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5.5.18. Témoin de contexte: le témoin 41
Le Président : Monsieur,
quels sont vos nom et prénom ?
le témoin 41 : Je m’appelle
le témoin 41.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
le témoin 41 : 52 ans.
Le Président : Quelle est
votre profession ?
le témoin 41 : Sociologue.
Le Président : Quelle est
votre commune de résidence ou de domicile.
le témoin 41 : En Belgique, j’habite à Namur, à Jambes.
Le Président : Connaissiez-vous
les accusés ou certains des accusés, avant le mois d’avril 1994 ?
le témoin 41 : Pas du tout.
Non. HIGANIRO, je le connaissais quand même.
Le Président : De nom ?
le témoin 41 : De nom, je
l’avais rencontré. Euh… les autres, non.
Le Président : Bien. Etes-vous
de la famille des accusés ou de la famille des parties civiles ?
le témoin 41 : Je ne suis
ni de l’un, ni de l’autre.
Le Président : Etes-vous
lié par un contrat d’emploi, avec les accusés ou les parties civiles ?
le témoin 41 : Négatif.
Le Président : Je vais vous
demander, Monsieur, de bien vouloir lever la main droite et de prononcer le
serment de témoin.
le témoin 41 : Je jure de
parler sans haine et sans crainte, de dire toute la vérité et rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie.
Vous pouvez vous asseoir. Je n’ai pas trouvé d’audition de Monsieur le témoin 41
au dossier. Les parties ont-elles trouvé une audition ? Monsieur, vous
avez dit, tout à l’heure, être sociologue, êtes-vous, en plus, d’origine rwandaise ?
le témoin 41 : Je suis Rwandais.
Le Président : Vous êtes
Rwandais. Avez-vous éventuellement vécu les événements dramatiques qui se sont
déroulés au Rwanda à partir du 6 avril 1994 ?
le témoin 41 : Je les ai vécus
parce que j’étais là.
Le Président : Donc, vous
étiez, durant ces événements, présent au Rwanda. Vous étiez à quel endroit ?
le témoin 41 : Je me trouvais
à Kigali. Monsieur le président, est-ce que je pourrais faire une petite mise
au point ?
Le Président : Oui.
le témoin 41 : Je ne suis,
ici, ni témoin, ni à charge, ni à décharge. Je suis venu ici parce que, justement,
j’ai vécu les événements du Rwanda. J’étais là pendant les événements, jusqu’au
mois de mars 1995. Pendant cette période, je n’ai pas quitté le Rwanda. J’ai
l’expérience en témoignage personnel, comme quelqu’un qui a vécu ces événements,
qui, à mon avis, je le pense du moins, pourrait éclairer le tribunal et c’est
à ce titre-là que je suis venu ici. Je ne suis venu ni décharger, ni charger,
ni défendre personne.
Le Président : Ce n’est d’ailleurs
pas le rôle des témoins, effectivement.
le témoin 41 : Donc, pour
répondre à votre question, j’étais là, au Rwanda, pendant les événements. J’étais,
euh… je jouais un certain rôle politique à cette époque, et je les ai vécus
de façon spéciale, en tant que cet homme politique. J’étais, pour donner des
précisions, celui qu’on appelait - le terme, je ne l’aime pas - on nous appelait
des Hutu modérés.
Le Président : Oui. Quelles
étaient éventuellement les fonctions politiques que vous exerciez, de manière
plus précise ?
le témoin 41 : Je faisais
partie du parti social-démocrate, j’étais secrétaire national chargé de l’administration
du parti et donc, je jouais aussi le rôle de secrétaire permanent du parti.
Les collègues, le président, etc., ont été tués directement, et moi-même, j’ai
failli l’être. Et si, avec votre autorisation, je peux peut-être dire un peu
comment ça s’est passé, peut-être que vous pourriez tirer certaines conclusions
de ce qui s’est passé ? C’est à ce titre-là que je voudrais personnellement
donner mon témoignage.
Le Président : Vous en avez
pour combien de temps ?
le témoin 41 : Je ne sais
pas, j’essaierai de faire rapide. De toute façon, comme je n’ai plus de papiers.
Le Président : Ah oui, mais
les témoins ne peuvent malheureusement pas déposer avec des notes.
le témoin 41 : Donc, je pourrais
y aller rapidement.
Le Président : Eh bien, si
vous pouvez faire preuve d’esprit de synthèse, nous vous en serions reconnaissants,
dans la mesure où l’aspect général des choses a déjà été largement abordé et
qu’actuellement, on se penchait sur des problèmes plus spécifiques à chacun
des accusés. N’ayant pas trouvé une quelconque déclaration de votre part dans
le dossier, je ne savais évidemment pas de quoi vous pouviez nous parler. Mais,
puisque vous pouvez nous parler des événements tels que vous les avez vécus,
je vais vous demander de bien vouloir les exposer de manière aussi synthétique
que possible.
le témoin 41 : Oui. Je commencerais
par définir rapidement ces Hutu modérés, qu’est-ce qu’ils sont ? A mon
avis, ce sont, ma propre définition, ce sont ces personnes-là qui ont souffert
de ces événements mais dont personne ne reconnaît la douleur. Le camp du Rwanda
est divisé, qu’on le veuille ou non, entre Hutu et Tutsi, au Rwanda, comme ici
d’ailleurs, entre chaque camp Hutu et chaque camp Tutsi, il y a des Belges qui
ne se cachent pas. L’homme modéré, c’est celui qui est, j’allais dire, que les
deux camps haïssent. Euh… personnellement, il y a des amis Tutsi, des amis
Hutu qui m’ont aidé, avec lesquels j’ai collaboré et qui m’aident, et que j’aide
à regarder de façon plus lucide, j’imagine, la situation du pays.
Le 7 avril, quand les tueurs se sont présentés chez moi, il y avait,
devant chez moi, un membre qui s’appelait Joseph qui était membre du parti du
président. Il leur a demandé où ils allaient. Il a dit : « Si vous
cherchez l’imbécile du témoin 41 (c’est moi), je vais vous dire, vous pouvez
continuer votre route, parce que je viens de l’achever moi-même ». Il leur
mentait, évidemment. Le 7, euh… le 10, quand j’ai finalement décidé de quitter
ma maison, je suis arrivé sur une barrière, j’y ai trouvé un jeune homme, Claude.
Ses parents étaient partis, il était resté seul à Kigali. Quand il nous a vus,
il a ouvert la barrière, ils nous a dit : « Partez rapidement ».
A quelques mètres de là-bas, je suis tombé sur une barrière encore plus meurtrière.
Ils nous ont fait asseoir, et puis, j’ai trouvé un colonel qui est venu. Je
savais qu’il faisait partie de mon… qu’il était membre de mon parti. Je me suis
dit : « Le bon Dieu est toujours avec moi, nous n’allons pas mourir ».
