus de renseignements de la part des radios étrangères
que de la part de radio Rwanda. Radio Rwanda se taisait ou ne donnait pas du
tout de commentaire sur ce qui se passait. C’est assez étonnant, euh… compréhensible
parce qu’on savait très bien au Rwanda, c’est ce que j’avais voulu comprendre,
que si on insistait sur ces phénomènes, à ce moment-là on pourrait remonter
les difficultés ethniques qui étaient en train de se perdre dans le pays.
La même chose se reproduisait par après quand, en novembre 1991,
il y a eu à Bujumbura, une vague de tueries, il y a 3.000 personnes qui ont
été tuées, elles étaient presque toutes de l’ethnie Hutu. C’étaient 3.000 personnes
qui étaient presque toutes des intellectuels qui ont été massacrés chez eux,
apparemment, liste en main. A ce moment-là aussi, dans la presse officielle
rwandaise, il n’y a pas eu d’accusation envers le régime burundais. Quand, en
octobre 1990, il y a la guerre qui s’enclenche, à ce moment-là, la situation
du pays est très tendue. Il y a avant, quelques phénomènes qui laissaient prévoir,
non, pas prévoir, mais qui faisaient sentir qu’il y avait quelque chose qui
pouvait arriver. En 1987, il y avait un remaniement ministériel qui était exigé
par la Banque mondiale. Il y a eu des personnes du gouvernement à ce moment-là
qui ont été directement nommées par la Banque mondiale et qui devaient quitter
leur poste ministériel. Cela faisait très mal parce que c’étaient des personnes
qui avaient une grande importance à l’intérieur de ce gouvernement-là. On sentait,
vers 1989, qu’il y avait des tensions. On ne savait pas directement quoi. Moi
qui étais très proche ou qui avais des liens directs avec les entreprises rwandaises,
j’entendais les entrepreneurs se plaindre des taxations tandis que je savais,
du ministère des finances, que les recettes des taxes avaient diminué. C’était
assez étonnant. Ce n’est que par après qu’on a compris que les différentes sociétés
étaient soumises à une double imposition, une imposition de l’Etat à laquelle
elles essayaient d’échapper mais une deuxième imposition qui favorisait, cette
fois-ci, qui était demandée par ce qui allait enclencher la guerre de 1990.
Le Président : C’est-à-dire ?
Christian DE BEUL : Pardon ?
Le Président : C’est-à-dire ?
Christian DE BEUL : Pardon ?
Euh…
Le Président : Vous dites :
« Par ce qui allait… ». Soyez un peu plus précis.
Christian DE BEUL : On a visiblement
préparé, à partir de cette période de 1987 au moins, le financement de la guerre,
de la guerre du FPR partie de l’Ouganda. Cette guerre était… poussée aussi,
il y avait d’autres éléments qui menaient vers cette guerre. Le plan d’ajustement
structurel imposé par la Banque mondiale en Ouganda, demandait une démobilisation
de l’armée, une grande partie. On estimait, à ce moment-là, que l’Ouganda avait
à peu près 65.000 militaires sous les armes. Au Burundi, à ce moment-là, on
estimait qu’il y avait à peu près 25.000 militaires. Le Rwanda avait une toute
petite armée de 5.000 militaires. Il y avait, si mes souvenirs sont bien, il
me semble que cette armée était gardée tellement petite parce qu’il y avait
une entente avec la Belgique, de soutien en cas d’agression. Quand on voyageait
au Burundi, on était surpris par cette force et cette présence de l’armée, nous
qui venions du Rwanda, en voyageant au Burundi, cette armée était omniprésente
et systématiquement, dans du matériel neuf, tandis qu’au Rwanda, c’étaient souvent
des vieux camions, c’était une armée qui était critiquée par pas mal de gens
en étant une armée de petits bourgeois, hein, les officiers étaient considérés
de faire beaucoup plus de commerce que de s’occuper de la défense du pays. Cette
armée rwandaise n’était pas du tout formée pour faire une guerre et pour tenir
la tête à une invasion, en octobre 1990, pas du tout.
