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11.3.2. Plaidoirie sur la peine: Alphonse HIGANIRO
Le Président : Pour la défense
de Monsieur HIGANIRO, Maître MONVILLE, vous intervenez seul ?
Me. MONVILLE : Je vais intervenir
seul, Monsieur le président.
Le Président : Vous avez la parole.
Me. MONVILLE : Je vous remercie.
Ce n’est pas une plaidoirie sur la peine que je vais prononcer, c’est un contre-feu
que j’allume. Nous y voilà, Monsieur HIGANIRO. Vous voilà coupable, vous voilà
responsable de la mort de dizaines, de centaines, de centaines de milliers de
personnes. Vous êtes le mal absolu. Nous l’avons entendu : vous êtes le
mal absolu. Vos épaules seront-elles suffisamment solides pour résister à pareil
séisme ? Je l’espère. Un homme, parmi quatre accusés, 300.000 morts, 800.000
morts, quelle horrible, quelle effrayante conclusion. Petite cause avons-nous
plaidée, grands effets, effets dévastateurs. Voilà, Monsieur HIGANIRO, le jugement
sans nuances, le jugement implacable auquel ce procès aura abouti. Un procès
de génocide, il fallait figure génocidaire et désormais, vous en êtes, et malheureusement,
ce n’est pas seulement votre nom, mais celui de toute votre famille qui, à jamais,
sera maudit.
Ce n’est pas une plaidoirie sur la peine, c’est un contre-feu que
j’allume. La justice, la justice internationale, elle vient de s’exprimer.
Mais nous avons déjà, en dehors de ce prétoire, nous avons déjà vu poindre les
signes avant-coureurs de certains renoncements, nous avons entendu une autre
affaire qui semble retenir l’attention de la justice internationale. Oui, mais,
pour autant qu’elle n’intervienne pas, qu’elle ne gène ni la diplomatie, ni
la politique étrangère, mais dans ce prétoire, rien ne viendra perturber l’ordre
des choses, chronique d’une perpétuité annoncée. « Condamnez HIGANIRO -
vous a dit Monsieur l’avocat général - à la peine maximale. Ce sera montrer
l’exemple, montrer la désapprobation face à l’horreur absolue, ce sera lancer
un avertissement au futur candidat génocidaire ». On y réfléchira avant
deux fois. Il faut donc comprendre, et Monsieur l’avocat général l’a répété
devant vous cet après-midi, que la peine n’a de fonction qu’exemplative, que
rétributive, et qu’ils me semblent loin, qu’ils me semblent loin, tous ces écrits,
tous ces discours que nous avons étudiés, que nous avons lus quand nous étions
étudiants, sur l’individualisation de la peine, sa nécessaire adaptation, détermination
à la personnalité de l’accusé, qu’effectivement, il semble dérisoire, le débat
sur les circonstances atténuantes. Partez du maximum, c’est la règle, et vous
ne pouvez descendre que s’il y a circonstances atténuantes. Comme si nous allions
tenir compte, comme si vous alliez tenir compte d’un casier judiciaire, d’une
famille, ou de déclarations faites à l’audience, présentant Monsieur HIGANIRO
sous un meilleur jour.
Ce n’est pas une plaidoirie sur la peine, c’est un contre-feu que
j’allume. Ainsi donc, Monsieur HIGANIRO, vous voilà aux portes de la prison
pour de longues, de très longues années. Dois-je vous décrire l’univers dans
lequel vous allez à nouveau évoluer ? Malheureusement, vous le connaissez
déjà. Faut-il rappeler que la prison, quelque part, c’est la négation de la
sanction utile. La prison rend les gens inutiles, mais elle frappe l’imagination,
et c’est un peu ça que l’on vous demande : frapper l’imagination. Combien
de temps, Monsieur HIGANIRO, allez-vous rester en prison ? Pas de comptes
d’apothicaires, mais vous avez tous les mêmes chiffres que nous en tête, c’est
Monsieur l’avocat général lui-même, qui, requérant sur la culpabilité, vous
a dit 13 - 14 ans, on est sur les rails : libération conditionnelle, qui
va croire cela ?
