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11.3.4. Plaidoirie sur la peine: Julienne MUKABUTERA
Le Président : Pour la défense
de MUKABUTERA, Maître VANDERBECK, vous intervenez seul ?
Me. VANDERBECK : Non, Monsieur
le président. J’interviens en premier ordre. Maître WAHIS poursuivra.
Le Président : Eh bien, vous avez
la parole.
Me. VANDERBECK : Je vous
remercie, Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames, Messieurs
de la Cour, Mesdames et Messieurs les jurés. Ce n’est pas facile de se lever
maintenant et de plaider sur la peine, quand on a plaidé avec conviction l’acquittement
de sa cliente. C’est difficile, mais néanmoins indispensable, puisqu’en répondant
un « Oui » franc aux questions générales, un « Oui mais… »
aux questions pourtant plus spécifiques portant sur des personnes déterminées,
vous avez néanmoins rendu un verdict général de culpabilité. Il s’impose à nous.
Nous devons l’accepter, même si, comme Maître VERGAUWEN vous l’a dit, la défense
de sœur Kizito, et elle-même, ne partagent pas votre analyse. Soyez cependant
rassurés, quel que soit votre verdict concernant la peine, sœur Kizito l’acceptera.
Je pense qu’elle l’acceptera avec foi, avec courage, avec dignité. Cette dignité,
cette foi et ce courage qui ne l’a jamais quittée tout au long des événements.
Bien sûr, puisque vous l’avez reconnue coupable, vous la condamnerez, mais en
ne perdant jamais de vue que la condamnation la plus lourde qu’il soit, ne réparera
jamais l’horreur du génocide que vous avez, à juste titre, qui vous a, à juste
titre, émus, n’enlèvera jamais cette petite part de culpabilité que tout un
chacun, citoyen belge, citoyen du monde, nous avons, par rapport à ce qu’on
aurait pu, on aurait voulu, on aurait du faire à l’époque.
D’autres juges, avant vous, ont eu à juger des génocidaires, des
personnes reconnues coupables de crimes aussi graves que ceux à propos desquels
vous vous êtes prononcés aujourd’hui. Que ce soit au Rwanda, où les observateurs
extérieurs vous le diront, les statistiques et les ONG tels Avocats sans frontières
ont pu vous donner, vous en parleront. On a pu constater une formidable évolution
de la façon de rendre la justice. Si, dans un premier temps, il n’y avait pas
un seul acquittement ou si peu, si les peines étaient de lourdes peines, pour
la plupart, des peines de mort, qu’elles étaient exécutées, on peut voir aujourd’hui,
comme si, les années aidant, la réconciliation commençait à pointer son nez,
des peines plus humaines, plus sensibles. Les condamnations à mort ne sont plus
exécutées. A Arusha, on vous l’a dit, à Arusha, où sont pourtant jugés les plus
grands responsables présumés du génocide rwandais, nous avons connu, hier ou
avant-hier, le premier acquittement. A Arusha, où ces grands responsables n’ont
pas tous été jugés à la peine de perpétuité. Je prends l’exemple de Georges
RUGIU, cet italo-belge, animateur de la radio télévision Mille Collines, instigateur,
planificateur du génocide, qui criait sa haine au monde sur les ondes de la
radio Mille Collines et qui a été condamné à une peine de douze ans d’emprisonnement.
Dans le monde ensuite, en Suisse, on vous en a parlé, 14 ans pour
ce bourgmestre. Vous êtes les premiers magistrats, non professionnels, qui
allez devoir rendre un verdict par rapport à des personnes poursuivies du crime
de génocide. Faites la balance entre punition et vengeance. Faites la balance
entre justice et réconciliation. Gardez présent à l’esprit ce que d’autres magistrats
professionnels ont fait avant vous. N’oubliez pas leur expérience et leur évolution.
Ne tombez pas dans l’excès dans lequel pourrait vous emmener, tout naturellement,
l’horreur du génocide. Ne tombez pas dans les pièges de ce difficile procès.
Ne perdez pas de l’esprit ce qu’ont dit les psychiatres à propos de sœur Kizito.
N’oubliez jamais que Damien VANDERMEERSCH, son premier juge, ne l’a jamais inculpée.
Ne perdez pas de l’esprit la place qu’elle occupait dans sa communauté. Jugez
en équité, jugez en laissant de l’espoir. Je vous remercie.
Le Président : Merci, Maître
VANDERBECK. Maître WAHIS, vous avez la parole.
Me. WAHIS : Je vous remercie,
Monsieur le président. Madame, Monsieur, Mesdames et Messieurs les jurés. Votre
décision de culpabilité est conforme aux attentes des victimes. Elles ont été
reconnues comme telles. Leur histoire a été authentifiée par vous. Et peut-être,
peut-être que votre décision leur permettra de faire plus complètement leur
deuil. Vos décisions sur la culpabilité et sur la peine, feront très rapidement
le tour du Rwanda. Elles seront abondamment commentées dans toutes les chaumières.
Elles interpelleront surtout par rapport à l’avenir des Rwandais. Que sera demain,
au Rwanda, déchiré par ses morts ? Votre décision sur la peine sera un
signe, un symbole, une réponse peut-être à cette question : comment demain
sera-t-il possible entre les Rwandais ? J’ai un souhait pour cette peine :
qu’elle soit, à la fois, juste et porteuse d’espoir pour le Rwanda ! Qu’elle
soit le signe manifeste qu’il est raisonnable de garder l’espoir d’une possible
réconciliation entre les Rwandais ! La perpétuité, ou une peine qui est trop
semblable, c’est la négation même de toute possibilité de réconciliation. Ce
serait tuer l’espoir. Et sans espoir, le Rwanda sera un peu comme celui qui
est représenté dans cette salle d’audience : deux camps qui se regardent
en chiens de faïence, qui s’invectivent avec la vengeance au cœur.
Par contre, si votre décision permet l’espoir et rend possible la
réconciliation, alors, peut-être que sur les collines du Rwanda, lorsque deux
personnes d’ethnies différentes se rencontreront, on entendra encore cette
salutation qui était celle d’avant avril 1994 : Mwaramutse, Mwaramutse, bonjour, bonjour toi ! Amaki, comment ça va ? Et
alors, viendra cette réponse qui est celle que nous appelons de tous nos vœux,
pour demain, au Rwanda : Ni Amahoho Ni Ukuri, c’est la paix vraiment…
Le Président : Merci, Maître WAHIS. |
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