assises rwanda 2001
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Débats Réquisitoire avocat général compte rendu intégral du procès
Procès > Débats > Réquisitoire avocat général > Dossier V. Ntezimana
1. Général 2. Dossier V. Ntezimana 3. Dossier A. Higaniro 4. Dossier C. Mukangango et J. Mukabutera 5. Conclusions
 

9.2.2. Réquisitoire de l’avocat général: Dossier Vincent NTEZIMANA

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir. Les accusés peuvent prendre place. Monsieur l’avocat général, je vous restitue la parole pour la suite de vos réquisitions.

L’Avocat Général : Je vous remercie, Monsieur le président. Je vais aborder donc maintenant le cas du premier accusé, Monsieur Vincent NTEZIMANA. Je vous ai déjà dit, Mesdames et Messieurs les jurés, qu’il faut mettre en relation la personnalité de l’accusé et ses actes, ses dires et ses écrits et ne pas, comme on tente du faire, de les isoler les uns des autres. Vincent NTEZIMANA a, ou tente de donner cette impression, a plusieurs personnalités. Il faut en effet distinguer le Vincent NTEZIMANA étudiant ici en Belgique qui pense politique, écrit sur la politique, donne ses opinions, se profile comme un parfait démocrate bien qu’il y ait quand même déjà, et je vais y revenir, des dérapages dont certains, pour utiliser un terme du dossier, sont loin d’être contrôlés. Il faut distinguer le Vincent NTEZIMANA réfugié, ici, en Belgique, après les faits, qui a réponse à tout, qui anticipe, qui prend les devants en accusant lui-même certaines personnes, qui écrit des lettres et des livres ­ livres, j’y reviendrai d’ailleurs, préfacé par deux témoins qui sont venus ici à la barre - qui est prêt à réfuter tout, prêt à contre-argumenter, qui a réponse à tout ou à presque tout.

Il faut surtout le distinguer du Vincent NTEZIMANA qui se trouve au Rwanda en 1993, qui, là sur place, est considéré par plusieurs témoins comme quelqu’un d’ambitieux - le terme a été utilisé par un témoin - quelqu’un qui voulait aller trop vite, quelqu’un qui dans ses discours a une attitude extrémiste, qui côtoie des personnes dont les vues extrémistes sont avérées, qui participera, en plein génocide, à une réunion restreinte avec le premier ministre, qui est lié avec d’autres génocidaires connus, le capitaine NIZEYIMANA, et qui héberge, chez lui, le nommé NKUYUBWATSI Innocent. Le Vincent NTEZIMANA qui aussi, j’y reviendrai, je l’ai déjà fait dans le cours des débats, écrit - lui dit que ce n’est pas de sa main - une lettre en février 94, dont les termes et dont le contenu ne laissent que très peu d’illusions sur les vues extrémistes de l’intéressé.

Il faut le distinguer du Vincent NTEZIMANA qui, au beau milieu des événements, circule, lui apparemment, librement, de jour comme de nuit, qui est accompagné de militaires, qui réussit au beau milieu du génocide à se rendre, à deux reprises, dans le Nord du pays près du front, alors que soi-disant, il ne peut même pas se rendre au campus de l’université. C’est cet NTEZIMANA-là que je vous demande de considérer, Mesdames et Messieurs les jurés, avec ses actes, avec ses prises de positions, avec ses démarches, notamment pour armer la population civile. Ces lettres, ces démarches, ces actions, ces refus d’action cadrent avec les témoignages que nous avons entendus, ici à l’audience, et cadrent avec d’autres témoignages qui figurent au dossier.

La défense va vous présenter un tout autre NTEZIMANA, une personne affable, charmeuse, raisonnable, mesurée. En Cours d’assises, Mesdames et Messieurs les jurés, les avocats utilisent souvent l’expression « capable n’est pas coupable ». Ce que la défense va essayer de vous faire croire et de vous démontrer, c’est que NTEZIMANA n’est pas capable de commettre les faits qui lui sont reprochés et que, partant, il est donc, inéluctablement, pas coupable. C’est une vision que je ne partage pas du tout et il me semble que même dans ce que je désignerais comme la première période - c’est les études ici en Belgique - il y avait, déjà à ce moment-là, des signes, des indications de ce que Vincent NTEZIMANA est vraiment.

Vincent NTEZIMANA tente de se donner, et à l’aide de plusieurs documents et de témoignages, une image de parfait démocrate, de parfait modéré. Il y a néanmoins, quand même, des déclarations de témoins qui font état de propos ouvertement et d’attitudes ouvertement anti-Tutsi déjà pendant son séjour en Belgique, entre octobre 90 et avril 93, également au Rwanda avant et pendant le génocide. Vincent NTEZIMANA réfute tous les témoignages le taxant d’extrémiste anti-Tutsi, admettant uniquement qu’il était contre le FPR parce que celui-ci avait entraîné le Rwanda dans la guerre depuis octobre 90.

Le fait que l’intéressé soit contre le FPR est une position qu’on peut admettre à partir du moment que l’on considère que le FPR est un agresseur militaire, mais il me semble, et il y a plusieurs indications dans le dossier qui le démontrent, que Monsieur NTEZIMANA n’était pas seulement contre le FPR, mais qu’il était contre les Tutsi, tant ceux de l’extérieur que ceux de l’intérieur, et que sa vision était en somme celle définie par les autorités politiques et militaires lorsqu’elles ont donné la définition de l’ennemi. Souvenez-vous, on part du FPR, puis les ennemis de l’intérieur, puis les complices, puis les personnes qui ne partagent pas les vues du gouvernement, etc. Eh bien, plusieurs indications dans ce dossier tentent à démontrer que Monsieur NTEZIMANA se trouve fort proche de ces vues et d’ailleurs, en plein milieu du génocide, il y aura une réunion à l’UNR où Monsieur Vincent NTEZIMANA, d’après plusieurs témoins, prendra la parole justement pour déclarer qu’il soutient l’action du gouvernement de Monsieur KAMBANDA à ce sujet.

