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3.3. Réponses de la partie civile
Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, Monsieur
l'avocat général, Mesdames et Messieurs les jurés, je crois qu’on devrait commencer
les débats le plus vite possible, et donc je vous l’ai dit, trois points.
Le premier point, c’est le souvenir que j’ai quand on est enfant
d’avoir envie quand on se trouve devant son jeu de cartes qu’on a distribué
de changer la donne et de supprimer le joker qui est dans le jeu de la partie
adversaire. C’est un peu à ça qu’on assiste tristement parce qu’il ne s'agit
pas d’un jeu de cartes. Il s'agit de quelque chose de beaucoup plus sérieux
et de beaucoup plus grave ; je m’étonne de ce qu’on puisse venir devant
vous cet après-midi demander au fond qu’on enlève des pièces, mais de quel droit ?
Vous avez des pièces qui sont dans un dossier, elles y resteront, et ce que
vous entendrez, vous, verbalement, on a le droit et le devoir du dire. Alors
c’est vrai qu’il faut rappeler une vérité que vous allez encore entendre, vous
allez encore entendre ce mot de discrétionnaire. Le président de la Cour d’assises
a un pouvoir discrétionnaire et souvent il dit, pour ceux qui sont habitués
(c’est parfois un peu gênant quand on n’est pas d’accord avec lui) : « En
vertu de mon pouvoir discrétionnaire, je vais demander à la gendarmerie, je
vais demander au juge d’instruction, je vais demander des devoirs complémentaires ».
Et en vertu de ce pouvoir discrétionnaire, le Code d’instruction criminelle
le dit : « Le président est chargé personnellement de diriger les
jurés dans l’exercice de leur fonction, de leur exposer l’affaire sur laquelle
ils auront à délibérer, même de leur rappeler leurs devoirs. Le président est
investi d’un pouvoir discrétionnaire en vertu duquel il pourra prendre sur lui
tout ce qu’il croira utile pour découvrir non pas des astuces juridiques, pour
découvrir la vérité » article 268 du Code d’instruction criminelle
la vérité ! C’est ça qu’on veut découvrir tous ensemble pendant ces quelques
semaines. Pourquoi nous empêche-t-on de découvrir cette vérité ? Premier
élément, le président a le pouvoir de demander tout devoir et de faire en sorte
que l’oralité des débats étant un principe, tout soit exposé devant vous. Nous
serons les derniers à cacher quoi que ce soit.
Nous intervenons, puisque je me tourne vers la Cour si c’est elle
qui va prendre une décision, pour les parties civiles qui se constituent contre
les deux sœurs. C’est tout de même un peu gonflé (je m’excuse de l’expression)
de venir nous dire que l’instruction est terminée, que le juge d’instruction
a totalement terminé, que manifestement tout est clos. D’abord, à tout moment
il se passe quelque chose à la Cour d’assises (comme dans un grand magasin français) ;
il peut toujours s’en passer, mais aussi il faut se rappeler vous ne connaissez
pas encore le dossier, la Cour le sait que si l’instruction de Monsieur VANDERMEERSCH
n’est pas close, c’est parce que les deux parties civiles, en tout cas l’une
(la mère supérieure) a commencé cette procédure elle-même. Elle a déposé plainte
contre un journaliste qui disait des choses, et cette instruction n’est toujours
pas terminée. Monsieur le juge VANDERMEERSCH est toujours compétent pour cette
instruction.
Alors, on pourrait dire : « Bon, mais Monsieur le juge
VANDERMEERSCH a fermé un certain nombre de… ». Non ! Les volets restent
ouverts, je vous l’ai dit jusqu'à la clôture. Manifestement il y a encore au
niveau de l’instruction des choses à faire, mais en plus nous avons des déclarations
dans un dossier qui évidemment gênent la partie adverse. Mais rien n’empêche
qu’on les lise. Rien n’empêche qu’on les soumette à la contradiction. Ce qu’on
vous demande, ce n’est pas d’avaler une pièce d’une partie civile vite fait
bien fait, glissée vite avant les débats en disant : « On n’aura peut-être
pas l’occasion d’avoir la contradiction ». Ce que nous souhaitons aujourd'hui,
et pour tous les procès, pour tout le procès qui aura lieu, ce que nous souhaitons,
c’est qu’il y ait le contradictoire, qu’on puisse aller de l’avant. Que sur
base de ce qui a été dit par le témoin, on puisse manifestement entendre les
arguments qui vous intéresseront de toutes les parties, mais qu’on ne vienne
pas vous dire : « Nous ne pouvons plus interroger le juge d’instruction ! ».
