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9.2.3. Réquisitoire de l’avocat général: dossier
HIGANIRO
Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir, les accusés peuvent
prendre place.
Eh bien, les journalistes ne respectent pas les
instructions qui leur sont données. Vous en tirerez les conséquences que vous
voudrez. Mais, de toute façon, nous n’avons pas affaire, malgré tout, à un procès
qui met en cause, par exemple, des terroristes. Bien, Monsieur l’avocat général,
je vais à nouveau vous restituer la parole pour la suite de vos réquisitions.
L’Avocat Général : Je vous remercie, Monsieur le président. Je vais donc passer maintenant
à l’étude du cas de Monsieur HIGANIRO. Je vous ai fait tantôt un portrait de
Monsieur NTEZIMANA. Le portrait d’Alphonse HIGANIRO est plus net et plus clair
que celui de Vincent NTEZIMANA mais il révèle un même type d’homme : un
homme du Nord et un extrémiste. En plus, et je le souligne, Alphonse HIGANIRO
est un homme de pouvoir, un homme de l’appareil, un homme du président.
Un homme, comme je l’ai déjà dit dans mon acte d’accusation,
qui a tout reçu du régime en place et qui donc risque de tout perdre si ce régime
disparaît. Un homme qui, décidément, n’aime pas les Tutsi et ne se prive pas
du faire savoir. Souvenez-vous de ces termes pour désigner son voisin à Kigufi :
« Ce petit médecin de Tutsi ». Souvenez-vous de ses remarques sur
les Tutsi, lorsque le préfet lui présente sa fille et lorsque qu’après, il dira
qu’il ne veut plus voir de Tutsi à la SORWAL. Une sœur du monastère Saint Benoît
à Kigufi dira d’ailleurs de lui : « HIGANIRO ne digérait pas
les Tutsi ». Souvenez-vous de Monsieur NSANZUWERA qui, lorsqu’il va à une
réception de mariage, rencontre HIGANIRO qui lui dit qu’il ressemble à Monsieur
KAGAME. Ce qui prouve que les politiciens, lorsqu’ils se rencontrent entre eux,
parlent peut-être de la famille mais lorsqu’ils rencontrent des magistrats,
ils parlent de la politique.
Monsieur HIGANIRO est la parfaite illustration de
ce qu’un auteur français, Stendhal, a déclaré : « J’ai assez vécu
pour savoir que la différence engendre la haine ». Cette haine, entretenue
au niveau institutionnel par des gens comme Monsieur HIGANIRO, va se doubler
chez cet accusé-là de la crainte d’effectivement tout perdre si ce régime, dont
il a fait partie et dont il continue à être un des dignitaires, devait disparaître.
Alphonse HIGANIRO ne va pas se gêner pour faire
connaître ses idées, pour les mettre en pratique, pour les propager, je vous
cite par exemple la déclaration de l’abbé le témoin 125 qui déclare :
« Avant le 6 avril 94 déjà, HIGANIRO était cité comme responsable des tensions
ethniques et des bruits annonçant les massacres ».
Les signes avant-coureurs sont nombreux : la
politique systématique d’HIGANIRO de remplacer les membres du personnel par
des Hutu originaires de sa région ; l’engagement au sein de la SORWAL des
membres des Interahamwe ; l’interpénétration entre la SORWAL et les Interahamwe
- je ne vais pas entrer ici dans les détails des bilans de la SORWAL, nous ne
nous trouvons pas devant un procès financier, je ne suis pas expert comptable,
ni expert fiscaliste -, mais je constate simplement que cette interpénétration
existe et que, parmi les clients, qu’ils soient douteux ou non, figure le président
et les deux vice-présidents des Interahamwe.
Vous avez le versement de l’intéressé, en date du
13 juillet 93, d’une somme de 100.000 francs rwandais à la radio RTLM ;
la radio qui deviendra la radio des génocidaires, la radio qui diffusera des
appels de haine à l’égard des Tutsi et des Belges, la radio qui, au milieu des
événements, sera même utilisée pour désigner nominativement, nommément, les
personnes qui doivent être assassinées.
Il y a l’affiliation de l’épouse HIGANIRO, dès 92,
lorsque son mari devient directeur général à la SORWAL, au parti le plus extrémiste :
le CDR. Plusieurs témoins d’ailleurs, ici, ont déclaré que Monsieur HIGANIRO
lui-même militait pour ce parti, assistait à des meetings. Quoi qu’il en soit,
je crois que l’image qui ressort de tous les témoignages est que Monsieur HIGANIRO
est ce que j’appelle un pur et dur du régime, un intransigeant, en un mot :
un Hutu Power.
Vous lirez dans mon acte d’accusation que les lettres
dont je fais état commencent en 93. Longtemps avant déjà, Monsieur HIGANIRO
avait annoncé la couleur. Souvenez-vous des inscriptions dans son agenda qui
concernent le nommé KAVA ? Je lui ai demandé s’il s’agissait de Monsieur
KAVARUGUNDA et c’est bien lui, le président de la Cour constitutionnelle. Le
passage dit à peu près : « Si, il faut éliminer KAVA. »
Autre chose, Monsieur RUKUKOMA, lorsqu’on vise Monsieur TWAGIRAMUNGU
qui doit - je cite de mémoire - : « Inquiéter au plus haut niveau
». Alors, lorsqu’on a demandé ce que Monsieur HIGANIRO avait à répondre à ce
sujet, il vous a dit qu’il s’agissait d’agenda de 1991 et de 1993. Moi, je veux
bien, je suis tout à fait d’accord. Si c’est le cas, c’est pire parce que ça
voudrait dire qu’à partir de 1991 et de 1993, Monsieur HIGANIRO caressait déjà
l’idée d’éliminer ou de faire éliminer KAVARUGANDA
qui sera effectivement éliminé le 7 avril 1994. Ce sera une des premières personnes.