Je prends la déclaration de Monsieur le témoin 124, qui a étudié ici avec Monsieur NTEZIMANA en Belgique. Vous savez, c’est cette personne dont Monsieur le témoin 144 dit qu’il n’avait qu’une distinction donc qu’il n’était pas du tout brillant, mais enfin, ça ne veut quand même pas dire que son témoignage doit être jeté comme ça à la poubelle, n’est-ce pas ? Monsieur BONFILS laisse extrêmement peu de doutes sur les idées de Monsieur NTEZIMANA, ainsi d’ailleurs que sur ses fréquentations. L’accusé se trouvait souvent en compagnie d’un nommé Joseph Désiré RUHIGIRA et d’un nommé Papias NGABOYAMAHINA, noms qui vont revenir à plusieurs reprises dans ce dossier, deux personnes qui, d’après ce témoin, étaient des étudiants entre guillemets, Monsieur Joseph Désiré RUHIGIRA si je ne me trompe pas était major, mais faisait des études d’architectures, peut-être pour, je ne sais pas pour construire des forts au Rwanda… en tout état de cause, ce que le témoin déclare, c’est que ces deux personnes étaient des étudiants entre guillemets et qu’en fait c’était des personnes qui travaillaient comme agents de sécurité au sein de l’ambassade rwandaise, ici en Belgique

Monsieur le témoin 124 dit, et je le cite : « Que les discussions qu’il avait avec Monsieur NTEZIMANA n’étaient pas très originales, Monsieur NTEZIMANA se limitant à un discours assez connu, à savoir : les Tutsi seraient exterminés s’ils devaient tenter de revenir par la force ». Monsieur le témoin 124 va également donner quelques renseignements sur le trajet politique suivi par Monsieur NTEZIMANA qui va donc adhérer au MDR, puis devenir secrétaire général du MDR Benelux, mais qui va aussi pendant un certain moment, être membre du CERB, donc le Centre des Etudiants Rwandais ici en Belgique dont, dixit toujours Monsieur le témoin 124 : « Les prises de position étaient connues, la manipulation était trop grosse et trop évidente ». Vous entendrez que Monsieur NTEZIMANA va vous dire, par l’entremise de la défense, qu’à partir d’un certain moment il a démissionné de ce CERB, mais je vous signale quand même, que Monsieur le témoin 124 lui-même, qui ne peut quand même pas être suspecté à ce niveau-là déclare, je le re-cite : « La manipulation était trop grosse et trop évidente ».

Alors, je vais reprendre encore une fois une expression de Monsieur le témoin 144, qui, lorsqu’il a tenté de démolir la crédibilité d’un témoin, ici à l’audience, a eu cette parole, cette expression, il s’agit donc de Madame le témoin 50 lorsqu’elle fait sa déclaration au sujet de l’appel aux Bahutu : « Il s’agit d’une déclaration ayant l’apparence de la vérité », eh bien, je vais reprendre cette image. Monsieur NTEZIMANA donne l’apparence d’un parfait démocrate, d’un modéré, d’un homme de dialogue ; la réalité derrière cette apparence est tout à fait autre, et elle fait surface par les déclarations de plusieurs personnes, par des écrits émanant de l’accusé lui-même et par les personnes qui l’entourent. Ces déclarations, ces contacts, ces écrits donnent une toute autre dimension, une toute autre image de l’accusé, un homme avec l’apparence d’un démocrate, mais en réalité, un extrémiste féroce.

Et je prends le premier témoignage, Monsieur KARANGWA Célestin. Monsieur KARANGWA Célestin déclare à la police judiciaire, en 1995, que fin… au moment de l’attaque du FPR, il a assisté à une réunion tenue par les étudiants Hutu du Rwanda au Centre international des étudiants à Louvain la Neuve, réunion présidée par Monsieur, le voila de nouveau, Papias NGAGOYAMAHINA. Et alors, dit Monsieur KARANGWA : « Cette réunion visait à nous informer sur la situation au Rwanda. NTEZIMANA Vincent, qui était présent, a proposé la solution suivante… », bon je vais vous lire la solution proposée par Monsieur NTEZIMANA, vous jugerez si c’est une solution qui, à votre estime, peut être considérée comme émanant d’un modéré et d’un parfait démocrate. NTEZIMANA Vincent a proposé la solution suivante : que les militaires et les fonctionnaires acceptent de ne pas être payés pendant un mois, les fonds ainsi libérés pourraient ainsi servir à l’achat de machettes à distribuer à tous les paysans Hutu du Rwanda qui pourraient alors s’occuper du sort des Tutsi, sous-entendu, qui pourraient alors liquider les Tutsi. Le problème serait ainsi réglé une fois pour toute. Ce sont là des termes d’un véritable modéré.

Autre déclaration, celle de Monsieur le témoin 53, qui confirme que Monsieur NTEZIMANA tenait des propos ethnistes, je cite : « Cela se passait peu après les attaques du FPR sur le Rwanda en 90. Nous étions en train entre Ottignies et Bruxelles et je lisais un article de presse relatant les témoignages de soldats belges présents au Rwanda. Vincent se trouvaient en compagnie de son épouse. Nous avons abordé la question du conflit, Vincent s’est énervé et il m’a dit : on n’a pas de leçons à recevoir d’un Tutsi et surtout pas d’un Tutsi du Burundi. De toutes façons, les Tutsi il faut les tuer tous ».

Vous avez également la déclaration de Madame MUKANGOMEJE Rose, qui donne des renseignements sur le parcours qu’a suivi Monsieur NTEZIMANA. Vous avez aussi entendu ici le témoignage de Monsieur Tharcise le témoin 150, je cite : « NTEZIMANA était, d’après mes souvenirs, de tendance très extrémiste Power. Je l’ai entendu dire un jour que tous ceux qui n’étaient pas de sa tendance étaient des Inkotanyi ou leurs complices. A l’université, il était un des meneurs des réunions extrémistes avec le témoin 93, qui est actuellement en prison au Rwanda et le vice-recteur Jean Berckmans NSHIMYUMUREMYI ».

Autre témoignage que vous avez entendu, ici à l’audience, de Monsieur le témoin 13 ; je ne vais pas reprendre tout ce qu’il a dit, mais bon, il y avait quand même une phrase qui était assez claire. Lors d’une discussion, Monsieur NTEZIMANA lui adresse la parole en ces termes fleuris et choisis : « Vous, les Tutsi, rejoignez vos bambous, c’est votre place ».

Autre témoignage, celui de Monsieur le témoin 61. Monsieur le témoin 61 Vincent est également venu ici, à l’audience, faire une déclaration, je vais vous en citer quelques extraits : « Vincent NTEZIMANA, quant à moi, faisait partie du cercle réduit des organisateurs du programme du génocide et des massacres collectifs dans la ville de Butare. Il est de façon évidente un des intellectuels ayant trempé dans ces massacres ». Autre extrait, j’y ai déjà fait allusion, vous vous souviendrez qu’en plein milieu du génocide, il y a une rencontre entre les membres de l’UNR et les membres du gouvernement, enfin certains membres de l’UNR, je cite Monsieur le témoin 61 : « Dans les semaines qui suivirent le 2 mai, le personnel académique a été convoqué ainsi que tout le personnel administratif, à une réunion présidée par le premier ministre KAMBANDA   - c’est donc le ministre, le premier ministre du gouvernement    génocidaire - le premier ministre a ordonné la création de commissions d’études destinées à étudier la situation du pays afin de gagner la guerre.

