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5.5.14. Témoin de contexte : Armand VANDEPLAS, magistrat retraité
Le Président : Nous allons
encore entendre Monsieur VANDEPLAS avant le repas, parce qu’il est là depuis
je ne sais pas quelle heure. Il est là ? A l’attention du jury, je crois
qu’on n’aura pas fini à 5h00 ou 5h30 aujourd’hui.
Vous aurez des explications notamment dans le courant de l’après-midi,
à ce propos-là et cela pourrait être une des possibilités, c’est que le texte
vous soit communiqué. Je pense qu’il faut envisager qu’on termine peut-être
vers 18h00 ? On va essayer en tout cas.
Monsieur, quels sont vos nom et prénom ?
Armand VANDEPLAS : Armand VANDEPLAS.
Le Président : Quel âge avez-vous ?
Armand VANDEPLAS : 72 ans.
Le Président : Quelle est votre
profession ?
Armand VANDEPLAS : Je suis à la
pension, Monsieur le président.
Le Président : Quelle est votre
commune de domicile ou de résidence ?
Armand VANDEPLAS : Anvers.
Le Président : Connaissiez-vous
l’accusé ou les accusés ou l’un d’eux, avant les faits mis à leur charge ?
Il s’agit de Monsieur NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO, Madame MUKANGANGO et Madame
MUKABUTERA.
Armand VANDEPLAS : Absolument
pas.
Le Président : Vous n’êtes pas
parent ou allié des accusés ni des parties civiles ?
Armand VANDEPLAS : Ni des parties
civiles.
Le Président : Vous n’êtes attaché
ni au service des uns, ni au service des autres ?
Armand VANDEPLAS : Non, Monsieur
le président.
Le Président : Je vais vous demander,
Monsieur, de bien vouloir lever la main droite et de prononcer le serment de
témoin.
Armand VANDEPLAS : Je jure de
parler sans haine et sans crainte et de dire toute la vérité, rien que la vérité.
Le Président : Je vous remercie.
Prenez place, Monsieur VANDEPLAS. Monsieur VANDEPLAS, vous avez dit, tout doucement,
que vous étiez retraité. N’avez-vous pas été longuement magistrat et professeur
de droit ?
Armand VANDEPLAS : En effet, Monsieur
le président. J’ai été en Afrique, magistrat en Afrique, de 1955 jusqu’en 1967.
Et j’ai été professeur de droit pénal à l’université de Louvain, depuis 1980
jusqu’en 1994.
Le Président : Le Rwanda est un
pays que vous connaissez particulièrement bien ?
Armand VANDEPLAS : Oui, j’y ai
passé tout de même, au Rwanda, à peu près six ans, comme magistrat.
Le Président : Ca se situe plus
précisément à quelle époque ?
Armand VANDEPLAS : Je suis arrivé,
j’étais en congé en Belgique, au mois de février 1960, quand j’ai demandé de
rentrer dare-dare à Kigali, c’était juste après la révolution qui a eu lieu
en novembre 1959 et j’ai rejoint mes collègues à Kigali, fin février 1960.
Le Président : C’est cela. C’est
donc cette période-là, je dirais, que vous connaissez particulièrement bien ?
Armand VANDEPLAS : C’est exact.
Je suis le seul magistrat belge qui suis resté en fonction au Rwanda jusqu’au
mois de janvier 1963.
Le Président : Etes-vous éventuellement
retourné au Rwanda par la suite, à titre personnel ou à titre scientifique ?
Armand VANDEPLAS : J’ai encore
été au service, comme magistrat au Congo, jusqu’en 1967. Et j’avais comme résidence
Goma qui est sur les bords, juste à côté de Gisenyi, donc, à côté du Rwanda.
Le Président : De la période
où vous avez vécu là-bas à titre tout à fait professionnel, que pouvez-vous
dire ? Est-ce qu’il y avait, par exemple à l’époque, des dissensions entre
Rwandais, dissensions de type ethnique ou d’un tout autre type ?
Armand VANDEPLAS : Je suis arrivé
au Rwanda en pleine révolution. La révolution a éclaté au mois de novembre 1959
et quand je suis arrivé, mes collègues étaient… Il y avait un conseil de guerre.
Mes collègues étaient là en tant que juges ou en tant que ministère public auprès
des conseils de guerre et ils jugeaient. Moi, jamais, je ne pense pas que j’aie
jamais dû requérir. Mais, j’ai fait les enquêtes et il y avait tout de même,
à plusieurs moments, de graves incidents avec plusieurs centaines de morts dans
la région de Kigali, de Byumba, de Butare, de ce qu’on appelle maintenant Butare,
Gitarama. Oui, j’ai été sur place à plusieurs reprises.
