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11.3.3. Plaidoirie sur la peine: Consolota MUKANGANGO
Le Président : Maître Cédric VERGAUWEN
vous avez la parole. Vous intervenez seul ?
Me. VERGAUWEN :
Oui.
Le Président : Vous avez la parole.
Me. VERGAUWEN : Monsieur le président,
Madame, Monsieur de la Cour, Mesdames et Messieurs les jurés. Vous avez répondu
« Oui » à toutes les questions concernant sœur Gertrude, et vous avez
dit « Oui » à l’homicide intentionnel. Selon votre verdict, sœur Gertrude
a donc voulu tuer. Je ne vais pas vous mentir, et vous le savez parfaitement,
que la défense ne partage pas cette analyse, mais il n’est plus question d’y
revenir maintenant. Il est question d’autre chose, et c’est pour ça que je me
lève, il est question de la sanction que vous infligerez à sœur Gertrude.
Face à votre délibération, je pense, Mesdames et Messieurs les jurés,
Monsieur le président, Madame, Monsieur de la Cour, je pense vraiment que la
seule question qui reste encore, est celle-ci : sœur Gertrude est-elle
devenue tueuse pendant, et en raison, des événements du Rwanda, ou est-elle,
beaucoup plus gravement, une autre tueuse, une génocidaire, celle qui a poursuivi
un plan d’extermination. C’est à mon sens, à mon sens, Monsieur le président,
Madame, Messieurs de la Cour, la seule question qui mérite d’être posée, parce
que cette question renvoie au génocide lui-même.
Que veut dire un génocide ? Commettre un génocide, ce n’est
pas tuer. Commettre un génocide, c’est beaucoup plus grave que tuer, c’est
vouloir l’élimination d’un groupe, en tant que tel, et l’élimination de tout
membre du groupe, en raison de son appartenance à celui-ci. Autrement dit, croyez-vous
vraiment, au plus profond de vous-mêmes, que sœur Gertrude, vous l’avez dit,
qui a tué, a-t-elle tué parce qu’elle était attachée à la cause anti-Tutsi,
ou bien, pensez-vous plus justement, que cette femme a volontairement supprimé
la vie pour d’autres raisons qui s’appellent la lâcheté, la peur ou les coupables
faiblesses ? Cette question doit vous faire réfléchir. Cette question doit
vous faire réfléchir parce que, pour tuer au Rwanda, en 1994, il ne fallait
pas nécessairement être génocidaire.
Et je ne peux m’empêcher, ici, je ne peux m’empêcher dans le débat
sur la peine, de vous parler de la communauté internationale. Qu’a fait la communauté
internationale, en 1994 ? Elle a décidé de ne pas intervenir alors qu’elle
en avait tous les moyens. Elle a décidé de ne pas intervenir parce qu’elle a,
elle aussi, eu peur, peur de voir des casques bleus perdre la vie. En fait,
la communauté internationale n’a pas tué pour tuer, elle a tué par omission.
Que dire alors, que dire alors de la lâcheté de cette femme que vous avez déclarée
coupable d’homicide intentionnel au regard de la lâcheté de cette communauté
internationale qui, enfoncée bien confortablement dans des fauteuils en cuir,
s’efforce aujourd’hui de demander pardon, en promettant au Rwanda de faire tout
ce qui est en son pouvoir pour poursuivre et punir les présumés génocidaires
qui fouleraient le sol de leur pays.
Vous l’avez, certes, déclarée coupable, mais je vous demande avec
insistance, dans votre délibéré, de réfléchir à ce qu’est le crime de génocide,
celui des MILOSEVIC, POLPOT, et autres GOEBBELS, et non celui de sœur Gertrude.
Alors, alors ? Avec les psychiatres et avec Monsieur le juge d’instruction,
ne suis-je pas en droit, ne suis-je pas en droit de vous demander de réfléchir
à une peine juste, c’est-à-dire, une peine qui tienne compte de cette réalité
que nous n’avons pas connue, et je me permets de reprendre, ici, ce que disait
le psychiatre a propos de sœur Gertrude : « Si l’inculpée devait être
reconnue coupable, on pourrait tenir compte de la fragilité de base de sa personnalité,
tout en notant que même des personnes plus solides pourraient également avoir
eu des comportements inadéquats, en vivant une tragédie qui les dépasse totalement ».
Ne suis-je pas en droit de vous dire aussi, ce que Monsieur le juge
d’instruction VANDERMEERSCH avait dit à l’époque dans son ordonnance contraire :
« Attendu que, nonobstant la gravité des faits - des faits pour lesquels
vous l’avez déclarée coupable que, nonobstant cette gravité, il y a lieu de
prendre en considération le contexte tout à fait particulier et exceptionnel
du déroulement des faits et des répercussions que ce contexte a pu avoir sur
l’état psychologique de l’intéressée ».
Je vous demande donc, de bien faire la distinction entre l’homicide
intentionnel, et le crime de génocide. Pour le reste, pour le reste, pas de
famille pour sœur Gertrude. Pas, pas tellement d’amis, non. Elle est devenue
maintenant pestiférée en Belgique, après l’avoir déjà été au Rwanda. Cette femme
sortira sans doute, sans doute, un jour de prison et moi non plus, je n’ai pas
envie de faire ici, devant vous, des comptes d’apothicaire, et de vous parler
de la libération conditionnelle. Cette femme sortira, oui, un jour de prison,
mais je crois que pour elle, pour elle, il n’y aura pas de resocialisation possible,
puisqu’elle n’a plus et n’aura plus de société où vivre. Cette femme de 42 ans,
qui est derrière moi, n’a plus d’avenir. J’ai dit et je vous remercie.
Le Président : Je vous remercie,
Maître VERGAUWEN. |
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