Tout le monde devait s’inscrire dans une de ces commissions. Vincent NTEZIMANA, se considérant comme représentant du personnel de l’UNR, y a pris la parole pour appuyer la position du gouvernement selon laquelle les gens qui venaient d’être tués l’étaient tous parce qu’ils étaient des combattants du FPR ». Vous apprécierez, Mesdames et Messieurs les jurés, si vous estimez qu’il s’agit là de propos modérés, de propos émanant d’une personne calme, d’une personne non extrémiste ; je crois que les textes et les extraits que je viens de vous lire parlent pour eux-mêmes.

Si je vous cite tous ces témoignages, c’est simplement pour souligner que plusieurs sources, tant ici en Belgique qu’au Rwanda, font état des vues ethnistes, extrémistes et intolérantes de Monsieur NTEZIMANA. Il ne s’agit donc pas, comme l’a dit Monsieur le témoin 144 de trois témoins, qui racontent n’importe quoi. Je vous dis une fois pour toutes, Mesdames et Messieurs les jurés : « Moi, je ne me base pas sur des entretiens les yeux dans les yeux pour tirer mes conclusions ». Je voudrais d’ailleurs attirer votre attention sur ce qui me paraît quand même assez bizarre dans ce dossier, c’est l’énorme acharnement que l’on voit dans ce dossier sur les témoins, en tout cas ceux ici en Belgique et même certains au Rwanda, qui font des déclarations qui ne vont pas ou qui ne sont pas en faveur de Monsieur NTEZIMANA.

Il s’agit d’ailleurs de beaucoup plus que de l’acharnement, on ne va pas hésiter à exercer des pressions, voire même des menaces ou à jongler avec des procès en diffamation, dont même d’autres professeurs de l’UCL, qui ont le tort de ne pas partager les opinions de Monsieur le témoin 144, vont faire les frais. Il est impossible de justifier intellectuellement que tous les témoins qui font des déclarations à charge de NTEZIMANA soient des menteurs, des affabulateurs et des manipulateurs et que les autres, lorsqu’ils font des déclarations qui sont en sa faveur, doivent être pris au sérieux et sont tout à fait crédibles.

Les moyens qui ont été employés pour aider NTEZIMANA, tant en ce qui concerne sa fuite du Rwanda, puis pour l’accueillir ici, puis pour l’héberger, puis le fait de procéder à une véritable enquête, une enquête parallèle et je le souligne, à un moment où Monsieur NTEZIMANA n’est même pas soupçonné et n’est même pas poursuivi, eh bien, tout cela me met extrêmement mal à l’aise. Cela ressemble furieusement à ce qui va se passer dans le dossier des deux religieuses une fois retournées en Belgique. Même démarche dans les deux dossiers. On ne s’est d’ailleurs pas limité à exercer des pressions, voire des menaces sur des témoins ou même sur des personnes qui ne partageaient pas l’avis de Monsieur le témoin 144, on est allé beaucoup plus loin. On est allé, ici, de déclarations en insinuations que je ne puis accepter.

D’abord, on vous a dit, j’y ai déjà fait allusion, qu’il fallait se méfier du double langage. Mais ce double langage, bien entendu, dans l’opinion des personnes qui en parlent, ne s’applique qu’aux témoins qui font des déclarations défavorables, les autres, ça c’est un langage clair. Puis, on passe aux attaques plus personnelles. Monsieur le témoin 124, qui a déjà fait les frais de quelques excès verbaux de Monsieur le témoin 144, Monsieur le témoin 124, qui fait effectivement des déclarations accablantes pour Monsieur NTEZIMANA, n’est pas crédible parce qu’il est beaucoup moins brillant que Vincent. Et lorsque, là, en fin de compte, on est confronté à un témoin belge, Madame le témoin 50, témoignage que vous avez entendu ici, qui est clair, qui est précis, qui est net, qui est formel, Madame le témoin 50 qui reconnaît Monsieur NTEZIMANA d’abord sur photo puis en confrontation, lorsque ce témoin-là fait une déclaration qui effectivement est défavorable à Monsieur NTEZIMANA, on va s’attaquer à cette personne d’une façon que je ne peux - et j’essaie de limiter mes dires - que je ne peux qualifier que de mesquine et honteuse.

Permettez-moi d’avoir mes doutes, n’est-ce pas, sur les motifs réels de Monsieur le témoin 144 et compagnie. On s’est peut être un peu trop vite engagé en défendant Monsieur NTEZIMANA, on a peut être un peu trop rapidement tiré les conclusions. Si c’est de cette manière - Monsieur VAN YPERSELE est climatologue - si c’est de cette manière que les climatologues travaillent, je ne m’étonne pas que leurs prévisions ne sont jamais correctes, n’est-ce pas ! Permettez-moi aussi de douter lorsque le témoin vient affirmer ici, et je le cite : « Qu’il est prêt à changer d’avis si on lui prouve la culpabilité de NTEZIMANA ». La première chose que le témoin a faite, parce que moi, contrairement aux jurés, je lis les journaux et je regarde même parfois la télévision, c’est d’aller faire une déclaration à la télévision, le jour même de son témoignage, pour dire que : « Même si NTEZIMANA était condamné, ce serait, en tout cas, une erreur judiciaire ». Bravo en ce qui concerne l’honnêteté intellectuelle.

C’est aussi, Mesdames et Messieurs les jurés, la première fois que je suis confronté à un accusé qui, avant son procès, écrit un livre dans lequel il donne sa version, c’est ce bouquin-ci, livre préfacé par deux témoins dont Monsieur GALLEE qui est venu témoigner ici. C’est bien entendu son droit le plus strict, je n’ai rien à redire, si ce n’est que cette manière de procéder a aussi un très grand avantage : les témoins connaissent d’avance la défense de Monsieur NTEZIMANA et peuvent, le cas échéant, mettre en concordance leurs propres déclarations, et nous avons eu, ici à l’audience, un exemple parfait auquel je vais revenir. Ce que je veux vous démontrer c’est que Monsieur NTEZIMANA, sous des dehors de modéré, est exactement le contraire : les déclarations que je vous ai citées, les personnes qui entourent NTEZIMANA, le fait, par exemple, de créer un parti, le PRD, qui par plusieurs personnes est classé dans les partis les plus extrémistes, parti dont le président va devenir le directeur du service de renseignements du gouvernement génocidaire. J’ai lu dans le bouquin de Monsieur NTEZIMANA, et je suis tout à fait ravi de dire que… qu’il prétend que devenir directeur du service de renseignements d’un gouvernement génocidaire, en soi, qu’est-ce que ça prouve ?

