assises rwanda 2001
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Instruction générale d'audience Audition témoins de contexte compte rendu intégral du procès
Procès > Instruction générale d’audience > Audition témoins de contexte > J. Matata
1. C. Braeckman, journaliste 2. F. Reyntjens, juriste 3. A. Desforges, historienne 4. G. Sebudandi, journaliste 5. Y. Mukagasana, écrivain 6. R. Zacharia, médecin 7. J.P. Chrétien, historien, J.F. Dupacquier, journaliste 8. F. Twagiramungu, ex premier ministre rwandais 9. J. Matata 10. C. Vidal, historienne, sociologue 11. C. De Beul, ingénieur technicien 12. W. Defillet, assistant social 13. E. Vandenbon, assistante sociale 14. A. Vandeplas, magistrat retraité 15. le témoin 39, ex militaire de l’APR 16. le témoin 135 17. Explication suite déroulement procès 18. le témoin 41, sociologue 19. F.X. Nsanzuwera, ex procureur République à Kigali 20. A. Guichaoua, sociologue et commentaires A. Higaniro
 

5.5.9. Témoin de contexte: Joseph MATATA, militant des droits de l’homme

Joseph MATATA : Je jure…

Le Président : Un petit instant, d’autant que c’est l’autre main que vous allez devoir lever. Mais un petit instant. Je dois d’abord vous identifier. Quels sont vos nom et prénom ?

Joseph MATATA : Je m’appelle Joseph MATATA.

Le Président : Quel âge avez-vous ?

Joseph MATATA : J’ai maintenant 48 ans et demi.

Le Président : Quelle est votre profession ?

Joseph MATATA : Je suis sans emploi pour le moment mais je suis militant des droits de l’homme et je continue mes investigations, mes enquêtes sur la tragédie rwandaise.

Le Président : Quelle est votre commune de domicile ou de résidence ?

Joseph MATATA : Actuellement, en Belgique, je suis domicilié dans la commune de Gembloux.

Le Président : Connaissiez-vous les accusés, Monsieur NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO, Madame MUKANGANGO et Madame MUKABUTERA ou l’un ou l’autre de ces accusés, avant les faits qui leur sont reprochés, c’est-à-dire, en gros avant le mois d’avril 1994 ?

Joseph MATATA : Avant avril 1994, je ne connaissais personne d’entre eux.

Le Président : Vous n’êtes pas de la famille des accusés et vous n’êtes pas de la famille des parties civiles ?

Joseph MATATA : Pas du tout.

Le Président : Vous n’êtes pas vous-même partie civile ?

Joseph MATATA : Non, pas du tout.

Le Président : Donc, vous n’êtes pas sous contrat de travail ?

Joseph MATATA : Non

Le Président : Pour les accusés ou pour les parties civiles ?

Joseph MATATA : Non. Je travaille bénévolement dans mon association, le Centre de lutte contre l’impunité et pour la justice au Rwanda.

Le Président : Maintenant, vous allez pouvoir lever la main droite et prononcer le serment de témoin.

Joseph MATATA : Je jure de parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.

Le Président : Je vous remercie, vous pouvez maintenant vous asseoir. Monsieur MATATA, vous trouviez-vous au Rwanda au moment des événements d’avril 1994 ?

Joseph MATATA : Je crois que si j’avais été au Rwanda, je serais déjà mort. Je n’étais pas au Rwanda.

Le Président : Vous n’étiez pas présent à cette époque-là ?

Joseph MATATA : J’étais en stage ici à Bruxelles, pour un mois et je suis resté bloqué ici.

Le Président : Avez-vous, au cours de ces événements, perdu éventuellement des membres de votre famille ?

Joseph MATATA : Bien sûr. J’en ai perdu, j’ai perdu des amis et j’ai perdu notamment presque toute la famille de ma femme qui est Tutsi et qui habitait la région de Nyabisindu.

Le Président : Vous êtes retourné au Rwanda après ces événements ? A quelle époque êtes-vous retourné au Rwanda ?

Joseph MATATA : Je suis retourné au Rwanda précisément en passant par le Burundi. Je suis arrivé au Rwanda le 22 juillet.

Le Président : 1994 ?

Joseph MATATA : 1994. J’ai quitté Bruxelles le 13, le soir du 13 juillet et par l’avion Sabena je suis arrivé au Burundi où je suis resté quelques jours pour acheter des véhicules qui allaient me conduire notamment à faire des enquêtes dans le pays sur la tragédie qu’on venait de subir.

Le Président : Vous étiez, vous êtes sans doute encore membre de l’Association rwandaise pour la défense des droits de l’homme ?

Joseph MATATA : Je ne sais pas si entre-temps je reste membre de cette association parce qu’elle a été récupérée par les extrémistes actuellement au pouvoir et que l’association ne fait plus son travail comme elle le faisait avant. Je ne sais pas alors si je suis inscrit mais je n’ai jamais démissionné, puisque j’espère retourner dans mon pays et continuer de travailler bénévolement pour cette association.

Le Président : C’est au nom de cette association qui elle-même s’était regroupée avec d’autres, avec l’ADL, Association rwandaise de Défense des droits de la personne et des Libertés publiques, l’AVP, Association des Volontaires de la Paix, la LIPRODHOR, Ligue rwandaise pour la Promotion des Droits de l’Homme, il y avait une espèce de réunion de toutes ces associations dans ce qui s’appelait le ou la CLADHO, et vous avez participé à des enquêtes qui ont commencé quand ?

Joseph MATATA : Nous avons commencé officiellement nos enquêtes le 15 août 1994 dans les trois communes de la préfecture de la ville de Kigali, PVK en sigle. Nos enquêtes se sont clôturées le 10 décembre 1994 mais à côté de ces enquêtes que nous avons menées dans la ville de Kigali, moi, j’ai personnellement fait des descentes sur le terrain, notamment où on signalait des massacres du Front patriotique rwandais.

Le Président : Vous avez établi vous-même ou les membres de cette association un rapport ou pas ?

Joseph MATATA : Nous avons établi un rapport à peu près de, je ne me souviens plus très bien les pages, mais à peu près de 500 pages où nous faisions un catalogue d’à peu près 2.000 noms des miliciens Hutu qui étaient impliqués dans les massacres dans les trois communes de la préfecture de la ville de Kigali.

Le Président : Et ce rapport faisait déjà allusion à des massacres ou à des tueries commises par le FPR ?

Joseph MATATA : Malheureusement pas. Ce rapport n’a pas repris les massacres commis par le Front patriotique rwandais. Et ce qui a fait que les bailleurs de fonds qui avaient financé cette enquête se sont désolidarisés des résultats et que, partant, on n’a plus continué à faire ces enquêtes, du moins à l’époque où j’étais encore au Rwanda puisque j’ai dû fuir mon pays en catastrophe, le 27 février 1995.

Le Président : Vous dites que vous avez dû fuir votre pays en catastrophe, pour quelle raison ?

