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3.1. Avocats de la défense: problèmes de procédure, écartement
de pièces du dossier, irrecevabilité.
Me. CARLIER : Monsieur le président, nous apprenons maintenant
que l’on se constitue contre Monsieur HIGANIRO. Nous n’avons pas connaissance
de cette constitution, ni même d’un écrit. Nous souhaitons simplement émettre
des réserves quant à la constitution d’une association.
Le Président : Il sera de toute façon statué en temps opportun
sur le problème de la recevabilité ou non des constitutions de parties civiles.
Donc, il y a des réserves qui sont émises par la défense de Monsieur HIGANIRO.
Egalement par la défense de sœur Gertrude MUKANGANGO.
Le Président : Oui.
Me. CARLIER : La défense de Monsieur Vincent NTEZIMANA ne dépose
pas de conclusions pour l’heure, faisant pleine confiance à l’oralité des débats,
mais doit émettre des réserves sur ces constitutions de parties civiles dont
il n’a été nullement question jusqu'à présent à son encontre. Je vous remercie.
Le Président : Bien. Voilà. Et donc maintenant que ces constitutions
sont… Oui ? Il y en a d’autres peut-être ?
Me. NKUBANYI : Constitution de partie civile contre Monsieur HIGANIRO
de trois personnes, à savoir Théophile KALISA, Clémence UMUTONI, UZAMUKUNDA
NSENGA Christine.
Le Président : Uniquement contre Monsieur HIGANIRO ?
Me. NKUMBANYI : Oui, Monsieur le président.
Le Président : Je suppose qu’il y a les mêmes réserves qui sont…
Me. EVRARD : Monsieur le président, nous souhaiterions simplement
pouvoir examiner cette question. Nous n’avons aucun écrit, aucun acte. Je ne
sais pas si on souhaite en produire ou en déposer ou en communiquer…
Me. NKUBANYI : Pas encore pour l’instant.
Me. EVRARD : Je vous remercie. Nous émettons des réserves.
Le Président : Bien ;
il y a donc des conclusions pour les avant-dernières parties civiles. Plus de
demande d’acte de constitution de partie civile ? Bien. Je vais alors donner…
oui, Maître BEAUTHIER ?
Me. BEAUTHIER : J’ai cédé ma place à un confrère qui était arrivé
en retard ; je n’ai pas envie de me retrouver sur le banc de la défense
toute la session. Je vous demanderai. Je ne sais pas si ce matin ça s’est bien
arrangé. Je vous demanderai donc qu’on ait chaque fois le nombre de siège suffisant
pour que les parties civiles puissent…
Le Président : La Cour ne sait pas deviner qui à un moment ou
un autre va se constituer partie civile et intervenir. Ça… nous sommes un peu
désolés, mais…
Me. BEAUTHIER : Oui, oui d’accord.
Le Président : Le local n’est pas plus grand que ce…
Me. BEAUTHIER : Ce serait bien d’avoir une chaise…
Le Président : Il y a encore une chaise ici, mais il n’y a pas
de table devant.
Me. BEAUTHIER : Est-ce que l’on pourrait tous sauter pour que je
sois avec mes papiers.
Le Président : Est-ce qu’il vous est possible de jouer aux chaises
musicales, de reculer tous d’une chaise ? Donner acte des constitutions,
le problème des recevabilités, etc. tout cela sera examiné par la suite.
Bien, voilà. Alors, je vais d’abord donner la parole à la défense
de Monsieur HIGANIRO pour qu’elle expose le contenu de ses conclusions et qu’elle
donne lecture du dispositif de ses conclusions.
Me. EVRARD : Je vous remercie, Monsieur le président. Mesdames
et Messieurs les membres du jury, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs
les juges, Monsieur l'avocat général, les différents échanges que vous avez
vus, les échanges de pièces, d’écrits peuvent vous paraître quelque chose de
peut-être inhabituel. Lorsque des parties souhaitent sur des points techniques
que la Cour réponde, elles déposent des écrits. Et les écrits, vous l’avez vu,
doivent être communiqués. Nous devons être en mesure qu’au nom des droits de
la défense qui ont été évoqués par Monsieur le président, de pouvoir répondre
à des écrits que l’on reçoit pour que la défense s’exerce.
Les conclusions qui ont été rédigées pour Monsieur HIGANIRO, pour
lui uniquement, visent deux choses. Elles visent à vous parler d’éléments, d’un
contexte particulier qui est propre à cette affaire-ci, et à le traduire en
termes juridiques pour que la Cour nous donne réponse sur les questions que
nous nous posons.
Ces deux éléments, quels sont-ils ?
Le premier élément est de façon très inhabituelle, car nous parlons
de faits qui ont eu lieu à 6.000 km d’ici, parce que les accusés qui sont ici
sont rwandais. Il faut pouvoir tenir compte d’un élément qui a eu lieu dans
le passé, dans la procédure, et quel est-il, cet élément ? C’est le transfert
à la demande d’une juridiction que vous ne connaissez pas, vous n’y avez pas
été, vous en avez peut-être entendu parler, c’est le Tribunal pénal international
pour le Rwanda qui a son siège à Arusha, en Tanzanie. Monsieur HIGANIRO est
effectivement à ma connaissance la seule personne au monde qui, alors qu’une
procédure est entamée ici en Belgique, voit son dossier dessaisi au profit du
Tribunal international et en accord avec les règles du Tribunal international,
ce dossier quitte donc la Belgique et va faire l’objet d’une procédure qui commence
au Tribunal international. Et puis une décision intervient à ce niveau, et le
dossier revient en Belgique.
La question est alors : quelle valeur ? Que signifie ce
passage vers la juridiction internationale ? Et quelles conséquences a-t-il ?
Est-ce qu’il n’en a aucune ? Auquel cas, une décision prise par un tribunal
international n’a pas d’incidence, aucune, sur une décision ou sur des poursuites
qui ont eu lieu dans un pays, en l’occurrence la Belgique, ou au contraire,
faut-il envisager les conséquences que cela peut avoir ? C’est la première
question que nous soulevons.
La deuxième question que nous soulevons, et Maître MONVILLE l’expliquera
plus avant, c’est qu’à la lecture du dossier qui est dans cette fameuse armoire,
on vous dit que les débats sont essentiellement oraux, et c’est vrai, l’essentiel
se fera ici en notre présence à tous, mais la base de ce qui se dit ici se trouve
dans ce dossier. Et dans ce dossier sont entrés une série d’éléments et de pièces
pour former finalement 52 cartons, des dizaines de milliers de pages. Il y a
quelques problèmes que nous souhaitons soulever parce que nous nous posons des
questions, à savoir pourquoi, quel élément est entré, comment ? Qu'est-ce
que nous pouvons en faire ? Ces questions vous seront exposées tout à l'heure.
Je vais maintenant donner lecture du dispositif. Le dispositif, et
c’est la traduction juridique du premier problème dont je vous parlais, tend
à déclarer les poursuites irrecevables en raison de l’autorité relative de choses
jugées attachées à la décision du juge international, décision de rejet de l’acte
d’accusation présentée par le procureur international au Tribunal international
en l’absence de faits ou d’éléments nouveaux. A titre subsidiaire, nous demandons
que soit écarté le débat. A l’original ou en copie dans le dossier ou tout acte
de procédure, en ce compris l’acte d’accusation qui fait expressément référence
à certaines pièces dont nous demandons qu’elles soient écartées.
Suit une liste dont je pense pouvoir dispenser à la fois la Cour
et le jury de la lecture ; elle serait fastidieuse. Nous demandons ensuite
qu’il soit donné acte par la Cour du fait qu’il y a lieu de modifier l’acte
d’accusation sur précisément les points qui se trouvent dans les pièces dont
nous demandons à ce qu’elles soient écartées et demander aussi à toutes les
parties en possession de copies que celles-ci soient restituées. Ensuite, prendre
toute autre mesure utile à l’écartement des pièces.
Enfin, à titre subsidiaire encore, nous soumettons une question à
la Cour, dans la mesure où celle-ci n’estimerait pas devoir écarter les pièces
dont nous avons fait une liste. Pour que les pièces qui ont été déposées dans
le dossier après que le juge d’instruction belge que vous entendrez ici dans
quelques jours, après que celui-ci ait vidé sa saisine comme on dit, c'est-à-dire
à partir du moment où il n’est plus compétent pour faire des devoirs d’instruction,
nous demandons à ce que certaines pièces qui sont à charge de X… le X, qui est-ce ?