Moi, j’ai pas fort confiance déjà dans les directeurs de renseignements dans les gouvernements non génocidaires, les directeurs de renseignements dans des gouvernements ordinaires ne sont déjà pas parmi les personnes les plus modérées, donc, alors, aller voir que quelqu’un devienne directeur des services de renseignements d’un gouvernement génocidaire et ensuite le classer parmi les modérés, eh bien, ça me dépasse. La démarche de Monsieur NTEZIMANA est claire : un modéré comme lui ne peut, bien évidemment, pas avoir des idées extrémistes et ne peut, en tout état de cause, pas être l’auteur d’un texte aussi abominable que « Le manifeste des Bahutu » et les « Dix commandements ».

Malheureusement, outre le fait que plusieurs sources lui attribuent la paternité de ces textes, il y a, et j’y reviens, la déclaration incontournable de Madame le témoin 50. Non seulement, elle reconnaît NTEZIMANA sur photo et en confrontation, mais elle se souvient des personnes qui l’accompagnaient, et surtout - et on lui a posé la question pour savoir comment est-il possible qu’après tant d’années, vous vous souvenez de ces textes - et elle a dit : « Je me suis souvenue de ce texte, justement, parce que ce texte m’avait terriblement choqué ». Témoignage formel, incontournable et je comprends que c’est un témoignage qui gène furieusement Monsieur NTEZIMANA.

Et c’est là alors, qu’arrive en une fois un témoin dont on n’a jamais entendu parler dans tout le dossier, dont le nom n’était même pas connu à l’avance, Monsieur le témoin 39 Déus, le bien nommé, Déus ex-machina, ex-FPR de surcroît, qui vient vous confirmer, n’est-ce pas, que « L’appel aux Bahutu » et les « Dix commandements » est un texte qui, probablement, est en provenance ou originaire du Kivu et qui a trait à la problématique dans l’Est du Zaïre. Bon, vous avez le dossier dans cette armoire, vous pouvez le retourner dans tous les sens, vous pouvez le lire par l’arrière, vers l’avant, il n’y a dans ce dossier aucune trace, aucune déclaration de Monsieur NTEZIMANA concernant une explication de « L’appel aux Bahutu » en référence avec le Zaïre. Il y en a une, ici, dans le bouquin à la page 150, là, il y en a une, et c’est cette déclaration que Monsieur Déus le bien nommé, témoin qui tombe du ciel, va venir confirmer, ici, devant vous. Je ne vais pas insister trop longtemps, mais ça me semble quand même un peu gros, la ficelle est trop grosse.

Outre « L’appel aux Bahutu », il y a d’ailleurs un autre texte que je voudrais vous soumettre et j’y ai déjà fait référence lors des débats. Vous vous souviendrez qu’on a trouvé des tas de choses au bureau de Monsieur NTEZIMANA à l’université. On y trouvera notamment des casquettes du CDR, et des écrits. La défense de Monsieur NTEZIMANA est tout à fait claire : tout ce qu’on trouve dans son bureau et tout ce qui l’incrimine y a été placé par d’autres. Soit. Je répète encore une fois que je ne vois pas pourquoi plusieurs personnes, tant en Belgique qu’au Rwanda, se seraient liées, auraient forgé un complot simplement pour enfoncer Monsieur NTEZIMANA. Vous apprécierez, Mesdames et Messieurs les jurés, mais je vais quand même revenir à cette lettre.

Vous vous souviendrez que j’ai demandé à Monsieur NTEZIMANA quand était né son troisième enfant. Et il nous a dit que son troisième enfant était né au mois de mai ; cet enfant devait normalement naître au mois de juin, mais son épouse a accouché avant terme, si mes souvenirs sont exacts, aux Etats-Unis. Et on découvre une lettre qui est datée du 10 février 94, qui porte le nom : NTEZIMANA Vincent, faculté des sciences, boîte postale à Butare, téléphone de l’habitation, numéro de fax. La défense de Monsieur NTEZIMANA, c’est que cette lettre n’est même pas de lui. Si cette lettre n’émane pas de lui, ça doit quand même être quelqu’un qui le connaît drôlement bien parce que la première phrase c’est : « Chère famille, comment allez-vous ? Désiré nous a appris que la famille s’est agrandie avec la naissance d’une fille, nous vous en félicitions. Nous aussi, nous sommes dans l’attente d’un autre dans quelque cinq mois ». J’ai aussi un ordinateur dans mon bureau, je n’ai pas de casquette CDR, mais enfin, mais il n’y a personne dans mon bureau qui vient taper sur mon ordinateur un texte qui reprend des renseignements que moi je suis normalement le seul sensé à connaître.

Et cette lettre dérange, également furieusement, Monsieur NTEZIMANA, parce que lorsqu’on lit après cette première phrase, le texte, l’attitude et les idées extrémistes de l’intéressé ne font plus guère de doute. Je vous lis quelques passages, parlant de Power : « Je peux vous dire qu’actuellement KARAMIRA est bien droit dans ses souliers. C’est lui le leader de Power ». Alors, on parle un peu de Monsieur TWAGIRAMUNGU, en relation également avec une autre personne, Monsieur KAYENZI. « Je trouve que si on ne l’enlève pas assez vite, il va continuer à aider TWAGIRAMUNGU, à tout détruire ». Autre passage, Monsieur NTEZIMANA qui n’est pas donc du MRND, qui est un modéré : « Actuellement, le MRND et fermement bien assis. On constate qu’il s’est dignement distingué et que pendant ces moments difficiles, il s’est très bien comporté ». Alors, on va encore un peu plus loin : « A propos des questions relatives à la transition élargie, les partis Hutu ont éprouvé beaucoup de difficultés pour trouver un moyen par lequel s’exprimer. D’autant plus que radio Rwanda, est venue celle de TWAGIRAMUNGU. Heureusement que RTL, RTLM excusez-moi, a fait de son mieux sinon nous étions perdus. Et quoi qu’il en soit, nous pensons que si le MDR Power et le MRND s’unissaient, nous sortirions de cette impasse ». C’est tout à fait le genre de texte que moi je mettrais dans la bouche d’une personne modérée.

