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9.7.3. Répliques de la défense: Défense de Consolata MUKANGANGO
Le Président : Maître Cédric
VERGAUWEN ?
Me. VERGAUWEN : Merci.
Le Président : Vous avez
la parole pour votre réplique en ce qui concerne Madame MUKANGANGO.
Me. VERGAUWEN : Je vous remercie,
Monsieur le président. Monsieur le président, Madame, Monsieur les juges, Mesdames
et Messieurs les jurés, peut-être aurait-il fallu le dire en kinyarwanda pour
mieux nous faire comprendre. Nous ne sommes pas révisionnistes. Nous ne sommes
pas négationnistes. Nous disons simplement, à la défense de sœur Gertrude, qu’elle
n’a jamais été une conceptrice des massacres de Sovu. Nous disons, à la défense
de sœur Gertrude, qu’elle n’a jamais voulu, qu’elle n’a jamais recherché, qu’elle
n’a jamais désiré, en collaboration avec les Interahamwe, ce qui est arrivé.
Mais, Monsieur l’avocat général et les parties civiles, en chœur, et, de nouveau,
ont proclamé, une fois encore, leur indignation à l’égard de la défense de sœur
Gertrude et de sœur Kizito, et du système machiavélique, soi-disant construit
pour brouiller les pistes.
Alors, je vous pose ces questions, Mesdames et Messieurs les jurés,
droit dans les yeux : avons-nous été indignes envers les victimes ?
Avons-nous une seule fois remis en question le génocide rwandais ? Avons-nous
fait preuve de négationnisme ? Jamais ! Et il devient profondément
- je pèse mes mots, Monsieur l’avocat général - il devient profondément agaçant
d’entendre, à la fois les parties civiles et Monsieur le procureur général,
revenir sur des propos insultants que nous n’avons jamais tenus.
Monsieur le procureur général vous a dit en réplique, bah, que la
défense de sœur Gertrude s’était contredite. Le matin, le matin, on vous a plaidé
que sœur Gertrude n’avait rien fait, et l’après-midi, on vous a dit que sœur
Gertrude avait fait quelque chose de mal, mais pour ce quelque chose de mal-là,
il fallait appliquer l’article 71 du Code pénal. En fait - et personne n’est
revenu sur ces sept points - j’ai répondu en ce qui concernait sept accusations
précises et déterminées, et formulées avant par les parties civiles et Monsieur
le procureur général.
Quant à l’article 71 du Code pénal, permettez-moi de vous relire
les termes de cet article : « Il n’y a pas d’infraction lorsque,
au moment du fait, l’accusé a été contraint par une force à laquelle il n’a
pas pu résister ».
Et alors, effectivement, Monsieur le procureur général, cet article
71 ne s’applique pas, ne s’envisage pas pour un monstre qui aurait affamé les
réfugiés, intentionnellement, pour les rendre moins résistants à la machette.
Cet article 71 ne s’envisage pas pour le monstre qui aurait roulé sur des personnes
agonisantes afin de les achever. Non. Cet article 71, non plus, ne s’applique
pas pour une femme qui aurait écrit au bourgmestre, le 5 mai, sans aucune
pression, sans aucune pression, et dans l’intention unique de faire massacrer
les membres des familles des sœurs. Oui, si sœur Gertrude est ce monstre sanguinaire
que vous avez voulu décrire abondamment les uns et les autres, si sœur Gertrude
n’est rien d’autre qu’EICHMANN, alors, l’article 71 ne s’envisage pas. Parce
que, si 71 suppose que quelque chose de mal ait été commis, suppose une infraction,
suppose un crime, il ne s’agit évidemment pas du mal intentionnel, du mal monstrueux
que Monsieur le procureur général et les parties civiles ont tenté de faire
passer par la voie de sept affirmations contraires - et vous lirez le dossier
- contraires à la vérité du dossier, et formulées - je le répète - toujours
pour diaboliser sœur Gertrude.
Je n’ai pas dit : « Sœur Gertrude n’a rien fait ».