Il y a d’autres éléments. Il y a donc des problèmes au niveau économique,
au Rwanda. Il y a eu, plusieurs mauvaises récoltes du café ; la population
s’est appauvrie et il y a eu, dans certaines zones du Rwanda, des famines, surtout
dans la région du Gikongoro et Kibuye ; c’est resté de toute façon encore
maintenant le cas. C’est une zone très, très pauvre avec des sols qui sont presque
épuisés. On a imposé, de la part de la Banque mondiale, des mesures très très
strictes ; il s’agissait en 1987 déjà, de remaniement ministériel. Par
après, on a imposé des mesures au niveau de la population. En 1980, en 1990
pardon, 1990-1991, il y a eu des dévaluations consécutives. Ces dévaluations
ont réduit le pouvoir d’achat de la population, je ne parle maintenant pas du
tout des élites, mais le pouvoir d’achat du paysan a été diminué de 60%, ce
qui était très important parce qu’on touchait directement à sa vie essentielle.
Le portefeuille monétaire d’un paysan est composé en général de très peu de
choses et se base directement vers des produits d’importation. Il s’agit de
quelques médicaments, il s’agit du matériel nécessaire pour envoyer les enfants
à l’école, les uniformes, les vêtements et tout cela, ce sont les seules choses
qu’on a. Pour le reste, le paysan vit de sa subsistance agricole lui-même. Mais,
l’implication de cet ajustement structurel sur le niveau de la population était
très grande, beaucoup plus grande qu’on l’avait prétendu au niveau des différents
bureaux d’études qui se faisaient.
En même temps, je crois que c’est important du signaler aussi,
dans ce fameux plan d’ajustement structurel, on imposait une sorte de minerval
aux élèves qui allaient à l’école. Jusqu’à maintenant, jusqu’alors, la scolarité
était gratuite. Pour les paysans, aller payer ne fût-ce qu’une petite somme
au niveau de l’école, était souvent très important, était souvent une charge
qu’on sentait très, très fort. La même chose aussi au niveau des soins. On imposait,
même si c’était très peu, on imposait que les soins qui étaient jusqu’alors
fournis à des taux très bas, on imposait une augmentation de ces frais médicaux.
Avec le revenu monétaire inférieur que les paysans avaient avec cette augmentation,
on a créé dans le pays, un mécontentement. Ce mécontentement a crû avec cette
poussée vers le multipartisme. Je n’ose pas encore parler de démocratie, c’est
un deuxième stade, mais déjà avant 1990, il y a cette volonté de démocratisation
qui s’est exprimée, surtout à partir de la Conférence de La Baule où MITTERRAND
liait tout développement, toute aide au développement aux conditions de respect
des droits de l’homme, démocratisation et bonne gouvernance, et aussi au Rwanda,
il y avait cette poussée vers la démocratisation. Cette démocratisation a été
donnée, elle n’a pas été… on ne s’est pas battu pour l’avoir, elle a été donnée
par le régime en place, ce qui fait qu’en juillet 1991, je crois, oui, il y
a une nouvelle Constitution qui permettait, à ce moment-là, le multipartisme.
Mais déjà avant, même si ce n’était pas autorisé, les différents partis étaient
quand même tolérés. Je crois que ces éléments sont importants à signaler parce
que, quand la guerre a commencé en octobre 1980, on a justifié…
Le Président : En octobre
1990…
Christian DE BEUL : Pardon ?
Le Président : octobre 1990…
Christian DE BEUL : Excusez-moi.
Le Président : Oui, c’est
bien cela…
Christian DE BEUL : En octobre
1990, merci. Quand la guerre a commencé en octobre 1990, on a essayé de justifier
cette guerre. Et cette justification, on la mettait sur : un, l’exclusion
des Tutsi à l’intérieur du pays ; en deuxième lieu, la démocratisation
du pays ; et en troisième lieu… non, on me souffle quelque chose qui n’est
pas tout à fait juste (rires). Je vais revenir sans aucun doute là-dessus. Les
arguments qu’on a avancés n’étaient pas corrects, étaient erronés, complètement
erronés.