On l’a dit tout à l'heure, j’espère que ça a échappé à la défense.
Vous allez penser à ce que j’ai dit très brièvement quand vous entendrez
trois ou quatre fois le juge d’instruction venir ici, toutes les parties, vous-mêmes,
pourrez vous adresser au juge d’instruction. Vous pourrez lui demander les questions
les plus gênantes, le président qui alors aura la tâche de mener son instruction,
c’est un arrêt qui a été évidemment pris après l’entrée en vigueur du Code d’instruction
criminelle, c’est un arrêt qui a été confirmé une dizaine de fois, qui date
du 2 mai 1910 qui dit que le président, quand on voit le pouvoir qu’il a dans
le Code d’instruction criminelle, va avoir un pouvoir simplement énonciatif
parce qu’il est bien plus large son pouvoir ! Son pouvoir, c’est de pouvoir
à ce moment-ci, en fait même à la limite refaire l’ensemble des devoirs qui
ont été demandés. Et c’est ça, la richesse d’une Cour d’assises, c’est que rien
n’est décidé avant, il n'y a pas des choses, sauf si on suit la thèse de la
défense, à cacher. Tout sera exposé, et au juge d’instruction, on pourra poser,
défense, parties civiles, évidemment accusation, évidemment jury, toutes les
questions nécessaires.
Lecture intégrale parce qu’on ne peut pas faire autre chose. Et là,
quand j’entends le mot « loyauté », je voudrais qu’il soit replacé
là où il doit être. Quand on vient vous proposer un argument qui consiste à
dire : « Oui, mais il est étranger, il ne peut pas venir ! ».
Mais Monsieur l'avocat général vous l’a dit : « Il ne peut pas venir.
Il est détenu. Il faudrait qu’il existe une convention d’entraide judiciaire
entre la Belgique et le Rwanda ». Alors, on vous propose l’argument qui
est de dire : « Ne pas l’entendre dans les écrits qu’il donne ».
Ce ne sont pas ces écrits-là qui ont déterminé les juridictions qui se sont
penchées avant vous et qui se pencheront avant vous, c’est un témoignage important
qui vient, hélas, conforter certaines vérités, certains faits durs pour nos
clients.
Alors, je me tiens à ce que j’ai dit. La vérité sera, pour nous parties
civiles, particulièrement dure et atroce. Lire un dossier comme celui-là, entendre
ce que vous allez entendre s’encombre fort peu de procédure. La vérité pour
nous est essentielle. Nous, parties civiles, nous n’en avons pas peur. Je vous
demande, Monsieur le président, Mesdames et Messieurs, de déclarer les conclusions
déposées par les parties accusées non recevables et non fondées. J’ai dit et
je vous remercie.
Le Président : Je vous remercie.
Me. BEAUTHIER : Monsieur le président, aux conclusions, on devrait
changer la dernière ligne parce que c’est une ligne qui a été rédigée hier soir
au reçu des conclusions et nous demandons donc qu’il soit bien lu « de
déclarer les conclusions des parties accusées ».
Le Président : Je voudrais bien montrer aux parties contre lesquelles
elles sont dirigées la modification que vous apportez à ces conclusions.
Le Président : Vous avez approuvé, paraphé ? Je vous remercie.
Maître de CLETY ?
Me. de CLETY : Je vous remercie Monsieur le président, Madame,
Messieurs les juges, Monsieur l'avocat général, je serai extrêmement bref. Je
crois que Monsieur l'avocat général a déjà fait le tour de la question en ce
qui concerne l’argumentation juridique qu’il y avait lieu de développer. Je
voudrais simplement vous faire part de deux réflexions personnelles, et la première
c’est que lorsque j’ai entendu les conseils des accusés plaider, je me suis
dit que finalement de tout ce qui était plaidé, et parfois de manière un peu
contradictoire, la seule vérité qui ressortait c’est qu’il y a effectivement
un certain nombre de pièces de témoignages qui embarrassent prodigieusement
les accusés, et ce sont pourtant des pièces, comme Maître BEAUTHIER vous l’a
plaidé, qui sont essentielles parce qu’elles font partie de la vérité.