Pourquoi ? Parce que c’était le président à la Cour constitutionnelle qui
devait nommer les dirigeants, donc les personnes qui allaient succéder au président
le témoin 32. Donc, si c’est exact, si cela date de 91 et 93, la préméditation
dans l’esprit de Monsieur HIGANIRO était présente déjà à ce moment-là.
Souvenez-vous aussi des quelques notes de l’intéressé
dans son agenda selon lesquelles - et mettez ça en relation avec les témoignages
de Monsieur NSANZUWERA ici - il fallait engager d’urgence 30 magistrats Hutu
au parquet. Lorsque vous aurez entendu Monsieur NSANZUWERA, vous mettrez cette
déclaration dans son contexte et vous en tirerez les conclusions qui s’imposent.
Les idées que Monsieur HIGANIRO a, il va les mettre
sur papier, il va les mettre sur papier, il va les faire connaître et il va
finalement les mettre en pratique. La première menace écrite est la lettre du
16 janvier 93, adressée par HIGANIRO au président de la République. Vous avez
entendu dire ici ou expliqué par Monsieur HIGANIRO qu’il ne faisait pas partie
de l’Akazu, qu’il n’était pas un des dignitaires du régime, qu’il était même,
à son avis, tombé en disgrâce au moment de sa nomination à la SORWAL.
Bon, je crois que plus personne ne croit un seul
mot de cette déclaration. Je crois que, lorsqu’on invite le président au vin
d’honneur pour une fête de mariage, lorsqu’on invite le président pour la fête
de Pâques, lorsqu’on s’adresse directement au président, je crois, à ce moment-là,
qu’il n’est pas très sérieux de venir prétendre qu’une nomination à la SORWAL
- nomination dont on vous a déjà dit quels étaient les conséquences et l’impact
- soit un état de disgrâce.
La lettre que l’intéressé adresse au président n’est
donc pas… disons que ce n’est pas une lettre émanant d’un sous-fifre quelconque.
Monsieur HIGANIRO s’adresse au président et je cite : « Il va lui
donner quelques idées brutes », et pour être brutes ses idées : elles
le sont ! Il s’agit ni plus ni moins que d’une lettre d’opposition au processus
de démocratisation et de partage du pouvoir. La date de cette lettre est importante :
le 16 janvier 1993. Nous sommes donc huit mois avant la conclusion des accords
d’Arusha. Je cite : « Le gouvernement de transition, tel que conçu
dernièrement à Arusha, ne devrait pas voir le jour. Quel qu'en puisse être le
dérapage, mais naturellement contrôlé ».
Rapprochez de cela des annotations concernant Monsieur
TWAGIRAMUNGU, et le dérapage visé par Alphonse HIGANIRO devient extrêmement
clair. Rapprochez de cela le fait que Monsieur KAVARUGANDA - dont je vous ai
dit quel était son rôle - sera assassiné dès le 7 avril 94. La conclusion est
évidente : la lettre du 16 janvier 1993 est prémonitoire. Le gouvernement
de transition ne verra effectivement pas le jour et le dérapage aura effectivement
lieu : il sera contrôlé par les partisans du vieux régime, les durs, ceux
qui voulaient, qui veulent, qui voulaient une fois pour toutes en terminer avec
leurs ennemis de toujours.
Vous avez entendu comme moi l’explication de Monsieur
HIGANIRO sur cette lettre. En ce qui le concerne, au moment où il écrit, on
est dans la phase préparatoire aux accords d’Arusha. Ce qu’il écrit donc au
président est simplement sa vision des faits, son opposition, sa lettre-cadre
donc dans le jeu politique de l’opposition à ces accords. Et, dit Monsieur HIGANIRO :
« Si ces accords devaient devenir réalité, lui, Alphonse HIGANIRO, en parfait
démocrate, serait le premier à s’incliner et deviendrait l’obéissance incarnée,
le fidèle serviteur et le défenseur de ces accords ». La suite va prouver
que c’est tout à fait le contraire qui va avoir lieu.
La deuxième et la troisième lettre datent d’après
la mise en place des accords d’Arusha. Je ne vais pas revenir sur les déclarations
de Monsieur HIGANIRO concernant le fait que ces deux lettres, en fait, n’en
forment qu’une seule : la première étant un brouillon et l’autre étant
le texte définitif. Monsieur le témoin 21 voulait venir chanter la même chanson ici.
