3.2. Réponse de l’avocat général
Le Président : L’audience est reprise. Vous pouvez vous asseoir.
Je me permets de rappeler à toutes les personnes présentes que tous les GSM
soient coupés de manière à ne pas perturber le cours des débats. Les avocats
de Monsieur HIGANIRO.
[Bruit de fond-Inaudible]
L'Avocat Général : …Il n’en a rien été. La défense, disons n’a pas
été jusqu’au bout du raisonnement, et à un certain moment elle a abandonné son
pourvoi, elle s’est désistée de son pourvoi, ce qui me semble quand même, vu
l’importance de l’enjeu, et cette importance apparemment est tellement grande
qu’on vous repasse encore une fois le plat aujourd'hui, ce qui me semble quand
même assez symptomatique.
Alors, il me paraît tout à fait clair que toutes les juridictions
se sont déjà prononcées sur ce problème et qu’il n’y a pas lieu à déclarer irrecevables
les poursuites à l’égard de Monsieur HIGANIRO.
Je termine cette partie en reprenant une petite phrase de Maître
EVRARD. Maître EVRARD vous a dit en termes de plaidoirie qu’on a jugé quelque
chose au TPIR à Arusha. Eh bien, oui. On a jugé quelque chose, mais on a jugé
tout à fait autre chose que ce qui vous est soumis aujourd'hui.
Vous pourrez prendre connaissance de l’acte d’accusation du procureur
du TPIR ; vous pourrez prendre connaissance de la décision du TPIR. Ils
se trouvent au dossier et vous pourrez les consulter. Vous verrez qu’il s'agit
d’un tout autre débat selon de toutes autres règles, selon une toute autre procédure
que celle qui s’ouvre aujourd'hui devant vous. Par exemple, je vous donne un
simple exemple, l’acte d’accusation du TPIR visait nommément à l’égard de Monsieur
HIGANIRO le crime de génocide, alors que Monsieur HIGANIRO ici pour des raisons
techniques que je vous expliquerai plus tard est poursuivi pour des infractions
graves du droit international humanitaire, ce qui n’est pas exactement la même
chose.
Il n’y a donc pas d’autorité de la chose jugée et d’autre part, les
juridictions compétentes belges ont tranché de manière claire et sans équivoque
aucune ce problème.
Deuxième problème : l’écartement des pièces. Je réfute avec
véhémence la thèse selon laquelle des pièces auraient été versées au dossier
en violation des règles de notre procédure pénale ou en violation des règles
des droits de la défense. Je m’étonne aussi quand même que ces demandes d’écartement
des pièces n’aient pas été formulées en temps opportun devant les juridictions
adéquates instaurées justement dans ce but par notre législateur. L’article
235bis du Code d’instruction criminelle auquel j’ai déjà fait allusion donne
expressément aux parties la possibilité de demander à la Chambre du conseil,
puis après à la Chambre des mises en accusation, et puis, le cas échéant, à
la Cour de cassation de déclarer nulles certaines pièces et d’ordonner que ces
pièces soient écartées du dossier. Je constate qu’aucune des parties n’a fait
usage de cette possibilité et que c’est à la toute dernière minute, avant la
lecture de l’acte d’accusation, qu’en une fois on semble découvrir la portée
essentielle de l’article 235bis du Code d’instruction criminelle. Aucune demande
à aucune époque n’a été formulée pour écarter quelque pièce que ce soit de ce
dossier.
Les commissions rogatoires exécutées au Rwanda ont reçu l’autorisation
du ministre de la justice belge, ont reçu l’autorisation du ministre de la justice
rwandais, ont été exécutées conformément au droit rwandais par les autorités
judiciaires rwandaises. Je signale ici que je trouve l’argument un peu faiblard
que j’ai lu qu’on conteste l’existence des deux autres commissions rogatoires
au motif qu’on ne trouve pas les pièces émanant du juge d’instruction. La réponse
en est tout à fait simple : la commission rogatoire au Rwanda a eu lieu
en trois vagues. C’est en somme une commission rogatoire qui, vu le nombre invraisemblable
de devoirs qui a dû être exécuté, a bien entendu été scindée en trois étapes
distinctes, mais ces trois étapes distinctes portaient chaque fois sur la même
commission rogatoire et portaient chaque fois sur l’audition de témoins concernant
Monsieur HIGANIRO, Monsieur NTEZIMANA et les deux sœurs.
Lorsque je lis certains passages des conclusions, j’ai quand même
un peu l’impression que la défense est un grand adepte de la méthode Coué. Car
il ne suffit pas de dire que des pièces ont été transmises par le TPIR, et je
cite, « en contrariété avec les règles internes du TPIR » pour que
ce soit ainsi. Je ne vois aucunement où les règles internes du TPIR pourraient
avoir été transgressées. Je ne vois pas où il y a une violation des règles internes
du Tribunal pénal international. Ces pièces ont été jointes à la demande du
magistrat instructeur ici en Belgique ; ces pièces sont arrivées ici en
Belgique de manière tout à fait régulière, de manière tout à fait légale ;
ces pièces ont été jointes au dossier de manière tout à fait régulière, et tout
à fait légale et ces pièces ont été soumises à la contradiction de toutes les
parties.
