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9.2.1. Réquisitoire de l’avocat général
L’Avocat Général :
Je vous remercie, Monsieur le président. Madame,
Monsieur le juge, Mesdames et Messieurs les jurés. Je me suis toujours fait
une certaine idée de la justice et de la manière dont, à mon estime, elle devrait
être rendue et administrée. On vous a déjà dit à plusieurs reprises ici, j’y
reviendrai quant à moi, que ce procès est un procès unique, historique, exemplaire
à plusieurs égards. C’est pourquoi, je tiens à vous dire d’emblée, d’entrée
de jeu, que, quel que soit le résultat final de cette procédure, quel que soit
votre verdict, je crois que la manière dont ce procès a été mené, l’audition
des témoins, difficile, éprouvante, souvent à la limite du soutenable, votre
implication, votre attention soutenue, vos questions, que tout cela me porte
à croire que cette justice est rendue de manière exemplaire, dans ce procès-ci.
Vous aurez déjà entendu également à plusieurs reprises
que ce procès est un test, un test pour la justice belge, un test pour le jury
populaire, un test pour la Cour d’assises, un test même, diront certains, pour
la crédibilité de la Belgique qui, actuellement, effectivement, se trouve à
l’avant point de la législation en matière de répression de crimes de droit
pénal humanitaire. Je reviendrai également dans le courant de mon réquisitoire
sur ce point. Mais je crois pouvoir affirmer ici, Mesdames et Messieurs les
jurés, que ce test, la Cour d’assises, le jury populaire, la justice belge l’a
réussi avec tous les honneurs. Je vous le dis maintenant, je le répète :
quel que soit votre verdict final, parce que pendant des mois, sinon même des
années, une fois l’ampleur de la tragédie du génocide connue, des opinions ont
été émises, comme quoi les autorités politiques ou judiciaires n’avaient pas
la possibilité, voire la volonté de poursuivre ces faits ici, en Belgique, devant
les juridictions appropriées.
Je crois que cela était et que cela est inexact.
Le procès qui se déroule ici est d’ailleurs la meilleure preuve du contraire,
mais, ceci dit, je vais jouer cartes sur table avec vous, Mesdames et Messieurs
les jurés, je ne vais pas nier qu’il peut y avoir eu des oppositions dans certains
milieux, politiques, universitaires, ecclésiastiques, judiciaires peut-être,
qu’il peut y avoir eu des tergiversations, voire même des volte-face surprenant
dans ce dossier. Il suffit de lire attentivement le compte-rendu de la commission
Rwanda, dont le rapporteur à l’époque était le premier ministre actuel, pour
voir qu’effectivement, il y a eu des influences qui ont pu jouer, ou qu’on a
tenté de faire jouer dans ces événements du génocide rwandais.
Après les faits, aussi, certaines pressions ont
probablement été exercées dans certains milieux. Et je pense ici surtout, et
ça, j’y reviendrai, au dossier des deux sœurs, pressions pour minimiser, voire
étouffer les faits ou pour faire revenir sur leurs déclarations et leurs témoignages
des témoins accablants pour les accusés. Je ne nie même pas, Mesdames et Messieurs
les jurés, que peut-être même certains dans les milieux judiciaires ont été
effrayés ou rebutés par l’énormité de la tâche, par l’ampleur de l’horreur et
ont douté des capacités du système judiciaire pour y remédier.
Moi, je peux en tout cas vous dire et vous affirmer
qu’au niveau de l’instruction, au niveau des enquêteurs, à mon niveau, aucun
effort n’a été épargné pour arriver au bout de ce travail gigantesque, inhumain
pratiquement, et ça, faut quand même peut être aussi le souligner, avec les
faibles moyens dont, en comparaison par exemple avec le TPIR, dispose la justice
belge pour régler ce genre de procès.
C’est pourquoi, je crois que le fait déjà de se
retrouver devant la Cour d’assises, de soumettre à douze hommes et douze femmes
tirés au sort, une des pires tragédies du 20ième siècle, le troisième
génocide après celui des Arméniens et des Juifs, que ce fait là, en lui seul
déjà, est un succès et me réconforte dans cette idée que je me suis toujours
faite de cette justice. Je crois d’ailleurs que la réaction des autorités tant
politiques que judiciaires, n’en n’a pas été une de rejet ou de refus, mais
plutôt une réaction d’incrédulité devant l’horreur des faits, d’impuissance,
une réaction peut-être de ne pas être armés pour contrecarrer de tels événements.
En ce aussi, toute cette procédure et tout ce procès, ont été un test pour la
justice et sans tomber dans l’excès de l’autosatisfaction, je crois que c’est
un test qui me paraît réussi.
Je me suis aussi toujours fait Mesdames et Messieurs,
une certaine idée de la magistrature et, plus spécialement du ministère public.
Comme le président vous l’a dit en début de ce procès, je représente ici la
société, l’ordre public. Je n’ai aucun intérêt privé à faire valoir, les intérêts
privés vous seront expliqués, les revendications des proches et des familles
vous seront exposées par les parties civiles ici présentes en détails et avec
beaucoup de talents. Elles vous expliqueront les raisons de leurs interventions :
la douleur des survivants, le calvaire que représente un tel procès, les plaies
béantes qu’il cause, et pourtant, la nécessité d’un tel procès pour pouvoir
enfin entamer le long et le difficile parcours du deuil. Moi, je me limiterai
à faire brièvement allusion, ici, aux victimes en vous disant que le ministère
public représente la société et exprime par sa voie la réprobation de cette
société à l’égard des faits qui sont reprochés aux accusés.
Dans ce que je désignerai comme un procès normal,
normal entre guillemets, parce qu’en Cours d’assises, il n’y a jamais de procès
normal, tout ce qui passe ici est toujours du plus grave et de la plus grande
tragédie, mais disons que dans un procès normal, le ministère public représente
la société belge et s’exprime au nom de cette société. Ce procès-ci n’est pas,
je vous l’ai déjà dit, n’est pas un procès normal entre guillemets. C’est un
procès unique, historique, au même titre que les procès de Nuremberg ou de Tokyo,
procès EICHMANN et les autres...
La loi du 16 juin 1993, qui attribue une compétence
universelle aux juridictions belges pour juger des crimes de génocide, des crimes
contre l’humanité ou des infractions graves de droit international humanitaire,
fait en sorte qu’aujourd’hui, ici, je représente, non pas seulement l’ordre
public belge, mais l’ordre public international : la société internationale
qui a le droit et le devoir de dire qu’elle ne peut tolérer de tels comportements
ou et par qui ils soient commis. La loi attribuant une compétence universelle
a estimé que les faits qu’elle réprime, ce que l’on appelle en droit saxon les
« Call crimes » sont d’une telle gravité qu’on ne peut y opposer des
frontières. Lorsque la brutalité, l’inhumanité et l’horreur n’ont pas de frontières,
il convient également que justice puisse se faire sans frontières. Je suis pour
ma part fier de pouvoir participer à cette justice et de pouvoir, par mon intervention,
donner la parole à cette communauté internationale, à cet ordre public international,
à cette conscience universelle qui réprouve et qui rejette cette barbarie.
Je me suis aussi, Mesdames et Messieurs les jurés,
toujours fait une certaine idée de la tâche d’un jury populaire devant la Cour
d’assises. J’ai déjà eu l’occasion de prendre la parole à plusieurs reprises
en Cour d’assises et j’ai toujours constaté la même démarche au sein du jury.
Si, au début de l’affaire, beaucoup participent contraints ou forcés, on constate
qu’assez rapidement tout le monde s’investi, s’intéresse à l’affaire et, pour
utiliser un terme affreux dans ce contexte, se « prend au jeu ». Mais
ce qui se passe ici est tout sauf un jeu. J’ai donc, en ce qui me concerne,
toute confiance dans le fonctionnement d’un jury populaire et l’expérience m’a
appris que, sommes toutes, les verdicts du jury sont, dans la plupart des cas,
l’expression du bon sens.