On vous a parlé de sub-comité, de petit comité, de grand comité. Puis, on vous
a dit que ces lettres, en somme, ne servaient à rien puisque ces lettres, on
les tapait mais il n’y avait pas de répercussions, on ne les distribuait pas…
C’est à se demander pourquoi on organise les comités directeurs si c’est pour
sortir de telles balivernes ! C’est une explication, une parmi d’autres,
qui est fournie d’ailleurs pour la première fois ici parce que dans tout le
dossier, Monsieur HIGANIRO n’a jamais dit qu’il n’y avait eu que deux réunions,
une pour le brouillon et une pour le texte définitif. D’ailleurs, je vous ai
cité, lors de l’instruction préparatoire, plusieurs témoignages disant que ces
réunions étaient des réunions régulières, que ce comité se réunissait régulièrement
et prenait donc des décisions qu’il faisait connaître.
Ce qui m’intéresse moi, c’est le contenu des lettres.
Et la première, que vous retrouvez à la page 37 de l’acte d’accusation, date
donc, d’après HIGANIRO, de fin 93, début 94. Donc ici, nous sommes après les
accords d’Arusha. On y parle de l’union des Hutu, de l’union des partis MRND,
MDR, CDR. On parle de, je cite : « Barrer la route au coup d’état
civil d’Arusha ». On y parle du fait que, je cite : « Tous les
moyens sont bons car il y va de la survie de cette ethnie ». Et on y parle
aussi de ce qui va servir d’excuses - je vous en ai déjà parlé ce matin - d’alibi
général au génocide, à savoir : « L’autodéfense collective ». On y parle de l’ennemi, et
l’ennemi est clairement désigné : ce sont les Tutsi, je cite : « Assoiffés
de pouvoir ».
La lettre du 13 février 94 est dans la même lignée.
Souvenez-vous que Madame DESFORGES s’est elle-même étonnée ici du fait que,
dans cette lettre de 94, février 94, à ce moment-là déjà, on fait allusion ou
on parle d’organiser une défense collective et de redynamiser les responsables.
« Redynamiser » les responsables :
cela veut dire qu’il fallait faire le nécessaire pour que ces responsables soient
payés. Madame DESFORGES vous a dit ici : « C’était fort étonnant de
constater qu’en février 94 déjà, on pensait à redynamiser » et vous connaissez
les termes fleuris que Monsieur HIGANIRO a l’habitude d’employer, à redynamiser
les responsables.
On a fait ou on y fait aussi allusion aux moyens
qu’on va mettre en place : blocage des routes, séquestration, et alors,
une expression qui prend une toute autre dimension lorsqu’on regarde le génocide :
« Pays mort ».
Alors, je voudrais quand même que vous fassiez l’effort
de replacer tout ceci dans le contexte à Butare, à ce moment-là. Monsieur HIGANIRO,
ex-ministre, ex-secrétaire général du CPGL, haut fonctionnaire, directeur général
de la SORWAL, proche du président, président à qui il écrit directement, qu’il
reçoit chez lui. Lorsque Monsieur HIGANIRO lui adresse une telle lettre, eh
bien, c’est une lettre que j’appelle moi : une lettre de menace, une annonce
de l’apocalypse qui va suivre.
Il est l’homme de pouvoir, l’homme de régime, l’homme
du président qui parle et il faut quand même signaler ici, parce que vous le
verrez si jamais vous lisez le bouquin de Madame DESFORGES : même le président
le témoin 32 lui-même n’était pas un fort partisan des accords d’Arusha. Je crois
d’ailleurs qu’à un certain moment, il avait lui-même qualifié ces accords de
pur chiffon de papier.
Alors, lorsque cet homme-là, Monsieur HIGANIRO avec
son influence, avec son autorité, avec son statut, parle et écrit, ces paroles
et ces écrits sont non pas des simples déclarations : ce sont des offres,
des propositions, des provocations qui sont claires, qui sont nettes, qui sont
sans équivoque aucune et qui, d’ailleurs, vont avoir les conséquences voulues.
La troisième lettre : c’est l’aboutissement
final, c’est la lettre du 23 mai 1994. Nous sommes là au beau milieu du génocide.
La lettre du 23 mai 94 ne peut être plus claire. HIGANIRO ne cache plus rien
du tout. Je crois que plus personne dans cette salle ne doute encore un seul
instant de la réalité ou de la signification réelle des termes « travailler » entre guillemets et des termes « nettoyage ». L’explication qu’a donnée Monsieur HIGANIRO
à ce sujet est complètement ridicule et invraisemblable. D’après lui « travailler »,
c’est faire le travail d’agent commercial. Bon, Monsieur HIGANIRO est directeur
général à la SORWAL, c’est un ex-ministre - je sais bien qu’il n’y a rien de
plus dangereux et d’imprévisible qu’un ministre qui essaie de se recaser, on
en connaît qui font de la musique, il y en a d’autres qui ont sorti même des
disques - mais enfin, de là à dire que le directeur général, ex-ministre, va
vendre des allumettes, il ne faut quand même pas exagérer !
D’ailleurs, non seulement c’est ridicule, mais c’est
contredit par le dossier. C’est contredit par la propre femme de Monsieur HIGANIRO,
en premier lieu, et puis, c’est également contredit par Monsieur le témoin 22, l’actuel
directeur de la SORWAL, qui déclare que cela n’était pas du tout vrai. En outre,
vous avez entendu Monsieur le témoin 40 qui, lui, est un véritable agent commercial
et qu’est-ce qu’il a dit ? Il a dit qu’il avait reçu des instructions selon
lesquelles il fallait continuer à prospecter dans le Nord, et à faire donc dans
le Nord le travail d’agent commercial. C’est vous dire qu’il y en avait déjà
un qui travaillait. Donc, je ne vois pas, moi, Monsieur HIGANIRO faire ce travail
d’agent commercial dans le Nord du pays.