Non. J’ai dit : « Sœur Gertrude n’a pas : un, roulé sur les personnes
agonisantes pour les achever. Deux : affamé les réfugiés pour les rendre
moins résistants lors de l’attaque du 22. Trois : écrit pour tuer ».
C’est ça que j’ai dit. Et c’est à ces questions-là que j’ai répondu.
L’intervention suivante a, elle, été consacrée au problème vrai,
au problème juste de la contrainte morale que Maître FERMON avait lui-même évoqué
avant que nous prenons la parole. Pourquoi ? L’article 71, il se pose,
et il ne se pose que pour cette question. Pour la question de la lettre du 5
mai, adressée au bourgmestre et signée - elle est en aveux de cela, par sœur
Gertrude - ce fait-là, cette lettre-là pourrait constituer en elle-même l’infraction,
le crime décrit dans l’article 71, crime qui n’est plus un crime en raison de
la contrainte morale. Et quelle est cette contrainte morale ? C’est le
contexte, Mesdames et Messieurs les jurés, indescriptible, du génocide rwandais,
le contexte indescriptible du génocide rwandais qui a pesé sur les épaules de
sœur Gertrude, et que les parties civiles ne semblent vouloir évoquer que lorsqu’il
s’agit des victimes et des rescapés, mais pas lorsqu’il s’agit de sœur Gertrude :
elle, elle ne peut pas avoir eu peur.
Le contexte du Rwanda - et je réponds à Maître Clément de CLETY -
est l’odeur, l’odeur de la mort qui a fait fuir, évidemment, l’odeur de la mort
qui a fait fuir sœur Gertrude et sœur Kizito à la paroisse de Ngoma. Maître
Clément de CLETY est un être intelligent, je le dis volontiers, et il a cherché,
il a cherché une réponse, tout le week-end. Si sœur Gertrude, si sœur Gertrude
est le complice de REKERAHO, si sœur Gertrude se sent bien avec REKERAHO, mais
pourquoi, pourquoi va-t-elle partir à 5h du matin, à la paroisse de Ngoma ?
Trouvez une réponse ! J’avais lancé le défi. Et il a répondu : « Pas
bête ! Pas bête ! ». L’odeur de la mort, voilà ce qui fait partir
sœur Gertrude et sœur Kizito. Pas la peur, hein, non. Mais - Maître Clément
de CLETY le sait - il n’y a pas que sœur Gertrude et sœur Kizito qui, précipitamment,
vont quitter à 5h du matin le monastère de Sovu pour se rendre à Ngoma. Il y
a une vingtaine de sœurs qui vont partir, terrorisées, dont sœur Marie-Bernard
et sœur Régine qui ont de la famille dans le monastère, et qui partent malgré
tout parce qu’elles ont peur. Dois-je comprendre alors, Maître Clément de CLETY,
qu’elles auraient laissé leurs familles dans le monastère, elles aussi, parce
qu’elles étaient indisposées par l’odeur de la mort ? Elles auraient donc,
elles auraient donc abandonné les leurs pour une question d’odeur ?
Et pourquoi pas, tant qu’on y est, l’odeur de l’essence ? L’essence !
Sœur Gertrude - et je fais appel ici, pardonnez-moi l’expression - à votre bon
sens. Sœur Gertrude dit qu’elle n’a jamais donné de bidon, donné de l’essence
à REKERAHO le 22 avril, jamais. Mais alors, si elle ment, si c’est une fieffée
menteuse et si elle dit par ailleurs tout le temps, tout le temps, qu’elle a
eu peur et qu’elle était sous la contrainte de REKERAHO et des Interahamwe,
si elle dit ça tout le temps, pourquoi alors ne pas rester logique dans
son beau système de défense admirablement construit et dire - c’est tellement
plus simple - : « L’essence, mais j’ai été forcée, j’ai été forcée,
j’ai vu un Interahamwe arriver le 22 avril à 14h de l’après-midi, avec une machette,
et il m’a dit : « C’est l’essence ou la mort » ? C’est tellement
plus facile puisqu’elle dit tout le temps qu’elle est sous la contrainte, et
qu’elle ment tout le temps. Cet argument aurait été tellement plus simple, tellement
plus simple à démontrer, à vous faire avaler, pour reprendre l’expression des
parties civiles.
