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9.7.2. Répliques de la défense: Défense de Alphonse HIGANIRO
Le Président : Maître EVRARD,
Maître MONVILLE, Maître CUYKENS, dans quel ordre ? Maître EVRARD, tout
d’abord ? Bien. Un peu de silence dans la salle, s’il vous plaît. Maître
EVRARD, vous avez la parole.
Me. EVRARD : Je vous remercie,
Monsieur le président. Je serai bref. Je voudrais revenir sur deux points. Monsieur
l’avocat général a signalé qu’il était faux de dire qu’une procédure était actuellement
pendante concernant Monsieur HIGANIRO devant le Tribunal pénal international.
Et puis, Monsieur l’avocat général a aussi signalé qu’on ne pouvait pas aborder
le problème des crimes de guerre par la qualité de belligérant mais qu’il fallait
s’en tenir à la qualité de personne civile protégée par les Conventions de Genève.
Ce sont ces deux points que je souhaiterais aborder.
Monsieur l’avocat général nous a dit dire cela : « Dire
qu’il y a une procédure pendante, c’est plaider à l’encontre du dossier ».
Je n’ai pas l’impression de plaider à l’encontre du dossier, Mesdames et Messieurs
les jurés, et encore moins de plaider à l’encontre de la loi. Dans la loi sur
la coopération, la relation, la reconnaissance du Tribunal international pour
l’ex-Yougoslavie et le Tribunal international pour le Rwanda et la coopération
avec ces tribunaux - c’est une loi du 22 mars 1996 - vous trouvez un article
11 et il nous concerne particulièrement et je le lis entièrement : « Lorsque,
conformément à la loi du 16 juin 1993 » - vous verrez que dans toutes
les questions qui vous sont posées, c’est la référence à cette loi qui se trouve
là - … « Lorsque, conformément à la loi du 16 juin 1993 relative à
la répression des infractions graves aux Conventions internationales de Genève
du 12 août 1949 et aux Protocoles 1 et 2 du 8 juin 1977, additionnels à ces
Conventions, une procédure est en cours devant une juridiction belge sur des
faits qui pourraient relever de la compétence du Tribunal ; celui-ci en
est informé par le ministre de la justice ».
C’est-à-dire que les autorités belges ont l’obligation d’informer
le Tribunal international de ce qui se passe ici, et dans ce dossier, nous avons
beaucoup de pièces qui montrent que… beaucoup de pièces à en-tête de certains
ministères dont le ministère de la justice, qui indiquent qu’il y a des passages
d’informations entre le Tribunal international et les autorités belges. Et jusqu’ici,
je n’ai rien vu sur ce qui se passe ici, je n’ai rien vu dans le dossier depuis
que nous avons un réquisitoire qui porte spécifiquement sur les crimes internationaux,
et plus particulièrement sur les Conventions de Genève, je n’ai rien vu. Alors,
qu’on ne me dise pas qu’on n’a rien à voir, et que c’est encore étonnant de
revenir avec ces questions du Tribunal pénal international. Ce n’est pas une
décision de justice belge qui vous le dit, c’est une loi belge, une loi belge
qui organise une reconnaissance et une coopération.
Et si j’avais les travaux préparatoires devant moi, et je le fais
de mémoire, et donc sous contrôle de la Cour, je pense me souvenir que cette
coopération implique que des informations soient fournies régulièrement. Il
ne s’agit pas simplement d’informer, de dire : « Voilà, il y a quelque
chose qui se passe en Belgique et ça pourrait éventuellement vous concerner ».
Non, la juridiction internationale est la juridiction spécialisée.
On vous dit : « C’est la Rolls Royce ». Peut-être. Mais c’est
la juridiction qui, en tout cas, sur notre ordre juridique belge, c’est la juridiction
suprême en matière de répression de crime international pour toute juridiction
belge et même pour celle dont vous êtes saisis ici aujourd’hui.
D’ailleurs, tout cela est confirmé par le statut et les règlements
de procédure et de preuve du Tribunal international. Vous savez que concernant
Monsieur HIGANIRO, il y a eu un acte d’accusation, que cet acte d’accusation,
je le reprends brièvement, a porté sur l’ensemble des charges et même parfois
plus que ce que nous avons entendu ici. Et que lui a-t-on reproché ? On
lui a reproché la participation dans la radio RTLM. On lui a reproché l’engagement
d’Interahamwe, approximativement une vingtaine, on est loin des cinquante que
l’on voit ici. On lui a reproché du financement. On lui a reproché d’avoir organisé
des réunions. On a reproché à Monsieur HIGANIRO d’avoir, par des écrits, provoqué
au travail et au nettoyage. Tout cela, Mesdames et Messieurs les jurés, se trouve
dans l’acte d’accusation de 1996, du Tribunal international, du procureur international,
et il l’a fait en possession de tout le dossier belge.
Et la décision, vous la connaissez, je l’ai dit en plaidoirie, eh
bien, le juge international a estimé que pour chacun des chefs d’accusation,
il y avait lieu de rejeter cet acte d’accusation. Et si je vous parlais tout
à l’heure de la procédure internationale, du statut et du règlement de procédure,
c’est parce que ceux-ci prévoient qu’à tout moment il n’y a pas de limite de
temps : à tout moment, le juge peut demander au procureur international
de revenir devant lui. « Monsieur le procureur, revenez, donnez-moi de
nouveaux éléments. Apportez-moi de nouveaux éléments pour me convaincre ».