Lorsque je dis qu’elles les embarrassent, elles les embarrassent
pour diverses raisons. La première, et je pense tout particulièrement aux deux
sœurs, ça les embarrasse pour une raison de principe. Cette raison de principe,
c’est que la thèse de leur défense consiste depuis le premier jour à soutenir
que les ragots qui circulent à leur encontre ne sont que, je dis bien QUE, le
fait de deux sœurs qui ont perdu leur famille sur place et qui estiment, mais
qui estiment à tort, que les deux sœurs accusées n’ont pas fait tout ce qui
était en leur pouvoir pour protéger leur famille. Ça, c’est ce que soutient
leur défense depuis leurs premières auditions. Alors il est évidemment extrêmement
embarrassant de se retrouver confronté au témoignage de celui de Monsieur REKERAHO,
de celui qui est le chef des miliciens génocidaires, il est embarrassant de
se trouver confronté à un témoignage de quelqu'un qui est en aveux, qui n’a
aucun intérêt à mentir, qui n’a aucun intérêt particulier à charger les deux
accusées, et qui pourtant, au cours de 62 pages d’audition, va livrer un récit
absolument accablant à l’encontre des deux accusées.
Alors, cela, ça les embarrasse évidemment beaucoup. Et on voudrait
bien que ces 62 pages, notamment, soient retirées du dossier. Et alors on ne
craint pas de soutenir que finalement, parce que ça c’est un peu le débat contradictoire,
d’un côté on invoque, c’est la thèse de Monsieur HIGANIRO, une prétendue autorité
de choses jugées acquises à Arusha, et dans le même langage on critique Arusha
en disant que les règles de procédure à Arusha et les témoignages tels qu’ils
sont recueillis à Arusha ne présentent pas toutes les garanties requises.
Alors moi, si vous m’excusez l’expression populaire, je trouve que
c’est tout de même un petit peu fort de café ! Oser soutenir aujourd'hui
que les enquêteurs du Tribunal public international d’Arusha qui ont fait un
travail absolument colossal, ils se sont donné la peine d’entendre Monsieur
REKERAHO et de rédiger 62 pages d’audition, oser soutenir aujourd'hui que ces
témoignages et que ces auditions ne présentent pas toutes les garanties requises,
ça, je trouve quand même qu’il faut oser le soutenir !
Alors on vient vous dire maintenant que le principe du contradictoire
n’a pas été respecté au cours de la procédure. Mais Monsieur le président, Madame,
Monsieur, c’est complètement faux ! Nous savons que nous sommes dans le
cadre d’un débat qui est essentiellement oral. Nous savons que le jour où il
y a eu le règlement de procédure devant la Chambre du conseil et que n’étaient
pas encore versées au dossier les pièces qui sont aujourd'hui incriminées. Eh
bien, devant la Chambre du conseil il y a bien eu un débat contradictoire et
oral, sur base des éléments qui figuraient au dossier et la Chambre du conseil
a estimé que ces éléments étaient suffisamment étoffés que pour prendre une
ordonnance de renvoi. La Chambre du conseil, sur cette première partie de dossier,
avait déjà estimé qu’il y avait des charges accablantes à l’encontre des quatre
accusés. Et par la suite des informations complémentaires sont venues. Mais
venir dire que le dossier devrait se retrouver figé, j’allais dire comme une
momie, mais le jeu de mot est un peu osé vu la nature du dossier, figé au-delà
de l’ordonnance de la Chambre du conseil, et que plus aucune information complémentaire
ne pourrait y figurer, cela me semble totalement absurde, et nous voyons même
tous les jours devant des juridictions ordinaires tels que les tribunaux correctionnels
des pièces qui sont ajoutées entre le règlement de procédure et le moment où
les inculpés paraissent devant le tribunal.
Et pour ce qui est du respect du contradictoire, devant cette Cour,
plus que devant aucune autre juridiction du Royaume, nous savons qu’il sera
respecté, nous savons qu’ici plus que partout ailleurs, les accusés auront l’opportunité
de débattre des pièces qui sont soumises à votre attention et qui constituent
le dossier. Je crois donc que l’argument est totalement vain. J’ai dit et je
vous remercie.