Le Président : Et ces événements
sur lesquels vous avez enquêté à l’époque comme magistrat, étaient-ils des événements
qui avaient une connotation ethnique ?
Armand VANDEPLAS : C’est évident.
C’était en fait, de plus en plus on essayait de refouler les Tutsi vers l’étranger.
Par exemple, à Byumba, on a brûlé les huttes et on a chassé les Tutsi ou les
Tutsi ont pris la fuite, surtout vers l’Ouganda. Cela a été la même chose à
Astrida, ce qu’on appelle maintenant Butare, à Gitarama également. D’autre part,
il faut bien dire également, qu’il y a eu, à plusieurs endroits, beaucoup de
morts. Il y a eu des moments où il y avait plus de 1.000 morts en un jour, par
exemple dans la région de Kibuye.
Le Président : Dans ces morts,
y avait-il uniquement des hommes ou des hommes, des femmes, des vieillards,
des vieilles femmes, des enfants, des bébés ?
Armand VANDEPLAS : C’était tout
le village, n’est-ce pas, tout ce qu’il y avait par exemple de Tutsi dans cette
région-là, a été assassiné à ce moment-là.
Le Président : Quels que soient
le sexe et l’âge ?
Armand VANDEPLAS : Quels que soient
le sexe et l’âge, oui. Ce sont des véritables révoltes qui ont eu lieu. Cela
a véritablement éclaté à certains moments, suite, il faut bien le dire, suite
à par exemple l’assassinat d’un bourgmestre Hutu, suite à l’assassinat de notables
Hutu. Les Tutsi, en général, quand ils assassinaient, ils choisissaient bien
leurs victimes. Ils ne choisissaient pas les gens ordinaires, c’étaient en général
des notables. Mais la révolte, la réaction populaire a été d’assassiner tout
ce qu’ils trouvaient de Tutsi sur place. Et alors, il semble bien que les autorités
Hutu, pour autant qu’elles avaient le pouvoir en main, essayaient de convaincre
les gens de ne plus assassiner, mais de simplement brûler les huttes ou de détruire
les huttes. C’est ce qui s’est passé par après, après je dirais le mois de mai,
mai-juin, il y a eu moins d’assassinats. D’ailleurs, il y avait déjà énormément
de Tutsi qui s’étaient enfuis.
Le Président : Il semble que l’explication
que vous donnez maintenant en ce qui concerne les événements de cette époque-là
en tout cas, est de dire que s’il y avait beaucoup de morts, si ces morts étaient
exclusivement Tutsi à l’exception de quelques Hutu assassinés par des Tutsi,
le nombre de morts résultait de sortes de révoltes populaires.
Armand VANDEPLAS : C’est exact.
Et à plusieurs reprises, je me suis demandé ce que je venais faire là-dedans
en tant que magistrat. Il est évident qu’un magistrat, seul ou accompagné d’un
greffier, que voulez-vous qu’il fasse en face d’une révolte populaire ?
Quand vous venez sur place et vous trouvez des dizaines de morts par terre,
ce qu’on a besoin ce sont des médecins, mais que voulez-vous en tant que magistrat
que je fasse là ? Et je me souviens qu’au mois de juin 1960, j’ai été trouver
le procureur général à Bujumbura et j’ai dit : « Ecoutez, cela n’a
pas de sens ce que nous faisons, aller poursuivre quelques personnes ».
On attrapait disons 10-15 personnes et on les… on les… on voulait les poursuivre.
Moi, j’ai dit au procureur général : « Cela n’a aucun sens. Ceux qu’on
attrape, ce sont des vieillards et ce sont des enfants, et les véritables coupables
sont en fuite, on ne les attrape pas ». Et deuxièmement, il y avait bien
l’armée belge à ce moment-là. Disons qu’il y avait entre 600 et 700 soldats
belges. Mais, que voulez-vous qu’ils fassent en contact avec ce qui se passait
avec cette révolte ; c’était impossible de contenir cela. Nous n’étions
pas en force pour faire quelque chose. Et je me souviens que le procureur général
qui, évidemment, se trouvait assez loin de Kigali, qui ne comprenait pas ce
avec quoi nous étions confrontés à ce moment-là, à Astrida, il ne comprenait
pas.