Et le procureur, à tout moment, peut saisir le juge international. Il peut lui
dire : « Voilà, j’ai avancé dans mes enquêtes, j’ai de nouveaux éléments
que la Belgique m’a fournis, ou d’autres pays, et je reviens avec des charges
supplémentaires. Et vous aviez estimé que tout ça n’était pas suffisamment prouvé,
eh bien, voilà, maintenant je vous apporte les éléments de preuve ». Alors,
qu’on ne me dise pas que le Tribunal international n’est pas encore saisi. On
va nous dire peut-être : « Bien sûr, bien sûr, on a fait application
de l’article 8 de cette fameuse loi de coopération, et l’article 8 a prévu que
la Cour de cassation en Belgique remet l’affaire en état lorsqu’il y a un rejet
d’acte d’accusation ». Oui, c’est exact. Et voilà le cadre dans lequel
nous nous trouvons en Belgique. Mais est-ce pour cela qu’il faut ignorer ce
qui se passe au Tribunal international ? Non. On pourrait encore nous dire :
« Voilà, cela fait quatre ans entre le moment où on va à Arusha avec le
dossier de Monsieur HIGANIRO et le moment où on reprend un réquisitoire en 1999
contre Monsieur HIGANIRO, ici en Belgique. Alors, on pourrait dire : « Ben,
le Tribunal international, peut-être qu’il attend aussi ? Eh bien, on n’en
sait rien ». Mais en tout cas, ce qui est sûr, c’est que ce n’est pas terminé.
Ce qui dérange dans la poursuite du Tribunal international, c’est
que Monsieur HIGANIRO est poursuivi pour génocide et pour crimes contre l’humanité
et complicité de génocide. Pas un mot, pas un mot, Mesdames et Messieurs les
jurés, sur les crimes de guerre, rien, pas une charge sur les crimes de guerre.
Et vous avez au carton 39 du dossier, un ensemble d’actes d’accusation du Tribunal
pénal international. C’est quand même curieux. On vous dit qu’on ne doit plus
vous parler du Tribunal international et on vous fournit un carton entier avec
des actes d’accusation pour toute une série de personnes. Et vous verrez que
ce je dis dans la pratique, cela se traduit comment ? Eh bien, vous avez
des actes d’accusation. Vous avez des éléments justificatifs à ces actes d’accusation
qui, par ailleurs, je vous l’ai déjà dit, n’ont jamais été produits pour Monsieur
HIGANIRO, et il l’a demandé.
Alors, quand les parties civiles nous disent « devoir de
vérité », j’ai envie de leur répondre « devoir de loyauté ».
Quand on demande des devoirs complémentaires, que l’on ne vienne pas dire qu’ils
sont impossibles, pour nous transmettre ensuite une masse de pièces émanant
du Tribunal international. Quand Monsieur HIGANIRO a demandé les éléments justificatifs,
c’était pour pouvoir se défendre sur les charges qui pèsent sur lui aujourd’hui.
Dans tous ces actes, vous verrez aussi que le procureur n’a jamais
hésité à modifier son acte d’accusation, et il le fait en des termes extrêmement
précis. Je dois constater que tous ces éléments sont au dossier et que malgré
cela, on veut vous faire oublier par amnésie tout ce qui se passe en dehors
de cette salle. On veut vous dire qu’il n’y a qu’ici que l’on juge pour les
crimes de droit international. He bien, non, cela se passe aussi ailleurs. Et
dans un courrier du ministère de la justice, c’était un courrier, un échange
de courrier avec le procureur, Monsieur GOLDSTONE, procureur du Tribunal international,
Monsieur GOLDSTONE signale que la Belgique est bien heureuse en 1996 que le
Tribunal international se charge du cas de Monsieur HIGANIRO, bien heureuse
parce qu’elle ne s’estime pas compétente, à même du faire, avec les moyens
suffisants pour le faire.
Le deuxième point sera plus bref. Pour la première fois peut-être
aujourd’hui, j’entends Maître GILLET parler de génocide en disant : « Ben,
génocide, c’est le crime de guerre au sens de la loi du 16 juillet 1993 ».
Et je ne voudrais pas traduire ces paroles, mal les traduire, mal les rapporter,
mais il a dit : « Monsieur HIGANIRO conduisait la guerre, c’est-à-dire,
le génocide ». Mais il abandonne vite cela pour en revenir à ne vous parler
que de génocide. En plaidoirie, je vous ai dit : « Mais pourquoi,
pourquoi ne nous parle-t-on que de génocide ? ». Les questions qui
vont vous être soumises et dont nous avons un projet, vous montrent qu’à aucun
moment, quand on fait référence à la loi du 16 juillet 1993, on ne fait référence
aux crimes de génocide qui demandent une intention particulière. On vous fait
référence aux Conventions de Genève du 12 août 1949, relatives à la protection
des victimes des conflits armés et aux Protocoles additionnels qui visent les
conflits armés non internationaux, le Protocole n° 2 du 8 juin 1977. Toutes
les questions, les neuf questions en projet, concernant Monsieur HIGANIRO, concernent
des crimes de guerre.
Monsieur l’avocat général me dit : « Ben, voilà, c’est
faux de parler du statut de belligérant ». Mais je voudrais vous rappeler
deux choses. La première, c’est Monsieur le juge d’instruction qui est entendu
ici, le 18 mai. Il nous a dit qu’il était très prudent avec l’usage des mots,
qu’il ne parlerait pas de génocide. Et il vous a dit aussi : « Si
un assassinat unique est commis dans un autre contexte, et je crois pouvoir
sous-entendre autre contexte que le contexte de guerre, eh bien, votre cour,
vous n’êtes pas compétents ». C’est que donc la question a tout son intérêt.