Je voudrais particulièrement insister sur votre
rôle dans ce procès, Mesdames et Messieurs les jurés, parce que comme moi en
tant que ministère public, dans cette affaire ci je ne représente pas uniquement
l’ordre public belge mais l’ordre public international, vous aussi, en tant
que membres du jury et donc juges dans cette affaire, vous aussi, vous ne représentez
pas seulement la société belge, mais aussi la société internationale. C’est
à travers de vous, à travers de votre verdict que va s’exprimer l’opinion publique,
tant nationale qu’internationale, par rapport aux faits qui sont soumis à votre
jugement. Et c’est au nom de cette société nationale, internationale, universelle
que je vous demanderai, à la fin de mon réquisitoire, de déclarer les quatre
accusés coupables des faits qui leur sont reprochés et qui sont repris dans
mon acte d’accusation.
Lorsque j’ai préparé ce procès, j’ai souvent, de
plusieurs côtés, que ce soit de collègues, d’avocats, de proches, d’amis, de
familiers, j’ai souvent entendu la même remarque : un jury belge ne va
pas s’intéresser à ces faits qui se déroulent à 7.000 kilomètres d’ici, qui
n’ont pas d’attache immédiate avec la Belgique, qui se déroulent entre Rwandais.
Et la question était toujours posée avec, sous-jacent, la réponse négative :
non, je ne parviendrai pas à vous intéresser, je ne parviendrai pas à vous rendre
sensibles, à passionner un jury belge, douze personnes tirées au hasard à cette
tragédie, à cet… il n’y a pas d’autre terme, à cet holocauste. Eh bien, je me
suis toujours opposé à cette vision étroite, réductrice et pour tout dire, à
mon avis, insultante pour l’institution du jury.
Je vous expliquerai tout à l’heure les raisons et
les motifs juridiques pour lesquels vous avez la compétence et le devoir de
vous intéresser et de vous occuper de ces événements. Événements qui se passent
effectivement au Rwanda, mais événements qui pourraient se passer dans d’autres
pays et qui pourraient, à la limite aussi, être soumis à un jury belge ici.
Je voudrais tout d’abord vous signaler que votre rôle est en somme un simple
devoir d’humanité. Les crimes, dont sont accusées les quatre personnes ici présentes,
sont des crimes de droit international humanitaire, des crimes que toute société
démocratique, civilisée, digne de ce nom a le devoir de poursuivre, de réprimer
et de condamner, où qu’ils se passent, quand ils se passent, quels qu’en soient
les auteurs ou quelles qu’en soient les victimes.
Je vous ai dit que je me fais une certaine idée
de la justice et je ne pourrais concevoir, ne fut ce qu’un seul instant, je
ne pourrais concevoir que lorsque la législation d’un pays lui donne cette compétence,
cette justice, pour des crimes aussi horribles, aussi monstrueux, aussi inimaginables,
ne serait pas rendue ou que les institutions judiciaires - et dans un procès
d’assises, cette institution judiciaire c’est vous, Mesdames et Messieurs les
jurés - que cette institution judiciaire ne s’intéresserait pas à de tels faits,
sous le prétexte que cela se passe loin de chez nous et que cela ne concerne
pas la société belge. C’est une vision des choses que je réfute avec la dernière
énergie et je sais, votre attention tout au long de ce procès l’a d’ailleurs
suffisamment prouvé, Mesdames et Messieurs les jurés, que vous aussi, vous n’allez
pas tomber dans cette vision réductrice, simpliste et d’ailleurs, contraire
à notre droit, au droit coutumier et au droit international.
J’exerce la fonction de magistrat du ministère public
depuis pratiquement 23 ans, c’est une fonction qui me passionne et qui continuera
à me passionner, mais c’est aussi, et cela vaut, je crois, pour tout le monde
ici, ce que l’on appelle les acteurs judiciaires pour utiliser un mot à la mode,
c’est malheureusement en droit pénal, aussi un métier qui vous confronte avec
la face la moins reluisante de l’individu. C’est un métier, magistrat, avocat,
qui vous permet de côtoyer journellement, pratiquement ce que l’homme ou la
femme peut avoir de plus horrible et de plus inhumain. Je vous le dis parce
que, ce qu’on appelle les professionnels du droit, s’arment contre de tels faits
en faisant parfois preuve d’un certain cynisme. Et vous entendrez peut-être
ça ou là, dans mon réquisitoire, des remarques qui peuvent vous paraître cyniques.
Mais si cynisme il y a, je voudrais quand même vous
signaler, et je reprends là une formule d’un écrivain espagnol SEMPRUN, qui
dit : « J’ai peut-être perdu mes illusions, mais j’ai gardé mes certitudes ».
Et une de mes certitudes consiste dans le fait que je suis convaincu que douze
citoyens belges tirés au sort ne restent pas indifférents au sort subi par 800.000
victimes rwandaises, même si cela se passe à 7.000 kilomètres d’ici, même si
les auteurs ne sont pas des belges, même si les victimes ne sont pas des belges.
Une de mes certitudes est qu’un jury belge peut
très bien comprendre ce qui s’est passé au Rwanda, d’avril à juillet 94, peut
très bien comprendre ce qu’on souffert les victimes de ces terribles événements.
La compétence universelle, la justice universelle, la conscience universelle,
c’est ça, Mesdames et Messieurs les jurés. Et c’est au nom de cette conscience
universelle et de cette justice universelle que je vous demanderai, après avoir
fait la démonstration de la culpabilité des quatre accusés ici présents, de
répondre : « Oui » aux questions qui vous seront posées en fin
de débat.
Je voudrais aussi vous dire, j’y ai déjà fait allusion,
quelques mots sur les victimes. Ces victimes sont représentées ici par les parties
civiles qui vous expliqueront mieux que moi et en des termes choisis, le calvaire
qu’elles ont subi et qu’elles continuent d’ailleurs à subir aujourd’hui. J’ai
l’habitude de dire qu’en Cours d’assises, il n’y a pas de gagnant et pas de
perdant et que normalement, il n’y a que des perdants. Ici, la situation est
quelque peu différente, les perdants se situent tous et toutes dans le même
camp : les Tutsi, les Hutu modérés, opposés au président le témoin 32. Tous
les témoins que vous avez entendus ici, sans aucune exception, tous ces témoins
ont perdu quelqu’un dans les événements du Rwanda : un époux, une épouse,
un parent, des enfants, des proches, des amis, des familiers, des amis, des
connaissances. Tous ont souffert dans leur âme et beaucoup, vous les avez vus
ici, dans leur chair.
Vous avez eu, ici, des témoins, vous avez vu ici
des témoins qui portent encore aujourd’hui et qui porteront toujours les séquelles
et les stigmates de ce qui leur a été fait en 1994. Mais pire que ces stigmates
et ces séquelles physiques, il y a la mémoire de ce qui s’est passé, la mémoire
de ce que l’on a vécu, la mémoire de ce que l’on a vu, la mémoire de ce que
l’on a fait, ou parfois, encore pire pour les survivants, la mémoire de ce que
l’on croit ne pas avoir fait ou ne pas avoir suffisamment fait. Tout cela restera
gravé, à tout jamais, dans leur esprit, sera présent, à tout moment dans leur
quotidien : parfois plus présent, parfois moins présent, mais toujours
présent. Et cette Cours d’assises est évidemment un événement qui ravive les
blessures, qui va faire revivre les événements horribles d’avril à juillet 1994.
Les témoins ont raconté ce qui leur était arrivé, le fait déjà de raconter cela
est pour eux un calvaire pratiquement inhumain et néanmoins, c’est une épreuve
nécessaire, indispensable, pour pouvoir entamer ou tenter d’entamer le parcours
du deuil.