Certaines pièces où l’on vise plus particulièrement Monsieur HIGANIRO, soient
écartées.
A titre, alors tout à fait subsidiaire, nous demandons enfin à ce
qu’il soit donné acte, dans la mesure où on n’estimerait pas, où la Cour n’estimerait
pas dans son délibéré devoir répondre positivement aux demandes et aux questions
qui sont formulées par la défense de Monsieur HIGANIRO, de donner acte de la
violation de droit à la défense de Monsieur HIGANIRO sur base de l’article 6
de la Convention européenne des droits de l’homme dont on vous a parlé tout
à l'heure.
Voilà le dispositif.
Je voudrais maintenant brièvement, en deux mots encore, vous dire
le problème de fait qui se pose et les conséquences en droit de ce passage devant
le Tribunal international pénal pour le Rwanda en Tanzanie. Dans une procédure
d’assises normale, tout se passe ici en Belgique ; il y a peut-être ce
qu’on appelle une commission rogatoire des devoirs qui sont demandés à l’étranger,
et puis le résultat des devoirs vient intégrer un dossier belge et le dossier
ne bouge pas de la Belgique.
Nous avons ici affaire à une chose tout à fait particulière, un Tribunal
international pour le Rwanda il a son équivalent pour l’ex-Yougoslavie ;
deux tribunaux internationaux ont été créés ces tribunaux sont considérés
au plan hiérarchique comme supérieurs aux ordres juridiques nationaux, et c’est
tout à fait le cas en Belgique puisqu’on a intégré dans une loi belge le statut
du Tribunal qu’il crée, les règlements de procédure et de preuves du Tribunal
et la doctrine, je ne vous la citerai pas, mais on considère que ce tribunal
fait partie de notre ordre juridique. Comme s’il y avait au-dessus des tribunaux
que vous connaissez un Tribunal international, mais qui n’a pas son siège en
Belgique, qui n’a pas ses acteurs principaux en Belgique. Et pourtant, ce tribunal,
il existe. Et concernant Monsieur HIGANIRO, je me suis mis en action parce que
le procureur international pour le Rwanda, sur base de ces enquêtes, sur base
de tous les éléments du dossier belge qui à titre officieux lui ont été transmis,
a un jour demandé à la Belgique tout à fait officiellement, et c’est en date
du 22 décembre 1995, que l’ensemble du dossier lui soit déféré afin qu’il exerce
les poursuites devant le Tribunal international.
Monsieur HIGANIRO à l’époque était détenu ; un mandat d’arrêt
belge. Dès l’instant où la Belgique accepte cette décision elle n’a d’ailleurs
pas le choix, elle est obligée de déférer un dossier à la demande du Tribunal
international eh bien, Monsieur HIGANIRO fait l’objet d’autres mesures qui
sont des mesures à la demande du Tribunal international, des mesures de mise
à disposition du tribunal détenu en Belgique en vue d’être déféré un jour, prendre
l’avion et repartir en Tanzanie, à Arusha, être mis en prison dans la prison
d’Arusha.
Pour que cela se passe, le Tribunal international, que doit-il faire ?
Il y a un juge compétent, il y a de très grands critères qui déterminent la
compétence de ces juges. Un juge compétent au plan international, que doit-il
faire ? Il doit examiner un acte d’accusation, un acte d’accusation comme
un acte d’accusation qui a été déposé ici. Alors on vous dira : il n’a
pas la même forme, ce n’est pas le même type de procédure. Bien sûr, c’est une
autre juridiction qui a ses propres règles et qui les applique. Un acte d’accusation
est déposé contre Monsieur HIGANIRO ; il porte sur des faits qui sont les
faits qui vous sont soumis ici. Il y a peut-être une qualification différente
aux faits, mais l’important c’est d’être saisi des faits. Et à l’examen, un
juge ne va pas se contenter de dire qu’il n'y a pas lieu de poursuivre Monsieur
HIGANIRO. Ce n’est pas une espèce de formule toute simple et toute lapidaire,
presque systématique que vous trouverez dans un traitement de texte, c’est bien
au-delà.
La décision qui est rendue en août 1996, le 8 août 1996, que dit-elle ?
Elle rejette l’acte d’accusation à l’égard de Monsieur HIGANIRO, l’acte d’accusation
transmis par le procureur pour chacun des chefs d’accusation. Et sur base de
quoi ? La décision continue ? Au vu des éléments soumis par le procureur,
éléments soumis par le procureur. Nous avons demandé, la défense de Monsieur
HIGANIRO depuis le départ, a demandé que ces éléments justificatifs qui par
ailleurs figurent dans le dossier pour d’autres accusés, personnes qui ne sont
pas poursuivies ici mais qui ont été accusées devant le Tribunal international,
on a demandé que ces éléments justificatifs soient joints, pour que nous puissions
apprécier aussi ces éléments. On nous a tout donné. On nous a donné la décision
du juge international, l’acte d’accusation, mais pas les éléments justificatifs.
Je ne peux donc pas les apprécier ici, mais je dois m’en tenir à la décision.
Sur base de tous ces éléments, le juge international présenté par
le procureur et le procureur a toutes libertés pour présenter ce qu’il veut,
il n’a pas de limite eh bien l’acte d’accusation, le juge a décidé qu’il n’estimait
pas qu’il existait des présomptions suffisantes à l’encontre de Monsieur HIGANIRO,
que pour plusieurs des actes cités, précise le juge international, dans les
éléments justificatifs et sur lequel est fondé l’acte d’accusation il n’y a
pas d’éléments suffisants prouvés, que ces actes ont été commis au su et avec
l’approbation de l’accusé, ce qui lierait ainsi l’accusé auxdits actes. Probablement
que le Tribunal international a été soumis d’une série de faits et des faits
extrêmement graves. Ces faits extrêmement graves, Monsieur HIGANIRO est conscient
de leur gravité. Mais que dit ici le juge international ? Il n'y a pas
à les relier à Monsieur HIGANIRO parce qu’il n’est pas établi que ces faits
ont été faits au su ou avec l’approbation de l’accusé. Particularité de la procédure
internationale, Monsieur HIGANIRO n’est pas présent, il ne reçoit pas copie
de l’acte d’accusation, il n’a pas la possibilité de présenter des éléments
de défense ou quoi que ce soit. Simplement, c’est un colloque entre un juge
valablement saisi, selon les règles internationales, et un procureur. Procureur
qui soumet tous les éléments qu’il souhaite, juge qui peut demander au procureur
de soumettre tous les éléments qu’il souhaite.
Voilà donc deux personnes absolument libres de demander de l’information,
d’en fournir, et le procureur international, je vous le rappelle, a le dossier
belge, mais il a aussi les résultats de ses propres enquêtes. Eh bien voilà,
il a toute liberté pour déposer, pour accuser. Et que fait-il ? Il le fait,
il dépose un acte d’accusation, des éléments justificatifs, et que nous répond-t-on ?
il n'y a pas d’élément, c’est une décision de rejet de l’acte d'accusation par
le Tribunal international.
Sur base de ceci, de cette décision, en droit, nous disons qu’elle
a une autorité, une valeur de chose jugée. Une chose a été jugée, cela a une
autorité relative. Pourquoi relative ? Parce que s’il y a des éléments
nouveaux, s’il y a des charges nouvelles, le procureur international peut entrer
en action, mais pas seulement le procureur international. Parce que dès l’instant
où la décision de rejet de l’acte d’accusation est rendue par le Tribunal international,
le dossier revient en Belgique. Et à cette époque, Monsieur HIGANIRO est détenu,
non plus sur base d’un titre belge, mandat d’arrêt, mais sur base de mesures
provisoires du Tribunal international. Et puisqu’il y a un rejet d’acte d’accusation
très logiquement, la défense de Monsieur HIGANIRO demande à ce qu’il soit remis
en liberté ; il n'y a pas de raison de maintenir des mesures provisoires
à l’égard de quelqu'un qui a vu une décision, un acte d’accusation rejeté par
un tribunal. L’affaire fait l’objet d’une décision de la Cour de cassation.
Pourquoi la Cour de cassation ? Parce que la loi qui est chargée de la
coopération entre les autorités belges, la Belgique et le Tribunal international,
cette loi prévoit que la Cour de cassation décide de replacer le dossier qui
revient d’Arusha et du replacer à l’endroit où on se trouvait avant qu’il
ne parte. Et voilà que le dossier est remis à l’instruction, puisqu’il était
à l’instruction juste avant.