Au moment où je me suis dirigé vers lui, il a regardé de l’autre côté. Alors,
je me suis dit… vous pouvez imaginer quelle réaction j’ai eue. Mais au même
moment, des miliciens se sont adressés à lui. Ils ont dit : « Je sais
que parmi l’armée, il y a des traîtres comme vous. Et les gens de cet acabit
comme vous, vous allez nous voir ». Le colonel, j’ai vu, pour la première
fois, j’ai vu un colonel qui tremblait. Et un colonel qui tremble devant des
voyous, ce n’est pas beau à voir. Je continue.
Je suis arrivé à Butare le 17. Je me suis dirigé chez mon ami RUMIYA,
un professeur à l’université, un Tutsi, mais que les Tutsi haïssaient parce
qu’il avait été membre du bureau politique du parti du président le témoin 32.
Les Hutu le haïssaient parce qu’il n’était pas de leur ethnie. Quand je suis
arrivé chez lui, j’ai dit : « Mon ami… ». Nous étions amis depuis
de longue date, depuis l’école secondaire ». Je lui ai dit : « Mon
ami RUMIYA, maintenant nous allons combattre. Il ne faut pas que les atrocités
qui se sont passées à Kigali atteignent la ville de Butare ». Nous l’avions
fait auparavant aussi ensemble. Alors, il m’a dit, il ne m’a rien dit directement.
Au contraire, il est sorti un peu et puis, il m’a invité en dehors des regards
des femmes et des enfants. Il m’a montré la fumée qui montait de derrière le
mont Huye. Il m’a dit : « Tu vois, ça c’est la mort. Là, de l’autre
côté, on tue ». Il a dit : « Nous n’aurons pas la force de combattre ».
Il a dit : « Peut-être que si nous restons ensemble, nous pourrions
même mourir ensemble ». Alors, il a dit : « Il vaut mieux que
tu partes parce que peut-être que la chance pourrait aider l’un à survivre ».
Je suis parti. Je suis allé à la procure de Butare. La procure, c’est
une sorte d’hôtel qui appartient au diocèse. Quand je suis arrivé, j’ai vu que
des gens étaient installés selon leur ethnie. Les prêtres, les religieux, etc.,
les Hutu étaient là, les Tutsi étaient là. Je me suis dit : « Ca,
c’est pas un endroit où il faut loger ». En fait, ce n’était pas un endroit
de refuge. Je voyais que les gens étaient rangés comme pour une bataille imminente.
Je vous dis que l’enfer, c’est quand les gens qui sont censés vivre l’amour,
enseigner l’amour, se haïssent. Ce jour-là, j’ai trouvé à la procure, que c’était
l’enfer. J’ai décidé de moi-même de partir.
Je suis allé dans une maison, ma maison qui se trouvait à Cyarwa.
Ma maison se trouvait à côté d’un endroit où la MINUAR ça veut dire la Mission
des Nations Unies pour le Rwanda. Je me suis adressé au chef de cette maison.
J’ai décliné mon identité, et j’ai dit que j’étais menacé, que je demandais
protection. Ils ont dit : « Pas de problème, nous allons te protéger ».
C’était le 17. Je vous dis que depuis le 6, c’était la première fois que j’ai
dormi d’un sommeil profond. Mais le lendemain, Monsieur le président, quand
je me suis levé, les militaires étaient partis, ils n’étaient plus là. Et l’ONU
était parti. On m’a dit que c’étaient les politiciens, c’est vrai, qui l’avaient
incité à partir. J’étais parti. Je me demande actuellement ce qu’ils pensent
lorsqu’on juge les gens qui n’ont pas aidé les autres.
Mais j’ai beaucoup parlé de moi sans parler de ceux qui me sont chers.
Parce que, ma sœur Colette, je parle de moi, de moi et de ma douleur, et je
pense que c’est justice, c’est la première fois que je peux parler de ces choses
à un public aussi comme ça. Ma sœur Colette qui avait à peu près la soixantaine,
qui ne quittait pas les habits du parti que je lui avais offerts, le 22, le
22 avril, dans les bâtiments de la paroisse de Gakoma, elle a été assassinée
là-bas, dans la paroisse. Mon beau-frère, Martin, un Tutsi de ± 2 m, mon propre
frère, mon, mon beau-frère, a été tailladé, coupé avec des machettes, mais la
mort ne voulait pas de lui et pour précipiter cette mort-là, il a dû avaler
de l’acide. Quand il est mort, l’estomac, tout le corps était brûlé. Ma sœur
Dorothée, quand je suis retourné au mois de juillet, j’ai été recueilli par
les soldats du FPR. J’ai été logé à Tumba dans Butare. J’y ai trouvé ma sœur,
son mari, mes neveux, etc., parmi eux, quatre universitaires. Le 17 juillet,
les soldats du FPR ont dit qu’ils les conduisaient dans la commune d’origine,
soi-disant que la paix était revenue. Ils n’ont pas été conduits dans la commune,
ils ont été conduits dans la forêt de Butare là où enseignait le professeur,
ici. Ils ont été conduits dans la forêt de Butare, ils ont été fusillés et puis
brûlés.
Le soldat du FPR qui les a conduits est revenu, il m’a retrouvé dans
le camp, avec une bouteille de whisky. Il m’a invité à trinquer en disant :
« Votre sœur, vos parents, je les ai conduits à la commune, maintenant
c’est la paix, ils sont conduits dans la commune ». Il m’a menti évidemment.
Il venait de les zigouiller comme on dit. Mon neveu, Damascène, s’est enrôlé
dans l’armée du FPR, en juillet. Il y a passé deux semaines, et puis, il a été
fusillé. Mon neveu, Nshuti, mon filleul, il avait fui au Congo, au Zaïre à l’époque.
Et quand, en 1997, les camps ont été démantelés, il a reçu une balle dans la
jambe, et puis, il a été conduit à Butare. Il est allé à l’hôpital pour se faire
soigner. Le médecin qui allait le soigner, il paraît qu’il aurait dit :
« Je vais te couper la jambe, comme ça au moins tu ne pourras plus fuir ».
Aujourd’hui, il y a quelque temps, j’ai reçu une lettre de ce neveu. Il m’écrivait
à peu près ceci, il disait : « Mon cher oncle, ceux qui ont brûlé
ta sœur ont voulu me fusiller. Aujourd’hui, ils veulent me couper les jambes
pour m’empêcher de fuir quand le moment de fuir viendrait. Aujourd’hui, je te
demande deux choses ; la première chose, envoie-moi un peu d’argent. La
deuxième chose, il disait : j’ai appris que tu es devenu blanc ».