Je termine, pour ma part, mon intervention avec ces mots. Sœur Gertrude
n’est pas, n’est pas une génocidaire qui a suivi un plan d’extermination anti-Tutsi.
Sœur Gertrude n’est pas cette femme qui a baigné depuis sa tendre enfance dans
le racisme. Elle n’est pas la complice de Monsieur Emmanuel REKERAHO. Elle est
face, face à REKERAHO dans un contexte exceptionnel. Si elle avait vraiment
poursuivi un plan d’extermination génocidaire comme on tente de vous le faire
croire, eh bien, je vous le promets, elle ne se serait jamais privée, comme
tout extrémiste, comme tout anti-Tutsi, elle ne se serait jamais privée, comme
tout extrémiste, comme tout anti-Tutsi, de la jouissance du massacre des 17
sœurs Tutsi qui sont toujours en vie, qui n’ont jamais été tuées et qui sont
en vie grâce, et uniquement, grâce à sœur Gertrude. J’ai dit et je vous remercie
de votre aimable attention.
Le Président : Il est souhaitable
que le public ne réagisse pas quels que soient ceux qui parlent et quel que
soit ce qu’ils disent. Maître Alain VERGAUWEN, vous avez la parole.
Me. VERGAUWEN : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur
le président, Madame, Monsieur de la Cour, Mesdames et Messieurs les jurés,
comment peut-on déformer à ce point les propos de la défense ? Je pense
que je ne vais pas vous étonner en vous disant que je partage entièrement l’agacement
de mon co-plaideur. Fallait-il donc que l’accusation et les parties civiles
soient dénuées d’arguments pour en arriver à de telles extrémités ? Je
me pose cette question, mais je vais répondre, moi aussi, aux reproches qu’on
nous a faits.
Premier reproche - il y en aura cinq. Premier reproche. Maître FERMON :
« La défense de sœur Gertrude, c’est le brouillard ». Maître Clément
de CLETY : « La défense de sœur Gertrude, c’est du roman à la Gérard
DE VILLIERS, style SAS ». Tant qu’à faire, Maître de CLETY, j’aurais préféré
que vous compariez les plaidoiries des défenseurs de sœur Gertrude à un auteur
littéraire un peu plus primé, style prix Goncourt, Académie française. Alors,
la défense, dans la bouche de Monsieur l’avocat général, c’est parler du procès
truqué. Eh bien plus, c’est faire comme cet archevêque de Myrrhe en Lycie,
n’est-ce pas ? Mais, c’est ça la défense de sœur Gertrude. Alors, je ne
sais pas. Je ne sais pas effectivement ce que l’on doit faire. Que l’on n’ait
pas envie de nous écouter de l’autre côté de la barre, c’est votre problème
aux uns et aux autres. Mais que l’on n’entende même pas les mots que l’on prononce
pour venir mettre dans notre bouche des choses que nous ne vous avons jamais
dites. Avons-nous parlé de procès truqué, Mesdames et Messieurs les jurés ?
Mais je vous avais mis en garde quand je vous avais parlé de ce fameux archevêque
de Myrrhe en Lycie, n’est-ce pas. Je vous avais mis en garde et je vous avais
dit : « Mesdames et Messieurs les jurés, faites attention. Ce genre
de comportement, eh bien, c’est ce qui donne naissance à des amalgames ».
Eh bien, premier reproche des uns et des autres, voilà, Mesdames et Messieurs,
un bel amalgame.
Deuxième reproche : L’abbé le témoin 54. Ah, ça c’était merveilleux,
n’est-ce pas, dans les répliques. La défense utilise, n’est-ce pas, des morceaux
de déclarations lorsqu’elles lui servent. C’est ça qu’on vous a dit. L’abbé
le témoin 54, on est venu, Mesdames et Messieurs, mais vous prendre un petit morceau
de sa déclaration. Qu’avais-je plaidé ? Qu’avais-je plaidé ? J’avais
plaidé que l’accusation et les parties civiles se basaient uniquement sur la
déclaration d’octobre 1995, de l’abbé le témoin 54, alors qu’il y avait antérieurement
une autre déclaration de 17 pages, bien plus complète et qui était en totale
contradiction. Alors, je vais aussi vous renvoyer aux cartons, n’est-ce pas.