D’ailleurs, Monsieur NKUYUBWATSI dont vous avez
déjà entendu parler s’est rendu à Gisenyi et à Kigufi avec Monsieur le témoin 40.
Ils sont allés là pour donner à Monsieur HIGANIRO la moitié de la somme d’argent
qu’eux-mêmes avaient recueillie en vendant des allumettes. Donc, c’est pas -
permettez-moi quand même d’y revenir - ce n’est pas Monsieur HIGANIRO qui s’occupait
du porte à porte des allumettes de la SORWAL.
Alors, l’explication du terme « nettoyage ». Là on sombre dans la boue, enfin, on sombre
dans le ridicule le plus total. Le « nettoyage »,
c’est donc d’après Monsieur HIGANIRO, puis confirmé par son alter ego ici, Monsieur
le témoin 21, c’est donc le fameux camion qui a pratiquement volé en éclats, si on
doit le croire, par la boue qui se trouvait là, par la boue qui était déversée
sur la seule place où tout le trajet est bétonné. Personne de la SORWAL n’a
jamais entendu parler de cet événement. Personne n’a jamais entendu parler d’un
camion endommagé. Personne n’a jamais vu des prisonniers - et les prisonniers
au Rwanda, on les voit parce qu’ils sont dans une tenue rose, je ne sais pas
pourquoi c’est rose, mais bon -, ils sont en tenue rose donc, lorsqu’on vous
amène une centaine de prisonniers pour venir nettoyer de la boue, eh bien forcément,
cela se remarque. Il n’y a personne qui a vu les « balais roses ».
Balais, dans ce dossier, ça n’existe pas du tout.
Sauf Monsieur le témoin 21. Monsieur le témoin 21 lui, il se
souvient. Et quand Monsieur le témoin 21 se souvient de quelque chose, il se souvient.
Tous les points que Monsieur HIGANIRO reprend dans sa lettre, Monsieur le témoin 21,
comme ça, à Bukavu, dans un camp de réfugiés, sans aucun document devant lui,
va y répondre point par point. Premier point, réponse ; deuxième point,
réponse… c’est totalement invraisemblable ! D’ailleurs, il y a le témoignage
de Monsieur le témoin 40 qui me semble assez clair : Monsieur le témoin 21 disposait
à ce moment-là de la copie de la lettre de Monsieur HIGANIRO.
La défense vous a dit : « C’est totalement
impossible. Nous n’avions pas accès au dossier. Nous ne pouvions donc pas avoir
copie de cette lettre ». Bon, cette lettre, c’est pas la bible, hein, ça fait
une page et demie. Monsieur HIGANIRO avait accès, lui, à son dossier :
il pouvait très bien la recopier. Son avocat était en contact avec Monsieur
HIGANIRO et avec son épouse, impliquée elle-même aussi dans ce dossier. Donc,
lorsqu’on voit la réponse de Monsieur le témoin 21 à cette lettre, il est clair que
c’est une réponse qu’on fait sur base d’une lettre qu’on a devant soi.
Monsieur le témoin 40 a d’ailleurs déclaré qu’on avait
d’abord essayé de lui demander de répondre à cette lettre et qu’il avait refusé
parce qu’il trouvait que certains points, notamment ceux de « travailler» et ceux relatifs au « nettoyage »,
étaient assez obscurs et qu’on ne voulait pas lui donner les explications à
ce sujet.
Monsieur HIGANIRO, dont le domicile était protégé,
tant à Butare qu’à Kigali, qui bénéficie d’une escorte militaire qui fera partie
du cortège officiel pour l’installation des nouveaux dirigeants, n’avait, au
moment où il rédige la lettre de mai 1994, rien à craindre de personne, rien
à cacher et il ne se privera donc pas de mettre sur papier les quelques idées
brutes qu’il adresse à ce moment-là à Monsieur le témoin 21.
La seule chose qu’il ne pouvait pas prévoir, c’est
que Monsieur le témoin 21 allait laisser traîner cette lettre dans son bureau et que
cette lettre sera retrouvée plus tard. Oui, il faut le dire, ça fait désordre,
une telle lettre ! Au beau milieu d’un génocide, une lettre dans laquelle
on écrit entre guillemets « travailler »,
c’est-à-dire, tout le monde l’a utilisé ici dans le sens « tuer, éliminer, éradiquer » ; où on parle de carburant
à une époque où il était établi qu’après avoir pillé les maisons, on les brûlait ;
où on parle de « nettoyage », c’est-à-dire « d’épurer
les éléments nuisibles ». Je
peux comprendre que cette lettre dérange fondamentalement Monsieur HIGANIRO.
La lettre-rapport de Monsieur le témoin 21 qui, par plusieurs
personnes, est lui-même désigné comme un responsable des tueries à Butare, est
effectivement un compte rendu que ce dernier adresse à son supérieur sur l’état
d’avancement des travaux et du nettoyage à Butare. Ce supérieur, HIGANIRO va
lui répondre de continuer dans cette voie tandis que lui « travaille » dans
le même ordre d’idées et aux mêmes choses, en d’autres lieux.