J’ai la nationalité belge, maintenant. Pour lui, avoir la nationalité belge,
c’est être blanc. Il m’a dit : « Je sais maintenant que tu es devenu
blanc. Est-ce que toi et les autres blancs, vous ne pourriez pas m’aider au
moins à me faire soigner par des gens qui ne veulent pas ma mort ? ».
J’ai parlé de mon ami RUMIYA, professeur à l’université. Il a été
tué entre le 22 et le 26 avril, la date exacte je ne la connais pas, mais ça
doit être vers cette période. Sa femme, Vénéranda, ses deux fils, ses deux petites
gamines, ont été, ont fui dans la commune voisine, aidés par le préfet Sylvain,
il est actuellement à Arusha où il est jugé. Sa fille aînée, Louise, a été d’abord
recueillie dans un couvent à Butare. Et puis, les sœurs ont décidé de la chasser
du couvent en disant que euh… qu’il valait mieux qu’elle parte. Elle est partie.
Et puis, vers le 1er, le 2 juillet, Vénéranda et ses deux enfants,
Louise qui avait rejoint la famille, ils sont arrivés vers Sovu, Gihindamuyaga,
là, ils ont été tués. Louise et ses deux frères ont été tués. La mère et
les deux petites filles n’ont pas été tuées. Donc, ils ont été tués vers le
2 juillet.
C’est pour dire que les tueries continuaient, donc, en juillet les
tueries continuaient du côté de Sovu. Il y a même eu des tueries du côté du
monastère à côté à Gihindamuyaga. Donc, on a tué pas seulement à Sovu, on a
tué dans pas mal de paroisses, et je pourrais peut-être, comme ça, me demander
pourquoi, parce que c’est la question qu’on pose souvent.
Pourquoi est-ce qu’en 1994, les gens qui sont réfugiés dans les paroisses,
dans les églises, ont été tués ? Quand on dit cela, on compare 1959 et
1994. Je pourrais commencer à dire pourquoi est-ce que finalement, pourquoi,
selon mon entendement, pourquoi est-ce qu’en 1959, les gens qui se réfugiaient
dans les églises n’ont pas été tués ?
Je vais donner un exemple de la paroisse de Cyanika, c’est la paroisse
qui est voisine du diocèse de Monseigneur le témoin 59 que vous connaissez. Les
gens qui se sont réfugiés dans l’église de Cyanika n’ont pas été tués. S’ils
n’ont pas été tués, ce n’est pas parce que les gens n’avaient pas essayé. Donc,
je pense que parfois on renverse les… En 1959, où les gens ont essayé aussi
de tuer les gens qui s’étaient réfugiés dans les églises. Mais ils n’ont pas
été tués parce que le curé de la paroisse de Cyanika, c’était un père blanc,
le père DE JAMBLINNE et avec son fusil, il a chassé les gens qui voulaient venir
tuer les gens qui s’étaient réfugiés dans la paroisse, donc, avec son fusil,
il les a chassés. Ils sont partis, ils n’ont pas pu tuer les gens qui s’étaient
réfugiés dans la paroisse.
En 1994, comment se présentait la situation ? Dans les couvents,
dans les églises, les prêtres, les religieux, les religieuses avaient endossé
des habits des partis politiques. Ils portaient des uniformes des partis politiques,
on pouvait les identifier facilement comme faisant partie du parti du président
ou du parti, d’un autre parti. Les uns recrutaient pour les milices Hutu, les
autres recrutaient pour les milices du FPR. Comme je l’ai dit, ceux que j’ai
rencontrés à la procure de Butare, les gens étaient clairement divisés, ça pouvait
se voir facilement. Donc, les gens qui se réfugiaient, également on pouvait
dire : « Ces gens qui se sont réfugiés sont des amis ou des ennemis
de tels ». C’est un deuxième essai d’explication.
En 1994, contrairement à 1959, comme ça s’est passé à Cyanika, les
blancs étaient partis, les blancs étaient partis. Dans les couvents, tout ça
ils étaient embarqués, donc il n’y avait pas quelqu’un qui pouvait faire, être
au milieu des deux camps, il y avait l’un ou l’autre et pas quelqu’un de neutre,
ils étaient partis, que ce soit au couvent de Sovu, que ce soit à Cyanika,
que ce soit à Gakoma où on pouvait trouver des gens extérieurs, ils étaient
partis. Les Rwandais étaient entre eux, ils pouvaient se massacrer facilement.
Le dernier essai d’explication, je ne dis pas que c’est vrai, le
quatrième essai d’explication, c’est que j’ai l’impression que les vaincus ont
tendance à s’attaquer à des groupes faibles. En 1994, les milices Hutu n’ont
pas tué, à moins que je ne me trompe, n’ont pas tué directement les gens qui
s’étaient réfugiés dans les églises. Ils ont commencé par tuer des politiciens
et puis, par après, quand ils se sont sentis vaincus, ils se sont attaqués à
des gens faibles, à Sovu et ailleurs, c’est par après qu’ils se sont attaqués
à ces groupes-là. Quand je vois par exemple ce que le FPR a fait, le FPR ne
tuait pas des gens faibles, il ne s’attaquait pas à ce groupe-là. Quand il a
tué, il a tué des évêques à Kabgayi, pas les petites gens. Quand il s’attaquait
à la population, il s’attaquait aux universitaires, etc., les gens forts, pas
les petites gens. Voilà ce que je trouve un peu d’explications, pourquoi est-ce
que dans les églises on a tué ?
Je vais terminer en disant que ma propre conviction, c’est qu’au
Rwanda, il y a les trois ethnies : il y a les Hutu, les Tutsi et les Twa.
Ce qui les lie, j’allais dire que ce sont des malhonnêtes et des menteurs, c’est
une réalité. Les trois ethnies existent. Ma conviction, ce que je disais, c’est
que le Rwanda retrouvera la paix, il pourra se construire le jour où les trois
ethnies se reconnaîtront les unes des autres, j’ai dit reconnaître, j’ai pas
dit s’aimer, s’aimer c’est pas nécessaire, mais se reconnaître comme partenaires.
Ma conviction, c’est que des régimes qui continueront à miser sur les ethnies,
ils échoueront, ça s’est fait, l’expérience le montre. Ils ont échoué. Et soutenir
un régime ethniste, ceux qui le soutiendront échoueront toujours.
Mon espoir, c’est qu’un jour, et c’est mon espoir, je sais que ce
jour viendra où Hutu et Tutsi travailleront la main dans la main. Je ne mets
pas d’échéance, ça ne me regarde pas, ce sera peut-être dans vingt ans, ce sera
peut-être avant « l’Aparuzi » mais ce sera quelque chose avant la
fin du monde. Hutu-Tutsi travailleront dans la main, ils reconstruiront le pays,
construire le Rwanda. J’en ai fini, Monsieur le président, avec ma littérature.