D’abord l’exclusion des groupes ethniques dans le pays. Tant il est
vrai que les Tutsi n’avaient pour ainsi dire pas du tout de postes dans le commandement
de l’armée - ce qui est effectivement vrai - ceci ne veut pas nécessairement
dire qu’ils étaient exclus. Presque tout le pouvoir économique était dans les
mains d’un groupe Tutsi qui s’était très bien intégré dans la société. On oublie
aussi que la notion d’ethnie était en train de disparaître dans le pays, par
des mariages mixtes mais aussi par le peu d’intérêt qu’on avait, qu’on présentait,
à ce moment-là, pour la différence ethnique. Je me suis intéressé - comme j’étais
dans l’enseignement - je me suis intéressé à l’exclusion prétendue des enfants
Tutsi dans les écoles. J’avais un ami qui était chargé de faire les listes des
écoliers, de constituer lui-même les listes des écoliers et j’avais accès aussi,
à l’école où je vais, aux différentes statistiques qui étaient présentées. Il
y avait bel et bien, dans les premières années, une proportionnalité qui était
respectée. Et quand on voit, dans les années qui suivaient, au niveau de l’enseignement,
on constatait que les proportions initiales en première année secondaire montaient
en faveur des Tutsi. Pourquoi ? Parce qu’il y a plus de défaillances apparemment
dans l’autre groupe. Au niveau… eh bien, cet argument d’exclusion ne valait
pas.
L’élément aussi de démocratisation n’était pas un argument pour commencer
une guerre parce que les pourparlers étaient là et on avait lancé un processus
de discussion sur la démocratisation du pays et cette discussion était ouverte.
Le troisième élément qui justifiait la guerre était le retour des
réfugiés. C’est l’élément que j’avais oublié tout à l’heure. Moi, j’étais dans
le pays, j’avais comme collègues, au niveau de l’enseignement, plusieurs anciens
réfugiés qui étaient revenus de l’Ouganda et qui étaient repris dans la fonction
publique. Cela, c’était quelque chose que j’avais vécu moi-même, je ne l’ai
pas d’étrangers. Mais, il y avait aussi des pourparlers pour la réinstauration
des réfugiés à l’intérieur du pays. Et, contrairement à ce qu’on a fait sentir
ici dans la presse internationale, l’opinion de la population était bel et bien :
les Rwandais qui sont à l’étranger, ce sont nos frères et ils ont aussi droit
que nous, de vivre dans le pays. Cela, c’était la situation en 1990. C’était
même encore l’opinion qui était véhiculée, qu’on entendait souvent parmi nos
interlocuteurs, qu’on entendait souvent même après l’attaque de 1990. On critiquait,
par contre, la volonté de ces réfugiés, de prendre le pouvoir armé dans le pays.
On ne critiquait pas du tout le retour des réfugiés, cela on trouvait que c’était
tout à fait normal. On oublie qu’il y avait, avec le HCR, le Haut Commissariat
des Réfugiés, des ententes pour une instauration des réfugiés et les dernières
rencontres devaient avoir lieu au mois de septembre de l’année 1990. A cette
réunion, certains réfugiés ou des groupes de réfugiés ne se sont même pas présentés.
Apparemment, on peut comprendre cette invasion du Rwanda à partir de l’Ouganda
comme une atteinte de garder quand même une certaine motivation de cette guerre
parce qu’on allait être dépassé par les événements qui se produisaient dans
le pays et je veux dire : la démocratisation du pays et le retour des réfugiés.
La presse internationale, quand elle s’est jetée sur le cas du Rwanda,
n’a pas eu d’égard pour cette position, c’est assez étonnant, et a commencé
à condamner presque d’office la population rwandaise. D’un côté, la population
rwandaise et de l’autre côté, son chef d’Etat. Le peuple rwandais, je peux me
permettre du dire, mais c’est un peuple qui a une certaine fierté, et là,
où à l’intérieur du pays, on admettait, on critiquait soi-même son chef d’Etat,
cela ne se faisait pas devant nous, pas devant des étrangers, cela ne se faisait
pas devant des étrangers, cela se faisait en vase clos. Nous, on était en dehors
de cela mais on n’admettait pas du tout qu’il y avait des étrangers qui allaient
critiquer son chef d’Etat. Je crois que c’est une attitude qu’on comprend très
bien, on n’admettrait pas du tout, aux Pays-Bas, à un Hollandais ou à un Français,
de critiquer notre système. On lui dirait directement : « Ecoutez,
regardez d’abord chez vous et par après critiquez chez nous ».