C’est la première fois que les victimes ont eu l’occasion
de s’exprimer. C’est la première fois que publiquement, en audience publique,
les victimes se verront reconnaître le statut de victimes et il y a une phrase
d’un témoin, Madame MUKAGASANA qui m’a frappé et qui vous a dit, et je reprends
sa phrase : « Ne me parlez pas de réconciliation, parlez-moi de justice ».
Actuellement, on découvre encore aujourd’hui des nouveaux charniers au Rwanda,
actuellement toujours aujourd’hui des victimes sont à la recherche des corps
de leurs familiers pour pouvoir leur donner des funérailles correctes. Vous
avez entendu de la bouche même d’un des accusés, Monsieur HIGANIRO, qu’il a
souffert du fait qu’il ne pouvait donner une sépulture digne à son beau-père.
Eh bien, les victimes que vous avez vues ici, Mesdames et Messieurs, sont dans
le même cas mais dans une mesure exponentielle.
On vous l’a déjà dit, ce génocide a fait entre 500.000
et 1.000.000 de morts. Prenons les chiffres de 800.000, 800.000 morts en treize
semaines, du 6 avril 1994 au 1er juillet 1994. Ce que je vais dire
maintenant, ça c’est du cynisme Mesdames et Messieurs les jurés : en termes
de quantités et d’efficacité, c’est mieux que ce qu’on fait les Nazis pendant
toute la deuxième guerre mondiale ! Vous avez entendu ici des choses insoutenables,
des choses indicibles, des choses inimaginables et des choses inavouables. Tout
cela, ces victimes l’ont vécu dans leur chair, dans leur âme et tout cela a
fait et refait surface de manière extrêmement pénible, douloureuse à l’occasion
de cette Cour d’assises. Et vous savez, Mesdames et Messieurs les jurés, que
pour certaines de ces victimes, il y a pire que la mort. Pire que la mort, c’est
le fait d’être encore en vie, d’avoir survécu alors que les autres, eux, sont
morts. Outre le fait de se poser des questions et de savoir si, oui ou non,
on a tout fait ce qui était humainement possible pour sauver ou tenter de sauver
les autres, les victimes de tels faits souffrent, aussi incroyable que cela
puisse paraître, souffrent parfois d’un sentiment de culpabilité. C’est ce qu’on
appelle le syndrome des camps de concentration : on se sent coupables d’avoir
survécu alors que tous les autres ont péri.
Et cela va même plus loin, on vous a fait allusion
au livre qu’a écrit Madame MUKAGASANA, survivante alors que toute sa famille
a été décimée, eh bien, lorsque lorsqu’on lit ce livre et surtout la fin, on
constatera que cette dame, non seulement se demande si elle est coupable, coupable
d’être toujours en vie, mais elle se demande aussi si finalement les auteurs
de ces massacres n’avaient pas raison de la tuer ou de vouloir la tuer et du
tuer toute sa famille, et c’est à ça qu’on en arrive en tant que survivant :
s’il y a de tels massacres à de tels niveaux et de telles échelles, eh bien,
les survivants commencent à se demandent si effectivement ils ne méritent pas
d’être tués. Et quand je vous ai dit que ce dossier vous mène, et vous mènera,
au bout de l’horreur, vous comprendrez aisément ce qu’ont vécu ces victimes,
ce qu’elles ont revécu pendant ce procès, et ce qu’elles vivront, malheureusement,
jusqu’à la fin de leurs jours.
Il y a quelques semaines, quelques mois, un avocat
du barreau de Bruxelles, ici, a fait une conférence, ici, au Palais de justice,
conférence intitulée « L’enfant du 20ième convoi ». C’était
un avocat d’origine juive qui, 57 ans après les faits, a parlé pour la première
fois de manière simple, claire, bouleversante, émouvante des événements qui
s’étaient déroulés lorsqu’il était enfant. Sa mère, sa sœur, transportées vers
les camps de concentration, lui-même également, mais lui ayant eu la possibilité
de s’enfuir. Eh bien, ce que cette personne a éprouvé, ce besoin de parler,
les victimes, ici, l’ont éprouvé également. Les témoins que vous avez vu défiler,
que vous avez entendu ici, ont éprouvé ce besoin irrépressible de parler, de
rompre le silence, de témoigner, de témoigner du mal absolu, mais aussi, de
témoigner de ce que l’on peut opposer à ce mal : la volonté, le courage,
le respect de l’humain.
Les témoins que vous avez vus ici, en ce qui me
concerne, l’on fait avec dignité, avec pudeur, avec retenue, avec simplicité
malgré la douleur immense qu’engendre un tel témoignage. Cela m’a rappelé une
phrase d’un autre témoin de l’holocauste, Elie WIESEL qui, parlant justement
de cet holocauste, avait cette phrase : « Se taire est interdit, parler
est impossible ». Je voudrais que gardiez cela à l’esprit Mesdames et Messieurs
les jurés.
Quelques mots aussi brièvement à ce stade sur les
accusés. Je voudrais quand même, tout d’abord, vous faire une remarque générale :
il n’a quand même pas pu vous échapper que les quatre accusés, qui ont encore
toute leur famille au Rwanda, se trouvent eux, ici, en Belgique, alors que le
reste est resté au Rwanda. C’est un fait qui ressort du dossier et qui doit
quand même vous interpeller et vous frapper. Et lorsque ces personnes sont arrivées,
je parle des accusés, ici, en Belgique, elles ont pu compter sur l’aide de plusieurs
autres personnes, institutions et autres. Contrairement aux victimes, qui elles
ont été pourchassées, refoulées, dénoncées ou exterminées, les quatre accusés
qui, au Rwanda, à partir de l’âge adulte ont joui à titre divers, d’une situation
que je qualifie quand même plutôt de privilégiée, eh bien, ces quatre accusés
ici en Belgique aussi ils ont pu compter sur des aides et des appuis efficaces
et des soutiens importants : des amis, des relations, pour l’un l’université,
des soutiens divers pour l’autre, l’Eglise catholique pour les deux sœurs, cette
même Eglise catholique qui, à Sovu, ou elle représentait ou aurait dû représenter
un havre de sécurité, un lieu d’asile inviolable, cette même Eglise catholique
qui là, à Sovu et en d’autres lieux d’ailleurs, a refusé cette même aide, a
refusé cette même sécurité, a refusé cet asile à des milliers de personnes qui
pourtant, en ce moment-là, en avaient un besoin vital. Pour eux, à ce moment-là,
à Sovu et ailleurs, c’était une question de vie ou de mort. C’est la mort qui
l’a remporté.
Lorsque je requiers en Cours d’assises, j’attire
aussi toujours l’attention sur certains points qui me semblent importants, et
ici, vu le contexte particulier du procès, certaines de ces remarques ne sont
pas d’application, d’autres ont déjà été faites, d’autres seront expliquées
dans mon réquisitoire. Mais une des remarques qui reste d’application et d’actualité,
et qui est valable dans ce dossier comme dans tous les autres, c’est qu’il y
a évidement une distance énorme, une distorsion énorme, un gouffre entre l’attitude
des accusés lors des faits, lors de l’instruction des faits et finalement, ici,
à l’audience. La Cour d’assises, vous le savez, Mesdames et Messieurs les jurés,
ne juge que les crimes les plus graves et donc, les crimes qui emportent les
peines les plus graves et chaque accusé qui comparait en Cours d’assises le
sait et en est très bien conscient.
Ce que je veux vous dire par-là, c’est que les accusés
savent ce qu’ils risquent. La peine maximale, je vous le dis d’emblée, pour
les faits qui sont retenus à charge des quatre accusés, est la réclusion à perpétuité.
Leur comportement, ici, à l’audience, s’adapte et s’adaptera donc en conséquence.
