assises rwanda 2001
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Débats Réquisitoire avocat général compte rendu intégral du procès
Procès > Débats > Réquisitoire avocat général > Dossier A. Higaniro
1. Général 2. Dossier V. Ntezimana 3. Dossier A. Higaniro 4. Dossier C. Mukangango et J. Mukabutera 5. Conclusions
 

9.2.3. Réquisitoire de l’avocat général: dossier HIGANIRO

Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir, les accusés peuvent prendre place.

Eh bien, les journalistes ne respectent pas les instructions qui leur sont données. Vous en tirerez les conséquences que vous voudrez. Mais, de toute façon, nous n’avons pas affaire, malgré tout, à un procès qui met en cause, par exemple, des terroristes. Bien, Monsieur l’avocat général, je vais à nouveau vous restituer la parole pour la suite de vos réquisitions.

L’Avocat Général : Je vous remercie, Monsieur le président. Je vais donc passer maintenant à l’étude du cas de Monsieur HIGANIRO. Je vous ai fait tantôt un portrait de Monsieur NTEZIMANA. Le portrait d’Alphonse HIGANIRO est plus net et plus clair que celui de Vincent NTEZIMANA mais il révèle un même type d’homme : un homme du Nord et un extrémiste. En plus, et je le souligne, Alphonse HIGANIRO est un homme de pouvoir, un homme de l’appareil, un homme du président.

Un homme, comme je l’ai déjà dit dans mon acte d’accusation, qui a tout reçu du régime en place et qui donc risque de tout perdre si ce régime disparaît. Un homme qui, décidément, n’aime pas les Tutsi et ne se prive pas du faire savoir. Souvenez-vous de ces termes pour désigner son voisin à Kigufi : « Ce petit médecin de Tutsi ». Souvenez-vous de ses remarques sur les Tutsi, lorsque le préfet lui présente sa fille et lorsque qu’après, il dira qu’il ne veut plus voir de Tutsi à la SORWAL. Une sœur du monastère Saint Benoît à Kigufi dira d’ailleurs de lui : « HIGANIRO ne digérait pas les Tutsi ». Souvenez-vous de Monsieur NSANZUWERA qui, lorsqu’il va à une réception de mariage, rencontre HIGANIRO qui lui dit qu’il ressemble à Monsieur KAGAME. Ce qui prouve que les politiciens, lorsqu’ils se rencontrent entre eux, parlent peut-être de la famille mais lorsqu’ils rencontrent des magistrats, ils parlent de la politique.

Monsieur HIGANIRO est la parfaite illustration de ce qu’un auteur français, Stendhal, a déclaré : « J’ai assez vécu pour savoir que la différence engendre la haine ». Cette haine, entretenue au niveau institutionnel par des gens comme Monsieur HIGANIRO, va se doubler chez cet accusé-là de la crainte d’effectivement tout perdre si ce régime, dont il a fait partie et dont il continue à être un des dignitaires, devait disparaître.

Alphonse HIGANIRO ne va pas se gêner pour faire connaître ses idées, pour les mettre en pratique, pour les propager, je vous cite par exemple la déclaration de l’abbé le témoin 125 qui déclare : « Avant le 6 avril 94 déjà, HIGANIRO était cité comme responsable des tensions ethniques et des bruits annonçant les massacres ».

Les signes avant-coureurs sont nombreux : la politique systématique d’HIGANIRO de remplacer les membres du personnel par des Hutu originaires de sa région ; l’engagement au sein de la SORWAL des membres des Interahamwe ; l’interpénétration entre la SORWAL et les Interahamwe - je ne vais pas entrer ici dans les détails des bilans de la SORWAL, nous ne nous trouvons pas devant un procès financier, je ne suis pas expert comptable, ni expert fiscaliste -, mais je constate simplement que cette interpénétration existe et que, parmi les clients, qu’ils soient douteux ou non, figure le président et les deux vice-présidents des Interahamwe.

Vous avez le versement de l’intéressé, en date du 13 juillet 93, d’une somme de 100.000 francs rwandais à la radio RTLM ; la radio qui deviendra la radio des génocidaires, la radio qui diffusera des appels de haine à l’égard des Tutsi et des Belges, la radio qui, au milieu des événements, sera même utilisée pour désigner nominativement, nommément, les personnes qui doivent être assassinées.

Il y a l’affiliation de l’épouse HIGANIRO, dès 92, lorsque son mari devient directeur général à la SORWAL, au parti le plus extrémiste : le CDR. Plusieurs témoins d’ailleurs, ici, ont déclaré que Monsieur HIGANIRO lui-même militait pour ce parti, assistait à des meetings. Quoi qu’il en soit, je crois que l’image qui ressort de tous les témoignages est que Monsieur HIGANIRO est ce que j’appelle un pur et dur du régime, un intransigeant, en un mot : un Hutu Power.