Pour terminer cet aspect de ce dossier, je reprendrai les déclarations de Monsieur NSANZUWERA qui vous a dit ici qu’au cours des événements au Rwanda, même des gens modérés ont basculé, ont fait un choix, ont estimé qu’il fallait en finir, une fois pour toutes, avec des motifs très divers : opportunisme, carriérisme, lâcheté, occasions de régler des comptes, occasions de s’enrichir, tout cela, comme je vous l’ai dit, dans un climat de totale impunité. Eh bien, Vincent NTEZIMANA lui aussi, n’étant déjà pas un modéré, étant intelligent, brillant, ambitieux, pressé, voulant aller trop vite, étant la main droite du vice-recteur, ayant des appuis militaires indéniables au moment des événements, ayant, et cela me parait quand même clair, des opinions politiques évidentes, eh bien, lui aussi va basculer et lui aussi va choisir son camp.

Dernière preuve à cet effet, en plein milieu des massacres, Monsieur NTEZIMANA, et je prends la déclaration de Monsieur le témoin 61, toujours comme représentant de l’APARU, prendra - je vous ai cité la déclaration -la parole pour justifier la position du gouvernement, selon laquelle les gens, qui venaient d’être tués l’étaient parce qu’ils étaient combattants du FPR. Et c’est ce Vincent NTEZIMANA là, Mesdames et Messieurs les jurés, qui va prendre sur lui alors, et j’en arrive alors au premier fait, qui va prendre sur lui la responsabilité de dresser des listes, qui soi-disant devaient servir à l’évacuation des professeurs de l’UNR. Je vous le dis clairement, nettement : « Ces listes, c’était un piège, un stratagème et un stratagème qui, malheureusement, a parfaitement fonctionné ». Vous vous souviendrez certainement, Mesdames et Messieurs les jurés, qu’au sein de la famille KARENZI, dès l’attentat de l’avion présidentiel, donc dès le 6 avril 94, les discussions allaient bon train pour savoir si on ne devait pas immédiatement prendre la fuite. Monsieur KARENZI, lui, avait fait confiance au système des rondes, auxquelles, dans un premier temps en tout cas, participait Monsieur NTEZIMANA et il avait, apparemment aussi, à tort, confiance dans Monsieur NTEZIMANA.

Cette confiance va lui devenir fatale, à lui et à toute sa famille, parce qu’au début du mois d’avril, la fuite était encore possible. Vous vous souviendrez que la ville de Butare était restée relativement calme jusqu’au moment où le président intérimaire, accompagné de plusieurs de ses ministres, est venu y faire un discours incendiaire qui a mis effectivement le feu aux poudres.

Monsieur le témoin 150 que j’ai déjà cité, avait, lui aussi, l’intention de s’inscrire sur ces listes et Monsieur Tharcisse le témoin 150 dit, et je cite : « Début avril, juste avant les massacres, NTEZIMANA, Bernard MUTWEBINGABO, dont j’ai déjà parlé et Monsieur François BANYERETSE, faisaient courir le bruit que les professeurs Tutsi pouvaient se faire inscrire sur une liste. Monsieur KARENZI le fera, Monsieur le témoin 150 voudra le faire, mais lorsqu’il ira voir la personne qui, en remplacement à cette époque de Monsieur NTEZIMANA, s’occupe de cette inscription, Monsieur BANYERETSE, celui-ci va s’esclaffer et va lui dire : Tharcisse, cher, tu es quand même fort naïf, il n’y aura jamais de véhicule qui sera mis à la disposition par l’UNR » et Monsieur le témoin 150 ne s’inscrira pas, lui.

On a posé la question de savoir quand ces listes ont été dressées. Monsieur NTEZIMANA a dit que ces listes avaient été dressées vers le 12 avril et remises au lecteur vers le 14-15 avril 1994. Et après quelques jours, la décision fut prise de ne pas fournir de véhicule. Donc, entre le 6 avril 94 et, mettons, le 18-19 avril 94, des jours précieux, des jours qu’on aurait pu utiliser pour organiser la fuite, ont été perdus ; les tergiversations, qui étaient des tergiversations voulues, ont eu pour conséquence que le piège s’est refermé sur ceux qui s’étaient inscrits et qui par cette inscription s’étaient désignés comme les ennemis. Alors, on vous dira qu’un des derniers témoins, ici, Monsieur le témoin 105 qui était donc l’administrateur trésorier, a déclaré qu’il avait discuté de ces listes avec le vice-recteur et qu’on avait conclu à l’impossibilité d’organiser ce convoi.

Mesdames et Messieurs les jurés, Monsieur le vice-recteur est connu comme étant une des chevilles ouvrières des massacres à Butare. Les vues extrémistes du vice-recteur sont répandues et connues. Monsieur NTEZIMANA, président de l’APARU, est connu comme son proche, certains diront même son bras droit. Vous conviendrez avec moi que ce n’est donc pas le vice-recteur, chez qui Monsieur NTEZIMANA va porter les listes à domicile - il ne va pas suivre la voie administrative, il va les porter à domicile - vous conviendrez avec moi que ce n’est pas le vice-recteur qui va dire : « Dis, Anastase, fieu, laisse tomber, parce que c’est un piège toutes ces listes ». Pour que ce piège fonctionne, il fallait que tout le monde pouvait y croire. Et le pire, le piège a fonctionné à perfection.

Pourquoi j’y ai fait allusion, pourquoi Monsieur NTEZIMANA va-t-il porter à domicile ces listes alors qu’il s’agit d’une démarche officielle qu’il fait en tant que président de l’APARU ? Le fait de dresser ces listes en connaissance de cause, sachant qu’il n’y avait pas d’évacuation est - et je retombe sur ce que je vous ai dit dans mon introduction, les modes de participation - est un acte de préparation et un acte qui facilitera l’accomplissement de crimes de droit international humanitaire. Autre question : pourquoi dresser des listes nominatives ? Pourquoi d’ailleurs dresser des listes tout court, puisqu’on vous a dit ici que des évaluations avaient déjà eu lieu sans liste ? La raison est qu’on demandait à tout un chacun de s’inscrire nommément sur cette liste : chaque membre de la famille, nom, prénom, carte d’identité, afin que tout le monde qui se trouvait sur cette liste puisse être correctement et immédiatement identifié. Tout le monde qui se trouvait sur cette liste était un ennemi potentiel, une des personnes qui, pour reprendre le discours de Monsieur SINDIKUBWABO, une des personnes qui agissait comme des gens non concernés ou des personnes qui refusaient de participer au travail et au nettoyage.