Vous avez vu, vous avez entendu les accusés, ici, pendant toute la durée du
procès, ils rivalisent entre eux, dirais-je, de politesse, de déférence, d’angélisme
même, c’est un comportement classique en Cours d’assises. Tout accusé, à quelques
exceptions près peut-être, veut donner de lui la meilleure image possible, souhaite
prendre les plus grandes distances possibles avec les faits qui lui sont reprochés.
Et plus le crime est horrible, plus la distance que l’accusé veut prendre devient
grande. Alors, vous comprendrez aisément que les quatre accusés, ici, ont tout
intérêt à prendre la plus grande distance par rapport aux comportements, aux
déclarations, aux attitudes et aux faits innommables qui leur sont reprochés.
Ils ont tout intérêt à donner d’eux-mêmes une image telle qu’il devient inimaginable,
impensable, qu’ils puissent avoir commis les actes qu’on leur reproche.
Eh bien, Mesdames et Messieurs, pourtant, c’est
bien ce brillant professeur d’université, c’est bien cet industriel proche du
pouvoir, ce sont bien ces deux religieuses effacées, effacées, ici à tout le
moins, qui sont coupables des faits qui sont repris dans l’acte d’accusation.
Les quatre accusés nient ces faits, c’est bien entendu leur droit le plus strict,
et je dirais même plus : « Que voulez-vous qu’ils fassent d’autre ?
Comment avouer l’inavouable ? Comment admettre l’inadmissible ? Comment
imaginer qu’un professeur d’université, qu’un industriel, que deux religieuses
aient pu en arriver aux atrocités qui leur sont reprochées ? ». C’est
inimaginable lorsque vous les voyez, lorsque vous les entendez, ici, à l’audience.
Mais vous allez devoir faire l’effort de replacer ces quatre accusés dans leur
contexte, dans leur environnement, vous devrez faire l’effort de replacer à
côté de ces accusés leurs écrits, leurs déclarations, leurs attitudes, leurs
opinions politiques, leurs actes, et là, vous constaterez que l’inimaginable,
l’impossible devient réalité.
Dernière remarque au sujet des accusés, et je vais
jouer cartes sur table avec vous, Mesdames et Messieurs. Vous vous êtes probablement
demandé comment il se fait que des personnes qui sont accusées de tels crimes
puissent comparaître librement devant vous. Comme on vous la déjà dit, la Chambre
des mises en accusations avait remis en liberté HIGANIRO et NTEZIMANA après
la détention préventive. La Chambre des mises en accusations n’a pas, contrairement
aux réquisitions que j’avais formulées, n’a pas estimé devoir priver de leur
liberté les accusés ou n’a pas estimé devoir me donner la possibilité de les
priver de leur liberté au début du procès. Je dis ouvertement : « Je
le regrette et je le déplore ». Je crois que dans ce genre de procès, et
dans d’autres, la Chambre des mises en accusations s’engage sur des pentes très
glissantes en refusant de donner au ministère public la possibilité d’entreprendre
les démarches nécessaires pour priver, avant le procès ou pendant le procès,
les accusés de leur liberté.
Je le déplore, mais je le constate, et je n’ai aucun
moyen d’y remédier, actuellement en tout cas. Ceci dit, je peux vous affirmer
qu’en ce qui me concerne, si vous arriver à un verdict sur la culpabilité, je
ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour que ces quatre personnes se retrouvent
là où à mon avis ils doivent se trouver, à savoir : en prison. Et puis
d’un autre côté, Mesdames et Messieurs, puisqu’on a joué pendant tout ce procès
cartes sur table, transparence, etc., le fait qu’ils soient en liberté, vous
permettra de juger jusqu’à l’issue du procès sur leur sincérité, sur leur volonté
éventuelle d’assumer jusqu’au bout. Moi, je peux vous garantir que si vous arrivez
à un verdict de culpabilité, je ferai tout pour ce qu’ils assument jusqu’au
bout.
Une dernière remarque. Je vous ai dit que tous les
procès d’assises ont des constantes, je vous ai dit qu’une de ces constantes,
c’est que les accusés tentent de prendre la plus grande distance avec les faits
précis qui leur sont reprochés et tentent aussi - et ça on le constate régulièrement
en Cours d’assises - tentent aussi parfois de noyer le débat en s’en prenant
plutôt aux dossiers ou aux enquêteurs qu’aux faits. Ici, il en va de même, et
vu l’importance du dossier et l’importance de l’enjeu, je dirais aussi :
de manière exponentielle. On s’est pris à peu près tout dans ce dossier. La
manière dont l’instruction a été menée, les commissions rogatoires, les témoignages,
tant en Belgique qu’au Rwanda, le juge d’instruction, les enquêteurs, les méthodes
d’enquête d’African Watch, les méthodes d’enquêtes, par exemple, de Madame DESFORGES,
dont, je crois, tout le monde a pu constater, ici, l’honnêteté, la sincérité
et l’objectivité. On s’en est pris au collectif des parties civiles, on s’en
est pris à l’instruction, aux enquêteurs, parfois même aux interprètes. On a
tenté de faire écarter des pièces du dossier, bien entendu uniquement celles
qui incriminent les accusés. On s’est même pris, je vous l’ai dit, c’est une
première à l’acte d’accusation, demandant que le ministère public biffe ou raye
ou je ne sais pas, ôte des pages de son acte d’accusation.
On a aussi tenté de vous dire - et ça, j’y reviendrai
tout à la fin de mon réquisitoire - on a aussi tenté de vous dire que ce qui
s’est passé au Rwanda est pour une partie, attribuable à la Belgique, à la communauté
internationale, aux Nations Unies. J’y reviendrai, mais je vous dis déjà maintenant :
« Je n’en disconviens pas ! Il suffit d’ailleurs, à cet égard, de
relire le rapport de la Commission parlementaire et il suffit de relire le rapport
de Monsieur DEGNI-SEGUI, rapporteur de l’ONU, qui est venu témoigner ici ».
Tout cela je n’en disconviens pas, mais n’oubliez quand même pas que ce génocide
il ne s’est pas passé, ici, à Bruxelles, il s’est passé au Rwanda. Il a été
préparé de longue date, mûrement réfléchi, planifié par les responsables politiques,
militaires et les intellectuels.
Donc, ne faisons pas, ici, un amalgame comme certains
témoins, je pense ici à un témoin de la toute première semaine, Monsieur DE
BEUL qui fait un amalgame entre le FPR, la Belgique, l’ONU, les associations
de droits de l’homme et même la presse qui serait également une des responsables.
Vous avez vu les gens des collines ici, Mesdames et Messieurs, les agriculteurs
et les agricultrices. Ce ne sont pas des gens qui sur leur colline lisent « Le
Soir », « La Dernière Heure » ou « La libre Belgique »,
n’est-ce pas !
Puis on est passé à la stratégie de parler, non
pas des faits qui nous occupent, mais de ceux qui ont suivi, donc, après la
victoire du FPR. C’est un discours connu, c’est un discours historique, l’histoire
nous apprend que, lorsque de tels faits ont été commis, il y a toujours des
personnes qui se lèvent pour trouver une explication ou pour trouver que les
faits qui ont suivi sont au moins aussi graves que ceux dont on parle. C’est
un discours connu, c’est un discours révisionniste, négationniste. Il n’entre
pas dans mes intentions, Mesdames et Messieurs les jurés, de nier que des exactions,
des massacres même, ont pu avoir lieu par le FPR. Mais je vous le répète :
« On ne justifie pas un génocide en parlant d’autres massacres. On ne justifie
pas des atrocités et des horreurs commises, par d’autres ».