Et que se passe-t-il à ce moment-là ? Avons-nous un nouveau
mandat d’arrêt ? Très certainement, s’il y avait des charges nouvelles,
nous n’aurions pas manqué d’en avoir un. Il y a rien. Quelques mois après, le
juge d’instruction se présente devant la Commission du sénat, Commission du
Rwanda, et il dit qu’il a transféré son dossier à toutes fins au parquet pour
réquisition. C’est déjà un signe que même si juridiquement il reste saisi, c’est
déjà un signe que peut-être il estime avoir accompli son travail. Et les choses
en restent là. Et depuis ce jour-là, Monsieur HIGANIRO est libre, et c’est pour
cela qu’il se présente libre devant vous.
Alors cette décision, et c’est le point que nous soumettons, nous
la traduisons en irrecevabilité des poursuites, c’est la question juridique
que nous soumettons à la Cour. Mais quelle est la question ? La question
est de savoir si en l’absence de faits nouveaux ou d’éléments nouveaux, il n'y
a pas lieu de s’en tenir à ce qu’une juridiction a déjà décidé. En deux ou trois
mots, pour le même fait, est-ce qu’il y a lieu de revenir devant une autre juridiction ?
C’est le point que nous soumettons à la Cour. Et nous disons qu’il y a lieu
de constater l’irrecevabilité des poursuites. Poursuites exercées par le ministère
public, Monsieur l'avocat général. On vous dira qu’à chaque stade de la procédure,
la remise en place du dossier en Belgique, l’arrêt de la Cour de cassation veut
compétence pour les juridictions belges. Les juridictions belges tirent compétence
d’une loi, pas d’une décision.
Et puis, cela ne règle pas la question de savoir quelle valeur il
faut donner à cette décision internationale, alors même que l’on reconnaît la
supériorité dans une hiérarchie des tribunaux de ce Tribunal international dans
l’ordre juridique belge. L’ordre juridique belge, c’est une espèce de fiction,
mais c’est l’ensemble des juridictions. Elles sont liées entre elles, il y a
des juridictions de fond, il y a des juridictions d’appel, il y a toute une
série de juridictions. Eh bien voilà que les décisions, le Tribunal international
fait partie de cet ordre juridique et a rendu une décision. Sur base de cette
décision, de l’autorité de choses jugées relatives, c'est-à-dire que s’il faut
constater l’absence d’éléments nouveaux et de charges nouvelles, nous demandons
à la Cour de déclarer les poursuites qui sont exercées en Belgique en décembre
1999 et que vous entendrez encore ici.
Ces poursuites, nous demandons à ce qu’elles soient déclarées irrecevables.
Je passe maintenant la parole à Maître MONVILLE.
Le Président : Oui, Maître MONVILLE.
Me. MONVILLE : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les
juges, Mesdames et Messieurs les jurés, une seconde question doit à l’estime
de la défense de Monsieur HIGANIRO être tranchée, outre celle de l’irrecevabilité
que Maître EVRARD vient de vous plaider, seconde question qui donc doit être
tranchée, avant même que puisse commencer l’examen de la cause à charge de Monsieur
HIGANIRO, et c’est pour cette raison que nous avons sollicité de la Cour de
pouvoir nous exprimer avant la lecture de l’acte d’accusation de Monsieur l'avocat
général.
Seconde question extrêmement simple, je vous la livre telle quelle :
de quoi allons-nous débattre ou plutôt de quoi allons-nous pouvoir débattre ?
Alors, au premier abord, cette question va peut-être vous paraître
saugrenue. Pourquoi ? Parce qu’il y a un matériau qui est abondant. Monsieur
le président vous l’a dit, mais on va essayer de vous aider à comprendre ce
dossier. Ce dossier, il est là. En ce qui concerne Monsieur HIGANIRO, il fait
plus de 50 cartons ; c’est un dossier titanesque ! Première observation,
la sagesse populaire nous aide sur ce point, quantité ne rime pas toujours avec
qualité.
Question saugrenue, puisque le matériau est abondant, mais question
qui n’est peut-être pas dénuée de tout fondement si l’on peut démontrer, si
la défense de Monsieur HIGANIRO peut démontrer, que des irrégularités graves
entachent la manière dont certains moyens de preuves ont été réunis pendant
l’instruction préparatoire parce que ça, vous l’avez déjà compris, ce dossier
il a commencé il y a déjà 5 ou 6 ans, 5 ou 6 ans pendant lesquels on a enquêté
et les moyens de preuves dont on vient de parler et qui seraient entachés
d’irrégularités, où sont-ils ? Pour l’instant, dans l’armoire, mais rassurez-vous,
ils vont très vite sortir de l’armoire, et lorsque les débats devant votre Cour
vont s’engager, que va-t-on faire ? On va entendre des enquêteurs, des
témoins, des experts, mais ces débats, sur quoi vont-ils s’articuler ?
Nécessairement sur le dossier répressif.
La question que nous posons à la Cour peut se résumer comme suit,
il est essentiel, Mesdames et Messieurs les jurés, il est essentiel de savoir
de quoi, de quelles pièces les témoins et parties vont pouvoir faire état ou
non devant votre Cour.
Le débat étant relativement technique, ne m’en veuillez pas de m’adresser
plus particulièrement à la Cour, pour exposer la suite des conclusions et les
commentaires qui se rapportent relativement à cette seconde question.
Le problème, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges,
présente des facettes multiples, et comme l’a signalé tout à l'heure Maître
EVRARD, nous avons dans notre conclusion recensé les multiples pièces que nous
vous demanderons d’écarter des débats.
Quatre cas de figure peuvent être isolés qui justifient chacun que
les pièces soient écartées. Je les cite :
Premièrement, ce sont des pièces qui ont été jointes au dossier répressif
dans des conditions incompatibles, d’une part avec les principes fondamentaux
de la procédure pénale et le respect du droit de la défense. Je me permettrai
de concrétiser le propos pour qu’on sache exactement de quoi il est question.
Deuxième catégorie de pièces qui devront être écartées, ce sont celles
qui ont été jointes en provenance du Tribunal pénal international au Rwanda
sis à Arusha. Pourquoi ? Parce qu’il y a à nouveau des règles qui sont
prévues, et ces règles n’ont pas été respectées. On a alimenté le dossier belge,
un peu un effet boomerang, on envoie et quand on reçoit, on reçoit beaucoup
plus. Est-ce que les règles qui président à l’établissement du Tribunal pénal
international et à son fonctionnement ont été respectées ? Notre réponse
est non.
Troisième type de pièces qui posent problème, ce sont les pièces
qui ont été produites au dossier après que l’instruction ait été terminée. Il
y a donc une instruction, il y a un juge, il peut saisir, il peut auditionner,
il peut placer sous mandat d’arrêt. A un moment donné, c’est terminé. Il dit :
« J’ai fait mon travail, on envoie tout ça vers la juridiction de jugement ».
Eh bien, nous avons dû constater à la lecture du dossier répressif qu’aurait
subsisté une sorte d’enquête dormante à charge de Monsieur HIGANIRO après que
l’instruction ait été déclarée formellement terminée, et l’instruction qui concerne
quels faits ? Les faits dont vous êtes aujourd'hui précisément saisis.
Il y a ensuite une catégorie résiduelle sur laquelle je n’insisterai
pas, car là, c’est tout à fait technique, ce sont les problèmes de pure forme
que vous trouverez dans les conclusions aux pages que je vous indiquerai tout
à l'heure.
Petit exposé pour chacune des catégories.
Première catégorie, souvenons-nous, ce sont les pièces dont j’ai
dit tout à l'heure qu’elles ont été jointes au dossier dans des conditions incompatibles
avec les fondements de nos procédures pénales ou en violation des droits de
la défense. Alors le principe, il est très simple. Notre système pénal, il consacre
des notions sur lesquelles tout le monde doit être d’accord, des notions de
loyauté dans la recherche des moyens de preuve et de légalité dans la recherche
des moyens de preuve. On peut encore plus concrétiser le propos : une infraction
est commise, que ce soit une infraction de roulage, que ce soit un vol, que
ce soit un crime, crime bien souvent dans les Cours d’assises, ce sont des affaires
de sang, mais à qui appartient-il de rassembler les moyens de preuve ?