Si moi, je raconte des carabistouilles, alors, on va aller vérifier. Audition
du 8 juin 1995, carton 5, farde 12, pièce 16. Et effectivement, je ne vous ai
pas lu toute l’audition - c’est écrit en tout petit, c’est assez long - et je
vous ai parlé de ce qu’on disait à la page 5, au sujet de la rencontre et de
la réunion entre l’abbé le témoin 54 et le lieutenant HATEGEKIMANA, oui, je vous
en ai parlé. Et puis, je vous ai parlé de la page 10 et là, on parle à la page
10, de quoi ? De l’attaque de la paroisse de Ngoma, lorsque les sœurs
de Sovu sont là. Et puis, je vous ai dit : « Eh bien ça, c’est en
contradiction avec l’autre déclaration postérieure, quatre mois plus tard ».
Audition du 9 octobre 1995, carton 2, farde 6, pièce 13, dans laquelle l’abbé
le témoin 54 dit exactement l’inverse. Terrible lieutenant HATEGEKIMANA avec lequel
lui-même était pourtant en contact pendant les événements. Et puis, pas d’attaque
contre la paroisse lorsque les sœurs étaient là. Et ça, ce sont des carabistouilles,
ça, c’est du brouillard.
Troisième grief, n’est-ce pas, troisième grief : le grief de
reconnaissance tardive de la lâcheté par sœur Gertrude. Je m’en réfère ici à
ce que vous a plaidé Maître Clément de CLETY. Je réponds par une question :
« Existe-t-il une seule sœur du couvent qui aurait reconnu, à un moment
ou à un autre, sa lâcheté dans ce dossier ? ». Et je ne vais en citer
qu’une seule, n’est-ce pas, mais elle est révélatrice et je vous avais parlé
d’elle dans ma plaidoirie, sœur Scholastique qui, lorsqu’elle est entendue en
octobre 1995, devant les enquêteurs belges, qu’elle déballe son sac, eh bien,
pas un mot, pas un mot de la pluie, pas un mot de la nourriture. Et je vous
avais dit : « C’est le signe d’une lâcheté collective ». Mais
ça, on est d’accord pour sœur Scholastique, mais quand il s’agit de sœur Gertrude :
« Ah, vous faites des aveux bien tardifs, Madame Consolata MUKANGANGO ».
Quatrième reproche : L’omission d’agir. Monsieur l’avocat général
vous a dit : « Ben, l’omission d’agir, c’est n’importe quelle lâcheté,
n’importe quelle lâcheté », n’est-ce pas. Alors, je ne sais pas où Monsieur
l’avocat général trouve ses sources. Moi, je trouve les miennes, non pas dans
Tintin au Congo, ni Tintin au Rwanda, non pas dans Gérard DE VILLIERS, je trouve
mes sources dans la loi, dans les travaux préparatoires de la loi, je vous les
ai cités.
Et puis, Mesdames et Messieurs, dans les questions qui vous seront
posées, et ici je vais devoir faire une toute petite incursion un peu juridique :
Monsieur le président vous reparlera demain de manière plus approfondie de ces
questions. Vous aurez des questions qui seront qualifiées de principales, dans
lesquelles on va demander ceci, en ce qui concerne sœur Gertrude : l’accusée
ici présente, est-elle coupable d’avoir, par action ou omission, commis des
homicides intentionnels ? L’omission que l’on vise ici, c’est quoi ?