Brièvement, ces Conventions de Genève et le Protocole n° 2, visent
des états de guerre, conflit international, conflit non international, la jurisprudence
dit que c’est au juge du fond à l’apprécier. Et vous apprécierez si, à partir
de 1990, il y a une guerre d’agression menée par un Etat étranger et puis, que
la situation se change, se modifie à partir d’une certaine date, en conflit
interne. Vous jugerez aussi, et c’est le professeur REYNTJENS qui le dit, le
soutient, qu’entre le 4 août 1993, date des accords de paix, et le 7 avril 1994,
il n’y a pas de guerre. Alors, que retenir dans la période infractionnelle ?
C’est peut-être une question qu’il y aura à poser. Mais toujours est-il, cette
question, elle a son importance. Savoir qui sont les civils, ce n’est pas difficile.
Tous les civils, ce sont tous ceux qui ne sont pas des belligérants, qui ne
participent pas à la guerre.
Qu’est-ce que ça veut dire, participer à la guerre ? Je suis
d’accord avec Monsieur l’avocat général. Il dit : « On peut être civil,
on peut être membre d’une force armée et participer à une guerre, mais en qualité
de civil, dans la mesure où un assassinat peut être commis dans un autre contexte
et entraîner votre absence de compétence ». Est-ce qu’il ne faut pas raisonnablement
penser qu’un belligérant doit se trouver dans un lien particulier avec la guerre
qui se déroule ? Est-ce qu’il suffit tout simplement de vous dire :
« Il y a état de guerre, il y a des victimes, on a des accusés et ils sont tous
participants à un effort de guerre » ? Je ne le crois pas.
Alors, concernant Monsieur HIGANIRO, est-ce qu’il suffit de dire,
certains témoins l’ont dit, « une osmose avec les miliciens » ?
Monsieur le témoin 28, un témoin, le 15 mai, est venu dire qu’il y avait des gardiens
à la villa, des gardiens privés ou des gardiens militaires. Est-ce que le fait
d’avoir des gardiens fait de vous quelqu’un participant à un effort de guerre ?
Je ne le crois pas. Le témoin le témoin 96, le 08 mai de cette année,
a dit : « Ce ne sont pas des gardes armés ». Monsieur Longin
le témoin 118, le 10 mai, il a parlé de Monsieur NKUYUBWATSI en disant : « Celui-ci
a parfois une arme, parfois un uniforme ». Est-ce que, parce qu’il est
l’employé de Monsieur HIGANIRO à la SORWAL ou plutôt, employé de la SORWAL,
que cela fait de Monsieur HIGANIRO un participant à l’effort de guerre pour
d’autres parties, pour d’autres témoins ? Il y avait des uniformes, tantôt
oui, tantôt non. Est-ce que l’effort de guerre qui est demandé légalement à
la SORWAL, l’effort de financement de la guerre, et on vous a parlé d’un chèque,
un chèque versé aux forces armées rwandaises, les forces de la République rwandaise
à l’époque, est-ce que participer à cela, est-ce un acte de guerre ? Est-ce
que diriger une société d’allumettes c’est la même chose que diriger une société
d’obus ou une société de produits chimiques qui produit des bombes tel qu’on
a pu trouver cela après la deuxième guerre mondiale ? Je ne le crois pas
non plus.
Alors, je ne sais pas sur quels éléments vous vous baserez pour faire
de Monsieur HIGANIRO ce civil participant à l’effort de guerre. Ah, bien sûr,
dans le courrier, on vous a dit que Monsieur HIGANIRO avait, en tout cas s’occupait,
c’est le point 6 ou 7, s’occupait de la défense de la République. Est-ce sur
une simple phrase comme celle-là, dont d’ailleurs le sens reste relativement
obscur, et en tout cas, soumis à interprétation, est-ce sur base d’une déclaration
comme celle-là que l’on va faire d’un civil quelqu’un qui participe à une activité
de guerre ? Je ne le pense pas non plus.
La théorie que je viens de vous exposer, c’est une théorie qui trouve
son appui dans la doctrine. La doctrine, eh bien, ce sont les ouvrages, mais
cette théorie, c’est aussi le bon sens. Quand, dans une loi, on fait une différence
entre des civils et des militaires et que l’on veut reprocher une responsabilité
personnelle, individuelle, en qualité de civil participant à une guerre ou dans
un contexte de guerre, il faut des éléments minimum pour dire que l’on a agi
dans ce sens-là. Eh bien, moi, jusqu’ici, je ne l’avais pas entendu. Je n’avais
entendu qu’une seule chose, et quand je vous avais posé la question : « Est-ce
pour vous émouvoir ? », eh bien, je crois en avoir la confirmation,
parce qu’en réplique, je n’ai rien entendu sur les crimes de guerre sauf les
deux allusions qui ont été faites par Maître GILLET.
Un dernier point pour aborder ça de façon plus globale. La question
des réfugiés, la question des exilés. Maître GILLET en plaidoirie, nous a parlé
des exilés de 1959. Ce sont ces exilés-là qui sont rentrés. Il y a 420 millions,
pour d’autres 600 millions de personnes migrantes dans le monde, de personnes
qui ont dû quitter leurs terres à un moment donné, pour une raison ou une autre.
Mais ce que je puis vous assurer, c’est que toutes ne reviennent pas par la
force, dans leur pays.
Le Président : Nous allons
peut-être faire une petite pause. Ensuite, Maître CUYKENS et Maître MONVILLE,
dans cet ordre-là ? Bien. Nous reprenons à 16h15.
[Suspension d’audience]
Le Président : L’audience
est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Maître
CUYKENS, vous avez la parole.