Ce discours, je vous l’ai dit, est un discours connu
qui tente, a posteriori, d’accréditer et dans ce dossier, on tente d’accréditer
une thèse : la thèse de l’autodéfense civile. L’autodéfense civile c’est
en somme la thèse appliquée à échelle nationale de la légitime défense, eh bien,
ce n’est pas du tout le cas dans ce dossier, Mesdames et Messieurs les jurés,
et j’y reviendrai. On constate de manière générale que la problématique du génocide
rwandais fait l’objet d’approches spécifiques qui consistent soit à le nier,
purement et simplement, soit à en minimiser l’ampleur et l’étendue, soit de
l’admettre mais en le justifiant, notamment, par la mise en cause des autres
et en, comme je vous l’ai dit, le représentant comme un acte de légitime défense.
Et finalement, on en est venu - après avoir mis
en cause tout ce dont je vous ai déjà parlé - on en est venu à mettre en cause
la teneur, le contenu des témoignages en vous disant que, je suis peut-être
un peu brutal ici, mais bon, lorsque je les ai entendus c’est pratiquement ça
qu’on a dit : « Que tous les Rwandais, en somme, sont des menteurs,
que vous n’allez jamais, ici, entendre la vérité, qu’il faut se méfier de tout
ce qui va être dit ici et que, vous, avec vos mentalités européennes, vous n’allez
jamais pouvoir comprendre ce qu’un Rwandais vient vous déclarer ».
Cela me semble un peu court et un peu facile. Vous
avez entendu le juge d’instruction VANDERMEERSCH, qui vous a dit qu’il avait
été averti de ces difficultés, mais qui vous a dit aussi qu’avec sa manière
de travailler, il n’a pas eu l’impression que les témoignages étaient dirigés,
manipulés ou sollicités. Les témoignages qui ont été recueillis doivent être
mis en relation avec les éléments matériels du dossier, avec les rapports des
organisations pour le respect des droits de l’homme, avec les prises de position,
les écrits, les prises de position verbales des accusés et lorsque vous mettrez
tout cela côte à côte, vous constaterez que ces témoignages sont recoupés par
beaucoup d’autres éléments qui concordent.
On vous a dit, n’est-ce pas, que tout Rwandais est
un adepte du... je mets des guillemets, du « bien parler », terme
fleuri pour vous dire que tout Rwandais, en somme, est un fieffé menteur. Je
vais d’abord vous dire, Mesdames et Messieurs les jurés, que je ne suis pas
du tout convaincu, mais alors, vraiment pas du tout, que le bien parler est
l’apanage des Rwandais. Je peux vous affirmer que ma pratique quotidienne des
salles d’audience, tant correctionnelles ou d’assises, m’a déjà prouvé que chaque
inculpé ou chaque accusé s’efforce, lorsqu’il est devant ses juges, de bien
parler, de bien mentir, de bien pleurer le cas échéant. Les quatre accusés d’ailleurs,
j’ai fait la remarque sont aussi Rwandais. Donc, si tout Rwandais est un adepte
du bien parler, les quatre ici, eux aussi, sont des adeptes du bien parler et
en plus eux, savent ce qu’ils risquent. Donc, si bien-parler il y a, l’intérêt
le plus grand à bien parler ou a bien se taire, ou à bien mentir, ou à bien
pleurer, c’est dans le box des accusés que vous le trouver. Je voudrais quand
même vous mettre en garde, sur ce que l’on tente de vous faire avaler ici, parce
que ce qu’on essaie de vous démontrer c’est que, tenant compte du contexte,
tenant compte de l’éloignement du Rwanda, tenant compte de la mentalité des
Rwandais, vous ne pourriez pas juger. D’ailleurs, un des avocats de la défense,
dans une déclaration liminaire, a pris ces mêmes termes en bouche : « Vous
ne pourriez pas juger avec vos mentalités européennes ».
Je vous répète, quant à moi, que j’ai confiance
dans la justice, dans le jury, confiance dans votre rôle, dans votre conscience,
parce que, ce que l’on veut vous faire croire, cela veut dire qu’il n’est pas
possible de faire justice, ni au Rwanda, ni en Belgique, ni dans un quelconque
pays, ni devant une quelconque juridiction nationale ou internationale. Porter
à sa conclusion finale, cela veut dire que le génocide rwandais devrait rester
impuni, cela veut dire que toute atteinte aux Conventions de Genève restera
impunie parce qu’il y aura toujours des éléments de contexte, il y aura toujours
un éloignement territorial, il y aura toujours des mentalités différentes. Si
cela est votre conviction - mais je suis certain que ce ne l’est pas - mais
si cela est votre conviction alors arrêtons ici les débats, arrêtons les frais,
fermons les yeux et laissons massacrer, exterminer, tuer, violer puisque justice
ne pourrait quand même jamais être faite.
Je réfute avec véhémence cette manière de voir les
choses. On vous l’a dit : « Vous n’êtes pas simplement un tribunal
belge, vous êtes un tribunal international vous êtes un tribunal universel »,
et il n’est pas exagéré de dire que votre rôle est historique et que tous les
yeux sont fixés sur vous. Vous allez rendre un jugement, un verdict qui aura
valeur d’exemple et après que vous aurez entendu les charges contre les quatre
accusés, vous condamnerez ces accusés et vous prouverez qu’il y a une justice
internationale, qu’il y a une conscience universelle et vous prouverez que la
communauté internationale, par votre entremise, par votre voie, met et mettra
une frontière un : « Halte ! » aux génocidaires, aux crimes
de guerre, aux crimes contre l’humanité, où que ce soit et par qui que ce soit.
J’en viens maintenant brièvement à la loi du 16
juin 1993 qui est donc la base juridique de votre compétence. Il n’entre pas
dans mes intentions de vous faire un cours de droit pénal international, mais
je dois quand même vous donner quelques explications, parce que cette loi ne
détermine pas uniquement votre compétence, mais détermine aussi les éléments
constitutifs des infractions et fixe aussi les limites de la preuve qui vous
devra être faite par mon office. La loi du 16 juin 1993 est donc l’application
des Conventions de Genève de 1949. Il faut bien constater que la Belgique est
toujours parmi les premiers pour signer, mais parmi les derniers pour ratifier
les Conventions internationales, enfin, cette Convention, ici, a été ratifiée
en 1993 et la loi s’en est suivie assez rapidement.
Je ne crois pas devoir insister longtemps sur le
contexte dans lequel les Conventions de Genève ont vu le jour. Nous sommes à
la sortie de la deuxième guerre mondiale, le monde a pris connaissance avec
effroi, avec incrédulité, avec horreur, des atrocités commises par les Nazis
et la réaction est, cette réaction va se traduire dans les Conventions de Genève,
la réaction ce sera : « Plus jamais cela ! ». Et c’est dans cette
perspective que vont être conclues ces Conventions : une réaction des nations
civilisées contre l’horreur absolue, contre les camps de concentration, contre
l’extermination, contre l’holocauste. C’est d’ailleurs un des constats les plus
amers, les plus douloureux qu’on puisse faire c’est que 45 ans après la conclusion
de ces Conventions, pratiquement 50 ans par la tragédie de la deuxième guerre
mondiale, on a, à nouveau, versé dans les mêmes horreurs, les mêmes excès, les
mêmes atrocités que ces Conventions étaient censées prévenir.
La loi de 1993 a été modifiée en février 1999. Je
vous le signale parce que la loi de 93 à l’origine ne concernait que les crimes
de guerre, c’est à dire les infractions graves de droit international humanitaire.
C’est la loi de février 1999 qui a ajouté deux articles et qui a également prévu,
non seulement les crimes de guerre, mais aussi le génocide et les crimes contre
l’humanité. La loi de 1999 n’était pas encore applicable en 1993 et dès lors,
les poursuites qui sont intentées, ici, contre les quatre accusés le sont sur
base de la loi de 93. Cela veut donc dire que les quatre accusés, ici, ne sont
pas poursuivis pour des faits de génocide, ils sont poursuivis pour des infractions
graves au droit international humanitaire. Les faits qui ont été commis ont
bel et bien été commis lors du génocide rwandais, mais la qualification légale
qui leur est donnée est : infraction grave contre le droit international
humanitaire.