Vous lirez dans mon acte d’accusation que les lettres dont je fais état commencent en 93. Longtemps avant déjà, Monsieur HIGANIRO avait annoncé la couleur. Souvenez-vous des inscriptions dans son agenda qui concernent le nommé KAVA ? Je lui ai demandé s’il s’agissait de Monsieur KAVARUGUNDA et c’est bien lui, le président de la Cour constitutionnelle. Le passage dit à peu près : « Si, il faut éliminer KAVA. »

Autre chose, Monsieur RUKUKOMA, lorsqu’on vise Monsieur TWAGIRAMUNGU qui doit - je cite de mémoire - : « Inquiéter au plus haut niveau ». Alors, lorsqu’on a demandé ce que Monsieur HIGANIRO avait à répondre à ce sujet, il vous a dit qu’il s’agissait d’agenda de 1991 et de 1993. Moi, je veux bien, je suis tout à fait d’accord. Si c’est le cas, c’est pire parce que ça voudrait dire qu’à partir de 1991 et de 1993, Monsieur HIGANIRO caressait déjà l’idée d’éliminer ou de faire éliminer                             KAVARUGANDA qui sera effectivement éliminé le 7 avril 1994. Ce sera une des premières personnes. Pourquoi ? Parce que c’était le président à la Cour constitutionnelle qui devait nommer les dirigeants, donc les personnes qui allaient succéder au président le témoin 32. Donc, si c’est exact, si cela date de 91 et 93, la préméditation dans l’esprit de Monsieur HIGANIRO était présente déjà à ce moment-là.

Souvenez-vous aussi des quelques notes de l’intéressé dans son agenda selon lesquelles - et mettez ça en relation avec les témoignages de Monsieur NSANZUWERA ici - il fallait engager d’urgence 30 magistrats Hutu au parquet. Lorsque vous aurez entendu Monsieur NSANZUWERA, vous mettrez cette déclaration dans son contexte et vous en tirerez les conclusions qui s’imposent.

Les idées que Monsieur HIGANIRO a, il va les mettre sur papier, il va les mettre sur papier, il va les faire connaître et il va finalement les mettre en pratique. La première menace écrite est la lettre du 16 janvier 93, adressée par HIGANIRO au président de la République. Vous avez entendu dire ici ou expliqué par Monsieur HIGANIRO qu’il ne faisait pas partie de l’Akazu, qu’il n’était pas un des dignitaires du régime, qu’il était même, à son avis, tombé en disgrâce au moment de sa nomination à la SORWAL.

Bon, je crois que plus personne ne croit un seul mot de cette déclaration. Je crois que, lorsqu’on invite le président au vin d’honneur pour une fête de mariage, lorsqu’on invite le président pour la fête de Pâques, lorsqu’on s’adresse directement au président, je crois, à ce moment-là, qu’il n’est pas très sérieux de venir prétendre qu’une nomination à la SORWAL - nomination dont on vous a déjà dit quels étaient les conséquences et l’impact - soit un état de disgrâce.

La lettre que l’intéressé adresse au président n’est donc pas… disons que ce n’est pas une lettre émanant d’un sous-fifre quelconque. Monsieur HIGANIRO s’adresse au président et je cite : « Il va lui donner quelques idées brutes », et pour être brutes ses idées : elles le sont ! Il s’agit ni plus ni moins que d’une lettre d’opposition au processus de démocratisation et de partage du pouvoir. La date de cette lettre est importante : le 16 janvier 1993. Nous sommes donc huit mois avant la conclusion des accords d’Arusha. Je cite : « Le gouvernement de transition, tel que conçu dernièrement à Arusha, ne devrait pas voir le jour. Quel qu'en puisse être le dérapage, mais naturellement contrôlé ».

Rapprochez de cela des annotations concernant Monsieur TWAGIRAMUNGU, et le dérapage visé par Alphonse HIGANIRO devient extrêmement clair. Rapprochez de cela le fait que Monsieur KAVARUGANDA - dont je vous ai dit quel était son rôle - sera assassiné dès le 7 avril 94. La conclusion est évidente : la lettre du 16 janvier 1993 est prémonitoire. Le gouvernement de transition ne verra effectivement pas le jour et le dérapage aura effectivement lieu : il sera contrôlé par les partisans du vieux régime, les durs, ceux qui voulaient, qui veulent, qui voulaient une fois pour toutes en terminer avec leurs ennemis de toujours.

Vous avez entendu comme moi l’explication de Monsieur HIGANIRO sur cette lettre. En ce qui le concerne, au moment où il écrit, on est dans la phase préparatoire aux accords d’Arusha. Ce qu’il écrit donc au président est simplement sa vision des faits, son opposition, sa lettre-cadre donc dans le jeu politique de l’opposition à ces accords. Et, dit Monsieur HIGANIRO : « Si ces accords devaient devenir réalité, lui, Alphonse HIGANIRO, en parfait démocrate, serait le premier à s’incliner et deviendrait l’obéissance incarnée, le fidèle serviteur et le défenseur de ces accords ». La suite va prouver que c’est tout à fait le contraire qui va avoir lieu.