Bien. La population rwandaise a été offensée par la mécompréhension
de la presse internationale. Elle était soulagée au moment où la Belgique a
effectivement envoyé des militaires, ce qui était pour elle un acte tout à fait
normal, on avait déjà une présence de coopération militaire dans le pays. La
Belgique était considérée à connaître aussi le pays, je dis bien a été considérée
à connaître le pays, notez que ce n’est pas si simple du connaître. Mais,
on constate que quand les débats au Parlement belge ont abouti, ont commencé
en octobre 1990 de nouveau, que ces débats sont suivis directement par la population
rwandaise, contrairement à ce qu’on croit. Mais, l’influence de ces débats est
très importante. A ce moment, en 1990, la RTBF n’émettait plus sur l’Afrique
mais la BRT, la radio flamande, émettait encore sur l’Afrique et avait une émission
en français, je crois que c’était aux alentours de midi. Cette émission en français
(elle avait aussi des émissions en anglais et en espagnol) était très suivie,
pas seulement par nous autres expatriés, mais elle était très suivie aussi par
les Rwandais. Ce qui se disait dans les journaux était directement répertorié
sur le pays. La même chose aussi pour la presse écrite. La presse écrite revenait
toujours, avec quelques jours de retard, dans le pays, mais la presse écrite
était les journaux les plus importants qu’on avait dans le pays, surtout au
niveau francophone : Le Soir et La Libre Belgique. Les articles qui parlaient
du Rwanda étaient copiés, recopiés, lus, lus en commun, commentariés en commun.
Quand la presse, et pour le Rwanda c’était surtout la presse belge, a commencé
à unilatéralement critiquer le régime sans aucune nuance, je crois que là, la
responsabilité de cette presse est très importante. Les articles on fait, il
me semble, ont blessé l’amour-propre de pas mal de Rwandais.
Quand l’armée… Pardon, au moment où maintenant cette guerre a enclenché,
la population était beaucoup plus au courant des événements politiques qu’on
le croit. On a toujours considéré la population rwandaise comme des ignares,
ou des ignorants. Ce n’est pas du tout vrai. L’évolution politique, aussi bien
au niveau régional qu’au niveau national, était suivie dans même les plus petits
coins, les coins les plus éloignés du pays. Quand la Belgique a changé sa stratégie
- parce que, initialement, il a été annoncé que les para-commandos belges étaient
venus pour soutenir le Rwanda contre l’invasion, trois jours plus tard il me
semble que cette mission a été transformée en uniquement la protection des Belges
qui étaient dans le pays - et là se trouvait l’armée rwandaise de 5.000 personnes
contre un agresseur qu’on estimait, à cette époque-là, à 16.000 personnes. Très
difficilement tenable, une armée qui n’était pas du tout préparée pour faire
une guerre. Il y a des mobilisations qui se sont faites. On a recruté en hâte,
on a augmenté l’effectif jusqu’à 30.000-35.000 personnes mais l’encadrement
des sous-officiers et des officiers laissait naturellement à désirer, on n’était
pas du tout préparé.
En même temps, on constate aussi une mobilisation ou une augmentation
de l’effectif dans le Sud du pays, pardon, au Sud du pays, au Burundi, et on
constate aussi qu’il y a une deuxième mobilisation qui se fait aussi bien à
l’intérieur du pays, où il y a des jeunes qui quittent le pays pour l’Ouganda
pour recevoir une formation militaire. Et on constate aussi qu’au Burundi dans
la partie Sud, au Sud du Rwanda, il y a, là aussi, des mobilisations qui se
font. Nous, on avait des contacts avec des coopérants au Burundi qui nous rapportaient
que certaines écoles avaient dû fermer leurs portes parce que les élèves étaient
partis vers l’Ouganda pour rejoindre le FPR, l’armée du FPR. Fort étonnant.