Aux autorités de police, pour la circulation, on appelle les policiers. Il y
a un vol, on fait une déclaration, on essaie de faire des constatations. Autorités
policières et autorités judiciaires sont compétentes sous la responsabilité
soit du procureur du roi, soit du juge d’instruction. C’est donc le principe
de l’intervention de l’autorité publique qui est garant de la loyauté, de l’impartialité
et de la légalité avec laquelle les preuves sont réunies. Ce principe a été
battu en brèche dans la présente cause, pourquoi ? Vous allez le constater,
l'immixtion de personnes privées, d’organismes privés de défense de droits de
l’homme, voire même de parties qui sont tout à fait intéressées à cette procédure
et que vous retrouvez aujourd'hui en tant que parties civiles se constituant
notamment contre Monsieur HIGANIRO, eh bien ces acteurs vont véritablement à
certains moments du dossier se substituer aux autorités judiciaires dans la
recherche de la preuve. Et ça pose problème.
Des exemples, je ne vous en donnerai que deux, et pour le reste je
renvoie aux conclusions qui ont été déposées.
Quels sont les reproches formulés à l’égard de Monsieur HIGANIRO ?
Vous n’en savez encore trop rien. Je vais essayer dans une synthèse extrêmement
ramassée de vous les situer. On reproche à Monsieur HIGANIRO d’avoir commis
des crimes au Rwanda, et plus particulièrement à un endroit bien précis, à la
préfecture de Butare. Butare est une ville qui est plus vers le Sud du pays.
Butare, c’est à plus de 6.000 km d’ici, mais c’est là que les preuves se trouvent.
C’est là, et nulle part ailleurs. Il est évidemment important quand un crime
est commis à un endroit si distant, de se rendre sur place pour consulter les
documents, des archives, pour saisir les documents, recueillir des témoignages.
Cela a été fait, certes, mais par qui ? Logiquement, en vertu du principe
que j’ai rappelé, l’autorité publique, c’est à elle qu’il incombe de jouer ce
rôle. Sont-ce les enquêteurs belges qui ont accompli le devoir dont je viens
de parler (consultation de dossiers, d’archives, saisies…), partiellement, mais
pas totalement. Sont-ce alors les autorités rwandaises, avec les mêmes garanties
que celles offertes par notre procédure pénale ? Non. Est-ce éventuellement
le Tribunal pénal international intégré dans notre ordre judiciaire ? Non
plus. Qui alors ? Eh bien justement, des associations privées défendant
des intérêts qui sont clairement identifiés comme des intérêts opposés à ceux
des accusés, et notamment à ceux de Monsieur HIGANIRO, et vous verrez même que
des parties civiles ont été à Butare et ont transmis, sans que le juge d’instruction
ne sourcille, des pièces en disant : « On a été là-bas, voilà ce qu’il
vous faut ! ».
Je fais allusion, Monsieur le président, à la farde 58 du carton
17. Quelle garantie, Mesdames et Messieurs les jurés, pour la défense ?
Aucune. Et surtout, et c’est là que le problème se cristallise, et surtout,
n’a-t-on pas malencontreusement laissé traîner sur place, oublié de transmettre
certains documents qui éventuellement étaient des pièces à décharge ? Rien
que cette possibilité, si la Cour devait l’envisager de manière positive, est
de nature à écarter les pièces qui ont été recueillies par d’autres personnes,
d’autres organismes que les autorités investies de la mission, de récolter les
moyens de preuve. C’est le premier exemple que je voulais vous citer.
Deuxième exemple qui montre bien l’ampleur du problème, je disais
donc Monsieur HIGANIRO est poursuivi pour avoir commis des faits dans la préfecture
de Butare. Monsieur HIGANIRO avait une maison à Butare. Il y a habité. Dans
le dossier répressif, chose qui peut à nouveau paraître logique, on s’est intéressé
de très près à cette maison. Et pourquoi ? De nouveau pour essayer d’y
trouver des preuves qui pourraient confondre, qui pourraient tout à fait disculper
Monsieur HIGANIRO. Qui s’est chargé de ce travail ? A nouveau nous devons
constater que ce sont des personnes qui sont totalement étrangères au milieu
des enquêteurs, et c’est peut-être des personnes qui ne sont pas dépourvues
d’arrière-pensées. Et j’en veux pour preuve que dans le dossier répressif, vous
retrouvez des documents dont on peut dire avec une plus ou moins grande certitude
qu’ils auraient été retrouvés dans la maison de Monsieur HIGANIRO et à qui a-t-on
pensé les adresser ? On aurait pu les adresser au procureur à Kigali, au
juge d’instruction à Bruxelles. Trop simple ! C’est bien entre les mains
des parties civiles que ces documents se sont retrouvés, et c’est par ce biais-là
qu’ils ont atterri au dossier répressif. De nouveau, je crois que de telles
pratiques ne sont pas compatibles avec les droits de la défense et les fondements
de la procédure pénale.
Dernier élément important. Monsieur HIGANIRO habitait à Butare. On
s’est intéressé à l’habitation de Monsieur HIGANIRO. Quand s’y est-on intéressé ?
Quand a-t-on effectué ces recherches ? Pas directement après les faits !
mais bien au moment où les poursuites contre Monsieur HIGANIRO ont débuté en
Belgique. Et ce critère complémentaire me permet à nouveau de vous plaider d’être
extrêmement prudents vis-à-vis de ces preuves, et des preuves qui dès le départ
ne respectent pas les garanties fondamentales prévues dans notre procédure pénale
doivent être écartées.
Ceci a une conséquence majeure par rapport au début de ce procès,
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour. Nous avons pris connaissance
de l’acte d’accusation dressé par Monsieur le procureur général. Monsieur le
procureur général appuie son acte d’accusation à l’encontre de Monsieur HIGANIRO
sur des pièces. Et je vise plus particulièrement les pièces 1, 3 et 4 aux pages
21 et 22 de cet acte d’accusation.
L’acte d’accusation fait donc mention d’écrits, ces écrits que je
viens d’énoncer (1, 3 et 4) ont été retrouvés dans les conditions critiquables
que je viens de rappeler. Si la Cour devait suivre notre point de vue, l’acte
d’accusation ne pourrait en tout cas être maintenu comme tel.
Voilà pour la première catégorie. J’ai essayé d’être concret dans
l’explication. Des pièces qui n’ont pas été rassemblées par ceux à qui la tâche
en incombe, ces pièces ne peuvent pas rester au dossier et vous ne pouvez en
voir ou en connaître pendant les débats.
Deuxièmes pièces, ce sont les pièces qui sont en provenance du Tribunal
pénal international lui-même. Il y a en fait deux types de pièces, je vais être
beaucoup plus bref. Il y a d’abord des pièces qui ont été spontanément transmises
par Arusha. Et à nouveau on est dans le flou, pourquoi ? Parce qu’on a
aucun moyen de contrôle. Un beau jour, le procureur à Arusha se lève, il fait
beau, il est en forme, il se dit : « Tiens, j’ai un collègue à Bruxelles
qui planche sur le même dossier que moi. Hop, je lui envoie un paquet de pièces ! ».
Pas d’inventaire. Ces pièces sont-elles complètes ? Pourquoi ces pièces
ont-elles été envoyées à ce moment-là ? On n’en sait rien.
Deuxième problème, c’est qu’une telle transmission de pièces, et
là c’est un problème purement juridique, une telle transmission de pièces spontanée
dans le chef du Tribunal pénal international pour le Rwanda n’est prévue par
aucun texte. Il n’y a donc aucun fondement ni légal, ni réglementaire, ni statutaire
qui permet ladite transmission. Troisième problème qui rejoint ce que je disais
tout à l'heure concernant le droit de la défense, et Maître EVRARD y a également
fait allusion, donc je peux être extrêmement bref sur ce point, la procédure
à Arusha n’est pas la même qu’ici. C’est une procédure qu’on appelle de Common
Law. C’est ce qu’on voit à la télévision. Et quelles sont les spécificités de
ces procédures ? C’est que le procureur de la partie poursuivante n’a pas,
comme Monsieur l'avocat général dans cette procédure, une obligation de loyauté.
Cela n’existe pas. Quel est le rôle de la partie poursuivante dans un procès
de Common Law ? C’est de réunir les éléments à charge, et uniquement à
charge. Et vous avez tous en tête ce feuilleton que l’on passe tous les après-midi
à la télévision où on voit des avocats qui font en fait beaucoup plus que nous,
qui font des auditions de témoins, qui recueillent des preuves dans des conditions
dramatiques. Ça, ce n’est pas la procédure en Belgique, mais c’est la procédure
comme elle se passe devant le Tribunal pénal à Arusha. Et dans cette mesure-là
puisqu’on n’a communiqué que les éléments entre guillemets à charge chez le
procureur, on n’a aucun contrôle sur d’autres éléments de charge qui auraient
également pu être joints au dossier belge.