Me. CUYKENS : Je vous remercie,
Monsieur le président. Mesdames, Messieurs les juges, Madame le président du
jury, Mesdames et Messieurs les jurés, quelques mots en réplique, au sujet des
faits de Butare, au sujet des faits relatifs à la SORWAL, et pour ne pas revenir
sur les quelques notes d’humour de Monsieur l’avocat général, qui, certes, étaient
fort drôles, mais qui ne relevaient pas fondamentalement du fond de cette affaire.
Maître GILLET vous a dit : « Il faut comparer la gestion
de Monsieur HIGANIRO dans la SORWAL, entre 1992 et 1993 ». C’est ce que
j’ai fait, c’est ce que j’ai fait en plaidoirie. Je vous ai d’ailleurs dit que
vous pouviez vérifier ce que je vous disais dans les sous-fardes qui se trouvent
en plus des cartons, dans l’armoire qui se trouve là et qui seront tous mis
à votre disposition pendant votre délibéré. Je vous ai expliqué ce qu’il en
était de ces clients douteux. Je vous ai dit que pour la plupart d’entre eux,
on a arrêté de les livrer, plusieurs mois avant décembre 1993. Maître GILLET
vous a dit : « Il ne faut pas se fier aux procès-verbaux du conseil
d’administration, il faut voir ce qu’il en a été dans la réalité ». Et
je vous ai démontré, me semble-t-il, je vous ai démontré que dans la réalité,
les procès-verbaux du conseil d’administration étaient suivis d’effets. Je vous
l’ai démontré notamment, en faisant référence aux déclarations de Monsieur HIGANIRO
au tout début de ce procès, alors qu’il n’était pas encore question de ces points-là,
et par ailleurs, en faisant référence aux pièces qui ont été versées par Maître
GILLET dans le dossier.
Alors, Maître GILLET vous a dit : « La défense est fort
embarrassée par le témoignage de Monsieur GUICHAOUA, de Monsieur NSANZUWERA
et par le fax qui nous vient des Etats-Unis, relatif à quelqu’un qui dit qu’il
était procureur du Roi à Kigali. Est-ce que vous pensez véritablement que ces
témoignages m’ont gênée ? Est-ce que je n’ai pas pu, grâce aux documents
qui ont été versés au dossier, démontrer que ces témoignages ne reposaient sur
rien et qu’ils étaient contredits par des pièces du dossier que vous pourrez
vous-mêmes vérifier ? Alors, effectivement, il a dû y avoir des clients
de la SORWAL qui ont profité du système de la SORWAL pour s’enrichir. Mais pour
ce qui concerne ses clients Interahamwe, ils n’ont pas pu s’enrichir bien longtemps
parce que les livraisons avaient cessé plusieurs mois avant décembre 1993, et
je vous ai même démontré que sur cette liste, figure, pour l’un d’entre eux
en tout cas, une procédure lancée à son encontre, en récupération de créance.
Alors, on n’est pas beaucoup non plus revenu sur la question du personnel
de la SORWAL, sur la question de l’engagement d’Interahamwe, ou non. Maître
GILLET vous a dit : « Il reste SEBALINDA et son agenda ». Il
reste SEBALINDA qui était cotitulaire d’un compte de l’autodéfense civile. Eh
bien, moi, je vous dis, sans doute Monsieur SEBALINDA a-t-il eu une part quelconque
dans les événements de 1994, et, est-ce pour autant qu’il faut en tenir rigueur
à Monsieur HIGANIRO qui n’a pas été responsable de son engagement puisque Monsieur
SEBALINDA était un cadre ? Monsieur SEBALINDA était dans la SORWAL depuis
fort longtemps. Alors, est-ce pour autant qu’il faut en tenir Monsieur HIGANIRO
comme responsable ? Ca me semble être un pas de trop.
On vous a parlé longuement déjà de Monsieur NKUYUBWATSI Innocent.
Et Maître GILLET vous a dit : « Monsieur HIGANIRO a finalement reconnu
qu’il avait eu un entretien avec Monsieur NIZEYIMANA, le 6 avril ». Ce
n’est pas du tout ça. Monsieur HIGANIRO a reconnu avoir eu un entretien avec
Monsieur NIZEYIMANA, le 7 avril, parce qu’il voulait quitter Butare pour rejoindre
Kigali, pour rejoindre son épouse dont le père venait de décéder. Et là encore,
je vous ai dit, vous pouvez vérifier les déclarations de Monsieur NKUYUBWATSI.
Elles aussi, elles sont faciles à trouver puisqu’elles sont dans ces petites
sous-fardes, en plus du dossier.
Alors, on vous a dit, pour ce qui concerne la lettre du 23 mai 1994,
on vous a dit : « On conteste que travailler
et nettoyer puissent avoir un double sens ».
Non, je ne le conteste pas. Je ne le conteste pas, je vous demande simplement
de faire une analyse de ce texte et de voir quelle est la version qui tient
le plus la route. Si vous estimez que cette explication que je vous ai donnée
au sujet des guillemets et des astérisques est ridicule, eh bien, cherchez dans
votre délibéré, pourquoi il y a des guillemets non seulement à « travailler »
et à « nettoyage », mais également à « lettre-rapport »
parce que c’est ça finalement, la question.
Et je n’ai pas non plus contesté qu’il n’y avait pas beaucoup d’éléments
pour confirmer l’histoire de camion. Je vous ai dit, on aurait pu vérifier auprès
du prisonnier qui avait été réquisitionné : ça n’a pas pu être fait. On
a tenté du faire, mais ça n’a pas pu être fait. On n’a pas vérifié auprès
des chauffeurs de ce camion. Mais je vous ai dit : « Poursuivez le
travail plus loin ». Puisque pour la mention « travailler »,
nous avons eu la vérification que ce terme peut être effectivement compris dans
le sens du travail de représentant commercial, puisque nous avons les documents
au dossier, eh bien, il faut pousser cette réflexion-là jusqu’au bout, et jusque
effectivement au terme de « nettoyage » qui figure dans la même lettre.