La défense va vous dire que ces listes ont été dressées avec la conviction qu’une évacuation était possible. Mais alors, se pose quand même encore la question : pourquoi une fois qu’il devenait clair que cette évacuation n’était pas, ou plus, possible, pourquoi NTEZIMANA, en tant que président de l’APARU, n’entreprend plus rien ? Pourquoi un tel empressement en tant que président de l’APARU pour dresser cette liste et pourquoi une fois remise, une fois la certitude acquise qu’il n’y a pas de suites, pourquoi alors cette absence totale d’intervention de l’APARU ? Pourquoi alors ne pas, au moins, prendre des mesures pour assurer la protection des familles ou pour aviser les familles ? NTEZIMANA, connaissant bien le vice-recteur et ses opinions, connaissant extrêmement bien le pilier militaire à Butare, le capitaine NIZEYIMANA, sachant ce qui se préparait, savait que les personnes nommément indiquées sur cette liste étaient en danger de mort. Il n’entreprendra strictement rien pour y remédier, sa seule démarche consiste à faire identifier ces personnes, à les inscrire sur une lettre, à remettre cette lettre au vice-recteur et après, c’est fini.

Donc, ma position est claire : dresser ces listes, c’était un acte de participation qui a facilité l’exécution des crimes de droit international humanitaire et à tout le moins, le fait de n’avoir rien entrepris lorsque la certitude était acquise qu’il n’y aurait pas d’évacuation est une omission, une omission volontaire qui est également punissable.

Et la suite des événements, me semble-t-il, va prouver que le fait de dresser ces listes était effectivement un piège et que la volonté était belle et bien d’éliminer les personnes figurant là-dessus. La famille KARENZI ainsi que les enfants KANYABUGOYI, en feront les frais et le rôle de NTEZIMANA, là, prouve bien quelle était en somme sa volonté et quel était son but. Le lien entre les listes et la mort de la famille KARENZI et des enfants KANYABUGOYI est évident. Mais il y a encore une deuxième intervention de Monsieur NTEZIMANA. Souvenez-vous, lorsque les militaires se trouvent au domicile de la famille KARENZI et que les enfants se trouvent dans le faux plafonds, il va y avoir un coup de fil à un nommé Vincent, dont les enfants vont dire qu’il s’agit d’un collègue de leur père à l’université. Monsieur NTEZIMANA qui, je l’admets, a des ressources sur ce point, vous dira qu’il y avait un autre Vincent à l’université, c’est Monsieur le témoin 61. Mais Monsieur le témoin 61, on l’a entendu ici, il habitait à un tout autre côté et il était en train lui-même de tenter de sauver son cousin et puis des autres membres de sa famille.

Il va y avoir donc, outre le fait de dresser ces listes, il va y avoir un acte beaucoup plus important de Monsieur NTEZIMANA, à savoir le fait que lorsque les militaires téléphonent à Vincent, ce dernier va dire que : « Oui, Madame KARENZI est une Inyenzi », avec les conséquences que vous connaissez : la mort immédiate de cette dame puis la fuite des enfants qui seront récupérés chez les sœurs bénébikira. On vous a dit ici qu’il était tout à fait clair que les militaires savaient où se trouvaient les enfants KARENZI et qu’ils ont fait, si je puis m’exprimer ainsi, qu’ils ont fait durer le plaisir, qu’ils ont joué au chat et à la souris et qu’à un certain moment, ils ont décidé d’aller rechercher ces enfants KARENZI, là où ils se trouvaient, chez les sœurs bénébikira.

Monsieur NTEZIMANA dit, la défense vous dit qu’il n’a jamais eu de coup de fil, qu’il a appris la mort de Monsieur KARENZI alors qu’il se trouvait chez des voisins dans la maison de Madame le témoin 143. Et c’est ici qu’intervient Monsieur le témoin 150. Monsieur le témoin 150 déclare que Monsieur NTEZIMANA ne se trouvait pas chez lui à ce moment là. Et là, en une fois, on va avoir un acharnement formidable sur cette personne. Vous vous souviendrez du témoignage de Madame le témoin 143, cela m’a semblé assez gros au sens figuré et au sens littéraire, l’histoire de la petite culotte de Madame le témoin 143 ; je n’en crois, mais alors, rien du tout, n’est-ce pas !

Il y a effectivement une déclaration dans le dossier où Madame le témoin 143 dit au juge d’instruction que Monsieur le témoin 150 lui a adressé une déclaration. Lorsqu’elle va voir le juge d’instruction, elle y fait référence mais elle ne remet pas cette déclaration. Lorsque Monsieur le témoin 150 meurt et qu’il n’y a donc plus aucun danger de remettre cette déclaration, elle ne la remet pas. Cette déclaration sera remise, ici, à l’audience. Donc, cette déclaration date de 95, six ans après, alors qu’elle avait été déchirée en huit petits morceaux, dit Madame le témoin 143 et cachée où vous savez, elle va être remise ici ! Cela me semble quand même assez ridicule ! En plus, je ne comprends pas véritablement l’acharnement sur Monsieur le témoin 150, parce que Monsieur le témoin 150 n’a rien dit qui mettrait en cause Monsieur NTEZIMANA. Il a simplement dit qu’il n’était pas exact que Monsieur NTEZIMANA se trouvait chez lui ce jour-là. C’est tout, rien d’autre.

Monsieur NTEZIMANA était le voisin quasi immédiat de la famille KARENZI et le seul Vincent qui vivait là-bas. Monsieur NTEZIMANA est bien le Vincent qui a reçu le coup de fil et le seul témoin survivant que vous avez vu ici, le témoin 134 ne connaissait même pas Vincent NTEZIMANA. Ce sont les enfants KARENZI, lorsqu’ils se trouvent dans le faux plafond, lorsqu’ils entendent le militaire demander si quelqu’un peut justifier le fait qu’elle ne soit pas une Inyenzi et que Madame KARENZI signale que Vincent peut le faire, ce sont les enfants KARENZI qui vont dire que Vincent est le collègue de leur papa. Les enfants KARENZI, eux, connaissaient Vincent NTEZIMANA. Monsieur KARENZI avait confiance, Madame KARENZI avait confiance, avec les conséquences que vous connaissez.