La loi du 16 juin 1993 est une loi qui a placé la
Belgique à l’avant-point de la lutte contre les crimes de droit international,
parce que c’est une loi qui permet aux autorités belges, aux autorités judiciaires
belges de poursuivre les personnes suspectées d’infractions contre les Conventions
de Genève quel que soit le lieu où les faits se sont passés, quelle que soit
la nationalité des accusés, quelle que soit la nationalité des victimes. C’est
ce qu’on appelle la compétence universelle des juridictions belges. La Belgique
a estimé que devant la gravité des crimes que ces Conventions répriment, il
ne peut être question d’ériger des frontières, des barrières - le mot ici est
très mal choisi - pour juger des criminels de droit international. Cette loi
a été accueillie favorablement par certains juristes alors que d’autres s’y
sont opposés arguant du fait qu’une telle loi n’était pas applicable en pratique
ou au contraire qu’elle risquait de faire de la Belgique, et je cite :
« Le gendarme du monde ».
Certains sont même allés plus loin en disant qu’une
telle législation, ou qu’en adoptant une telle législation, la Belgique faisait
preuve d’une nouvelle forme d’impérialisme, voire même de néo-colonialisme.
Vous aurez déjà compris par ce que je vous ai dit dans le début de mon réquisitoire
que je ne partage pas du tout cette vision des choses. Moi, je crois que la
Belgique, les autorités belges, les autorités judiciaires se grandissent en
tentant de barrer la route aux criminels de droit international, en tentant
de s’ériger contre des crimes de droit international et en tentant de lutter
contre l’impunité pour des faits aussi graves. Personnellement je n’y vois pas
une attitude impérialiste ni néo-colonialiste, ni même comme d’autres ont voulu
le suggérer une attitude qui aurait pour but de rendre à la Belgique une bonne
conscience. Moi, j’estime qu’il s’agit d’une attitude courageuse, généreuse
et à tout dire, d’un simple devoir d’humanité. Ce n’est pas parce qu’on et un
petit pays, que l’on ne peut pas avoir de grandes ambitions et de grandes idées.
Je vous ai déjà dit, qu’affirmer le contraire est une attitude qui mène tout
droit à l’impunité totale et absolue pour des criminels de guerre, pour des
génocidaires, pour des auteurs de crime de droit international.
La compétence universelle n’est pas simplement une
formule juridique, c’est, je vous l’ai déjà dit, un devoir humain, un devoir
d’humanité, c’est l’obligation, soyons clairs, c’est l’obligation de ne pas
détourner le regard, de ne pas fermes les yeux, de rompre le silence, parce
que le silence est l’alternative du négationnisme, du révisionnisme. La compétence
universelle, c’est rendre la justice aussi difficile que ce soit, aussi douloureux
que ce soit avec les moyens qui sont les nôtres, avec les exigences de la procédure,
mais c’est un devoir d’humanité. J’insiste encore une fois là-dessus !
Il n’y a pas d’autre voie possible ! Il n’y a pas d’autre alternative !
C’est ça ou c’est rien ! C’est ça ou c’est le silence total, je dirais,
dans ce contexte-ci : « Le silence, alors, des fosses communes ».
L’impact de la loi du 16 juin 1993 a été énorme
et cela est dû principalement à deux raisons. La première c’est que la Belgique
en ratifiant ces Conventions est en fait allée plus loin que ce que les Conventions
de Genève lui imposaient. La Belgique a, en effet, intégré dans son texte les
notions reprises dans le deuxième Protocole additionnel de ces Conventions de
Genève, ce qui fait que la compétence universelle des autorités judiciaires
belges est une des plus étendues au monde. Un petit mot d’explication. Le premier
Protocole additionnel régit les conflits armés internationaux. Le deuxième Protocole
additionnel a trait aux conflits armés non internationaux donc, les conflits
armés internes. En ce qui concerne les événements du Rwanda, nous nous trouvons
donc, dans le cadre de la deuxième… du deuxième Protocole additionnel un conflit
armé non international dont je vous donnerai, tout à l’heure, la définition
exacte, définition qui est importante pour la suite et notamment, pour l’existence
des éléments constitutifs.
La deuxième raison de l’impact de la loi du 16 juin
1993, c’est que la Belgique est un des seuls pays au monde où la partie civile
donc, les préjudiciés, les victimes, disposent de la possibilité d’elles-mêmes
mettre en mouvement la procédure pénale. Donc, cela veut dire qu’une victime
peut se constituer partie civile entre les mains du juge d’instruction et par
ce fait là, faire démarrer des poursuites. Donc, lorsque vous combinez ces deux
éléments, la compétence universelle extrêmement étendue et la possibilité d’action
des parties civiles, vous arrivez à la constatation qu’une victime, même, par
exemple, simplement de passage, ici, en Belgique, si elle estime avoir été victime
de faits qui tombent sous l’application des Conventions de Genève, plus spécialement
du deuxième Protocole, peut se constituer partie civile entre les mains d’un
juge d’instruction et par ce fait, faire démarrer, ici, en Belgique une instruction
judiciaire. Plusieurs plaintes, actuellement, sont à l’instruction pour des
faits qui ont eu lieu dans différents pays, à différentes époques au Cambodge,
en Iran au Maroc et d’autres.
Je voudrais quand même apporter une petite précision.
Bien que la Belgique dispose donc, effectivement, d’une compétence universelle
très étendue, illimitée pratiquement, les autorités judiciaires ont quand même
veillé à ce qu’il y ait certains liens entre les auteurs ou les victimes et
la Belgique. Pour le dossier qui nous occupe aujourd’hui par exemple, ce lien
est évident : les quatre accusés se trouvaient en Belgique au moment où
les poursuites ont été intentées. Lorsque Monsieur NSANZUWERA est venu ici,
on lui a posé la question de savoir s’il avait lancé un mandat d’arrêt international,
un mandat d’arrêt en vue d’extradition, il vous a dit qu’il avait effectivement
dressé un tel mandat ou un mandat qui en droit rwandais, un mandat d’amener
équivaut à cette notion, mais je vous ai expliqué que puisqu’il n’y a pas de
traité d’extradition entre le Rwanda et la Belgique, une telle démarche n’avait
aucune raison d’aboutir. Donc, le lien ici est clair : les quatre accusés,
au moment des poursuites, se trouvaient, ici, en Belgique, ayant fui le Rwanda
et s’étant réfugiées sur notre territoire, où apparemment, ils croyaient bénéficier
d’une totale impunité. D’autres dossiers sont à l’instruction en Belgique. Ces
autres dossiers ont également des liens, je prends par exemple un des dossiers
les plus pénibles, l’assassinat des dix casques bleus, là, le lien avec la Belgique
est évident, les victimes sont belges. Il y a encore d’autres dossiers, où il
s’agit d’assassinat de coopérants d’une ONG : même raisonnement les victimes
sont belges, il y a donc un lien avec la Belgique.
Je reviens donc maintenant à ce fameux deuxième
Protocole qui s’applique donc, aux conflits armés non internationaux. L’article
premier du deuxième Protocole additionnel définit comme suit un conflit armé
non international : « Il s’agit de conflits armés qui se déroulent
sur le territoire d’une autre partie contractante entre ses forces armées, donc
les forces armées d’une part et des forces armées dissidentes ou des groupes
armés organisés qui, sous la conduite d’un commandement responsable, exerce
sur une partie de son territoire un contrôle tel qu’il leur permette de mener
des opérations militaires continues et concentrées ». Donc, pour que ce
deuxième Protocole puisse s’appliquer, je dois donc vous prouver, je dois donc
établir que le Rwanda faisait, à l’époque, l’objet d’un conflit armé interne
opposant les forces, disons régulières, aux forces rebelles avec un commandement
responsable, avec une autorité sur une partie du territoire et avec des opérations
militaires continues et concentrées…
Le Président :
Concertées, Monsieur l’avocat général !