Le Président : Et une des choses
que semblent reprocher certains maintenant pour expliquer comment on a pu arriver,
à travers toute une série d’éléments historiques, sociologiques, culturels,
politiques, aux événements de 1994, c’est de souligner par exemple que des massacres
antérieurs avaient été impunis ?
Armand VANDEPLAS : Oui. C’est…
c’est fort probable. Mais, il était impossible… D’ailleurs, le Rwanda se trouvait
à la veille de l’indépendance. Ces événements se sont passés en 1960, partiellement
encore en 1961. Mais que voulez-vous faire, n’est-ce pas ? Nous étions
en tout et pour tout, si mes souvenirs sont exacts, 5 magistrats.
Le Président : Pour tout le Rwanda ?
Armand VANDEPLAS : Pour tout le
Rwanda. Comment voulez-vous que nous aurions pu agir à ce moment-là ? Et
deuxièmement, même si on les avait condamnés, le Rwanda devenait indépendant
en 1962, on les aurait libérés, d’ailleurs tout le monde a été libéré des prisons.
C’est exact que les faits n’ont pas été poursuivis, c’est exact. Je peux difficilement
dire quelles sont les conséquences de cela, mais c’est exact. Les crimes n’ont
pas été punis.
Le Président : 5 magistrats pour
tout le Rwanda ?
Armand VANDEPLAS : Pour tout le
Rwanda.
Le Président : Il devait y avoir
un arriéré encore bien plus considérable que celui dont on parle chez nous.
Armand VANDEPLAS : Je ne crois
pas qu’il y avait de l’arriéré.
Le Président : Il n’y avait pas
d’affaires peut-être ?
Armand VANDEPLAS : Ecoutez, les
toutes grosses affaires, il n’y avait pratiquement pas de dossiers. Je me souviens
que je suis arrivé un jour à Butare ; on avait incendié une centaine de
huttes, une centaine de maisons de Tutsi et je suis arrivé à Astrida et on avait
attrapé une dizaine de coupables. Et ce qui m’étonnait, c’était que les coupables
c’étaient des Tutsi. Je me suis demandé : « Comment est-ce possible
que les Tutsi auraient mis le feu à leurs propres huttes ? ». C’était
impossible à ce moment-là de trouver qui avait arrêté ces gens-là. C’étaient
des soldats belges. On a fait venir des gens pour, comment dirais-je, pour
retrouver les responsables qui les avaient arrêtés. Cela a pris un jour entier.
Je leur ai demandé : « Mais comment avez-vous agi ? ».
« On les a attrapés sur le fait ». Je dis : « Mais ce n’est
pas possible qu’ils aient mis le feu à leurs propres maisons ». Ils disent :
« Non, mais j’étais avec le bourgmestre qui était Hutu et il a désigné
les coupables ». Et il a évidemment désigné des Tutsi que j’ai fait libérer
immédiatement.
Mais, c’était une tâche impossible, en fait. Ce qu’on nous demandait
à 5 personnes, contenir une révolution de centaines, de milliers de personnes.
C’est exact, et à plusieurs reprises, j’ai été personnellement menacé. Par exemple
à Bujumbura, il y a eu une réunion de plus de 10.000 personnes armées. J’étais
seul, tout seul. Le bruit avait couru que j’avais fait arrêter un leader Hutu ;
je l’avais simplement interrogé. Le bruit a couru que je l’avais fait arrêter.
Un autre avait dit qu’il avait été exécuté. Et de partout, on nous menaçait.
C’est arrivé à plusieurs reprises. C’est exact que nous n’avions pas, ni les
magistrats, ni les militaires, ni l’administration… Pour tout le Rwanda, je
pense qu’il y en avait, en tout et pour tout, à un certain moment, 25. 25, je
pense, à l’indépendance. Le jour de l’indépendance, je pense qu’il y avait 25
administrateurs ou personnes de l’administration belge au Rwanda. Comment voulez-vous
contenir ? A ce moment-là, nous estimions qu’il y avait à peu près 3 millions
à 3 millions et demi d’habitants au Rwanda. C’était impensable.
Le Président : Des événements
de 1994, vous n’en connaissez que, je dirais, par la presse ?
Armand VANDEPLAS : Par la presse,
oui. Je ne suis pas…
Le Président : Ou par des lectures
d’ouvrages à ce sujet ? Vous n’êtes pas témoin privilégié de ces événements ?