Je ne sais pas si elle a enrichi quelque part, mais je vous remercie en tout
cas. Pour moi, vous m’avez rendu justice. Je dis, je le répète : « C’est
la première fois que j’exprime ma douleur devant un public ». Comme
je vous l’ai dit, les modérés, nous avons, ce qu’on appelle les modérés, nous
avons une situation difficile. Nous sommes des imbéciles pour les uns, nous
sommes, etc. Je vous remercie. Je suis à votre disposition, Monsieur le président.
Le Président : Vous aviez
un rôle politique, vous êtes aussi sociologue, avez-vous dit ?
le témoin 41 : Oui.
Le Président : Vous ne connaissiez
pas du tout Monsieur Vincent NTEZIMANA ?
le témoin 41 : Je ne le connaissais
pas avant, mais euh… à Louvain-la-Neuve où je suis arrivé en 1996, quand je
suis venu en Belgique demander l’asile, j’ai rencontré Monsieur NTEZIMANA.
Le Président : Lorsque vous
avez résidé pendant un temps à Butare, pendant les événements, avez-vous, à
cette époque-là, éventuellement entendu que l’on faisait reproche à Monsieur
Vincent NTEZIMANA de participer au génocide ?
le témoin 41 : Là où je me
trouvais, là où je me terrais, je n’avais pas d’yeux, je n’avais pas d’oreilles
pour écouter ce genre de choses. J’écoutais les bruits pour distinguer qui venait
m’attaquer ou pas. Non, pendant ces années, je n’ai pas entendu parler de NTEZIMANA.
Le Président : Monsieur NTEZIMANA
est un des membres fondateurs d’un parti qui s’appelait le PRD, Parti du Renouveau
Démocratique. Ce parti PRD, selon les conceptions que vous avez et selon les
connaissances que vous avez des mouvements politiques au Rwanda, devait-il être
considéré comme un parti modéré ou un parti Hutu Power ?
le témoin 41 : Pour moi, il
y avait quatre partis. Il y avait le parti du président, le MRND, il y avait
le MDR, il y avait le PSD dont j’étais membre, il y avait le parti libéral.
Les autres partis pouvaient être, étaient des satellites des uns et des autres.
Pour moi, le PRD, le parti de NTEZIMANA, c’était quelque chose entre le MDR
et le MRND, quelque chose entre les deux, donc qui pouvait être… puisque le
MDR, il y a eu des partis qui sont devenus des Hutu Power, je ne cite que le
MRND. Il pouvait se trouver facilement entre les deux. C’était un petit parti
que je n’ai pas eu le temps de fréquenter et d’ailleurs de tenir en considération
parce que, comme je vous le dis, pour moi c’étaient quatre partis, c’était ça ;
les autres, c’étaient des petits partis.
Le Président : Vous avez
également expliqué tout à l’heure avoir connu Monsieur HIGANIRO, non seulement
de nom, mais pour l’avoir éventuellement rencontré. Monsieur HIGANIRO, selon
vous, avait-il une position importante au MRND ?
le témoin 41 : Je l’ai rencontré
mais pas pour parler politique, etc. Je l’ai rencontré parce que c’était quelqu’un
de haut placé. Moi-même, je l’ai d’ailleurs été, je ne veux pas le nier. Avant
d’aller dans l’opposition, Monsieur HIGANIRO avait été ministre du MRND. Monsieur
HIGANIRO était directeur d’une entreprise de l’Etat, il avait été nommé par
l’Etat. Monsieur HIGANIRO était, il remplissait toutes les conditions pour appartenir
au parti du MRND. Il remplissait toutes les conditions. Mais je m’arrête là.
Le Président : Avez-vous,
parce que j’imagine que quand on exerce un rôle important dans un parti politique,
on s’intéresse aussi à ce que font les autres partis politiques et qu’on est
donc attentif à la vie politique, à ce qui est publié dans les journaux, à ce
qui se dit à la radio, des choses de ce genre. Monsieur HIGANIRO apparaissait-il
comme quelqu’un qui prenait des positions publiques pour le MRND ou apparaissait-il,
je ne sais pas, comme un espèce de technicien quelque part ?
le témoin 41 : Les gens importants
du MRND ne prenaient pas, c’est paradoxal, ne prenaient pas des, comment dire…
Le Président : C’est pas
ceux qui font les discours ?
le témoin 41 : Ils ne faisaient
pas les discours. Ceux qui faisaient les discours, c’étaient, j’allais dire,
les autres, globalement. Donc, en tant que quelqu’un de très important, qui
n’avait pas en fait de situation précaire à défendre, Monsieur HIGANIRO, selon
mon analyse, n’avait pas besoin de faire des discours. En tout cas, personnellement,
je ne l’ai pas entendu prononcer des discours. Si je me souviens bien, dans
l’échelon du parti MRND, du moins le parti officiel, ce qui se passait à Gisenyi,
je ne connais pas, mais dans le parti officiel MRND, je crois que HIGANIRO n’avait
pas de place bien précise, je crois.
Le Président : Il y avait
un autre parti non officiel ? Vous semblez dire Gisenyi, euh… ?
le témoin 41 : Non, non, je
dis que les partis étaient divisés selon, à l’échelle nationale et à l’échelon
des préfectures.
Le Président : C’est ça,
oui.
le témoin 41 : Donc, ce qui
se passait au niveau des préfectures, ceux qui jouaient le rôle dans la préfecture
de Gisenyi, je ne le connais pas. Je dis qu’au niveau national, le MRND national,
je crois que HIGANIRO, à ce que je m’en souvienne, n’avait pas de place bien
précise.
Le Président : Vous qui êtes
Rwandais devenu Belge, vous savez ce que c’est l’Akazu ?
le témoin 41 : Qui ne le sait
pas ? Excusez-moi, Monsieur le président, excusez-moi de vous répondre
comme ça, mais qui ne sait pas ?
Le Président : C’est parce
que certains témoins ne savent pas ce que c’est. C’est pour ça, je vous demande
si vous vous savez ce que c’est.
le témoin 41 : Ce n’est pas
mon cas. Moi, je connais, l’Akazu, c’est la petite maison, pour traduire littéralement.
Ca veut dire l’endroit où on se retrouve au chaud, pour profiter de la chaleur
de la maison, pour parler des choses intimes, pour décider de certaines choses,
pour prendre des décisions importantes et pour défendre les intérêts de la maison,
c’est ça.
Le Président : Selon vous,
l’analyse que vous faites de la situation, à l’époque, Monsieur HIGANIRO faisait-il
partie de l’Akazu ?
le témoin 41 : Le contraire
m’aurait étonné. Mais je ne dis pas… parce que l’Akazu est…
Le Président : L’Akazu est
à géométrie variable, je crois.
le témoin 41 : Oui, oui, oui.