La deuxième et la troisième lettre datent d’après la mise en place des accords d’Arusha. Je ne vais pas revenir sur les déclarations de Monsieur HIGANIRO concernant le fait que ces deux lettres, en fait, n’en forment qu’une seule : la première étant un brouillon et l’autre étant le texte définitif. Monsieur le témoin 21 voulait venir chanter la même chanson ici. On vous a parlé de sub-comité, de petit comité, de grand comité. Puis, on vous a dit que ces lettres, en somme, ne servaient à rien puisque ces lettres, on les tapait mais il n’y avait pas de répercussions, on ne les distribuait pas… C’est à se demander pourquoi on organise les comités directeurs si c’est pour sortir de telles balivernes ! C’est une explication, une parmi d’autres, qui est fournie d’ailleurs pour la première fois ici parce que dans tout le dossier, Monsieur HIGANIRO n’a jamais dit qu’il n’y avait eu que deux réunions, une pour le brouillon et une pour le texte définitif. D’ailleurs, je vous ai cité, lors de l’instruction préparatoire, plusieurs témoignages disant que ces réunions étaient des réunions régulières, que ce comité se réunissait régulièrement et prenait donc des décisions qu’il faisait connaître.

Ce qui m’intéresse moi, c’est le contenu des lettres. Et la première, que vous retrouvez à la page 37 de l’acte d’accusation, date donc, d’après HIGANIRO, de fin 93, début 94. Donc ici, nous sommes après les accords d’Arusha. On y parle de l’union des Hutu, de l’union des partis MRND, MDR, CDR. On parle de, je cite : « Barrer la route au coup d’état civil d’Arusha ». On y parle du fait que, je cite : « Tous les moyens sont bons car il y va de la survie de cette ethnie ». Et on y parle aussi de ce qui va servir d’excuses - je vous en ai déjà parlé ce matin - d’alibi général au génocide, à savoir : « L’autodéfense collective ». On y parle de l’ennemi, et l’ennemi est clairement désigné : ce sont les Tutsi, je cite : « Assoiffés de pouvoir ».

La lettre du 13 février 94 est dans la même lignée. Souvenez-vous que Madame DESFORGES s’est elle-même étonnée ici du fait que, dans cette lettre de 94, février 94, à ce moment-là déjà, on fait allusion ou on parle d’organiser une défense collective et de redynamiser les responsables. « Redynamiser » les responsables : cela veut dire qu’il fallait faire le nécessaire pour que ces responsables soient payés. Madame DESFORGES vous a dit ici : « C’était fort étonnant de constater qu’en février 94 déjà, on pensait à redynamiser » et vous connaissez les termes fleuris que Monsieur HIGANIRO a l’habitude d’employer, à redynamiser les responsables.

On a fait ou on y fait aussi allusion aux moyens qu’on va mettre en place : blocage des routes, séquestration, et alors, une expression qui prend une toute autre dimension lorsqu’on regarde le génocide : « Pays mort ».

Alors, je voudrais quand même que vous fassiez l’effort de replacer tout ceci dans le contexte à Butare, à ce moment-là. Monsieur HIGANIRO, ex-ministre, ex-secrétaire général du CPGL, haut fonctionnaire, directeur général de la SORWAL, proche du président, président à qui il écrit directement, qu’il reçoit chez lui. Lorsque Monsieur HIGANIRO lui adresse une telle lettre, eh bien, c’est une lettre que j’appelle moi : une lettre de menace, une annonce de l’apocalypse qui va suivre.

Il est l’homme de pouvoir, l’homme de régime, l’homme du président qui parle et il faut quand même signaler ici, parce que vous le verrez si jamais vous lisez le bouquin de Madame DESFORGES : même le président le témoin 32 lui-même n’était pas un fort partisan des accords d’Arusha. Je crois d’ailleurs qu’à un certain moment, il avait lui-même qualifié ces accords de pur chiffon de papier.

Alors, lorsque cet homme-là, Monsieur HIGANIRO avec son influence, avec son autorité, avec son statut, parle et écrit, ces paroles et ces écrits sont non pas des simples déclarations : ce sont des offres, des propositions, des provocations qui sont claires, qui sont nettes, qui sont sans équivoque aucune et qui, d’ailleurs, vont avoir les conséquences voulues.

La troisième lettre : c’est l’aboutissement final, c’est la lettre du 23 mai 1994. Nous sommes là au beau milieu du génocide. La lettre du 23 mai 94 ne peut être plus claire. HIGANIRO ne cache plus rien du tout. Je crois que plus personne dans cette salle ne doute encore un seul instant de la réalité ou de la signification réelle des termes « travailler » entre guillemets et des termes « nettoyage ». L’explication qu’a donnée Monsieur HIGANIRO à ce sujet est complètement ridicule et invraisemblable. D’après lui « travailler », c’est faire le travail d’agent commercial. Bon, Monsieur HIGANIRO est directeur général à la SORWAL, c’est un ex-ministre - je sais bien qu’il n’y a rien de plus dangereux et d’imprévisible qu’un ministre qui essaie de se recaser, on en connaît qui font de la musique, il y en a d’autres qui ont sorti même des disques - mais enfin, de là à dire que le directeur général, ex-ministre, va vendre des allumettes, il ne faut quand même pas exagérer !