C’est un acte de participation, c’est-à-dire, c’est l’omission dans le but de
tuer et c’est donc - pour en revenir à ce dossier - toutes ces accusations d’avoir
affamé les réfugiés pour les rendre plus souples aux coups de la machette, n’est-ce
pas, moins résistants, c’est ça, l’omission qui est visée dans ces questions
principales. Il y en aura plusieurs parce que l’on vous parlera chaque fois
de telle ou de telle victime. Mais le principe est le même. Donc, retenez bien
ceci lorsque vous lirez : « par action ou omission ».
Cette omission-là, ce n’est pas la lâcheté, hein, oh la la !, on est bien
au-delà de la lâcheté, hein. C’est la participation, c’est la participation
épouvantablement sadique, n’est-ce pas, d’aller massacrer ces réfugiés.
Et puis, vous aurez une deuxième série de questions, questions principales
subsidiaires. Je ne vais pas rentrer dans les détails, Monsieur le président
vous en parlera demain, mais retenez simplement ceci : de quoi sera-t-il
question dans ces questions ? Eh bien, d’une autre omission d’agir. De
l’omission d’agir dont je vous avais parlé vendredi passé et qui est la suivante :
l’omission d’agir dans les limites de sa possibilité d’action de la part de
celui qui avait connaissance d’ordres donnés en vue de l’exécution des crimes,
et qui pouvait en empêcher la consommation ou y mettre fin. Et ces termes seront
repris expressément, Mesdames et Messieurs, dans les questions qui vous seront
posées. J’attire votre attention sur la fin de cette phrase : « qui
pouvait en empêcher la consommation, ou y mettre fin ».
Alors, quand j’ai entendu Monsieur l’avocat général, je me suis posé
tout de même des questions, moi aussi, et je me suis dit : « M’enfin,
j’ai sans doute mal lu, j’ai sans doute mal lu, je n’ai pas compris ».
Enfin, hier soir, je me disais : « Mais je ne comprends pas, je ne
sais pas lire, on n’a pas le même texte que lui, on ne part pas sur les mêmes
bases ». Eh bien, je réponds simplement à Monsieur l’avocat général que
j’ai été regarder dans les sources que j’ai, qui sont les revues de droit, de
droit pénal notamment. Et je suis tombé sur un commentaire fait par qui ?
Par un premier avocat général, un collègue de Monsieur l’avocat général, de
cette loi, dans lequel il précise expressément qu’il s’agit bien là, d’une omission
spécifique.
C’est ce que je vous avais plaidé, l’omission de celui qui pouvait
commander, c’est-à-dire, celui qui pouvait empêcher un massacre, empêcher un
crime. Eh bien, c’est cela, c’est de cela dont j’ai parlé, et de rien d’autre.
Mais cela, Mesdames et Messieurs les jurés, eh bien, ce n’est pas la lâcheté,
la lâcheté dont nous vous avons parlé vendredi. Ce n’est pas cela, n’est-ce
pas, parce que - et retenez bien ceci - je répète ce que j’ai dit - et je pèse
mes mots, je les maintiens avec fermeté - : il est absurde de venir prétendre
que sœur Gertrude MUKANGANGO avait la possibilité d’empêcher les massacres.
Absurde, absurde ! Les Interahamwe, vous savez maintenant ce que c’est.
Venir dire que sœur Gertrude pouvait, avait un pouvoir de commandement sur ces
Interahamwe, cela relève, n’est-ce pas, de l’abstraction la plus totale.
J’en viens - et ce sera mon dernier point - à la lettre du 6 mai.
Ah oui, on me dira, oui, mais il y a la lettre. Ca, c’est un acte, ce n’est
pas une omission, c’est un acte. Oui, c’est un acte, oui. Et Maître FERMON de
venir vous dire : « Oh, mais, si, si, si, Gaspard, c’est lui qui a
rédigé la lettre. Gaspard, le génocidaire patenté, le complice de REKERAHO,
du bourgmestre, n’est-ce pas, toute cette petite bande. Mais pas besoin d’écrire
une lettre, pas besoin d’écrire une lettre ». Alors, je réponds à Maître
FERMON. Allons au bout de votre raisonnement, allons au bout de votre raisonnement.
