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Débats Répliques défense compte rendu intégral du procès
Procès > Débats > Répliques défense > Défense J. Mukabutera
1. Défense V. Ntezimana 2. Défense A. Higaniro 3. Défense C. Mukangango 4. Défense J. Mukabutera
 

9.7.4. Répliques de la défense: Défense de Julienne MUKABUTERA

Le Président : Maître WAHIS ou Maître VANDERBECK ? Vous avez la parole.

Me. WAHIS : Je vous remercie, Monsieur le président. Madame, Monsieur les juges, Mesdames et Messieurs les jurés. Monsieur l’avocat général, dans son réquisitoire, vous avait déjà mis en garde. Les avocats de la défense sont d’habiles techniciens. Ils vont essayer de trouver dans ce dossier quelques contradictions sur des points de détail, et vont essayer d’en tirer arguments. Et dans les répliques de Monsieur l’avocat général, là, nous sommes carrément devenus de dangereux psychopathes. Nous voyons des complots : complots des enquêteurs, entre le juge d’instruction, African Rights, Monsieur TREMBLAY, nous aurions vu un complot simplement parce qu’on ose s’étonner que parmi toutes les rescapées de Sovu, ces trois enquêteurs n’aient trouvé que huit femmes, et par hasard les huit mêmes femmes, alors que le dossier rwandais d’Emmanuel REKERAHO révèle expressément qu’il y a d’autres témoins des massacres de Sovu.

Rappelez-vous Agnès UWIRINGIYE, rescapée de Sovu, qui n’accuse pas les sœurs. Les sœurs, d’après elle, n’ont aucun rôle dans les massacres de Sovu. Alors, on a osé poser cette question, on a osé s’étonner que d’autres témoins importants n’aient pas été entendus, mais même pas été recherchés. Sœur Bénédicte, les membres rwandais de l’ONG américaine : pas recherchés. On n’a rien fait, on ose s’en étonner. Avez-vous entendu un seul mot de Monsieur l’avocat général quant à ces témoins manquants ? Rien. Et nous, nous, ah, nous, nous devenons psycho-patho-complot. Dans notre grande schizophrénie, nous avons, nous aurions décelé encore un autre complot, les témoignages des femmes de Sovu. Nous avons osé analyser le dossier. Nous avons osé mettre en évidence les contradictions, les impossibilités, les incohérences des versions de chacune, de chacun de ces témoins. Nous avons osé montré en plus qu’il y avait une contre-vérité collective, que ces incohérences et ces erreurs grossières devenaient un mensonge collectif. On se trompe sur les personnes, on se trompe sur les dates, on voit Kizito le 23, quand ça ne va plus c’est le 22. On a osé faire ça. Et Monsieur l’avocat général, est-ce qu’il a pris la même peine que nous ? Est-ce qu’il a essayé de vous montrer en quoi ces témoignages pleins de contradictions, en quoi ils pourraient constituer des preuves de culpabilité ? Pas un mot sur les éléments précis du dossier. Rien. Aucune analyse. Monsieur l’avocat général, il fuit le dossier et on peut le comprendre. Ce n’est évidemment pas facile d’essayer de justifier la crédibilité de semblables témoignages.

Alors, il va s’abriter, il va se cacher derrière des formules toutes faites, et certaines laissent vraiment rêveur. Les inexactitudes authentifient les témoignages. Autrement dit, un témoignage qui ne comprendrait pas de grosses contradictions, d’incohérences, d’impossibilités et d’erreurs grossières, ça ce n’est pas un témoignage fiable, il est juste bon pour la poubelle. Et à suivre son raisonnement, au plus dans un témoignage vous rencontrerez d’inexactitudes, de contradictions, d’incohérences, d’erreurs, alors là, vous aurez un témoignage d’autant plus vrai, d’autant plus crédible. Evidemment, si c’est le nombre de contradictions et d’erreurs qui rend un témoignage crédible, alors le dossier que vous soumet Monsieur l’avocat général commencerait à devenir un tout petit peu meilleur. En moyenne, quatre à cinq auditions incohérentes chez les femmes de Sovu, dix versions chez REKERAHO truffées de mensonges grossiers : ça c’est du costaud, ça c’est du crédible !