Ce sont des avis dont on parle tellement peu, qui n’ont pas été ou très peu
soulignés, mais qui mettent quand même un fameux danger, ou qui mettent quand
même une crainte à l’intérieur de la population, parce qu’on voit une menace,
d’un côté du Nord, bien réelle et on voit une menace aussi du Sud du pays. En
même temps que cette mobilisation, il y a ce phénomène de la démocratisation,
du multipartisme plutôt, qui joue. Les différents partis politiques commencent
à se former, à s’organiser, et commencent aussi à s’agiter. S’agiter, parce
qu’ils ont un adversaire. Leur adversaire est le régime en place. Et il y a
des alliances qui se créent, d’abord à l’intérieur du pays même et par après
aussi, les contacts se font avec l’armée FPR qui, dans certains milieux, est
présentée comme étant l’aile armée de l’opposition. Oui, mais l’aile armée de
l’opposition, il y a de nouvelles recrues qui sont engagées, qui sont envoyées
après une très courte période de formation directement vers le front, ne sont
pas habituées, ne sont pas encadrées et la suite est qu’il y a pas mal de démobilisations,
pas mal de désertions même.
Entre-temps, le Rwanda est accusé par des associations des droits
de l’homme, des associations des droits de l’homme qui se créent… au pif comme
cela, et qui n’ont pas de lettres de noblesse si on peut dire, mais qui commencent
à critiquer. Et on voit très bien que pas mal de ces associations des droits
de l’homme ne sont qu’une prolongation de cette atteinte ou cette création de
partis politiques. Certaines associations de droits de l’homme sont directement
utilisées, sont utilisées et ne servent qu’à une couverture pour critiquer en
même temps aussi le gouvernement. Ce qui fait que la défense du pays ne se joue
pas seulement au niveau militaire, mais se joue surtout à l’intérieur du pays,
sur une défense, une division politique qui se crée et qui s’accentue à l’intérieur
du pays.
Le Président : En quelque
sorte, les documents qu’on retrouve au ministère de la défense qui définit l’ennemi
comme le Tutsi aussi de l’intérieur, étaient entièrement justifiés ?
Christian DE BEUL : Non. Je crois…
Le Président : Alors, je
voudrais quand même que vous ramassiez votre pensée parce que nous avons encore
d’autres témoins à entendre. Si vous voulez bien ramasser et synthétiser les
éléments qui, pour vous, ont conduit à ces événements de 1994.
Christian DE BEUL : Bien. A ce
moment-là, il n’y avait pas du tout de haine Tutsi, ce n’était pas considéré
comme tel et c’est cela que je voulais absolument mettre au clair ici. Ce qu’il
y avait, c’est qu’on avait effectivement un adversaire qui était le FPR et ce
n’est qu’en 1993, quand il y a toute une série d’événements qui se sont abattus
sur le pays - il y a eu, à ce moment-là, les élections au Burundi, où il y a
un soulagement de la population parce qu’avec les élections au Burundi où il
y a le président NDADAYE qui a été élu, on ressentait que la menace du Sud du
pays était tombée. L’adversaire était considéré comme le FPR, pas du tout comme
les Tutsi, contrairement à ce qu’on croit - ce n’est qu’en octobre 1993, qu’à
ce moment-là, le président élu au Burundi a été tué, a été assassiné ;
à ce moment-là, il y a une division qui se crée un petit peu partout. Et l’opposition
ethnique a été attisée surtout à partir de ce moment-là, aussi à l’intérieur
de la population. On voit cela sur différents niveaux, au niveau des clivages
à l’intérieur des partis politiques, on voit cela au niveau des différentes
publications qui se sont faites, on voit cela à l’attitude générale.
On voit aussi créer, malgré les différents partis politiques qui
se sont créés, on voit à partir d’octobre 1993, on voit, au-delà des partis,
des contacts qui se créent pour la sauvegarde du pays. Et on voit un appel qui
se crée pour la défense de la nation, la défense de la nation contre un agresseur.
Le FPR, à ce moment-là, n’est plus considéré comme un parti politique ou comme
un adversaire politique, mais est considéré comme un adversaire militaire et
on demande de nouveau la réunification, et cela à travers les différents partis.