Deuxième problème que nous vous soumettons, Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs les juges, relativement aux pièces qui proviennent du
TPIR, ce sont des pièces qui n’ont aucun rapport avec notre dossier. Je disais
tout à l'heure que le dossier est volumineux, qu’il faut se garder de faire
un effet translatif : quantité = qualité. Et vous verrez dans les conclusions
que nous déposons qu’il y a au moins dix cartons de pièces qui proviennent exclusivement
du TPIR. Ces pièces-là ont été communiquées suite à une commission rogatoire,
donc elles n’encourent pas le même reproche que celles dont je viens de parler.
Aucun lien avec le dossier ! On ne voit pas ce qui justifie la présence
de telles pièces au dossier. Nous vous demandons également de les écarter.
J’en arrive alors au troisième type de pièces qui posent problème.
Et là, je vous demanderai à nouveau votre particulière attention. Le dernier
point est quant à lui beaucoup plus simple à exposer.
Troisième type de pièces : ce sont donc les pièces qui ont été
jointes après le dessaisissement du juge d’instruction en février de l’année
dernière. Et vous allez vite comprendre, Mesdames et Messieurs les jurés, que
cette question est aussi de nouveau une question de loyauté. Je crois que c’est
vraiment un maître mot que vous devez retenir de cet exposé.
Quel est le problème ? Monsieur HIGANIRO a fait l’objet pendant
des années d’une enquête pénale minutieuse. A un moment donné, le magistrat
instructeur qui est donc le coordinateur de l’enquête, qui est le manager de
ces enquêteurs, il dit : « J’ai terminé ma tâche. Il y a suffisamment
d’éléments dans ce dossier ». Et le message que Monsieur HIGANIRO reçoit,
il est clair. Ce dossier est étoffé à suffisance, non pas pour le condamner
parce que ça, le juge d’instruction, il ne peut pas se prononcer à ce sujet-là,
mais il est en tout cas étoffé de manière suffisante pour être soumis à une
juridiction de jugement, par exemple la Cour d’assises. Message clair, mais
en même temps extrêmement ambigu.
Pourquoi ? Parce que si d’un côté on fait le nécessaire pour
que Monsieur HIGANIRO soit mis en jugement, parallèlement, on continue à enquêter.
A charge de qui ? A charge de Monsieur HIGANIRO, et à son insu. Alors vous
allez me dire : « Comment est-ce possible ? C’est extrêmement
grave, ce que vous nous dites ! ». C’est possible. Cela a été rendu
possible par un simple attendu d’une décision de justice Chambre du conseil
dont vous avez tous déjà entendu parler parce que c’est la juridiction qui statue
en matière de détention préventive. On entend parler de la Chambre du conseil
pratiquement toutes les semaines, tous les mois. On vous dit : « Telle
personne a été arrêtée. La Chambre du conseil statue dans les cinq jours ».
La Chambre du conseil a aussi une autre fonction. C’est la gare de triage. Quand
on arrive à la fin d’une instruction, il faut savoir ce qu’on fait. Et qu'est-ce
qui aiguille le dossier d’un côté ou de l’autre, c’est d’abord la Chambre du
conseil, et puis éventuellement la Chambre des mises en accusation. Et qu’a
dit la Chambre du conseil au juge d’instruction qui s’est présenté en disant :
« Voilà, j’ai bien travaillé, est-ce que je peux passer à autre chose ? ».
Elle lui a dit : « Oui, vous pouvez passer à autre chose, Monsieur
HIGANIRO, on va l’envoyer devant la juridiction de jugement ». Mais en
même temps, lui a dit : « Monsieur le juge d’instruction, vous allez
continuer à enquêter. Vous restez saisi. Vous allez continuer à enquêter sur
quoi ? Sur tous les faits, quelconques de crimes, de génocides ou de crimes
contre l’humanité qui ont ou auraient été commis au Rwanda pendant toute la
période du génocide, et ce quels que soient les auteurs et victimes potentiels ».
Alors, ce simple passage de la Chambre du conseil, ça veut dire quoi ?
ça veut dire que le juge d’instruction garde une possibilité de diriger son
enquête tous azimuts, mais surtout qu’on lui donne un véritable blanc seing.
Où se situe le problème pour Monsieur HIGANIRO ? Là où le bât
blesse, c’est quand on constate et cette constatation me semble impossible
à contredire quand on constate que le juge d’instruction va faire usage de
prérogatives qui sont extrêmement vastes. Imaginez qu’on dise à un juge d’instruction :
« Vous allez enquêter sur tous les meurtres commis à Bruxelles ou
en Belgique du 1er janvier au 31 mars ». Voilà ce qu’on a dit
au juge d’instruction. Le problème, c’est que quand le juge d’instruction utilise
de telles prérogatives et qu’il le fait non pas pour poursuivre l’enquête, sur
d’autres sujets à charge d’autres personnes, mais qu’il va précisément le faire
à charge de qui ? De Monsieur HIGANIRO. Et ce n’est pas un X, Monsieur
HIGANIRO, il le connaît très bien. Et pour quels faits ? Parce qu’on pourrait
encore dire pour Monsieur HIGANIRO qu’on a clôturé un volet de l’enquête, mais
on reçoit de nouvelles informations, et Monsieur HIGANIRO aurait d’autres choses
à se reprocher. Et là on pourrait encore comprendre qu’on s’intéresse à lui.
Mais c’est justement là qu’on ne peut plus accepter la démarche qui est celle
du magistrat instructeur, quand on constate que les faits pour lesquels on instruit
à charge de Monsieur HIGANIRO sont les faits qui sont censés être jugés par
votre Cour.
Il y a un exemple très concret, puisque je parle de pièces. Nous
avons reçu avant le début de ce procès il y a une quinzaine de jours des documents.
Des documents qui sont clairement des documents qui émanent de l’instruction
du juge d’instruction VANDERMEERSCH. Ces documents ne concernent pas X. Ils
concernent nommément Monsieur HIGANIRO et ces documents ne concernent pas d’autres
faits, mais bien ceux pour lesquels il a été mis en accusation.
Cette situation, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les
juges est extrêmement embarrassante. Monsieur HIGANIRO n’a aucun contrôle quant
à la manière dont se poursuit l’enquête à sa charge et ne peut exercer aucun
des droits qui depuis le mois d’octobre 1998 lui sont reconnus par le Code d’instruction
criminel.
Alors, il y a deux solutions, et il faut être de bon compte. Soit
on nous dit que ces pièces sont relevantes ; elles apportent un éclairage
complémentaire quant aux faits qui sont mis à charge de Monsieur HIGANIRO. Mais
alors il faut aller jusqu’au bout du raisonnement. Parce que si ces pièces-là
sont relevantes, il doit nécessairement y en avoir d’autres. Si telle est la
solution, alors nous devons constater l’impossibilité de juger pour l’instant
Monsieur HIGANIRO, cette impossibilité prenant fin lorsque l’instruction 3795,
n° de dossier du juge d’instruction, prendra fin. Soit vous considérez, la Cour
considère, que lesdites pièces, le devoir d’enquête postérieur au dessaisissement
du juge d’instruction ont été jointes à la présente cause, en violation du droit
les plus élémentaires à la défense de Monsieur HIGANIRO, et nous vous demandons
de les écarter, et je crois que c’est la voix de la sagesse, Monsieur le président.
Fin du troisième chapitre.
Dernier chapitre, très court, ce sont les problèmes techniques. Ce
sont les problèmes d’une part liés à l’absence de traduction de certaines pièces
que nous avons relevées au dossier, et d’autre part, problème lié à l’exécution
de commission rogatoire. J’ai vu notamment que la troisième commission rogatoire
qui était dépêchée au Rwanda entre fin du mois de septembre et le mois d’octobre
1995, les pièces de formes, nous avons relu attentivement le dossier, nous sommes
venus reconsulter les pièces originales du dossier, et nous n’avons pas trouvé
les pièces de forme relatives à ces commissions rogatoires. Et j’en ai terminé.
Et je voudrais en terminer par une dernière observation à laquelle
Maître EVRARD a déjà fait allusion. Dans les conclusions que nous déposons,
il y a une liste qui est très longue qui énumère les pièces que nous demandons
d’écarter des débats. Il serait tout à fait inconvenant d’en donner lecture.