Joseph MATATA : Pour justement la nature de nos enquêtes, plus on découvrait les massacres commis par le FPR ou les disparitions ou les exécutions sommaires, plus on découvrait cela, plus bien sûr nous allions… moi personnellement j’avais reçu des autorisations pour visiter les brigades et pour descendre dans les communes. Donc j’avais des autorisations du ministre de l’intérieur, du ministre de la justice et j’avais des autorisations des deux états-majors de la gendarmerie. Avec ces autorisations, je descendais sur le terrain et chaque fois que je revenais, soit j’allais à la D.M.I., soit j’allais à la gendarmerie où je discutais avec le commandant de brigade judiciaire de la gendarmerie sur pas mal de cas de disparition, des enlèvements nocturnes qui avaient eu lieu. Justement, en poursuivant ces disparitions, c’est en essayant d’exiger que le régime - je veux dire que les responsables militaires notamment qui semblaient détenir tous les pouvoirs - d’enquêter et de trouver les coupables. C’est justement en insistant sur cela que progressivement ma situation s’est détériorée et que j’ai dû fuir, grâce notamment au concours des organisations humanitaires qui m’ont aidé à évacuer en payant le billet pour venir ici et sous une invitation, je venais aider d’écrire un livre sur le génocide, lequel livre a été écrit et qui porte le titre de « Maudits soient les yeux fermés ». Il y a un film aussi du même nom qui a été produit par une juriste de MSF et un producteur de films documentaires français aussi. Ils ont produit ce livre en septembre 1995, en décembre 1995 plutôt.

Le Président : Les enquêtes que vous avez faites sur place, est-ce que c’étaient des enquêtes faciles ? Est-ce que les victimes ou les survivants, que ce soient les survivants des agissements des Interahamwe, des FAR, de la garde présidentielle ou du FPR. Est-ce que ces gens parlaient facilement ?

Joseph MATATA : Au début, quand je suis arrivé personnellement en juillet 1995, le 22 juillet 1995 ?

Le Président : 1994 ?

Joseph MATATA : 1994, excusez-moi. Quand je suis arrivé dans ma région d’origine parce qu’en arrivant au Rwanda, je ne connaissais pas si ma famille avait survécu. Je l’ai appris en arrivant dans la région de Kibungo où j’habitais et où j’ai retrouvé ma femme et mes enfants blessés à l’hôpital de Gahini où ils avaient été évacués par le FPR de l’hôpital de Rwamagana, notamment où quelques bienfaiteurs Hutu les avaient évacués après que mon attaque fut la cible des extrémistes Hutu, le 12 avril 1994 vers 6h du matin. Donc, c’était facile puisque les gens racontaient, comme on raconte un film qu’on a vu, les gens semblaient vouloir sortir tout ce poids des massacres auxquels ils avaient assisté et ils parlaient à l’aise. Nous avions des témoins tant parmi les rescapés Tutsi que parmi les rescapés Hutu. Je me permets ici de parler des rescapés Hutu parce qu’à ce moment-là aussi, j’étais aussi rescapé. Non seulement les massacres commis par des extrémistes Hutu mais aussi par les massacres commis par les extrémistes Tutsi du Front patriotique rwandais.

Donc, la population rwandaise était considérée à ce moment-là comme toute rescapée. Et les gens parlaient sans problème. Et ce n’est que quand le FPR a commencé à faire des arrestations arbitraires et massives, des arrestations aveugles que les gens ont commencé à se taire. Ils ont dit : « Ca ne sert à rien de dire la vérité puisque maintenant, on arrête qui on veut, et surtout, on arrête des gens dont l’occupation illégale des biens est manifeste ». C’est comme cela que les gens ont commencé à se taire, à s’enfermer dans leur mutisme parce que, apparemment, ils nous disaient : « Cela ne sert à rien de témoigner puisqu’on est entré dans l’intérieur même des gens qui ont fait du bien ».

Et ici, je voudrais citer le cas de quelqu’un qu’on vient de libérer après avoir passé six ans dans la prison de Kigali, un certain Fidèle SENGIYUMVA qui a aidé notamment à l’évacuation des orphelins, dont de nombreux Tutsi, qui avaient été recueillis par un français qui était au Rwanda, Marc VAITER et qui a écrit un livre « Je n’ai pas pu les sauver tous », qui avait aidé notamment ces enfants et les orphelins et même des enfants qu’on avait ramassés sur les morts. Parfois, les enfants étaient dans le dos des mamans tuées. Tous ces enfants avaient été recueillis par ce français aidé notamment par ce monsieur Fidèle SENGIYUMVA et un sous-préfet qui a été très actif dans le sauvetage des gens de la ville de Kigali qui s’est fait aussi arrêter six fois à peu près et qui a failli être porté disparu, notamment dans le centre de torture de l’état-major de la gendarmerie.

C’est ce genre de gens qui avaient été justes, ces gens qui avaient sauvé d’autres, c’est justement l’arrestation de ces gens qui a provoqué le mutisme et finalement la démotivation des témoins qui nous parlaient du déroulement du massacre. Vers la fin, c’est-à-dire vers décembre, les témoins se faisaient prier et même dans les endroits - parce que quand on allait opérer, on allait par secteur et parfois par cellule - et les gens ne voulaient plus venir nombreux nous parler des massacres. Donc, vers la fin, nos enquêtes se sont arrêtées justement par ce mutisme provoqué par ces arrestations massives et surtout par l’arrestation de personnes notoires qui avaient sauvé des gens.

Le Président : Vous avez pourtant expliqué aussi au juge d’instruction d’autres motifs pour lesquels les témoins ne parlaient pas. Vous avez exposé que certains ne parlaient pas parce qu’ils avaient peur et d’autres ne voulaient pas témoigner parce qu’ils pensaient même que ce qu’ils allaient raconter, personne ne le croirait, tellement c’était horrible et incroyable quelque part ?

Joseph MATATA : Oui, j’ai parlé aussi de cela. Ici, quand je cite, j’ai cité peut-être le fait le plus saillant, mais aussi ces raisons étaient là comme je l’ai dit et je les maintiens.

Le Président : Avant le mois d’avril 1994 - vous avez dit donc, qu’en avril 1994 vous vous trouviez en stage en Belgique - mais avant avril 1994, vous étiez au Rwanda ?

Joseph MATATA : Oui. J’ai quitté le Rwanda le 12 mars pour mon stage qui avait été offert par un Institut américain des droits de l’homme pour venir faire un stage ici d’un mois, à peu près 30 jours, au mouvement MRAX, donc Mouvement contre le Racisme, l’Antisémitisme et la Xénophobie où je suis resté justement 30 jours et où je suis resté bloqué en quelque sorte puisque je suis resté ici jusqu’en juillet.

Le Président : Donc, vous avez quand même vécu des événements presque immédiatement avant le 6 avril 1994 qui semble être l’événement qui déclenchera ensuite une série de massacres et la reprise en tout cas de la guerre du côté du FPR ? Est-ce que, à ce point de vue-là notamment, moi, ce que j’aimerais bien savoir, c’est quelle était par exemple l’importance des émissions de radio au Rwanda ? Est-ce que tous les Rwandais avaient l’oreille collée sur leur transistor ou bien, est-ce qu’au contraire, dans les campagnes il n’y avait pas de radio ? Qu’est-ce que vous savez de cela ? Est-ce que vous par exemple, vous aviez votre radio et vous écoutiez la radio ?

Joseph MATATA : Il faut dire que je n’avais même pas le temps d’écouter beaucoup la radio parce que pendant la journée, j’avais effectué des descentes sur le terrain, et le soir je faisais la rédaction des rapports notamment sur ma vieille machine à écrire mécanique parce que je n’avais pas d’ordinateur à ce moment-là.