D’ailleurs, non seulement c’est ridicule, mais c’est contredit par le dossier. C’est contredit par la propre femme de Monsieur HIGANIRO, en premier lieu, et puis, c’est également contredit par Monsieur le témoin 22, l’actuel directeur de la SORWAL, qui déclare que cela n’était pas du tout vrai. En outre, vous avez entendu Monsieur le témoin 40 qui, lui, est un véritable agent commercial et qu’est-ce qu’il a dit ? Il a dit qu’il avait reçu des instructions selon lesquelles il fallait continuer à prospecter dans le Nord, et à faire donc dans le Nord le travail d’agent commercial. C’est vous dire qu’il y en avait déjà un qui travaillait. Donc, je ne vois pas, moi, Monsieur HIGANIRO faire ce travail d’agent commercial dans le Nord du pays.

D’ailleurs, Monsieur NKUYUBWATSI dont vous avez déjà entendu parler s’est rendu à Gisenyi et à Kigufi avec Monsieur le témoin 40. Ils sont allés là pour donner à Monsieur HIGANIRO la moitié de la somme d’argent qu’eux-mêmes avaient recueillie en vendant des allumettes. Donc, c’est pas - permettez-moi quand même d’y revenir - ce n’est pas Monsieur HIGANIRO qui s’occupait du porte à porte des allumettes de la SORWAL.

Alors, l’explication du terme « nettoyage ». Là on sombre dans la boue, enfin, on sombre dans le ridicule le plus total. Le « nettoyage », c’est donc d’après Monsieur HIGANIRO, puis confirmé par son alter ego ici, Monsieur le témoin 21, c’est donc le fameux camion qui a pratiquement volé en éclats, si on doit le croire, par la boue qui se trouvait là, par la boue qui était déversée sur la seule place où tout le trajet est bétonné. Personne de la SORWAL n’a jamais entendu parler de cet événement. Personne n’a jamais entendu parler d’un camion endommagé. Personne n’a jamais vu des prisonniers - et les prisonniers au Rwanda, on les voit parce qu’ils sont dans une tenue rose, je ne sais pas pourquoi c’est rose, mais bon -, ils sont en tenue rose donc, lorsqu’on vous amène une centaine de prisonniers pour venir nettoyer de la boue, eh bien forcément, cela se remarque. Il n’y a personne qui a vu les « balais roses ». Balais, dans ce dossier, ça n’existe pas du tout.

Sauf Monsieur le témoin 21. Monsieur le témoin 21 lui, il se souvient. Et quand Monsieur le témoin 21 se souvient de quelque chose, il se souvient. Tous les points que Monsieur HIGANIRO reprend dans sa lettre, Monsieur le témoin 21, comme ça, à Bukavu, dans un camp de réfugiés, sans aucun document devant lui, va y répondre point par point. Premier point, réponse ; deuxième point, réponse… c’est totalement invraisemblable ! D’ailleurs, il y a le témoignage de Monsieur le témoin 40 qui me semble assez clair : Monsieur le témoin 21 disposait à ce moment-là de la copie de la lettre de Monsieur HIGANIRO.

La défense vous a dit : « C’est totalement impossible. Nous n’avions pas accès au dossier. Nous ne pouvions donc pas avoir copie de cette lettre ». Bon, cette lettre, c’est pas la bible, hein, ça fait une page et demie. Monsieur HIGANIRO avait accès, lui, à son dossier : il pouvait très bien la recopier. Son avocat était en contact avec Monsieur HIGANIRO et avec son épouse, impliquée elle-même aussi dans ce dossier. Donc, lorsqu’on voit la réponse de Monsieur le témoin 21 à cette lettre, il est clair que c’est une réponse qu’on fait sur base d’une lettre qu’on a devant soi.

Monsieur le témoin 40 a d’ailleurs déclaré qu’on avait d’abord essayé de lui demander de répondre à cette lettre et qu’il avait refusé parce qu’il trouvait que certains points, notamment ceux de « travailler» et ceux relatifs au « nettoyage », étaient assez obscurs et qu’on ne voulait pas lui donner les explications à ce sujet.

Monsieur HIGANIRO, dont le domicile était protégé, tant à Butare qu’à Kigali, qui bénéficie d’une escorte militaire qui fera partie du cortège officiel pour l’installation des nouveaux dirigeants, n’avait, au moment où il rédige la lettre de mai 1994, rien à craindre de personne, rien à cacher et il ne se privera donc pas de mettre sur papier les quelques idées brutes qu’il adresse à ce moment-là à Monsieur le témoin 21.

La seule chose qu’il ne pouvait pas prévoir, c’est que Monsieur le témoin 21 allait laisser traîner cette lettre dans son bureau et que cette lettre sera retrouvée plus tard. Oui, il faut le dire, ça fait désordre, une telle lettre ! Au beau milieu d’un génocide, une lettre dans laquelle on écrit entre guillemets « travailler », c’est-à-dire, tout le monde l’a utilisé ici dans le sens « tuer, éliminer, éradiquer » ; où on parle de carburant à une époque où il était établi qu’après avoir pillé les maisons, on les brûlait ; où on parle de « nettoyage », c’est-à-dire « d’épurer les éléments nuisibles ». Je peux comprendre que cette lettre dérange fondamentalement Monsieur HIGANIRO.