Il est clair qu’il y a, à l’intérieur du pays, différentes personnes, surtout
des personnes aussi qui se sont ralliées avec le FPR. Quand les premiers accords
d’Arusha ont été signés le 7 janvier 1993, ils parlent du partage des pouvoirs.
Ce document a été très vite publié dans le pays, a été commenté souvent dans
le pays. Nous, quand on a eu ce document, on est allé voir notre ambassadeur,
pardon, on a demandé un rendez-vous avec notre ambassadeur, l’ambassadeur belge
au Rwanda. Parce que ce pouvoir, ce partage de pouvoirs, était en sorte une
prise de pouvoir par les partis qui étaient considérés comme l’agresseur du
Rwanda. Le pouvoir interne du pays était donné au parti FPR et au parti PL.
La justice allait au PL, le ministère des affaires intérieures allait au FPR
et ceci était considéré par la population comme une atteinte très forte de la
souveraineté. On a conclu aussi, on a compris aussi que les différentes personnes
qui ont signé ou qui sont allées à Arusha pour négocier, ne négociaient pas
du tout pour le pays, mais négociaient pour leur propre personnel, leur propre
position personnelle, rien d’autre que cela. Cette prise de conscience qui était
très forte au niveau de la population, l’a fait douter de certains politiciens,
de beaucoup de politiciens, et c’est à ce moment-là qu’on a perdu la confiance
en ce multipartisme, qu’on a perdu la confiance aussi dans les dirigeants politiques.
Quand par après, parce que 1993, janvier 1993 est encore très important,
il y a encore eu des événements comme par exemple la fameuse Commission des
droits de l’homme, des associations des droits de l’homme qui se sont présentées
au Rwanda, qui ont, en janvier, commencé à enquêter. Le rapport est sorti au
mois de mars. Mais, la façon dont elles se sont comportées était considérée
par la population rwandaise, comme tout à fait partiale et elles ne sont, pour
ainsi dire, pas du tout allées dans les zones qui étaient occupées par le FPR,
pas du tout. La réaction était une attaque, en février, du FPR sur le territoire,
une fuite de plus d’un demi-million de personnes qui sont chassées de leurs
terres et qui vont se trouver jusqu’aux portes de Kigali, entassées dans des
camps fortuits. Ils sont présents là-bas et on constate qu’il y a quand même
une certaine forme de solidarité. J’avais des collègues enseignants qui, à ce
moment-là, ont accueilli chez eux plus de 30 enfants dans leurs maisons. Bien.
Cet élément continue à jouer parce que cette présence des réfugiés est très
importante et elle formera par après, l’attitude des Rwandais.
Cette situation s’aggrave aussi parce que dans le Sud du pays, au
Bugesera, il y a des camps de réfugiés, de burundais, qui ont quitté le Burundi
après l’attaque ou l’attentat en octobre sur BUYOYA. Il y a des camps fortuits
qui ont été construits là-bas. A un certain moment, il y a la dysenterie qui
s’installe dans les camps. On est au courant à Kigali qu’il y a beaucoup de
morts qui surgissent là-bas. Quand la situation s’aggrave dans le pays, elle
s’aggrave et elle bloque le processus. Il y a les accords d’Arusha d’août 1993
qui n’ont pas été publiés. On a poussé le gouvernement rwandais à signer ces
accords. La Belgique a fait énormément de pression pour les signer. Déjà au
mois de juin, la Belgique a menacé de retirer tous les coopérants si les accords
n’étaient pas signés.
En septembre 1993, on fait une demande aux différentes écoles ou
aux différents projets dans lesquels il y a des Belges qui sont actifs, de
mentionner l’effectif de remplacement pour les Belges. C’est une menace, on
voit que la Belgique se retire du pays, qu’on veut pousser vers des accords
qui ne sont pas du tout considérés comme des accords convenables pour le pays.