Mais, il est important de souligner peut-être comment l’Association des droits de l’homme est née juste avec le déclenchement de la guerre en quelque sorte, l’ARDHO a été créée le 30 septembre 1990. Moi, quand je suis venu faire les droits de l’homme, je sortais de la prison puisque j’ai été emprisonné comme complice du Front patriotique rwandais ; j’ai été emprisonné par ce que je qualifierai même à cette époque des extrémistes Hutu qui ont mis en vrac un certain nombre de gens soupçonnés à tort ou à raison comme complices du Front patriotique rwandais. Donc, j’ai été emprisonné dans la prison à Kibungo pendant 75 jours. J’ai été torturé bien sûr, j’ai un pied qui n’a pas la même taille que l’autre pied parce qu’on m’a torturé, on m’a fracassé les phalanges du pied. Pendant la prison, j’avais constaté qu’il y avait beaucoup d’arrestations injustes et en sortant de la prison, j’avais le choix, d’être résigné ou de tout simplement combattre l’injustice. Et c’est ce que j’ai fait en sortant.

Je suis venu naturellement trouver les fondateurs qui avaient créé l’association ARDHO de l’ancien ministre de la justice NKUBITU qui a été retrouvé mort mystérieusement le 13 février 1997 dans son lit à Kigali. Cette association m’a permis d’être son premier secrétaire permanent. C’est en qualité de secrétaire permanent et d’enquêteur principal, puisque nous n’avions pas les moyens d’engager ou même de rémunérer d’autres enquêteurs, j’ai été pratiquement avant avril 1994 le principal enquêteur de cette association. Donc, j’ai enquêté sur les événements du Bugesera qui se sont déroulés en mars 1992. Quand je dis les événements, ce sont des événements sanglants parce qu’il y avait des Tutsi qui avaient été tués. J’ai enquêté sur les événements sanglants de Kibilira où des Tutsi aussi avaient été tués, d’autres avaient subi des pillages et ils s’étaient réfugiés notamment aux paroisses qui sont malheureusement devenues plus tard, des abattoirs. Donc, comme ancien prisonnier, je me sentais le devoir de combattre cette injustice et je n’avais pas peur même d’être tué et c’est ce que je continue de faire jusqu’aujourd’hui.

Donc, vous m’avez demandé ce qui s’était passé avant. Les extrémistes Hutu avaient déjà annoncé la couleur de ce qu’ils ont finalement fait après l’assassinat du président le témoin 32. Les massacres que nous avons observés au Bugesera, soit à Kibilira, nous avions trouvé que c’étaient les Tutsi qui avaient été les cibles. Plus tard, en août 1992, il y a eu aussi des troubles qui n’ont pas fait beaucoup de victimes mais qui ont fait beaucoup de dégâts matériels, c’est notamment à Kibuye où les Tutsi des communes de  Rwamatamu, Gishyita, ont été en quelque sorte chassés de leurs maisons et qui se sont réfugiés notamment encore une fois dans des paroisses soit catholiques, soit protestantes. L’action des extrémistes Hutu était déjà visible à ce moment-là. Pour ce qui est des radios, la radio RTLM avait commencé à émettre bien sûr ; je crois qu’elle a commencé à émettre déjà avec la signature des accords de paix d’Arusha, et je ne me souviens plus très bien de la date.

Le Président : Cela a commencé vers le mois d’août 1993, semble-t-il ?

Joseph MATATA : Voilà. C’est une radio, moi-même j’en ai été victime puisqu’ils m’ont une fois cité parce que j’avais tout simplement dénoncé un probable pillage que les miliciens du MRND, les Interahamwe, allaient opérer dans la ville de Rwamagana où ils avaient un meeting. Et la lettre avait été interceptée, une lettre que j’avais écrite au commandant de la gendarmerie de Rwamagana. Elle a été interceptée parce que je l’avais donnée à un soldat, un gendarme à la garde, je ne sais pas comment ils l’ont eue mais la lettre a été lue dans le meeting et comme cela j’étais devenu la cible et ils ont parlé de moi à cette époque. En novembre 1993, j’ai dû quitter mon logement où je logeais dans le secteur de Gitega à quelques kilomètres à peu près du centre ville de Kigali. J’ai dû quitter en abandonnant tous les biens, toutes les affaires de couchage et toutes les casseroles que j’utilisais. Je suis venu me réfugier à mon bureau qui était juste sis en dessous de l’école belge pour ceux qui connaissent la ville de Kigali. C’est notamment le même bureau que le CLADHO, donc le Collectif des Ligues et Associations de Défense des droits de l’Homme, avait pris comme bureau. Donc, l’ARDHO avait sous-loué dans ces locaux du CLADHO. Donc, les radios, sauf la radio nationale où certains politiciens pouvaient peut-être aller à un excès verbal, mais la radio RTLM, elle, avait fait un appel pratiquement aux troubles ethniques, sinon aux meurtres. Notamment, je me souviens que toutes les associations réunies des droits de l’homme, nous avions demandé que cette radio soit fermée. Je m’en rappelle.

Le Président: Par exemple vos associations n’ont pas demandé à pouvoir prendre la parole à cette radio ?

Joseph MATATA : Nous n’avons pas demandé la parole à cette radio parce qu’il y a deux raisons. C’était une radio que nous n’acceptions pas à cause de ses propos. Ensuite, quand vous n’approuvez pas un média, vous ne voulez certainement pas apparaître dans ce média et surtout s’exprimer par ce média pour ne pas lui donner une crédibilité. Je ne crois pas qu’il y a une association, un chef ou un responsable d’une association qui aurait souhaité s’exprimer sur les ondes de la radio RTLM. Mais nous avons, en février 1993, nous avions quand même parlé des massacres que les combattants du FPR avaient faits lors de leur attaque du 8 février, notamment sur la radio nationale. Je crois que c’est notre dernière entrevue ou notre dernier entretien radiodiffusé sur la radio nationale. Donc, nous n’avons pas eu beaucoup accès à ce média parce que nos associations étaient considérées aussi par les extrémistes Hutu, comme des associations proches du Front patriotique rwandais. Malheureusement, certaines de ces associations l’ont prouvé plus tard. Certains membres de nos associations ont affiché leur sympathie pour le Front patriotique rwandais après sa victoire, ce qui était inacceptable pour les militants honnêtes dont notamment, je faisais partie. Je ne sais pas si je peux continuer sur cela ou si je peux développer…

Le Président : Non, vous avez déjà exposé suffisamment, je crois. En fait, des associations comme la vôtre n’avaient pratiquement - depuis vous dites le mois de février 1993 - plus accès à la radio ?

Joseph MATATA : Oui, c’est comme cela que cela s’est passé, nous n’avons pas eu accès à la radio. Ce qui nous a pousser d’ailleurs…

Le Président : Et la question que je vous avais posée avant… Est-ce que la radio, c’est important pour les Rwandais sur le terrain ? Est-ce qu’ils ont sur leurs collines là-bas, leur poste de radio ? Est-ce qu’ils écoutent la radio ?