Les témoins seraient gênants pour la défense ? Mais ces témoins, nous les avons côtoyés tout au long de nos plaidoiries. Nous avons analysé tous ces témoignages. Nous n’avons pas reculé devant cet effort, nous. Mais, est-ce que ce ne serait pas plutôt le contraire ? Est-ce que ces témoins-là, ils ne gênent pas Monsieur l’avocat général ? Parce qu’il sera incapable de vous montrer la crédibilité de ces témoignages. Alors, c’est lui qui est gêné. Alors, sa tactique, c’est quoi ? Courage, fuyons le dossier ! Et il va se contenter de quelques lieux communs. Pensez-vous que tout le monde ment sauf les accusés ? La défense dit que le procès est truqué, alors que nous avons simplement souligné les contradictions de ses témoignages.

Les parties civiles, elles vont sauter dans le même train. Elles confondent gravement tactique de défense et principes élémentaires d’un procès pénal. C’est à l’accusation qu’il revient de prouver la culpabilité, de vous soumettre des preuves de culpabilité. Alors, quand on ose analyser les témoignages, quand on ose mettre en doute la crédibilité des témoignages, alors, selon les parties civiles, on s’enferre dans un système de défense absurde qui consisterait à tout contester envers et contre les éléments du dossier. On nie l’évidence. On fait du brouillard, alors que nous avons justement essayé de faire la lumière sur ce dossier. Est-ce que c’est de notre faute si les versions des femmes de Sovu sont incohérentes, si elles sont bourrées de contradictions, d’impossibilités ?

C’est une partie civile qui en est venue aussi à dire que, oui, c’est vrai, il y a de la concertation entre les femmes de Sovu, mais c’est de la concertation uniquement sur des points de détail. Ah ! Qui fait quoi ? Quand ? Ca, ce sont des points de détail ? Qui amène de l’essence ? Quand ? On voit telle sœur tel jour et puis c’est faux. Ah, non, c’est la veille. Ce sont des points de détail. C’est l’essentiel d’un témoignage d’accusation : Qui fait quoi ? Quand ? Alors, il est clair qu’on est mal, on est très mal du côté de l’avocat général et des parties civiles avec un tel dossier, avec des témoignages aussi faibles, aussi contradictoires, aussi dénués de crédibilité. Alors, qu’est-ce qu’on fait ? On va tenter à ce moment-là de faire peser sur vos épaules le poids du génocide, le poids de la douleur, de la souffrance de toutes les victimes du génocide. On vous en a parlé, on vous a raconté les rêves des survivantes du génocide. On a terminé l’intervention des parties civiles par la lecture du sort horrible réservé à une jeune femme pendant le génocide. Mais qu’est-ce que ça veut dire ? C’est faire peser sur vous toute l’horreur du génocide, c’est de faire de vous les juges de cette horreur. Qui ne condamnerait pas dans des conditions pareilles ?

Il faut être ferme et catégorique. Le poids de toute la souffrance des victimes, souffrance réelle et éminemment respectable, tout ce poids-là ne peut pas et ne pourra jamais guider votre verdict. Je vous le rappelle et même je le martèle : compatir n’est pas juger. Alors, je vous souhaite, quant à moi, d’être des juges indépendants d’esprit, libres d’esprit, pleins de bon sens et d’esprit critique par rapport à ce dossier, et rien que ce dossier. Et à ce prix-là, vous jugerez en toute sérénité.

Le Président : Merci, Maître WAHIS. Maître VANDERBECK ?

Me. VANDERBECK : Je vous remercie, Monsieur le président.

Le Président : Vous avez la parole.

Me. VANDERBECK : Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les juges, Mesdames, Messieurs les jurés, je vous l’avais dit. Je vous l’avais dit en plaidant, que l’accusation, sentant la faiblesse de son dossier, allait faire de Kizito un diable, une Interahamwe. C’est exactement ce qu’ils ont fait en répliques.