On sait qu’après ces accords, il y aurait le désastre. Les accords sont quand
même poursuivis. On sait les difficultés qu’il y a eu pour mettre le gouvernement
de transition en place et la population, il me semble, a perdu la confiance
dans ses leaders. Et au moment où le président est assassiné le 6 avril, on
ne pouvait pas attendre, on pouvait comprendre qu’il y a un désastre qui se
préparait… pas qui se préparait, pardon, il y avait un désastre qui pouvait
s’enclencher à partir de ce moment-là, puisque c’était, à ce moment-là, la seule
personne qui pouvait encore réunir, qui pouvait encore garantir la paix à l’intérieur
du pays, qui avait le pouvoir moral sur la population.
Le Président : Sans lui,
la population s’est donc mise, comme un seul homme, en marche le 6 avril,
dans la nuit ou le 7 avril, au matin ?
Christian DE BEUL : Non. Il y
a plus que cela. Quand la population, surtout les derniers mois, était fort
mise sous tension, il faut savoir que les Casques bleus étaient présentés -
l’attitude des Casques bleus, on peut en discuter longtemps - mais il n’y avait
personne qui avait confiance dans la mission des Casques bleus. Déjà par leur
comportement...
Le Président : Je vous pose
une question. La population s’est mise en marche comme un seul homme, la nuit
du 6 avril ?
Christian DE BEUL : Non. Non,
pas de cette façon-là. Mais, que la déception était grande, oui. Que la peur
régnait à l’intérieur de la population, cela, oui et là, pour plusieurs raisons.
A Kigali même, on n’avait pas confiance du tout dans la mission des Nations
Unies qu’on avait vu opérer et qu’on soupçonnait d’être partiale. On voyait
aussi à Kigali, des jeunes qui étaient présents, qui bougeaient, pendant la
nuit surtout, et certains ne parlaient même pas kinyarwanda. La population avait
peur. Elle voyait là-dedans des infiltrés. Ces infiltrés…
Le Président : Vous avez
rencontré des infiltrés ?
Christian DE BEUL : Oui.
Le Président : A Kigali ?
Christian DE BEUL : A Kigali,
oui. J’ai effectivement rencontré des gens dont je savais qu’ils avaient reçu
une formation, une formation militaire du FPR. Quand je les ai aperçus…
Le Président : N’y avait-il
pas un bataillon… ?
Christian DE BEUL : Non…
Le Président : …au moins
du FPR à Kigali, à l’époque ?
Christian DE BEUL : Oui, effectivement
mais j’ai vu des personnes…
Le Président : En exécution
des accords d’Arusha ?
Christian DE BEUL : Oui, effectivement.
Mais, j’ai vu des personnes qui ne faisaient pas du tout partie de ce bataillon
et qui étaient présentes sur le marché de Kigali. Je suis à ce moment-là…
Le Président : Vous connaissiez
individuellement les personnes qui faisaient partie des bataillons ?
Christian DE BEUL : Non, mais
les personnes qui faisaient partie des bataillons devaient rester à l’intérieur
du CND et ne pouvaient sortir du CND qu’accompagnées par la MINUAR. Tandis
que moi, j’ai rencontré des personnes en civil à l’intérieur du pays, à l’intérieur
du marché. Je suis directement allé avertir l’ambassade belge de cela parce
que je trouvais que ceci était une menace. Quand moi je reconnaissais des personnes
dont je savais qu’elles avaient une formation militaire FPR dans le pays, si
moi j’en reconnaissais, moi en tant qu’étranger, il est certain que la population
rwandaise en avait vu beaucoup plus que moi. La peur régnait au mois de mars
1994, absolument.
Le Président : Bien. Y a-t-il
des questions à poser au témoin ? Monsieur l’avocat général ?
L’Avocat Général : Oui, je
voudrais tout d’abord que le témoin, parce que je n’ai pas très bien entendu,
resitue clairement ce qu’il faisait au Rwanda. Est-ce que vous étiez là comme
indépendant ?
Christian DE BEUL : Non. Initialement,
je travaillais comme volontaire aux Nations Unies. Volontaire pour la FAO. Par
après, j’étais coopérant belge et entre-temps, il y a un an, où j’ai travaillé
comme enseignant à l’école française.
L’Avocat Général : Qui
était votre employeur ?