Joseph MATATA : Bien sûr. Ils écoutaient la radio et la population avait l’habitude d’écouter la radio nationale et la radio RTLM dans les endroits où elle pouvait arriver parce que la radio RTLM n’a pas été opérationnelle sur toute l’étendue de la République en même temps. Ils ont commencé sur Kigali et puis petit à petit dans d’autres régions, notamment en louant, je crois, si mes souvenirs sont bons, en louant des antennes de radio Rwanda. La population écoutait aussi radio Muhabura, la radio du Front patriotique rwandais, qui avait aussi son propre discours. Je n’ai pas eu l’occasion de l’écouter parce que c’était une radio qu’on entendait très mal puisqu’elle émettait en ondes courtes tandis que la radio RTLM à un certain moment, je crois quand même dès le début, émettait en FM et c’est pour cela qu’elle ne pouvait pas couvrir tout le pays. Donc, la radio est importante pour la population rwandaise dont une partie ne sait pas lire et écrire et même ceux qui savent lire et écrire n’auraient pas les moyens d’accéder aux journaux. Les journaux étaient pratiquement lus par les gens de la ville, les fonctionnaires et tous ceux qui pouvaient les payer. Evidemment, ils ne coûtaient pas cher les journaux d’avant avril 1994, comme actuellement ça coûte cher. Les gens continuent d’être dépendants, tributaires de ces radios puisque là c’est facile, c’était en kinyarwanda et les gens peuvent écouter notamment les directives ou les informations. Et les radios peuvent jouer - et malheureusement elles ont joué et aujourd’hui elles jouent encore - le rôle de désinformation et de manipulation des masses populaires.

Le Président : Vous pensez que le jeu actuel, que vous semblez dénoncer, conduirait des gens à en accuser d’autres de faits qu’ils n’ont pas commis ?

Joseph MATATA : Je ne sais pas, si vous me permettez, Monsieur le président, Messieurs les jurés et toute l’assistance présente, si je peux m’étendre sur le phénomène de la délation. Là, vous mettez le doigt sur le phénomène de la délation. Un phénomène qui est devenu en quelque sorte une arme pour les extrémistes Tutsi, je dis bien les extrémistes Tutsi qui ont remplacé les extrémistes Hutu au pouvoir et qui font exactement ce que faisaient les extrémistes Hutu pendant la période des massacres et même pendant la période antérieure aux massacres massifs de 1994.

Le phénomène de la délation est utilisé que ce soit au niveau des journaux locaux, donc les journaux rwandais actuellement, il est utilisé au niveau de la radio nationale, c’est une radio d’Etat et la radio d’Etat étant dominée par malheureusement ces extrémistes Tutsi aujourd’hui, elle diffuse des propos qui encouragent la délation. Jusqu’à présent, les délateurs qui ont été identifiés au Rwanda, les syndicats des délateurs ou des délateurs individuels puisqu’ils existent à tous les échelons, ce phénomène je l’ai dénoncé et je l’ai découvert pendant mes enquêtes, notamment en novembre 1994, lorsque j’ai fait une descente dans trois préfectures : la préfecture de Gitarama, c’est une préfecture située au centre du Rwanda et la préfecture de Cyangugu située à l’extrême Sud-Ouest du Rwanda, à la frontière avec l’ancien Zaïre et la préfecture de Kibuye qui se trouve à l’est du Rwanda et qui est séparée par un lac, le lac Kivu qui le sépare avec les frontières de l’ex-Zaïre. Donc, j’ai fait une descente d’environ une semaine dans ces régions et j’ai découvert la constitution des syndicats de délateurs, ce qui m’a obligé d’enquêter sur ce phénomène qui remonte d’ailleurs depuis le temps du rassemblement du Front patriotique rwandais où les gens se sont adonnés à la délation d’une façon éhontée. Je pourrais donner des cas, je pourrais citer des noms.

Mais en exploitant la souffrance des veuves qui avaient perdu hommes et enfants, en exploitant le sentiment de souffrance des orphelins, en quelque sorte les extrémistes Tutsi dont je continue toujours de mettre en cause, ont en quelque sorte incité ces malheureux, ces rescapés Tutsi et souvent ces rescapés Hutu à faire de la délation, à accuser arbitrairement, gratuitement des gens innocents qui ont été, dès les premiers jours, dans les camps de rassemblement du Front patriotique rwandais, qui ont été tout simplement arrêtés et portés disparus. Les militaires les prenaient et les gens partaient sans plus revenir. Il y en a même qui sont partis avec les membres de leur famille, femmes et enfants. Ce phénomène de délation a commencé dans les camps de rassemblement du Front patriotique rwandais puis, lorsque la population a été invitée à rentrer dans ses biens, ce phénomène de délation s’est encore amplifié parce que les gens qui occupaient les biens d’autrui, allaient chercher des veuves, allaient chercher des orphelins pour leur demander d’aller accuser de génocide, les propriétaires légitimes.

Et c’est ainsi qu’au Rwanda il y a eu des arrestations massives. Certaines opérées par des militaires aveuglement, d’autres provoquées par cette délation que je pourrais qualifier d’institutionnalisée, donc, une délation soutenue officiellement et une délation qui est encore aujourd’hui active. Je dois vous dire qu’à un certain moment, moi, qui ai eu accès à certains faux témoignages puisqu’il faut les appeler des faux témoignages, j’avais l’impression qu’on avait fait une sorte de lavage de cerveau à ces personnes qui étaient devenues des délateurs, pour justement leur demander de remplacer un autre message dans leur tête en profitant de leurs souffrances et de rapporter des choses tout à fait incroyables et souvent invraisemblables. Le phénomène de délation, c’est une triste réalité malheureusement, et c’est ce phénomène de délation qui a fait que jusqu’aujourd’hui, il est difficile d’organiser une justice équitable, une justice sereine, dans notre pays.

Pour moi, tant que les extrémistes Tutsi auront un pouvoir comme celui que les extrémistes Hutu avaient dans le régime précédent et pendant la période des massacres massifs d’avril, tant que ces extrémistes auront le pouvoir de continuer de gérer, d’encourager et même d’intimider parce que certains délateurs l’ont fait par contrainte, ils ont été intimidés. On leur a demandé tout simplement d’aller charger des gens innocents pour qui on n’avait rien ou d’aller tout simplement raconter qu’ils ont vu des choses alors qu’ils n’ont rien vu, alors qu’ils ont entendu d’autres citer tel ou tel témoignage et qu’ils allaient le répéter en se présentant comme des témoins oculaires alors que ce n’était pas vrai.

Une autre chose grave, c’est la création, la fabrication, la confection des rumeurs. C’est-à-dire, que ce soit à la base de ces syndicats, de ces noyaux  de syndicats de délateurs au niveau des cellules, au niveau des communes, au niveau des secteurs, il y a eu aussi les agents du service central de renseignement militaire, les agents de la D.M.I , ce qu’on appelle les agents de sécurité, ce sont les anciens encadreurs politiques du FPR qui sont éparpillés au niveau des collines. Ces gens-là, quand ils voulaient emprisonner quelqu’un ou même le faire disparaître, ils commençaient par faire courir un bruit autour de leur cible, de dire : « Il apparaît suspect, il a fait ceci, il a fait cela ». Et lorsque la rumeur était tellement répandue, les services de sécurité, souvent la D.M.I., souvent peut-être la gendarmerie, souvent le conseil de secteur, c’est vraiment chaotique, n’importe qui pouvait aller faire ce genre d’investigations. Les officiels allaient enquêter sur ces rumeurs, qui finalement à force d’être répétées et souvent ces rumeurs étaient répétées aussi par la radio nationale, par les journaux d’obédience apparemment qui sont des journaux financés par ces milieux des extrémistes Tutsi parce qu’il y a aussi actuellement des journaux qui jouent de la haine ethnique, malheureusement, qui ont remplacé les anciens Kangura, les anciens journaux Hutu qui distillaient aussi de la haine ethnique. Il y a ce phénomène qui est toujours valable aujourd’hui, qui est toujours en cours, où la rumeur était fabriquée, on ne sait pas souvent comment. Et la rumeur devenait souvent réalité et les officiels allaient enquêter sur cette rumeur que souvent ils avaient contribué eux-mêmes à répandre. On allait enquêter et les arrestations étaient faites et des gens ont été emprisonnés.