Armand VANDEPLAS : Non, et je
n’ai plus de contacts avec des gens qui étaient au Rwanda. Je suppose que, il
y a tout de même 34 ans, que la plupart de ceux que j’ai connus seront morts,
je pense. Ils ne sont certainement plus en fonction.
Le Président : Y a-t-il des questions
à poser au témoin ? Les parties non plus ? Ah, pardon, excusez-moi,
Maître BEAUTHIER, malgré votre taille, je ne voyais pas votre doigt.
Me. BEAUTHIER : Monsieur VANDEPLAS,
quand vous aviez vu ces gens qui avaient les huttes brûlées, est-ce que vous
vous êtes dit que c’étaient les villageois qui avaient été les incendiaires
ou bien qu’ils avaient été quelque part manipulés, manigancés, et par qui ?
Armand VANDEPLAS : Ecoutez, quand
on venait sur place, c’est évident qu’il n’y avait plus personne, sauf les victimes,
et même les victimes, parfois et même souvent, s’étaient enfuies. On venait
dans des villages qui étaient abandonnés. Je n’ai jamais, mais jamais, eu de
gens qui ont avoué qu’ils ont mis le feu à des huttes. Je suppose, et nous connaissions
tout de même assez bien ce qui se passait au Rwanda, je suppose que c’étaient
des Hutu qui avaient mis le feu et que c’était dirigé, probablement, par des
notables ou des bourgmestres locaux. Et quand il y avait des réactions populaires,
là je pense qu’ils n’ont pas eu la situation en main, mais quand ils ont mis
le feu, moi, je suis persuadé que c’était bien arrangé, bien réglé d’avance.
Le Président : Est-ce que, par
exemple, à l’époque il y avait, je ne sais pas, de la propagande, des meetings,
des… J’imagine que la radio n’était peut-être pas encore sur chacune des mille
collines du Rwanda à l’époque mais est-ce qu’il y avait, je ne sais pas ,
par exemple des réunions populaires qui se faisaient où des gens venaient chauffer
les autres…
Armand VANDEPLAS : Il y avait
certainement des réunions, Monsieur le président, sans aucun doute. Il y avait
des réunions politiques depuis, je dirais, depuis le début 1959. Cela avait
déjà commencé et il y avait régulièrement des personnes qui donnaient des instructions.
Et, en deuxième lieu, il faut également dire que d’un autre côté, il y avait
également toujours des bruits qui couraient. Le danger Tutsi existait certainement
et il était répandu. Cette peur existait également parmi les Européens. Il ne
faut tout de même pas oublier qu’il y a plusieurs Belges, je pense qu’il y a
9 Belges qui ont été assassinés par des Tutsi qui venaient de l’Ouganda. Il
y avait réellement un danger, c’est exact. Quand j’ai vécu à Butare, surtout
les derniers mois, entre le mois de juin 1962 et janvier 1963, il y avait un
réel danger et à plusieurs reprises, à Butare, on a tiré, à la mitraillette,
des Européens. On va me dire : « Ecoutez, sur qui ont-ils tiré ?
». Eh bien, moi, je pense plutôt que c’était… par peur.
Il y avait continuellement des faux bruits. Continuellement, on racontait
à Butare : « Oui, l’attaque des Tutsi sera pour cette nuit ».
Et puis, il n’y avait pas d’attaque. Et le lendemain on venait dire : « Oui,
mais écoutez, c’est leur tactique. Ils disent qu’ils attaquent ce soir, mais
en fait c’est pour que vous ne soupçonniez pas qu’ils vous attaqueront demain ».
Et je n’ai pas vu d’attaque. Je dois sincèrement le dire, je n’en ai pas vu.
Mais le bruit courait. Et il y avait certainement une psychose de peur parmi
les Européens. Et, n’oubliez pas que nous étions tout de même là avec très,
très peu de protection. Je pense qu’à Butare, nous étions en tout 25 Européens
dont 4 ou 5 Belges. Il y avait un camp militaire, c’est exact mais je ne suis
pas sûr que c’étaient des Belges. Je me demande si ce n’étaient pas des soldats
rwandais, je ne suis pas tout à fait sûr. En tout cas, nous logions en ville
et là, il n’y avait pas de protection. Je logeais avec ma mitraillette à côté
de mon lit et à plusieurs reprises je suis sorti la nuit en grimpant, en croyant
et en entendant qu’on tirait à l’intérieur du poste. Il y avait certainement
une psychose de peur, à tort ou à raison, je ne veux pas exagérer. Mais, il
y a eu une époque, ces 6-7 mois ont été extrêmement durs entre le mois de juin
1962 et janvier 1963.