Si Gertrude, c’est la complice de Gaspard, du bourgmestre, de REKERAHO, pourquoi,
elle, aurait-elle besoin d’écrire une lettre ? Eh bien, je vais vous dire
pourquoi. Je vais vous dire pourquoi, n’est-ce pas, il y a cette lettre.
Cette lettre est la preuve, la preuve de la duplicité de ces génocidaires.
Souvenez-vous, Monsieur REKERAHO, le 23 avril, qu’est-ce qu’il fait quand
les sœurs sont à Ngoma ? Il vient au couvent et il fait pression sur sœur
Scholastique pour lui faire écrire la liste et dresser la liste, la liste des
réfugiés du couvent, donc il se moque éperdument, n’est-ce pas. Eh bien, ça,
c’est la ruse, la ruse de ces génocidaires, n’est-ce pas, qui jouent avec la
peur. Alors, venons-en, n’est-ce pas, à cette duplicité dont on vous dit :
« Eh bien, la duplicité pour l’abbé le témoin 54 ? D’accord, mais oui,
il était en contact avec le bourgmestre de Ngoma, le lieutenant HATEGEKIMANA,
ben oui, lui, il a été abusé, d’accord ». Pour le docteur ZACHARIA, le
médecin de MSF avec NIZEYIMANA qui vient dire : « Je vais tout protéger,
votre hôpital, je vais le protéger ». Et puis qui, le soir même, fait assassiner
des patients de l’hôpital. Mais oui, d’accord, d’accord, ça c’est la ruse, oui
d’accord. Pour le témoin 110, même chose. Mais pour Gertrude, non, ah non,
ça non, Gertrude, Gertrude victime de la ruse des génocidaires ? Non.
Alors, Maître JASPIS, nous ne sommes pas ici pour parler uniquement
des actes commis par l’accusée Consolata MUKANGANGO. Vous êtes ici pour juger,
non seulement des actes, mais celui qui est accusé de les avoir commis, en l’occurrence
celle qui est accusée de les avoir commis, la femme qui est derrière moi, et
à propos de laquelle nous vous avons parlé de cette contrainte morale.
Et Maître FERMON, assez curieusement, qui avait plaidé longuement
sur cette contrainte morale dans sa première intervention, réplique, plus un
mot, la contrainte morale, plus un mot. Pourquoi ? Eh bien, parce qu’on
vient nous faire, à nous, le reproche - c’est aussi fabuleux ça, hein, c’est
vraiment un monument - on vient nous faire le reproche à nous, défense de sœur
Gertrude, d’évacuer le contexte, de sortir la lettre du contexte ! Alors,
moi, je ne vais pas faire référence aux déclarations, ni de ma cliente, ni de
ceux qui l’accusent.
La peur, Mesdames et Messieurs les jurés, ce n’est pas du contexte,
ça ? La peur, la peur décrite par le docteur ZACHARIA ? C’est ça,
la défense truquée ? La peur des sœurs quand elles sont à Ngoma et qu’elles
sont attaquées par les Interahamwe et qu’on donne de l’argent. C’est le témoin 54
qui en parle. Tout ça, c’est truqué ? La peur décrite dans les avis des
psychiatres, qui vont parler aussi de la fragilité psychologique de sœur Gertrude.
Les psychiatres, c’est aussi truqué ? Aussi ? La peur, Mesdames et
Messieurs, la peur de tous ces militaires de la Communauté internationale, n’est-ce
pas. Ceux qui avaient des armes pour empêcher les massacres et qui sont partis.
Ah, la peur, oui, pour eux, ça vaut, ça vaut - ils ont demandé pardon -, contrainte
morale, article 71. Ils ont demandé pardon. Truqué tout cela ? Et puis,
l’avis de Monsieur le juge d’instruction VANDERMEERSCH, datant du 25 janvier
1996 : « Il y a lieu de prendre en considération le contexte,
tout à fait particulier et exceptionnel, du déroulement des faits et des répercussions
que ce contexte a pu avoir sur l’état psychologique de l’intéressé ».
L’avis de Monsieur VANDERMEERSCH est-il aussi un truc de la défense ?