Je pourrais vous citer des cas, des noms mais ici je voudrais citer le cas d’un magistrat, le substitut du procureur Silas MUNYAGISHALI, qui a été arrêté début 1996. Il était procureur ad interim du parquet de Kigali, le parquet de la République de Kigali, dans la capitale rwandaise. Ce substitut du procureur a été arrêté sur base de faux témoignages. D’abord on l’a incriminé disant qu’il avait reçu des pots de vin de la part de la Banque nationale du Rwanda dont les agents avaient été emprisonnés dans le cadre de l’épuration ethnique pour essayer de « disponibiliser » les postes de ces cadres Hutu et je les connais très bien puisque moi-même j’ai été agent de la Banque nationale du Rwanda pendant dix ans, donc de 1973 à 1983. Le substitut a été une victime incroyable puisqu’il était lui-même magistrat, parce qu’il voulait libérer les cadres Hutu de la Banque nationale qui avaient été arrêtés arbitrairement et qui ont d’ailleurs été plus tard, libérés. Il a été arrêté d’abord comme quelqu’un qui a été corrompu et puis, il a été accusé de génocide et on est allé trouver des faux témoins. Ici j’insiste, on est allé trouver des faux témoins, notamment dans son secteur où il habitait, où il résidait, le secteur de Nyakabanda, Kimisagara, donc, c’est juste la colline en face du centre ville. Ce procureur ad interim a été exécuté le 24 avril, parmi les premiers 22 condamnés à mort qui ont été exécutés publiquement. Voilà, c’est un exemple que je pourrais citer où quelqu’un a été victime de cette délation. Je pourrais citer d’autres cas, des gens qui ont passé des années en prison, comme Fidèle SENGIYUMVA qui vient d’être libéré récemment. Je pourrais citer de nombreux autres cas.

Donc, la délation est un phénomène très réel. Je peux vous dire sans ambiguïté, et cela je le souligne très bien, je peux vous dire sans ambiguïté que parmi les gens qui vont défiler ici, à la place où je suis, vous allez trouver des gens qui sont venus de leur propre gré faire de la délation, qui sont venus le faire sous contrainte ou tout simplement qui viendront le faire suite à leurs souffrances ou suite à ce phénomène dont je vous ai parlé, où la rumeur devient finalement une réalité dans la tête des gens et à un certain moment, les gens, à force d’avoir entendu une rumeur qui persiste, qui revient, finalement ça finit par entrer dans la tête des gens qui en quelque sorte deviennent victimes d’une manipulation médiatique et qui finalement pensent être eux-mêmes des témoins de ces événements-là. Je suis sûr que peut-être en posant des questions, il y a des gens qui vont se contredire parce que tout simplement ils ne seront pas à leur place ici, parce que tout simplement pour des raisons d’exploitation du génocide que moi je n’ai jamais acceptées, parce que le génocide rwandais est exploité actuellement de façon éhontée par les gens qui pensent en faire une sorte de fond de commerce. Et cela, c’est inacceptable. C’est une tragédie dont tous les coupables doivent être punis qu’ils soient Hutu ou Tutsi impliqués dans ce massacre.

Et aujourd’hui, malheureusement, l’absence de justice dans notre pays, ce phénomène de délation et le manque de volonté politique des dirigeants actuels, le fait que l’Etat rwandais, les institutions de l’Etat rwandais sont des institutions exactement que je pourrais qualifier d’institutions de façade, où l’ingérence des militaires semble gérer, bloquer, paralyser toutes les personnes de bonne volonté que vous pouvez toujours trouver dans ces institutions, que ce soit du côté de la justice, que ce soit du côté notamment de certains ministres aussi, parce que tout le monde n’est pas de mauvaise foi, tout le monde n’est pas extrémiste. Mais malheureusement, ce sont les extrémistes qui dominent parce qu’avec eux, ils ont les moyens de répression, ils ont les moyens de faire disparaître, ils ont les moyens d’intimider. Une autre personne que je pourrais citer, qui en train de devenir une vedette, c’est l’ancien premier ministre RWIGEMA, dont on a lancé un mandat d’arrêt international et qui est cité notamment par un ancien conseiller du secteur, Amori KAREKEZI qui le cite comme quelqu’un qui a été sous la barrière. Si j’ai le temps, je pourrais peut-être en dire quelque chose parce que je connais…

Le Président : Non, parce qu’on ne va pas faire son procès ici.

Joseph MATATA : Voilà, exactement !

Le Président : Pas pour le moment.

Joseph MATATA : C’est pour vous dire que la délation, elle se fait et une fois, quand elle est installée dans le cerveau des gens, elle se met à l’œuvre et c’est comme cela qu’on embranche des processus d’ailleurs qui sont à la base de ce procès.

Le Président : Bien. Y a-t-il des questions à poser au témoin ? Monsieur l’avocat général ?

L’Avocat Général : Oui, Monsieur le président, quelques petites questions. Il n’entre pas dans mes intentions de nier le fait qu’il y ait des massacres du FPR, mais on ne justifie pas un génocide par d’autres massacres, première remarque. Et deuxième remarque, les 500.000 personnes ou 1 million de personnes ne sont pas mortes de rumeurs. Je voudrais poser deux questions qui se rapportent à ce que l’intéressé a dit devant le juge d’instruction. Vous avez dit à un certain moment que les victimes, dans la plupart des cas, ne connaissaient pas les miliciens ou les militaires qui venaient les chercher et que c’était voulu parce qu’on voulait éviter qu’il se crée des sentiments entre la victime et le bourreau. Est-ce que vous pouvez confirmer cela ?

Joseph MATATA : Oui, je le confirme. Bien que mon travail de chercheur en la matière parfois me permet d’évoluer à la lumière de nouveaux éléments, mais je le maintiens parce que, à la base, il fallait tuer, par exemple des gens qui se sont adonnés au viol, je pourrais les qualifier de gens qui ont tapé à côté parce qu’il était logique de tuer très rapidement sans passer par ces préambules.

L’Avocat Général : Puisque donc les militaires et les miliciens ne connaissaient pas les victimes, il fallait qu’il y ait des gens qui connaissent les victimes pour les désigner. Vous avez déclaré que les futures victimes étaient désignées par des personnes qui, elles, les connaissaient et qui amenaient les militaires sur place.

Joseph MATATA : Bien sûr. Les gens notamment qui s’étaient cachés, on ne pouvait les débusquer que quand il y avait quelqu’un qui pouvait montrer la cachette, c’est clair. Mais, la plupart des gens qui ont été tués, que ce soient des opposants Hutu qui ont été tués par les extrémistes Hutu à l’époque ou par des militaires ou des gendarmes ou par des milices, la plupart des gens étaient connus dans leur quartier. Il n’y avait même pas besoin d’aller les désigner. Mais, les gens qui s’étaient réfugiés soit chez des amis, soit qui avaient trouvé d’autres cachettes, étaient débusqués et tués parce qu’il y avait quelqu’un qui pouvait dénoncer l’endroit où ils étaient.

L’Avocat Général : Deuxième question. Vous avez dit, vous le confirmez, que le but était de tuer le plus possible de personnes dans un minimum de temps et vous avez fait référence à ce que vous appelez dans votre audition « des tueurs d’élite », c’est-à-dire qu’on amenait des personnes chez des tueurs d’élite qui étaient capables de tuer d’un seul coup, ce qui avait l’avantage qu’ils ne se fatiguaient pas trop et qu’ils pouvaient donc tuer pendant plusieurs heures. Est-ce que vous confirmez ?