Je vous demande aussi, Mesdames et Messieurs les
jurés, de rapprocher le contenu de ces lettres, de toutes ces lettres :
celles de janvier 93, les deux de fin 93, 94 et celles de mai 94, avec les renseignements
qui ressortent du dossier et qui font état du fait qu’Alphonse HIGANIRO était
connu à Butare comme partisan du Hutu Power, comme un extrémiste, comme un bailleur
de fonds des Interahamwe. On vous a dit que l’expression « Le coffre-fort
des Interahamwe » était une expression qui collait assez bien au personnage,
un industriel qui favorisait l’engagement des extrémistes Hutu, qui fournissait
des véhicules, qui permettait des entraînements militaires dans sa fabrique,
etc. Rapprochez à tout cela la déclaration de Monsieur Innocent NKUYUBWATSI
selon laquelle NTEZIMANA, HIGANIRO et NIZEYIMANA se connaissaient, se contactaient,
se parlaient, organisaient les travaux et organisaient le nettoyage…
On vous a dit que vous avez, ici, devant vous, une
illustration du génocide, puisque vous avez effectivement plusieurs piliers
nécessaires qui se trouvent ici, devant vous : vous avez l’intellectuel,
l’idéologue, le propagandiste, Monsieur NTEZIMANA ; vous avez l’industriel,
celui qui fournit la logistique, et l’argent ; puis, vous avez - mais cela
se situe dans un autre registre auquel je reviendrai plus tard - l’Eglise ou
certains représentants de l’Eglise ; vous n’avez pas le quatrième pilier,
vous n’avez pas les militaires. Monsieur NIZEYIMANA, Monsieur MUVUNI à Butare,
Monsieur REKERAHO, vous n’avez pas ce pilier-là, mais, à Butare, au moment des
événements, comme d’ailleurs plus tard à Kigali, comme d’ailleurs plus tard
à Gisenyi, ces piliers étaient réunis.
Vous aviez les trois ou quatre piliers nécessaires
qui travaillaient - j’ai déjà employé le mot - en parfaite coordination et en
parfaite osmose.
Monsieur Innocent NKUYUBWATSI est le lien entre
NIZEYIMANA, NTEZIMANA et HIGANIRO. Monsieur NKUYUBWATSI est engagé par Monsieur
HIGANIRO et, apparemment, c’est un travailleur tellement brillant qu’il va faire
une carrière rapide. C’est un homme du Nord, un extrémiste, un ex-militaire,
et Monsieur HIGANIRO va lui donner du travail et va le promouvoir. Dans le reportage
que vous avez vu, Monsieur NKUYUBWATSI déclare ceci : « Il était redevable
à ces trois personnes : HIGANIRO parce qu’il l’avait engagé, NIZEYIMANA
parce qu’il l’avait hébergé et NTEZIMANA, plus tard, parce que le capitaine
NIZEYIMANA lui avait demandé de reprendre Innocent dans sa maison ». Lorsque
ces trois-là décidaient de quelque chose, Monsieur Innocent NKUYUBWATSI n’avait
plus qu’une seule chose à faire : c’est de s’exécuter et d’exécuter.
Je crois d’ailleurs personnellement que le terrain
d’action de Monsieur HIGANIRO ne s’est pas limité aux environs de Butare. Je
crois - et je me base quand même sur des éléments du dossier - que ce travail,
ce nettoyage a continué à Kigali et a même continué au Nord, à Gisenyi. On vous
dira à la défense que Monsieur HIGANIRO a quitté Butare le 7 avril pour aller
d’abord à Kigali, puis le 12 avril 94 pour finalement arriver à Gisenyi. Je
n’en disconviens pas, j’attire simplement votre attention sur par exemple la
personne qui escortera Monsieur HIGANIRO : c’est Monsieur Théoneste BAGOSORA.
Vous vous souviendrez peut-être que, tout au début
du procès, on vous a passé un petit film de la télévision française : Monsieur
BAGOSORA est ce charmant personnage que vous voyez à la télévision et qui déclare,
tout gentiment, que lui n’a rien à voir avec le travail et le nettoyage mais qui,
en une fois, devient tout à fait féroce lorsqu’on lui demande s’il y a encore
des témoins qui pourraient venir témoigner contre lui. Ça, c’est Monsieur BAGOSORA.
Je ne disconviens donc pas du fait que Monsieur
HIGANIRO ne se trouvait pas sur les lieux : il ne reviendra qu’une seule
fois à Butare. Il le dit lui-même, le 28 avril, soi-disant, pour relancer sa
fabrique d’allumettes. Mais tout dans ce dossier démontre que, même si Monsieur
HIGANIRO n'était pas physiquement sur les lieux, tous les moyens étaient à sa
disposition pour entretenir des contacts avec ses troupes, ses troupes de base
dans la SORWAL avec Monsieur le témoin 21 notamment, avec Monsieur le témoin 40
et avec Monsieur Innocent NKUYUBWATSI qui feront d’ailleurs le voyage à Gisenyi
et qui viendront faire rapport chez l’intéressé.
Je vous ai déjà dit que pour Monsieur NTEZIMANA,
on ne peut isoler les écrits et les déclarations des contacts et des actions.