C’est à géométrie variable. Il y a les intimes, le noyau, et puis les atomes
qui tournaient autour. Ca ne m’aurait pas étonné que HIGANIRO soit dans l’orbite.
Il a été ministre, il était le beau-fils du…
Le Président : Le beau-fils
du docteur, du médecin personnel.
le témoin 41 : Oui, oui, oui,
il était de Gisenyi. Je dis, mais maintenant je ne juge pas, je dis, être ami
de cet Akazu.
Le Président : Il recevait
le président chez lui, il allait en visite chez le président.
le témoin 41 : Ca je ne sais
pas, ça je ne sais pas, mais ça ne m’étonnerait pas.
Le Président : Il semble
remplir des conditions pour être dans…
le témoin 41 : Je serais menteur,
j’ai juré de dire la vérité, je ne dirai pas que je l’ai vu chez le président,
que le président, je l’ai vu aller chez lui, ça, je ne le sais pas, je ne peux
pas le dire. Mais si la chose s’est passée, si quelqu’un pouvait le dire que
ça s’est passé, je dirais : « Ca ne m’étonne pas ». Mais
je ne pourrais pas pousser plus loin mes affirmations.
Le Président : Vous avez
parlé également, tout à l’heure, de personnes de votre entourage qui s’étaient
réfugiées dans un couvent de Butare ?
le témoin 41 : Oui.
Le Président : De quel couvent
s’agit-il ? Il ne s’agit pas du couvent de Sovu ?
le témoin 41 : Non, non, non,
non. En fait, je l’ai évoqué pour dire que les couvents, les supérieures des
couvents, etc., ont peut-être été à un certain moment, se sont trouvées devant
un choix difficile, c’est ce que je voulais peut-être dire. Euh, je pense personnellement
une chose que je n’ai pas dite. Le 14 avril, quand j’étais caché chez moi dans
la maison, j’ai vu, oui c’est cela, c’est l’abbé Ladislas…
Le Président : Qui a été
arrêté en France ?
le témoin 41 : Qui a été arrêté
en France. Je les ai vu passer tout près de chez moi. Alors, j’ai essayé de
les rejoindre et je leur ai demandé s’ils ne pouvaient pas m’aider à aller à
la paroisse Sainte-Famille ou à la procure. L’abbé Ladislas m’a répondu :
« Je n’ai pas à m’occuper des Hutu qui, finalement, ne sont pas menacés.
Il y a ici des Tutsi qui se cachent, dont certains membres ont été tués, je
vais m’occuper des gens plus menacés ». Il me l’a dit, il l’a dit spontanément,
mais à l’époque, à ce moment-là, je ne l’ai pas jugé sur sa spontanéité,
je l’ai jugé sur la réaction qu’il m’avait donnée. Puisque Ladislas, il est
de ma région, je le connaissais, je sais qu’un des membres de sa famille est
Tutsi. Quand il m’a donné cette réponse-là, sur le champ, je vous avoue que
je l’ai jugé et j’ai dit : « Celui-là ne veut pas m’aider parce que
lui est Tutsi et moi, je suis Hutu ». C’est comme ça que je l’ai jugé.
Par après, maintenant que je suis en vie, je me dis : « La réaction,
la réponse qu’il m’a donnée a été salutaire pour moi ». Parce que je me
dis : « Si j’avais été dans sa paroisse, j’aurais été identifié plus
facilement ». Mais avec un peu de lucidité aussi, je me dis que si quelque
chose m’était arrivé alors qu’il avait refusé de m’aider, qu’est-ce que j’aurais
répondu ? Si j’avais été tué par exemple, que ma femme actuellement aurait
été en vie, est-ce que ma femme n’aurait pas été parmi les accusateurs de l’abbé
Ladislas ? Est-ce qu’elle aurait eu tort de l’accuser d’avoir refusé de
m’aider ?
Ma conclusion c’est que la douleur que nous exprimons quand quelque
chose nous est arrivé, cette douleur est légitime. Quand on a souffert, on a,
on doit, la douleur s’exprime d’une façon ou d’une autre, mais la douleur n’est
pas toujours lucide. Elle peut se tromper de cible, elle peut interpréter quelque
chose, une réaction, une parole d’un autre. Et c’est difficile de juger les
intentions de quelqu’un, c’est difficile.
J’ai parlé du jeune, d’un jeune qui nous a laissé passer sur une
barrière, il est réfugié maintenant en Angleterre. Pourquoi est-ce qu’il est
réfugié ? Parce que les gens voulaient l’accuser en disant qu’il a été
sur une barrière et donc, il est mauvais. Il est parti. Mais c’est lui qui m’a
ouvert la barrière avec ma famille. Nous sommes partis. Donc, comment juger ?
Sur une autre barrière, excusez-moi de vous raconter toujours mes
petites histoires, à Butare, je suis allé à la Caritas pour demander de quoi
manger. Quand je suis retourné, ils avaient eu le temps d’ériger une barrière.
Quand je suis arrivé à côté de la barrière, se trouvaient des jeunes gens qu’on
préparait, qu’on chauffait pour aller fusiller. L’un d’eux s’est levé, il a
dit : « Monsieur le témoin 41, je te reconnais, si tu ne m’aides pas,
je vais parler ».
Il a dit : « Je vais parler ». Quand il l’a dit, moi,
j’ai tremblé. Je ne me suis pas demandé ce qu’il allait dire. Je ne me suis
pas demandé pourquoi, de quoi il allait me dénoncer. Alors, j’ai commencé à
crier en disant : « Le jeune-là, non vous ne devez pas le tuer, ce jeune-là,
je le connais, je connais ses parents, etc., il ne doit pas mourir ». Quand
les miliciens ont commencé à palabrer pour savoir, je me suis approché du jeune
homme, je lui ai demandé comment il s’appelait. Je lui ai demandé d’où il venait.
Effectivement, il m’a expliqué d’où il venait, je l’ai reconnu mais j’ai crié
pour dire qu’il ne devait pas mourir parce que moi, j’avais peur. Ce n’était
pas, c’était un instinct de défense personnel. Heureusement, je l’ai, il a été
sauvé. Mais mon sentiment, ce qui l’a sauvé, c’était, moi, je voulais me sauver.
Heureusement, il a été sauvé aussi.
En septembre 1994, quand il est arrivé à Kigali parce qu’il n’a pas
été tué, il disait partout qu’il avait été sauvé par moi, ce qu’il disait. Ca
ne m’a pas rendu service parce qu’au moment où j’étais candidat député, les
gens ont dit : « Ce type-là qui a pu sauver KAGWENE - c’est comme
ça qu’il s’appelait, c’est ce qu’ils ont dit - ce type-là qui a sauvé KAGWENE ».