La lettre-rapport de Monsieur le témoin 21 qui, par plusieurs personnes, est lui-même désigné comme un responsable des tueries à Butare, est effectivement un compte rendu que ce dernier adresse à son supérieur sur l’état d’avancement des travaux et du nettoyage à Butare. Ce supérieur, HIGANIRO va lui répondre de continuer dans cette voie tandis que lui « travaille » dans le même ordre d’idées et aux mêmes choses, en d’autres lieux.

Je vous demande aussi, Mesdames et Messieurs les jurés, de rapprocher le contenu de ces lettres, de toutes ces lettres : celles de janvier 93, les deux de fin 93, 94 et celles de mai 94, avec les renseignements qui ressortent du dossier et qui font état du fait qu’Alphonse HIGANIRO était connu à Butare comme partisan du Hutu Power, comme un extrémiste, comme un bailleur de fonds des Interahamwe. On vous a dit que l’expression « Le coffre-fort des Interahamwe » était une expression qui collait assez bien au personnage, un industriel qui favorisait l’engagement des extrémistes Hutu, qui fournissait des véhicules, qui permettait des entraînements militaires dans sa fabrique, etc. Rapprochez à tout cela la déclaration de Monsieur Innocent NKUYUBWATSI selon laquelle NTEZIMANA, HIGANIRO et NIZEYIMANA se connaissaient, se contactaient, se parlaient, organisaient les travaux et organisaient le nettoyage…

On vous a dit que vous avez, ici, devant vous, une illustration du génocide, puisque vous avez effectivement plusieurs piliers nécessaires qui se trouvent ici, devant vous : vous avez l’intellectuel, l’idéologue, le propagandiste, Monsieur NTEZIMANA ; vous avez l’industriel, celui qui fournit la logistique, et l’argent ; puis, vous avez - mais cela se situe dans un autre registre auquel je reviendrai plus tard - l’Eglise ou certains représentants de l’Eglise ; vous n’avez pas le quatrième pilier, vous n’avez pas les militaires. Monsieur NIZEYIMANA, Monsieur MUVUNI à Butare, Monsieur REKERAHO, vous n’avez pas ce pilier-là, mais, à Butare, au moment des événements, comme d’ailleurs plus tard à Kigali, comme d’ailleurs plus tard à Gisenyi, ces piliers étaient réunis.

Vous aviez les trois ou quatre piliers nécessaires qui travaillaient - j’ai déjà employé le mot - en parfaite coordination et en parfaite osmose.

Monsieur Innocent NKUYUBWATSI est le lien entre NIZEYIMANA, NTEZIMANA et HIGANIRO. Monsieur NKUYUBWATSI est engagé par Monsieur HIGANIRO et, apparemment, c’est un travailleur tellement brillant qu’il va faire une carrière rapide. C’est un homme du Nord, un extrémiste, un ex-militaire, et Monsieur HIGANIRO va lui donner du travail et va le promouvoir. Dans le reportage que vous avez vu, Monsieur NKUYUBWATSI déclare ceci : « Il était redevable à ces trois personnes : HIGANIRO parce qu’il l’avait engagé, NIZEYIMANA parce qu’il l’avait hébergé et NTEZIMANA, plus tard, parce que le capitaine NIZEYIMANA lui avait demandé de reprendre Innocent dans sa maison ». Lorsque ces trois-là décidaient de quelque chose, Monsieur Innocent NKUYUBWATSI n’avait plus qu’une seule chose à faire : c’est de s’exécuter et d’exécuter.

Je crois d’ailleurs personnellement que le terrain d’action de Monsieur HIGANIRO ne s’est pas limité aux environs de Butare. Je crois - et je me base quand même sur des éléments du dossier - que ce travail, ce nettoyage a continué à Kigali et a même continué au Nord, à Gisenyi. On vous dira à la défense que Monsieur HIGANIRO a quitté Butare le 7 avril pour aller d’abord à Kigali, puis le 12 avril 94 pour finalement arriver à Gisenyi. Je n’en disconviens pas, j’attire simplement votre attention sur par exemple la personne qui escortera Monsieur HIGANIRO : c’est Monsieur Théoneste BAGOSORA.

Vous vous souviendrez peut-être que, tout au début du procès, on vous a passé un petit film de la télévision française : Monsieur BAGOSORA est ce charmant personnage que vous voyez à la télévision et qui déclare, tout gentiment, que lui n’a rien à voir avec le travail et le nettoyage mais qui, en une fois, devient tout à fait féroce lorsqu’on lui demande s’il y a encore des témoins qui pourraient venir témoigner contre lui. Ça, c’est Monsieur BAGOSORA.

Je ne disconviens donc pas du fait que Monsieur HIGANIRO ne se trouvait pas sur les lieux : il ne reviendra qu’une seule fois à Butare. Il le dit lui-même, le 28 avril, soi-disant, pour relancer sa fabrique d’allumettes. Mais tout dans ce dossier démontre que, même si Monsieur HIGANIRO n'était pas physiquement sur les lieux, tous les moyens étaient à sa disposition pour entretenir des contacts avec ses troupes, ses troupes de base dans la SORWAL avec Monsieur le témoin 21 notamment, avec Monsieur le témoin 40 et avec Monsieur Innocent NKUYUBWATSI qui feront d’ailleurs le voyage à Gisenyi et qui viendront faire rapport chez l’intéressé.