Le Président : Maître HIRSCH ou quelqu'un d’autre. Qui veut éventuellement
encore intervenir ?
Me. JASPIS : Aussi très brièvement, je pense que comme mes confrères
que Mesdames et Messieurs du jury, Monsieur le président, Madame et Monsieur
le conseiller puissent entendre un petit peu plus rapidement que ce qui est
en train de se passer ce qui est vraiment important, c'est-à-dire les témoins,
l’acte d’accusation, commencer à parler des raisons pour lesquelles ils sont
ici ; je suis désolée, mais ce n’est pas à vous que je vais m’adresser
maintenant, c’est à la Cour encore, comme mes confrères. Et peut-être que ça
vous soulagera parce qu’en effet, ce qu’on est en train de vous exposer depuis
une heure est tout de même extrêmement technique. Et je me mets un petit peu
à votre place, c’est sans doute assez difficile à avaler puisqu’on est dans
les expressions populaires.
Toute cette discussion ne vous concerne pas si ce n’est qu’en filigrane
vous devez tout de même comprendre qu’il y a un certain nombre de messages qui
vous sont adressés. Qui vous sont adressés à mon avis assez vainement, mais
on a le droit d’essayer, par la défense des accusés, et il est difficile pour
les parties civiles de les laisser passer. Nous sommes obligés d’y répondre,
et c’est la raison pour laquelle malheureusement vous devrez encore faire preuve
d’un tout petit peu de patience.
Ce que je voulais simplement mettre en exergue, c’est deux tout petits
points, Monsieur le président, Madame et Messieurs de la Cour, c’est qu’on a
le sentiment en entendant les avocats des accusés d’assister à un double florilège.
Un florilège de contradictions d’une part puisqu’en effet, pour deux avocats
différents d’ailleurs, on vous dit des choses tout à fait opposées concernant
la place et le rôle qu’on veut faire jouer à la même institution, à savoir le
TPIR. D’un côté, on invoque l’autorité de la chose jugée, à laquelle Monsieur
l'avocat général a parfaitement répondu à cet argument, tout en admettant que
cette juridiction par ailleurs ne respecte pas les mêmes garanties, notamment
les droits de la défense que nos juridictions nationales belges, qu’il s'agit
d’un système de Common law au sujet duquel on peut faire toutes les critiques
que nous connaissons et qui ont d’ailleurs été en filigrane exposées par certains
des avocats d’une part.
Donc, cette juridiction qui est très peu respectueuse des droits
de la défense émettrait par ailleurs des décisions qui sont tout à fait respectables,
première contradiction.
Deuxième contradiction, on se plaint que devant cette juridiction
on n’a pas eu l’occasion de se défendre, ni d’avoir accès à aucune des pièces
qui lui ont été soumises pour, cinq minutes plus tard, vous dire que cette juridiction
a noyé la Cour d’assises de Bruxelles sous une avalanche de documents tous plus
inutiles les uns que les autres. Alors il faudrait un peu savoir, et j’apprécierais
personnellement que la défense des accusés ne nous souffle pas ainsi, dès le
début de ce procès, le chaud et le froid en permanence. C’est un peu fatigant.
Double florilège, disais-je, de contradiction d’une part, mais de
lacunes aussi. On reproche aux parties civiles, on reproche à des ONG qui elles
aussi sont avant tout soucieuses de l’établissement de la vérité, d’avoir en
quelque sorte nourri l’enquête, d’avoir en quelque sorte permis aux enquêteurs
de quoi ? De faire leur travail ! Est-ce qu’on imagine les enquêteurs,
qu’ils soient belges, rwandais ou d’autre nationalité ou pour ceux qui travaillent
pour le TPIR comme une espèce d’armée de Rambo qui descendrait en permanence
sur les collines, qui dresserait des cordons sanitaires autour des maisons,
autour des lieux de massacres et aurait une sorte de monopole pour y recueillir
des indices intéressants, ou bien est-ce qu’on peut admettre que toute partie
intéressée a le droit et même le devoir dans le code pénal belge de transmettre
à qui de droit, aux autorités qui elles sont chargées ensuite d’en faire l’usage
qui convient les éléments propres à la découverte, à l’établissement de la vérité
par rapport à des faits criminels avérés.