Je ne l’ai pas sauvé. « Puisqu’il a pu sauver celui-là, c’est parce qu’il
était fort, il se promenait dans Butare - disaient-ils - Il faisait tuer et
il sauvait qui il voulait ». Voilà donc comment il est difficile de juger
les intentions des gens, ce qu’ils voulaient faire exactement, ce qu’ils ne
voulaient pas faire. Dans les églises aussi, pour revenir à Louise qui a été
chassée du couvent, est-ce qu’ils l’ont chassée parce qu’ils voulaient qu’elle
soit tuée ? Ou bien c’est parce que, je ne sais pas, les intentions sont
difficiles à juger.
Le Président : Bien. Y a-t-il
d’autres questions à poser au témoin ? Maître VERGAUWEN ?
Me. VERGAUWEN : Oui, avec
votre permission, Monsieur le président. Le témoin a donc vécu les événements
du Rwanda et il nous a parlé un bref instant de la MINUAR. Je voudrais que vous
demandiez au témoin s’il a assisté au départ de la MINUAR. Comment l’a-t-il
personnellement ressenti et comment d’autres, éventuellement ses amis, les gens
qu’il côtoyait alors, l’ont ressenti également ?
Le Président : Pouvez-vous
répondre à cette question ?
le témoin 41 : La MINUAR,
pour ne pas parler de toute la MINUAR, j’ai vécu le départ de la petite MINUAR
qui se trouvait près de ma maison, à Butare. J’ai été déçu, et j’ai senti profondément
la douleur dans mon coeur quand j’ai vu ces gens partir, surtout que j’avais
décliné mon identité, qu’ils m’avaient promis protection, et que je les ai vu
partir. Le mot traître ne convient pas tout à fait mais j’ai dit, pour moi,
à cette époque-là, c’étaient des… pour moi ce sont ces gens-là qui sont… parfois,
j’ai comme l’intention de dire qu’ils sont comme responsables de ce qui est
arrivé. Mais il y a la MINUAR, mais il y a aussi les autres politiques qui les
ont poussés à partir, qui sont dans le même sac. Le Rwanda a été abandonné,
je ne suis pas le premier à le dire, il a été abandonné. Et si les massacres
à grande échelle sont arrivés, c’est notamment à cause de ces gens-là. Ils auraient
pu, j’imagine, aider à sauver certaines personnes.
Le Président : Une autre
question ? Oui, Maître VERGAUWEN ?
Me. VERGAUWEN : Le témoin
nous a donc rappelé qu’il était à Butare pendant toute la période des événements.
Pourriez-vous lui demander quand, d’après son expérience personnelle, le calme
est revenu à Butare ?
Le Président : A quel moment
le calme est-il revenu à Butare ?
le témoin 41 : Le calme, est-ce
que le calme est venu à Butare ? En tout cas…
Le Président : En tout cas,
vous avez encore parlé de meurtres ou d’assassinats en juillet ou début du mois
de juillet 1994, dans votre témoignage tout à l’heure.
le témoin 41 : Oui, oui, oui,
je l’ai dit. Personnellement, je n’ai pas vu de calme, je n’ai pas vécu le calme
parce que durant toute cette période, il y a eu des meurtres en masse. On a
tué d’abord les Tutsi et puis, le nombre de Tutsi diminuait évidemment. Mais
j’ai vu que les miliciens qui tuaient après avoir exterminé les Tutsi à tuer,
si ça allait continuer, ils commençaient à s’attaquer aux autres personnes qui
n’étaient pas Tutsi parce qu’il y avait beaucoup de choses dans ces tueries.
Il y avait le fait ethnique mais il y avait aussi le fait, il y avait du vol…
Le Président : Du brigandage.
le témoin 41 : De la brigandage.
Des gens voulaient tuer pour s’approprier les biens des autres. Donc, ça continuait,
ça poursuivait jusqu’au moment où tout le monde est parti.
Je veux dire, lorsque le FPR est arrivé, ce sont d’autres choses,
ce sont d’autres choses, une autre situation qui s’est instaurée. Parce que
j’ai parlé de ma soeur, par exemple, et de sa famille, etc., ils ont été tués
vers le 17 juillet. J’ai dit que vers juillet, lorsque le FPR est arrivé à Butare,
lorsque les gens fuyaient, sur le chemin de la fuite, certaines personnes ont
été tuées. J’ai dit, par exemple, que les enfants que j’ai évoqués ont été tués
dans les environs de Sovu au moment où les sœurs étaient déjà parties. Parce
que j’ai lu quelque part dans le journal que les tueries se sont terminées à
Sovu, vers le 25 avril, quand les personnes ont été tuées dans le centre de
santé.
Je dis : « C’est pas vrai, les tueries ont continuées,
même quand les sœurs étaient parties ». On a continué à tuer du côté de
Sovu. Et quand je dis que c’est très difficile d’interpréter, moi, je ne m’aventure
pas à dire que si les sœurs de Sovu avaient gardé des personnes dans leur couvent,
je ne m’aventure pas à le dire, parce que ce serait morbide de dire que… les
personnes ont été tuées, donc, je dis que ce serait morbide de commencer à cogiter
en disant que s’ils étaient restés là-bas, ils auraient probablement aussi été
tués. Donc, je ne le dis pas, mais il n’est pas nécessairement dit que les réfugiés
qui sont restés dans le couvent de Sovu, n’auraient pas été tués. C’est une
hypothèse, c’est difficile de juger une situation qui euh…, de juger les intentions.
Le Président : D’autres questions encore ?
Me. CUYKENS : Vous avez
cité les partis politiques, vous n’avez pas cité la CDR ?
le témoin 41 : La ?
Me. CUYKENS : La CDR ou le
CDR, qui nous a été commenté comme étant le deuxième parti. Vous le situez où,
ce CDR ou la CDR ?
le témoin 41 : Comme le deuxième
parti…
Le Président : A Gisenyi
en tout cas, à Gisenyi, le deuxième parti, à Gisenyi.
le témoin 41 : Moi, je continue
à penser qu’il y avait quatre partis. Et d’ailleurs, quand on négociait, quand
on négociait les sièges au Parlement ou à Arusha, certains voulaient avancer
la CDR, d’autres la faire reculer parce que la CDR, c’était une branche extrême
du MRND, donc c’était une fille, je m’excuse d’employer le terme parce que les
filles c’est noble. Donc, l’appliquer à la CDR, ça ne va pas. Donc, c’était
une branche, personnellement, d’après mon analyse, c’était une partie du MRND.
Le Président : Maître EVRARD ?
Me. EVRARD : Merci, Monsieur
le président. En qualité de sociologue, le témoin nous a exposé différentes
choses et différentes comparaisons, entre 1959 et 1994. Ma question est la suivante :
il a parlé de l’Akazu comme étant un lieu, d’abord un lieu géographique d’une
maison dans laquelle des décisions se prenaient. Est-ce que, à sa connaissance,
cela fait partie, je dirais, du mode d’exercice du pouvoir habituel au Rwanda ?