Et je vous ai dit : « Tentez d’imaginer, tentez d’imaginer, au sujet
de cette lettre, que la version de l’accusation soit la bonne ». Parce
que c’est finalement ça qu’on vous dit. On vous dit : « Monsieur HIGANIRO,
il envoie une lettre par porteur, qui contient des instructions génocidaires ».
Et quelles instructions génocidaires ? Alors, ça ne me semble pas tenir
la route, ce genre d’accusation.
Alors, on vous a dit : « Monsieur HIGANIRO conteste…
[Interruption d’enregistrement]
…complice, pas nécessairement, pas obligatoirement. On vous a dit :
« Monsieur HIGANIRO est un homme d’affaires ». C’est exact, c’est
un homme d’affaires. Mais, est-ce pour autant que c’est le représentant ici,
de ce fameux troisième pilier, de ce fameux troisième pilier génocidaire ?
C’est aller trop vite encore. On vous a dit, et Monsieur HIGANIRO l’a dit dès
le début. Il a dit effectivement avoir profité de deux escortes, l’une pour
aller de Butare à Kigali, l’autre pour aller de Kigali à Gisenyi. Et il l’a
reconnu dès le début. Et il a donné le nom de Monsieur BAGOSORA, et il a donné
le nom de Monsieur SINDIKUBWABO. Mais est-ce que ça fait pour autant, de lui,
le complice de ces hommes-là ? C’est de nouveau aller un petit peu trop
vite.
Alors, un petit mot sur ces arguments de réplique qui sont beaucoup
revenus, où l’on vous disait que la défense de Monsieur HIGANIRO était négationniste,
ou est négationniste, ou révisionniste. Je pense que nous avons tous pris conscience,
nous avons tous envisagé, nous avons tous aperçu l’immensité de l’horreur des
événements de 1994 au Rwanda. Et quand je dis tous, c’est autant vous, autant
les avocats des parties civiles que les avocats de la défense. Ca me semble
très clair. Et ce qui est pire encore que toutes les horreurs que nous avons
vues, c’est qu’il faut rajouter de l’horreur à ces horreurs-là, parce que, ce
que nous avons vu n’est pas la totalité de l’horreur, ce n’est qu’une partie.
Et c’est évident, c’est évident.
Mais lorsque Maître GILLET vous dit : « Il y a tellement
de coupables, croyez-vous que nous aurions besoin d’aller chercher un innocent ? »,
je vous dis que c’est finalement une bonne chose, et je pense qu’on est tous
d’accord, qu’il y ait eu des conventions internationales, qu’il y ait eu des
lois pour réprimer ces faits, que ce soient des lois de crimes contre l’humanité,
que ce soient des lois de crimes de guerre, que ce soient des lois de crimes
de génocide, mais ces lois-là n’ont pas pour autant supprimé d’autres lois,
comme les lois qui vous expliquent comment fonctionne un procès, comme les lois
qui vous expliquent que des avocats de la défense doivent effectivement interroger
des témoins, comme des lois qui vous expliquent comment porter une accusation,
comment s’en défendre. Et ces lois vous expliquent aussi que vous avez prêté
un serment, que vous devez le respecter et que vous devez répondre à des questions.
Et donc, même ces lois qui sanctionnent des faits gravissimes, qui sanctionnent
les horreurs les plus immenses, même ces lois-là, continuent de dire :
« Il faut poser la question aux jurés, il faut poser des questions aux
jurés ». Alors qu’on ne vienne pas vous dire : « Il n’y a pas
de questions à se poser dans ce dossier ».
Je vous remercie de votre attention.
Le Président : Merci, Maître
CUYKENS. Maître MONVILLE ? Vous avez la parole.
Me. MONVILLE : Je vous remercie,
Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les juges,
Mesdames, Messieurs les jurés, le temps est compté et j’irai à l’essentiel,
je me limiterai à répliquer sur deux points. Le premier concerne Kigufi, et
le second concerne le problème du lien de causalité entre les reproches formulés
à l’encontre de Monsieur HIGANIRO et les conséquences et les faits qui en auraient
découlé.
Premièrement, Kigufi. Alors, Kigufi, je me permets de revenir sur
ce qu’a plaidé Maître LARDINOIS ce matin. Il a terminé très joliment son exposé
en vous disant : « C’est la parole de la souffrance contre celle d’un cacique,
quoique, en tout cas, c’est la parole de l’un contre la parole de l’autre ».
C’est à la fois vrai et c’est à la fois inexact. Mais avant de vous dire pourquoi,
j’estime qu’un tel énoncé est ambigu, je voudrais dissiper un malentendu.