Effectivement, les enquêteurs ont trouvé certaines choses tout seuls,
comme des grands ! Pour d’autres, ils ont été quelque peu aidés par d’autres
acteurs, mais l’important c’est tout de même que ces enquêteurs et toute la
procédure qui suit le recueil des indices fonctionnent en qualité de filtre,
et que par la suite tous les éléments qui ont été recueillis sont bien entendus
soumis à contradiction. Et ça, les accusés comme leurs avocats ont eu largement
le temps depuis des années de se manifester à cet égard-là, d’effectuer tous
les contrôles qu’ils souhaitaient dès qu’ils ont eu accès au dossier puisqu’ils
ont eu d’ailleurs en effet un accès très précoce au dossier, notamment durant
les périodes de détention, mais par la suite également.
Et qu'est-ce qu’on constate à ce moment-là ? On constate un
vide absolu. Quasi pas la moindre demande, si ce n’est très marginale, à peine
une petite demande de prolongation du délai de la première phase devant la Chambre
du conseil, et surtout tant devant la Chambre du conseil, mais beaucoup plus
grave, devant la Chambre des mises en accusation, un silence absolu. Au point
que devant la Chambre des mises en accusation, alors que les avocats des parties
civiles se demandaient avec un peu de nervosité mais aussi avec beaucoup d’intérêt,
notamment sur le plan strictement professionnel : « Tiens, que vont-ils
nous plaider ? Que va-t-il y avoir comme arguments juridiques dans leurs
conclusions ? ». Qu'est-ce qu’on a entendu dire devant la Chambre
des mises en accusation ? « Nous ne contestons pas l’existence de
charges », je parle ici des religieuses, « Nous n’avons rien à dire.
Nous nous en remettrons à la sagesse du jury. Nous ne développerons pas d’autres
arguments que ceux relatifs à la question fort marginale de la prise de corps ».
A ce moment-là, alors que les pièces qu’on critique aujourd'hui sont
déjà déposées, je veux bien en kinyarwanda, qu'est-ce qu’on aurait pu faire
d’élémentaire ? Au minimum, par écrit ou verbalement le greffier aurait
pu l’acter - demander la traduction. Non ! On s’est contenté d’un
silence total. Et maintenant, comme si on avait voulu piéger les juridictions
successives et vous piéger aussi Monsieur le président, Madame, Monsieur de
la Cour, on vient vous exposer ce qui vient de vous être plaidé. Et le sommet,
la cerise sur le gâteau, si je puis m’exprimer ainsi, c’est tout de même de
vous demander en plus d’acter des réserves concernant l’application de l’article
6 de la Convention européenne des droits de l’homme.
Une fois pour toutes, je sais que c’est à la mode d’invoquer la Convention
européenne des droits de l’homme, mais il est exclu que cet article 6 devienne
la bouée de sauvetage des plaideurs négligents. Je vous remercie.
Le Président : Bien, Maître HIRSCH ?
Me. HIRSCH : Monsieur le président, Madame, Monsieur de la Cour,
Mesdames et Messieurs du jury, je serai extrêmement brève. Quand nous avons
pris connaissance des conclusions et des arguments qui allaient être développés
devant vous avant la présentation de l’acte d’accusation par Monsieur le procureur
général, nous avons tout fait pour que des conclusions soient déposées devant
vous maintenant, et c’est ce que nous venons faire d’ailleurs. Ce sont des conclusions
que je pense fouillées d’un point de vue juridique et que je soumets à l’appréciation
de la Cour. Je ne vais pas les développer ici, Monsieur le procureur général,
Monsieur l'avocat général WINANTS a repris l’ensemble de ces arguments d’une
manière extrêmement claire et je pense qu’il n'y a pas lieu de développer plus
avant.
Mais cette prise de position de la part des avocats de Monsieur HIGANIRO,
c’est cette prise de position que je conteste maintenant, m’interpelle. En fait,
qu'est-ce que Monsieur HIGANIRO demande ? Il demande à la Cour, à votre
Cour, au jury de ne pas le juger. Il dit simplement ceci : « Monsieur
HIGANIRO a déjà été jugé ». Nous savons que c’est parfaitement inexact
et que c’est une espèce de truc de procédure qui a déjà été invoqué à plusieurs
reprises comme l’a dit Monsieur l'avocat général devant les juridictions d’instruction,
et que c’est un argument qui vous est invoqué en vain. Premier argument :
invoqué en vain. Je pense que les avocats de Monsieur HIGANIRO ne l’ignorent
pas.