Le Président : Une autre question ?
Oui, Maître BEAUTHIER ?
Me. BEAUTHIER : Y avait-il des
écrits ? Par exemple, y avait-il des livres ou bien des documents qui circulaient
et quel était le rôle de l’Eglise catholique à ce moment-là ?
Armand VANDEPLAS : Je n’ose pas
dire qu’il y avait des… je ne me souviens pas… il n’y avait pas de journaux.
Je ne crois pas qu’il y avait des écrits qui circulaient et les mots d’ordre
qu’on donnait, écoutez, ce n’était pas aux Européens, ce n’était certainement
pas à quelqu’un du parquet qu’on les communiquait. Le rôle de l’Eglise catholique…
ce n’est pas facile d’expliquer cela. Mais, disons que jusque vers 1959-1960,
il ne faut tout de même pas oublier que l’Eglise catholique soutenait les Tutsi.
Les deux évêques, le seul évêque d’abord jusqu’en 1959-1960, c’était un évêque
Tutsi, dans les environs de Ruhengeri. Le deuxième, qui a été nommé en 1961,
si mes souvenirs sont exacts, c’était Monseigneur GAHAMANYI de Butare, qui était
également Tutsi. Après la révolution… etl’archevêque était en Suisse, Monseigneur
PERAUDIN était Suisse. Il n’y avait pas d’évêque belge.
Quel est le rôle exact de l’Eglise ? Je suis persuadé qu’après
l’indépendance, à partir de 1961-1962, le gouvernement rwandais en place, a
certainement insisté auprès de Rome pour faire nommer des évêques Hutu au Rwanda
et je me souviens, pour autant… en 1964, qu’il y a eu un évêque Hutu, je pense
le premier évêque Hutu de Ruhengeri, qui d’ailleurs, a été empoisonné ici en
Belgique, était Hutu. L’Eglise catholique en général avait une politique de
balance : soutenir les uns et ne pas trop soutenir… et soutenir les autres,
et essayer de trouver un certain équilibre entre les deux. Il y avait certainement,
jusqu’en 1960-1962, beaucoup de responsables catholiques, ou parmi les religieux
catholiques, qui étaient Tutsi ou pro-Tutsi. J’ai moi-même, en 1961, je me souviens,
dans un couvent près d’Astrida, près de Butare, j’ai fait moi-même une perquisition
parce que le bruit avait couru, nous avons eu une dénonciation qu’il y avait
des armes dans le couvent des sœurs. J’ai été faire la perquisition moi-même,
je n’en ai pas trouvé. Mais la tendance était certainement, parmi les supérieurs,
était Tutsi ou pro-Tutsi. Il y avait déjà un début, quand moi j’y étais, un
début de renouveau ou de nomination Hutu, mais c’était tout à fait au début.
Le Président : Oui, Maître BEAUTHIER ?
Me. BEAUTHIER : On parle peu de
la coopération à l’époque, en 1960. Qu’est-ce qui se passe ? On arrive
à l’indépendance et puis les Belges reviennent sous forme de ce qu’on appelle
maintenant coopération. Est-ce que vous avez des choses à dire à propos du rôle
de la coopération dans l’ethnicisme ou bien dans l’apaisement, je ne sais pas
?
Armand VANDEPLAS : La Belgique
a suivi la politique qui était habituelle dans des territoires coloniaux anglais,
c’est-à-dire, gouvernement indirect. On soutenait les autorités locales sans
trop d’immixtion. C’est-à-dire que le pays avait à la tête un Mwami et
des chefs, des chefs de territoire ; nous respections cela et nous gouvernions
le pays à travers l’autorité locale, je dirais. C’est resté comme cela au Burundi.
Au Burundi, même après l’indépendance, vous avez eu un Mwami et vous avez eu
des chefs qui sont restés en place. En 1959, au Rwanda, il y a eu une révolution ;
on a chassé le Mwami, on a chassé les chefs et la population a pris le pouvoir.
C’est-à-dire, la population, ce sont des gens surtout qui ont été formés en
Belgique, surtout par le mouvement ouvrier chrétien. C’est une forme que je
comparerais à ce qui s’est passé en Pologne avec Solidarité. C’étaient des gens
qui étaient formés par les syndicats qui ont pris le pouvoir au Rwanda et l’administration
belge, je dirais, en 1960 certainement…, après la révolte, a pris tout de même,
a pris en protection les Hutu. Et même l’armée belge a soutenu indirectement
le mouvement de la révolte Hutu parce qu’à ce moment-là on s’est dit qu’il était
tout de même que les Belges étaient en faveur d’un système démocratique, c’est-à-dire
qu’ils voulaient que tout de même 85% de la population aient le pouvoir en main,
et non pas les 15% de Tutsi qui avaient, jusque-là, le pouvoir en main.