La défense de Monsieur HIGANIRO, et ça a été plaidé par d’autres
confrères pour d’autres accusés, a le respect le plus entier pour la douleur,
pour la souffrance, pour la dignité même, exprimées par le jeune Olivier. Ca,
c’est une chose. Mais malheureusement, si nous nous arrêtons à ce constat, alors
il n’y a pas de procès possible. Si on dit : « La souffrance est légitime,
mais sa légitimité est telle qu’elle ne peut amener le débat », eh bien,
à ce moment-là, il y a blocage, c’est difficile de rendre la justice dans de
telles conditions. Et je voudrais simplement revenir sur ce qu’avait dit Monsieur
l’avocat général dans son réquisitoire. Il nous avait dit : « Olivier
le témoin 123, on n’y touche pas ». Mais il a quand même dû reconnaître en
fin de réquisitoire, qu’il n’avait pas la certitude absolue qu’un ordre avait
été donné par Monsieur HIGANIRO, d’exécuter la famille d’Olivier. Et j’ajouterai
que, pour en revenir à ce que disait Maître LARDINOIS, ce n’est finalement pas
- il ne faut pas voir comme ça - la déclaration d’Olivier contre celle de Monsieur
HIGANIRO, eh bien, il y avait deux personnes, témoins directs, qui auraient
pu vous éclairer utilement, ce sont les domestiques de Monsieur HIGANIRO. La
scène impliquait quatre personnes. Et vous vous souviendrez que nous avions
demandé à ce que ces personnes soient entendues par la Cour, bien avant le début
du procès, et vous vous souviendrez également de la suite qui a été réservée
à cette demande par les autorités rwandaises. Malheureusement, on n’a pas permis
à ces personnes de venir s’expliquer devant vous.
Deuxième point : Le lien direct, le lien de causalité, et je
vais vous demander toute votre attention parce que, qu’est-ce qu’on dit, qu’est-ce
qu’on reproche à Monsieur HIGANIRO dans ce procès ? Le reproche est diffus,
très difficile à cerner pour tout le monde, mais à l’épure, on le poursuit comme
planificateur, comme ordonnateur des massacres au Rwanda, ce qui est une accusation
terrible, c’est la pire de toutes. Et on attribue, tant à ses écrits que de
manière générique - je vais appeler ça, sa gestion de la SORWAL - des conséquences,
et le mot a été prononcé à l’audience, « apocalyptiques ».
Alors, ne croyez pas que le droit pénal est indifférent à ces notions
de causalité, de lien direct. Et je voudrais simplement vous lire l’en-tête
d’un article qui a été rédigé récemment par Monsieur Jean DEKOT, qui laissera
de mauvais souvenirs à d’aucuns, ici, dans cette salle d’audience, mais ce n’est
pas ça mon propos, conseiller à la Cour de cassation, et qui a rédigé un article
très récemment sur l’appréciation de la causalité dans le jugement des actions
publiques et civiles. Et il commence par une citation de Benjamin FRANKLIN :
« Les petites causes ont parfois de grands effets. L’absence d’un clou
perdit le fer à cheval, et le fer à cheval, la monture, et la monture, le cavalier ».
Et de poursuivre l’histoire en disant que ce cavalier est attendu par Napoléon
pour un message ultrasecret, il était à la bataille de Waterloo, et que finalement
le message ne lui arrivant pas. C’était à cause du clou qui avait été mal fixé
par le maréchal-ferrant que Napoléon avait perdu la bataille de Waterloo.
Donc, causalité, c’est quelque chose qu’on connaît bien, qu’on doit
essayer de bien apprécier en droit pénal et je vais vous en donner deux exemples
avant d’entrer dans le concret du dossier. On vous dit, en ce qui concerne la
participation, donc quelqu’un qui participe à un crime ou un délit, mais que
tout acte de participation indispensable, voire seulement utile, permet de retenir
la responsabilité d’un auteur. Acte pas seulement indispensable, mais utile.
Et c’est la même chose, et vous vous souviendrez de ce que je vous avais exposé
la semaine dernière, en ce qui concerne la provocation à commettre un crime,
on reviendra sur la notion de « suivi d’effets ou non », mais cette provocation
exige un lien direct entre la provocation et le résultat.
Alors, on va rentrer très concrètement dans ce qui va être votre
mission. En ce qui concerne Monsieur HIGANIRO, vous avez dix questions auxquelles
vous allez devoir répondre. Et la manière dont votre mission va devoir être
abordée, je vais me permettre de la résumer comme suit, en séparant trois catégories :
les écrits de Monsieur HIGANIRO, la SORWAL et Monsieur NKUYUBWATSI. Ce n’est
pas que moi, j’estime que c’est comme ça que vous devez répartir les différentes
questions : ça ressort du texte que nous avons reçu.
Alors, les écrits de Monsieur HIGANIRO : c’est la question 10.
Je la résume. On vous dit : « Est-ce que Monsieur HIGANIRO, par ses
écrits - on sait qu’il y en a trois - a causé la mort de Monsieur KARENZI ? ».
Question 11 : La mort de son épouse ? Question 12 : La mort des
enfants ? Et questions 13 et 14 : « Ses écrits ont-ils causé
la mort d’un nombre indéterminé de personnes ? » et question 14 :
« Est-ce que ses écrits sont assimilables à des tentatives ou ont justifié
des tentatives d’homicide restées à déterminer ? ».
Deux questions par rapport à ses écrits. Un : quelle est la
diffusion de ses écrits ? Et deux, fondamentale : quel est le lien
entre ses écrits et les faits dont je viens de parler ? Vous vous
souviendrez que tout ce qui concerne KARENZI, dans la bouche de tous nos contradicteurs,
que ce soit la partie poursuivante ou les parties civiles, on n’est jamais venu
vous dire : « Monsieur HIGANIRO, il y a quoi que ce soit à voir ».
Les questions auxquelles vous allez devoir répondre sont celles-là.
Diffusion de ses écrits, première question. Lien avec les faits,
deuxième question. La diffusion. Les deux rapports de la petite Commission,
etc. Ah, on n’a pas grand-chose au dossier, Mesdames et Messieurs les jurés,
on n’a même rien du tout. Ses écrits, pour rappel, où les retrouve-t-on ?