Je voudrais aussi attirer votre attention ici sur le fait que Monsieur Innocent NKUYUBWATSI, dans sa déclaration faite au Rwanda, confirmera que NIZEYIMANA, le capitaine, et NTEZIMANA planifiaient et désignaient les futures victimes. Cette déclaration-là, elle aussi, colle parfaitement au récit de l’extermination de la famille KARENZI. Et désigner les victimes, c’est précisément ce que va faire NTEZIMANA dans le cas de l’assassinat la famille NDUWUMWE. On vous a déjà dit que les militaires, les miliciens qui se trouvaient sur place étaient des gens qui n’étaient pas originaires de Butare. Vous vous souviendrez que même Monsieur STASSIN et le juge d’instruction, qui pourtant se sont rendus trois ou quatre fois au Rwanda, se sont trompés de maison lorsqu’il s’agit de filmer celle de Monsieur NTEZIMANA. C’est pour vous dire que pour désigner les emplacements où habitaient les personnes à exterminer, qu’il fallait que quelqu’un vienne sur place pour pointer, pour montrer.

Dans le cas de la famille NDUWUMWE, il y a plusieurs témoignages qui vont dans cette direction. Vous avez Madame le témoin 91 qui déclare qu’elle reconnaît formellement Monsieur NTEZIMANA, qu’elle l’a vu pointer la maison de NDUWUMWE, qu’ensuite elle a entendu des coups de feu, que NTEZIMANA est repassé, s’est arrêté devant une autre maison pour demander des renseignements sur une autre famille. Monsieur le témoin 129, son époux, qui est pour la mort de Victor NDUWUMWE, va faire la même déclaration. Il y a également la déclaration de la mère de la victime, Madame NYAMANA  Séraphine. Et puis, on y a fait allusion à la défense, il y a la version de Madame Aima le témoin qui confirme le récit de la mort de la famille, mais qui déclare qu’à son avis, ces personnes ont été tuées non pas au fusil, mais à l’arme blanche. J’y reviens tout de suite.

Monsieur NTEZIMANA ne se défend pas sur cette accusation. Il se limite à dire qu’on l’accuse de faits dont d’autres personnes sont accusées ; c’est inexact, Monsieur le témoin 129 est accusé du meurtre de Victor NDUWUMWE, pas de sa femme et pas de sa fille. J’attire aussi votre attention sur le fait que la déclaration de Madame le témoin 91 date de janvier 1995. En janvier 1995, Monsieur NTEZIMANA n’est pas encore poursuivi ici, n’est même pas en détention préventive. Autre argument, et là, permettez-moi quand même de sourire, les époux le témoin 91 sont sortis par derrière de leur maison et par derrière, il n’y a pas la possibilité de voir ce qui se passe. Il m’arrive aussi, Mesdames et Messieurs les jurés, de sortir par derrière de ma maison pour aller voir devant ma maison ce qui se passe dans la rue. Lorsqu’on sort de derrière par la maison, c’est le témoin 91-TWAGIRAMUNGU, et qu’on va sur la rue devant - vous avez vu la vidéo, Monsieur STASSIN vous a expliqué qu’il avait laissé la voiture blanche en place pour voir quelle était la distance - eh bien, sur cette route-là on voit clairement ce qui se passe chez les voisins. Donc qu’on ne vienne pas me dire que Madame le témoin 91 et Monsieur TWAGIRAMUNGU sont sortis par derrière et que derrière, il n’y avait rien à voir. Ils sont passés devant sur la route et ils ont vu Monsieur NTEZIMANA pointer - tout le monde dit : « Pointer » - la maison de Victor NDUWUMWE.

Reste alors que le témoin 91 et TWAGIRAMUNGU ont entendu des coups de feu, six et que Madame le témoin parle de morts, provoqués par une arme blanche. Je crois que l’un n’empêche pas l’autre ;le dossier pullule de récits qui parlent de coups de feu, de coups de fusil, puis de personnes achevées à l’arme blanche ou à la machette. En outre, je voudrais quand même attirer votre attention sur le fait que pendant les événements à Butare, il y a eu, si mes souvenirs sont exacts, 300.000 morts, 300.000 morts à Butare seule, donc, si vous me permettez cette expression, on massacrait à tour de bras. Donc, il est très possible qu’effectivement des personnes ont été d’abord abattues à coup de fusil puis achevées, j’y reviendrai d’ailleurs pour d’autres témoignages, à la machette, au couteau, à l’arme blanche.

Il y a trois témoins directs de ces faits : il y a Madame le témoin 91, il y a Monsieur TWAGIRAMUNGU et il y a Madame NYAMANA. Il y a Madame le témoin qui confirme le récit de la mort mais qui, elle, se limite donc à dire qu’il s’agit d’une mort par arme blanche. Je crois que le fait - et ça lorsque vous aurez entendu l’énumération que j’ai faite là tantôt des modes de participation - le fait pour quelqu’un de se faire accompagner des militaires, de se rendre dans la rue où habite la future victime, de désigner du doigt la maison où habitent ces victimes, cela c’est un acte positif de participation, donc, un des modes qui sont retenus dans la loi de 1993.

On en arrive alors à la mort de la jeune fille. Je vous ai déjà exposé dans mon acte d’accusation que c’était Monsieur NTEZIMANA lui-même qui, pour la première fois, fera état de ce fait. Le moment où il va le révéler n’est pas innocent : il le révèle au mois de mai 95, le 10 mai 1995, au moment même où une commission rogatoire se trouve au Rwanda. Donc, plutôt que de devoir donner des explications sur des renseignements qu’on recueille par la commission rogatoire, Monsieur NTEZIMANA prend les devants et va livrer sa version des faits. Et ici, nous assistons à une autre facette de l’accusé ; lui qui se targue d’être un homme courageux, désireux d’exprimer ses opinions critiques, à l’encontre d’autres partis, d’autres personnalités, voire même du président lui-même, à l’encontre par exemple des autorités hiérarchiques de l’université, lui, ici, dans le cas de la mort de cette jeune fille, ici il va se faire tout petit ; il va jouer profil bas. Tout petit - c’est le terme qu’il a lui-même utilisé - profil bas, il va se comporter comme un lâche.

Placée à coté de la déclaration de Monsieur NTEZIMANA, celle de Monsieur NKUYUBWATSI, elle, est tout à fait différente, et, malheureusement pour Monsieur NTEZIMANA, il y avait déjà dans le dossier, longtemps avant la déclaration de Monsieur NKUYUBWATSI, il y avait déjà des indications que le récit de Monsieur NKUYUBWATSI va confirmer. Par exemple, vous trouverez dans le dossier des déclarations ; il y a les témoins le témoin 140, RODODO Alfred, qui vont dire qu’il y avait effectivement des rumeurs comme quoi les filles qui se trouvaient chez Monsieur NTEIMANA avaient été tuées parce qu’elles en savaient trop sur la manière dont les tueries et les pillages étaient organisés. C’est exactement ce que monsieur NKUYUBWATSI va révéler beaucoup plus tard, déclarations de Monsieur NKUYUBWATSI qui collent donc parfaitement à ce qui se trouvait déjà dans le dossier.