L’Avocat Général :
Concertées. Ah, j’ai dit concentrées ?
Le Président :
Oui…
L’Avocat Général :
Concertées… Je crois qu’il ne fait aucun doute
que le Rwanda se trouvait en état de guerre à partir du 1er octobre
1990. C’est la date à laquelle le FPR entre dans le Nord du pays par l’Ouganda.
Vous avez entendu les témoins, le professeur REYNTJENS, Madame DESFORGES, et
même… une personne à laquelle je reviendrai plus tard qui faisait partie elle
de l’état-major du FPR… à partir du 1er octobre 1990, le Rwanda était
en guerre. Il y a eu des opérations militaires continues et concertées, il y
avait un commandement responsable, l’état major du FPR et il y avait une occupation
du territoire. Cette occupation, au début de la guerre, s’est limitée à une
petite partie du territoire au Nord-Est du pays, puis en 1992 ou 93, il y a
eu une avance plus importante et une plus grande partie du territoire a été
occupée par les forces du FPR. Il y a eu un cessez-le-feu, mais les cessez-le-feu
ont été violés à plusieurs reprises. Les accords d’Arusha n’ont jamais été mis
en application, j’y reviendrai lorsque je parlerai de Monsieur HIGANIRO. Il
est donc clair que le Rwanda, à partir du 1er octobre 1990, et je
situe la fin de la période au 18 juillet 1994, c’est donc à ce moment là l’entrée
victorieuse du FPR et la fin de la guerre, entre ces deux dates, le Rwanda se
trouvait en état de guerre, de guerre interne, de conflits armés entre forces
régulières et forces rebelles avec des actions militaires et avec une occupation
du territoire.
C’est un élément constitutif des infractions. C’est
un élément qui figurera d’ailleurs dans le libellé de la question, ou des questions,
qui vous seront posées. Je vous rappelle, Mesdames et Messieurs les jurés, que
la loi du 16 juin 1993 n’incluait, à l’époque, que les crimes ou les infractions
graves au droit international humanitaire, donc, pas ou pas encore le génocide
ni les crimes contre l’humanité. La loi énumère ces infractions, je ne vais
pas vous les énumérer toutes. Celle qui est retenue, ici, par mon office c’est
l’homicide intentionnel, le meurtre. Vous verrez d’ailleurs que, dans mon acte
d’accusation, je vais même plus loin puisque je ne retiens pas le meurtre, mais
je retiens l’assassinat c’est-à-dire, le meurtre avec préméditation mais, je
dirais que c’est un élément qui n’a pas d’importance, ici, puisque la loi de
1993 parle d’homicide intentionnel sans parler du fait que cet homicide soit
prémédité ou pas. D’ailleurs, dans le cadre d’un génocide, tous les actes qui
ont été accomplis sont bien évidemment des actes prémédités. Bien que l’infraction
visée n’est donc pas le génocide, vous devrez tenir compte du fait que tout
ce qui est reproché aux accusés entre dans le cadre de ce génocide. Dans une
logique génocidaire et dans cette logique génocidaire, où tout était préparé,
planifié depuis longue date, cette préméditation ne fait, bien entendu, pas
l’ombre d’un doute.
Deuxième élément important, ce sont les modes de
commission des faits, donc de quelle manière les faits qui sont reprochés aux
accusés ont-ils été commis ? Je vous renvoie à mon acte d’accusation, à
la page 35 et 36, où ces modes de commission sont relatés. Et je cite :
« Soit donner l’ordre, même non suivi d’effets, de commettre des crimes
de droit international, soit proposé ou offert de commettre des crimes de droit
international ou accepter une pareille proposition ou offre, soit provoqué à
commettre des crimes de droit international, même si la provocation n’a pas
été suivie d’effets, soit participé au sens des articles 66 et 67 du Code pénal
aux crimes de droit international même si la participation n’a pas été suivie
d’effets ». Donc, ici, on retombe sur notre législation interne, les articles
66 et 67 concernent ce qu’on appelle la coréité, donc, c’est la participation
de plusieurs auteurs à une infraction, et les articles 66 et 67 énumèrent donc
les manières dont on peut participer, soit à l’exécution, à la préparation,
à la provocation, à l’ordre etc. de commettre des infractions.
Autre mode de commission spécifique retenu dans
la loi de 1993 : « Avoir omis d’agir dans les limites de sa possibilité
alors qu’il avait eu connaissance d’ordres donnés en vue de l’exécution de crimes
de droit international ou de fait qui en commencent l’exécution ». Et puis,
dernière élément, la tentative de commettre des crimes de droit international
est punie au même chef que l’infraction accomplie. Le législateur a estimé que,
se trouvant devant des crimes d’une gravité extrême, il fallait étendre d’une
part les modes de participation, et l’omission d’agir par exemple, en est la
preuve la meilleure ce que dans l’omission d’agir, le législateur veut punir,
c’est en somme ce que j’appellerai le crime de la lâcheté. Ce que je veux vous
expliquer par-là, Mesdames et Messieurs les jurés, c’est que je ne dois pas
prouver que Monsieur NTEZIMANA, Monsieur HIGANIRO, Madame MUKANGANGO ou Madame
MUKABUTERA, aient personnellement, de leurs propres mains, assassiné, tué, exterminé
des personnes. Ca, ce n’est pas à moi du prouver. D’ailleurs, je ne dis pas
que les quatre accusés aient, personnellement, de leurs propres mains, tué des
personnes, bien que, pour certains d’entre eux et pour certains faits, on se
rapproche fort près de cette notion.
Ce que je dois vous prouver, c’est que les quatre
accusés ont, par un des modes de commission retenus dans mon acte accusation
et dont je vous ai donné lecture maintenant, et j’attire votre attention sur
le fait que lorsque vous lisez ces modes de commission, il s’agit de « soit,
soit, soit » donc, il suffit qu’un de ces modes de commission soit présent,
ce que je dois vous prouver c’est que les quatre accusés, ici, ont soit ordonné,
soit proposé, soit offert, soit participé au sens des articles 66 et 67, donc
apporté une aide quelconque à la consommation de l’infraction, soit provoqué,
soit ordonné des crimes de droit international, soit omis d’agir pour empêcher
la commission de tels crimes. Ce que moi je dois vous prouver, c’est que les
attitudes des accusés, que leurs prises de positions publiques, leur écrits,
leurs déclarations, leurs actes, l’absence d’actes ont mené, inéluctablement,
à l’accomplissement des faits qui sont retenus à leur charge. Je le ferai pour
chacun des accusés, et vous verrez qu’en mettant côte à côte leurs dires, leurs
écrits, leurs lettres, leurs déclarations, leurs actes répercutés par plusieurs
témoins dans ce dossier et non pas en essayant d’isoler ces écrits ou ces déclarations
de la personnalité des accusés, vous verrez qu’en mettant tout cela ensemble,
leur attitude entre parfaitement pour chacun des quatre accusés dans les modes
d’exécution qui sont prévus par la loi.