Chez Monsieur HIGANIRO, tout court. La lettre du 23 mai, pour moi, c’est plutôt
un ordre, mais soit, quelle est sa diffusion ? Elle est adressée nommément
à Monsieur le témoin 21, Monsieur le témoin 21 qui a confirmé ne l’avoir montrée à personne,
Monsieur le témoin 40 vous précisant que lui-même ne l’avait pas vue au moment des
faits. Donc, diffusion, elle est extrêmement restreinte, voire inexistante.
Deuxième question : « Quel est le lien entre ces écrits
et les faits ? ». La question est donc la suivante : « Est-ce
que les deux rapports du petit Comité ont causé la mort de Monsieur KARENZI,
de sa femme et de ses enfants et d’un nombre indéterminé de personnes ? ».
Je n’ai rien vu dans le dossier, je n’ai rien entendu à ce sujet. Et, même question
pour la lettre du 23 mai, et vous allez voir, Monsieur l’avocat général,
ne vous en déplaise, qu’on va un peu revenir à des choses surréalistes. Lettre
du 23 mai. Est-il possible que cette lettre ait eu un effet quant à l’assassinat
de personnes, le 21 avril 1994 ? Les KARENZI, c’est à ce moment-là qu’ils
sont tués. Les enfants, c’est quelques jours plus tard, en avril. Donc, impossibilité
que cette lettre du 23 mai ait pu avoir un quelconque effet par rapport à des
faits antérieurs d’un mois.
Et je voudrais aller plus loin concernant cette lettre du 23 mai.
Pourquoi ? Vous vous souviendrez que les massacres ont connu deux phases.
Une phase que j’appellerais « de folies meurtrières » : c’est
le début, où tout le monde tue son voisin, son ami, il n’y a plus aucune norme.
Mais nous avons aussi entendu des personnes qui sont venues nous dire :
« Oui, mais à partir de la fin avril, début mai, les autorités rwandaises
se sont faites plus prudentes, et on a donné des ordres qu’il ne fallait plus
massacrer à visière découverte et qu’il fallait réserver cette triste besogne
à des militaires ». Et je me souviens même, je n’ai plus le nom du témoin,
vous m’excuserez, mais en une heure de temps, se souvenir de dizaines d’heures
d’audience et de centaines de PV, ce n’est pas évident mais je me souviens que
des témoins sont venus nous dire qu’on préférait à ce moment-là, tuer à l’écart
des regards indiscrets, sur les collines, dans les sous-bois.
Alors, quel est l’effet, quel est le lien - et c’est vous qui allez
devoir répondre à cette question - qu’on peut établir entre une lettre du 23
mai 1994, 23 mai 1994, on dit qu’à Butare c’est le 27-28 mai, date à laquelle
les massacres prendraient fin -, quel est le lien qu’on peut établir entre cette
lettre et les massacres ? Est-ce que, nécessairement, on parlait de massacres
encore à ce moment-là ? Est-ce que nécessairement c’était à la SORWAL que
les choses devaient se passer, et avec une contradiction supplémentaire, c’est
que, mais cette lettre, par qui est-ce qu’elle a été lue, par qui est-ce qu’elle
a été exécutée ? Par des personnes qui sont venues ici, et tout le monde
trouve ça normal.
Ecrits de Monsieur HIGANIRO : lien avec les faits, diffusion
de ses écrits. Il y a une dernière question sur les écrits, c’est la question
29. Qu’est-ce qu’on vous demande à la question 29 ? On vous dit :
« Mais est-ce que ces écrits de Monsieur HIGANIRO n’ont-ils pas été non
suivis d’effet ? ». Ah, ça, c’est tout autre chose, ça, c’est tout
autre chose ! Ca veut donc dire qu’on vous demande, in
abstracto, d’examiner si ces écrits-là, les trois que je viens de rappeler,
étaient des actes qui nécessairement devaient provoquer le génocide. Nous avons
dit, nous avons essayé de vous expliquer le contexte dans lequel ces écrits
ont été tracés. Je crois que pour arriver à franchir ce pas, vous devrez longtemps
réfléchir, et en tout cas, je vous invite à ne pas le franchir. Ca, c’est les
écrits.
Deuxième partie de l’exposé concernant les faits, la causalité :
c’est la SORWAL. Alors, la SORWAL, c’est un peu le ventre mou du dossier dans
lequel les parties civiles se complaisent parce que c’est une situation confortable.
Il y a des choses inquiétantes, des choses qu’on n’arrive pas à tirer au clair
malgré les demandes répétées de Monsieur HIGANIRO depuis 1995, mais c’est un
tout mouvant : il y a les milices, il y a le financement. Et là, la thèse,
c’est de vous dire quoi ? Mais, Monsieur HIGANIRO qui était le petit soldat
de Monsieur NZIRORERA, nommé en février 1992, il a préparé le terrain à Butare.
C’était une région qui n’était pas conquise d’avance, on a envoyé un poids lourd
- excusez-moi le terme - pour aller mettre notamment une milice en place, tout
prévoir pour le jour où.
Mais le problème, Mesdames et Messieurs les jurés, c’est que ça n’a
pas fonctionné, ça n’a pas fonctionné. A Butare, aucun massacre avant le 19
avril 1994. Et vous vous souviendrez que ce n’est pas à l’intervention de Monsieur
HIGANIRO que le 19 avril les choses ont changé. Il n’a ni pris la parole, ni
été le témoin d’un certain discours dans l’ombre : personne ne l’a vu,
Monsieur HIGANIRO n’était pas là. Et surtout - ça c’est quand même une contradiction
à laquelle vous allez devoir vous attacher mais, si Monsieur HIGANIRO, depuis
février 1992, il recrute à tour de bras, des Interahamwe, il les forme, il les
entraîne, il fait en sorte qu’ils soient armés, qu’ils soient prêts pour le
grand jour avec donc des troupes qui connaissent le terrain - ce qui peut être
un atout, hein, vous avez vu qu’on ne retrouve pas facilement une maison dans
toutes ces collines - Pourquoi ? Pourquoi a-t-on dû faire venir le même
19 avril, deux avions remplis de membres de la garde présidentielle ? Est-ce
qu’on n’avait pas déjà sous la main, est-ce que Monsieur HIGANIRO n’aurait pas
pu dire : « Mais non, ne faites pas ça, moi, j’ai mes Interahamwe,
ils sont là ».
