assises rwanda 2001
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Verdict sur peine Plaidoiries sur peine compte rendu intégral du procès
Procès > Verdict sur peine > Plaidoiries sur peine > Défense J. Mukabutera
1. Défense V. Ntezimana 2. Défense A. Higaniro 3. Défense C. Mukangango 4. Défense J. Mukabutera
 

11.3.4. Plaidoirie sur la peine: Julienne MUKABUTERA

Le Président : Pour la défense de MUKABUTERA, Maître VANDERBECK, vous intervenez seul ?

Me. VANDERBECK : Non, Monsieur le président.  J’interviens en premier ordre.  Maître WAHIS poursuivra.

Le Président : Eh bien, vous avez la parole.

Me. VANDERBECK : Je vous remercie, Monsieur le président. Monsieur le président, Mesdames, Messieurs de la Cour, Mesdames et Messieurs les jurés. Ce n’est pas facile de se lever maintenant et de plaider sur la peine, quand on a plaidé avec conviction l’acquittement de sa cliente. C’est difficile, mais néanmoins indispensable, puisqu’en répondant un « Oui » franc aux questions générales, un « Oui mais… » aux questions pourtant plus spécifiques portant sur des personnes déterminées, vous avez néanmoins rendu un verdict général de culpabilité. Il s’impose à nous. Nous devons l’accepter, même si, comme Maître VERGAUWEN vous l’a dit, la défense de sœur Kizito, et elle-même, ne partagent pas votre analyse. Soyez cependant rassurés, quel que soit votre verdict concernant la peine, sœur Kizito l’acceptera. Je pense qu’elle l’acceptera avec foi, avec courage, avec dignité. Cette dignité, cette foi et ce courage qui ne l’a jamais quittée tout au long des événements. Bien sûr, puisque vous l’avez reconnue coupable, vous la condamnerez, mais en ne perdant jamais de vue que la condamnation la plus lourde qu’il soit, ne réparera jamais l’horreur du génocide que vous avez, à juste titre, qui vous a, à juste titre, émus, n’enlèvera jamais cette petite part de culpabilité que tout un chacun, citoyen belge, citoyen du monde, nous avons, par rapport à ce qu’on aurait pu, on aurait voulu, on aurait du faire à l’époque. 

D’autres juges, avant vous, ont eu à juger des génocidaires, des personnes reconnues coupables de crimes aussi graves que ceux à propos desquels vous vous êtes prononcés aujourd’hui. Que ce soit au Rwanda, où les observateurs extérieurs vous le diront, les statistiques et les ONG tels Avocats sans frontières ont pu vous donner, vous en parleront. On a pu constater une formidable évolution de la façon de rendre la justice. Si, dans un premier temps, il n’y avait pas un seul acquittement ou si peu, si les peines étaient de lourdes peines, pour la plupart, des peines de mort, qu’elles étaient exécutées, on peut voir aujourd’hui, comme si, les années aidant, la réconciliation commençait à pointer son nez, des peines plus humaines, plus sensibles. Les condamnations à mort ne sont plus exécutées. A Arusha, on vous l’a dit, à Arusha, où sont pourtant jugés les plus grands responsables présumés du génocide rwandais, nous avons connu, hier ou avant-hier, le premier acquittement. A Arusha, où ces grands responsables n’ont pas tous été jugés à la peine de perpétuité.  Je prends l’exemple de Georges RUGIU, cet italo-belge, animateur de la radio télévision Mille Collines, instigateur, planificateur du génocide, qui criait sa haine au monde sur les ondes de la radio Mille Collines  et qui a été condamné à une peine de douze ans d’emprisonnement.

Dans le monde ensuite, en Suisse, on vous en a parlé, 14 ans pour ce bourgmestre.  Vous êtes les premiers magistrats, non professionnels, qui allez devoir rendre un verdict par rapport à des personnes poursuivies du crime de génocide.  Faites la balance entre punition et vengeance. Faites la balance entre justice et réconciliation. Gardez présent à l’esprit ce que d’autres magistrats professionnels ont fait avant vous. N’oubliez pas leur expérience et leur évolution. Ne tombez pas dans l’excès dans lequel pourrait vous emmener, tout naturellement, l’horreur du génocide. Ne tombez pas dans les pièges de ce difficile procès. Ne perdez pas de l’esprit ce qu’ont dit les psychiatres à propos de sœur Kizito. N’oubliez jamais que Damien VANDERMEERSCH, son premier juge, ne l’a jamais inculpée. Ne perdez pas de l’esprit la place qu’elle occupait dans sa communauté.  Jugez en équité, jugez en laissant de l’espoir. Je vous remercie.

Le Président : Merci, Maître VANDERBECK. Maître WAHIS, vous avez la parole.

Me. WAHIS : Je vous remercie, Monsieur le président. Madame, Monsieur, Mesdames et Messieurs les jurés. Votre décision de culpabilité est conforme aux attentes des victimes. Elles ont été reconnues comme telles. Leur histoire a été authentifiée par vous. Et peut-être, peut-être que votre décision leur permettra de faire plus complètement leur deuil.  Vos décisions sur la culpabilité et sur la peine, feront très rapidement le tour du Rwanda. Elles seront abondamment commentées dans toutes les chaumières. Elles interpelleront surtout par rapport à l’avenir des Rwandais. Que sera demain, au Rwanda, déchiré par ses morts ? Votre décision sur la peine sera un signe, un symbole, une réponse peut-être à cette question : comment demain sera-t-il possible entre les Rwandais ?  J’ai un souhait pour cette peine : qu’elle soit, à la fois, juste et porteuse d’espoir pour le Rwanda ! Qu’elle soit le signe manifeste qu’il est raisonnable de garder l’espoir d’une possible réconciliation entre les Rwandais ! La perpétuité, ou une peine qui est trop semblable, c’est la négation même de toute possibilité de réconciliation. Ce serait tuer l’espoir. Et sans espoir, le Rwanda sera un peu comme celui qui est représenté dans cette salle d’audience : deux camps qui se regardent en chiens de faïence, qui s’invectivent avec la vengeance au cœur. 

Par contre, si votre décision permet l’espoir et rend possible la réconciliation, alors, peut-être que sur les collines du Rwanda, lorsque deux personnes d’ethnies différentes se rencontreront, on entendra encore  cette salutation qui était celle d’avant avril 1994 : Mwaramutse, Mwaramutse, bonjour, bonjour toi ! Amaki, comment ça va ? Et alors, viendra cette réponse qui est celle que nous appelons de tous nos vœux, pour demain, au Rwanda : Ni Amahoho Ni Ukuri, c’est la paix vraiment…

Le Président : Merci, Maître WAHIS.