La déclaration de Monsieur NKUYUBWATSI est extrêmement claire. Il avait reçu l’ordre du capitaine NIZEYIMANA et de Monsieur NTEZIMANA de tuer, et lorsqu’on a constaté que la fille n’était pas morte, il a reçu l’ordre de l’achever. Monsieur NKUYUBWATSI ajoutera qu’il ne pouvait refuser, qu’il était leur obligé, qu’il avait été hébergé par le capitaine, qu’il était actuellement hébergé par NTEZIMANA et qu’il devait obéir aux ordres qu’il avait reçus et c’est ce qu’il a fait.

On vous dira, on l’a dit, on l’a acté d’ailleurs, qu’il faut prendre ses distances ou qu’on a des réserves quant aux déclarations de Monsieur NKUYUBWATSI, au Rwanda. Bien, moi, je vous répondrai qu’il faut prendre avec la plus grande réserve la déclaration que fait Monsieur NTEZIMANA à ce sujet. La version que lui fait est tout à fait incrédible à la lumière du personnage, à la lumière de ses relations, à la lumière du fait que lui, NTEZIMANA, circulait librement, on l’a dit, de jour ou de nuit, qu’il circulait avec des militaires, qu’il a réussi à récupérer des cartes d’identité de certaines personnes, qu’il pouvait se rendre, lui, à deux reprises dans le Nord du pays alors que d’autres personnes ne pouvaient pratiquement plus sortir de Butare ; et alors, on y a fait allusion, pourquoi croyez-vous que Monsieur NTEZIMANA, dont la femme lui confie la garde de ses deux enfants et engage une bonne pour l’aider, pourquoi croyez-vous que Monsieur NTEZIMANA, en une fois, décide d’aller mettre ses enfants au Nord du pays, si ce n’est pour pouvoir, à l’aise, continuer son travail et son nettoyage avec Monsieur NIZEYIMANA ?

Reste alors le jeune homme. Fait qui sera également révélé par Vincent NTEZIMANA lors de son interrogatoire, cette fois, du 24 mai 95, mais où il va limiter son rôle à celui de simple spectateur. Ici, il est contredit, non seulement par Monsieur NKUYUBWATSI parce que tout le monde fait grand cas des déclarations de Monsieur NKUYUBWATSI, mais à la limite, les déclarations de Monsieur NKUYUBWATSI, moi, je n’en ai pas besoin dans ce dossier. Il y avait déjà dans ce dossier, à l’avance, avant que Monsieur Innocent NKUYUBWATSI soit intercepté, il y avait déjà des déclarations suffisamment graves et incriminantes pour Monsieur NTEZIMANA. Et dans le dossier du jeune homme, il y a deux déclarations, celle de Monsieur le témoin 142 et celle de Monsieur le témoin 118, qui tous les deux, Monsieur le témoin 142 un peu plus rapidement que Monsieur le témoin 118, mais qui tous les deux vont dire que Monsieur NTEZIMANA était impliqué, qu’ils sont arrivés à une barrière, que Monsieur NTEZIMANA s’est avancé, a participé aux coups qui étaient donnés à la personne, participé, a donné lui-même un coup, acte positif de participation.

Je vous ai dit que dans certains cas, on va s’approcher très près de la commission, par les accusés eux-mêmes, des actes criminels : ceci est un de ces cas, Monsieur le témoin 142 dira que Monsieur NTEZIMANA a participé à la mise à mort de cette personne. Monsieur le témoin 118 qui, dans un premier temps, va dire qu’il n’était pas là, puis, qu’il n’a rien vu, au cours de la troisième commission rogatoire va admettre la même chose et Monsieur Innocent NKUYUBWATSI lui, cerise sur le gâteau, va confirmer, en disant que Monsieur NTEZIMANA était là, a vu - c’était apparemment le signe distinctif - a vu que la personne portait deux pantalons, que c’était donc un Inyenzi ou un Inkotanyi et a donné…

[Interruption d’enregistrement]

L’Avocat Général : …des barrières, si en tout état de cause, on n’y voit rien, les jeeps, à mon avis ont des phares ; il y a des allumettes, il y a des bougies, il y a des lampes torches. Tout ça pour vous dire que, lorsqu’on vient dire que Monsieur le témoin 142 et Monsieur le témoin 118 étaient beaucoup trop loin pour voir quelque chose, je trouve ça ridicule et apparemment - et je m’arrête là-dessus -, apparemment , les nuits rwandaises ne sont pas aussi sombres pour tout le monde puisque Monsieur NTEZIMANA, en pleine nuit, se réveille en une fois et voit trois têtes Tutsi prêtes à venir le tuer. En pleine nuit, et vous connaissez les nuits rwandaises, plus sombres que ça, il n’y a pas. Donc, Monsieur NTEZIMANA lui, à moitié éveillé en pleine nuit, reconnaît les Tutsi qui viennent le tuer. Mais quelqu’un qui se trouve à 50 mètres d’un barrage ou d’une barrière, lui ne verrait pas ce qui se passe. Eh bien, c’est quelque chose que je ne peux pas admettre, Mesdames et Messieurs les jurés.

En ce qui concerne Monsieur NTEZIMANA : je crois que l’intéressé, par la rédaction de ces listes, par la dénonciation au téléphone de Madame KARENZI, par sa désignation de la maison de la famille NDUWUMWE, par sa participation active à la mort de ce jeune homme sur cette barrière et par l’ordre donné à Monsieur NKUYUBWATSI d’achever cette jeune fille, que Monsieur NTEZIMANA a parcouru, à lui seul, pratiquement tous les modes de participation qui sont prévus dans la loi de 1993, et je vous demanderai donc, en ce qui concerne Monsieur NTEZIMANA, du déclarer coupable de tous les faits qui lui sont reprochés. Je m’arrêterai ici pour reprendre cet après-midi le dossier HIGANIRO et Sovu.

Le Président : Bien, il est midi trente. Nous allons suspendre l’audience, nous la reprenons à 13 h 30, Monsieur l’avocat général ? 13 h 45, peut-être. A 13 h 45.