Je vous ai exposé les raisons pour lesquelles ces pièces devraient être écartées,
et tout ce que je vous ai exposé permet de viser chacune des pièces reprises
dans le dispositif de nos conclusions. Il est évident qu'en cas de décision
négative de votre Cour à ce sujet, Monsieur HIGANIRO demande qu’il soit donné
acte de la violation de ses droits à la défense, et je voudrais peut-être ajouter
à ce sujet, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs les juges, que même
si nous avons dû tous travailler, je parle autant pour les avocats de la défense
que pour ceux des parties civiles, et même Monsieur l'avocat général, dans les
conditions d’empressement certain, nos conclusions n’ont pas pu être communiquées
avant vendredi de la semaine dernière. Et nous avons appris ce début d’après-midi
que les conseils de certaines parties civiles déposeraient des conclusions et
je dois vous dire que ni Maître CUYKENS, ni Maître EVRARD, ni moi-même n’avons
encore pu en prendre connaissance. Elles font pratiquement 15 pages et nous
vous demanderons d’avoir la possibilité lors d’une interruption d’audience de
pouvoir examiner ces pièces afin de permettre d’éventuellement y répliquer.
J’ai dit et vous remercie.
Le Président : Bien. Souhaitez-vous, pour l’ordre des débats,
pour que peut-être les choses soient plus claires, que les parties civiles et
Monsieur l'avocat général répondent aux arguments invoqués par la défense de
Monsieur HIGANIRO plutôt que de donner la parole à la défense de Mesdames MUKANGANGO
et MUKABUTERA ? Que l’on fasse ainsi.
Me. MONVILLE : Du moment qu’on a la possibilité de répliquer éventuellement
plus tard, Monsieur le président.
Le Président : Bien sûr !
Me. de CLETY : Monsieur le président, je pense que c’est plus
ou moins le même problème qui est soulevé par la défense des quatre accusés.
Alors, peut-être est-il plus simple qu’on laisse d’abord s’exprimer la défense
des autres accusés et que les parties civiles puissent par la suite répondre
en bloc puisque les arguments sont assez similaires.
Le Président : Comme vous l’entendez.
Me. VERGAUWEN : C’est comme la Cour le souhaite.
Le Président : Prenez la parole.
Me. VERGAUWEN : J’en ai pour une demi-heure, donc je suis prêt à
prendre la parole maintenant.
Je vous remercie, Monsieur le président.
Voici le dispositif des conclusions que nous déposons pour les troisième et
quatrième accusés.
Nous avons l’honneur de conclure
à ce qu’il plaise à votre Cour à titre principal, constaté que la présence au
dossier des pièces relatives aux commissions rogatoires des 28 février et 21
mars 2000, à savoir l’intégralité des pièces des cartons 8, 9 et 10 et la référence
à celles-ci dans l’acte d’accusation constituent une violation des droits de
la défense des concluantes.
En conséquence, ordonner le retrait
immédiat desdites pièces du dossier et inviter Monsieur le procureur général
à supprimer de son acte d’accusation toutes les références directes ou indirectes
à celles-ci. Eu égard au retrait des pièces litigieuses, donner acte aux concluantes
des réserves qu’elles formulent quant à l’incidence du respect du droit de la
défense de toute référence directe ou indirecte qui serait faite à ces pièces
au cours des débats.
A titre subsidiaire, donner acte
aux concluantes des réserves qu’elles formulent quant à l’incidence sur le respect
des droits de la défense de la présence au dossier des pièces relatives aux
commissions rogatoires des 28 février et 21 mars 2000, à savoir l’intégralité
des pièces des cartons 8, 9 et 10 et de la référence à celles-ci dans l’acte
d’accusation et au cours des débats.
Mesdames et Messieurs les jurés,
il peut vous paraître quelque peu déroutant de voir un avocat prendre la parole
à ce stade, avant même que les débats n’aient été réellement entamés et vous
parler d’un dossier que vous ne connaissez même pas. Alors je crois que je dois
vous exposer la raison d’être de mon intervention.
Ce matin était, sans doute, pour
vous la première fois que vous pénétriez dans cette salle, peut-être même aussi
pour certains d’entre vous la première fois que vous pénétriez dans cet immense
palais impressionnant, fait de 1.001 couloirs, un palais qui est solide comme
un roc parce qu’il est bien charpenté ; il est construit avec de grosses
pierres, de larges colonnes, et je vous rassure, il n’est pas près de s’écrouler.
Eh bien, Mesdames et Messieurs,
un procès, c’est la même chose. Il doit aussi y avoir une charpente solide pour
arriver à bon port. Et cette charpente, dans tout procès pénal, et en particulier
dans un procès d’assises, elle est faite d’un certain nombre de règles qu’on
appelle des règles de procédure pénale. Et quelles sont ces règles ? Elles
reprennent tous les droits et tous les devoirs que tous les acteurs d’un procès
peuvent soit revendiquer quand il s'agit de droits, soit respecter lorsqu’il
s'agit de devoirs. Et ces droits et ces devoirs, ils existent depuis le début
d’une enquête jusqu'à la décision finale. Et tout le monde y est tenu :
le juge d’instruction, les enquêteurs, le procureur, les parties civiles, la
défense, le président de la Cour d'assises, et vous-mêmes, vous êtes tenus à
certains droits, vous avez certains devoirs, et Monsieur le président vous en
a déjà parlé ce matin. Ils sont tous essentiels pour les uns, comme pour les
autres. Ils sont essentiels parce que ce sont eux qui vont vous permettre de
rendre la justice de manière juste, c'est-à-dire de manière équitable vis-à-vis
de toutes les parties.
Alors, ces règles sont reprises
dans un code qu’on appelle le Code d’instruction criminelle ; et puis elles
sont aussi commentées dans des ouvrages qui sont écrits par des auteurs spécialisés
en la matière ; elles sont commentées aussi par les décisions de jurisprudence
des tribunaux et des Cours, parce que bien sûr le législateur écrit des textes,
mais il n’est pas toujours aussi clair. Et donc on doit interpréter tout ce
qui est écrit dans ces textes. Et on vous a rappelé ce matin, ça a dû sans doute,
je l’espère, vous rassurer, on ne va pas vous demander d’avaler les plus de
six cents articles du Code d’instruction criminelle. On ne va pas vous demander
de lire toute la doctrine et la jurisprudence. Il appartient heureusement à
la Cour de trancher les questions de procédure, on vous l’a dit ce matin, et
dès lors, vous ne m’en voudrez pas j’espère, moi non plus, de m’adresser plus
spécifiquement aux membres de la Cour pour développer mon argumentation.
Monsieur le président, Mesdames
et Messieurs de la Cour, il existe effectivement à notre estime des fissures
dans la charpente de ce procès par rapport au respect d’un principe de procédure
qui nous paraît tellement fondamental qu’il n’a pas besoin d’être écrit pour
exister, il n’a pas besoin de figurer dans un texte bien spécifique parce qu’il
s’impose comme une évidence, il s’impose comme le jour et la nuit, j’ai nommé
bien évidemment le respect du droit de la défense.
Alors je crois vraiment que malgré
la meilleure volonté du monde de tous les acteurs de ce procès, nous éprouvons
nous, à la défense, des craintes. Des craintes que ce procès ne permette pas
à la défense des troisième et quatrième accusés de s’exercer dans des conditions
normales, j’allais même dire élémentaires, qui font partie, je crois, de tout
procès d’assises.
Alors, ces craintes, elles sont
nourries par la lecture de l’acte d’accusation de Monsieur le procureur général,
page 29 de cet acte, que lit-on ? Deux commissions rogatoires d’une importance
essentielle auront lieues, l’une au Rwanda du 28 février 2000 au 5 mars 2000,
l’autre adressée au TPIR, Tribunal pénal international pour le Rwanda. Ces deux
commissions rogatoires ont trait au nommé REKERAHO Emmanuel, chef de la milice
de Sovu, et adjudant réserviste des F.A.R. Il aurait joué un rôle essentiel
dans les massacres de Sovu et notamment désigné comme la personne ayant versé
l’essence sur le garage du centre de santé où se trouvaient des centaines de
réfugiés. Le dossier concernant la procédure suivie à l’encontre de REKERAHO
Emmanuel au Rwanda sera joint, ainsi que les déclarations faites par l’intéressé
devant les enquêteurs du TPIR, déclarations qui sont extrêmement accablantes
pour les deux sœurs. REKERAHO Emmanuel a été condamné à mort au Rwanda en première
instance, mais a interjeté appel de cette décision.
Eh bien, Monsieur le président,
Mesdames et Messieurs, ce témoin…
Le Président : Un petit instant. Si je comprends bien, vous donnez
lecture d’un passage de l’acte d’accusation dont vous souhaitez qu’il ne soit
pas lu. Je vous remercie.