On ne revient plus bien sûr sur le 22, évacué. On ne revient plus sur Kizito qui conduit le minibus sur les cadavres. On ne revient plus sur Kizito qui se balade la liste à la main entre les corps le 23 avril. On ne revient plus sur Kizito qui va dans les chambres le 06 mai avec le policier chercher les familles des sœurs.

On va vous reparler des trois choses, des trois chevaux de bataille de l’accusation. REKERAHO, le témoin central. Les réunions - et je vous ai expliqué pourquoi il fallait ces réunions. Kizito Interahamwe ! Les réunions ! Le premier à en avoir reparlé, c’est Monsieur l’avocat général. Il vous a dit : « C’est confirmé. La femme de Gaspard vous confirme l’existence de ces réunions ». Mais, Monsieur l’avocat général, je vous l’avais dit également. C’est comme dans vos références au folklore belge, BEULEMANS et COPPENOLLE. C’est soit Mademoiselle BEULEMANS, soit BOSSEMAN et COPPENOLLE. Ici aussi, Gaspard, il n’a pas de femme. Il n’a pas de femme, Gaspard ! On ne va pas l’inventer. Ah, il y a une femme, oui, qui a été entendue, mais c’est la femme du bourgmestre, ce n’est pas du tout la même chose. Et elle ne confirme pas les réunions, elle, jamais. Elle nous dira qu’elle n’a vu Kizito qu’une seule fois, le 6 mai, pour apporter les motos. Je vous l’ai expliqué en long et en large.

Le deuxième à être revenu avec les réunions, c’est Maître BEAUTHIER : « C’est encore plus grave » dit-il. « Pas de réunion le 22, non, mais après, bien après, alors qu’on sait qu’on a affaire à des criminels qui ont les mains pleines de sang ». Et Maître BEAUTHIER de reciter une deuxième fois et de retomber dans la même erreur : Immaculée. Immaculée qui était chez Gaspard. On lui a déjà dit à Maître BEAUTHIER : elle n’était pas là au moment des réunions. Il emploie ça pour dire qu’il y avait des réunions après. Mais qu’est-ce qu’elle dit Immaculée ? Je l’avais dit aussi en plaidant. Elle dit qu’elle n’a vu qu’une seule fois Gertrude. Elle dit qu’il y a eu des réunions, mais qu’elle ne voyait pas les gens qui assistaient aux réunions. Relisez sa déclaration. Et la seule personne qu’elle ait jamais vue, c’est une fois Gertrude qui est venue un dimanche et ce n’était pas à l’occasion d’une réunion.

Et quand j’ai posé la question de savoir : « Est-ce que Gertrude était toute seule ou est-ce que son ombre, son alter ego, son petit chien de garde Kizito la suivait comme d’habitude ? ». Kizito ? Non, pas vu, elle n’était pas là. Alors, joker ! Maître BEAUTHIER sort son joker. Il sort un nouveau témoin, témoin dont il n’a jamais parlé avant - c’est dire l’importance de ce témoin : quand on a un témoin vedette, on en parle dès le départ, on n’attend pas les répliques. Et Maître BEAUTHIER de vous citer KAGINA Théoneste, ouvrier du couvent. On vous avait parlé d’un ouvrier, Cassien, pas KAGINA Théoneste. « Et que voit-il ? » dit Maître BEAUTHIER. Il voit, il nous le dit, que souvent REKERAHO vient passer le temps de midi casser la croûte au couvent et qu’il a des grandes conversations avec Gaspard, Kizito et Gertrude. Il aimait venir s’entretenir avec les religieuses, surtout Kizito et Gertrude. Mais c’est contredit par tout, par tout le dossier, cette histoire-là, Maître BEAUTHIER, vous le savez. Il ne s’entretenait pas avec les religieuses, il n’y en a aucune qui a confirmé ça. Il n’y en a aucune qui a confirmé qu’elle avait des entretiens avec REKERAHO. Alors, pourquoi venir avec cette déclaration maintenant ? Toutes les religieuses, y compris la cliente de Maître BEAUTHIER, Marie-Bernard, a dit qu’elle n’avait jamais eu un entretien avec Kizito, euh, avec REKERAHO, pardon. Avec Kizito, je pense qu’elle en a eu.