Ce même raisonnement vaut pour Monsieur HIGANIRO.
Croyez-vous vraiment, Mesdames et Messieurs les
jurés, que c’est un pur fait du hasard qu’après la guerre, des 114 personnes
qui travaillaient à la SORWAL, il n’y en a que 7 ou 12 qui ont repris le travail,
quelques-uns étant décédés et tous les autres étant réfugiés au Zaïre, et, ayant
refusé de revenir bien qu’un directeur suédois soit allé les trouver et leur
ait proposé de reprendre le travail ? Est-ce que vous croyez que cette
réaction est une réaction du pur hasard ? La réponse est bien évidemment :
non. Les personnes engagées par HIGANIRO au sein de sa fabrique d’allumettes
étaient tous des extrémistes et ont tous participé, à différents niveaux, aux
tueries à Butare.
Vous ne pouvez pas isoler Monsieur HIGANIRO des
relations qu’il entretenait notamment, et on va certainement vous en parler
en ce qui concerne les parties civiles, dans l’ADSK, avec plusieurs personnes
dont les noms, j’en ai déjà cité quelques-uns, vont revenir à plusieurs reprises
dans le cadre de ce dossier.
Vous ne pouvez pas isoler Monsieur HIGANIRO de la
gestion et des comptes de la SORWAL. Interrogé à ce sujet, l’intéressé a fait
une très longue déclaration, tentant de justifier sa gestion assez désastreuse,
essayant de se dépêtrer notamment des crédits consentis à certains clients.
Je vous ai dit déjà : « Je ne suis pas un expert comptable, il ne
s’agit pas ici d’une faillite frauduleuse, on ne fait pas l’analyse d’une firme
comme la SORWAL ». Moi, je constate simplement un fait : c’est que
parmi les clients de la SORWAL, il y avait le président et les deux vices- présidents
des Interahamwe et que les sommes qui sont rapportées en rapport avec ces personnes
sont des sommes qui, à tout le moins, posent certaines questions.
Ce qui ressort de tout cela, Mesdames et Messieurs
les jurés, c’est que Monsieur HIGANIRO était farouchement opposé à tout changement.
Il a averti qu’il était opposé à ces changements, il a averti de ce qu’il allait
faire si ces changements devaient avoir lieu, et d’après ses propres déclarations,
il avait déjà ces idées en 1991, 92 et 93.
Monsieur HIGANIRO fera tout et a tout fait pour
que ce que lui appelle le « coup d’état », véhiculé par les accords
d’Arusha, ne réussisse pas. Il s’est appliqué à réunir les moyens pour contrecarrer
ces accords, pour organiser le dérapage, naturellement contrôlé, et une fois
cette machine infernale mise en marche, HIGANIRO a utilisé de tout son poids,
de toute l’autorité qu’il avait, de tous les moyens dont il disposait et de
tous les crédits mis à sa disposition pour arriver à ce - et je reprends son
terme repris dans la lettre - « pays mort ».
Il a donc non seulement préparé par des lettres,
puis organisé par le biais de sa firme les massacres futurs, mais il les a également
supervisés. Se faisant tenir au courant, où qu’il soit, Butare, Kigali ou Gisenyi,
allant même vérifier si ses ordres - j’y reviendrai dans le cadre du dossier
à Kigufi -, allant même vérifier si ses ordres avaient été correctement accomplis
et n’hésitant pas à manifester son mécontentement lorsque ses ordres n’avaient
pas été accomplis. Monsieur HIGANIRO a utilisé ses connaissances au niveau politique,
son pouvoir, son autorité, son statut de dignitaire, son statut de dignitaire
de régime, et il a combiné à son influence comme industriel, comme employeur
de personnes de son bord, de sa région, de ses opinions.
Tout cela - et rappelez-vous les modes de commission
que je vous ai énumérés là tantôt -, tout cela entre dans ces modes de commission :
il y a des ordres, il y a des propositions, il y a des provocations, il y a
de la participation, il y a la mise à disposition de moyens pour accomplir les
crimes qui sont retenus dans mon acte d’accusation.
Puis, nous passons aux faits qui se passent à Gisenyi
concernant donc l’assassinat de la famille le témoin 123. Je ne vais pas vous faire
ou vous refaire le récit détaillé de ces événements, événements horribles qui
vous ont été relatés par le seul survivant, le témoin 123, et par le père
le témoin 18. Je voudrais simplement vous dire que j’ai assez déploré la manière
dont on a tenté de déstabiliser ce témoin en lui posant des questions que moi,
je qualifie de pur détail et qui ne changent en rien le fond et le fondement
de ses déclarations.
Je voudrais quand même vous signaler que ce témoin
a assisté en direct à la mort de son père, d’une manière affreuse. J’ai demandé
à un témoin de vous le décrire : « On lui a coupé les bras, les jambes,
puis la tête ». Il a assisté à la mort de sa mère. Il a assisté à la mort
de sa sœur. Il a assisté à la mort de son frère. Il a lui-même reçu un coup
de machette au niveau de la tête. Il s’est enfui en se jetant dans le lac Kivu.