Joseph MATATA : Je le confirme dans la mesure où le nombre de gens qui ont tués au Rwanda, ce n’était pas un grand nombre de tueurs mais ils ont eu le temps nécessaire pour faire le macabre travail. Je voulais dire que parmi tous ceux qui tuaient, il y avait des tueurs d’élite, notamment les Interahamwe  qui avaient reçu l’entraînement militaire, notamment des militaires qui sont venus tuer non pas sur ordre de l’état-major de l’armée, mais qui sont venus tuer suivant leur propre degré d’extrémisme. Vous trouvez des gendarmes qui sont allés tuer des gens sans avoir reçu l’ordre de l’état-major. Vous trouvez les anciens réservistes qui se sont mis dans la danse sans avoir été sollicités comme notamment dans la campagne de la défense civile. Les gens sont dans leurs propres sentiments, dans leur degré d’extrémisme ou de haine et pouvaient s’impliquer et devenir même d’excellents tueurs. Ce sont des phénomènes qui ont eu lieu. Cela s’est fait remarquer dans les deux camps, par les deux belligérants. Dans la zone du FPR, au même moment, les gens excellaient à tuer. Dans la zone gouvernementale, les gens excellaient à tuer.

Et souvent, on voyait que les victimes étaient tout d’abord - avant même d’être considérées comme des victimes ethniques - étaient tout d’abord qualifiées et considérées comme des victimes politiques, donc, je veux dire des cibles politiques parce que, indistinctement, les Hutu qui avaient affiché leur opposition au MRND ont été tués sans pitié comme les Tutsi ont été tués, puisque les Tutsi ont été assimilés, qualifiés en tout ou en globalité, femmes, vieux, enfants, bébés, à des opposants politiques. Donc, les tueurs d’élite ont bel et bien existé et même dans les camps de réfugiés au Congo, certains ont continué à tuer les gens qui avaient fui avec eux. C’est une réalité qui est là et malheureusement qui se constate dans les deux camps des belligérants, des deux côtés du front, il y a eu cette excellence dans les massacres, si je peux le dire.

Le Président : D’autres questions ? Oui ?

Me. Evrard : Je vous remercie, Monsieur le président. Si je comprends bien le témoin, Monsieur MATATA, il était manifestement possible, à travers le processus qu’il nous dénonce, de constituer des dossiers contre quiconque. Est-ce qu’il peut nous dire depuis quand existaient ces syndicats délateurs ? Est-ce qu’ils existaient dans l’immédiat, après le génocide et dès les premiers dossiers menés à charge par le parquet local, ou est-ce que c’est un phénomène qui est arrivé plus tard ? Est-ce qu’il peut nous dire également si, à sa connaissance, ceux qu’il a dénoncés des syndicats délateurs étaient apparentés, alliés avec des collectifs de victimes ?

Joseph MATATA : Je veux bien y répondre parce que, parmi les enquêteurs des droits de l’homme qui ont découvert ce phénomène de délation, je suis parmi les premiers, sinon j’ai été le premier à le dénoncer et à le dire aux autorités. Comme je vous l’ai dit, les premiers noyaux de ces syndicats délateurs ont été constatés, relevés dans les différents camps de rassemblement où le FPR avait rassemblé ce que j’appellerais, les rescapés des massacres commis par les extrémistes Hutu pendant qu’ils étaient encore sur place ou, comment dirais-je, les gens qui avaient trouvé bon de se diriger dans la zone du Front patriotique rwandais. Et ce petit noyau était constitué par des veuves et des orphelins qui dénonçaient, à tort ou à raison, des gens comme ayant participé au génocide. Mais, lorsque les gens sont retournés dans leur village, dans leurs biens, le phénomène s’est amplifié comme je vous l’ai dit, puisque les gens - même dont les bien avaient été occupés - étaient tout simplement victimes de la délation.

Le phénomène a commencé à se généraliser lorsque je l’ai découvert, en novembre 1994, et dans le rapport que j’ai fait à ce moment-là, publié le 5 décembre, je reprenais la constitution de ce que j’appelais les « syndicats de délateurs », les gens qui étaient souvent conviés au bureau communal pour aller dénoncer les gens, à tort et à travers. Donc, les enseignants, les commerçants, la plupart des Hutu qui avaient un ascendant sur la population, qui avaient des biens pouvant susciter la convoitise des autres, ce sont ces gens-là qui ont été les premières victimes et qui se sont retrouvés dans les prisons rwandaises, dans les cachots, parce que j’ai parcouru aussi un certain nombre de cachots communaux où les gens étaient entassés comme cela. Donc, il y a des gens qui allaient au bureau communal, qui à un certain moment semblait devenir comme un travail quotidien. Vous trouviez des orphelins, des femmes, des veuves, d’ailleurs qui n’avaient pas la force morale d’aller travailler dans les champs, qui allaient au bureau communal et qui restaient souvent là-bas toute la journée pour incriminer, accuser à charge des gens, sans nécessairement être sûrs de ce qu’ils avancent.

Le fait qu’il y ait eu, avec les associations de rescapés du génocide, cela ici je me permettrais d’incriminer certaines sections ou certains membres de l’association Ibuka, qui se sont complus à encourager ce phénomène de délation. Jusque récemment d’ailleurs, je crois qu’en 1999, si je me souviens bien, le Front patriotique rwandais s’est même plaint qu’un de leurs députés, un de leurs candidats députés que le Front patriotique rwandais voulait nommer comme député, a été lui-même la cible des membres d’Ibuka et le FPR a été obligé de sortir de ses gonds pour dénoncer un peu ce phénomène de délation soutenu par Ibuka. Il y a eu un échange de propos, notamment l’ancien général de brigade, RUSATIRA Léonidas, a réagi au sujet de cette altercation entre le secrétaire général du Front patriotique rwandais Charles MURIGANDE et notamment le président de l’association Ibuka (Souviens-toi), la principale association des rescapés Tutsi du génocide. Quand je dis les rescapés Tutsi, il y a même des rescapés Hutu dans cette association… on retrouve dans plusieurs régions du pays et cela je trouve que parfois c’est normal, que certains membres de cette association qui ont des preuves irréfutables aillent porter plainte. Mais souvent, on a remarqué que cette association se complaisait à encourager aussi ce phénomène de délation alors que peut-être pour une bonne justice, cette association ou certaines sections de cette association ou certains membres de cette association auraient dû décourager ce phénomène de délation. Donc, il y a eu à un certain moment une sorte de collusion entre certains membres d’Ibuka et les syndicats de délateurs.

Le Président : Bien. Oui, Maître VANDERBECK.

Me. VANDERBECK : Je vous remercie, Monsieur le président. Le témoin nous a parlé tout à l’heure, je pense, de phénomène de délation collective qui était plutôt, semble-t-il, si je n’ai pas mal interprété ses propos, guidé par des mouvements extrémistes, qu’il a dit être des extrémistes Tutsi, mais il a parlé également de phénomène de délation individuelle où des individus manifestement non canalisés, dénonçaient. Est-ce que cela obéissait à des intérêts particuliers comme une appropriation de terre ?

Le Président : Je pense que le témoin vient de répondre à cette question encore il y a quelques instants, dans ce sens-là. Oui, Maître WAHIS…

Joseph MATATA : Je pense que la plupart des arrestations, des emprisonnements…

Le Président : Monsieur, je ne vous ai pas demandé de répondre à la question. Maître WAHIS ?