Deuxième point : Kizito Interahamwe, ça : « C’est le monument ! », comme dirait Maître VERGAUWEN. Et Monsieur l’avocat général de reprendre le bel exemple de Maître BEAUTHIER, celui qu’il avait sorti en plaidoirie : Kizito qui était Interahamwe depuis 1991. J’ai cherché, j’ai cherché pour retrouver ce témoignage, parce qu’évidemment, pour ce témoignage-là, on n’avait pas donné les sources, hein, on n’a pas dit : « Carton 2, pièce 5, sous-farde untel ». Il a fallu le temps pour que je trouve. Et puis, j’ai pensé : « Mais d’où peut venir un témoignage pareil ? ». Eh bien, je vous le donne en mille. D’où vient-il ? Le rapport d’African Rights. Et ça vaut le coup, hein, ça, il faut y aller, ça vaut le coup. Je vous conseille d’ailleurs dans votre délibéré, si vous avez un peu de temps, de lire deux ou trois pages d’African Rights, comme ça au hasard, c’est toujours le même genre. On vous avait dit : « C’était des copier-coller, on prend des petits morceaux de témoignages, puis on fait un commentaire entre les deux ».

On tombe dans toute sa splendeur dans cet exemple que Maître WAHIS vous avait énoncé en plaidoirie. Il faut lire, il faut lire. Ca s’intitule - c’est dans le deuxième rapport « Entraves à la justice », un rapport de février 2000 - et c’est dans un chapitre qui s’intitule « Acquise à la cause du génocide ». Tout un programme. Il y a 15 pages abondantes. Il y a encore plein d’autres témoins : on aurait pu en citer dix, il y en a au moins une dizaine qui viennent de parler de Kizito Interahamwe. « Ce n’est qu’en 1994 que sœur Kizito commença à entretenir des rapports étroits avec les miliciens. Elle manifesta ses préjugés et ses liens avec les hommes ayant des penchants pour la violence au début de 1991, alors qu’elle vivait dans le foyer des bénédictins à Kigufi près de Gisenyi. Les anciens employés bénédictins qui vivaient à Kigufi à l’époque, Hutu aussi bien que Tutsi, avaient du mal à comprendre le comportement de Kizito. Théodore NGORORABANGA ­ c’est lui - dit qu’il tenta de raisonner Kizito mais en vain ». Tout ce que je viens de vous lire, c’est le petit commentaire d’African Rights entre les passages de ce qu’ils ont dit. Et puis maintenant, on arrive à ce qu’il dit : « Toutes les sœurs étaient ensemble : le témoin 115, Agnès, Annonciata et Kizito. Quand les miliciens sont arrivés au portail, les sœurs ont tremblé. Elles ont fui dans leurs chambres. Mais, curieusement, sœur Kizito est allée rejoindre les miliciens au portail. Je suis allé l’avertir des risques auxquels elle s’exposait. Elle ne m’écoutait pas. Au contraire, elle riait, se moquait de moi, me montrant à quel point elle n’avait pas peur de ce qui pouvait arriver. On ne pouvait ne pas voir qu’elle partageait des secrets avec les miliciens. Ignorant ce que je lui avais dit, Kizito est allée s’entretenir avec les miliciens pendant une bonne vingtaine de minutes ».