Vous aurez aussi remarqué, Mesdames et Messieurs
les jurés, que le texte de la loi reprend à chaque fois - après avoir déterminé
la manière - reprend à chaque fois la phrase : « Même si cet ordre,
cette offre, cette proposition, cette provocation, cette participation n’a pas
été suivie d’effets ». J’aurais aimé pouvoir vous dire que les listes de
Monsieur NTEZIMANA, ses écrits, ses déclarations, ses liens avec les militaires,
que les lettres de Monsieur HIGANIRO, ses comités MRND, qu’ils soient grands
ou petits, ses mises en demeure au président, l’engagement de miliciens Interahamwe,
la mise à disposition éventuelle de véhicules, j’aurai aimé pouvoir vous dire
que tout cela n’a pas été suivi d’effets. Malheureusement, cet effet a eu lieu,
cet effet était prévu et cet effet était voulu. J’aurais aimé pouvoir vous dire
que l’attitude des deux sœurs, leur refus d’accueillir des réfugiés, leur refus
de les nourrir, leur refus de les héberger, la fourniture de l’essence attestée
pas plusieurs témoins, leur aide active pour faire sortir du couvent et livrer
aux miliciens jusqu’au dernier des réfugiés, la lettre de mai 94 adressée au
bourgmestre, j’aurais aimé pouvoir vous dire que tout cela n’a pas été suivi
d’effets. Malheureusement, cet effet est là ! Je crois qu’à Sovu il y a
eu entre 3.500 et 6.000 victimes, l’effet était là, l’effet était voulu, l’effet
était escompté et cet effet a bien eu lieu.
Avant d’interrompre un petit instant et passer,
peut-être tantôt alors, à l’étude des différents dossiers, je voudrais attirer
quand même votre attention sur certaines similitudes, tant de situations, que
de comportement entre ces quatre accusés. Ces quatre accusés occupent, je vous
l’ai déjà dit, à des niveaux divers et différents et dans des structures différentes,
une place d’importance dans la société rwandaise. On vous a déjà dit, je ne
vais pas y revenir, je ne vais pas vous donner un cours de sociologie, que la
société rwandaise est fort hiérarchisée, qu’il s’agit d’une société dans lequel…
ou dans laquelle, le rôle social, le statut, la carrière est fort importante
et extrêmement déterminante pour les rapports et les relations que les personnes
entretiennent entre elles, pour les rapports de déférence, d’obéissance, qui
en découlent.
Plusieurs des faits qui sont mis à charge des accusés
doivent être vus à la lumière, justement, de ces relations, relations dans lesquelles
les uns sont les obligés des autres, leur devant respect, obéissance, en raison
par exemple du fait qu’ils sont hébergés, qu’ils sont employés par les accusés
ou par le fait que ces accusés, dans leur environnement, représentent une certaine
hiérarchie sociale pour les autres. NTEZIMANA, intellectuel, universitaire,
engagé politiquement, président de l’APARU, co-fondateur et secrétaire général
du PRD, lié à plusieurs personnes dont les noms reviendront souvent dans les
événements du Rwanda, Monsieur RUHIGIRA par exemple, Monsieur Alexis NSABIMANA,
Monsieur le colonel Anatole NSENGIYUMVA, le capitaine NIZEYIMANA, Monsieur HIGANIRO,
Monsieur NTEZIMANA est à Butare une autorité, tant universitaire et intellectuelle
que politique. Les personnes qui sont hébergées par lui, je pense ici, et j’y
reviendrai Monsieur NKUYUBWATSI, lui sont bien entendu totalement inféodées.
Alphonse HIGANIRO, ex-ministre, ex-secrétaire général
de la CPGL directeur général de la SORWAL, proche du président si même pas -
je le laisse au milieu - si même pas membre de l’Akazu, politiquement engagé
dans des formations extrémistes, protégé par des militaires partout où il réside,
lié au grands responsables de l’Etat, il suffit de voir par exemple l’escorte
lorsque Monsieur HIGANIRO va quitter Butare vous trouverez dans cette escorte
rien que du beau monde, avec, en tête Monsieur Théoneste BAGOSORA. Monsieur
HIGANIRO qui, dans ses clients qu’ils soient douteux ou pas, qu’ils fassent
des commandes payées ou impayées ou avec des chèques sans provision, ça m’est
tout à fait égal mais on retrouve le président des Interahamwe et deux vice-présidents,
Monsieur HIGANIRO, qui a les mêmes relations que Monsieur NTEZIMANA, le capitaine
NIZEYIMANA et j’en passe. Pour Butare, la ville intellectuelle de pays, vous
avez là les trois piliers dont on vous a déjà parlé : les intellectuels
idéologues, les politiciens industriels et le troisième pilier qui, ici, est
absent, le pilier militaire, le bras armé, le capitaine NIZEYIMANA.
Et lorsqu’on prend cette description à Butare on
peut avec certaines modifications l’appliquer également à Sovu. Tenant compte
de la situation plus locale, on retrouve le même schéma à Sovu. On vous a déjà
suffisamment dit ce que représente l’Eglise catholique au Rwanda. Pour les agriculteurs
et les agricultrices des collines de Sovu, des religieuses représentent non
seulement une autorité religieuse, mais aussi une autorité morale et une autorité
intellectuelle. Sœur Gertrude, en tant que première prieure rwandaise du couvent
de Sovu, avait bien évidemment, à, Sovu une place de choix. Sœur Kizito, en
tant que religieuse originaire des collines, connaissant tout le monde ayant…
d’ailleurs cela a été confirmé ici, certains liens de famille avec des gens
des collines est, en tant que bras droit, confidente, je dirais même alter ego
de sœur Gertrude, avait également là, à Sovu, une place prépondérante. Et ici
aussi, vous allez retrouver les mêmes alliances qu’à Butare, les responsables
politiques, mais on descend du niveau national au niveau local, le bourgmestre
Jonathan RUREMESHA, l’assistant du bourgmestre Gaspard RUSANGANWA, le conseiller
le témoin 151 des noms qui reviendront aussi à plusieurs reprises dans le récit des
événements de Sovu.
Je reviendrai là-dessus mais, je vous le dis maintenant : « Lorsque
sœur Gertrude écrit au bourgmestre, en mai 94, ce dernier va s’exécuter illico
presto, le jour après il est là, donc, sœur Gertrude avait une influence et
je dirais même, une influence déterminante à Sovu, non seulement sur les autres
sœurs mais également sur ses relations ». Et à Sovu aussi, vous avez le
bras armé, vous avez d’une part le colonel le témoin 151, vous avez le lieutenant
HATEGEKIMANA et puis vous avez l’inévitable Emmanuel REKERAHO. Donc, même s’il
y a des différences, évidentes de contexte entre Butare et Sovu, il faut constater
qu’il y a un fil rouge, une même trame, une même démarche, une même disposition
d’esprit chez les quatre accusés. Outre une identité de vue au niveau politique
et une osmose certaine avec les responsables militaires ou les miliciens. Deuxième
observation - et là je me base sur les témoignages de Monsieur NSANZUWERA, mais
les autres sources vont aller dans la même direction - à l’époque des faits,
à l’époque des événements, les responsables au niveau du gouvernement, les responsables
au niveau politique, étaient sûrs et certains et le faisaient d’ailleurs savoir
avec tous les moyens appropriés, étaient sûrs et certains qu’ils allaient gagner
la guerre.
Le rapport de force entre les forces rwandaises
FAR et FPR était 50.000 pour les forces armées rwandaises et beaucoup moins
du côté FPR. Ce que je veux vous dire par-là, c’est que tout le monde qui a
basculé lors des événements rwandais, en 94, dans le génocide a cru pouvoir
le faire dans toute impunité. Les auteurs des massacres s’étaient non seulement
auto-justifiés, mais étaient également convaincus que ce qu’ils faisaient, ils
pourraient le faire en toute impunité et sans qu’aucun d’entre eux ne soit jamais
inquiété pour ces faits. Je voudrais que vous gardiez cela à l’esprit, Mesdames
et Messieurs les jurés, lorsque je commencerai après une petite interruption
l’étude des dossiers individuels des quatre accusés.
Le Président :
Merci, Monsieur l’avocat général. Nous allons
suspendre l’audience, nous la reprenons vers 11 h 15. Ca fait une vingtaine
de minutes de suspension. |
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