Vous savez, Monsieur HIGANIRO on ne vous a fait aucun cadeau, et
à l’avenir, on ne vous en fera aucun. Permettez-moi, pour illustrer mon propos,
d’utiliser un raccourci vertigineux. Vous êtes âgé de 52 ans, Monsieur HIGANIRO,
Monsieur l’avocat général vous l’a dit : « Si moi, je dois donner
mon avis sur une procédure de libération conditionnelle, je prendrai mes responsabilités ».
Mais, Monsieur l’avocat général, le magistrat qui serait éventuellement amené
à examiner la demande de libération conditionnelle, le représentant du ministère
public, qui sera amené éventuellement à s’opposer à cette demande de libération
conditionnelle eh bien, ils ne savent même pas qui est Monsieur HIGANIRO, et
ils ne savent même pas, au moment où je vous parle, qu’ils seraient éventuellement
amenés un jour à vous rencontrer, Monsieur HIGANIRO. Et pourquoi ? Parce
que, dans 20 ans, dans 20 ans, les choses auront évoluées, et ceux qui, aujourd’hui,
commencent une licence en droit, seront peut-être ceux-là qui, demain, seront
appelés aux fonctions que je viens de rappeler. 20 ans, 20 ans.
Et puis, soyons réalistes, soyons réalistes. Qui va croire qu’un
jour, cette libération conditionnelle, qui n’est pas un droit, vous sera accordée ?
Puis-je rappeler, outre ce que vient d’évoquer Maître BELAMRI, qu'il y a deux
conditions fixées par la loi, sur la libération conditionnelle, qui sont des
obstacles dirimants à celle-ci.
Un : le condamné doit présenter un programme de reclassement.
Soyons sérieux, Monsieur HIGANIRO, vous êtes, et vous resterez, persona non
grata en Belgique. Cette condition ne sera jamais remplie.
Deux : obligation de prendre en considération l’attitude du
condamné à l’égard des victimes de ses actes, des victimes de ses actes. Vous
avez entendu le nombre de parties civiles qui se sont constituées contre Monsieur
HIGANIRO, rien que l’énumération de ces noms vous convaincra qu’à nouveau, une
telle condition, Monsieur HIGANRIRO ne pourra jamais la remplir.
Alors, Monsieur HIGANIRO, votre peine, c’est jusqu’au dernier jour
que vous la subirez, et j’espère que ce ne sera pas jusqu’à votre dernier jour,
mais à nouveau, je n’ai aucune certitude en ce qui concerne ce point.
Ce n’est pas une plaidoirie sur la peine, disais-je, et j’en termine,
c’est un contre-feu que j’allume. Monsieur HIGANIRO, vous vous êtes battu durant
toutes ces années, durant toutes ces sessions d’assises, vous avez été, et je
sais que vous le resterez, digne dans cette adversité. A chaque fois qu’on vous
a attaqué, vous avez réagi, vous avez fourni des réponses, malheureusement en
vain. Demain, demain, Monsieur HIGANIRO, une porte se refermera sur la vie d’un
homme, définitivement, j’en ai peur.
Alors non, Monsieur l’avocat général, vous savez, comme moi, ni vous-même,
ni votre successeur ne marquera son accord quant à cette hypothétique libération
conditionnelle. Vous l’avez dit avec des mots encore plus clairs qu’aujourd’hui,
il y a quelques jours : « Je ferai tout, tout ce qui est en mon pouvoir
- et je fais confiance en votre éventuel successeur - tout ce qui est en mon
pouvoir pour qu’il soit, et reste, à sa place, c’est-à-dire en prison. Mais
la prison, réellement à vie ».
Mesdames, Messieurs les jurés, Madame, Messieurs de la Cour, je vous
demande, après avoir été l’expression d’une conscience universelle devant laquelle
je m’incline, de ne pas devenir, de ne pas incarner le refus de l’espérance.
Le Président : Merci, Maître MONVILLE. |
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