Je vous ai déjà dit que pour Monsieur NTEZIMANA, on ne peut isoler les écrits et les déclarations des contacts et des actions. Ce même raisonnement vaut pour Monsieur HIGANIRO.

Croyez-vous vraiment, Mesdames et Messieurs les jurés, que c’est un pur fait du hasard qu’après la guerre, des 114 personnes qui travaillaient à la SORWAL, il n’y en a que 7 ou 12 qui ont repris le travail, quelques-uns étant décédés et tous les autres étant réfugiés au Zaïre, et, ayant refusé de revenir bien qu’un directeur suédois soit allé les trouver et leur ait proposé de reprendre le travail ? Est-ce que vous croyez que cette réaction est une réaction du pur hasard ? La réponse est bien évidemment : non. Les personnes engagées par HIGANIRO au sein de sa fabrique d’allumettes étaient tous des extrémistes et ont tous participé, à différents niveaux, aux tueries à Butare.

Vous ne pouvez pas isoler Monsieur HIGANIRO des relations qu’il entretenait notamment, et on va certainement vous en parler en ce qui concerne les parties civiles, dans l’ADSK, avec plusieurs personnes dont les noms, j’en ai déjà cité quelques-uns, vont revenir à plusieurs reprises dans le cadre de ce dossier.

Vous ne pouvez pas isoler Monsieur HIGANIRO de la gestion et des comptes de la SORWAL. Interrogé à ce sujet, l’intéressé a fait une très longue déclaration, tentant de justifier sa gestion assez désastreuse, essayant de se dépêtrer notamment des crédits consentis à certains clients. Je vous ai dit déjà : « Je ne suis pas un expert comptable, il ne s’agit pas ici d’une faillite frauduleuse, on ne fait pas l’analyse d’une firme comme la SORWAL ». Moi, je constate simplement un fait : c’est que parmi les clients de la SORWAL, il y avait le président et les deux vices- présidents des Interahamwe et que les sommes qui sont rapportées en rapport avec ces personnes sont des sommes qui, à tout le moins, posent certaines questions.

Ce qui ressort de tout cela, Mesdames et Messieurs les jurés, c’est que Monsieur HIGANIRO était farouchement opposé à tout changement. Il a averti qu’il était opposé à ces changements, il a averti de ce qu’il allait faire si ces changements devaient avoir lieu, et d’après ses propres déclarations, il avait déjà ces idées en 1991, 92 et 93.

Monsieur HIGANIRO fera tout et a tout fait pour que ce que lui appelle le « coup d’état », véhiculé par les accords d’Arusha, ne réussisse pas. Il s’est appliqué à réunir les moyens pour contrecarrer ces accords, pour organiser le dérapage, naturellement contrôlé, et une fois cette machine infernale mise en marche, HIGANIRO a utilisé de tout son poids, de toute l’autorité qu’il avait, de tous les moyens dont il disposait et de tous les crédits mis à sa disposition pour arriver à ce - et je reprends son terme repris dans la lettre - « pays mort ».

Il a donc non seulement préparé par des lettres, puis organisé par le biais de sa firme les massacres futurs, mais il les a également supervisés. Se faisant tenir au courant, où qu’il soit, Butare, Kigali ou Gisenyi, allant même vérifier si ses ordres - j’y reviendrai dans le cadre du dossier à Kigufi -, allant même vérifier si ses ordres avaient été correctement accomplis et n’hésitant pas à manifester son mécontentement lorsque ses ordres n’avaient pas été accomplis. Monsieur HIGANIRO a utilisé ses connaissances au niveau politique, son pouvoir, son autorité, son statut de dignitaire, son statut de dignitaire de régime, et il a combiné à son influence comme industriel, comme employeur de personnes de son bord, de sa région, de ses opinions.

Tout cela - et rappelez-vous les modes de commission que je vous ai énumérés là tantôt -, tout cela entre dans ces modes de commission : il y a des ordres, il y a des propositions, il y a des provocations, il y a de la participation, il y a la mise à disposition de moyens pour accomplir les crimes qui sont retenus dans mon acte d’accusation.

Puis, nous passons aux faits qui se passent à Gisenyi concernant donc l’assassinat de la famille le témoin 123. Je ne vais pas vous faire ou vous refaire le récit détaillé de ces événements, événements horribles qui vous ont été relatés par le seul survivant, le témoin 123, et par le père le témoin 18. Je voudrais simplement vous dire que j’ai assez déploré la manière dont on a tenté de déstabiliser ce témoin en lui posant des questions que moi, je qualifie de pur détail et qui ne changent en rien le fond et le fondement de ses déclarations.

Je voudrais quand même vous signaler que ce témoin a assisté en direct à la mort de son père, d’une manière affreuse. J’ai demandé à un témoin de vous le décrire : « On lui a coupé les bras, les jambes, puis la tête ». Il a assisté à la mort de sa mère. Il a assisté à la mort de sa sœur. Il a assisté à la mort de son frère. Il a lui-même reçu un coup de machette au niveau de la tête. Il s’est enfui en se jetant dans le lac Kivu.