Alors, aller poser à ce témoin la question de savoir
si le lac Kivu, au moment où lui, au moment où toute sa famille a été décimée
et vient de recevoir un coup de machette sur la tête, s’il y avait des berges
sur ce lac, eh bien, cela, ça me dépasse, n’est ce pas ! Aller poser à
ce témoin, sept ans après les faits, des questions portant sur l’emplacement
d’un champ de maïs, l’emploi ou non d’une hache pour enfoncer le portail, l’existence
ou non d’une haie de cyprès séparant la propriété d’HIGANIRO de celle de ses
parents ! Bon sang, il s’agit d’un enfant de 14 ans à l’époque ; oser
lui demander s'il est vrai qu’il a veillé pendant la nuit, au lieu où ses parents
ont été enterrés, eh bien, je trouve cela, et je mesure mes termes, extrêmement
déplacés !
Le récit, l’horrible récit d’le témoin 123 est
entièrement corroboré par la domestique de la famille, la nommée NIRYA le témoin 32,
par la sœur le témoin 115, par sœur Annonciata le témoin 92, par deux religieuses du monastère
de Kigufi et par trois autres religieuses de cette communauté, entendues ultérieurement.
Ce récit est entièrement confirmé par la sœur Wilemnina le témoin 52. Ce récit est
complètement confirmé par le père le témoin 18. Ce récit est confirmé par un voisin,
le nommé Jean-Marie Vianney NKEZABEKA, qui confirme qu’HIGANIRO avait déjà dit
auparavant : « Pourquoi ne tuez-vous pas ce petit Tutsi de médecin ? ».
Alors, essayer - et je vais y revenir tantôt parce que la même tactique va être
employée dans le dossier des deux sœurs -, essayez de faire buter un témoin
direct des faits sur des détails, de savoir si c’est un champ de maïs ou un
champ de fleurs ? Eh bien, je trouve ça totalement inadéquat, totalement
déplacé !
Le père le témoin 18, qui a été entendu ici, donne un
possible motif pour l’assassinat de la famille du témoin 123, à savoir s’octroyer
le terrain et avoir ainsi une sortie directe sur le lac. La défense va vous
dire et vous avez vu les vidéos à ce sujet, que Monsieur HIGANIRO disposait
d’une sortie sur le lac et que ce motif est donc gère crédible. Je n’en sais
rien et, à la limite, je m’en fous. Ce que moi je constate, c’est que l’organisation
et la supervision n’empêchaient pas Monsieur HIGANIRO de penser aussi parfois
à lui-même. Lorsqu’il se trouve à Gisenyi, il va vendre quelques voitures de
luxe. Avant de prendre la fuite, il va se faire remettre la moitié de la recette
de la dernière livraison des allumettes, et va aussi - faut quand même avoir
un esprit assez commercial - faire le nécessaire pour se faire encore vite payer
ses deux mois de traitement de directeur général à la SORWAL, avant de s’enfuir
vers d’autres cieux. Ce que je veux simplement dire : il est possible que
ce motif ait existé, des petits bénéfices de ce genre ne sont jamais perdus…
Ce qui m’intéresse moi, c’est qu’le témoin 123,
témoin direct, seul témoin direct encore des faits, après avoir veillé près
de la tombe de ses parents, a entendu HIGANIRO s’adresser à ses deux serviteurs
en disant : « Est-ce que c’est comme ça que vous tuez ? Il faut
tuer du bébé au vieillard ». Phrase prononcée par HIGANIRO en s’adressant
à ses deux domestiques, qui lui a avaient dit qu’ils avaient bien travaillé
mais que, malheureusement, le fils du médecin avait réussi à s’échapper. D’ailleurs,
l’attitude que va avoir après Alphonse HIGANIRO prouve que ce que dit Benoît
le témoin 123 est bien exact. Qu’est-ce qu’il va faire ? Lui et ses deux serviteurs
nient bien entendu ces faits mais il veut voir les cadavres. Il veut voir où
ils ont été enterrés et il veut aussi savoir où se trouve le seul survivant.
Il ira d’ailleurs rendre visite au domaine de l’évêque pour s’informer sur,
notamment, Monsieur le témoin 123 et sur deux autres personnes Tutsi qu’il
recherchait, les nommées Léocadie et Alphonsine.
Les deux domestiques ont été identifiés : Monsieur
le témoin 12 et Monsieur le témoin 3. Ces personnes, bien entendu, ont nié une quelconque
implication dans ces massacres, dénonçant d’autres personnes. Je voudrais quand
même attirer votre attention sur le fait que le père le témoin 18, lui aussi, déclare
avoir assisté au pillage de la maison le témoin 123. Je vous signale qu’entre-temps,
BUHATI et le témoin 12 font l’objet d’une procédure au Rwanda, justement pour leur
implication dans ces faits-ci. Tant le témoin 123 que le domestique de la
famille désignent les deux serviteurs de Monsieur HIGANIRO comme ceux qui ont
indiqué la cachette où se trouvait cette famille. Ils vont même plus loin :
ils désignent Monsieur BUHATI et Monsieur le témoin 12, comme faisant partie des personnes
qui ont procédé au massacre de cette famille entière.
Monsieur HIGANIRO se défend de toute implication
dans ce massacre : primo, il n’était pas à Gisenyi à ce moment, il n’a
pas fait de confidences à ses domestiques et, dit-il, il n’aurait pas eu la
possibilité ni le pouvoir de donner un tel ordre.