Même chose lorsque l’on m’affirme que des pièces auraient été versées
au dossier suite à l’intervention de tiers. Ma réponse est la même : ces
pièces sont arrivées en Belgique chez le juge d’instruction qui les a versées
au dossier, qui les a reçues de manière tout à fait régulière, qui les a jointes
au dossier et qui les a soumises à la contradiction.
Qu’il me soit d’ailleurs permis, et vu l’intervention d’il y a quelques
instants, je serai prudent, mais qu’il me soit quand même permis de dire également
que d’autres pièces émanant plutôt de la part de la défense ou qui sont des
pièces qui démontrent certaines thèses de la défense ont également été jointes
à l’intervention de tiers. Je pense ici à la fameuse lettre de Monsieur le témoin 21
Martin qui sera entendu comme témoin ici et qui concerne ou qui concernait soi-disant
les travaux de nivellement dans sa fabrique la SORWAL, tout cela pour expliquer
l’emploi fort embêtant pour Monsieur HIGANIRO des mots « travailler »,
« nettoyer », « nettoyage ». Vous verrez lorsqu’on entendra
le témoin que dans le contexte rwandais, ces termes avaient à cette époque-là
une signification tout à fait spécifique.
On a fait allusion à l’arrêt de la Cour de cassation du 24 mars 1999
disant que le juge d’instruction est dessaisi par son rapport en Chambre du
conseil. Je voudrais simplement attirer votre attention sur le fait que cette
décision de la Cour de cassation a fait l'objet de vives critiques dans la jurisprudence ;
je signale ici qu’il y a un arrêt de Monsieur MORLET sous cet arrêt de la Cour
de cassation du 24 mars 1999 qui dit qu’il s'agit là d’une opinion et d’une
thèse fort stricte et qui ne correspond pas aux principes généraux de notre
procédure pénale.
Quoiqu’il en soit, parce que si l’on applique cette jurisprudence
à la lettre, ça voudrait dire que c’est le juge d’instruction qui se dessaisit
lui-même du dossier, on se demande encore à quoi devrait alors servir l’ordonnance
de la Chambre du conseil qui en outre reprend dans son dispositif qu’elle dessaisit
le juge d’instruction. Mais comme on l’a déjà signalé de la part de la défense
même, je signale quand même à l’attention de la Cour que tant dans le dossier
3795 que dans le dossier 6295, le juge d’instruction est resté saisi dans le
premier cas de X et dans le deuxième cas de l’affaire en cause de Monsieur Michel
le témoin 60.
Dans la mesure donc où dans le cadre de cette saisine que conserve,
qu’a conservée et que conserve encore actuellement le juge d’instruction, des
pièces lui sont transmises, que ces pièces ont trait aux accusés ici présents,
il me semble tout à fait normal, et je dirais même plus que normal qu’il est
du devoir du juge d’instruction de communiquer ces pièces et de joindre ces
pièces au dossier.
Dernier élément, Monsieur Emmanuel REKERAHO. L’intéressé a été condamné
à mort au Rwanda pour son implication dans les événements à Butare. Ne soyons
quand même pas dupes. Les avocats de la défense savent très bien que l’audition
d’une personne ici en Belgique condamnée au Rwanda, donc l’audition physique
de cette personne est impossible. Notre droit, le droit pénal rwandais ne le
permet pas, et toutes les parties ici le savent. C’est d’ailleurs justement
pour cette raison qu’une commission rogatoire a été adressée pour entendre l’intéressé
et que vous entendrez, outre le juge d’instruction, outre des enquêteurs et
outre des témoins de l’affaire à Butare, que vous entendrez aussi l'enquêteur
Monsieur Jean TREMBLAY qui a procédé à l’audition de Monsieur REKERAHO. La défense
sait aussi bien que moi que cela n’est pas contraire à la règle de l’oralité
des débats.
Et Maître VERGAUWEN qui a l’habitude de la Cour d’assises le sait
très bien, ce n’est pas la première fois qu’un témoin ou que plusieurs témoins
ne se présentent pas devant une Cour d’assises et notre droit interne vous donne
la solution : à ce moment-là il faut lire la déclaration de l’intéressé.
Vous aurez donc ici le juge d’instruction, les enquêteurs, les témoins, Monsieur
TREMBLAY et la déclaration de Monsieur REKERAHO qui se trouve dans le dossier.
La décision qui est invoquée par Maître VERGAUWEN ne me semble d’ailleurs pas
concerner cette hypothèse. Monsieur REKERAHO a été entendu dans le courant de
l'instruction et pour des raisons légales, ne peut pas se présenter à l’audience.
C’est en somme le cas contraire de ce qui est signalé dans l’arrêt que Maître
VERGAUWEN a commenté.
En conclusion, je crois qu’il n'y a pas lieu à déclarer l’irrecevabilité
des poursuites, qu’il n'y a pas lieu à écarter quelque pièce que ce soit de
ce dossier et il me semble bien évidemment exclu et contraire à votre devoir
d’impartialité, et d’ailleurs illégal me semble-t-il, de donner acte à une partie
qu’il y a une violation des droits de la défense.
Le Président : Je vous remercie. Les parties civiles. D’abord
Maître BEAUTHIER. |