Et ça, ce sont des choses, ce sont des contradictions qui sont fondamentales
et qui montrent, si besoin en était, que ce problème de relier ce qu’on impute
à Monsieur HIGANIRO, au résultat final, ce problème-là a été totalement escamoté.
Troisième point sur la causalité et j’en aurai terminé, c’est Monsieur
NKUYUBWATSI. Monsieur NKUYUBWATSI, les questions qui vous seront posées à son
sujet, ce sont les questions 15 et 16. Et qu’est-ce qu’on reproche à Monsieur
HIGANIRO ? Ben, c’est d’avoir, par un des modes de commission prévus par
loi, contribuer à ce que le jeune homme et la jeune fille décèdent. Ca, c’est
Monsieur NKUYUBWATSI. Alors, l’idée-là, elle est à nouveau très simple :
Monsieur HIGANIRO, c’est le patron de NKUYUBWATSI. On l’a dit, on l’a répété,
c’est lui qui l’a engagé, on lui a donné des promotions et tout ce qui s’ensuit.
Donc, dans la société rwandaise très hiérarchisée, Monsieur NKUYUBWATSI est
nécessairement l’obligé de Monsieur HIGANIRO, et s’il tue, c’est donc qu’il
le fait notamment sur ordre de Monsieur HIGANIRO. Une observation : mais,
Monsieur NKUYUBWATSI, est-ce qu’il avait vraiment besoin de Monsieur HIGANIRO
pour faire quoi que ce soit s’il l’a fait ? N’était-il pas suffisamment
bien entouré ? D’une part, par Monsieur NIZEYIMANA, voire Monsieur NTEZIMANA
chez qui il logeait. Que vient faire Monsieur HIGANIRO là-dedans, je vous pose
la question, et la réponse, à mon sens, elle est évidente : Monsieur HIGANIRO
n’a rien à voir.
Vers quoi va-t-on, Mesdames et Messieurs les jurés, vers quoi va-t-on ?
Si Monsieur NTEZIMANA n’a pas pu empêcher Monsieur NKUYUBWATSI d’agir - la question
vous sera posée, la question vous est posée - mais est-ce que Monsieur HIGANIRO
pourrait lui alors être condamné, alors qu’il n’avait aucune prise sur l’événement ?
Il ne faudrait pas qu’on en arrive à des choses absurdes avec votre verdict.
Deuxième observation dans le même sens : vers quoi va-t-on,
Mesdames et Messieurs les jurés ? Si Monsieur NTEZIMANA est acquitté pour
le meurtre de la famille KARENZI, est-ce que Monsieur HIGANIRO pourrait, lui,
être tenu responsable de ces mêmes faits ? Voilà les choses auxquelles
vous devez faire attention. Voilà les incohérences auxquelles je vous demande
d’être attentifs.
Alors, la conclusion, elle est la suivante. La question de la causalité
est une question qui est délicate, et ce qui m’a amené à réagir comme suit,
c’est la plaidoirie de Maître GILLET, c’est en fait le seul qui a un peu accepté
de rentrer dans le vif du sujet en ce qui concerne Monsieur HIGANIRO. Monsieur
l’avocat général, il est resté avec ses grandes idées, il a un peu mis ses gants
blancs, il vous a dit : « Moi, je vous sers un réquisitoire, tout
est clair, tout est cohérent, ne critiquez rien, ne dites rien de travers, n’allez
pas offenser les témoins des victimes ». Mais GILLET, il a raison de dire
que, je crois qu’il cherche la vérité, peut-être qu’il va un peu trop loin -
je vous l’ai dit l’autre jour - mais lui, il a parlé de cette question de causalité.
Et en parlant de cette causalité, j’ai l’impression un peu d’être confronté
à quelqu’un qui acceptait de jouer le rôle de Sisyphe. Pour lui, la causalité,
il peut pousser son rocher, arriver au sommet de la colline, redescendre, monter
et redescendre, c’est une causalité sans fin. C’est une causalité sans fin :
on peut remonter indéfiniment, on trouvera toujours que ce qu’a fait Monsieur
HIGANIRO est en relation causale avec les conséquences, avec le résultat.
Alors, moi, je crois que c’est quelque chose qui est extrêmement
délicat, extrêmement pernicieux de vous soumettre un tel raisonnement. Et ce
n’est pas comme ça que vous devez accomplir votre mission. Et je vous quitterai
en vous demandant - et on l’avait déjà fait jeudi dernier et c’est fondamental
- en vous demandant de reprendre à votre compte la méthode que Madame DESFORGES
vous a exposée. Elle a parlé au conditionnel de tous les faits mis à charge
de Monsieur HIGANIRO. Elle vous a dit : « Il faut recouper l’écrit
et l’oral et si moi, a-t-elle dit, je n’ai pas la certitude que l’un et l’autre
se recoupent, alors j’en reste au conditionnel ».
Et, en ce qui vous concerne, Mesdames, Messieurs les jurés, le conditionnel
serait signe d’acquittement. J’ai dit et je vous remercie.
Le Président : Merci, Maître
MONVILLE. |
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