Alors, aller poser à ce témoin la question de savoir si le lac Kivu, au moment où lui, au moment où toute sa famille a été décimée et vient de recevoir un coup de machette sur la tête, s’il y avait des berges sur ce lac, eh bien, cela, ça me dépasse, n’est ce pas ! Aller poser à ce témoin, sept ans après les faits, des questions portant sur l’emplacement d’un champ de maïs, l’emploi ou non d’une hache pour enfoncer le portail, l’existence ou non d’une haie de cyprès séparant la propriété d’HIGANIRO de celle de ses parents ! Bon sang, il s’agit d’un enfant de 14 ans à l’époque ; oser lui demander s'il est vrai qu’il a veillé pendant la nuit, au lieu où ses parents ont été enterrés, eh bien, je trouve cela, et je mesure mes termes, extrêmement déplacés !

Le récit, l’horrible récit d’le témoin 123 est entièrement corroboré par la domestique de la famille, la nommée NIRYA le témoin 32, par la sœur le témoin 115, par sœur Annonciata le témoin 92, par deux religieuses du monastère de Kigufi et par trois autres religieuses de cette communauté, entendues ultérieurement. Ce récit est entièrement confirmé par la sœur Wilemnina le témoin 52. Ce récit est complètement confirmé par le père le témoin 18. Ce récit est confirmé par un voisin, le nommé Jean-Marie Vianney NKEZABEKA, qui confirme qu’HIGANIRO avait déjà dit auparavant : « Pourquoi ne tuez-vous pas ce petit Tutsi de médecin ? ». Alors, essayer - et je vais y revenir tantôt parce que la même tactique va être employée dans le dossier des deux sœurs -, essayez de faire buter un témoin direct des faits sur des détails, de savoir si c’est un champ de maïs ou un champ de fleurs ? Eh bien, je trouve ça totalement inadéquat, totalement déplacé !

Le père le témoin 18, qui a été entendu ici, donne un possible motif pour l’assassinat de la famille du témoin 123, à savoir s’octroyer le terrain et avoir ainsi une sortie directe sur le lac. La défense va vous dire et vous avez vu les vidéos à ce sujet, que Monsieur HIGANIRO disposait d’une sortie sur le lac et que ce motif est donc gère crédible. Je n’en sais rien et, à la limite, je m’en fous. Ce que moi je constate, c’est que l’organisation et la supervision n’empêchaient pas Monsieur HIGANIRO de penser aussi parfois à lui-même. Lorsqu’il se trouve à Gisenyi, il va vendre quelques voitures de luxe. Avant de prendre la fuite, il va se faire remettre la moitié de la recette de la dernière livraison des allumettes, et va aussi - faut quand même avoir un esprit assez commercial - faire le nécessaire pour se faire encore vite payer ses deux mois de traitement de directeur général à la SORWAL, avant de s’enfuir vers d’autres cieux. Ce que je veux simplement dire : il est possible que ce motif ait existé, des petits bénéfices de ce genre ne sont jamais perdus…

Ce qui m’intéresse moi, c’est qu’le témoin 123, témoin direct, seul témoin direct encore des faits, après avoir veillé près de la tombe de ses parents, a entendu HIGANIRO s’adresser à ses deux serviteurs en disant : « Est-ce que c’est comme ça que vous tuez ? Il faut tuer du bébé au vieillard ». Phrase prononcée par HIGANIRO en s’adressant à ses deux domestiques, qui lui a avaient dit qu’ils avaient bien travaillé mais que, malheureusement, le fils du médecin avait réussi à s’échapper. D’ailleurs, l’attitude que va avoir après Alphonse HIGANIRO prouve que ce que dit Benoît le témoin 123 est bien exact. Qu’est-ce qu’il va faire ? Lui et ses deux serviteurs nient bien entendu ces faits mais il veut voir les cadavres. Il veut voir où ils ont été enterrés et il veut aussi savoir où se trouve le seul survivant. Il ira d’ailleurs rendre visite au domaine de l’évêque pour s’informer sur, notamment, Monsieur le témoin 123 et sur deux autres personnes Tutsi qu’il recherchait, les nommées Léocadie et Alphonsine.

Les deux domestiques ont été identifiés : Monsieur le témoin 12 et Monsieur le témoin 3. Ces personnes, bien entendu, ont nié une quelconque implication dans ces massacres, dénonçant d’autres personnes. Je voudrais quand même attirer votre attention sur le fait que le père le témoin 18, lui aussi, déclare avoir assisté au pillage de la maison le témoin 123. Je vous signale qu’entre-temps, BUHATI et le témoin 12 font l’objet d’une procédure au Rwanda, justement pour leur implication dans ces faits-ci. Tant le témoin 123 que le domestique de la famille désignent les deux serviteurs de Monsieur HIGANIRO comme ceux qui ont indiqué la cachette où se trouvait cette famille. Ils vont même plus loin : ils désignent Monsieur BUHATI et Monsieur le témoin 12, comme faisant partie des personnes qui ont procédé au massacre de cette famille entière.

Monsieur HIGANIRO se défend de toute implication dans ce massacre : primo, il n’était pas à Gisenyi à ce moment, il n’a pas fait de confidences à ses domestiques et, dit-il, il n’aurait pas eu la possibilité ni le pouvoir de donner un tel ordre.