Le mieux reste à venir, vous allez voir. « On voyait très bien qu’elle était à l’aise avec eux. Après leur causerie, ils lui ont donné une massue et ils sont partis. Je ne sais pas ce qu’ils se sont dits. Quand elle est revenue, elle avait la massue à la main. J’étais devant la porte du couvent, je voyais les miliciens prendre le chemin de santé où l’assistant médical était Tutsi - ça doit être cet assistant médical dont on a parlé dans le dossier de Monsieur HIGANIRO. Kizito est arrivée avec la massue à la main. Elle nous a trouvés non loin de la cuisine. Kizito frappait le ciment du pavement à côté de nous en disant - avec sa massue, hein - : « Aujourd’hui, on va les exterminer. On ne parlera plus d’eux. Où sont-ils cachés, ces Inyenzi ? Qu’ils sortent de leurs cachettes. Qu’ils manifestent en public qu’ils sont Tutsi »». Manifestement, elle n’avait pas le même flair qu’en 1994 pour les débusquer dans les buissons puisque là, elle devait crier : « Où sont-ils, je ne les vois pas ? ».

Et on continue : « Elle avait tout son moral, pleine de courage et d’énergie quand elle parlait de la sorte en tapant sur le ciment avec sa massue. On aurait dit un homme ». Là, c’est peut-être ça qui a induit Marie-Josée le témoin 81 en erreur quand elle a parlé d’un certain Kizito ! « Elle a circulé seule, s’est confiée à nous ». C’est décidément une tendance de la famille Kizito : son frère s’épanche comme ça aussi au marché de Butare quand il va dire à Marie-Bernard qu’il est Interahamwe, qu’il le crie à tout le monde. Et Kizito se confie aussi directement en disant qu’elle est Interahamwe. « Ce n’est que plus tard que les sœurs Tutsi, Annonciata, Vénérande, ainsi que les ouvriers Tutsi sont sortis de leur cachette ». Et alors, c’est là qu’est le problème. Outre la grande crédibilité de ce témoignage, c’est que Vénérande et compagnie, Annonciata, elles sont venues, hein, les sœurs de Kigufi, elles sont venues ici. Pas une question ne leur a été posée sur Kizito avec sa massue en train de taper sur le ciment en 1991, lorsqu’elle a dit qu’elle était Interahamwe : elle a rejoint le maquis, super couverture, elle était à la fois contemplative et le soir elle partait dans le maquis. Pas une question, Maître BEAUTHIER, pas une question de personne là-dessus. On n’en a même pas parlé. On vient en répliques et on cite Kizito, Interahamwe. Un peu de sérieux, un peu de sérieux, de rigueur ! Vous avez parlé, Monsieur l’avocat général, vous avez dit : « Le ridicule ne tue pas » en parlant de nos plaidoiries. Eh bien, la rigueur ne tue pas non plus.

Le troisième point, c’est REKERAHO. Je ne vais pas reprendre mon heure de plaidoirie - et je pense que j’avais dépassé, c’était une heure cinq - j’avais plaidé sur REKERAHO. Mais je vais répondre rapidement aux arguments évoqués en répliques.

Maître RAMBOER, je constate que pendant les 20 premières minutes de son intervention du 15, il confirme d’abord tout ce que je dis sur REKERAHO, tout : le cheminement de REKERAHO, les geôles, etc. Il partage tout à fait mon point de vue. Et puis, il vient vous dire, en parlant du procès de Kigali : « Oui, mais si REKERAHO n’a pas parlé des sœurs au procès de Kigali - c’est vrai, j’ai regardé - mais c’est qu’on ne lui a pas posé la question ». Ca ne vous rappelle rien, ce genre d’argument ? C’est exactement le même argument qu’avait sorti sa cliente quand je lui ai posé la question à Marie-Bernard : « Tiens, pourquoi vous n’avez pas parlé de sœur Kizito ? ». « Ben, c’est parce qu’on ne m’a pas posé la question ». Et puis, ça ne tient pas debout. Parce que REKERAHO, dans son procès Kigali, il parlera des sœurs, il ne parlera pas de l’incendie, mais il parlera des sœurs à d’autres moments. Alors, c’est qu’il n’a pas eu peur de parler des sœurs puisqu’il a parlé de cette fameuse réunion du 20 que, soit dit en passant, j’ai évoquée. On a dit que dans mes plaidoiries, je n’en avais dit mot. C’est faux. Je vous ai dit à deux reprises qu’il y avait eu une réunion le 20. Je vous ai simplement dit qu’on n’attribuait aucun propos à Kizito lors de cette réunion du 20. Mais je vous ai dit qu’il y en avait eu une, je ne vous l’ai pas caché.