Me. VERGAUWEN : Effectivement, Monsieur le président, mais je crois
que nous sommes confrontés à ce problème par la nature même de la procédure
devant la Cour d’assises.
Et ce témoin qui vous est présenté
comme capital, il ne viendra pas. Et pourtant, on voudrait pouvoir vous en parler
à longueur de procès en se basant sur des pièces qui en l’occurrence sont des
auditions par les enquêteurs belges et également des auditions par les enquêteurs
du Tribunal pénal international pour le Rwanda qui ont été jointes au dossier
en malmenant, et c’est là que le bât blesse, en malmenant les règles de procédure
pénale. Et nous dénonçons dans nos conclusions trois entorses.
Première entorse : ces commissions
rogatoires internationales ont été exécutées lorsque Monsieur le juge d’instruction
était dessaisi.
Deuxième entorse : les pièces
relatives à ces commissions ont été jointes à un moment qui empêchait toute
demande de devoir complémentaire de la partiellement de la défense
Troisième entorse : la référence
qui est faite à ces pièces et qui en fait reflet au cours des débats devant
cette Cour d’assises, fait fi d’un principe qui est l’essence même de la Cour
d’assises et qui est celui de l’oralité des débats.
Première entorse, quand on lit
un extrait de l’arrêt de la Cour de cassation du 24 mars 1999, on lit ceci :
« En vertu de l’alinéa 7 dudit
article, en l’occurrence l’article 127 du Code d’instruction criminelle, le
juge d’instruction est dessaisi par le rapport qu’il a fait en Chambre du conseil ».
Alors, Monsieur le président, Mesdames
et Messieurs, je crois que la simple lecture de la chronologie des actes qui
ont été posés par le magistrat instructeur dans ce dossier témoigne du problème
qui se pose, et je voudrais simplement relever trois dates, nous avons été plus
longs dans nos conclusions, mais je crois que ces trois dates-ci sont essentielles :
Rapport de Monsieur le juge d’instruction
devant la Chambre du conseil : 3 février 2000.
Première commission rogatoire internationale
au Rwanda : 28 février 2000, nous en étions à ce moment-là déjà au stade
des répliques en Chambre du conseil.
Deuxième commission rogatoire internationale
vers la Tanzanie : 21 mars 2000, la Chambre du conseil en était à ce moment-là
au stade du délibéré.
Alors, je dis simplement ceci :
Le dessaisissement du magistrat instructeur, il résulte à l’évidence du fait
que le rapport a été fait le 3 février 2000 et que les actes ont été posés ultérieurement.
Mais en plus, il me semble qu’il est logique, ce dessaisissement, puisqu’un
rapport par un magistrat instructeur devant la Chambre du conseil suppose que
le juge d’instruction lui-même ait estimé que son instruction était complète.
Et c’est la raison pour laquelle il communique son dossier au ministère public
antérieurement, lorsqu’il estime, et fait le texte même de l’article 127 que
son instruction est terminée.
Alors, ceci a d’ailleurs été confirmé
par la décision de la Chambre du conseil. La Chambre du conseil a rendu une
décision le 28 mars 2000 dans laquelle elle dit ceci : « Dit que le
Monsieur juge d’instruction restera saisi de la prévention B instruite dans
le chef de l’inculpé le témoin 60 ». Je ne vais pas faire de la linguistique,
mais il me semble que quand on dit « restera saisi », cela veut dire
a contrario que le juge était dessaisi d’autre chose, et en l’occurrence, il
était dessaisi des faits relatifs aux préventions qui font l’objet des poursuites
actuelles des troisième et quatrième accusés.
Alors, la fonction de tout ceci,
c’est que ces actes doivent être considérés comme nuls et que dès lors, et c’est
la raison pour laquelle j’ai bien été obligé du lire, l’acte d’accusation
ne pouvait valablement y faire référence.
Je crois que ce premier argument,
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, n’est pas un simple artifice de
procédure. Et j’en viens, pour vous le justifier, à notre deuxième entorse,
les parties, quelles que soient les parties, d’ailleurs, parties civiles comme
défense, ont le droit de demander au juge d’instruction par requête l’accomplissement
de devoir complémentaire. Alors, soyons clair : quand a-t-on le droit de
demander des devoirs d’instruction complémentaires ? Pendant la première
phase du règlement de la procédure. Pas après, il y a des décisions de jurisprudence
que nous citons également dans nos conclusions. Or, que constate-t-on ici, et
c’est quand même assez surprenant ? La première phase du règlement de la
procédure s’est déroulée entre le 20 décembre 1999 et le 10 janvier 2000. Je
crois dès lors pouvoir dire que nous étions dans l’impossibilité matérielle,
non seulement de demander des devoirs complémentaires puisque la première phase
était expirée le 10 janvier, et que les actes ont été exécutés après et que
les pièces ont été déposées encore bien après, mais en plus, d’apprécier l’opportunité
de demander des lois complémentaires. Parce que c’est à ça que ça sert, sinon
ça ne sert à rien de mettre dans la loi qu’on peut consulter le dossier et voir
si on veut demander des devoirs complémentaires si de toute façon comme on peut
continuer et faire tout ce qu’on veut après, alors effectivement la raison d’être
de ce droit qui est accordé à toutes les parties n’a à mon sens pas beaucoup
de signification.
Alors, on me dira peut-être en
réplique ou de la part de Monsieur l'avocat général : « Mais vous
auriez pu demander des devoirs complémentaires à la Chambre du conseil ou à
la Chambre des mises en accusation qui a examiné ce dossier ultérieurement ».
Alors je formulerai une double
réponse.
Première réponse : on nous
empêche de nous adresser au juge d’instruction, donc d’exercer un droit prévu
par la loi avec la conséquence qu’un appel éventuel d’une décision de refus
du juge d’instruction, on peut l’oublier.
Deuxième réponse : nous n’étions
en l’espèce pas en mesure de demander quoi que ce soit, ni à la Chambre du conseil,
ni à la Chambre des mises en accusation. Pourquoi pas à la Chambre du conseil ?
Tout simplement parce que les pièces qui résultent de ces deux commissions rogatoires,
elles ont été jointes au dossier. Quand ? Le 30 mars 2000. Or, vous savez
que la Chambre du conseil a rendu son ordonnance le 28 mars 2000. Moi je veux
bien faire tout ce qu’on veut, mais je ne peux pas consulter des pièces et plaider
devant la Chambre du conseil lorsque des pièces ont été déposées après que la
Chambre du conseil ait rendu sa décision. Alors devant la Chambre des accusations.
C’est vrai que ces pièces étaient versées lorsque l’affaire est venue devant
la Chambre des mises en accusation puisque les premières ont été versées au
dossier le 30 mars et les suivantes ont été versées le 17 avril. Et l’audience
de la Chambre des mises en accusation, je n’ai plus la date en tête, a eu lieu
ultérieurement. C’est vrai, mais à cela, je réponds ceci, c’est que la quasi-totalité
des pièces qui ont été jointes étaient en Kinyarwanda. Je veux bien que l’on
dise aux avocats que lorsqu’il y a des pièces dans un dossier qui est en procédure
française et qu’il y a des pièces en néerlandais : « Vous auriez pu
quand même savoir plus ou moins ce qu’il y avait dedans ». Encore que la
loi impose, même dans cette hypothèse-là, que les pièces soient traduites et
vice versa ; dans une procédure en néerlandais, des pièces en français,
on les traduit.
Alors, je dis a fortiori dans ce
cas-ci, on ne va pas nous demander, nous, d’être en mesure d’apprécier des déclarations
ou des dépositions qui sont faites dans une langue qui nous est totalement étrangère,
sauf peut-être certains qui ont une expérience de l’Afrique et du Rwanda en
particulier et qui ont vécu là-bas et connaissent cette langue, mais en tout
cas, nous, nous étions face à un problème quand même insurmontable par rapport
à l’existence de ces pièces. Et vous verrez qu’il est quand même piquant de
relever que les traductions de ces pièces que nous avons encore dû demander
à Monsieur l'avocat général encore au mois d’octobre de l’année passée, elles
n’ont été jointes au dossier qu’au compte-gouttes. Nous avons encore reçu des
traductions de ces pièces il y a quelques jours à peine et nous ne savons même
pas si toutes les pièces ont été traduites. Donc nous ne savons même pas apprécier
si effectivement tout ce qui figure en Kinyarwanda se retrouve en français dans
le dossier.