Deuxième chose : on vous demande, on demande à la Cour d’écarter
un ensemble de pièces du dossier sur lesquelles, si la Cour devait décider de
les écarter, ce qu’elle ne fera certainement pas, nous ne pourrions pas nous
expliquer. On demande en fait à la Cour, à votre Cour, au jury, de juger à partir
d’un dossier tronqué, à partir de témoignages tronqués et de juger dans ces
conditions-là. Juger de quoi ? Juger de faits qui sont extrêmement graves
et qui sont aussi extrêmement difficiles à juger, et nous en reparlerons certainement.
On vous demande d’écarter les pièces qui sont les pièces dérangeantes
pour les avocats des accusés. On ne demande pas d’écarter les pièces qui les
arrangent, on demande en gros d’écarter les pièces qui les dérangent. Il faut
savoir notamment que les victimes, très nombreuses, dans le génocide des Tutsi
au Rwanda, que les survivants, que les victimes que nous représentons ici ont
largement contribué à cette enquête. Sans les victimes, les enquêtes et ce procès
n’auraient probablement jamais eu lieu. Ce sont les victimes qui déjà en 1994,
alors que le génocide venait de se terminer, ont déposé les premières plaintes
contre Monsieur HIGANIRO et Monsieur NTEZIMANA. Et c’est vrai que toute cette
procédure pendant sept ans s’est déroulée avec l’appui des victimes, avec le
témoignage des survivants. Il faut savoir que la plupart des témoins d’ailleurs
sont également des victimes qui peut-être se constitueront parties civiles devant
la Cour au cours de ces débats. Ce qu’on vous demande en fait, c’est de dire
que la contribution des victimes, elle est nulle dans un procès comme celui-ci.
Et c’est tellement faux ! Dans n’importe quel procès c’est faux !
On a besoin des victimes, dans n’importe quel procès, mais encore plus dans
celui-ci.
Alors, c’est un privilège pour moi qui représente avec mes confrères
les victimes et les parties civiles, de prendre la parole aujourd'hui dans ce
sens-là. C’est la première fois que les victimes vont avoir la parole. Devant
le Tribunal international d’Arusha, les victimes n’ont pas la parole, elles
ne peuvent pas se défendre, elles n’ont pas de place dans le procès. Et pour
la première fois, au bout de sept ans, les victimes vont pouvoir parler, non
seulement parler, mais également apporter les éléments qui vont être soumis
à votre juridiction, à la contradiction des parties, comme tous les éléments
du dossier ont été soumis aux accusés depuis le départ. Et ça fait partie de
la richesse de notre pays et de la richesse de la justice de notre pays, que
tous les éléments puissent à tous les moments, et Monsieur le président de la
Cour d’assises vous l’a dit ce matin : « Si vous posez une question,
si vous avez un témoin à faire entendre, vous pouvez le demander », ce
sera Monsieur le président de la Cour d’assises qui décidera en vertu de son
pouvoir discrétionnaire. Il peut dire oui, il peut dire non. Je pense qu’il
dira oui. Je pense qu’il dira oui, pas évidemment pour des demandes impossibles,
comme de faire entendre quelqu'un qui est détenu au Rwanda, c’est impossible,
et nous le savons. On aimerait bien que ce soit possible, pour les parties civiles
et pour les accusés certainement aussi, mais encore plus peut-être pour les
parties civiles. Il y a des gens que j’aimerais bien voir ici qui ont été condamnés
ou qui vont peut-être être condamnés et qui sont directement impliqués dans
les faits qui vont vous être soumis. Mais ça, ce n’est pas possible. Mais pour
tout ce qui est possible, pour les témoignages qui viennent de là-bas, je voudrais
que ce soit possible et je sais que c’est possible, que tous ces témoignages,
les films, les cassettes, les auditions de témoins, tout cela vous soit soumis
et qu’on puisse en discuter ensemble dans la contradiction et dans le respect
des droits de chacun. Merci. |
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