Je répliquerai simplement que, primo, il ne faut pas être physiquement présent sur les lieux pour pouvoir donner des ordres. D’ailleurs, comme ce fut le cas à Butare, les ordres, les instructions, les opinions, les attitudes de Monsieur HIGANIRO étaient connues de tous. Les confidences ont été entendues par le témoin 123. Alors moi, je ne vois pas quel est l’intérêt de Monsieur le témoin 123 de charger Monsieur HIGANIRO ou de charger les nommés le témoin 3 et le témoin 12.

Effectivement, Monsieur HIGANIRO n’était pas présent, il n’est arrivé que plus tard, et d’ailleurs, un témoin va dire que la date d’arrivée de Monsieur HIGANIRO correspond avec une intensification des massacres. Je reprends l’expression utilisée : « La chasse aux Tutsi a repris de plus belle lorsque le bruit a couru que le corps du président le témoin 32 et du docteur AKINGENEYE allaient être enterrés dans les caves de la maison d’HIGANIRO ». On disait de manière cynique que les dépouilles ne pouvaient pas reposer en « terre impure » - et terre impure, cela voulait dire : des terres où il y avait encore un Tutsi.

Quant à l’explication de Monsieur HIGANIRO selon laquelle il n’avait pas le pouvoir de donner de tels ordres, je crois que vraiment personne n’osera le contester. Monsieur HIGANIRO avait tous les pouvoirs et vous verrez dans ce dossier qu’on signale que les maisons de Monsieur HIGANIRO étaient toujours, partout où il se trouvait, gardées par des militaires.

La conversation de Monsieur HIGANIRO et de ses domestiques, non seulement, établit l’existence de ses ordres, mais établit également son mécontentement que ses ordres n’aient pas été exécutés de la manière dont il l’avait demandé. Autre élément qui importe pour situer le personnage d’HIGANIRO, je l’ai déjà dit : sa maison était gardée par des militaires. Alors qu’on ne vienne pas me dire que Monsieur HIGANIRO, avec tout ce que je vous ai dit de lui : ex-ministre, dignitaire, ami, confident du président, ne disposait pas du pouvoir de donner de tels ordres. Vous avez vu sur la vidéo, vous avez vu le site de Kigufi, vous avez vu la villa d’HIGANIRO. Je l’ai déjà dit en Chambre des mises : « Kigufi c’est un peu… c’est le Zoute du Rwanda, c’est le quartier chic : le président habite à quelques lieues de Monsieur HIGANIRO, eh bien, HIGANIRO, à Kigufi, c’est pas Monsieur n’importe qui ! ».

HIGANIRO, à Kigufi : c’est une autorité, c’est un dignitaire du régime, c’est un personnage puissant, un personnage à qui on obéit, un personnage d’ailleurs - on dira dans le dossier ­ qui, justement de par la protection dont il bénéficiait, était inaccessible pour les autres. Il fallait passer par des militaires pour pouvoir accéder à Monsieur HIGANIRO. Monsieur HIGANIRO à Kigufi est quelqu’un à qui on obéit, et dont on exécute les ordres.

Je n’ai pas - je vous ai dit que je joue carte sur table -, je n’ai pas la preuve absolue que Monsieur HIGANIRO ait ordonné à des Interahamwe, parmi lesquels figuraient le témoin 3 et le témoin 12, de tuer la famille du témoin 123. Tous les éléments que je viens de vous énumérer vont tous dans la même direction et le désignent comme le commanditaire de ce crime, et non seulement comme le commanditaire, mais également après comme la personne qui vient voir, qui vient vérifier si ses ordres ont bien été exécutés.

Il me semble inimaginable que tous les membres de la famille le témoin 123 auraient été assassinés ou auraient fait l’objet d’une tentative d’assassinat si Monsieur HIGANIRO avait décidé qu’ils ne devaient pas mourir et qu’il n’en avait pas donné l’ordre. Ses réactions, ses confidences à ses domestiques, ses visites au domaine de l’évêque, tout cela concorde : HIGANIRO a ordonné un travail, a voulu vérifier si ce travail avait été accompli et - et ça, c’est la visite à l’évêque qui le prouve ­ voulait, à la limite, terminer peut être lui-même ce travail…

Replacez Monsieur HIGANIRO dans son contexte, tant à Butare, à Kigali, qu’à Gisenyi. Regardez de quel personnage il s’agit. Regardez son importance au niveau de l’ancien régime. Regardez ses écrits. Lisez ce qu’il écrit. Analysez ce qu’il prédit.

Vous verrez que Monsieur HIGANIRO a, tout comme l’a fait Monsieur NTEZIMANA, ordonné, provoqué, instigué à commettre des crimes de droit international et je vous demanderai donc, en ce qui concerne Monsieur HIGANIRO, du déclarer également coupable des faits qui sont retenus dans mon acte d’accusation.

Je souhaiterais peut-être interrompre ici une dizaine de minutes, Monsieur le président, pour reprendre alors les deux dernières parties de mon réquisitoire.

Le Président : Eh bien, nous allons suspendre l’audience un quart d’heures. On reprend à 15 h 05.