Et puis enfin, la peur, n’est-ce pas, la peur de quoi, Mesdames et
Messieurs, la peur de quoi ? Pas n’importe quelle mort, cette mort qu’on
a vue le 22 avril, la peur d’être machetté, de voir son bras, ses jambes coupés,
son ventre éventré. C’est ça, la peur de sœur Gertrude, comme de n’importe qui,
dans ce contexte épouvantable ! C’est ça et rien d’autre.
Alors, je conclus, je conclus en vous disant ceci : on fait
totalement l’impasse du côté de l’accusation et des parties civiles, sur l’aspect
personnel et individuel d’un accusé, parce que le problème, le problème de l’accusation
et des parties civiles, c’est le problème de la preuve. Parce qu’on vous l’a
dit, on vous l’a plaidé, il appartient à l’accusation de prouver la culpabilité
d’un accusé. La défense n’a rien à démontrer.
Et cela ressort de cette phrase que vous connaissez certainement :
« Le doute profite à l’accusé ». Ah, ça aussi, c’est
un truc d’avocat, hein, le doute, le truc des avocats, eh oui, mais comment
donc ! Mesdames et Messieurs les jurés, le doute - sérieusement maintenant
- c’est un grand principe de la mission de juger parce que - retenez bien ceci
- un juge ne peut jamais se tromper en défaveur d’un accusé. Et dans votre délibéré,
la question que vous allez devoir vous poser, elle ne sera pas, elle ne sera
pas de partir de la thèse de l’accusation et de vous dire : est-ce qu’on
vient me démontrer que ce que Monsieur l’avocat général dit est faux ?
Ce n’est pas ça, la question que vous allez devoir vous poser. Vous allez devoir
faire le cheminement inverse. Et je vais prendre une image qui va vous faire
comprendre ce que c’est que le doute. Juger, Mesdames et Messieurs, c’est d’abord
douter, c’est être sur un chemin et ce chemin, c’est le doute. Et vous ne pouvez
vous écarter de ce chemin que si vous avez la conviction absolue, si vous avez
uniquement la conviction absolue que la thèse de l’accusation est la seule explication
des faits. En l’occurrence, ici, que la thèse de l’accusation est la seule explication,
non seulement de ce qui s’est passé à Sovu, mais du comportement individuel
de sœur Gertrude.
Alors, je crois pouvoir dire très sincèrement qu’il n’est pas déraisonnable,
il n’est pas déraisonnable de dire dans ce dossier que sœur Gertrude a été totalement
dépassée par les événements, oui, c’est ça, la contrainte morale, cela n’est
pas déraisonnable : c’est ça, le chemin du doute. Et je n’ai pas autre
chose à démontrer. Je dois juste vous démontrer qu’il n’est pas déraisonnable
qu’il y ait une autre explication que celle de l’accusation.
Alors, au terme de votre délibéré, de votre discussion, vous allez
vous retrouver, chacun d’entre vous, face à votre conscience, individuellement.
Et vous n’allez donc pas vous poser cette question : est-il prouvé par
la défense que sœur Gertrude a agi sous la contrainte morale ? Vous allez
vous poser la question inverse : est-il prouvé par l’accusation que sœur
Gertrude, à l’exclusion de tout doute raisonnable - c’est ça, l’exclusion de
tout doute raisonnable - est-il prouvé qu’elle n’a pas agi sous la contrainte
morale ? Autrement dit, est-il prouvé qu’elle était complice, qu’elle était
génocidaire, qu’elle agissait sans pressions, n’est-ce pas, parfaitement maître
d’elle ?
Eh bien, je crois véritablement que dans ce dossier, vous devrez
dire « Non » aux questions principales, « Non » aux
questions subsidiaires qui vous seront posées, parce que véritablement, je crois
qu’il n’est absolument pas déraisonnable de dire que cette femme, et elle seule,
eh bien, il n’est pas déraisonnable du tout de penser qu’elle a pu être contrainte
par une force à laquelle elle n’a pas pu résister. J’ai dit et je vous remercie.
Le Président : Merci, Maître
VERGAUWEN. |
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