Me. WAHIS : Je vous remercie, Monsieur le président. Le témoin nous a parlé de la problématique des témoins à charge dans le procès du génocide de 1994. J’aimerais maintenant que vous lui posiez une question en ce qui concerne les témoins à décharge dans ce type de procès. Est-ce qu’un témoin à décharge court ou non des risques lorsqu’il veut témoigner en faveur d’un accusé ?

Joseph MATATA : Tout à fait. Vous touchez là à un point extrêmement important que j’aurais peut-être dû citer en dénonçant ce phénomène de délation. Les témoins à décharge au Rwanda sont malvenus, certains ont été même victimes d’intimidations, certains ont été poussés à fuir et notamment ici je vais citer - je reviens sur son cas - ce magistrat qui a été condamné arbitrairement et exécuté, le magistrat Silas MUNYAGISHALI dont les témoins à décharge qui sont allés témoigner au tribunal de première instance, en chambre spécialisée à Gitarama, ont été tout simplement intimidés et qu’ils ont été jugés dans la salle par certains membres d’Ibuka qui étaient dans la salle et qui les ont empêchés de parler. Je crois que depuis ce moment-là, les témoins à décharge se sont abstenus d’aller témoigner. Ce phénomène existe et je peux citer encore un autre témoin qui est allé à Arusha, l’ancien préfet de Gitarama, Fidèle UWIZEYE qui est allé témoigner dans le procès de l’ancien bourgmestre Taba, Jean-Paul AKAYESU, qui est détenu à Arusha. Et ce témoin, quand il est rentré quelques jours après, il s’est fait arrêter, il a été longtemps porté disparu, puis finalement à force des actions d’Amnesty, de tout ce que nous avons dénoncé - moi aussi je l’ai dénoncé au niveau de notre centre de lutte contre l’impunité et la justice au Rwanda - on l’a fait réapparaître dans une prison à Kibungo où il y a des prisonniers de droit commun. On pourrait citer plusieurs cas de témoins à décharge qui ont été victimes de leurs témoignages, qui ont été découragés ou pour décourager d’autres témoins aussi. Ce phénomène, il est là. Les témoins à décharge sont malvenus, ils sont maltraités et persécutés tout simplement, et souvent ils préfèrent ne pas s’annoncer ou ne pas se déclarer. C’est un phénomène tout à fait réel.

Le Président : Une autre question, Maître WAHIS ?

Me. WAHIS : Tout à fait dans cette lignée, Monsieur le président. Est-ce que ce type d’intimidation pourrait aller jusqu’à ce que ce témoin à décharge se fasse lui-même accuser d’actes de génocide ?

Joseph MATATA : Généralement, c’est ce qui arrive. On dit : « Si tu vas défendre les génocidaires, toi aussi tu es génocidaire ». On a vu des gens, au début… et c’est pour cela qu’au début de mon intervention ici, j’avais parlé justement de ce que les gens, à certains moments, se sont renfermés dans leur mutisme parce que tout simplement, à un certain moment, les gens disaient que témoigner était devenu dangereux, même témoigner à charge parce que vous vous attiriez toute une série d’ennuis par après, parce que tout simplement tu pouvais par après, être obligé d’aller témoigner contre quelqu’un d’autre pour tout simplement arranger le phénomène de délation. Donc, il y a des témoins, s’ils pouvaient témoigner des choses qu’ils ont vues et qu’ils ont été contraints d’aller témoigner dans d’autres dossiers alors qu’ils n’avaient absolument rien à déclarer de ce côté. Le phénomène d’intimidation, de découragement de ces témoins à décharge, s’est accompagné aussi par une forme d’intimidation et une sollicitation permanente d’aller accuser d’autres personnes à tort, d’aller les accuser gratuitement. Ce phénomène est réel.

Le Président : Bien. Maître VERGAUWEN ?

Me. VERGAUWEN : Je vous remercie, Monsieur le président. Le témoin nous a dit tout à l’heure, au début de son intervention, que s’il avait été au Rwanda en 1994, il ne serait pas ici aujourd’hui. Pourriez-vous lui demander de nous expliquer pourquoi ? Première question. Et deuxième question ; le témoin nous a dit que son épouse était Tutsi je crois. Est-ce qu’il avait également d’autres membres de sa famille qui étaient d’origine Tutsi ou également des proches, des amis proches qui étaient de la même ethnie ?

Joseph MATATA : Je vous répondrais…

Le Président : Rapidement, si vous voulez bien.

Joseph MATATA : Rapidement, bien sûr.

Le Président : Pourquoi avez-vous dit que si vous aviez été au Rwanda en avril 1994, vous ne seriez pas ici aujourd’hui ?

Joseph MATATA : J’aurais été tout simplement tué par la garde présidentielle. Ici, je vous cite textuellement le témoignage que j’ai recueilli en rentrant au Rwanda. Le 14 avril - c’est-à-dire deux jours… puisque ma famille a été attaquée le 12 avril le matin et dans mon secteur, le secteur de Murambi, en commune de Muhazi, préfecture de Kibungo, ma famille a été la première cible des extrémistes Hutu - les Interahamwes de ma colline, des gens qui me connaissaient, des gens qui connaissaient ma famille, ils sont allés attaquer ma famille ainsi que les personnes qui s’étaient réfugiées chez moi, les gens se mettaient ensemble pour se donner du courage. Notamment, il y a une famille amie de Tutsi qui était venue chez moi parce que mes enfants étaient des amis des enfants de cette famille. Donc, chez moi il y avait un certain nombre de personnes dont ma femme et mes enfants et dont cette famille, donc, une vieille maman avec deux de ses petits-enfants. Tout simplement, ma famille a été attaquée le 12 même, en mon absence. J’estime que la nature de mon travail qui m’avait permis de descendre sur le terrain, d’aller relever les massacres du Bugesera…

Le Président : Je pense que vous avez répondu, votre réponse très brève, je vous en remercie. Deuxième question : votre épouse était-elle Tutsi ?

Joseph MATATA : Oui, elle l’est toujours puisqu’elle est encore vivante.

Le Président : Avez-vous d’autres membres de votre famille Tutsi ?

Joseph MATATA : Oui, bien sûr. Mon petit frère, par exemple, avait épousé une fille Tutsi de la commune de Gikongoro et cette femme ainsi que leurs petits enfants, leur petite fille qui était née, ont été tués dans la paroisse de Musha à l’église même de Musha. Bien sûr, tous mes beaux-frères ont été tués pendant le massacre. Dans ma famille proche, par mon père géniteur, si je peux le dire - puisque le père qui m’a élevé n’est pas mon père biologique, son père était mort bien avant - je n’ai pas investigué, je ne connais pas le nombre mais je sais que dans cette famille aussi, il y a eu des morts, mais qui n’étaient pas, disons, officiellement les gens qui étaient avec moi mais dont je garde la souffrance. J’ai moi-même été victime de tous les côtés.

Le Président : Vous-même, vous êtes Hutu ?

Joseph MATATA : J’ai toujours porté la carte d’identité Hutu.

Le Président : Donc, si vous aviez été, d’après vos explications, présent au Rwanda au mois d’avril 1994, vous avez dit que vous auriez été tué ? Tué pourquoi ? Parce que vous étiez Hutu ou parce que vous étiez défenseur des droits de l’homme ?