Maître de CLETY, il dit : « OK, OK, d’accord, j’accepte ce que la défense vous dit concernant le contrat passé avec REKERAHO, je comprends qu’il puisse faire des aveux pour aller à Arusha ». Mais pourquoi les aveux de Kigali alors ? Là, il n’y a aucune raison. Mais la réponse est simple, Maître de CLETY, quand il passe en procès à Kigali, Monsieur REKERAHO, il a déjà fait ses aveux, deux mois avant, à Réjean TREMBLAY. Et REKERAHO a peur qu’il y ait une communication entre ces deux autorités judiciaires. Vous imaginez s’il allait plaider, la bouche en forme de cœur, qu’il n’a rien fait à Kigali et qu’on lui sortait ses aveux devant Réjean TREMBLAY qu’il a fait deux mois avant ? De quoi il aurait l’air, REKERAHO ? Et puis, entre-temps, REKERAHO rencontre deux avocats d’Avocats Sans Frontières et qui lui disent : « Mais, mon vieux Emmanuel, tu vas droit au suicide comme ça. Il faut donner un peu de lest ». Et ces deux avocats rédigent des conclusions que vous trouvez dans le dossier ». C’est à ce moment-là qu’il change d’opinion et qu’il commence à accepter sa responsabilité. Il a parlé à Réjean et puis, paf, dans ses conclusions, il plaide partiellement coupable.

Eh bien, OK. Je ne vais pas utiliser de témoins à géométrie variable. Je ne vais pas jouer de jeu perfide en disant : « Prenez la première ligne mais pas la sixième ». Si vous estimez comme moi que REKERAHO est un menteur, je vous dis ce que j’ai toujours dit : « Vous mettez tout de côté ». Je n’ai rien dit d’autre en plaidant. Je vous ai dit comment faire confiance à quelqu’un qui est pris en flagrant délit de mensonge sur plusieurs points bien précis. Est-ce que vous allez encore croire ce qu’il vous dit ailleurs ? La réponse est non. Vous n’allez rien croire de REKERAHO, et vous allez tout mettre dans le bac.

Et puis, enfin, il y a cette dernière tentative. Celle pour faire coller à sœur Kizito ce personnage de monstre qu’on voudrait lui faire endosser. On fait appel à des témoins dont on n’avait même pas parlé en plaidant, même pas parlé en plaidant. Maître JASPIS évoque pour la première fois en réplique Gaëlle DUPUIS. Personne n’en avait plus parlé, de Gaëlle DUPUIS. Je pense que tout le monde avait compris qu’il n’était plus nécessaire d’en reparler. Mais on l’évoque, juste comme ça, en réplique, en disant : « Allez, peut-être que Gaëlle, ça va marcher en réplique, on va dire ça en plus ».

Maître BEAUTHIER parle de Monseigneur GAHAMANYI. Il n’en avait jamais parlé avant. Vous avez entendu parler de Monseigneur GAHAMANYI ? Ca doit vous dire quelque chose parce que Monseigneur GAHAMANYI, qui fait sa déclaration devant Réjean TREMBLAY, mais je ne voudrais pas le souligner parce qu’on va encore dire que j’en veux à Réjean TREMBLAY. Monseigneur GAHAMANYI, c’est lui qui prend son téléphone le 1er juillet et qui dit à Emmanuel REKERAHO : « Vas chercher les sœurs à Sovu pour les évacuer et les ramener à l’évêché ». C’est lui qui donne injonction à REKERAHO d’aller chercher les sœurs pour les évacuer le 1er juillet. Et puis, Monseigneur GAHAMANYI qui vient dire dans sa déclaration que sœur Kizito était fuyante - c’est ce que Maître BEAUTHIER nous a dit - et vous évoquer ce qui s’est passé à Ngoma : eh bien, moi je n’ai pas peur de vous dire que c’est un fief menteur, Monsieur GAHAMANYI, parce qu’il vous dira, à propos de Ngoma, comme pour se couvrir, couvrir de sa lâcheté parce qu’il n’a rien fait alors que sœur Gertrude l’appelait au secours avant de quitter vers Ngoma et qu’il n’a eu aucune réaction en disant : « Je ne sais rien faire pour vous, moi j’ai d’ailleurs du mal à m’en sortir ici tout seul ». Eh bien, il va dire dans sa déclaration qu’il est venu à Ngoma pour les aider dans la paroisse de l’abbé le témoin 54. Et tous, même l’abbé le témoin 54, vont dire que ce n’est pas vrai, que GAHAMANYI n’est jamais venu à Ngoma le 23 et le 24 quand ils étaient là. Et pourtant, c’est ce qu’il dit dans sa déclaration devant Monsieur TREMBLAY.