Christian DE BEUL : Mon employeur,
à partir de 1992, était l’Etat belge.
L’Avocat Général : Deuxième
question. Si je vous ai bien compris, on a entendu ici des Tutsi, on a entendu
des historiens, des sociologues, etc., mais pour vous, en 1990, au Rwanda, tout
était pour le meilleur dans le meilleur des mondes ? Fraternité, égalité,
liberté pour tout le monde ?
Christian DE BEUL : C’est exagéré
du dire de cette façon-là mais dans le pays, il y avait effectivement une
volonté de développement, cela oui.
L’Avocat Général : Alors,
si j’ai bien compris, je ramasse un peu votre raisonnement parce que, bon, on
a parlé de beaucoup sauf de la période entre avril et juillet, mais pour vous,
le génocide, c’est la faute du FPR, de la Belgique, de la presse belge et des
associations des droits de l’homme ?
Christian DE BEUL : Bien, ceci
forme naturellement une caricature. Non, je ne suis pas du tout d’accord.
L’Avocat Général : Je réponds
à une caricature par une autre caricature.
Christian DE BEUL : Merci bien.
L’Avocat Général : Autre
chose, vous dites que vous connaissiez les infiltrés.
Christian DE BEUL : J’avais reconnu
des personnes qui étaient…
L’Avocat Général : Le but
d’un infiltré, c’est de s’infiltrer sans être reconnu. Si un étranger reconnaît
les infiltrés, alors on se demande pourquoi ils infiltrent.
Christian DE BEUL : Oui. Oui,
mais j’ai vu effectivement des personnes dont je savais qu’elles avaient reçu
une formation en Ouganda et qui étaient là. Quand je me suis adressé à une de
ces personnes et quand je lui ai demandé ce qu’elle faisait, elle m’a tourné
le dos.
L’Avocat Général : Elle vous
a dit : « J’infiltre ».
Christian DE BEUL : Non, Monsieur.
L’Avocat Général : Alors
là, un peu plus sérieusement, j’ai cru comprendre, enfin j’ai compris, que lorsque
les accords d’Arusha ont été donc conclus, que vous personnellement, vous vous
êtes rendu chez l’ambassadeur pour, en somme, dénoncer ces accords ? Vous
étiez donc en somme un opposant des accords d’Arusha.
Christian DE BEUL : Quand j’avais
pris connaissance des accords de janvier, le partage des pouvoirs, j’ai effectivement
demandé un rendez-vous avec l’ambassadeur belge ; je l’ai obtenu uniquement
9 mois plus tard et on a discuté à ce moment-là, longuement, sur ce partage
des pouvoirs, oui.
L’Avocat Général : Alors,
j’ai une dernière question. On vous a longuement entendu. Vous avez donc une
opinion sociologique, historique, politique, stratégique et militaire même.
Ma question est de savoir pourquoi votre témoignage intervient-il aujourd’hui
à l’audience et vous ne vous êtes jamais manifesté comme expert sur un de ces
nombreux plans ?
Christian DE BEUL : On a demandé
plusieurs fois d’être entendu, on a demandé plusieurs fois un débat contradictoire,
on a demandé aussi, mon épouse a demandé d’être entendue par la Commission sénatoriale,
ici en Belgique. Et on lui a refusé la parole.
Le Président : Bien. D’autres
questions encore au témoin ? Les parties sont-elles d’accord pour qu’il
se retire ? Monsieur DE BEUL, est-ce bien des accusés ici présents dont
vous avez voulu parler, cela c’est ce que la loi me demande de vous poser comme
question, et le sens de cette question est de savoir si vous persistez dans
vos déclarations ?
Christian DE BEUL : Effectivement,
oui.
Le Président : Eh bien, les
parties étant d’accord, la Cour vous remercie et vous pouvez disposer librement
de votre temps. Qui a-t-on comme témoins présents encore ? DEFILLET ?
MAES Monique n’est pas là pour le moment ? DEFILLET et VANDENBON sont présents ?
VANDEPLAS pas encore ? Euh… nous allons quand même suspendre un quart d’heure,
si vous voulez bien. L’audience va être suspendue, on la reprend à 11h. |
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