Je répliquerai simplement que, primo, il ne faut
pas être physiquement présent sur les lieux pour pouvoir donner des ordres.
D’ailleurs, comme ce fut le cas à Butare, les ordres, les instructions, les
opinions, les attitudes de Monsieur HIGANIRO étaient connues de tous. Les confidences
ont été entendues par le témoin 123. Alors moi, je ne vois pas quel est
l’intérêt de Monsieur le témoin 123 de charger Monsieur HIGANIRO ou de charger les
nommés le témoin 3 et le témoin 12.
Effectivement, Monsieur HIGANIRO n’était pas présent,
il n’est arrivé que plus tard, et d’ailleurs, un témoin va dire que la date
d’arrivée de Monsieur HIGANIRO correspond avec une intensification des massacres.
Je reprends l’expression utilisée : « La chasse aux Tutsi a repris
de plus belle lorsque le bruit a couru que le corps du président le témoin 32
et du docteur AKINGENEYE allaient être enterrés dans les caves de la maison
d’HIGANIRO ». On disait de manière cynique que les dépouilles ne pouvaient
pas reposer en « terre impure » - et terre impure, cela voulait dire :
des terres où il y avait encore un Tutsi.
Quant à l’explication de Monsieur HIGANIRO selon
laquelle il n’avait pas le pouvoir de donner de tels ordres, je crois que vraiment
personne n’osera le contester. Monsieur HIGANIRO avait tous les pouvoirs et
vous verrez dans ce dossier qu’on signale que les maisons de Monsieur HIGANIRO
étaient toujours, partout où il se trouvait, gardées par des militaires.
La conversation de Monsieur HIGANIRO et de ses domestiques,
non seulement, établit l’existence de ses ordres, mais établit également son
mécontentement que ses ordres n’aient pas été exécutés de la manière dont il
l’avait demandé. Autre élément qui importe pour situer le personnage d’HIGANIRO,
je l’ai déjà dit : sa maison était gardée par des militaires. Alors qu’on
ne vienne pas me dire que Monsieur HIGANIRO, avec tout ce que je vous ai dit
de lui : ex-ministre, dignitaire, ami, confident du président, ne disposait
pas du pouvoir de donner de tels ordres. Vous avez vu sur la vidéo, vous avez
vu le site de Kigufi, vous avez vu la villa d’HIGANIRO. Je l’ai déjà dit en
Chambre des mises : « Kigufi c’est un peu… c’est le Zoute du Rwanda,
c’est le quartier chic : le président habite à quelques lieues de Monsieur
HIGANIRO, eh bien, HIGANIRO, à Kigufi, c’est pas Monsieur n’importe qui ! ».
HIGANIRO, à Kigufi : c’est une autorité, c’est
un dignitaire du régime, c’est un personnage puissant, un personnage à qui on
obéit, un personnage d’ailleurs - on dira dans le dossier qui, justement de
par la protection dont il bénéficiait, était inaccessible pour les autres. Il
fallait passer par des militaires pour pouvoir accéder à Monsieur HIGANIRO.
Monsieur HIGANIRO à Kigufi est quelqu’un à qui on obéit, et dont on exécute
les ordres.
Je n’ai pas - je vous ai dit que je joue carte sur
table -, je n’ai pas la preuve absolue que Monsieur HIGANIRO ait ordonné à des
Interahamwe, parmi lesquels figuraient le témoin 3 et le témoin 12, de tuer la famille
du témoin 123. Tous les éléments que je viens de vous énumérer vont tous dans
la même direction et le désignent comme le commanditaire de ce crime, et non
seulement comme le commanditaire, mais également après comme la personne qui
vient voir, qui vient vérifier si ses ordres ont bien été exécutés.
Il me semble inimaginable que tous les membres de
la famille le témoin 123 auraient été assassinés ou auraient fait l’objet d’une
tentative d’assassinat si Monsieur HIGANIRO avait décidé qu’ils ne devaient
pas mourir et qu’il n’en avait pas donné l’ordre. Ses réactions, ses confidences
à ses domestiques, ses visites au domaine de l’évêque, tout cela concorde :
HIGANIRO a ordonné un travail, a voulu vérifier si ce travail avait été accompli
et - et ça, c’est la visite à l’évêque qui le prouve voulait, à la limite,
terminer peut être lui-même ce travail…
Replacez Monsieur HIGANIRO dans son contexte, tant
à Butare, à Kigali, qu’à Gisenyi. Regardez de quel personnage il s’agit. Regardez
son importance au niveau de l’ancien régime. Regardez ses écrits. Lisez ce qu’il
écrit. Analysez ce qu’il prédit.
Vous verrez que Monsieur HIGANIRO a, tout comme
l’a fait Monsieur NTEZIMANA, ordonné, provoqué, instigué à commettre des crimes
de droit international et je vous demanderai donc, en ce qui concerne Monsieur
HIGANIRO, du déclarer également coupable des faits qui sont retenus dans
mon acte d’accusation.
Je souhaiterais peut-être interrompre ici une dizaine
de minutes, Monsieur le président, pour reprendre alors les deux dernières parties
de mon réquisitoire.
Le Président : Eh bien, nous allons suspendre l’audience un quart d’heures. On reprend
à 15 h 05. |
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