Joseph MATATA : J’aurais été tué d’abord par mon étiquette de militant des droits de l’homme qui avait donné du fil à retordre aux extrémistes Hutu notamment dans l’identification des auteurs des massacres antérieurs aux événements de 1994. J’avais osé signer des rapports, etc., et les rapports existent même aujourd’hui. C’est normal que j’étais un élément gênant pour les extrémistes Hutu.

Le Président : Bien, d’autres questions ? Maître HIRSCH ?

Me. HIRSCH : Merci, Monsieur le président. Sans vouloir parler des victimes évidemment que nous représentons ici, ni des victimes et des témoins qui ont déjà été entendus devant la Cour et qui seront encore entendus auxquels le témoin a fait référence, il y a quelque chose que le témoin a dit et qui m’interpelle. Je voudrais que vous lui posiez la question suivante : qu’est-ce qui permet au témoin de dire que c’est la rumeur et la délation qui sont à la base de ce procès-ci ?

Joseph MATATA : Je peux répondre directement ?

Le Président : Oui, vous pouvez répondre à la question. Quand je ne suis pas d’accord, je le fais savoir, vous savez.

Joseph MATATA : Merci. Lorsque j’ai parlé de la confection des rumeurs qu’on commence à lancer dans l’opinion publique et qui poussent aux enquêtes, je parle spécialement du cas de NTEZIMANA Vincent. Lorsque j’ai eu mon premier entretien avec le juge VANDERMEERSCH, je lui avais parlé de ce phénomène de délation. Monsieur NTEZIMANA ici, moi je l’ai entendu, je l’ai connu parce que justement, il y a eu ce phénomène du présenter comme un génocidaire. Je ne suis pas venu ici pour l’innocenter ou faire quoi que ce soit mais je voudrais vous dire qu’avant, je pourrais même citer d’autres intellectuels Hutu parce qu’il s’agit bien des intellectuels Hutu…

Le Président : Oui, mais parlez-nous déjà de celui-là, ça ira.

Joseph MATATA : Exactement, voilà. Il y a eu cette volonté de nuire et de choisir un certain nombre d’intellectuels Hutu dont NTEZIMANA Vincent. Je ne sais pas si NTEZIMANA a peut-être été vite la cible de ce phénomène, quand je dis phénomène, c’est parce que je l’ai entendu la première fois dans les médias ici et puis le reste a suivi. Mais je ne crois pas personnellement qu’avant cette campagne médiatique, je ne crois pas que NTEZIMANA était l’objet des accusations à Butare, je ne pense pas. 

Le Président : J’essaie de bien comprendre. En ce qui concerne Monsieur NTEZIMANA, vous dites : « C’est en Belgique qu’ont commencé des dénonciations à l’égard de Monsieur NTEZIMANA ». Vous qui étiez au Rwanda à l’époque, vous n’avez pas entendu parler au Rwanda de ce qu’on reprochait à Monsieur NTEZIMANA ?

Joseph MATATA : J’avais eu l’occasion de descendre dans le cachot de la brigade de gendarmerie de Butare, où j’avais entendu un certain nombre de gens qui étaient détenus là-bas dont certains étaient détenus arbitrairement, des gens notamment victimes des tortures, etc. En descendant à Butare, les noms qui revenaient sur toutes les bouches, des gens qui avaient excellés dans les massacres à Butare, je n’ai pas entendu le nom de NTEZIMANA Vincent ni même d’autres Hutu, sauf certains ministres du gouvernement KAMBANDA, NYIRAMASUHUKO Pauline, le Docteur SAMUKUNZI et le directeur de cabinet au ministère de l’intérieur, KALIMANZIRA, un certain  dénommé François qui était devenu président du PSD, Parti Social Démocrate, en remplacement du président NZAMURAMBAHO Frédéric qui avait été assassiné et qui était ministre de l’agriculture.

Eh bien, on parlait notamment du capitaine NIZEYIMANA élu de force, du lieutenant HATEKEKIMANA et du sous-lieutenant de NIZEYIMANA mais ce sont ces gens-là et surtout le terrible Shalom le témoin 108, le fils de NYIRAMASUHUKO Pauline, qui était président de la milice locale. C’étaient les noms qui revenaient sur la bouche des gens. Je n’ai jamais entendu un groupe de professeurs d’université ou de ce genre d’individus qui auraient trempé dans les massacres. Je n’ai jamais entendu les sœurs par exemple. Je n’ai pas entendu HIGANIRO, bien que certaines personnes s’accordent à dire que HIGANIRO avait un comportement extrémiste Hutu. Pour moi, j’ai entendu le nom de NTEZIMANA ici, alors qu’à Butare facilement, les gens pouvaient tout simplement citer les gens qui avaient été actifs. L’arrivée des déplacés de guerre qui venaient d’autres régions a aussi précipité le massacre à Butare. Les soldats de la garde présidentielle, dont une demi-douzaine qui étaient chez le Docteur BARARENGANA, c’est à la fin, le petit frère du président le témoin 32 assassiné le 6 avril. Ce sont ces soldats-là qui sont restés là-bas et qui ont été aidés par les soldats qui sont venus notamment pour la garde…

Le Président : Oui, mais ne rentrez pas dans le détail. Nous ne jugeons pas ces gens-là. Nous allons seulement juger pour le moment les quatre qui sont là. Vous avez déjà donné un élément de réponse intéressant en ce qui concerne ce que vous avez expliqué en disant : « Il y a quelque chose qui se pourrait que dans ce procès-ci, même le problème de la rumeur ou de la délation joue un rôle », en donnant un exemple précis. On ne va pas parler des autres, si vous voulez bien qui, dans l’immédiat, ne nous concernent pas vraiment. D’autres questions ? Maître NKUBANYI ?

Me. NKUBANYI : Je voudrais vous soumettre une petite question à poser au témoin. Le témoin a dénoncé le phénomène de la délation qui est peut-être réel, mais on sait que le génocide est une réalité et que par conséquent, il y a eu des tueurs. Je voudrais que vous lui demandiez si au Rwanda il existe des témoins authentiques qui ne soient pas manipulés, des témoins qui peuvent témoigner de ce génocide sans être victimes du phénomène de la délation ? Je vous remercie.

Le Président : Alors, délation, syndicats de délateurs, mais est-ce qu’il y a aussi des témoins qui disent la vérité ?

Joseph MATATA : Tout à fait. Il y a bien des témoins qui disent la vérité et surtout la plupart de ces témoins, la majorité de ces témoins se trouve parmi les Hutu. Si eux pouvaient voir sans beaucoup de danger parce que la plupart des Tutsi qui ont été témoins, ils ont été tués, donc il y a très peu de témoins de couleur Tutsi. Mais il y a beaucoup de témoins de couleur Hutu. Mais, comme je vous l’ai dit, ces témoins oculaires, en assistant à ces arrestations massives arbitraires, en assistant à ce phénomène de délation lié au squattage des biens, en assistant à ce phénomène des arrestations visant à libérer des postes, notamment des postes vacants comme j’ai cité le cas de la Banque nationale, je pourrais citer d’autres postes aussi. Je veux vous dire qu’il y a des témoins tout à fait crédibles mais qui, pour des raisons, ont trouvé inutile de témoigner ou tout simplement ont préféré sortir du pays.

Le Président : Plus de questions ? Les parties sont d’accord pour que le témoin se retire ? Monsieur MATATA, est-ce bien les accusés ici présents dont vous avez voulu parler ? Cette question veut dire : confirmez-vous vos déclarations ?

Joseph MATATA : Bien sûr.

Le Président : Vous pouvez disposer librement de votre temps. La Cour vous remercie.

Joseph MATATA : Merci beaucoup.