Le Président : Encore des questions ?
Oui, Maître RAMBOER.
Me. RAMBOER : Monsieur le président,
justement au sujet de la révolution sociale dont vient de parler le témoin,
je crois qu’il passe un peu trop vite sous silence l’existence d’un parti qui
était le parti parmehutu et dont
on disait, dont disent les historiens rwandais, qu’il était en réalité une sorte
de…
Le Président : Oui, mais le témoin
n’est pas historien rwandais.
Me. RAMBOER : Oui, mais donc,
puisqu’il était sur place au moment des événements, on signale que ce parti
avait été créé en quelque sorte par l’Eglise et qu’en réalité, on voulait couper
l’herbe sous les pieds de l’élite Tutsi qui était devenue indépendantiste, pour
mettre en place une autre élite, l’élite Hutu, qui était plus collaboratrice
avec le système colonial et était plus proche des Belges.
Le Président : Alors, où
est la question ?
Me. RAMBOER : La question est
que je demande au témoin de commenter cela à partir de ses propres expériences
sur place.
Armand VANDEPLAS : Monsieur le
président, le parti Parmehutu était surtout fondé sur des Hutu qui étaient formés
en Belgique par le mouvement ouvrier chrétien. Je n’ose pas dire que c’est l’Eglise
qui les a formés, ce serait plutôt des gens qui sont venus en Belgique et qui
ont été formés pendant plusieurs années en Belgique. L’Eglise catholique, jusqu’en
1959 je dirais, je vous ai déjà dit, les deux évêques ou l’évêque était Tutsi,
c’était le seul évêque rwandais à ce moment-là, ce n’était certainement pas
en faveur des Hutu. Est-ce qu’on peut dire que l’Eglise catholique a joué un
rôle là-dedans ? Ecoutez, je suis prudent. On pourrait m’accuser également,
et les magistrats belges, de protéger les Hutu. N’oubliez pas : nous étions
normalement tuteurs des pauvres, c’était notre rôle. Officiellement, nous étions
tuteurs des pauvres, des petits.
Or, les petits étaient toujours des Hutu, ce n’étaient pas des Tutsi.
Les Tutsi en général, c’étaient ceux qui avaient le pouvoir, c’étaient ceux
qui étaient chefs, les sous-chefs, et nous les protégions. Est-ce qu’on va m’accuser,
on va accuser les magistrats belges d’être pro-Hutu ? Je ne le crois pas.
Je pense également à la question de l’Eglise. Jusqu’à ce moment-là, c’était
surtout protéger les pauvres, les petits. Et les petits étaient des Hutu, c’est
exact. Mais, je ne pense pas, personnellement, que l’Eglise soit intervenue
pour imposer ou pour inciter les Hutu à prendre le pouvoir, je ne crois pas.
Je n’ai, en tout cas, aucune preuve. Mais, n’oublions tout de même pas qu’il
y a 85% de la population qui étaient Hutu. Alors, c’était normal que l’Eglise
insistait dans les écoles pour qu’il y ait tout de même, qu’on garde une certaine
proportion. Ce qui n’était certainement pas exact, c’est que dans les Eglises
catholiques il y avait 85% de Hutu, tous les élèves étaient Hutu ; au contraire,
je dirais même que proportionnellement, les Tutsi étaient mieux représentés.
Le Président : Autre question ?
Les parties sont-elles d’accord pour que le témoin se retire ? Monsieur
VANDEPLAS, est-ce bien des accusés ici présents dont vous avez voulu parler ?
Comme professeur de droit pénal, vous savez que cette question signifie :
Confirmez-vous vos déclarations ?
Armand VANDEPLAS : Oui, Monsieur
le président.
Le Président : Les parties étant
d’accord, la Cour vous remercie…
Armand VANDEPLAS : Merci, Monsieur
le président.
Le Président : …et vous autorise
à disposer librement de votre temps.
Armand VANDEPLAS : Merci bien.
Le Président : Bien. L’audience
est suspendue. Elle devrait reprendre à 13h30, ce ne sera évidemment pas le
cas. Nous allons reprendre à 14h00. |
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