Alors, voilà, Mesdames et Messieurs les jurés, voilà ce que nous avons fait en plaidant, et je ne fais rien d’autre que la même chose en réplique. Je reprends toutes les accusations qui sont portées contre ma cliente. Je regarde sur base de quoi elles se fondent. Je décortique, en entrant dans le dossier, les témoignages, je les analyse et je vous dis ce qu’il faut en penser. Je réponds en ça aux trois questions que j’avais évoquées la dernière fois pour vous dans votre rôle de juge - je ne dois pas vous les rappeler - celles que Michel FRANCHIMONT énonçait comme étant les questions que doit se poser un juge sur la validité d’un témoignage. Je ne fais rien d’autre en plaidoirie et en réplique, et maintenant, moi, je vous pose une question, Mesdames et Messieurs les jurés : est-ce qu’après tout ce que vous avez entendu, après cette analyse minutieuse du dossier, un de vous pensera encore que Monsieur l’avocat général s’est acquitté de sa tâche ? Qu’il vous a prouvé, de façon indubitable, que sœur Kizito a volontairement, avec une intention claire, définie, recherché, tué les personnes qui figurent aux questions - je ne connais pas encore les numéros mais il y aura quatre ou cinq questions - sans le moindre doute possible ? Est-ce que vous n’aurez pas le moindre doute ?

Maître VERGAUWEN vous a expliqué - je comptais vous en parler, je n’en ai pas encore beaucoup parlé du doute. Je vais être plus bref parce qu’après ce qu’il vous a dit, c’est éclairant. Les plaideurs, pour parler du doute, font toujours appel à des exemples, des images, de métaphores. Hé bien, je vais en faire une aussi, celle d’une grande horloge : imaginez une grande horloge dans une gare où il y a une trotteuse qui passe d’une seconde à l’autre en faisant tac tac tac tac. Hé bien, imaginez que le tour de l’horloge pour la trotteuse, c’est une minute, tac soixante fois, tac pendant, vous imaginez que cette minute c’est le procès et si, en regardant cette horloge, pendant une seconde, un tac, vous avez douté en la thèse de Monsieur l’avocat général, ça suffit pour acquitter sœur Kizito.

Quand vous reprendrez vos notes, quand vous réfléchirez en délibéré à tout ce qui a été dit et plaidé et que vous reviendrez, par rapport aux questions qui vous seront posées, à tout ce qu’on a pu vous exposer, si à ce moment-là, vous constatez que dans votre cheminement la certitude en la thèse de Monsieur l’avocat général a été votre ligne constante, sans jamais vous en écarter, seulement, seulement dans ce cas-là vous la condamnerez. Si jamais vous vous en êtes écartés une seule fois, si vous avez douté à un moment, vous l’acquitterez, et c’est ce que je vous demanderai de faire. Je vous remercie de votre attention.

Le Président : Merci, Maître VANDERBECK. Les accusés vont encore prendre maintenant, s’ils le souhaitent, la parole. Non, il n’y a plus de réplique, hein, de grâce, de grâce.