Est-ce que c’est une chose que l’on a connue uniquement sous un régime…
Le Président : Avec le président
le témoin 32, ou existait-il dans les autres modes de fonctionnement du pouvoir
antérieur à celui-là ?
Me. EVRARD : Antérieur ou
postérieur et est-ce que le même phénomène, je dirais, pouvait exister dans
le cadre de la gestion d’une préfecture ou d’une commune ? Est-ce que c’est
un mode de fonctionnement, de comportement de gestion du pouvoir qui est habituel ?
Le Président : Vous avez
compris la question et pouvez-vous y répondre ?
le témoin 41 : L’Akazu pourrait
traduire le mode de fonctionnement de pouvoir habituel que je pourrais comparer,
du temps de la monarchie par exemple, au cercle des « habitués du
roi », c’étaient des confidents, des conseillers du roi, du temps de la
monarchie. C’était aussi à ce niveau-là que des décisions se prenaient, c’était
donc une sorte de maison secrète où des décisions secrètes ou des décisions
importantes se prenaient. D’ailleurs, on a dit que nos Républiques, c’est Monsieur
LEMARCHAND qui a dit que c’étaient des Moambirs, donc, des Républiques
monarchiques.
Donc, la République, pour ne parler que de la République du témoin 32,
avait épousé la forme, le système de gouvernement de la monarchie. Et puisque
vous me demandez si c’est un système de gouvernement habituel, je ne vous cacherai
pas qu’aujourd’hui aussi, on écrit, ce n’est pas moi qui l’écris parce que je
ne suis pas là, je suis ici, mais on écrit aussi qu’il y a une sorte d’Akazu.
C’est malheureusement un système de gouvernement qui a existé au Rwanda du temps
de la monarchie, qui a existé du temps des Républiques et qui existe aujourd’hui
parce que des décisions, des nominations importantes se prennent et des pots
se partagent à partir de cette maisonnée.
Le Président : Bien. Nous
allons suspendre l’audience, de toute façon un quart d’heure, même si vous avez
encore des questions à poser, vous les reprendrez par la suite. Donc, l’audience
est suspendue un quart d’heure, elle reprend à 11h05.
[Suspension de séance]
Le Président : L’audience
est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place et
le témoin le témoin 41 peut reprendre place également. Bien, Maître EVRARD ?
Me. EVRARD : Je vous remercie,
Monsieur le président. Le témoin, toujours en qualité de sociologue, peut-il
nous dire, dans la population rwandaise, au fond, il a parlé, je reviens aux
périodes qu’il a évoquées, 1959, les années 1990, la période actuelle, peut-il
nous dire comment, je dirais, se répartit un peu la population ? On parle
souvent d’intellectuels dans ce dossier, sait-il s’il y a 5, 10% d’intellectuels ?
Quelle est un peu la répartition entre les différents secteurs d’activité ?
Est-ce qu’on a 90, 95% d’agriculteurs ? Est-ce qu’il peut un peu nous exposer
cette situation-là ?
Le Président : Avez-vous
des connaissances en la matière d’une répartition intellectuelle, monde industriel,
ouvriers, agriculteurs ?
le témoin 41 : La population
rwandaise est, était, je ne sais pas maintenant, composée en majorité de ce
qu’on appelait des agriculteurs, donc, les gens qui vivent de la culture de
leurs petites terres et un peu d’élevage. Il y avait une petite partie, des
fonctionnaires de l’administration, de l’enseignement, de la santé, je ne connais
pas le pourcentage exact mais je dirais que par rapport à la première partie
des agriculteurs dont nous avons parlé, la deuxième était plutôt minime, plutôt
plus petite, 10%, 5%, j’avoue que je ne sais pas. Mais les intellectuels n’étaient
pas nombreux.
Le Président : Une autre
question ?
Me. EVRARD : Merci, Monsieur
le président. Ce petit groupe, je vais reprendre les termes 5, 10%, ce petit
groupe, est-ce que, nécessairement par les usages, je dirais, de courtoisie,
les usages de comportement au Rwanda, ce petit groupe n’est-il pas amené à se
fréquenter et est-ce que des contacts ne se passent qu’entre milieux, par exemple,
universitaires, industriels, administration, armée éventuellement ou bien est-ce
le fait qu’il y ait une espèce de courtoisie ? Je sais que, par exemple,
les Rwandais se donnent la main pour se promener et pour parler, est-ce que
ce genre de comportement peut faire dire au témoin que des contacts sont généraux
dans tous les milieux, je dirais, des décideurs, d’une certaine façon, ou intellectuels ?
le témoin 41 : Je n’ai pas
très bien saisi. Mais malgré ça, je peux m’aventurer en disant que, par exemple,
pour parler des universitaires, la plupart avaient suivi des études dans le
même pays, donc ils se connaissaient, ils sont en Belgique ou ailleurs. Ca,
c’est une première chose. Arrivés au Rwanda, la plupart de ces intellectuels
travaillaient à Kigali, à la capitale, même ceux qui étaient nommés ailleurs,
ils n’aspiraient qu’à une chose, arriver un jour ou l’autre à aller travailler
à Kigali. Donc, vous le dites, ils se connaissaient. J’allais même dire qu’à
un certain moment, la distinction entre les ethnies tend à disparaître parmi
ce milieu parce qu’ils partagent les mêmes choses, les mêmes intérêts, le même
salaire, les mêmes personnes qu’ils fréquentent, les banques qu’ils vont courtiser,
etc., ils se retrouvent aux mêmes endroits. Donc, je me souviens que dernièrement,
même le président écrivait en disant que : « Ca m’étonne que les Rwandais
ne s’entendent pas parce que quand ils doivent faire des mêmes choses, quand
ils ont les mêmes intérêts, ils oublient un peu leur différence ethnique ».
Donc, pour répondre à votre question, quand les intérêts, quand on partage les
mêmes intérêts, on se côtoie, on se retrouve, on discute, on décide ensemble.
Souvent, c’est quand les intérêts divergent ou sont conflictuels que les problèmes
ethniques apparaissent.
Me. EVRARD : Simplement, Monsieur
le président, préciser la question un petit peu. Que ce soit un monde judiciaire
qui, chez nous, est parfois un peu fermé, je dirais, que ce soit un monde économique
ou un autre monde, à un certain niveau décisionnel, est-ce que, au Rwanda, tout
le monde ne se côtoie-t-il pas, à la connaissance du témoin ?
Le Président : Au fond, oui,
la différence de milieu socioprofessionnel a-t-il une grande importance au Rwanda ?