Je pose donc à la Cour une question,
c’est celle-ci : quand on sait que c’est la première commission rogatoire,
celle qui a été effectuée au Rwanda entre le 28 février et le 5 mars 2000, elle
a été rédigée (ça ressort du dossier) par le magistrat instructeur dès le 11
janvier 2000, c'est-à-dire le lendemain de l’expiration du délai de la première
phase. Je pose une question : « Qu'est-ce qui empêchait le magistrat
instructeur de prolonger cette première phase du temps nécessaire à la réalisation
de ces nouveaux devoirs, à la traduction des pièces, pour permettre précisément
aux uns et aux autres d’apprécier le contenu de ces pièces ? ». Je
pense que Monsieur le juge d’instruction avait entendu parler de Monsieur REKERAHO
quand même dans ce dossier ; il aurait quand même pu plus tôt qu’à ce moment-là,
et même s’il l’a fait à ce moment-là, ce n’est pas le grief que je lui fais,
mais il se rendait compte à ce moment-là que ces pièces allaient peut-être,
et en tout cas c’est ce qu’en tire l’avocat général maintenant, allaient apporter
des éléments utiles à ce dossier.
Alors je dis simplement ceci :
« Il n’y avait pas péril en la demeure quand même le 11 janvier 2000, c’était
une instruction qui avait duré effectivement plusieurs années, il n’y avait
pas péril en la demeure, il n’y avait pas de raison de mettre la charrue avant
les bœufs et peut-être pas de nous empêcher, mais en tout cas matériellement,
je ne dis pas que telle était l’intention ou le but recherché par le juge d’instruction,
mais matériellement, nous nous sommes trouvés confrontés à cette difficulté
que je requalifie d’insurmontable ».
Enfin, troisième et dernière entorse
qui, je crois, concerne au premier chef les membres de votre jury, Mesdames
et Messieurs, si ce procès va durer un certain temps, on vous l’a annoncé, c’est
parce qu’il est de l’essence même des débats devant la Cour d’assises, et Monsieur
le président vous l’a rappelé avec justesse ce matin, il est de l’essence même
de ces débats que ceux-ci soient oraux, c'est-à-dire que c’est en fonction de
ce qui va être dit ici à l’audience que vous allez devoir vous forger une conviction.
Et c’est un principe absolu et élémentaire sur lequel tout le monde s’accorde.
Et je vais vous lire un extrait de doctrine, la doctrine qui est issue des Novelles
qui est un ouvrage de droit pénal et de procédure pénale à la fois, qui est
rédigé par des auteurs qui connaissent bien la matière. Et que dit-on ?
On dit ceci : « Que l’instruction orale est une des garanties les
plus importantes que la législation moderne ait introduite dans l’intérêt de
la société et de l’accusé ». Pourquoi ? Et cet extrait me paraît très
important, « Une déposition écrite dégagée du ton, du geste, du regard,
des hésitations, des réticences, de l’attitude d’un témoin ne suffit pas pour
faire exactement apprécier le degré de véracité du témoignage. Le témoin qui
parle peut être interrogé, examiné, confondu par l’accusé et par le ministère
public, tandis que le témoignage écrit impassible et immobile échappe à tout
moyen direct de contrôle ». On en a déduit cette grande règle : que
le jury doit voir et entendre parler les témoins.
Et il s'agit là d’un principe qui
est qualifié comme étant substantiel aux droits de la défense. Et je suis en
bonne compagnie parce que non seulement il y a la doctrine, mais il y a aussi
cette fameuse Convention européenne des droits de l’homme qui en dit un mot.
Article 6, 3d de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés
fondamentales, je cite : « Tout accusé a droit notamment à interroger
ou faire interroger les témoins à charge et obtenir la convocation et l’interrogation
des témoins à décharge dans les mêmes conditions que les témoins à charge ».
Enfin, il y a la Convention européenne
des droits de l’homme, il y a aussi la jurisprudence qui dit ceci : « Du
principe que l’instruction devant la Cour d’assises doit être orale, il résulte
que dans un procès criminel, on ne peut faire entendre par voie de commission
rogatoire les témoins étrangers qui ne comparaissent pas à l’audience ».
Alors, c’est une décision de la Cour d’assises d’Anvers du 18 août 1848 et de
la Cour de cassation le 8 novembre 1848. J’ai lu dans les conclusions qui viennent
de m’être communiquées par une des parties civiles que l’on nous faisait grief
de citer une décision de jurisprudence qui a 152 ans. Et alors ? Il y avait
de bons arrêts au 19ème siècle, que je sache, les magistrats à l’époque
faisaient leur devoir et leur travail aussi bien qu’aujourd'hui, et je ne vois
pas quel argument on peut en tirer, si ce n’est qu’on vient vous dire :
« Oui, mais comme c’est antérieur au Code d’instruction criminelle, ça
n’a aucune valeur ! ». Eh bien, je répondrai simplement ceci, c’est
que ces décisions sont tirées précisément des Novelles, et les Novelles, elles
sont postérieures au Code d’instruction criminelle, alors vraiment je ne vois
pas en quoi on pourrait nous faire grief de citer une jurisprudence aussi ancienne,
d’autant plus que par ailleurs si on avait bien lu l’intégralité de mes conclusions,
ce principe substantiel de l’oralité des débats est encore confirmé par une
décision de la Cour de cassation de 1990. Que je sache, c’est vrai, c’est au
siècle dernier, je suis désolé, effectivement, mais enfin c’est quand même assez
récent malgré tout.
Alors, conclusion de tout ceci,
Monsieur le président, Mesdames et Messieurs de la Cour, je dirais simplement
que notre démarche est inspirée par un souci de cohérence. A partir du moment
où le ministère public fait des déclarations d’un témoin un élément essentiel
de son accusation, c’est bien là qu’est le problème, il nous paraît élémentaire
que ce qu’on appelle les règles de l’art de la procédure soient respectées pour
permettre à la défense de rencontrer ces déclarations, d’interroger ce témoin,
et force est de constater que dans l’état actuel des choses, nous n’avons pas
nos apaisements par rapport à ces demandes qui nous paraissent légitimes.
Et pour terminer mon intervention
en vous demandant de faire droit au dispositif de nos conclusions, je voudrais
simplement vous demander d’avoir à l’esprit dans votre délibéré, Monsieur le
président, Mesdames et Messieurs, deux phrases qui sont extraites de ce qui
est notre livre de chevet à tous les pénalistes, avocats comme magistrats je
crois, le droit de la procédure pénale de Messieurs BOSLET et VANDERMEERSCH,
en exergue de cet ouvrage, vous avez les deux citations suivantes : « Sans
règles de procédure équitables et efficaces, les meilleures règles de fond ne
veulent absolument rien dire ». Deuxième citation : « Si vous
débarquez dans un pays inconnu et si vous désirez savoir si dans ce pays les
libertés civiles sont protégées, demandez à voir son Code de procédure pénale ».
Je vous remercie pour votre attention. J’ai dit.
Le Président : Je vous remercie. Je crois que nous allons peut-être
suspendre l’audience une vingtaine de minutes jusqu'à 16 heures. De cette manière,
si la défense de certains des accusés n’a pas pu prendre connaissance des conclusions
des parties civiles, elle aura l’occasion du faire. Les parties civiles et
Monsieur l'avocat général ont également quelques minutes pour réfléchir à leur
intervention. Je crois que nous reprendrons l’audience à 16 heures et que le
programme sera manifestement bouleversé et que vraisemblablement l’acte d’accusation
et acte de défense ne pourront pas être lus avant demain matin. Il y aura donc
notamment des dispositions à prendre en ce qui concerne des témoins qui sont
convoqués pour demain après-midi pour en retarder l’arrivée.
Je tiens à signaler peut-être à
cet égard au jury que si je vous ai dit qu’on siégeait généralement que jusqu'à
17 heures ou 17 h 30, je crains que nous n’ayons des exceptions. J’espère qu’elles
seront les moins nombreuses possibles et qu’une de ces exceptions pourrait bien
être demain, de manière telle à ce que si vous avez éventuellement des dispositions
à prendre chez vous, vous puissiez tenir compte de ce que vous ne serez peut-être
pas rentré très, très tôt demain.
Me. VERGAUWEN : Monsieur le président, pour ce qui concerne
nos parties civiles, je répliquerai en cinq minutes.
Le Président : Eh bien, nous suspendons donc l’audience jusqu'à
16 heures. Nous la reprenons à ce moment. |
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