Ou le fait d’appartenir à des groupes socioprofessionnels différents empêche-t-il
toute communication entre ces groupes ? Ou, au contraire, les communications
entre groupes socioprofessionnels au Rwanda sont-elles tout à fait libres ?
le témoin 41 : Maître, si
vous voulez dire que… pour appartenir à l’Akazu, par exemple, est-ce qu’il faut
être, est-ce qu’on arrive à appartenir à l’Akazu parce qu’on a été, etc., je
pense que ce n’est pas le cas parce que les milieux, dans l’Akazu, je ne parle
pas de l’Akazu du MRND, je parle de l’Akazu en général, ce ne sont pas par milieux
socioculturels, ce n’est pas par profession qu’on fait partie de l’Akazu. L’Akazu,
c’est d’abord des relations familiales, des relations d’intérêt qui forment
cette Akazu. Donc, si vous voulez, je vous prête peut-être des intentions que
vous n’avez pas, si vous voulez en arriver là, c’est pas vrai. Autrement…
Le Président : De manière
générale, dans la société rwandaise, y a-t-il, au point de vue des relations,
la possibilité pour quelqu’un qui n’appartient pas au même groupe socioprofessionnel
que l’autre, d’avoir une communication normale ?
le témoin 41 : Je crois que
l’argent peut aider à franchir ces frontières socioculturelles. Euh… pour ne
donner qu’un exemple, parce que tel commerçant avait de l’argent, il pouvait
accéder plus facilement dans le milieu des intellectuels plus que quelqu’un
qui partage la même profession. Donc, ce n’est pas seulement là-bas, même ici,
partout ailleurs.
L’argent peut aider à franchir certaines frontières, ça peut arriver.
Le grade qu’on occupe peut aider quelqu’un à franchir une barrière que l’autre
ne pourrait pas franchir. Donc, ce n’est pas parce que j’ai été à l’université
telle, que nécessairement je vais faire partie de la famille des universitaires
telle. Il y a eu même des gens qui ont été, comment dire, frustrés parce que
justement, ayant fréquenté les mêmes études, fait les mêmes études aux mêmes
universités, certains pouvaient accéder à certaines fonctions que d’autres ne
pouvaient pas. Ce qui pouvait s’expliquer soit… ce qu’on pouvait expliquer ou
interpréter via la région ou l’ethnie en disant que si je ne suis pas là, c’est
parce que, c’est parce que je suis de cette ethnie. Ceci dit, il y a justement
certaines personnes qui ont accédé à certaines fonctions parce qu’elles étaient
d’une ethnie qui normalement était considérée comme non favorisée.
Le Président : Un autre exemple.
Le caissier de la SORWAL peut-il fréquenter la maison du directeur de la SORWAL ?
Si on s’en tient à des relations socioprofessionnelles, on se dit : « Peut-être
que le directeur général de la SORWAL ne reçoit pas son personnel chez lui ? ».
le témoin 41 : Ca, je ne sais
pas. Il y a certaines questions…
Le Président : N’y a-t-il
pas éventuellement d’autres liens qui font que des gens qui appartiennent à
des groupes socioprofessionnels dont on pourrait se dire qu’ils ne savent pas
avoir de contacts d’une certaine intimité entre eux, ont quand même ces contacts
parce que, par exemple, bien que ce soit un ouvrier, il est de la même région,
parce qu’il est de la même famille ?
le témoin 41 : Ce que je peux
dire, c’est qu’un ouvrier peut, comme vous le dites, accéder, aller dans des
familles qu’un directeur ne fréquente pas, parce que justement l’explication
qui vient d’être donnée, parce que faisant partie de la famille, etc. Un secrétaire
pouvait diriger une entreprise, diriger entre guillemets, avoir plus d’influence
dans une entreprise que son directeur. Je connais des ministères où le chef
de bureau, le gestionnaire, normalement c’est un échelon bas dans un ministère,
mais dans certains ministères, le chef de bureau, de la gestion, pouvait être
plus important qu’un ministre. Ce n’est pas seulement maintenant, même aujourd’hui.
Pourquoi ne pas utiliser ces mots puisqu’on les utilise ? On a parlé des
Hutu de service, des Tutsi de service et puis avoir, sans parler de cette ethnie,
il peut y avoir un directeur qui est là parce qu’il est là, qui fait office
de directeur de quelque chose mais qu’en fait, celui qui influence la direction,
celui qui prend les décisions, le lieu de la prise de décisions peut se trouver
ailleurs, ça c’est possible. Et je pense que ce n’est pas propre au Rwanda,
j’imagine.
Le Président : Une autre
question ?
Me. EVRARD : Non merci, Monsieur
le président.
Le Président : Plus d’autres
questions ? Maître CARLIER ?
Me. CARLIER : Le témoin peut-il
dire, Monsieur le président, selon la définition qu’il a donnée de l’Akazu,
est-ce que Monsieur Vincent NTEZIMANA pouvait faire partie de l’Akazu ?
Le Président : Alors, Monsieur
Vincent NTEZIMANA pouvait-il faire partie de l’Akazu ? L’Akazu, bien précise
ici, du président le témoin 32, hein ?
le témoin 41 : Je l’ai connu,
comme je l’ai dit, je l’ai connu à Louvain-la-Neuve, en 1996. L’autre façon
dont je l’ai connu, c’est à travers son livre parce que je l’ai lu. D’après
ce qui est marqué là-dedans, si c’est vrai ce qu’il écrit là-dedans, c’est son
témoignage qui est convaincant, entre parenthèses, d’après ce que j’ai lu dans
son livre, NTEZIMANA ne faisait pas partie de l’Akazu, mais je dis, je l’ai
connu à Louvain-la-Neuve. D’après les informations que j’ai des relations personnelles,
etc., d’après la définition que l’on donne de l’Akazu, NTEZIMANA, d’après les
informations que j’ai, je ne m’engage pas au-delà de ce que j’ai, NTEZIMANA
me paraît comme quelqu’un qui ne pouvait pas faire partie de l’Akazu.
Le Président : D’autres questions ?
S’il n’y a plus d’autres questions, les parties sont-elles d’accord pour que
le témoin se retire ? Monsieur le témoin 41, confirmez-vous les déclarations
que vous venez de faire et persistez-vous dans ces déclarations ?
le témoin 41 : Dans la mesure
où je me suis exprimé de mon propre cœur…
Le Président : Oui, bien
sûr.
le témoin 41 : Dans la mesure
où j’ai été compris comme je l’ai dit, j’imagine que c’est comme ça que ça a
été compris, je confirme ce que j’ai dit, je l’ai dit selon le…
Le Président : Selon le serment
que vous avez prêté.
le témoin 41 : Le serment
que j’ai fait, je le confirme.
Le Président : Je vous remercie,
Monsieur le témoin 41. Vous pouvez disposer librement de votre temps.
le témoin 41 : Merci, Monsieur
le président.
Le Président : Monsieur le témoin 109
est là ? Monsieur le témoin 147 aussi. |
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